CHAMBRE REGIONALE DES COMPTES
DE PROVENCE–ALPES-CÔTE D’AZUR
Troisième section
Jugement n° 2018-0012
Office intercommunal de tourisme
du pays Mer Esterel (OIT)
Département du Var
Exercice 2013
Rapport n° 2017-0297
Audience publique du 13 février 2018
Délibéré du 13 février 2018
Prononcé du 3 avril 2018
JUGEMENT
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
La chambre régionale des comptes Provence-Alpes-Côte d’Azur,
VU le réquisitoire n° 2016-0058 en date du 4 août 2016 par lequel le procureur financier a saisi la chambre en vue de la mise en jeu de la responsabilité personnelle et pécuniaire de M. X, comptable de l’office intercommunal de tourisme (OIT) du pays Mer Estérel à Roquebrune-sur-Argens, au titre d’opérations relatives à l’exercice 2013 ;
VU la notification du réquisitoire du procureur financier et du nom du magistrat chargé de l’instruction à M. X et à la présidente de l’OIT du pays Mer Estérel, intervenue le 12 août 2016, aux maires des communes de Roquebrune-sur-Argens et Puget-sur-Argens, intervenue le 18 août 2016, et au liquidateur de l’établissement public, intervenue le 22 août 2016 ;
VU les comptes pour l’exercice 2013 de l’OIT du pays Mer Estérel ;
VU le code général des collectivités territoriales ;
VU le code des juridictions financières ;
VU l’article 60 de la loi de finances n° 63-156 du 23 février 1963 modifié ;
VU le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique ;
VU le décret n° 2012-1386 du 10 décembre 2012 portant application du deuxième alinéa du paragraphe VI de l’article 60 de la loi du 23 février 1963 modifié, dans sa rédaction issue de l’article 90 de la loi n° 2011-1978 de finances rectificative pour 2011 ;
VU le questionnaire adressé par le magistrat instructeur au comptable le 24 août 2016 ;
VU les justifications en réponse transmises par le comptable le 7 septembre, enregistrées au greffe de la chambre le 14 septembre 2016 ;
VU le rapport déposé le 16 septembre 2016 par M. Thomas Thiébaud, premier conseiller, et les conclusions sur ce rapport du procureur financier ;
VU le mémoire en date du 19 décembre 2016 et la note en délibéré produite le 23 décembre 2016 par Me G, pour le compte de la commune de Roquebrune-sur-Argens, enregistrée le même jour au greffe de la chambre ;
VU le jugement avant dire droit n° 2017-0001, rendu le 16 janvier 2017 après audience publique du 23 décembre 2016, par lequel la chambre a renvoyé l’affaire au magistrat instructeur pour complément d’instruction ;
VU la notification de ce jugement au liquidateur de l’OIT du pays Mer Estérel, aux maires des communes de Roquebrune-sur-Argens et Puget-sur-Argens et au directeur départemental des finances publiques du Var, intervenue le 18 janvier 2017, et à la présidente de l’établissement public, intervenue le 23 janvier 2017 ;
VU la décision du 29 novembre 2017 par laquelle le président de la chambre régionale des comptes a désigné M. Daniel Gruntz, président de section, comme rapporteur en remplacement du rapporteur initial ;
VU la notification du changement de rapporteur au comptable, à la présidente et au liquidateur de l’OIT du pays Mer Estérel, ainsi qu’aux maires des communes de Roquebrune-sur-Argens et Puget-sur-Argens, intervenue le 1er décembre 2017 ;
VU le rapport déposé le 11 décembre 2017 par M. Daniel Gruntz, président de section ;
VU les conclusions du procureur financier ;
Après avoir entendu en audience publique le rapporteur et les conclusions orales de
M. Marc Larue, procureur financier, M. X et l’ordonnateur, dûment informés de l’audience, n’étant ni présents ni représentés ;
Après avoir délibéré hors la présence du rapporteur et du procureur financier et après avoir entendu M. Renan Mégy, premier conseiller, réviseur, en ses observations ;
ATTENDU qu’aucune circonstance constitutive de la force majeure n’a été établie ni même alléguée ;
Charge unique : mandat n° 513 du 26 juillet 2013 de 41 655,91 € (compte 2183 : 36 273,92 € ; compte 6156 : 5 381,99 €)
En ce qui concerne le réquisitoire
ATTENDU que par le réquisitoire susvisé du 4 août 2016, le procureur financier a requis la chambre au motif que M. X aurait, sur le fondement du mandat susmentionné, payé à la SARL Y la somme de 41 655,91 €, relative à la « mise en place de supports interactifs d’information touristique », alors qu’il ne disposait pas de l’ensemble des pièces prévues par la réglementation pour ce type de dépense ;
