S3/2180182/MC

$BANDEAU$

 

1ère section

 

Jugement n° 2018-0004 J

 

Audience publique du 9 mars 2018

 

Prononcé du 30 mars 2018

Commune de Saint-Gratien (95)

 

 

Exercices : 2010 et 2014

 

 

 

République Française

Au nom du peuple français

 

La chambre,

 

 

 

Vu le réquisitoire du 16 novembre 2016, par lequel le procureur financier a saisi la chambre en vue de la mise en jeu de la responsabilité personnelle et pécuniaire de MM.  X... et Y... comptables de la commune de Saint-Gratien au titre, respectivement, des exercices 2010 et 2014, notifié les 25 et 28 novembre 2016 aux comptables mis en cause et le 24 novembre 2016 à l’ordonnateur ;

 

Vu les comptes rendus en qualité de comptable de la commune de Saint-Gratien, par M. X..., pour lexercice 2010 ;

 

Vu les comptes rendus en qualité de comptable de la commune de Saint-Gratien, par M. Y..., du 2 janvier 2014 au 31 décembre 2014 ;

 

Vu les justifications produites au soutien des comptes ;

 

Vu l’article 60 de la loi de finances n° 63-156 du 23 février 1963 ;

Vu le code des juridictions financières ;

Vu le code général des collectivités territoriales ;

Vu le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique ;

Vu le rapport de M. Hervé Beaudin, premier conseiller, magistrat chargé de l'instruction ;

Vu les conclusions du procureur financier ;

Vu les pièces du dossier ; 

Entendu lors de l’audience publique du 9 mars 2018 M. Hervé Beaudin, premier conseiller en son rapport, M. Luc Héritier, procureur financier, en ses conclusions ; 

Entendu en délibéré M. Patrick Prioleaud, président de section, en ses observations ;

 

Attendu que, par le réquisitoire susvisé, le procureur financier a saisi la chambre régionale des comptes d’Île-de-France de la responsabilité encourue, respectivement par M. X... à raison du non recouvrement d‘un titre de recettes au titre de l’exercice 2010 (présomption de charge n° 1) et par M. Y... à raison du paiement de diverses primes et indemnités au personnel communal sans justification, au titre de l’exercice 2014 (présomption de charge n° 2 à 10) ;

 

Attendu qu'aux termes du I de l'article 60 de la loi du 23 février 1963 de finances pour 1963 susvisée : « Outre la responsabilité attachée à leur qualité d'agent public, les comptables publics sont personnellement et pécuniairement responsables du recouvrement des recettes, du paiement des dépenses, de la garde et de la conservation des fonds et valeurs appartenant ou confiés aux différentes personnes morales de droit public dotées d'un comptable public, désignées ci-après par le terme d'organismes publics, du maniement des fonds et des mouvements de comptes de disponibilités, de la conservation des pièces justificatives des opérations et documents de comptabilité ainsi que de la tenue de la comptabilité du poste comptable qu'ils dirigent. / Les comptables publics sont personnellement et pécuniairement responsables des contrôles qu'ils sont tenus d'assurer en matière de recettes, de dépenses et de patrimoine dans les conditions prévues par le règlement général sur la comptabilité publique. / La responsabilité personnelle et pécuniaire prévue ci-dessus se trouve engagée dès lors qu'un déficit ou un manquant en monnaie ou en valeurs a été constaté, qu'une recette n'a pas été recouvrée, qu'une dépense a été irrégulièrement payée ou que, par le fait du comptable public, l'organisme public a dû procéder à l'indemnisation d'un autre organisme public ou d'un tiers ou a dû rétribuer un commis d'office pour produire les comptes. / (...) ».

 

Sur la présomption de charge n° 1, soulevée à l’encontre de M. X... au titre de l’exercice 2010 :

 

Attendu qu’il est fait grief à M. X... de ne pas avoir recouvré le titre de recettes n° 4210 émis le 15 décembre 2009 à l’encontre de la société « SPI Sécurité », pris en charge par le comptable le 31 décembre 2009, d'un montant initial de 2 000 €, restant à recouvrer à hauteur de 2 060 € selon l'état des restes à recouvrer du compte 4111 au 31 décembre 2014 ;

 

