Le 4 mars 2014, une réunion interministérielle a entériné l’abandon du projet de refonte du circuit de paie des agents de l’État, l’un des projets informatiques les plus ambitieux et les plus coûteux (346 M€) lancés par l’administration dans la période récente.
Communément désigné « programme ONP », ce projet visait à établir automatiquement la rémunération de 2,7 millions d’agents publics, pour tous ses éléments, à l’aide d’un nouveau calculateur, le SI-Paye, qui devait être directement alimenté par les systèmes d’information pour les ressources humaines (SIRH) dont les ministères avaient entrepris de se doter depuis le début des années 2000.
Les bénéfices attendus étaient une amélioration du service rendu aux agents, des économies d’effectif à hauteur de 3 800 postes, la rationalisation des structures en charge de la paie, un renforcement du contrôle interne et de l’auditabilité des processus ainsi qu’un meilleur suivi de l’effectif et de la masse salariale de l’État.
La refonte du circuit de paie des agents de l’État recouvrait, d’une part, la rénovation complète des outils de la chaîne de paie, d’autre part, l’adaptation des projets de SIRH existants aux exigences d’un raccordement à cette nouvelle chaîne de paie. Sa maîtrise d’ouvrage incombait aux ministères, responsables du raccordement de leur SIRH au SI-Paye, ainsi qu’à un service à compétence nationale, l’opérateur national de paie (ONP), chargé de bâtir et d’exploiter le nouveau calculateur de paie et divers systèmes complémentaires. Un comité stratégique, rassemblant les plus hauts responsables ministériels, devait veiller au bon déroulement d’ensemble des travaux engagés.
Lancé en 2007, ce programme a rencontré des difficultés de plus en plus manifestes avec le temps. Courant 2010, la conception détaillée du SI-Paye a été retardée du fait d’obstacles rencontrés dans la codification des règles de paie et dans le paramétrage des systèmes d’information. Ultérieurement, le ministère de l’éducation nationale, le ministère chargé de l’environnement puis le ministère de l’intérieur ont annoncé qu’ils renonçaient à l’engagement qu’ils avaient pris d’être ministères pilotes pour le raccordement de leur SIRH au SI-Paye. Entre 2012 et 2013, le ministère de l’agriculture, dernier pilote engagé dans ce processus, n’est pas parvenu à réaliser l’interface de son SIRH avec le SI-Paye.
En juillet 2013, à l’issue d’une période d’incertitude, marquée par le lancement de plusieurs audits externes, le Premier ministre a confié au directeur interministériel des systèmes d’information et de communication (DISIC) une mission de « refondation » du programme. Pour des motifs économiques, budgétaires, calendaires et techniques, cette mission a recommandé que l’État renonce à mettre en service le SI-Paye et conserve les applications existantes.
L’échec du programme de refonte du circuit de paie des agents de l’État est pour une large part imputable à son ambition excessive (I) ainsi qu’à sa gouvernance défaillante (II). Ses conséquences, financières et opérationnelles, porteront durablement préjudice à l’État (III).
I - Une conception excessivement ambitieuse
Des objectifs trop nombreux et des exigences trop élevées ont conduit l’État à s’orienter vers une architecture technique comportant des risques et une planification très optimiste, qui ont ultérieurement pesé sur le déroulement du programme.
A - Des objectifs multiples, des exigences élevées
La paie des agents de l’État s’opère en deux étapes.
Au sein des ministères, les directions des ressources humaines (DRH) et les directions des affaires financières (DAF) assurent la préparation de la liquidation de la paie des agents placés sous l’autorité des ministres qui en sont les ordonnateurs principaux. Elles s’appuient notamment sur des outils informatiques de gestion des personnels ainsi que, dans certains cas, sur des applications externes de pré-liquidation1.
Sur la base des informations transmises par les ordonnateurs, qui comprennent notamment le résultat de pré-calculs de rémunération, les comptables publics sont chargés de payer les agents de l’État et de satisfaire aux obligations sociales, comptables ou statistiques correspondantes. En pratique, cette fonction est confiée aux services liaison-rémunération (SLR) de la direction générale des finances publiques (DGFiP). Ils disposent, à cette fin, d’applications informatiques, PAY et ETR, développées et maintenues par l’État depuis les années 19702.
Dans la première moitié des années 2000, à l’instar de grandes entreprises, plusieurs ministères ont entrepris de remplacer leurs outils informatiques de gestion des personnels par des systèmes d’information pour les ressources humaines (SIRH), réputés plus modernes, plus efficaces et moins coûteux.
À la suite de travaux lancés en 2002 par la direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP) puis d’un rapport de l’inspection générale des finances (IGF) en 20053, l’idée s’est progressivement imposée qu’une refonte du circuit de paie des agents de l’État permettrait de tirer le meilleur profit des SIRH ministériels.
L’objectif était que les informations concernant les événements marquants de la carrière des agents de l’État soient transmises systématiquement, dès leur enregistrement dans les SIRH ministériels, à un logiciel chargé de liquider automatiquement leur rémunération à l’aide d’un calculateur central. En appuyant la liquidation de la paie sur la gestion des ressources humaines, l’État entendait économiser des moyens, rationaliser les structures et mieux piloter ses charges de personnel tout en renforçant la réactivité, la régularité et l’exactitude de la chaîne de paie.
Les bénéfices espérés du programme de refonte du circuit de paie des agents de l’État étaient en particulier liés à son effet centralisateur : la gestion des ressources humaines aurait ainsi été suivie par un logiciel unique au sein de chaque ministère, pilotable directement par les directions financières ou juridiques. De même, le calcul de la paie aurait été opéré en un point central, sous le contrôle du comptable, et non disséminé lors de la pré-liquidation sous la responsabilité des ordonnateurs.
Le succès du projet reposait toutefois sur l’hypothèse que les dossiers de l’ensemble des agents de l’État, civils comme militaires, et l’intégralité des règles de paie puissent y être pris en compte.
La refonte du circuit de paie des personnels militaires
En janvier 2006, un rapport sur le processus de paie des militaires4 avait conclu qu’il était « techniquement envisageable » que la solde soit versée dans des conditions comparables à la paie des agents civils.
Lors du lancement du programme ONP, il était prévu que le ministère de la défense rejoigne le nouveau SI-Paye, tout comme les autres ministères. Compte tenu de l’avancement du projet de refonte de la solde Louvois5, dont la mise en service était considérée imminente à l’époque, il a cependant été décidé que le ministère de la défense se raccorderait au SI-Paye dans les ultimes phases de son calendrier de mise en oeuvre, initialement prévues en 2016.
B - Un pari technique à hauts risques
En mai 2006, les ministres chargés de l’économie et des finances, du budget et de la réforme de l’État, et de la fonction publique ont confié à la payeuse générale du Trésor une mission de préfiguration de la refonte du circuit de paie des agents de l’État.
Les travaux de cette mission ont recommandé que l’État se dote d’une nouvelle chaîne de paie, conçue et opérée par un service à compétence nationale spécialisé – l’opérateur national de paie (ONP) – rassemblant un calculateur unique, le SI-Paye, raccordé aux SIRH ministériels et entouré de divers systèmes complémentaires6.
La refonte du circuit de paie des agents de l’État a dès lors été communément désignée sous le vocable de « programme ONP » 7.
Graphique n° 1 : le programme ONP
[Graphique à consulter dans le fichier Word ou pdf Joint].
Dès sa genèse, le programme ONP a été conçu pour se substituer intégralement à la chaîne de paie existante.
Aux yeux de ses concepteurs, cette orientation était justifiée par le caractère vieillissant des technologies mises en œuvre par les applications existantes, PAY et ETR, dont l’adaptabilité et la stabilité n’étaient pas, à l’époque, perçues comme acquises. Elle procédait en outre d’une volonté d’externaliser les fonctions supports de l’État et de mettre un terme définitif aux pratiques de paie irrégulières ayant cours lors de la pré-liquidation dans certains ministères.
La logique de substitution prônée par la mission de préfiguration du programme ONP n’était cependant pas sans risques.
Elle supposait en effet que les opérations des ordonnateurs cessent de recourir à une chaîne ancienne, basée sur les formats admis par les applications PAY et ETR, pour utiliser une chaîne rénovée utilisant un nouveau format d’alimentation. Par nature, une telle opération comporte des risques au plan technique mais également organisationnel. Dans l’attente de la fin des opérations de transition vers le nouveau système, l’État aurait dû faire fonctionner transitoirement deux chaînes de paie distinctes.
Ne pas s’appuyer sur l’existant impliquait d’engager des travaux sur l’aval de la chaîne de paie, c’est-à-dire au niveau du calculateur de paie, alors même que la modernisation des SIRH ministériels situés en amont n’était pas achevée.
