présentation
Devant le constat qu’une partie des ménages dotés de faibles revenus se trouvait contrainte à renoncer à des soins, à défaut d’avoir souscrit des garanties d’assurance ou des garanties suffisantes, la loi du 27 juillet 1999 a instauré un dispositif public de couverture complémentaire santé gratuite en leur faveur : la couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C).
Puis, la loi du 13 août 2004 portant réforme de l’assurance maladie a instauré une subvention pour l’acquisition volontaire d’une assurance complémentaire santé dans le cadre individuel : l’aide au paiement d’une complémentaire santé (ACS), en faveur des ménages aux revenus faibles, mais dépassant ceux pris en compte pour attribuer la CMU-C.
Ces deux dispositifs sont financés par le fonds de financement de la protection complémentaire de la couverture universelle complémentaire du risque maladie («Fonds CMU-C ») 1, financé de manière prépondérante par une taxe assise sur le montant des primes et des cotisations versées par les entreprises, les salariés et les assurés à titre individuel pour l’acquisition de garanties d’assurance complémentaire dans un cadre obligatoire (complémentaire d’entreprise) ou facultatif : la taxe de solidarité additionnelle aux cotisations d’assurance maladie (TSA),
La CMU-C et l’ACS couvrent des publics importants (respectivement 5,2 millions et 1,2 million de titulaires à fin 2014). Pour cette même année, les charges de prestations complémentaires afférentes à la CMU-C se sont élevées à 2,1 Md€ (dont 2 Md€ financés par le Fonds CMU-C et 0,1 Md€ restant à la charge de l’assurance maladie2) et celles relatives à l’ACS à 0,3 Md€.
La Cour a constaté que la mise en place de la CMU-C et de l’ACS s’était imposée sous l’effet du désengagement croissant de l’assurance maladie obligatoire de la prise en charge des dépenses de santé, en dehors des affections de longue durée (I). Ces dispositifs ont des effets seulement partiels sur l’accès aux soins des ménages défavorisés, l’extension continue de la population potentiellement bénéficiaire s’accompagnant en particulier de la persistance d’un non-recours massif (II). Compte tenu de l’incidence de l’extension de la population de leurs bénéficiaires potentiels sur leur soutenabilité financière, un ciblage accru de ces dispositifs apparaît devoir être envisagé (III).
En France, les dépenses de santé sont prises en charge à un double niveau : l’assurance maladie de base, à laquelle les personnes ayant une activité professionnelle ou bénéficiant de certaines prestations sociales et leurs ayants droit sont obligatoirement affiliées, couvre les dépenses de santé dans la limite de tarifs de responsabilité et d’un ticket modérateur ; au-delà, les assurés sociaux ont la faculté de contracter une assurance privée à leur initiative, à moins qu’ils ne bénéficient d’une couverture complémentaire obligatoire dans le cadre de leur entreprise.
La déconnexion croissante de la prise en charge des dépenses de santé par l’assurance maladie obligatoire de base par rapport aux dépenses en question a conduit les pouvoirs publics à instaurer en faveur des ménages défavorisés des dispositifs de prise en charge des dépenses de santé au-delà de la part de ces dépenses couverte par l’assurance maladie obligatoire de base. Pour ces ménages, la prise en charge publique des dépenses de santé se dédouble ainsi entre l’assurance maladie obligatoire de base commune à l’ensemble de la population et deux étages complémentaires, de nature différente, qui leur sont spécifiquement destinés : la CMU-C et l’ACS.
A - L’érosion de la prise en charge des dépenses de santé par l’assurance maladie obligatoire de base, en dehors des affections de longue durée
Les restes à charge des dépenses de santé laissés par l’assurance maladie obligatoire ont eu tendance à s’accroître substantiellement.
L’assurance maladie obligatoire de base prend en charge les dépenses de santé, y compris des plus lourdes (hospitalisation), exposées par les assurés sociaux dans la double limite de tarifs de responsabilité et d’un ticket modérateur (ou, pour certains actes hospitaliers particulièrement coûteux, d’une participation forfaitaire de 18 €).
Le ticket modérateur a pour objet de responsabiliser les assurés sociaux et, implicitement, de laisser un champ d’activité aux mutuelles (anciennes gestionnaires des assurances sociales de la loi de 1930), rejointes depuis lors par les sociétés d’assurance et les institutions de prévoyance. Contrairement à d’autres pays, comme l’Allemagne3, le revenu disponible n’intervient pas dans la détermination de la part des dépenses laissée à la charge des ménages.
La portée des tickets modérateurs est atténuée par des exonérations au titre des dépenses exposées en rapport avec une affection de longue durée (ALD), une maternité, un accident du travail ou une maladie professionnelle, par les titulaires d’une pension d’invalidité ou d’une pension de retraite substituée à une pension d’invalidité, ou au titre de certains actes ou prestations4.
Cependant, les assurés n’entrant pas dans le champ de ces exonérations peuvent subir des frais élevés, tout particulièrement quand ils ne sont pas couverts par une assurance complémentaire de bon niveau. Ces frais portent notamment sur des actes réalisés à l’hôpital. Malgré les recommandations de la Cour en ce sens depuis plus de dix ans5, leur tarification n’a pas été réformée.
Par ailleurs, des participations à la charge des assurés ont été instaurées au-delà du ticket modérateur : forfait journalier hospitalier (1983) ; franchises (2005) et participations forfaitaires (2008), avec des exonérations et dans la limite d’un montant annuel (50 € par assuré). Le montant du forfait hospitalier a augmenté plus que proportionnellement à celui du revenu disponible des ménages.
L’augmentation du montant du forfait hospitalier
Le forfait hospitalier a été instauré pour un montant de 20 F en 1983 (soit 3,05 €). À la suite des nombreuses augmentations qui lui ont été apportées, il s’élève depuis 2010 à 18 €. Le montant du forfait hospitalier a ainsi été multiplié par près de 6. Dans le même temps, le revenu disponible des ménages (après prestations sociales) a été multiplié en termes nominaux par près de 3,3.
La régulation insuffisante des tarifs pratiqués par certains professionnels de santé est à l’origine de dépassements croissants au-delà des tarifs de responsabilité de l’assurance maladie obligatoire de base.
Depuis 1980, les médecins disposent de la faculté de pratiquer des dépassements d’honoraires au-delà des tarifs de responsabilité de l’assurance maladie, en principe « avec tact et mesure », tout en demeurant conventionnés (médecins dits de secteur II). Si la proportion globale de médecins de secteur II est stable, elle a augmenté s’agissant des spécialistes. Les dépassements s’inscrivent eux aussi en nette hausse.
L’augmentation des dépassements d’honoraires médicaux
Depuis 1985, la proportion globale de médecins de secteur II s’inscrit aux alentours de 25 %. Cette stabilité globale recouvre une évolution différenciée entre les généralistes et les spécialistes : la part des spécialistes est passée de 30 % à 43 % entre 1985 et 2013, celle des généralistes diminuant dans le même temps de 16 % à 9,5 %6.
Pour certaines spécialités, les médecins de secteur II représentent une part prépondérante des médecins au niveau national. Dans certaines zones géographiques, les médecins de secteur II représentent une part majoritaire non seulement des spécialistes, mais aussi des généralistes7.
Les niveaux de dépassement ont augmenté : le taux de dépassement global8 des spécialistes est ainsi passé de 23 % en 1985 à 56 % en 2013.
Par ailleurs, les tarifs de responsabilité de l’assurance maladie n’ont pas été ajustés afin de suivre l’évolution du prix de certains biens de santé, notamment l’optique et les prothèses auditives9. S’agissant de l’optique, ces tarifs n’ont pas été revalorisés depuis plusieurs décennies. En 2011, l’assurance maladie obligatoire de base finançait 3,9 % seulement de la dépense d’optique correctrice.
Selon les comptes nationaux de la santé10, la part des dépenses de santé (consommation de soins et de biens médicaux) prise en charge par l’assurance maladie obligatoire de base oscille aux alentours de 76 % depuis le début des années 1990.
Cette stabilité apparente recouvre cependant des niveaux très différents entre la population, toujours croissante, qui bénéficie d’une prise en charge intégrale au titre des affections de longue durée (ALD) et le reste de la population, dont la couverture par l’assurance maladie de base se dégrade. Selon le dernier rapport annuel du Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie (HCAAM), la part de la dépense prise en charge par l’assurance maladie obligatoire de base atteignait 88,6 % en 2012 pour les titulaires d’une ALD (dont 95 % pour les soins à l’hôpital et 84,4 % pour les soins ambulatoires, optique comprise), mais s’abaissait à 61,3 % pour les autres assurés (dont 88,1 % pour l’hôpital et 51 % pour les soins ambulatoires précités).