ATTENDU qu’après avoir rappelé, en premier lieu, que dans sa rédaction en vigueur au moment du paiement, l’article 11 du code des marchés publics prévoyait que « les marchés et accords-cadres d’un montant égal ou supérieur à 15 000 euros HT sont passés sous forme écrite », en deuxième lieu, qu’aux termes de sa rubrique 423 « Prestations fixées par contrat », la nomenclature des pièces justificatives des dépenses des collectivités locales et des établissements publics locaux mentionnée à l’article D. 1617-19 et figurant en annexe du code général des collectivités territoriales prévoit pour ces prestations la production du contrat et le cas échéant d’un avenant et, en troisième lieu, que la combinaison de ces dispositions doit être interprétée comme n’interdisant pas le paiement de prestations d’un montant supérieur à 15 000 € HT en l’absence de contrat écrit, à condition que l’ordonnateur ait produit un certificat administratif par lequel il déclare avoir passé un contrat oral et prend la responsabilité de l'absence de contrat écrit, le représentant du ministère public a relevé qu’en l’espèce, le comptable avait procédé au paiement d’une prestation d’un montant supérieur à 15 000 € HT alors qu’il ne disposait ni d’un contrat écrit, ni d’un certificat administratif de l’ordonnateur par lequel ce dernier aurait déclaré avoir passé un contrat oral ;
ATTENDU qu’en effet ne figurait à l’appui du mandat visé dans le réquisitoire qu’une facture référencée FC4531, relative à la « mise en place de supports interactifs d’information touristique », faisant référence aux « bons de commande n° 2183 et 6156 des 12/04/13 et 10/07/13 » et que pendant la phase administrative d’examen des comptes, le comptable avait confirmé que le mandat avait été payé sur simple facture et qu’il n’avait pu produire qu’une délibération du 5 avril 2013 par laquelle le comité de direction de l’OIT avait approuvé un devis pour l’acquisition de bornes tactiles numériques et d’écrans auprès de la SARL Y, sans précision sur leur montant ;
Sur le manquement du comptable à ses obligations
ATTENDU qu’en réponse au réquisitoire du procureur financier et aux questions du rapporteur, M. X a fait valoir que pour les marchés à procédure adaptée, la preuve de l’accord des parties pouvait être apportée par un contrat signé entre les parties, un devis accepté par le pouvoir adjudicataire, un document portant commande émis par ce dernier et signé ou non du titulaire, un échange de lettres ou tout document prouvant l’engagement des parties et qu’en l’espèce, « la délibération du comité de direction du 5 avril 2013, souverain en la matière, pouvait être suffisante et constituait acceptation de devis » ; qu’outre une copie de cette délibération, M. X a joint à sa réponse celles des trois devis qui, selon la délibération, ont été présentés par la directrice au comité de direction de l’OIT, et un « tableau d’analyse des offres ayant servi de support à la décision dudit comité » ;
ATTENDU que dans le même sens, Me G a soutenu qu’il ressortait de la doctrine et de la jurisprudence administrative que la forme du contrat est libre, qu’« au dispositif de l’acte d’engagement peut être préféré tout autre écrit : lettre, contrat, devis accompagné de l’accord du pouvoir adjudicateur, courriel… » et qu’en l’espèce, les pièces dont disposait le comptable au moment du paiement, à savoir la délibération du comité de direction de l’OIT du pays Mer Estérel approuvant le devis de la SARL Y, les devis des deux sociétés non retenues, un tableau d’analyse des offres faisant apparaître que l’offre retenue était économiquement la plus avantageuse, le bon de commande adressé à la SARL Y ainsi que les deux bons de commande auxquels faisait référence la facture jointe au mandat, matérialisaient l’accord des parties ;