Le caractère simultané de ces deux chantiers était susceptible de faire naître des difficultés de coordination entre les diverses maîtrises d’ouvrage et maîtrises d’œuvre impliquées. Il exigeait en outre que les systèmes d’information concernés, c’est-à-dire les SIRH ministériels, le SI-Paye et ses systèmes complémentaires, partagent les référentiels communs nécessaires à leur synchronisation. Or, à l’époque, ces référentiels demeuraient, en grande partie, à bâtir.
Enfin, le remplacement complet de la chaîne de paie existante par les systèmes conçus dans le cadre du programme ONP présentait un coût prévisionnel élevé qui devait être compensé par une forte rentabilité interne, notamment en termes de réduction des effectifs chargé de la paie. Le programme ONP devait ainsi s’accompagner de 3 800 suppressions de postes dans les ministères, dont 800 au sein des SLR. Cette contrainte financière a conduit ses concepteurs à privilégier une architecture faisant une très large part à l’automatisation.
Or la faisabilité technique de cette architecture n’était pas avérée :
tout projet informatique touchant à la gestion des ressources humaines ou à la paie est sujet, par nature, à des aléas, liés notamment à la qualité des données utilisées ou à l’impact critique d’une avarie, en particulier dans un système centralisé ;
aucun système d’information comparable à la cible du programme n’était en production à la date de son lancement8. Une fois mis en service, le SI-Paye devait traiter, chaque mois, entre 2,8 et 3,1 millions de dossiers de paie, d’agents civils comme militaires, appartenant à une quinzaine de ministères, hors paye à façon9 ;
alors que de grandes entreprises gèrent une centaine de règles de paie, l’État rémunère ses agents sur la base d’environ 1 500 éléments de paie distincts, chacun susceptible d’être diversement décliné suivant les ministères ;
des procédures spécifiques à la fonction publique complexifient l’établissement de la paie : gestion des congés payés ou maladie, versements indemnitaires en situation de maladie, gestion des trop-perçus, décalage entre la prise des actes de gestion et leurs conséquences sur la paie (rétroactivité), paye à façon, etc. ;
la paie des agents de l’État fait l’objet de traitements spécifiques10 requérant des informations qui ne sont pas nécessairement présentes dans les SIRH ministériels ;
le nombre de règles de paie entrant en compte dans la rémunération des agents de l’État, la sophistication des procédures qui la régissent et les traitements spécifiques qui s’y appliquent étaient de nature à faire peser une exigence de qualité très forte sur les données stockées dans les SIRH ministériels ;
alors que les entités privées raccordent généralement leur système de paie à un SIRH unique, l’État avait pour ambition de raccorder son SI-Paye à huit SIRH différents, mobilisant des technologies différentes dont toutes n’étaient pas standardisées11 ;
à supposer que l’architecture technique du programme ait pu être mise en œuvre, son exploitation aurait requis qu’une dizaine de services informatiques se coordonnent en permanence12 pour maintenir la synchronisation des référentiels communs permettant aux systèmes d’information de dialoguer entre eux ;
cette synchronisation aurait été d’autant plus délicate à garantir que ces référentiels peuvent évoluer avec chaque révision des règles de gestion de la fonction publique.
Plusieurs de ces risques techniques ont été ignorés ou gravement sous-estimés.
Ainsi, la gestion automatisée des référentiels communs à l’ensemble des systèmes d’information, qui représentait l’un des défis techniques les plus exigeants du programme, n’a pas été prévue dans la phase précédant la conclusion du marché SI-Paye. Ultérieurement, il a été décidé de confier la création d’un outil de gestion de ces référentiels à un prestataire distinct du maître d’œuvre du SI-Paye, créant un facteur de risque supplémentaire affectant sa mise en œuvre.
De même, les concepteurs du programme ont estimé, à tort, que les maîtrises d’ouvrage ministérielles seraient aisément en mesure d’adapter les SIRH aux exigences du raccordement au SI-Paye. En pratique, ces exigences, par ailleurs fluctuantes au cours du temps, ont contribué de façon décisive aux retards pris par les projets SIRH ministériels et à l’inflation de leurs coûts, qui ont, en définitive, amené l’État à décider de ne pas mettre en service le SI-Paye.
Enfin, l’objectif d’assurer l’intégralité du calcul de la paie, même des primes marginales et d’un montant modeste, au sein d’un calculateur unique apparaît excessif. Une analyse des montants annuels distribués par élément de paie en 2013 (hors traitement indiciaire) montre en effet que 10 % des éléments de paie donnent lieu à près de 92 % des paiements. Réciproquement, pour les trois quarts des éléments de paie, le montant annuel distribué n’excède pas 1 M€, leur montant cumulé ne représentant que 0,86 % des montants versés. Une analyse précise des coûts et des avantages de cette stratégie aurait dû conduire à écarter la codification, dans le calculateur de paie unique, des règles donnant lieu à des paiements de faible montant ou concentrés sur un nombre réduit d’agents.
Les défauts entachant la conception initiale du programme ONP ont échappé au responsable de la mission de préfiguration qui était dépourvu d’expérience significative en matière de grands projets informatiques.
Il est particulièrement regrettable que les ministres n’aient pas soumis l’architecture technique et fonctionnelle proposée par la mission de préfiguration à un audit externe technique approfondi, confié à un comité indépendant d’experts disposant d’une expérience reconnue en matière de grands projets informatiques dans la sphère publique.
Tel n’a pas été le cas, que ce soit à la remise des conclusions de la mission de préfiguration en 2006, lors de la création de l’opérateur national de paie en 2007 et, surtout, avant la signature du marché SI-Paye en 200913. Une revue de programme a été menée début 2011 et a permis de mettre en évidence plusieurs des points d’alerte identifiés deux ans plus tard par la revue indépendante menée à la demande de la DISIC.
Par ailleurs, certains défauts du projet auraient pu être mieux maîtrisés si son lancement avait été précédé d’une réflexion stratégique sur le droit de la fonction publique ainsi que d’une remise en ordre et d’une simplification des règles de rémunération des agents publics.
C - Une planification trop optimiste
Contrairement à d’autres grands projets informatiques, qui comportent généralement des livraisons échelonnées offrant de plus en plus de fonctionnalités, le programme ONP ne prévoyait pas de « livrables » intermédiaires.
Ce choix des concepteurs du programme résulte d’une analyse tenant la paie pour un processus non sécable dont le bon fonctionnement ne peut être constaté qu’à l’issue de l’ensemble des étapes qu’il comprend (prépaie, paie, post-paie). Il rejoint leur volonté de codifier la plus grande part possible des règles de paie au sein du calculateur du SI-Paye et leur détermination à rebâtir la chaîne de paie plutôt qu’à rénover l’existant.
Alors même qu’un dialogue compétitif préparatoire de dix mois avait précédé le lancement du marché, l’échéancier prévisionnel de réalisation du SI-Paye prévoyait un délai de trente mois entre le lancement de sa conception (novembre 2009) et la fin de sa recette (avril 2012). Une telle durée est généralement considérée comme un facteur de risque pour la réussite d’un grand projet informatique. En pratique, la réalisation du SI-Paye, prévue pour s’achever en avril 2011, s’est prolongée jusqu’en novembre 2012 (15 mois de retard). La recette du logiciel, c’est-à-dire la dernière vérification de son bon fonctionnement, a été prononcée en juillet 2014, avec 27 mois de retard.
À cette durée excessive de réalisation s’ajoutait un échéancier prévisionnel de mise en œuvre très optimiste. Alors qu’aucune contrainte législative ou réglementaire ne fixait de terme à l’achèvement du programme, ses concepteurs ont affiché un rythme de mise en service soutenu, ambitionnant que la nouvelle chaîne traite 500 000 dossiers supplémentaires tous les six mois, alors que les bonnes pratiques privilégient généralement des vagues plus modestes.
Ce calendrier de mise en oeuvre resserré ne résultait pas seulement du volontarisme des concepteurs du programme ONP. Il traduisait également l’ambition des ministères dans la conduite de leurs projets SIRH mais aussi les inquiétudes sur l’obsolescence présumée des outils PAY et ETR. La disponibilité rapide et généralisée de la chaîne de paie rénovée conditionnait en outre sa rentabilité, et donc la disposition des gestionnaires de crédits à la financer. Au surplus, une coexistence prolongée de la chaîne existante basée sur PAY et ETR et de la nouvelle chaîne basée sur le SI-Paye aurait suscité des difficultés pour le suivi des agents basculant, lors d’une mutation, d’un système à l’autre.