B - La mise en place d’étages distincts de couverture complémentaire pour les ménages défavorisés
Compte tenu de l’acuité du renoncement aux soins par les ménages défavorisés, renforcé par le désengagement de l’assurance maladie obligatoire de base, les pouvoirs publics ne se sont pas limités à généraliser l’assurance maladie obligatoire de base à travers la couverture maladie universelle de base (CMU-B), en fonction d’un critère subsidiaire relatif à la résidence en France. Ils ont aussi instauré une couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C), par la suite suivie d’une aide au paiement d’une complémentaire santé (ACS).
La couverture maladie universelle de base (CMU-B)
La loi du 27 juillet 1999 a instauré la couverture maladie universelle de base, qui s’est substituée à l’assurance personnelle, prise en charge de manière hétérogène par les conseils généraux dans le cadre de l’aide médicale gratuite.
La CMU de base a pour objet d’assurer l’affiliation à l’assurance maladie obligatoire de base des personnes qui ne peuvent y être affiliées à un autre titre (activité professionnelle, attribution de prestations sociales, ayant droit d’un affilié ou maintien des droits).
Les prestations sont financées par la branche maladie du régime général de sécurité sociale, auquel les titulaires de la CMU-B sont affiliés. Sauf exception11, les bénéficiaires de la CMU-B (2,4 millions de titulaires à fin 2014, formés principalement par des titulaires du revenu de solidarité active (RSA) socle12 et leurs ayants droit) n’y contribuent pas, eu égard au niveau de leurs ressources.
La CMU-C a été instaurée par la loi du 27 juillet 1999, en remplacement de l’aide médicale gratuite, qui était attribuée dans des conditions hétérogènes par les conseils généraux.
Elle consiste en une couverture complémentaire gratuite, d’une durée de douze mois indéfiniment renouvelable, en faveur des foyers dont les ressources des douze derniers mois précédant la demande sont inférieures à un plafond (au 1er juillet 2014, 8 644,52 € par an pour une personne seule résidant en métropole, montant majoré en fonction de la taille du foyer) et, par dérogation au critère de ressources, à ceux qui bénéficient du revenu de solidarité active (RSA) socle. La reconnaissance du droit à la CMU-C est matérialisée par une attestation.
Les titulaires de la CMU-C (5,2 millions à fin 2014) ont la faculté de faire gérer leurs prestations complémentaires soit par leur caisse d’assurance maladie, soit par un organisme proposant des garanties d’assurance complémentaire santé (mutuelle, société d’assurance ou institution de prévoyance). Les caisses d’assurance maladie regroupent une part prépondérante d’entre eux (86,4 % à fin 2014). Si le titulaire de la CMU-C choisit une gestion par un organisme d’assurance et perd ultérieurement cette qualité, l’organisme d’assurance doit lui proposer une prolongation d’adhésion ou un contrat d’une durée d’un an ayant les mêmes prestations que la CMU-C, à un tarif préférentiel fixé par arrêté.
Les titulaires de la CMU-B et de la CMU-C : une coïncidence partielle
Fin 2014, 1,8 million d’assurés du régime général de sécurité sociale bénéficiaient simultanément de la CMU-B pour leur couverture de base et de la CMU-C pour leur couverture complémentaire (soit respectivement 74,2 % des bénéficiaires de la CMU-B et 38 % de ceux de la CMU-C affiliés au régime général). À titre principal (83,4 %), il s’agit d’allocataires du revenu de solidarité active - socle et de leurs ayants droit.
En cas de dépassement, même minime, du plafond de ressources de la CMU-C, les ménages étaient privés de l’ensemble de ses avantages. Afin de lisser l’effet de seuil lié au plafond de ressources de la CMU-C, la loi du 13 août 2004 portant réforme de l’assurance maladie a créé l’aide au paiement d’une complémentaire santé (ACS), attribuée en fonction d’un plafond fixé en pourcentage de celui de la CMU-C.
L’attribution de l’ACS est tributaire des mêmes conditions de stabilité de la résidence en France et de régularité du séjour que la CMU-C. Comme cette dernière, elle est matérialisée par une attestation.
À la différence de la CMU-C, l’ACS ne constitue pas un dispositif dérogatoire au marché de l’assurance complémentaire santé, mais une subvention à la souscription de garanties d’assurance sur ce dernier. Fin 2014, 1,2 million de personnes étaient titulaires d’un droit à l’ACS et près d’un million l’utilisaient à la même date pour souscrire des garanties d’assurance complémentaire santé.
L’absence de création d’une « CMU-C contributive »
Une autre voie d’évolution que l’ACS aurait permis de lisser l’effet de seuil de la CMU-C, en procurant les droits qui lui sont liés à des personnes dotées de revenus plus élevés : la création d’une « CMU-C contributive », c’est-à-dire d’une protection complémentaire accordée en contrepartie d’une participation réduite de ses bénéficiaires et prélevée dans le cas général sur les prestations sociales qui leur sont versées.
Dans ce cadre, la gratuité de la CMU-C aurait pu être rendue dégressive en fonction de l’élévation des revenus de ses titulaires, ce qui aurait permis de mettre fin au report croissant de l’effet de seuil lié à l’origine au plafond de ressources de la CMU-C sur celui de l’ACS, compte tenu de l’augmentation du montant de cette aide et du renforcement de son contenu en droits (voir infra).
En outre, la CMU-C appelle une seule démarche, auprès de la caisse d’assurance maladie d’affiliation, alors que l’ACS requiert d’en demander l’attribution à la caisse d’assurance maladie, puis de contacter un ou plusieurs assureurs afin de l’utiliser.
Cependant, cette voie d’évolution a été écartée, en 2004 et à nouveau en 2013, en fonction de considérations exogènes à son coût et à son efficacité pour l’accès aux soins par les ménages défavorisés : la réduction du marché de l’assurance complémentaire santé qui en aurait résulté, au détriment principalement des mutuelles.
C - La priorité donnée au renforcement de l’ACS
Depuis 2005, les pouvoirs publics ont élargi l’accès à l’ACS et, à un moindre degré, à la CMU-C à des publics de plus en plus vastes en relevant leurs plafonds de ressources. En outre, ils ont fortement augmenté le montant de l’ACS.
Le plafond de ressources de l’ACS est fixé en pourcentage de celui de la CMU-C. Depuis la création de cette aide, il a fait l’objet de cinq relèvements successifs au total.
Afin d’augmenter la population éligible à cette aide, il a été porté de 15 % au-delà de celui de la CMU-C à l’entrée en vigueur de l’aide au 1er janvier 2005 à 20 % au 1er janvier 2007, puis à 26 % au 1er janvier 2011 et, en dernier lieu, à 35 % au 1er janvier 2012.
En outre, les plafonds de ressources de la CMU-C et de l’ACS ont été conjointement augmentés en termes réels en juillet 2013, dans le cadre du plan gouvernemental de lutte contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale annoncé par le Premier ministre, à un taux (+7 % ou +8,3 % inflation comprise) fixé pour porter le plafond de l’ACS au niveau du seuil statistique de pauvreté monétaire (égal à 60 % du revenu disponible médian des ménages).
Depuis sa création, l’ACS a fait l’objet de quatre augmentations, modulées en fonction de l’âge de ses bénéficiaires.
Tableau n° 82 : augmentations du montant de l’ACS
[Tableau à consulter dans le fichier Word ou pdf joint.]
L’ACS réduit dans une mesure importante la dépense supportée par ses bénéficiaires pour l’acquisition de garanties d’assurance. En 2013, elle a ainsi pris en charge, en moyenne, plus de la moitié (52 %) du tarif des garanties souscrites et permis de ramener le taux d’effort financier des utilisateurs de l’ACS au niveau constaté pour les cadres et les professions intellectuelles (soit 4,1 %, ou un demi-mois de revenu). L’effort financier demeure cependant élevé pour les personnes âgées de 70 ans et plus (5,4 % pour les 70 à 79 ans 6,4 % pour les 80 ans et plus).
La CMU-C et, plus encore, l’ACS n’atteignent qu’imparfaitement les objectifs qui leur sont assignés : une part importante - prépondérante dans le cas de l’ACS - des personnes qui remplissent les conditions pour les obtenir n’en bénéficie pas effectivement. Les titulaires de la CMU-C et, compte tenu des avantages qui leur ont été accordés, ceux de l’ACS se heurtent à des obstacles, financiers ou autres, pour accéder aux soins.