ATTENDU toutefois que la délibération du 5 avril 2013 par laquelle le comité de direction de l’OIT du pays Mer Estérel a approuvé un devis pour l’acquisition de bornes tactiles numériques et d’écrans auprès de la SARL Y ne comportait aucune précision sur le prix de ces prestations et que le devis en question n’y était pas joint ; qu’émanant en réalité de la SARL Y, le « bon de commande », en date du 12 avril 2013, auquel Me G fait référence dans son mémoire du 19 décembre 2016, s’apparente à un devis mais qu’il n’a été signé ni par la SARL Y, ni par l’OIT, que son montant total n’est pas chiffré et que la facture jointe au mandat ne mentionne qu’une partie des prestations qui y sont décrites ; qu’une seconde version signée de ce document a été produite par Me G à l’appui de sa note en délibéré du 23 décembre 2016, sans toutefois que l’auteur et la date de la signature qui y figure ne soient identifiables ; que les bons de commande également produits par Me G à l’appui de sa note en délibéré émanent non de l’OIT du pays Mer Estérel mais de l’office de tourisme de Roquebrune-sur-Argens et font mention de prestations dont les montants ne sont pas cohérents avec ceux figurant dans la facture jointe au mandat visé dans le réquisitoire ; qu’il résulte de ces éléments que les pièces dont disposait le comptable au moment du paiement n’identifiaient pas précisément les prestations commandées ni leur prix et qu’en toute hypothèse, faute d’avoir été signées par des représentants de la SARL Y et de l’OIT du pays Mer Estérel, elles ne traduisaient aucun accord des parties sur ces deux points ;
ATTENDU qu’aux termes du paragraphe I de l’article 60 de la loi du 23 février 1963 susvisé, « les comptables sont personnellement et pécuniairement responsables (…) du paiement des dépenses (…) » et que leur « responsabilité personnelle et pécuniaire (…) se trouve engagée dès lors (…) qu’une dépense a été irrégulièrement payée (…) » ;
ATTENDU qu’aux termes de l’article 19 du décret susvisé du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique, « le comptable est tenu d’exercer le contrôle : (…) 2° S’agissant des ordres de payer : (…) d) De la validité de la dette dans les conditions prévues à l’article 20 (…) » ; que selon l’article 20, « le contrôle des comptables publics sur la validité de la dette porte [notamment] sur l’exactitude de la liquidation (…) [et] la production des pièces justificatives (…) » ; que l’article 38 dispose que « lorsqu’à l’occasion de l’exercice des contrôles prévus au 2° de l’article 19 le comptable public a constaté des irrégularités (…), il suspend le paiement et en informe l’ordonnateur » ;
ATTENDU qu’il résulte de ce qui précède que M. X a engagé sa responsabilité personnelle et pécuniaire en s’abstenant de suspendre le paiement du mandat visé dans le réquisitoire alors qu’il ne disposait ni d’un contrat écrit, ni d’un certificat de l’ordonnateur par lequel ce dernier aurait déclaré avoir passé un contrat oral et pris la responsabilité de l’absence de contrat écrit ;
En ce qui concerne le préjudice financier
ATTENDU qu’aux termes des deuxième et troisième alinéas du paragraphe VI de l’article 60 de la loi du 23 février 1963 susvisé, « lorsque le manquement du comptable aux obligations mentionnées au I n’a pas causé de préjudice financier à l’organisme concerné, le juge des comptes peut l’obliger à s’acquitter d’une somme arrêtée, pour chaque exercice, en tenant compte des circonstances de l’espèce (…). Lorsque le manquement du comptable aux obligations mentionnées au I a causé un préjudice financier à l’organisme public concerné (…), le comptable a l’obligation de verser immédiatement de ses deniers personnels la somme correspondante (…) » ;
ATTENDU que M. Y a fait valoir dans sa réponse au réquisitoire du procureur financier et au questionnaire du rapporteur que « même si la délibération du comité de direction et les devis n’étaient pas joints initialement au mandat incriminé, le comptable, qui n’est pas juge de la légalité de la passation des marchés, a pu régler la facture sans porter préjudice à la collectivité du fait de la consultation préalable de trois prestataires (…) ainsi que de l’analyse des offres, consignée dans la délibération du comité de l’OIT » du 5 avril 2013 ;
ATTENDU que dans le même sens, Me G a fait valoir dans son mémoire du 19 décembre 2016 que « l’intention de contracter de l’OIT étant manifeste, la notion de préjudice [pouvait] difficilement être retenue », que « cette intention [était] attestée non seulement par la délibération du 5 avril 2013, mais également par les trois devis et par l’analyse des offres » et que « du point de vue de la commune de Roquebrune sur Argens, la dépense était régulière (devis, bon de commande puis facture) » et était « intervenue après le service fait » ;