Tout comme ils n’ont pas remis en question la faisabilité de l’architecture technique du programme, les ministres destinataires des conclusions de la mission de préfiguration du programme n’ont pas fait appel à une expertise externe en vue d’apprécier le réalisme de sa planification. Au regard de sa complexité, la codification des règles de paie dans les sept mois programmés pour la conception détaillée n’était, en particulier, pas acquise, à moins de se concentrer sur les seules règles pour lesquelles la codification présentait un bilan coûts/avantages favorable, c’est-à-dire de renoncer à codifier toutes les règles de paie.
Plus largement, aucune revue systématique de la valeur et de la rentabilité des fonctionnalités requises par les concepteurs du programme ou par les ministères n’a été conduite. Elle aurait pourtant permis et d’éviter des coûts ou des délais supplémentaires. En dépit de ces lacunes, le Premier ministre et les ministres destinataires des conclusions de la mission de préfiguration ont signé le décret constitutif de l’opérateur national de paie, publié le 15 mai 200714.
II - Une gouvernance défaillante
La maîtrise d’ouvrage du programme ONP incombait conjointement à l’opérateur national de paie et aux ministères, qui ont rencontré des difficultés à se coordonner. Au niveau interministériel, aucune autorité centrale unique n’assurait un pilotage d’ensemble.
A - Une maîtrise d’ouvrage éclatée
L’une des spécificités du programme ONP est que sa maîtrise d’ouvrage est partagée entre, d’une part, les ministères responsables de leur SIRH, y compris de leur raccordement au circuit de paie rénové, et l’opérateur national de paie, service à compétence nationale conjointement rattaché à la DGAFP et à la DGFiP, chargé de concevoir et d’exploiter le SI-Paye et ses systèmes complémentaires.
1 - Des maîtrises d’ouvrage aux priorités différentes
Le partage des responsabilités entre les maîtrises d’ouvrage ministérielles et l’opérateur national de paie n’a pas été sans difficultés.
Conformément au décret du 15 mai 2007, les spécifications de l’interface entre les SIRH ministériels et le SI-Paye ont été définies par l’opérateur, ce qui a fait naître au sein des ministères le sentiment que les maîtrises d’ouvrage ministérielles lui étaient subordonnées. Cette perception a été renforcée par le fait que l’opérateur a fréquemment fait évoluer ces spécifications, sans consulter les ministères, ce qui a ralenti leurs travaux, voire a conduit certains d’entre eux à adopter une position d’attente avant d’engager les tâches qui leur incombaient.
La crispation des ministères vis-à-vis de la posture perçue comme rigide et prescriptive de l’opérateur s’est en particulier cristallisée autour des audits de trajectoire et des audits de raccordement prévus par la procédure de raccordement au SI-Paye qui ont été perçus comme des audits externes menés par l’opérateur sur les projets ministériels15.
Compte tenu des retards pris par les projets de SIRH ministériels, les dates prévisionnelles de leur raccordement au SI-Paye n’ont cessé d’être décalées.
Tableau n° 1 : calendrier de raccordement des ministères pilotes
[Tableau à consulter dans le fichier Word ou pdf Joint].
Le dernier calendrier prévisionnel du programme avant son abandon prévoyait que les dernières vagues de raccordement interviendraient en 2023, cinq années après la date prévue initialement. Compte tenu du nombre d’agents concernés, les retards dans le calendrier de raccordement du SIRH du ministère de l’éducation nationale ont particulièrement pesé sur la rentabilité globale attendue du programme.
Les ministères s’étaient dotés de chefs de projet miroirs, responsables du suivi du programme ONP. Ce dispositif n’a cependant pas permis de mobiliser efficacement les départements ministériels. Certains de ces chefs de projet manquaient d’expérience en matière de grands projets informatiques ou d’un appui suffisant. Réciproquement, le département projets miroirs de l’opérateur, chargé de relayer les positions des ministères, exerçait une influence limitée sur sa direction. Plus largement, les mesures d’accompagnement à destination des ministères ont été très insuffisantes.
2 - Des faiblesses internes à l’opérateur
Ne bénéficiant pas d’une équipe antérieurement constituée, contrairement par exemple à la maîtrise d’ouvrage du projet Chorus, l’opérateur a fait face à un fort besoin de recrutement qu’il a eu du mal à satisfaire, notamment en matière d’expertise informatique.
L’annonce par le Premier ministre fin 2008 de la délocalisation de son activité à Caen en compensation de la dissolution d’un régiment de l’armée de terre n’a, en particulier, pas contribué à faciliter le recrutement. L’opérateur a, en outre, fait face à un turnover élevé de son effectif. Ainsi en 2012, le taux de rotation de l'emploi s’est établi en son sein à 41,3 %16. Le département des systèmes d’information a été particulièrement concerné, son taux de rotation dépassant 60 %.
En dépit du recrutement, à grande échelle, et de façon croissante, d’agents publics contractuels, l’opérateur est demeuré quasi continument en sous-effectif entre 2008 et 2013, 18 emplois étant en moyenne vacants sur un effectif théorique moyen de 133 agents sur cette période. Cette situation l’a conduit à recourir à un appui capacitaire fourni notamment par son assistance à maîtrise d’ouvrage mais également ponctuellement par sa maîtrise d’œuvre. Certaines fonctions supports, telles que l’expertise juridique, ont, par ailleurs, été externalisées.
Confiée jusqu’en février 2013 au responsable de la mission de préfiguration du programme ONP, la direction de l’opérateur a été fragilisée par une vacance de 25 mois du poste de secrétaire général, par l’instabilité de la fonction de chef du département informatique – quatre changements de responsable en cinq ans –, et par l’absence, jusqu’à fin 2012, d’un cadre ayant une expérience réussie d’un projet comparable.
Malgré la mise en œuvre d’une organisation « en mode projet » par certains aspects remarquable17, son rôle de maître d’ouvrage n’a pas été pleinement satisfaisant en ce qui concerne la conception et la publication des référentiels communs permettant la synchronisation des systèmes d’information, la gestion des jeux de données de test ou le suivi des risques extérieurs à son champ d’intervention directe.
L’assistance à maitrise d’ouvrage de l’opérateur, confiée à la société CapGemini, par ailleurs impliquée dans certains projets SIRH ministériels, n’a pas permis, en dépit d’alertes qu’elle a formulées, de pallier ces diverses insuffisances. Entre 2008 et 2013, elle a représenté 19,3 % des dépenses totales engagées par l’opérateur soit 56,1 M€.
3 - Des maîtrises d’ouvrage ministérielles tout aussi fragiles
Dans les ministères, la responsabilité des projets SIRH ne relevait pas nécessairement du secrétariat général. Dans certains cas, la gouvernance de ces projets était partagée entre direction des systèmes d’information (DSI) et directions métiers (DRH et DAF). Dans d’autres, le secrétariat général n’ayant pas les ressources nécessaires, la charge du projet était déléguée à une direction d’administration centrale.
En dépit des mises en garde de l’opérateur, l’exigence de fiabilité des données stockées dans les SIRH n’a pas été pleinement perçue par les responsables ministériels. L’insuffisante qualité des données ministérielles a généralement obéré les travaux de raccordement au SI-Paye, par exemple au ministère de l’agriculture.
Faute de les avoir correctement estimées, plusieurs ministères ont évité de communiquer sur les difficultés techniques, organisationnelles ou budgétaires qu’ils rencontraient dans l’avancement de leur projet SIRH. L’opérateur connaissant lui-même des difficultés et n’étant pas en mesure de leur apporter un appui faute de crédits budgétaires alloués à leur accompagnement, les ministères n’ont pas vu d’intérêt à communiquer de manière ouverte sur leurs retards.
Du point de vue des ministères, le programme ONP était généralement perçu comme une initiative des administrations financières. Le raccordement au SI-Paye n’était pas nécessairement considéré comme une urgence, ni même comme une amélioration de la qualité du service rendu. Certains ministères ont pu délaisser les travaux de raccordement au SI-Paye au profit de chantiers internes jugés plus prioritaires. Au surplus, la résorption des pratiques irrégulières de paie et la standardisation des procédures de gestion des ressources humaines appelaient de nombreuses mesures de régularisation ou de réorganisation au sein des ministères.
En définitive, les difficultés rencontrées par les maîtrises d’ouvrage ministérielles ont été révélées trop tardivement pour que des mesures correctives puissent être mises en œuvre afin d’éviter le glissement des calendriers des projets SIRH ministériels puis, en définitive, l’abandon pur et simple de leur raccordement au SI-Paye.
B - Un projet sans pilotage interministériel
1 - Un comité stratégique dépourvu d’une autorité suffisante
Le décret du 15 mai 2007 constituant l’opérateur national de paie a placé auprès du ministre chargé du budget et du ministre chargé de la fonction publique un comité stratégique chargé de formuler des orientations relatives aux systèmes d’information dont l’opérateur assurait la maîtrise d’ouvrage et à la stratégie d’évolution des SIRH ministériels, afin notamment qu’ils soient en mesure de se raccorder au SI-Paye.