A - Des dispositifs qui n’atteignent qu’une partie de leurs bénéficiaires potentiels
Compte tenu de l’augmentation des revenus réels des ménages, l’indexation du plafond de ressources de la CMU-C sur les prix a entraîné une baisse du nombre de ses titulaires entre fin 2000 et fin 2005 (de 5,1 à 4,8 millions), puis entre fin 2005 et fin 2009 (de 4,4513 à 4,2 millions). Depuis lors, le nombre de titulaires de la CMU-C est passé de 4,2 millions de personnes à fin 2009 à 5,2 millions de personnes à fin 2014 (soit 7,7 % des assurés sociaux), sous l’effet de la crise économique (+0,7 million) et de l’augmentation précitée du plafond de ressources de juillet 2013 (+0,3 million).
Sous l’effet des relèvements de plafonds de ressources, le nombre de titulaires d’une attestation à l’ACS a triplé depuis l’instauration de cette aide, passant de 0,4 million à fin 2005 à 1,2 million à fin 2014 (soit 1,8 % des assurés sociaux)14.
Toutefois, une part importante des publics visés par la CMU-C et, plus encore, par l’ACS n’en bénéficie pas effectivement.
Suivant l’estimation la plus récente15, la population éligible à la CMU-C est passée en France métropolitaine de 4,7 millions à 5,6 millions de personnes en moyenne annuelle en 2011 à 5,9 millions à 7,1 millions de personnes en moyenne au second semestre 2013, sous l’effet de la progression du chômage et de la croissance du nombre de titulaires du RSA ainsi que de l’augmentation exceptionnelle du plafond de ressources de juillet 2013.
Pour 2013, le taux de non-recours à la CMU-C serait compris en moyenne annuelle entre 28 % et 40 %, soit entre 1,6 et 2,7 millions de personnes, pour la seule France métropolitaine. Malgré une situation économique et sociale dégradée, il a augmenté de manière importante16.
Pour une part, le non-recours à la CMU-C découle du non-recours au RSA socle, dont les titulaires bénéficient de droit de la CMU-C17. De surcroît, 20 % des titulaires du RSA socle ne recourent pas à la CMU-C, alors qu’ils y ont accès de plein droit. En effet, selon une étude récente sur l’état de santé et le renoncement aux soins des bénéficiaires du RSA18, 12 % sont couverts par une assurance complémentaire, alors qu’ils ont droit à la CMU-C (une part inconnue, mais potentiellement minoritaire d’entre eux étant susceptible de bénéficier de manière transitoire de la couverture procurée par l’entreprise dont ils étaient salariés) ; 8 % des titulaires du RSA socle ne bénéficient d’aucune protection complémentaire santé, quelle qu’elle soit.
Une part indéterminée des ménages qui ne demandent pas l’attribution de la CMU-C est dépourvue de toute couverture complémentaire santé ; l’autre souscrit des garanties d’assurance, probablement inférieures aux prestations obligatoires de la CMU-C. Aucune étude récente ne vient éclairer cet état de fait a priori paradoxal.
Malgré son caractère de plus en plus incitatif, l’ACS n’est demandée que par une minorité des ménages qui y ont droit.
Les relèvements successifs du plafond de ressources de l’ACS ont porté le nombre de personnes qui, en France métropolitaine19, répondent aux conditions de ressources pour en bénéficier de 0,8 million à 1,1 million en moyenne annuelle à son entrée en vigueur en 2005 à 3,6 millions à 5,2 millions en moyenne au second semestre 2013.
Le taux de non-recours à l’ACS serait compris pour l’année 2013, en moyenne annuelle, entre 59 % et 72 %, soit 1,9 million à 3,4 millions de personnes pour la seule France métropolitaine. Malgré la dégradation de la situation économique et sociale, il a progressé depuis 201120.
De fait, les mesures visant à augmenter la population des personnes éligibles et le montant de l’ACS se sont accompagnées d’une croissance moins que proportionnelle du nombre de demandeurs de cette aide. L’échec de l’ACS est d’autant plus marqué que les caisses d’assurance maladie du régime général accordent souvent des compléments à cette dernière afin d’inciter à y recourir et à l’utiliser (à un tiers environ de ceux qui souscrivent effectivement des garanties d’assurance, pour un montant total de 32,3 M€ en 2013).
Pour une part, la faiblesse du taux de recours à l’ACS est à relier à celle du taux de recours au RSA activité. Compte tenu du niveau de leurs ressources, la plupart des personnes éligibles au RSA activité le sont également à l’ACS21.
B - Des écarts de prise en charge qui se réduisent
Compte tenu de la différence de nature de ces deux dispositifs, la CMU-C et l’ACS procurent des niveaux distincts de prise en charge des dépenses de santé. Les évolutions récentes apportées à l’ACS conduisent toutefois à réduire, voire, pour la prise en charge de certaines dépenses de santé et d’autres avantages sociaux, à annuler les écarts entre la couverture sociale procurée par cette dernière et celle, étendue et de bon niveau, de la CMU-C.
Par la protection complémentaire gratuite qu’elle procure et les droits connexes qui lui sont liés, la CMU-C créé les conditions d’un large accès aux soins par les personnes qui en bénéficient.
Les titulaires de la CMU-C sont exonérés de ticket modérateur22. En outre, ils ne supportent pas le forfait journalier hospitalier, ni les participations forfaitaires et franchises en ville et à l’hôpital. Par ailleurs, ils n’ont pas à faire l’avance des frais (tiers payant intégral). Enfin, sauf exigence particulière de leur part, les médecins généralistes et spécialistes de secteur II ne peuvent pratiquer de dépassements d’honoraires à leur égard.
En matière de dispositifs médicaux à usage individuel (optique, prothèses dentaires, prothèses auditives et autres dispositifs23), les professionnels concernés sont tenus de proposer aux bénéficiaires de la CMU-C des équipements adéquats dans la limite de tarifs opposables. Si les titulaires de la CMU-C souhaitent disposer d’autres équipements, ils doivent en assumer le coût au-delà des tarifs précités.
Au-delà de la prise en charge des dépenses de santé, les titulaires de la CMU-C bénéficient des tarifs sociaux de l’électricité et du gaz et, parfois, de réductions dans les transports en commun (Île-de-France).
Selon une étude portant sur l’année 2010 publiée par la CNAMTS24, la CMU-C solvabilise très largement les dépenses de santé de ses bénéficiaires. Ainsi, en moyenne, ces derniers supportaient un reste à charge égal à 1,8 % de leurs dépenses. Plus des trois-quarts des bénéficiaires de la CMU-C n’avaient aucun reste à charge ; pour 95 % de ceux qui en avaient eu un, il s’élevait à moins de 5 € par mois.
Compte tenu d’un niveau de couverture d’emblée conséquent, peu d’évolutions ont été apportées au contenu des droits procurés par la CMU-C depuis sa création. Elles ont consisté en des revalorisations des tarifs opposables du « panier » des dispositifs médicaux à usage individuel et en l’intégration à ce dernier de prestations supplémentaires afin de tenir compte de la montée en gamme des dispositifs médicaux (2002 pour les autres dispositifs médicaux, 2006 pour les soins dentaires, 2014 pour les soins dentaires, l’optique et les prothèses auditives). Les dernières revalorisations (2014) sont de nature à réduire les restes à charge élevés qui pouvaient parfois être constatés dans l’étude précitée.
À sa création en 2005, le contenu des garanties procurées par les contrats souscrits par les titulaires d’une attestation à l’ACS ne faisait l’objet d’aucun encadrement.
En 2006, l’utilisation de l’ACS a été conditionnée à la souscription de contrats « responsables »25, alors défiscalisés. Toutefois, le socle de garanties obligatoires des contrats responsables était étroit26. De surcroît, une part prépondérante des utilisateurs de l’ACS souscrivait des garanties de faible niveau27.
Les pouvoirs publics ont cependant récemment transformé l’ACS, d’une simple aide à l’achat de n’importe quelle garantie d’assurance complémentaire ou presque en une aide consacrée à la souscription de contrats sélectionnés après appel à la concurrence.
Depuis le 1er juillet 2015, les contrats souscrits par les titulaires de l’ACS comportent un niveau de droits plus élevé. En effet, seuls sont éligibles à l’ACS les contrats d’assurance sélectionnés par l’État28, dans le cadre d’une procédure d’avis de mise en concurrence29, sur la base de socles obligatoires de garanties souvent proches des prestations obligatoires de la CMU-C (prise en charge intégrale du forfait journalier hospitalier et du ticket modérateur, à l’exception des médicaments classés à service médical faible et des cures thermales). Quel que soit le contrat, les dépenses à l’hôpital sont ainsi intégralement prises en charge.
La principale différence avec la CMU-C porte sur les dispositifs médicaux : prise en charge de l’optique et des prothèses dentaires au-delà du ticket modérateur par une partie seulement des contrats, niveaux différenciés de prestations pour les soins dentaires et l’optique suivant les contrats, absence de forfait spécifique pour les autres dispositifs.