Attendu que, selon l’article 11 du décret du 29 décembre 1962 et l’article 18 du décret du 7 novembre 2012 susvisés, dans le poste comptable qu'il dirige, le comptable public est seul chargé, de la prise en charge des ordres de recouvrer qui lui sont remis par les ordonnateurs, du recouvrement des ordres de recouvrer et des créances constatées par un contrat, un titre de propriété ou tout autre titre exécutoire et de l'encaissement des droits au comptant et des recettes liées à l'exécution des ordres de recouvrer ; qu’aux termes de l’article L. 1617-5 du code général des collectivités territoriales : « L’action des comptables publics chargés de recouvrer les créances des régions, des départements, des communes et des établissements publics locaux se prescrit par quatre ans à compter de la prise en charge du titre de recette. Le délai de quatre ans mentionné à l’alinéa précédent est interrompu par tous actes comportant reconnaissance de la part des débiteurs et par tous actes interruptifs de la prescription. » ;

 

Attendu que la société débitrice a été l'objet en premier lieu de l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire, par jugement du tribunal de commerce de Pontoise du 11 janvier 2010, publié au bulletin officiel des annonce civiles et commerciales (BODACC) le 29 janvier 2010 ; puis, en second lieu, d'un jugement prononçant la liquidation judiciaire du 2 juillet 2010, publié au BODACC du 21 juillet 2010 ; que la procédure a été finalement clôturée pour insuffisance d'actifs par jugement du 11 mars 2016, publié au BODACC le 31 mars 2016 ;

 

Attendu que le comptable en cause n’a fait aucune déclaration de créance, alors que les créances à l’encontre de la société « SPI Sécurité », devaient être déclarées au mandataire judiciaire dans le délai de deux mois courant à compter de la publication au BODACC du 29 janvier 2010, soit au plus tard le 29 mars 2010, c'est-à-dire sous la gestion de M. X..., comptable alors en poste, conformément aux dispositions de l’article R. 622-24 du code de commerce ; que le comptable indique que son équipe chargée du recouvrement des recettes de la commune n'a pas détecté l'annonce publiée au BODACC le 20 janvier 2010 ;

 

 

Attendu qu’il en résulte que M. X... n’a pas accompli dans les délais appropriés toutes les diligences requises ; qu’ainsi, il a manqué aux obligations mentionnées au I précité de l’article 60 de la loi du 23 février 1963 ;

 

Attendu qu’aux termes du V du même article : « Lorsque le ministre dont relève le comptable public, le ministre chargé du budget ou le juge des comptes constate l'existence de circonstances constitutives de la force majeure, il ne met pas en jeu la responsabilité personnelle et pécuniaire du comptable public. » ; que les circonstances invoquées par le comptable, en particulier celles tenant à la faiblesse des effectifs du poste comptable, ne sont pas constitutives de la force majeure ;

 

Attendu que lorsque le juge des comptes estime que le comptable a manqué aux obligations qui lui incombent au titre du recouvrement des recettes, faute d'avoir exercé les diligences et les contrôles requis, le manquement du comptable doit en principe être regardé comme ayant causé un préjudice financier à l'organisme public concerné ; que lorsqu'il résulte de l’instruction, notamment des éléments produits par le comptable qu'à la date du manquement, la recette était irrécouvrable en raison notamment de l'insolvabilité de la personne qui en était redevable, le préjudice financier ne peut être regardé comme imputable audit manquement ; qu'une telle circonstance peut être établie par tous documents, y compris postérieurs au manquement ; qu’en l’espèce, aucun certificat d'irrécouvrabilité ni autres pièces attestant de l'insolvabilité de la société débitrice à la date du manquement, ne sont produits par le comptable ; qu’ainsi, ni l’ordonnatrice, ni les comptables, ne sont fondés à soutenir que la créance sur la société débitrice n'aurait pu être recouvrée même si elle avait été déclarée dans les délais ; que, par suite, le manquement du comptable a causé un préjudice financier à la commune de Saint-Gratien ;

 

Attendu qu’aux termes du troisième alinéa du VI de l’article 60 de la loi du 23 février susvisée : « Lorsque le manquement du comptable […] a causé un préjudice financier à l’organisme public concerné […], le comptable a l’obligation de verser immédiatement de ses deniers personnels la somme correspondante » ; qu’ainsi il y a lieu de constituer M. X... débiteur de la commune de Saint-Gratien pour la somme de 2 060 € ;

 

Attendu qu’aux termes du VIII du même article : « Les débets portent intérêt au taux légal à compter du premier acte de la mise en jeu de la responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables publics » ; qu’en l’espèce, cette date est le 25 novembre 2016, date de réception du réquisitoire par M. X... ;

 