Le comité stratégique rassemblait la direction de l’opérateur, ses directions de rattachement et les secrétaires généraux ministériels, mais ne comportait pas de personnalité qualifiée extérieure à l’administration. Il était placé sous la présidence d’un haut fonctionnaire des finances.
L’opérateur disposait, pour l’essentiel, de l’initiative des sujets abordés en comité stratégique, ce dernier entérinant, dans la plupart des cas, les propositions qui lui étaient formulées. En juillet 2009, le comité stratégique a validé le lancement du marché SI-Paye sur la base d’un rapport préparé par l’opérateur lui-même. De même, en janvier 2011, il a diligenté un audit sur les retards de conception du SI-Paye confié à une mission d’audit interministérielle, dont la majeure partie des membres appartenait à la mission d’audit interne de l’opérateur.
En dépit de la présence en son sein de la direction du budget, le comité stratégique n’examinait pas les enveloppes budgétaires allouées à l’opérateur national de paie ou aux maîtrises d’ouvrage ministérielles. Il ne disposait pas des informations nécessaires pour mettre en regard les bénéfices individuels des fonctionnalités attendues et leur coût.
Jusqu’en 2009, l’opérateur et les administrations financières intéressées se réunissaient au sein d’un comité des sponsors informel afin d’arrêter une position commune au sein du comité stratégique. Aux yeux des ministères, ce mécanisme de coordination préalable a tendu à vider l’ordre du jour du comité stratégique de sa substance.
À compter de 2010, une part des membres du comité stratégique, et notamment des secrétaires généraux ministériels, a choisi de s’y faire représenter plutôt que d’y siéger personnellement. Certains ont ainsi pu choisir d’éviter de siéger afin de ne pas afficher leurs difficultés devant les autres parties prenantes, dont l’opérateur lui-même. D’autres, comme les représentants des ministères n’ayant pas été désignés comme pilotes, ne s’estimaient pas directement concernés.
Lors des réunions, les participants n’étaient pas toujours en mesure de réagir aux propositions faites, parfois par manque de temps pour maîtriser l’abondante documentation disponible. Le nombre des participants (une cinquantaine) ne favorisait pas la tenue de débats, qui se concluaient, bien souvent, par une unanimité de façade.
En définitive, conformément à la lettre du décret du 15 mai 2007, le comité stratégique a constitué une enceinte d’information et d’échange entre les diverses parties prenantes au programme, leur permettant notamment de suivre l’activité de l’opérateur, alors qu’il aurait été nécessaire qu’il joue un rôle de pilotage et de coordination de l’ensemble des maîtrises d’ouvrage impliquées, en particulier dans les ministères.
Le comité stratégique aurait pu, en particulier, freiner le rythme d’actualisation des spécifications techniques publiées par l’opérateur, exercer une influence plus forte sur la programmation des travaux des ministères et mieux maîtriser les risques afférents au raccordement des SIRH ministériels au SI-Paye. Il aurait pu recourir à des audits externes n’impliquant pas de membres de la mission d’audit interne de l’opérateur.
2 - Des directions de rattachement peu impliquées
Hors le comité stratégique, la gouvernance du programme ONP reposait sur la DGAFP et la DGFiP, auxquelles le décret du 15 mai 2007 avait rattaché l’opérateur national de paie, sans cependant leur confier de prérogative spécifique au plan juridique18 ou budgétaire19.
En pratique, la DGAFP et la DGFiP n’ont guère pesé sur l’activité de l’opérateur, dont la direction faisait montre d’une forte culture d’autonomie. Fin 2010, lorsqu’il est apparu que la conception détaillée du SI-Paye était retardée, elles ont tenté de mettre en place un contrôle a posteriori de l’opérateur. Cette tentative n’a pas pleinement abouti, l’audit rétrospectif sur les retards ayant été réalisé par une équipe composée majoritairement de membres de la mission d’audit interne de l’opérateur. Il eût été justifié de confier cet audit à des personnalités pleinement extérieures à l’opérateur.
L’incapacité de la DGAFP et de la DGFiP à piloter l’opérateur est pour partie imputable à l’ambiguïté de leurs propres positionnements.
La DGAFP partageait les objectifs poursuivis par le programme ONP, en particulier la création d’un calculateur unique pour résorber les pratiques irrégulières de paie et prévenir leur réémergence ainsi que la constitution d’un système d’information décisionnel (SID) permettant de mieux piloter les dépenses de personnel de l’État.
Pour autant, elle n’en a pas pleinement tiré les conséquences.
Ainsi, durant la construction du SI-Paye, la DGAFP n’est pas parvenue à stabiliser les règles fixant la rémunération des agents publics alors que leurs évolutions permanentes ralentissaient les travaux de l’opérateur, certains ajustements réglementaires requérant jusqu’à six mois de travail pour adapter les spécifications de la chaîne de paie. De même, en dépit des demandes de l’opérateur, la DGAFP n’a pas souhaité ou pu ralentir le rythme de création de nouvelles primes et indemnités. Elle n’a pas non plus tenté de synchroniser l’entrée en vigueur des textes intéressant la paie des agents sur une base trimestrielle ou semestrielle.
La DGAFP n’a pas engagé de chantier de simplification du droit de la paie. L’adoption de mesures ponctuelles d’harmonisation ou de simplification20 n’a pas permis de remédier aux difficultés identifiées, notamment la rétroactivité de la paie21 et le foisonnement des primes à faible enjeu budgétaire.
Avant sa fusion avec la direction générale des impôts (DGI) au sein de la DGFiP, la direction générale de la comptabilité publique (DGCP) avait adopté une attitude allante vis-à-vis du programme ONP qui devait sécuriser la paie, dans un contexte où les applications PAY et ETR montraient, depuis longtemps, des limites.
Après sa création, la DGFiP a continué d’afficher son soutien concret au programme par des contributions budgétaires, une participation à la création des référentiels communs à l’ensemble des systèmes d’information et au paramétrage des règles de paie ainsi que par des travaux sur le contrôle interne comptable et le déversement du SI-Paye dans Chorus.
Cependant, la DGFiP n’a fait montre d’aucun empressement pour mettre à disposition de l’opérateur les compétences dont elle disposait. La perspective de voir l’opérateur devenir, telle qu’envisagé dès sa préfiguration, une structure permanente chargée de la rémunération des agents de l’État a fait l’objet de critiques en son sein. Cette évolution a été en effet jugée en contradiction avec l’engagement pris à l’annonce de la fusion entre la DGI et la DGCP de préserver les missions de la nouvelle DGFiP. La création de l’opérateur a par ailleurs suscité les inquiétudes de certaines organisations syndicales s’agissant du devenir des SLR et de la fonction paie dans son ensemble.
Enfin, alors même que le programme ONP avait été conçu au sein des administrations financières, le ministère de l’économie et des finances ne faisait paradoxalement pas partie des ministères pilotes du raccordement. Selon les derniers calendriers disponibles, son SIRH, dont la DGFiP assure la maîtrise d’ouvrage et la maîtrise d’œuvre transverses, n’aurait pas été en mesure de se raccorder au SI-Paye avant 2021.
3 - Des gestionnaires de crédits peu attentifs
Les ressources budgétaires dont disposait l’opérateur national de paie ont été gérées jusqu’en octobre 201222 par le directeur général de la modernisation de l’État (DGME), responsable du programme 221 Stratégie des finances publiques et modernisation de l’État23. Bien que membre de droit du comité stratégique de l’opérateur, ce dernier n’y siégeait pas.
Ne faisant pas l’objet d’un suivi individualisé, les crédits budgétaires consacrés au raccordement des SIRH au SI-Paye étaient généralement confiés aux responsables de programme ministériels. Compte tenu des contraintes strictes s’imposant aux dépenses de l’État hors charges de personnel, ceux-ci ont pu être tentés de rééchelonner les travaux de raccordement au SI-Paye voire de les abandonner au profit d’autres chantiers perçus plus prioritaires. Plusieurs ministères ont, par ailleurs, indiqué à la Cour avoir dû financer le raccordement de leur SIRH au SI-Paye par réallocation de crédits affectés à d’autres projets.
La direction du budget aurait dû davantage prendre en compte les conséquences de ces différentes situations sur la bonne fin du programme. Elle aurait également gagné à assurer un suivi plus étroit des coûts du raccordement des SIRH ministériels au SI-Paye ainsi que de la rentabilité attendue du programme ONP dans son ensemble.