La sélection des contrats d’assurance complémentaire éligibles à l’ACS améliore nettement le rapport qualité / prix des garanties. Selon les éléments d’analyse disponibles, le montant moyen des primes et cotisations baisserait fortement par rapport aux contrats aujourd’hui souscrits (de 15 % à 37 % en fonction des contrats sélectionnés et des classes d’âge). Alors que l’ACS a pris en charge en 2013, en moyenne, un peu plus de la moitié (52,5 %) des tarifs des contrats souscrits avec le concours de cette aide, cette proportion atteint près de 80 % pour le contrat d’entrée de gamme, 67 % pour celui de niveau intermédiaire et 56 % pour celui offrant les meilleures garanties.
Afin de permettre aux assurés titulaires d’une attestation d’un droit à l’ACS d’exercer la faculté de choix qui leur est reconnue au mieux de leurs intérêts et attentes, il conviendrait cependant que les caisses d’assurance maladie et les sites internet des régimes obligatoires de base d’assurance maladie mettent à leur disposition un calculateur du prix des garanties en fonction de l’âge, après déduction de l’ACS, ainsi que des éléments d’information qualitatifs sur les contrats sélectionnés.
Au-delà d’un meilleur niveau de protection complémentaire, les titulaires de l’ACS bénéficient désormais de la plupart des droits sociaux connexes dont jouissent ceux de la CMU-C, indépendamment de la souscription de garanties d’assurance : interdiction des dépassements d’honoraires médicaux30, exonération des participations forfaitaires et de la plupart des franchises31, tiers payant intégral, y compris sur la part complémentaire32 et tarifs sociaux de l’électricité et du gaz33.
C - Un accès aux soins toujours imparfaitement assuré
Malgré les avantages élevés qu’elle procure, les titulaires de la CMU-C continuent à éprouver des difficultés d’accès aux soins en raison soit de la méconnaissance de leurs droits, soit de refus de soins opposés par certains professionnels de santé. Les titulaires de l’ACS font face à des difficultés pour partie identiques.
Une part importante des titulaires de la CMU-C indique éprouver des difficultés d’accès aux soins pour des motifs financiers ou autres.
Les renoncements aux soins pour des motifs financiers par les titulaires de la CMU-C
Selon l’enquête biennale effectuée par l’institut de recherche et de développement en économie de la santé (IRDES), 26,7 % de la population métropolitaine âgée de 18 à 64 ans déclarait en 2012 avoir renoncé à au moins un soin pour des raisons financières au cours des douze mois précédents (au titre notamment des prothèses et des soins dentaires, de l’optique et des consultations de spécialistes). S’agissant des titulaires de la CMU-C, cette proportion est inférieure à celle des personnes sans couverture complémentaire (32,8 % contre 54,8 %), mais supérieure à celle des souscripteurs de garanties d’assurance (24,5 %).
Dans le cadre d’une enquête portant sur un échantillon de personnes fréquentant les centres d’examen de santé de l’assurance maladie en 2010, souvent précarisés, plus d’un tiers des répondants titulaires de la CMU-C (36,6 %) indiquaient avoir renoncé à des soins pour des raisons en tout ou partie d’ordre financier (au titre notamment des prothèses et des soins dentaires, de l’optique et des consultations de spécialistes, ainsi que des médicaments). La proportion de renonçants est moins élevée pour les titulaires de la CMU-C depuis un an et plus, qui sont plus fortement susceptibles d’avoir expérimenté les avantages qu’elle procure, que pour ceux de moins d’un an.
Dans une mesure indéterminée, les résultats des enquêtes précitées traduisent une méconnaissance des avantages que procure la CMU-C ou reflètent l’incidence de comportements de refus de soins opposés par certains professionnels de santé, entendus comme l’absence de délivrance des soins dans les conditions prévues par la réglementation (refus de prise en charge ou du tiers payant, dépassements tarifaires, délais abusifs de prise de rendez-vous…).
De nombreux « tests » ont été effectués au cours de la décennie précédente, notamment en région parisienne afin d’apprécier l’accueil réservé par les professionnels libéraux de santé aux bénéficiaires de la CMU-C, mais n’ont pas été reconduits depuis lors. Ils faisaient cependant apparaître des fréquences élevées de refus de soins par les médecins spécialistes et les chirurgiens-dentistes.
Pour autant, le cadre juridique de la mise en cause et de la sanction des professionnels de santé à l’origine de refus de soins n’a, pour l’essentiel, pas évolué. Les juridictions ordinales, devant lesquelles peu de plaintes pour refus de soins sont déposées, demeurent seules compétentes pour sanctionner les refus de soins opposés aux titulaires de la CMU-C34. En effet, malgré la volonté exprimée par le législateur de lutter plus efficacement contre les refus de soins, les dispositions de la loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires (« HPST ») ayant notamment pour objet de permettre aux directeurs de caisses d’assurance maladie de sanctionner sur un plan financier les professionnels de santé ne respectant pas leurs obligations n’ont toujours pas fait l’objet de décrets d’application, plus de six ans après la promulgation de ce texte.
À l’instar de ceux de la CMU-C, les titulaires de l’ACS bénéficient du tiers payant (pour la part de base depuis 2006 et, à compter du 1er juillet 2015, la part complémentaire) et de l’interdiction des dépassements d’honoraires médicaux (depuis la mi-février 2013). Ces droits sont en pratique peu respectés : selon la CNAMTS, 61,6 % des titulaires de l’ACS ayant consulté un médecin de secteur II au premier semestre 2014, soit plus de 163 000 assurés, ont subi un dépassement d’honoraires représentant en moyenne 25,5 % du tarif opposable, soit qu’ils méconnaissent leurs droits ou se soient abstenus de les faire valoir, soit que le professionnel de santé ne s’en soit pas assuré sur les télé-services de l’assurance maladie ou n’en ait pas tenu compte.
L’intégration au 1er juillet 2015 à la carte Vitale de l’information relative à l’ACS afin de permettre la généralisation du tiers payant conduira à porter la qualité de titulaire de l’ACS à la connaissance directe des professionnels de santé. Au vu du précédent de la CMU-C, il est improbable qu’elle suffise à elle seule à assurer la pleine application des droits accordés aux titulaires de l’ACS.
L’élargissement massif de la population des bénéficiaires potentiels de la CMU-C et de l’ACS à laquelle ont procédé les pouvoirs publics soulève à moyen terme un grave problème de soutenabilité financière, qui appelle une gestion beaucoup plus rigoureuse de ces dispositifs tant en termes d’attribution que de maîtrise des dépenses de santé qu’ils financent, sans exclure leur redimensionnement si leurs déséquilibres financiers prévisibles ne pouvaient être enrayés.
A - Des priorités qui se concurrencent
La protection complémentaire santé bénéficie de deux types de financements publics : la taxe de solidarité additionnelle aux cotisations d’assurance maladie assise sur le prix des contrats collectifs et individuels d’assurance santé affectée au Fonds CMU-C aux fins de financer les dispositifs de solidarité en faveur des ménages défavorisés ; des aides fiscales et sociales accordées aux contrats collectifs d’entreprise. Les décisions arrêtées par les pouvoirs publics conduisent à les solliciter de manière croissante, sans garantir l’accès à une couverture complémentaire santé des ménages défavorisés dont les membres ne sont pas salariés.
Comme déjà souligné, les décisions arrêtées par les pouvoirs publics ont conduit à élargir considérablement les populations de bénéficiaires potentiels de l’ACS et, à un moindre degré, de la CMU-C.
Dans le même temps, les pouvoirs publics ont écarté, au regard de leur coût, les propositions tendant à assurer l’effectivité des droits accordés, notamment l’attribution et le renouvellement automatiques de la CMU-C pour les titulaires du RSA socle, qui en bénéficient de droit, de même que l’attribution automatique de l’ACS aux titulaires du minimum vieillesse, qui remplissent sauf exception les conditions pour l’obtenir.
Selon l’estimation de la Cour, une généralisation de l’attribution de la CMU-C à l’ensemble des titulaires du RSA socle aurait de fait un coût compris entre 250 M€ et 350 M€ annuels. Suivant une estimation communiquée à la Cour par le ministère chargé de la sécurité sociale, une attribution systématique de l’ACS aux titulaires du minimum vieillesse aurait un coût annuel de plus de 200 M€.
Même quand les organismes sociaux détiennent les informations relatives à la composition et aux ressources des foyers qui permettraient de les accorder, l’attribution et le renouvellement de la CMU-C et de l’ACS continuent, dans tous les cas, à devoir être demandées par leurs bénéficiaires. Par dérogation à ce principe, le projet de loi relatif au vieillissement de la société prévoit cependant l’instauration d’un renouvellement automatique de l’ACS, sans limitation de durée, en faveur des titulaires du minimum vieillesse.
