En application des dispositions de l’article L. 111-3 du code des juridictions financières, la Cour des comptes a examiné la gestion des investissements de la direction générale de l’aviation civile (DGAC) de 2009 à 2013.
Au terme de la procédure contradictoire, la Cour m’a demandé, en application de l’article R. 143-1 du code des juridictions financières, d’appeler votre attention sur les observations suivantes.
La DGAC porte un programme ambitieux d’investissements destinés à renforcer la performance des systèmes de navigation aérienne. Ces investissements sont rendus nécessaires par la réglementation communautaire dite « ciel unique européen » et par l’obsolescence d’une partie des équipements, faute de renouvellement suffisant dans le passé. La direction des services de la navigation aérienne (DSNA) est chargée de ce programme et bénéficie de 150 à 250 M€ de crédits annuels depuis 2009.
La conduite des projets engagés est complexe. En effet, la DSNA doit gérer en parallèle le développement de différents outils de navigation qui devront être interconnectés. Dans le même temps, elle doit assurer le maintien en condition opérationnelle des outils actuels en attendant le déploiement des nouveaux équipements.
Lors de son contrôle, la Cour a identifié plusieurs pistes d’amélioration de la gestion de ce programme d’investissements.
Les dépenses d’investissement sont, de façon récurrente, sous-exécutées par rapport aux autorisations de dépense votées en loi de finances initiale. Le taux de consommation des crédits d’investissement du budget annexe - Contrôle et exploitation aériens (BACEA) est de 77 % en moyenne sur la période 2009-2013.
La crise économique a conduit à une réduction des recettes de redevance, principale source de financement du BACEA. La Cour constate cependant que l’investissement a servi de variable d’ajustement face à des coûts d’exploitation difficilement maîtrisés et un coût croissant de l’endettement.
L’autorisation annuelle d’emprunt du budget annexe était inférieure en moyenne à 100 M€ jusqu’en 2008. Elle atteint 250 M€ pendant la période 2009-2014.
Le recours à l’endettement pour financer des dépenses d’investissement est légitime. La Cour constate cependant que les demandes d’avances de la DGAC sont d’un niveau bien supérieur à la seule couverture des dépenses d’investissement.
Le remboursement de la dette (capital et intérêts) est une dépense prioritaire, préservée en cas de régulation budgétaire. Le recours excessif à l’emprunt crée donc un effet d’éviction des dépenses d’investissement, d’autant plus regrettable que la progression de l’endettement a servi à financer des dépenses de fonctionnement ou de personnel, sans que l’administration soit en mesure d’évaluer précisément par exercice la part des emprunts consacrés effectivement à préfinancer des investissements, celle ayant eu d’autres usages et le détail de ces usages.
Par ailleurs, l’endettement du budget est annexe est constitué depuis 2005 exclusivement sous forme d’avances souscrites auprès de l’Agence France Trésor, dont la durée est dorénavant de 12 ans. Ces avances du Trésor sont notamment mobilisées pour financer des insuffisances momentanées de trésorerie. Le recours à des avances de long terme pour remédier à des difficultés de trésorerie à très court terme n’est pas satisfaisant. Le recours à l’endettement de long terme devrait être limité au financement des investissements nouveaux et le niveau du plafond d’autorisation annuel d’emprunt devrait être justifié dans les documents budgétaires par les programmes d’investissement prévus.
II. UNE PLUS GRANDE PROFESSIONNALISATION DE LA GESTION BUDGÉTAIRE ET OPÉRATIONNELLE DES PROJETS EST NÉCESSAIRE
A. LES INSUFFISANCES DES PROGRAMMES PLURIANNUELS : UN MANQUE DE LISIBILITÉ, DE FIABILITÉ ET DE TRANSPARENCE BUDGÉTAIRE
La DGAC a mis progressivement en place, pour la définition et la conduite des programmes d’investissement, des procédures qui sont pertinentes mais gagneraient à être encore améliorées et fiabilisées. La Cour relève notamment les insuffisances suivantes :
- Aucun document de pilotage, même au niveau du comité des investissements, ne met en regard les dépenses totales de chaque programme, les coûts initialement prévus, les facteurs d’économies ou de dérive, les impacts budgétaires croisés entre programmes et leurs montants respectifs. L’information sur le coût global de chacun des projets est connue des responsables de programmes mais est rarement consolidée.
- L’absence d’échéanciers pluriannuels par opération pénalise le suivi et le pilotage des crédits programmés, engagés et consommés ainsi que des restes à payer. Ces derniers sont en grande partie évalués, non par agrégation des restes à payer de chaque opération, mais à partir d’une estimation statistique, rudimentaire et imprécise.
- La DGAC dispose d’un système d’information financière spécifique, en dérogation du système d’information financière de l’État, Chorus. Il ne permet pas à ce jour d’assurer un suivi fiable de l’exécution des opérations d’investissement, ni de confronter précisément l’exécution à la programmation. Il est nécessaire que la DGAC poursuive les travaux d’enrichissement et de fiabilisation de ce système, afin de pouvoir l’utiliser comme un outil partagé.