4 - Des ministres trop peu vigilants
En l’absence d’une autorité centrale unique chargée d’arbitrer les conflits entre les différentes maîtrises d’ouvrage impliquées dans le programme ONP, les ministres chargés du budget et de la fonction publique auraient dû faire preuve d’une vigilance particulière.
Or, en dépit des nombreuses alertes émises24 sur le fonctionnement du comité stratégique, sur le manque d’implication de plusieurs hauts responsables administratifs, sur la faiblesse de l’accompagnement des ministères ou sur la passivité des gestionnaires de crédits concernés, le programme ONP n’a donné lieu à aucune réunion interministérielle entre mai 2007 et octobre 2011, soit pendant plus de quatre années.
À mesure que les difficultés devenaient évidentes, le Premier ministre, les ministres concernés et leur entourage se sont davantage impliqués. Divers audits externes ont été lancés à compter de l’été 2012 ; leurs conclusions ont été finalisées au printemps 201325. À l’été 2013, la mission de refondation du programme a été lancée. Ses conclusions, remises en janvier 2014, ont conduit l’État à décider en mars 2014 de ne pas mettre en service le SI-Paye.
Trois années se sont ainsi écoulées entre les premières alertes sur les difficultés du programme et les arbitrages qu’elles appelaient.
III - Un échec coûteux et lourd de conséquences
L’incapacité de raccorder les SIRH ministériels au SI-Paye signe l’échec définitif du programme ONP. Ses conséquences sont graves pour l’État, les fragiles gains qualitatifs obtenus ne couvrant pas l’investissement massif inutilement consenti (346 M€), sans même évoquer les dépenses que l’État devra nécessairement continuer à l’avenir à engager pour moderniser le circuit de paie de ses agents.
A - Un effort massif pour des résultats quasi nuls
1 - Des dépenses estimées à 346 M€ au total
Le caractère morcelé de la maîtrise d’ouvrage du programme ONP n’a pas favorisé le suivi des dépenses engagées par l’État.
Certes, les dépenses de l’opérateur national de paie ont fait l’objet depuis 2008 d’un suivi dans la nomenclature du budget de l’État26, permettant d’en retracer la programmation et l’exécution annuelles. Les données disponibles ne rendent toutefois pas compte du soutien dont l’opérateur bénéficiait de la part de la DGFiP27, pas plus qu’elles ne retracent les dépenses engagées au titre du raccordement des SIRH qui, faute d’individualisation au sein des budgets informatiques des ministères, n’ont pas fait l’objet d’un suivi adapté.
Il ressort néanmoins des données disponibles que les diverses maîtrises d’ouvrage impliquées dans le programme ONP ont mobilisé des ressources budgétaires considérables.
Tableau n° 2 : coût du programme ONP, à fin 2013, prévu et réalisé
[Tableau à consulter dans le fichier Word ou pdf Joint].
Fin 2013, les crédits consommés par l’opérateur excédaient de 30 M€ les prévisions les plus défavorables formulées au lancement du marché SI-Paye. Le surplus de dépenses est notamment imputable au coût du SI-Paye ainsi qu’à celui de l’assistance à maîtrise d’ouvrage, dont le coût réalisé de 56,1 M€ dépasse de 45 % le niveau prévu (38,6 M€), en raison notamment d’un renfort d’effectifs qui lui a été demandé par l’opérateur.
À la même date, les dépenses imputables au raccordement s’élevaient à 38,9 M€ selon la direction du budget28. Ce montant est très inférieur à l’enveloppe prévisionnelle fixée par les concepteurs du programme entre 70 M€ et 97 M€. Mais cette sous-consommation s’explique par le fait qu’aucun SIRH n’est parvenu à se raccorder au SI-Paye, compte tenu des retards et des désistements ministériels.
Les projections établies sur la base du dernier calendrier prévisionnel du programme avant son abandon montrent que l’enveloppe prévue n’aurait très vraisemblablement pas permis de financer les raccordements. Selon l’équipe de refondation du programme, 422 M€ supplémentaires auraient en effet été nécessaires pour raccorder les SIRH ministériels au SI-Paye, sans compter 290 M€ de frais additionnels afin d’accompagner la mise en service de ce dernier.
L’écart considérable qui sépare ces montants des coûts initialement estimés par les concepteurs du programme ONP résulte d’une anticipation insuffisante des frais engendrés par les mises à jour nécessaires au raccordement des SIRH ministériels au SI-Paye ainsi que par l’absence de moyens alloués à l’accompagnement des ministères.
Dans la situation budgétaire très contrainte que connaît l’État, l’estimation des efforts supplémentaires à consentir pour mener à son terme le programme ONP a joué un rôle clef dans la décision prise en mars 2014 de renoncer à raccorder les SIRH ministériels au SI-Paye, d’autant que les risques techniques s’attachant à une poursuite du programme ne pouvaient être, à coup sûr, maîtrisés.
La décision d’abandonner le raccordement des SIRH ministériels au SI-Paye est toutefois elle-même coûteuse. S’il a été possible de ne pas prolonger l’essentiel des marchés engagés par l’opérateur qui étaient encore actifs à l’arrêt du programme29, le marché SI-Paye a, en revanche, dû être résilié pour des motifs d’intérêt général en juillet 2014. À ce stade, les coûts de l’arrêt du programme, y compris la prolongation de la durée de vie des applications PAY et ETR, sont estimés à 16 M€.
2 - Des acquis très limités
Au plan informatique, les logiciels acquis par l’État dans le cadre du programme ONP sont, pour l’essentiel, inutiles.
Le SI-Paye présente une valeur d’usage nulle car aucun des ministères pilotes n’est en mesure de s’y raccorder. Ce constat a conduit l’État à valoriser le SI-Paye à l’euro symbolique dans la comptabilité générale qui retrace son patrimoine. La dépréciation de 140 M€ de sa valeur nette30 constatée à cette occasion est vraisemblablement définitive et irrécupérable. Parmi les projets complémentaires au SI-Paye, seul le projet offre SIRH (OSIRH) a abouti. Il n’est cependant pas utilisable en l’état puisqu’il ne peut être raccordé avec les applications PAY et ETR.
Les référentiels interministériels de gestion des ressources humaines, de gestion administrative et de paie ont été revus et améliorés. Ils sont susceptibles, sous leur forme actuelle, d’être partagés, voire mis à profit, dans la conduite de futurs projets, pour autant toutefois que l’administration en assure effectivement la mise à jour. Dans plusieurs ministères, des pratiques irrégulières de paie ont pu être résorbées par la révision des barèmes applicables ou par l’adoption de textes de régularisation. La nécessité de conduire un dialogue structuré avec l’opérateur a, en outre, incité certains ministères à clarifier et à renforcer la gouvernance de leurs projets SIRH ainsi qu’à revitaliser les travaux engagés sur certains projets anciens31.
Sans même que l’État ne déploie le SI-Paye, des organisations plus modernes et plus efficientes ont été mises en place, ou sont en passe de l’être, dans la plupart des ministères. Elles devraient se traduire par des gains d’efficacité dont l’ampleur reste, à ce stade, largement inconnue.
Des réformes de l’organisation et du fonctionnement des SLR ont, par ailleurs, permis à la DGFiP de supprimer environ un tiers de leur effectif. Ce résultat laisse à penser que les gains attendus du programme ONP auraient pu être obtenus par d’autres moyens que la mise en œuvre d’un nouvel outil informatique ou qu’ils ont été sous-estimés.
En tout état de cause, les objectifs de réduction de postes affichés par les concepteurs du programme sont loin d’être atteints.
Au total, le programme ONP n’a contribué que très indirectement à l’amélioration du circuit de paie des agents de l’État. Les quelques éléments à porter à son actif, dont il n’est pas acquis qu’ils persistent dans la durée, sont sans commune mesure avec les ressources considérables qu’il a consommées, que la Cour estime au minimum à 346 M€.
B - Une modernisation qui reste à réaliser
1 - L’avenir de l’opérateur national de paie
Depuis les décisions du mois de mars 2014, l’opérateur national de paie a entamé une réduction de près de moitié de son effectif. Le 27 juin 2014, une réunion interministérielle a prévu qu’il serait dissous avec l’abrogation de son décret constitutif.
Les missions afférentes à la paye seraient transférées à la DGFiP tandis que les autres échoiraient à un nouveau service à compétence nationale chargé d’assister les ministères32 et d’appuyer une direction de programme légère auprès de la DISIC. Il aurait été sans doute plus pertinent d’intégrer ces missions au champ de compétence de la DGAFP plutôt que de créer une nouvelle structure.