S’ils n’ont pas souhaité instaurer une attribution automatique, les pouvoirs publics encouragent cependant le recours à la CMU-C et à l’ACS par leurs bénéficiaires potentiels. Les conventions d’objectifs et de gestion (COG) des branches maladie et famille du régime général de sécurité sociale prévoient ainsi la mise en œuvre d’actions de promotion de la CMU-C et de l’ACS, qui s’exercent notamment en direction des personnes connues pour remplir les conditions pour en bénéficier.
Les actions de promotion de la CMU-C et de l’ACS mises en œuvre par les organismes sociaux
En principe, les agents des CAF doivent systématiquement proposer la CMU-C lors de l’instruction des demandes de RSA socle. Toutefois, une partie des CAF et des autres organismes instructeurs (départements notamment) n’utilisent pas l’application informatique nationale (@RSA) dans le cadre de laquelle les demandes de CMU-C peuvent être enregistrées et adressées aux CPAM. Lorsqu’ils l’utilisent, la CMU-C n’est pas systématiquement proposée.
La CNAMTS adresse des courriers accompagnés de dossiers de demande de CMU-C et d’ACS à remplir en direction des titulaires du RSA socle, de ceux du minimum vieillesse et des allocataires des CAF connus pour disposer de ressources inférieures au plafond de ressources de l’ACS. Au-delà des difficultés de compréhension que peuvent susciter ces envois, ces actions nationales de communication conservent un champ incomplet : les titulaires de l’allocation de solidarité spécifique, minima social versé par Pôle Emploi35 et ceux de pensions de réversion ne sont pas sollicités.
La CNAMTS n’a que récemment engagé la définition d’actions de promotion de la CMU-C et de l’ACS à mettre obligatoirement en œuvre par les CPAM, malgré l’engagement en ce sens pris dans le cadre de la COG 2010 - 2013. Ce cadre impératif doit être fixé d’ici à la fin de l’année 2015, à la suite de l’expérimentation par l’ensemble des CPAM, dans le cadre de plans d’actions relatifs au recours aux droits36, d’une part variable des propositions issues de l’initiative de certaines d’entre elles. Si leurs guichets sont très sollicités par des personnes en situation de précarité sociale, les CPAM sont investies de manière variable dans la promotion de la CMU-C et de l’ACS, même dans les départements qui connaissent une proportion élevée de titulaires de la CMU-C.
Le paradoxe d’un élargissement continu de l’accès à l’ACS et à la CMU-C non accompagné d’un recours de niveau élevé à ces droits peut d’autant moins être résolu que la généralisation de la complémentaire santé en faveur des salariés conduit à solliciter de manière accrue les aides fiscales et sociales accordées à la protection collective.
En application des dispositions de la loi de sécurisation de l’emploi du 14 juin 2013, dont les dispositions transposent l’article premier de l’accord national interprofessionnel du 11 janvier 201337, l’ensemble des salariés doit obligatoirement être couvert par une couverture complémentaire santé à compter du 1er janvier 2016.
La généralisation de la complémentaire santé d’entreprise bénéficierait à 4,4 millions de salariés (soit 18,5 % d’entre eux), dont 400 000 salariés dépourvus de toute couverture complémentaire et quatre autres millions d’assurés à titre individuel ou d’ayant droit d’un conjoint fonctionnaire, avec un coût très important pour les finances publiques.
Selon l’étude d’impact du projet de loi de sécurisation de l’emploi, la sollicitation accrue des aides fiscales (déductibilité du revenu imposable des primes et cotisations versées par les salariés) et sociales (exonération des cotisations sociales des sommes versées par les entreprises et les salariés, pour partie compensée par l’application du forfait social au taux réduit de 8 %) aurait un coût compris entre 1,5 Md€ et 2 Md€ en année pleine, appelé à se matérialiser de manière croissante entre 2014 et 2016.
Le socle minimal de garanties dont bénéficieront les salariés et leurs ayants droit est pour partie identique aux garanties minimales des contrats éligibles à l’ACS et aux prestations complémentaires de la CMU-C (notamment la prise en charge intégrale du ticket modérateur pour les actes effectués à l’hôpital et du forfait journalier hospitalier). Il est plus étroit s’agissant des seuls médicaments (caractère facultatif de la prise en charge du ticket modérateur pour ceux classés à service médical faible ou modéré) et dispositifs médicaux (soins dentaires et orthopédie dento-faciale, optique…). Par ailleurs, il n’assure qu’une prise en charge partielle des dépassements d’honoraires des médecins, tandis que s’appliquent en principe aux titulaires de la CMU-C et de l’ACS des tarifs opposables aux professionnels de santé (voir supra).
Moyennant un prix réduit (compte tenu du financement de 50 % au moins des garanties par leur employeur et des aides fiscales et sociales), l’ensemble des salariés, quel que soit le niveau de leurs revenus, bénéficieront ainsi prochainement d’une protection complémentaire d’assez bon (en cas d’application du socle obligatoire de garanties) ou de bon niveau (en cas de garanties supplémentaires à ce dernier).
En revanche, il est probable qu’une part importante des ménages défavorisés inactifs qui remplissent les conditions pour les obtenir continuera à ne pas bénéficier de la CMU-C ou de l’ACS, faute d’en connaître l’existence, d’en comprendre l’intérêt ou d’engager les démarches nécessaires ou, pour ceux qui en remplissent les conditions au vu des informations que détiennent les organismes sociaux, d’y être affiliés de manière automatique.
B - Des engagements financiers massifs et non financés
À travers l’élargissement de l’accès à l’ACS et, dans une moindre mesure, à la CMU-C, les pouvoirs publics ont pris des engagements financiers massifs au titre de l’assurance complémentaire santé individuelle. Compte tenu du niveau du non-recours à ces droits, ces engagements demeurent latents. Une augmentation significative du recours à l’ACS et à la CMU-C conduirait à devoir les honorer.
Au regard de l’estimation la plus récente du non-recours à la CMU-C et à l’ACS en France métropolitaine (décembre 2014), une disparition complète du non-recours exigerait, sur la base d’hypothèses conventionnelles38, de mobiliser entre 1,2 Md€ et 2,2 Md€ de ressources supplémentaires à affecter au Fonds CMU-C et aux organismes gestionnaires de la CMU-C (branche maladie du régime général de sécurité sociale à titre principal) :
- entre 0,7 Md€ et 1,2 Md€ au titre de la CMU-C ;
- entre 0,5 Md€ et 0,9 Md€ au titre de l’ACS.
Cette estimation ne tient cependant pas compte de la généralisation de la protection complémentaire santé d’entreprise à l’ensemble des salariés au 1er janvier 2016 qui va procurer une couverture complémentaire39 à un nombre indéterminé de personnes, qui, à défaut, auraient eu recours à l’ACS ou à la CMU-C. Par ailleurs, l’hypothèse d’un taux de recours à 100 % à la CMU-C et à l’ACS par la population éligible est bien évidemment conventionnelle.
Elle fait néanmoins apparaître l’ampleur des engagements latents pris au titre de la CMU-C et de l’ACS qui demeurent non-financés à ce jour et la difficulté à les honorer, dans l’éventualité où le non-recours à ces droits sociaux connaîtrait une réduction substantielle, dans un contexte où les finances publiques seront par ailleurs fortement sollicitées par la généralisation de la couverture complémentaire santé obligatoire d’entreprise au 1er janvier 2016.
Les perspectives d’augmentation du recours à la CMU-C et à l’ACS
L’hypothèse d’une réduction importante du non-recours au cours des années à venir est soutenue par la conjonction de plusieurs facteurs :
- l’évolution de l’outil national d’instruction des demandes de RSA socle (introduction d’une fonctionnalité imposant d’instruire la demande de CMU-C avant de clôturer celle de RSA) ;
- le développement des actions de promotion de la CMU-C et de l’ACS par les CPAM (« PLANIR locaux ») et par les CAF (150 000 « rendez-vous des droits sociaux » en 2014) ;
- la simplification des formulaires de demande en juillet 2015 (suppression du formulaire distinct de désignation de l’organisme gestionnaire du droit à la CMU-C, ce qui pourrait conduire à désigner d’office la caisse d’assurance maladie si le demandeur de l’aide ne requiert pas la gestion du droit à la CMU-C par un organisme complémentaire nommément désigné) ;
- le renouvellement automatique de l’ACS pour les titulaires du minimum vieillesse qui en bénéficient ;
- l’attractivité croissante de l’ACS et la distribution des contrats éligibles à cette aide par de grands réseaux bancaires, d’assurance et mutualistes.
Les prévisions financières les plus récentes du Fonds CMU-C (juin 2015) prennent pour hypothèses de fortes augmentations des populations de bénéficiaires des aides dont il assure le financement40. Cependant, elles ne permettent pas d’établir si l’augmentation du nombre de titulaires de la CMU-C s’accompagnerait d’une réduction significative du non-recours. S’agissant de l’ACS, elles consolident implicitement le maintien d’un non-recours massif à cette aide.