Sur les présomptions de charge n° 2 à 10, soulevées à l’encontre de M. Y..., au titre de l’exercice 2014 ;

 

Attendu qu’il est fait grief à M. Y... d’avoir payé au cours de l'année 2014 des indemnités et primes pour un total de 115 311,64 €, sans disposer des arrêtés individuels attribuant ces primes et en fixant le taux applicable ;

 

Attendu que selon l'article 19 du décret du 7 novembre 2012 susvisé : « Le comptable public est tenu d'exercer le contrôle : 2°) S'agissant des ordres de payer [...] d) De la validité de la dette dans les conditions prévues à l'article 20 » ; que l'article 20 du même décret prévoit que : « Le contrôle des comptables publics sur la validité de la dette porte sur : [...] 2° L'exactitude de la liquidation [...] 5° La production des pièces justificatives [...]. » ;

 

Attendu que, selon l'article D. 1617-19 du code général des collectivités territoriales : « Avant de procéder au paiement d'une dépense [...], les comptables publics [...] ne doivent exiger que les pièces justificatives prévues pour la dépense correspondante dans la liste définie à l'annexe I du présent code. » ; que contrairement à ce que soutient M. Y..., la dépense litigieuse relevait de la sous-rubrique  210223 « Primes et indemnités » précitée ;

 

 

 

 

 

Attendu que cette sous rubrique indique que, pour procéder au paiement de ce type de dépenses, le comptable doit posséder les documents suivants : / « 1. Décision de l'assemblée délibérante fixant la nature, les conditions d'attribution et le taux moyen des indemnités ; / 2. Décision de l'autorité investie du pouvoir de nomination fixant le taux applicable à chaque agent. » ; que cette sous-rubrique fait partie de la rubrique 21022 « Pièces particulières », laquelle renvoie à la note  5 citée par le comptable, indiquant que les pièces exigibles doivent être produites en tant que de besoin ; qu’ainsi, M. Y..., n’est pas fondé à se prévaloir de ce qu’il n’aurait pas été tenu de réclamer à chaque paiement, les arrêtés nominatifs indiquant les taux des indemnités versées à chacun des agents bénéficiaires ;

 

Attendu que les primes et indemnités allouées ont été attribuées dans le cadre fixé par la délibération du conseil municipal du 17 décembre 2004 ; que cette délibération fixe le régime indemnitaire accordé au personnel par filières et grades, en prévoyant le nombre de bénéficiaires, le taux moyen, la fourchette des coefficients applicables aux agents et l'enveloppe globale ; qu’elle indique expressément qu« il appartiendra à l'autorité territoriale investie du pouvoir hiérarchique de déterminer pour chaque prime ou indemnité le taux applicable à chaque bénéficiaire potentiel » ;

 

Attendu qu'en l'absence d'un arrêté nominatif attribuant le bénéfice de ces primes et indemnités et en fixant le taux individuel applicable à chaque agent, le comptable n'était pas en mesure de vérifier la liquidation de la dépense et la production des justifications ; le comptable aurait dû suspendre les paiements et demander à l'ordonnateur les pièces manquantes ; qu’ainsi, il a manqué aux obligations mentionnées au I de l’article 60 précité de la loi du 23 février 1963 et engagé sa responsabilité personnelle et pécuniaire ;

 

Attendu que M. Y... soutient que la commune n’a subi aucun préjudice financier, car la volonté de l'exécutif était bien de verser les primes et indemnités mandatées ; que l'ordonnateur estime également que la ville n'a pas subi de préjudice financier, puisque les primes allouées l’ont été dans le cadre de la délibération du conseil municipal du 17 décembre 2004, dans des proportions qu'il a validées, les arrêtés de régularisation indiquant les mêmes montants que ceux qui ont été versés sans arrêtés individuels ;

 

Mais attendu que, si la délibération du 17 décembre de 2004 révèle l’intention du conseil municipal d’attribuer des primes aux agents de la collectivité, aucune décision de l'autorité investie du pouvoir de nomination n’a fixé le taux applicable à chaque agent ; que les arrêtés pris postérieurement ne sauraient attester de la volonté de l’autorité compétente de verser, au moment du paiement, les sommes litigieuses ; qu’ainsi, les primes individuellement versées n’étaient pas dues ; que, par suite, le manquement du comptable a causé un préjudice financier à la commune de Saint-Gratien ;

 