2 - Le devenir des SIRH ministériels
L’État s’apprête à recentrer ses efforts sur les projets SIRH ministériels afin qu’ils puissent, à terme, alimenter directement les applications existantes PAY et ETR dans les formats de données qu’elles acceptent. Les projets SIRH ministériels devraient donc se poursuivre. Or certains d’entre eux se trouvent placés sur des trajectoires risquées, en termes de coûts comme de délais33, avant même l’adaptation de leurs spécifications fonctionnelles à l’exigence d’une alimentation de la chaîne de paie existante. Les interconnexions entre les SIRH ministériels et les applications PAY et ETR seraient, quant à elles, pilotées par une direction de programme interministérielle placée sous l’autorité du DISIC.
3 - La refonte de la chaîne de paie
Au lancement du programme ONP, l’application PAY était jugée obsolète et peu évolutive. Elle survivra pourtant au SI-Paye conçu pour lui succéder.
Une nouvelle prolongation de la durée de vie de l’application PAY suppose toutefois, compte tenu des technologies vieillissantes qu’elle mobilise, qu’elle fasse l’objet d’une refonte à fonctionnalités constantes dans les délais les plus brefs. Sans être aussi complexe que le programme ONP lui-même, cette opération n’est pas sans risques. Son succès dans les délais impartis n’est pas garanti. Les dépenses supplémentaires qu’elle occasionne s’imputent au passif du programme ONP.
Une fois cette refonte opérée, l’application PAY devrait être enrichie au plan fonctionnel afin de renforcer son auditabilité et l’effectivité du contrôle interne comptable et de prendre en compte les obligations liées à la déclaration sociale nominative (DSN).
Des évolutions ultérieures pourraient viser à réduire les délais de prise en compte des événements de gestion et à favoriser de nouvelles économies de fonctionnement et de personnel dans les ministères et les SLR, notamment grâce à la dématérialisation des procédures de paie.
4 - Le pilotage et la régularité des dépenses de personnel
L’échec du programme ONP, et par suite l’absence de système d’information décisionnel (SID), laissent la direction du budget et la DGAFP dépourvues d’un outil leur permettant d’améliorer leur expertise de la masse salariale. Cette situation s’annonce durable, compte tenu des délais de refonte des outils PAY et ETR. Des palliatifs sont cependant, dès aujourd’hui, envisageables34.
Le SI-Paye devait contribuer à résorber certaines pratiques irrégulières de paie ayant cours dans les ministères. Compte tenu de l’abandon de sa mise en service, la Cour recommande que soient mis en place des outils et des procédures de détection systématique, organisant notamment le croisement régulier des données stockées dans les SIRH ministériels et de celles issues des journaux de l’application PAY afin d’identifier, au moyen d’algorithmes ciblés, les éléments de rémunération susceptibles de donner lieu à des pratiques s’écartant du droit applicable.
Une fois ces pratiques détectées, leur résorption devrait être organisée sans délai, par la correction du fonctionnement des modules de pré-liquidation de la paie ou par la prise des actes réglementaires idoines.
5 - Le futur des grands projets informatiques de l’État
Depuis 2011, l’État a renforcé les procédures d’encadrement de ses grands programmes informatiques. Ainsi, la création de la DISIC a vu la mise en place d’une procédure d’examen systématique de la viabilité des projets d’ampleur significative35. Plus récemment, les systèmes d’information relatifs à des fonctions transversales de l’État ont été placés sous l’autorité formelle des services du Premier ministre et une procédure de revue systématique de la valeur et de la rentabilité des investissements informatiques de l’État a été instituée36. Par ailleurs, la responsabilité de la politique de développement des systèmes d’information transverses a été confiée aux secrétaires généraux ministériels37.
Ces divers garde-fous ne sauraient, à eux seuls, pallier les difficultés que rencontre l’État dans la définition et la mise en œuvre de sa stratégie en matière de systèmes d’information. Ils ne permettront par exemple pas d’exiger que la future modernisation de la chaîne de paie s’accompagne d’un chantier de simplification du droit de la fonction publique. Ils sont cependant de nature à limiter le risque qu’un projet aussi ambitieux et aussi fragile que le programme ONP soit lancé par l’administration dans les années à venir.
L’État fait face à une contrainte budgétaire stricte qui appelle des efforts rigoureux de maîtrise de ses dépenses, en particulier ses dépenses de fonctionnement. De nouveaux outils informatiques, des procédures de gestion simplifiées et des organisations rationalisées sont susceptibles d’y contribuer de façon décisive.
Il était donc légitime que l’État entreprenne de réformer le circuit de paie de ses agents compte tenu des technologies vieillissantes utilisées et des gains d’efficacité susceptibles d’y être dégagés. L’échec enregistré par le programme ONP vient cependant illustrer que le volontarisme n’est pas, à lui seul, gage de succès.
Les concepteurs du programme ont poursuivi des objectifs trop nombreux et avec un niveau d’ambition trop élevé. Ils ont surestimé les apports potentiels de l’outil informatique à la modernisation de l’État employeur et ont négligé la disparité des cultures des multiples gestionnaires de ressources humaines qui le composent.
Les diverses maîtrises d’ouvrage impliquées dans le programme étaient fragiles et leurs responsables ne se sont pas suffisamment coordonnés. Les gestionnaires de crédits et les directions de rattachement n’ont pas assuré un contrôle suffisant de leur activité. Le recours à une assistance à maîtrise d’ouvrage n’a pas permis de corriger ces défauts.
En dépit des fragilités de l’architecture du programme et de son organisation, les ministres successifs en ont validé le lancement, sans avoir recours préalablement à une expertise technique extérieure ni faire preuve ensuite de la vigilance nécessaire.
L’accumulation des insuffisances, individuelles et collectives, a conduit à l’échec du programme ONP, neuf années après sa définition, car, alors même que la recette du SI-Paye a été prononcée, aucun SIRH ministériel n’est en situation de s’y raccorder.
Cet échec patent, après celui enregistré par le système de paie Louvois, est d’une particulière gravité en raison des ressources dépensées en pure perte, des incertitudes persistantes pesant sur le devenir de la chaîne de paie et de l’ampleur des dysfonctionnements administratifs qui l’ont provoqué.
Il aurait pu être évité si l’État avait privilégié une conception prudente, combinant des mesures de simplification, une trajectoire par paliers et une analyse technique exigeante, afin d’atteindre les objectifs du programme ONP, au prix d’un assouplissement des échéances.
De même, une gouvernance forte et constante, placée sous l’égide d’une autorité centrale unique, impliquant étroitement l’opérateur, les maîtrises d’ouvrage des SIRH et les ministres chargés du budget et de la fonction publique, aurait seule permis de mobiliser, dans la durée, les multiples acteurs impliqués tout en s’adaptant aux inévitables aléas, avec réactivité et à moindre coût. Un recours plus régulier à l’audit technique extérieur aurait également été souhaitable.
Faute d’avoir mis en œuvre ces principes de bonne gestion, l’État a été conduit, après y avoir consacré en vain des ressources considérables, à abandonner son ambition de refondre intégralement le circuit de paie de ses agents.
S’agissant de la modernisation du circuit de paie des agents de l’État qui reste à conduire, la Cour formule les recommandations suivantes :
1. refondre l’application PAY pour assurer sa pérennité en préservant l’ensemble de ses fonctionnalités, puis préparer la prise en compte de la déclaration sociale nominative (DSN), l’extinction de l’application ETR et la dématérialisation des processus de paie (DGFIP) ;
2. poursuivre les efforts visant à doter la DGAFP et la direction du budget d’un outil de suivi et de simulation de l’évolution de la masse salariale de l’État (CISIRH) ;
3. mettre en place les outils et les procédures permettant de détecter puis de résorber systématiquement les pratiques irrégulières de paie (CISIRH, DGAFP).
Réponses
Réponse du Premier ministre 29
Réponse de la présidente de l’opérateur national de paye (ONP) 33
Destinataires n’ayant pas souhaité rendre leurs observations publiques
Vice-président de Capgemini
Directrice générale du Crédit municipal
S'agissant du lancement du programme et de l'implication des directions de rattachement de l'opérateur national de paie (ONP), il convient de rappeler que ce projet répondait à un impératif de modernisation d'une fonction stratégique comprenant la chaîne de gestion administrative des ressources humaines et la paye des agents de l'État.
Le programme, lancé en 2006, devait ainsi assurer le remplacement d'une application (PAY) dont la conception était ancienne, dégager des gains de productivité en automatisant et en intégrant davantage les processus et améliorer le service rendu aux agents et à leur employeur. Enfin, il devait permettre de collecter les informations indispensables au suivi par l'État de toutes les composantes de sa politique salariale.