Malgré l’absence de réduction affichée du non-recours à la CMU-C et à l’ACS, le Fonds CMU-C et la gestion de la CMU-C par l’assurance maladie41 dégageraient cependant à compter de 2016 un déficit croissant, à hauteur de plusieurs dizaines de millions d’euros, comme le montre le tableau ci-après.
Tableau n° 83 : résultats et prévisions de résultats du Fonds CMU-C et de la gestion de la CMU-C par l’assurance maladie
C - Une révision
à envisager du champ et du niveau
des dispositifs
Compte tenu de la difficulté à mobiliser des ressources publiques supplémentaires, l’objectif d’équilibre financier du Fonds CMU-C et de la gestion de la CMU-C par l’assurance maladie paraît appeler une révision du champ et du niveau de la CMU-C et de l’ACS par un meilleur ciblage des populations concernées, ainsi que la mise en œuvre d’actions de gestion du risque.
La difficulté à couvrir les besoins de financement de la CMU-C et de l’ACS par un nouveau relèvement de la fiscalité sur les contrats d’assurance santé
Entre 2011 et 2014, le produit de la taxe de solidarité additionnelle aux cotisations d’assurance maladie affectée au Fonds CMU-C (TSA) a augmenté, à taux inchangé de prélèvement (6,27 point), à un rythme de 2,5 % par an. Dans l’hypothèse conventionnelle de disparition complète du non-recours, le taux de la TSA devrait être relevé de 3,8 à 6,6 points afin de compenser ce surcroît de charges.
En renforçant l’ampleur de la redistribution horizontale opérée en faveur des bénéficiaires de la CMU-C et de l’ACS, principalement inactifs, à travers la TSA, les décisions arrêtées par les pouvoirs publics depuis le début des années 2010 (augmentation des plafonds de ressources de l’ACS et de la CMU-C, augmentation du montant de l’ACS, revalorisation du « panier de soins » de la CMU-C) pourraient réduire aujourd’hui l’acceptabilité d’une augmentation de cette taxe.
En outre, le niveau de la fiscalité sur les contrats d’assurance santé a fortement augmenté : de 1,75 % à la création du Fonds CMU-C, le taux cumulé de prélèvement fiscal est passé à 13,27 % à ce jour (au titre des contrats « responsables »), compte tenu non seulement de l’augmentation de la taxe affectée au Fonds CMU-C (dont le taux s’élève à 6,27 % depuis 2011), mais aussi de l’instauration d’une taxation des contrats d’assurance « responsables » affectée aux branches maladie et famille du régime général de sécurité sociale42.
Indépendamment des difficultés financières qui affectent à moyen terme ces dispositifs, une fiabilisation de l’instruction des demandes de CMU-C et d’ACS apparaît indispensable au vu des faiblesses majeures qui affectent ce processus de gestion.
Les faiblesses de la détermination et du contrôle des ressources
Mise en place dans l’urgence en 2000 et non modernisée depuis lors, l’application informatique utilisée pour instruire les demandes de CMU-C et d’ACS (« base ressources ») ne couvre qu’une partie des besoins. En particulier, les montants des différentes natures de ressources des demandeurs à prendre en compte ne sont pas calculés automatiquement par l’application à partir de données qui y auraient été saisies, mais doivent être déterminés par les agents, au vu des demandes et de leurs justificatifs, selon des modalités non sécurisées (simple calculatrice, voire feuille papier) et hétérogènes entre CPAM et parfois en leur sein, puis saisi dans l’application.
Les CPAM vérifient les informations déclarées par les demandeurs en consultant les applications informatiques qui servent à gérer les prestations dont elles assurent le versement, ainsi que celles des autres organismes sociaux (portail des CAF, répertoire national commun de la protection sociale – RNCPS). Au-delà de rapprochements avec les montants portés sur l’avis d’imposition, au titre d’une période qui diffère souvent de l’année civile (les ressources prises en compte sont celles des douze derniers mois précédant la demande), les salaires déclarés ne peuvent être vérifiés. Il en va de même des pensions de retraite et des indemnités chômage (en l’état, seules leur existence et leur période de versement sont retracées dans le RNCPS, à l’exclusion de leur montant).
La CNAMTS a tardivement engagé en 2009 un projet de refonte de la base ressources, puis l’a suspendu, avant de le relancer en 2014. Il doit permettre de réduire les coûts de gestion, qui s’inscrivent à un niveau très élevé sous l’effet non seulement de la demande sociale, mais aussi des tâches manuelles de gestion : selon la CNAMTS, 1 460 emplois, exprimés en équivalent temps plein, étaient consacrés à l’instruction des demandes de CMU-C et d’ACS en 2013 ; ils représentent une charge de gestion annuelle de l’ordre de 75 M€, soit l’équivalent de 4,6 % du montant des prestations complémentaires de la CMU-C versées par la branche, ou 4,1 % de ce montant cumulé avec celui des ACS.
Au-delà des évolutions de cet outil programmées pour 2016-2017, une refonte globale du processus de gestion est indispensable afin d’intégrer de manière automatisée les informations émanant des demandeurs et de confronter de manière automatisée leurs déclarations avec les informations détenues par l’administration fiscale et par les organismes sociaux (dans le cadre du répertoire national commun de la protection sociale).
Toutefois, les risques de sous-déclaration des ressources, intentionnelle ou non, excèdent les possibilités de détection des caisses dans le cadre de procédures d’instruction fiabilisées. Par définition, les ressources procurées par le travail dissimulé ne sont pas déclarées à l’URSSAF ou à l’administration fiscale. Le bien-fondé de l’absence de déclaration comme les montants déclarés au titre des « ressources reçues ou perçues à l’étranger », des « avantages en nature, sommes d’argent versées par un tiers » et des « autres ressources » mentionnées par les formulaires de demande de la CMU-C et de l’ACS ne peuvent être vérifiés auprès d’autres administrations.
Or, ce n’est que récemment que la CNAMTS a engagé une démarche visant à vérifier plus en profondeur les ressources déclarées par les titulaires de la CMU-C et donc leurs droits à celle-ci. En 2014, à la suite d’initiatives en ce sens de certaines CPAM en 2012, elle a expérimenté l’utilisation du droit de communication des relevés bancaires auprès des établissements financiers, instauré en 200843, sur un millier de dossiers de titulaires de la CMU-C, non titulaires par ailleurs du RSA socle, sélectionnés de manière aléatoire parmi ceux gérés par quatre CPAM importantes.
Cette expérimentation a fait apparaître une fréquence très élevée d’anomalies : le quart des dossiers de bénéficiaires étudiés (24,7 %) comportent des ressources supérieures au plafond de la CMU-C ; plus du dixième (13,1 %) affichent des ressources qui excèdent le plafond de l’ACS. Fréquemment, les ressources non déclarées portent sur des sommes versées par des membres de la famille ou par des proches. La CNAMTS n’a pas évalué l’incidence financière des irrégularités relevées.
Si ces résultats ne peuvent être extrapolés au niveau national sur un plan statistique, il est à souligner que les quatre caisses expérimentatrices comportent des effectifs importants de titulaires de la CMU-C et que les fréquences d’anomalies détectées sont assez homogènes entre elles.
La CNAMTS a annoncé à la mi-mai 2015 un plan national de sécurisation de l’attribution de la CMU-C, portant sur la vérification de 170 000 dossiers au total entre 2015 et 2016, dont 50 000 entre mai et décembre 2015, par usage systématique du droit de communication bancaire. En outre, elle prévoit de renforcer la communication sur les ressources à déclarer et les sanctions liées à une sous-déclaration éventuelle (application de pénalités financières par les directeurs de casses d’assurance maladie notamment). Compte tenu de l’effort de solidarité consenti par la collectivité44, il apparaît en effet indispensable de dissuader, par la combinaison d’actions préventives et répressives, les sous-déclarations volontaires de ressources.
Un premier levier de nature à mieux cibler la population des bénéficiaires afin d’assurer l’équilibre financier consisterait à redéfinir les ressources prises en compte pour accéder à la CMU-C et à l’ACS, en les harmonisant avec celles intégrées au calcul du seuil de pauvreté monétaire et à aligner dans ce cadre le plafond de l’ACS sur ce dernier.
En effet, les plafonds de ressources de la CMU-C et de l’ACS excluent des ressources qui entrent dans le revenu disponible des ménages pris en compte pour apprécier la pauvreté monétaire : prestations sociales45, prime pour l’emploi (au motif qu’il s’agit d’un mécanisme de récupération fiscale) et fraction (30 %) des revenus d’activité antérieurs en cas de chômage ou de maladie de longue durée.