ATTENDU que le constat de l’existence ou non d’un préjudice et de son imputabilité au comptable relève de l’appréciation que le juge des comptes est amené à porter sur ces deux points à l’analyse des pièces du dossier ; qu’en l’espèce, faute d’être fondée sur le marché dont, compte tenu de son montant, la réglementation imposait la conclusion, la dépense payée par le comptable au vu du mandat visé dans le réquisitoire était indue, même s’il ne ressort pas des pièces du dossier que les prestations en cause n’auraient pas été réalisées ; que la circonstance qu’une consultation ait été organisée pour sélectionner la SARL Y est indifférente à cet égard ; qu’il résulte de ces éléments que le manquement du comptable a causé un préjudice financier à l’OIT du pays Mer Estérel et qu’il y a donc lieu de constituer M. X en débet pour une somme égale au montant du mandat irrégulièrement payé, soit 41 655,91 € ;
ATTENDU qu’aux termes du paragraphe VIII de l’article 60 de la loi du 23 février 1963 susvisé, « les débets portent intérêt au taux légal à compter du premier acte de la mise en jeu de la responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables publics » ; que le premier acte de la mise en jeu de la responsabilité des comptables correspond à la notification du réquisitoire, intervenue en l’espèce le 12 août 2016 ;
En ce qui concerne le respect des règles de contrôle sélectif de la dépense
ATTENDU qu’aux termes du deuxième alinéa du paragraphe IX de l’article 60 de la loi du 23 février 1963 susvisé, les comptables publics dont la responsabilité personnelle et pécuniaire a été mise en jeu dans les cas mentionnés au troisième alinéa du paragraphe VI peuvent obtenir du ministre chargé du budget la remise gracieuse totale des sommes mises à leur charge s’ils ont respecté les règles de contrôle sélectif des dépenses ; que cette condition est déterminée « sous l’appréciation du juge des comptes » ;
ATTENDU qu’il ressort de la réponse de M. X au réquisitoire du procureur financier et aux questions du rapporteur qu’aucun plan de contrôle hiérarchisé de la dépense n’était applicable en 2013 ; qu’il en résulte que les règles de contrôle sélectif des dépenses n’ont pas été respectées au cas d’espèce ;
Par ces motifs
DÉCIDE
Article 1er : Monsieur Xest constitué débiteur de Office intercommunal de tourisme du pays Mer Esterel, pour la somme de 41 655,91 € (quarante et un mille six cent cinquante-cinq euros et quatre-vingt-onze centimes) augmentée des intérêts de droit à compter du 12 août 2016 ;
Les règles de contrôle sélectif des dépenses n’ont pas été respectées au cas d’espèce.
Article 2 : Il est sursis à la décharge de Monsieur X pour sa gestion au titre de l’exercice 2013 dans l’attente de l’apurement du débet mentionné à l’article 1er.
Fait et jugé à la chambre régionale des comptes Provence-Alpes-Côte d’Azur, le
13 février 2018.
Présents : M. Louis Vallernaud, président de séance, MM. Jean-François Kuntgen et
Renan Mégy, premiers conseillers.
La greffière,
Bérénice BAH | Le président de séance,
Louis VALLERNAUD |
La République Française mande et ordonne à tous huissiers de justice, sur ce requis, de mettre ledit jugement à exécution, aux procureurs généraux et aux procureurs de la République près les tribunaux de grande instance d’y tenir la main, à tous les commandants et officiers de la force publique de prêter main forte lorsqu’ils en seront légalement requis.
En application des articles R. 242-19 à R. 242-21 du code des juridictions financières, les jugements prononcés par la chambre régionale des comptes peuvent être frappés d’appel devant la Cour des comptes dans le délai de deux mois à compter de la notification, et ce selon les modalités prévues aux articles R. 242-22 à R. 242-24 du même code. Ce délai est prolongé de deux mois pour les personnes domiciliées à l’étranger. La révision d’un jugement peut être demandée après expiration des délais d’appel, et ce dans les conditions prévues à l’article R. 242-29 du même code.