Si le constat établi par la Cour des comptes sur l'absence d 'une autorité centrale assurant la responsabilité du programme SIRH/SI-Paye dans son ensemble est partagé, il me paraît utile de souligner que les services de l'État, notamment ceux de la Direction Générale de l'Administration et de la Fonction Publique (DGAFP) et de la Direction Générale des Finances Publiques (DGFiP), auxquelles l'ONP était rattaché, ainsi que la Direction du Budget (DB), ont largement apporté leur expertise ainsi que leur soutien opérationnel et technique à l'ensemble du programme.
La DGFiP a ainsi mobilisé ses ressources pour contribuer à la réussite du déploiement opérationnel du projet en mettant à disposition de l'ONP de nombreux personnels, en participant aux travaux sur le calculateur de paye et sur la détermination du cadre comptable (mise en œuvre d 'un plan comptable, traçabilité des opérations, synchronisation des référentiels, etc...). Elle a également fait évoluer sensiblement l'organisation de son réseau, et plus particulièrement les services « liaisons-rémunérations » en charge de la paye afin de préparer le déploiement opérationnel de l'opérateur.
La DGAFP a été mobilisée par la validation des règles de paye et de gestion du calculateur développé par l'ONP. Les travaux menés dans ce cadre ont notamment permis de résorber de nombreux écarts entre les pratiques de gestion et les textes normatifs. À titre d'exemple, sur cinquante-cinq dispositifs indemnitaires existants au ministère de l'agriculture, vingt et un ont fait l'objet d'une abrogation ou d'un retour à un texte réglementaire. Ces travaux ont également permis de simplifier les règles de rémunération en matière d'harmonisation des primes, de supprimer plusieurs dizaines de dispositifs ou encore de procéder à la réalisation d'un « livre blanc » qui recense l'ensemble des régimes indemnitaires existants.
Il convient également de rappeler que la simplification des règles de paye des agents de l'État constitue l'un des moteurs des réformes structurantes que conduit la DGAFP depuis plusieurs années, tant en matière de fusions statutaires (plusieurs centaines de corps ont ainsi été fusionnés), que de simplifications indemnitaires.
Après une phase d'audit et d'analyse approfondie des scénarios envisageables, lancée en 2012, le Gouvernement a pleinement pris ses responsabilités afin de réorienter le programme.
Dès 2010-2011, de premières alertes ont été émises par les directions concernées qui ont conduit à prendre plusieurs décisions : le lancement par le comité d'orientation stratégique (COS) du 9 décembre 2010 d'une mission d'audit suite au décalage du calendrier de conception détaillée du calculateur de paye ; la création d'un groupe de travail sur la maîtrise des risques (COS du 7 avril 2011) ; l'organisation, dès octobre 2011, de réunions interministérielles régulières.
À partir de l'été 2012, un suivi rapproché du programme a été mis en place en lien étroit avec la ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique. Ce suivi a été décidé en raison des nouveaux décalages de raccordement des ministères constatés au premier semestre 2012 et des surcoûts qui en découlaient. Plusieurs missions et audits ont ainsi été menés sur la période 2012-2013 : une mission a été confiée à l'Inspection générale des finances et au Conseil général de l'économie, de l’industrie, de l 'énergie et des technologies (CGEIET), un audit de la DGFiP a été réalisé sur la pérennité des applications PAY et ETR et un audit a été lancé par la direction interministérielle des systèmes d'information et de communication (DISIC), en février 2013, sur l'architecture fonctionnelle et technique du programme.
Leurs résultats ont amené le Premier ministre, en accord avec les ministres de tutelle de l'ONP, à confier au directeur interministériel des systèmes d'information et de communication (DISIC) une mission de « refondation » du programme informatique le 1er juillet 2013.
Cette mission a confirmé les risques financiers et de calendrier du projet, déjà identifiés par les précédents audits, et permis de préciser les risques techniques et opérationnels associés au déploiement du nouveau calculateur de paie. Les réflexions engagées ont conduit à définir trois priorités qui devaient être poursuivies dans le cadre du programme : sécurisation de la chaîne de paye, amélioration du pilotage et du suivi de la masse salariale et poursuite de la modernisation de la chaîne de paie.
Sur la base des travaux du DISIC, après échanges avec tous les ministères concernés et en plein accord avec le ministre de l'économie et des finances, la ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique et le ministre délégué chargé du budget, il a été décidé, suite à la réunion du 4 mars 2014 présidée par le directeur de cabinet du Premier ministre, d'arrêter le déploiement du SI-Paye et de réorienter fondamentalement le projet sans abandonner l'ambition de modernisation de la chaîne RH-Paye.
En effet, la modernisation de la chaîne SIRH-Paye de l'État reste une priorité du gouvernement et les travaux doivent être poursuivis en ce sens. À ce titre, la Cour des comptes formule plusieurs recommandations qui appellent les remarques suivantes.
S'agissant de la sécurisation durable de la paye des agents de l'État, le projet engagé dès le second semestre 2014 sous la responsabilité de la DGFiP vise à assurer la conversion, à fonctionnalités constantes, des applications de paye existantes vers des technologies permettant d'en sécuriser le fonctionnement dans la durée. Un second axe de modernisation des applicatifs de rémunération aura pour but d'enrichir l'application PAY. Dans ce cadre, des travaux préparatoires à la déclaration sociale nominative (DSN) et à la dématérialisation seront prochainement engagés. L'objectif de ces travaux est d'assurer une mise à disposition des agents de l 'État d'un bulletin de paye dématérialisé et une gestion des pièces justificatives au format dématérialisé.
Concernant l'amélioration des outils de pilotage de la masse salariale et des emplois, il convient de préciser que les outils de suivi et de simulation de l'évolution de la masse salariale et des emplois publics, indispensables dans le contexte budgétaire actuel, seront renforcés. Les travaux engagés ont pour objectif d'enrichir à court terme les données de l'actuel système décisionnel sur le champ de la fonction publique d'État et, s'agissant du pilotage pour l'ensemble des administrations publiques, de développer des exploitations spécifiques par le service statistique ministériel de la DGAFP du système d'information sur les agents des services publics de l’INSEE qui sera à terme alimenté par les déclarations sociales nominatives des employeurs publics.
La création du service à compétence nationale dénommé Centre Interministériel de Services Informatiques relatif aux Ressources Humaines permettra d'appuyer la modernisation des SlRH des ministères et de contribuer à la réussite du nouveau programme de modernisation SlRH-Paye. Si la Cour doute de la pertinence de la création de ce nouveau service, il est toutefois apparu nécessaire qu'un service dédié soit maintenu pour atteindre les objectifs du programme, assurer la coordination interministérielle et contribuer à définir une nouvelle trajectoire. Le service est chargé, sous la tutelle du ministre des finances et des comptes publics et de la ministre de la décentralisation et de la fonction publique, de contribuer à l'ensemble des chantiers de modernisation de la chaîne SlRH-Paye, à savoir la modernisation des SIRH, la dématérialisation, la construction et la mise en œuvre d'un système d 'information décisionnel destiné à améliorer le pilotage des emplois et de la masse salariale. Ses travaux viendront à l'appui du chantier de rationalisation indemnitaire conduit par la DGAFP.
Ses effectifs et ses moyens de fonctionnement, portés par le budget du ministère des finances et des comptes publics, ont été fortement revus à la baisse en cours d'année 2014 et en PLF 2015 par rapport à ceux du service « opérateur national de paie », en cohérence avec son périmètre de missions plus restreint.
Une gouvernance opérationnelle et renforcée est également associée à la réorientation du programme de modernisation des systèmes d'information des ressources humaines. Cette gouvernance repose sur une direction de programme, placée sous l'autorité du DISIC, chargée de veiller à la cohérence et à l'exécution des projets ministériels et interministériels concernant les ressources humaines. Elle n'assure pas le développement des projets informatiques, qui restent placés sous la responsabilité des ministères, mais prend en charge les actions stratégiques transversales, comme les relations avec les éditeurs majeurs retenus par l'administration ou les grands intégrateurs intervenant sur les projets ministériels et interministériels.
Deux comités ont été créés : un comité métier interministériel, présidé par la DGAFP, et un comité directeur interministériel, présidé par le DISIC, auquel participent les secrétaires généraux des ministères. Ce dernier doit veiller à garantir la cohérence entre le programme et les orientations métiers arrêtées par le premier comité et à en maîtriser les risques.
Une réunion interministérielle semestrielle suit l'avancement du programme et soumet à mon arbitrage les décisions les plus stratégiques.
S'agissant de la sécurisation des grands projets informatiques de l'État, les préoccupations de la Cour sont également partagées par le Gouvernement. Cette sécurisation fait désormais l'objet d'un dispositif spécifique placé sous la responsabilité de la DISIC, qui examine les projets importants, en analyse toutes les composantes, y compris réglementaires et organisationnelles, et formule des recommandations.