Ce désalignement de la définition des ressources par rapport à celle du revenu disponible des ménages minore sensiblement le niveau des plafonds de ressources de la CMU-C et de l’ACS par rapport au seuil de pauvreté monétaire. Compte tenu par ailleurs de l’appréhension sous la forme d’un forfait de l’avantage lié à la disposition d’un logement – dont le montant est significativement inférieur à celui des aides au logement, exclues des ressources prises en compte -, le plafond de ressources de l’ACS dépasse dans la plupart des cas de figure le seuil de pauvreté monétaire (soit 60 % du revenu médian des ménages).
La prise en compte du montant réel des ressources pour l’attribution de la CMU-C et de l’ACS permettrait par ailleurs de mettre fin à des disparités, certains ménages non-titulaires de ces aides ayant des revenus moins élevés que d’autres ménages qui en bénéficient en raison d’une composition différente de leurs revenus.
Un second levier consisterait, en fonction des études documentées sur la consommation de soins et les dépenses de santé des titulaires de la CMU-C et de l’ACS que la Cour a demandées à plusieurs reprises, à mettre en œuvre une véritable politique de gestion du risque46, ce à quoi la CNAMTS s’est refusée jusqu’à présent, voire à reconsidérer le « panier de soins » auquel ces dispositifs donnent accès, s’il s’avérait à l’origine d’un recours aux soins au-delà de ceux nécessaires au maintien ou à l’amélioration de l’état de santé de leurs bénéficiaires. Ce risque n’est pas mesuré et, par voie de conséquence, n’est pas géré.
Les écarts de consommation de soins par rapport aux autres assurés du régime général
Selon la CNAMTS, les titulaires de la CMU-C sont à l’origine de dépenses de santé en ville supérieures de l’ordre de 30 % (depuis 2010) à celles des autres assurés du régime général de sécurité sociale (données hors titulaires d’une affection de longue durée). Cet écart, qui a un caractère hétérogène en fonction des postes de dépense47 et peut être très sensible (+162 % pour les transports sanitaires) a légèrement augmenté par rapport à la décennie précédente (il s’élevait à 27 % de 2006 à 2008).
La CNAMTS n’applique pas à cet indicateur de correctifs destinés à neutraliser l’incidence des différences d’âge, de sexe et d’état de santé des titulaires de la CMU-C par rapport aux autres assurés du régime général, si bien que l’éventualité d’un recours excessif aux soins par les titulaires de la CMU-C ne peut être appréciée. En outre, elle ne fournit pas d’explication précise sur le niveau et l’évolution des écarts de dépense.
De même, les facteurs explicatifs du niveau et de l’évolution des charges de prestations complémentaires servies au titre de la CMU-C ne sont pas éclairés. Ainsi, l’augmentation du montant moyen de prestation complémentaire par bénéficiaire de la CMU-C jusqu’en 2011, puis sa stagnation en 2012, suivie d’une baisse en valeur absolue en 2013 et en 2014 (à hauteur de -2,4 % et de -2,5 %) ne fait l’objet d’aucune analyse précise. L’information comptable sur le montant total de charges de prestations complémentaires par poste de dépenses, qui fait apparaître des évolutions contrastées entre la ville (stagnation des charges) et l’hôpital (hausse au titre des séjours et consultations, mais baisse au titre du forfait journalier hospitalier), n’est pas complétée par une information relative au montant moyen de prestation par assuré consommant des soins.
En 2014, la CNAMTS a toutefois, pour la première fois, effectué une comparaison de l’état de santé, du recours aux soins et des dépenses des titulaires de la CMU-C, de ceux de l’ACS et des autres assurés du régime général, à partir des données de liquidation issues du SNIIR-AM48, qui confirme l’existence d’un état de santé des titulaires de la CMU-C plus dégradé que celui des autres assurés du régime général (et montre un état de santé des titulaires de l’ACS encore plus détérioré).
Toutefois, si elle a comparé la fréquence du recours au système de santé et le montant de la dépense de soins remboursée au titre de l’assurance maladie obligatoire de base et de la part complémentaire (CMU-C ou garanties d’assurance) entre les titulaires de la CMU-C, ceux de l’ACS et les autres assurés du régime général, cette étude n’a pas appliqué de correctifs destinés à neutraliser l’incidence des différences d’état de santé entre ces populations, si bien que, là encore, l’éventualité d’un recours excessif aux soins par les titulaires de la CMU-C ne peut être appréciée. En outre, cette analyse présente un caractère ponctuel, qui ne permet pas d’appréhender l’évolution dans le temps des interactions entre les pathologies, le recours aux soins et les dépenses. Les facteurs précis du niveau et de l’évolution de la consommation de soins des titulaires de la CMU-C demeurent à objectiver.
conclusion et recommandations
La création de la couverture maladie universelle complémentaire par la loi du 27 juillet 1999 a permis de répondre aux difficultés croissantes d’accès aux soins des ménages disposant de faibles ressources dans le contexte d’une baisse progressive depuis le début des années 80 des prises en charge au titre de l’assurance maladie obligatoire de base.
Par la suite, l’un des principaux inconvénients de la CMU-C - la perte de l’ensemble des avantages qu’elle procure gratuitement en cas de dépassement de son plafond de ressources - a été lissé par la création de l’aide au paiement d’une assurance complémentaire santé par la loi du 13 août 2004 portant réforme de l’assurance maladie, puis par l’augmentation progressive du montant de cette aide comme par les relèvements successifs de son plafond de ressources.
La CMU-C et l’ACS couvrent des publics numériquement très importants (5,2 millions et 1,2 million de personnes respectivement à fin 2014). Ces dispositifs font cependant apparaître un bilan en demi-teinte, en raison notamment de l’étendue du non-recours, qui a un caractère prépondérant pour l’ACS, du bénéfice seulement partiel des avantages procurés par la CMU-C pour ses titulaires et du manque de visibilité sur les facteurs à l’origine de la consommation de soins par ces derniers, qui s’inscrit à un niveau plus élevé que la moyenne des assurés sociaux.
La conjonction d’une ouverture croissante de l’accès à l’ACS et, à un moindre degré, à la CMU-C à des publics toujours plus larges sous l’effet des relèvements de leurs plafonds de ressources, d’une préoccupation de modération de la dynamique des dépenses permise par le maintien de taux de non-recours massifs et d’une mobilisation proclamée pour favoriser le recours à leurs droits par les millions de personnes qui n’en bénéficient pas effectivement crée une situation qui n’est pas tenable à moyen terme. Le grave problème de soutenabilité financière créé par l’élargissement massif des populations de bénéficiaires potentiels de l’ACS et de la CMU-C appelle la mise en œuvre de mesures de redressement.
S’agissant des dispositifs de solidarité destinés à favoriser l’accès aux soins des ménages défavorisés, la Cour formule les recommandations suivantes :
43. favoriser le recours à la CMU-C et à l’ACS en interrogeant les fichiers des administrations sur un champ élargi, en assurant le recueil exhaustif des demandes de CMU-C lors de l’instruction des demandes de RSA et en rendant obligatoire l’engagement par les caisses d’assurance maladie d’une démarche systématique de promotion de la CMU-C et de l’ACS auprès des publics concernés ;
44. en fonction de la réalisation des risques de déséquilibre financier, envisager l’harmonisation des ressources prises en compte pour attribuer la CMU-C et l’ACS avec celles intégrées au seuil de pauvreté monétaire (987 € mensuels en 2012, dernière année connue) ainsi que l’alignement du plafond de l’ACS sur ce dernier ;
45. dans l’éventualité où les études à mener feraient apparaître une surconsommation de soins gratuits, mettre en œuvre des actions de gestion du risque ciblées sur les postes de dépenses concernés et examiner l’éventualité d’une redéfinition des prises en charge au titre de la CMU-C et de l’ACS ;
46. refondre le processus d’instruction des demandes de CMU-C et d’ACS, en mettant en place un nouvel outil informatique et en exploitant les possibilités offertes par la déclaration sociale nominative et par la mutualisation généralisée de l’information relative aux prestations sociales dans le cadre du répertoire national commun de la protection sociale ;
47. assurer la transparence sur les fréquences d’anomalies détectées dans le cadre des contrôles sur la situation des bénéficiaires de la CMU-C, ainsi que l’évaluation du risque financier qui en résulte ;
48. assurer l’effectivité des tarifs opposables aux professionnels de santé pour les titulaires de la CMU-C et de l’ACS, en prenant les textes réglementaires nécessaires à l’application des dispositions de la loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires qui sanctionnent les refus de soins (recommandation réitérée).