- La qualité du suivi des immobilisations est insuffisante, et les erreurs de prévision des dotations aux amortissements trop importantes. La DGAC doit veiller à corriger ces faiblesses par les travaux de fiabilisation du système d’information financière et par le programme de formation continue des agents, que la direction prévoit de mener jusqu’en 2016.
L’information sur les investissements fournie au législateur dans les projets de lois de finances est insuffisante : les explications sur les dépenses annuelles d’investissement sont très partielles, sans information sur les décalages, retards pris ou coûts totaux ; les restes à payer ne sont présentés que globalement au niveau du programme et les affectations sur tranches fonctionnelles ne sont pas connues. Un effort est indispensable pour que les parlementaires disposent des éléments nécessaires à un vote éclairé des budgets correspondant à ces investissements.
Les procédures de la DGAC en matière d’investissement prévoient la réalisation d’études coûts-avantages afin d’évaluer l’opportunité des différentes réponses possibles à un besoin. Les décisions de lancement et les étapes décisives des programmes sont pourtant trop rarement étayées par ces analyses coûts-bénéfices. Lorsqu’elles existent, ces analyses sont insuffisantes et ne contribuent pas toujours au processus de décision. Selon la DGAC, une réflexion a été engagée sur ce point dans le cadre des travaux de modernisation du management de la DSNA. La définition d’une méthodologie semble indispensable dans ce domaine, afin de veiller à la réalisation effective de ces analyses, à leur robustesse et à leur prise en compte dans les décisions.
De 2009 à 2013, la DSNA a eu recours à des prestations d’assistance à maîtrise d’ouvrage pour la planification et la gestion de projets, pour un coût moyen de 1,4 M€ par an. Un nouveau contrat a été passé en 2013 pour 8 ans, avec un volume annuel de prestations en hausse d’environ 30%. Si l’ampleur des programmes lancés peut expliquer un besoin accru de coordination et de pilotage, la DGAC doit cependant veiller à limiter le recours à des prestations d’assistance à maîtrise d’ouvrage portant uniquement sur la gestion des projets. La DGAC s’expose à un risque de perte durable de compétence en matière de gestion de projets.
Le futur outil de gestion du trafic 4-Flight, élément pivot des systèmes de navigation aérienne de la DSNA, a été confié à Thales Air Systems. Cet accord cadre conclu en 2011 pour une durée de 10 ans est le contrat le plus important jamais conclu par la DSNA. Du fait de la complexité et du caractère technologique et innovant des besoins des services de navigation aérienne, le secteur des systèmes de navigation est particulièrement concentré. La complexité des négociations et de l’exécution de ce type de marché est accentuée par des relations de dépendance entre industriels et prestataires de navigation : les industriels européens sont des fournisseurs incontournables des services de navigation européens, et ont besoin des références de ces derniers pour asseoir leur développement international.
L’issue de la négociation sur les droits de propriété du système 4-Flight se révèle peu avantageuse pour la DSNA, qui dispose de droits réduits alors que l’industriel bénéficie d’une marge de manœuvre importante, notamment pour la commercialisation du système.
Parmi ses recommandations, la Cour attire votre attention sur les éléments suivants :
- Recommandation 1 : améliorer la qualité de l’information sur les investissements (coûts totaux et leur évolution, restes à payer, échéanciers), en particulier sur les grands programmes, dans les annexes des prochains projets de loi de finance, afin de fournir une information complète et sincère sur les crédits correspondants ;
- Recommandation 2 : limiter le recours aux emprunts de moyen-long terme au financement des investissements nouveaux non financés par la capacité d’autofinancement. Justifier, dans les documents budgétaires, le plafond d’autorisation d’emprunt demandé pour ces avances en fonction des programmes d’investissement prévus.
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Je vous serais obligé de me faire connaître, dans le délai de deux mois prévu à l’article L. 143-5 du code des juridictions financières, la réponse - sous votre signature personnelle exclusivement -, que vous aurez donnée à la présente communication1.
Je vous rappelle qu’en application des dispositions du même code :
- deux mois après son envoi, le présent référé sera transmis aux commissions des finances, et, dans leur domaine de compétence, aux autres commissions permanentes de l’Assemblée nationale et du Sénat. Il sera accompagné de votre réponse si elle est parvenue à la Cour dans ce délai. À défaut, votre réponse leur sera transmise dès réception par la Cour (article L. 143-5) ;
- dans le respect des secrets protégés par la loi, la Cour pourra mettre en ligne sur son site internet le présent référé, accompagné de votre réponse (article L. 143-1) ;
- l’article L. 143-10-1 prévoit que, en tant que destinataire du présent référé, vous fournissiez à la Cour un compte rendu des suites données à ses observations, en vue de leur présentation dans son rapport public annuel. Ce compte rendu doit être adressé à la Cour selon les modalités de la procédure de suivi annuel coordonné, convenue entre elle et votre administration.
Didier Migaud
1 La Cour vous remercie de lui faire parvenir votre réponse sous forme dématérialisée (un fichier PDF comprenant la signature et un fichier Word) à l’adresse électronique suivante : greffepresidence@ccomptes.fr.