Son avis, conforme depuis le décret du 1er août 2014, s'impose aux ministères et lui permet de suivre la mise en œuvre de ses recommandations. Cette direction peut également intervenir sur les projets rencontrant des difficultés. La mise en place de la direction de programme SIRH/paye est l'illustration de la sécurisation des opérations les plus sensibles.
Au-delà des travaux spécifiques aux grandes opérations, la DISIC, en lien avec l'ensemble des ministères, définit et met en place les pratiques nécessaires à la bonne gouvernance des projets d'extension ou de modernisation des services numériques offerts aux agents ou aux usagers des services publics de l 'État. L'analyse critique préalable des processus de gestion fait également partie des axes majeurs de cette nouvelle gouvernance.
Réponse de la présidente de l’opérateur national de paye (ONP)
Mes remarques antérieures ayant été prises en considération par la Cour, je ne souhaite pas apporter de réponse à ce rapport.
1Effectuée par et sous la responsabilité des ministères, la pré-liquidation est une étape préparatoire de la paye au cours de laquelle les données personnelles, administratives et financières relatives à chaque agent sont organisées sous une forme qui permettra leur prise en charge par le Trésor public. Winpaie et Girafe sont les deux principales applications externes de pré-liquidation.
2L’application PAY assure la rémunération et le versement des cotisations salariales et patronales des agents de l’État de la métropole et des départements d’outre-mer. ETR assure une mission identique pour les agents de l’État en poste à l’étranger.
3Inspection générale des finances, Rapport sur l’opportunité de créer un opérateur national de paie, mission d’assistance à la direction du budget, à la direction générale de la comptabilité publique et à la direction générale de la réforme budgétaire, juin 2005.
4Inspection générale des finances / Contrôle Général des Armées, Rapport sur les centres payeurs des armées, mission d’audit de modernisation, janvier 2006.
5Le projet Louvois a été abandonné en novembre 2013. Cf. Cour des comptes, Référé : Le système de paie Louvois, 6 mars 2014, 6 p.
6L’offre SIRH (OSIRH) visait à offrir une solution SIRH aux ministères à effectifs réduits. Le système d’information décisionnel (SID) devait favoriser l’analyse et le pilotage de la dépense salariale et des ressources humaines. L’outil de gestion des référentiels (OGR) avait vocation à assurer la diffusion et l’évolution des référentiels communs permettant le dialogue des systèmes d’information précités.
7Sa désignation a évolué à compter de 2011, « programme ONP-SIRH » puis « programme SIRH/SI-Paye », en vue de souligner que le SI-Paye n’avait d’utilité que dans la mesure où les SIRH ministériels pouvaient s’y raccorder.
8En 2003, le ministère de la défense des États-Unis a entrepris une démarche proche pour ses personnels militaires, visant à remplacer près de 90 SIRH en production par une solution unique. Dénommé Defense Integrated Military Human Resources System (DIMHRS), le projet n’a jamais abouti. Il fut abandonné en 2010, après que 850 M USD ont été engagés.
9La paye à façon désigne la mise à disposition, par l’État, de la chaîne de paie qu’il exploite à d’autres personnalités morales publiques, par exemple les universités.
10Par exemple en vue d’établir la comptabilité budgétaire de l’État ou d’assurer le suivi statistique comparé (emplois, rémunération) des différents versants de la fonction publique.
11Un arbitrage interministériel de 2006 avait autorisé les ministères à bâtir leur SIRH à l’aide de la technologie de leur choix, qu’elle soit basée sur des progiciels du marché (SAP, HR ACCESS) ou développées spécifiquement pour l’administration.
12L’architecture cible reposait en effet sur une synchronisation « en flux tendu » des SIRH ministériels et du SI-Paye, plutôt que sur un traitement asynchrone mensuel.
13Marché signé avec un groupement rassemblant les sociétés Accenture, Logica France et HR Access Solutions S.A.S, pour un montant prévisionnel de 176 M€ entre 2009 et 2018.
14Décret du 15 mai 2007 portant création d'un service à compétence nationale à caractère interministériel dénommé « opérateur national de paye ».
15Les audits de trajectoire ou de raccordement étaient confiés à des équipes d’audit mixtes rassemblant des auditeurs internes ministériels et des membres de la mission d’audit interne de l’opérateur. Or les ministères ont été généralement réticents à s’ouvrir à des auditeurs internes des administrations financières, et singulièrement de l’opérateur. Les ministères ont ainsi été attentifs à ce que les audits conduits examinent en détail les travaux conduits par l’opérateur, alors même que les difficultés se concentraient, pour l’essentiel, au niveau ministériel. Au surplus, certains ministères n’ont pas souhaité que les audits de trajectoire ou les audits de raccordement puissent faire l’objet d’audits de suivi.
1699 recrutements pour 44 départs à comparer aux 173 agents présents en début d’année.
17Hébergement dans des locaux communs de la maîtrise d’œuvre, de la maîtrise d’ouvrage et de l’assistance de cette dernière, capacité autonome d’audit interne, refonte concomitante des outils, des méthodes de travail et des organisations, etc.
18Le décret du 15 mai 2007 ne précise pas qu’elles siègent au sein du comité stratégique dans des conditions différentes des autres participants. Il ne leur confie pas de mission particulière vis-à-vis des maîtrises d’ouvrage, opérateur ou ministères.
19La DGFiP et la DGAFP ne pilotaient pas les ressources budgétaires dont disposait l’opérateur, cette responsabilité incombant à d’autres directions d’administration centrale.
20Harmonisation des règles de congés, refonte des primes de jury, etc.
21Cette rétroactivité est notamment due à l’incapacité des administrations à payer les agents dès leur prise de poste lorsque celui-ci relève d’un centre de paie différent.
22Ultérieurement, cette responsabilité a échu au secrétaire général des ministères économiques et financiers.
23Ce programme de la mission Gestion des finances publiques et des ressources humaines abrite l’action n° 6 Systèmes d’information et production de la paye.
24Notamment par la présidence du comité stratégique dès l’automne 2010 et par la DISIC à compter de l’été 2011.
25Inspection générale des finances / Conseil général de l’économie, de l’industrie, de l’énergie et des technologies, La sécurisation du programme ONP et SIRH ministériels, avril 2013. Mission nationale d’audit, Pérennité des applications PAY et ETR à l’horizon 2020, avril 2013. M. Bruno FONTAINE, Revue indépendante du programme ONP-SIRH, avril 2013.
26Elles sont regroupées au sein de l’action n° 6 systèmes d’information et production de la paye du programme 221 – Stratégie des finances publiques et modernisation de l’État de la mission Gestion des finances publiques et des ressources humaines.
27Par exemple, les agents de la DGFiP mis à sa disposition et rémunérés par le programme 156 – Gestion fiscale et financière de l’État et du secteur public local.
28Soit 15 % des 259 M€ mobilisés par les ministères pour bâtir leur SIRH. Cf. Direction interministérielle des systèmes d’information et de communication (DISIC), rapport sur la refondation du programme SIRH/SI-Paye, janvier 2014.
29L’un d’entre eux, le marché de construction de l’outil de gestion des référentiels (OGR) a été résilié pour défaut du prestataire en octobre 2013. Un recours a été déposé devant le comité consultatif de règlement amiable (CCRA).
30Ce montant amortissable est calculé à partir des paiements au maître d’œuvre du SI-Paye. Il n’intègre pas les frais indirects supportés par l’État (personnel, matériel, etc.).
31Par exemple SIRHEN, lancé en 2006 au sein du ministère de l’éducation nationale.
32Maintenir les référentiels communs à l’ensemble des systèmes d’information, gérer l’offre SIRH, relancer la conception d’un système d’information décisionnel, gérer les bases interministérielles d’appui RH, soutenir les ministères recourant à une solution HR Access.
33Ainsi, les coûts du projet SIRHEN, initialement évalués à 80 M€, étaient estimés à 200 M€ hors titre 2 à fin 2012 puis 290 M€ à fin 2013. Un audit externe du projet est en cours, à l’issue duquel il pourrait être significativement réorienté.
34Les restitutions Chorus n’offrant pas le niveau de finesse nécessaire, deux options peuvent être envisagées : une amélioration de l’infocentre INDIA-REMU ou le recours au fichier inter-fonctions publiques de l’INSEE : le système d’information sur les agents des services publics (SIASP).
35Cf. décret du 21 février 2011 portant création d'une direction interministérielle des systèmes d'information et de communication de l’État.
36Cf. décret du 1er août 2014 relatif au système d'information et de communication de l’État.
37Cf. décret du 24 juillet 2014 relatif aux secrétaires généraux des ministères.