Attendu qu’aux termes du troisième alinéa du VI de l’article 60 de la loi du 23 février susvisée : « Lorsque le manquement du comptable […] a causé un préjudice financier à l’organisme public concerné […], le comptable a l’obligation de verser immédiatement de ses deniers personnels la somme correspondante » ; qu’ainsi il y a lieu de constituer M. Y... débiteur de la commune de Saint-Gratien pour la somme de 115 311 ,64 € ;

 

Attendu qu’en application du VIII du même article, ce débet portera intérêt au taux légal à compter du 28 novembre 2016, date de réception du réquisitoire par M. Y... ;

 

Attendu qu’aux termes du deuxième alinéa du IX du même article : « Les comptables publics dont la responsabilité personnelle et pécuniaire a été mise en jeu dans les cas mentionnés au troisième alinéa du […] VI peuvent obtenir du ministre chargé du budget la remise gracieuse des sommes mises à leur charge. Hormis le cas de décès du comptable ou de respect par celui-ci, sous l’appréciation du juge des comptes, des règles de contrôle sélectif des dépenses, aucune remise gracieuse totale ne peut être accordée au comptable public dont la responsabilité personnelle et pécuniaire a été mise en jeu par le juge des comptes, le ministre chargé du budget étant dans l’obligation de laisser à la charge du comptable une somme au moins égale au double de la somme mentionnée au deuxième alinéa dudit VI » ; que, selon le l’article 1er du décret du 10 décembre 2012 : « La somme maximale pouvant être mise à la charge du comptable, conformément aux dispositions du deuxième alinéa du VI de l'article 60 de la loi du 23 février 1963 susvisée, est fixée à un millième et demi du montant du cautionnement prévu pour le poste comptable considéré. » ;

 

Attendu que le plan de contrôle hiérarchisé des dépenses, applicable à l'exercice 2014, prévoyait un contrôle des primes en question au mois de juin, que par suite, en cas de remise gracieuse, le ministre devra laisser à la charge du comptable une somme au moins égale à trois millièmes du montant du cautionnement pour le poste comptable de la trésorerie de SaintGratien, fixé à 177 000 € pour l'exercice 2013, soit une somme de 531 € ;

 

Par ces motifs,

 

 

DÉCIDE :

 

 

Article 1er : Au titre de la charge n° 1 et de l’exercice 2010, M. X... est constitué débiteur de la commune de Saint-Gratien pour la somme de 2 060 €, augmenté des intérêts de droit à compter du 25 novembre 2016.

 

Article 2 : Au titre des charges 2 à 10 et de l’exercice 2014, M. Y... est constitué débiteur de la commune de Saint-Gratien pour la somme de 115 311,64 €, augmene des intérêts de droit à compter du 28 novembre 2016.

 

Article 3 : En cas de remise gracieuse du débet ci-dessus prononcé, le ministre chargé du budget ne pourra pas laisser à la charge de M. Y... une somme inférieure à 531 €.

 

Article 4 : Il est sursis à la décharge de M. X... pour sa gestion durant l'exercice 2010 jusqu'à la constatation de l'apurement du débet prononcé ci-dessus.

 

Article 5 : Il est sursis à la décharge de M. Y... pour sa gestion durant l'exercice 2014 jusqu'à la constatation de l'apurement du débet prononcé ci-dessus.

 

Fait et jugé par MM. Alain Stéphan, président de séance ; Patrick Prioleaud, président de section et M. Jean-Marc Dunoyer de Segonzac, premier conseiller.

 

 

En présence de Marie-Christine Bernier-Liparo, greffière de séance.

 

 

 

 

 

 

Marie-Christine Bernier-Liparo                Alain Stéphan

 

 

 

En conséquence, la République française mande et ordonne à tous huissiers de justice, sur ce requis, de mettre ledit jugement à exécution, aux procureurs généraux et aux procureurs de la République près les tribunaux de grande instance d’y tenir la main, à tous commandants et officiers de la force publique de prêter main-forte lorsqu’ils en seront légalement requis.

 

En application des articles R. 242-19 à R. 242-21 du code des juridictions financières, les jugements prononcés par la chambre régionale des comptes peuvent être frappés d’appel devant la Cour des comptes dans le délai de deux mois à compter de la notification, et ce selon les modalités prévues aux articles R. 242-22 à R. 242-24 du même code. Ce délai est prolongé de deux mois pour les personnes domiciliées à l’étranger. La révision d’un jugement peut être demandée après expiration des délais d’appel, et ce dans les conditions prévues à l’article R. 242-29 du même code.

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