Au-delà, il convient d’enrayer l’érosion du niveau de la prise en charge des dépenses de santé par l’assurance maladie obligatoire de base, qui a rendu nécessaire le développement des dispositifs de solidarité précités, par une réorganisation de l’offre de soins destinée à en accroître l’efficience49, une remise en cause de coûts excessifs et injustifiés50, voire un recentrage du « panier » des biens et services pris en charge par l’assurance maladie.
1. Ce
chapitre s’appuie sur les constats établis par la Cour
dans le cadre d’une enquête sur le Fonds CMU-C qui a
donné lieu à une communication à la commission
des finances du Sénat en application de l’article 58,
alinéa 2, de la loi organique du
1er août 2001
relative aux lois de finances, mai 2015, disponible sur
www.ccomptes.fr.
2
. Compte
tenu du financement par le Fonds CMU-C des charges de prestations
complémentaires liées à la CMU-C pour leur
montant réel dans la limite d’un forfait.
3
. Dans
ce pays, les participations demandées aux usagers (ticket
modérateur, forfait journalier hospitalier) ne peuvent
dépasser un certain pourcentage du revenu. Voir chapitre XVI
du présent rapport : les systèmes d’assurance
maladie en France et en Allemagne, p. 589-634.
4
. Cour
des comptes, Rapport
sur l’application des lois de financement de la sécurité
sociale pour 2011,
chapitre X : la prise en charge à 100 % de dépenses
de santé par la sécurité sociale, p 289-320,
septembre 2011, la Documentation française, disponible sur
www.ccomptes.fr.
5
. Dernièrement
renouvelées dans le rapport sur l’application des lois
de financement de la sécurité sociale pour 2010
précité.
6
. Orientations
pour des négociations conventionnelles avec les médecins,
conseil de l’UNCAM du 12 juillet 2012, actualisation 2013 :
observatoire des pratiques tarifaires, 12 mars 2014.
7
. Voir
annexe 1 du présent rapport « Le suivi des
recommandations formulées par la Cour »,
p. 637-652.
8
. Total
des dépassements rapporté au total des honoraires sans
dépassement.
9
. Cour
des comptes, Rapport
sur l’application des lois de financement de la sécurité
sociale pour 2012,
chapitre XIV : la prise en charge par les organismes de
protection sociale de l’optique correctrice et des
audioprothèses, p 393-420, septembre 2012, la
Documentation française, disponible sur www.ccomptes.fr.
10
. Établis
par la direction de la recherche, des études, de l’évaluation
et des statistiques (DREES).
11
. Versent
des cotisations, au taux de 8 %, les personnes titulaires de la
CMU-B dont les ressources dépassent un certain plafond
(9 601 € par foyer à compter du 1er octobre
2014), soit 48 000 personnes en 2014 (2 % du total).
12
. Cette
prestation, dont le montant forfaitaire varie en fonction du nombre
de membres du foyer, assure un minimum de ressources aux personnes
qui n’exercent aucune activité professionnelle et ne
sont pas couvertes par un dispositif de prise en charge au titre du
chômage.
13
. Nouvelle
série de données, à la suite de la suppression
de doubles comptes.
14
. Compte
tenu de l’absence de gestion de cette information par les
systèmes d’information de l’assurance maladie
(avant le 1er juillet 2015), le nombre de ceux qui souscrivent
effectivement des garanties d’assurance complémentaire
santé n’est pas connu. Le nombre de contrats souscrits
oscille aux alentours de 80 % des attestations délivrées.
15
. DREES,
décembre 2014.
16
. À
méthode homogène d’estimation, le taux de
non-recours à la CMU-C était compris entre 19 % et 32
% pour 2011 et entre 21 % et 34 % pour 2012.
17
. Dans
un chapitre à son rapport public annuel de 2013 (« le
RSA activité : une prestation peu sollicitée, un
impact restreint »), la Cour a souligné
l’importance du non-recours au RSA socle. Selon une enquête
de la direction de l’animation, de la recherche, des études
et des statistiques (DARES), le non-recours s’élevait
en 2010 à 36 % des bénéficiaires
potentiels (valeur centrale de l’estimation), soit un taux
voisin de celui du non-recours à la CMU-C. Il n’existe
pas de données plus récentes.
18
.
Études et résultats n° 882 – juin 2014.
19
. Malgré
l’enjeu qui s’attache à leur évaluation,
les bénéficiaires potentiels de la CMU-C et à
l’ACS dans les DOM ne font pas l’objet d’estimations.
20
. Dans
l’estimation de la DREES (décembre 2014), le taux de
non-recours à l’ACS était compris entre 49 %
et 64 % pour 2011 et entre 57 % et 70 % pour 2012.
21
. Selon
une enquête de la direction de l’animation, de la
recherche, des études et des statistiques (DARES, fin 2010),
le non-recours au RSA activité seul (hors cumul avec le RSA
socle) atteignait 68 % des bénéficiaires
potentiels de ce droit (valeur centrale de l’estimation), soit
un taux voisin de celui du non-recours à l’ACS.
22
. En
l’absence d’une disposition réglementaire en ce
sens, ils en sont également de
facto
exonérés même en cas de non-respect du parcours
de soins.
23
. Notamment
cannes, déambulateurs, fauteuils roulants, produits pour
diabétiques, orthèses pour l’appareillage du
genou, colliers cervicaux, compresses et pansements.
24
. Points
de repère n° 35 – septembre 2011.
25
. Mis
en place par la réforme de l’assurance maladie de 2004,
les contrats « responsables » ne remboursent
pas les franchises médicales et participations forfaitaires à
la charge de l’assuré, ainsi que les majorations de
ticket modérateur et dépassements appliqués
pour cause de non-respect du parcours de soins.
26
. Prise
en charge du ticket modérateur sur les consultations
médicales auprès du seul médecin traitant
(intégrale), des médicaments remboursés à
65 % par l’assurance maladie (à hauteur de 30 %)
et des frais d’analyse et de laboratoire prescrits par le
médecin traitant (à hauteur de 35 %).
27
. En
2013, les contrats classés E, ceux procurant les garanties
les plus faibles, dans la typologie des contrats d’assurance
les plus souscrits établie par la DREES regroupaient près
de la moitié des utilisateurs de l’ACS (47,6 %),
contre moins d’un sixième (15,6 %) de celle des
contrats individuels pris ensemble en 2012 ; les contrats de
classe D tenaient eux aussi une place plus importante (31,6 %,
contre 24 %). De plus, les contrats souscrits par les
titulaires de l’ACS comportaient en moyenne des garanties
moins élevées que celles figurant dans les contrats
individuels de même classe pris dans leur ensemble.
28
. Un
arrêté du 10 avril 2015, modifié par un arrêté
du 25 juin 2015, a fixé, pour une période de trois ans
à compter du 1er juillet 2015, la liste des 11 offres
comportant des contrats éligibles à l’ACS. Les
33 contrats concernés se répartissent en trois niveaux
distincts de prise en charge, la différenciation des
garanties portant uniquement sur les dispositifs médicaux
(voir infra) : 11 contrats pour le niveau d’entrée
de gamme (équivalent à un contrat de classe E dans la
typologie précitée de la DREES), 11 pour le niveau
intermédiaire (équivalent à un contrat de
classe D) et 11 pour le niveau le plus élevé (contrat
de classe C).
29
. En
application de la loi de financement de la sécurité
sociale pour 2014.
30
. Avenant
n° 8 à la convention médicale, entré
en vigueur le 15 février 2013.
31
. En
application de la loi de financement de la sécurité
sociale pour 2015.
32
. À
compter du 1er juillet 2015 en application de la loi précitée.
33
. Depuis
2013.
34
. Les
refus de soins sont exposés à deux types de
sanctions : des sanctions disciplinaires au regard des
obligations déontologiques fixées par le code de la
santé publique, prononcées par une chambre
disciplinaire de l’ordre composée de pairs ; des
sanctions pour fautes, fraudes, abus et tous faits intéressant
l’exercice de la profession, prononcées sur le
fondement des dispositions du code de la sécurité
sociale par une section particulière de la chambre
disciplinaire composée de pairs et de représentants
des caisses d’assurance maladie (section des assurances
sociales).
35
. Cet
organisme ne met par ailleurs en œuvre aucune action
particulière de promotion de la CMU-C et de l’ACS
auprès de ses publics.
36
. Plan
local d’accompagnement du non-recours aux droits, aux services
et aux soins, des incompréhensions devant la complexité
des démarches et/ou des informations médico-administratives
et des ruptures engendrées par le fonctionnement même
du service public (PLANIR).
37
. « Pour
un nouveau modèle économique et social au service de
la compétitivité des entreprises et de la sécurisation
de l’emploi et des parcours professionnels des salariés ».
38
. Application
des montants moyens de dépenses au titre de la CMU-C et à
l’ACS observés pour 2013 aux bornes basse et haute de
l’estimation du non-recours à ces droits pour cette
même année, soit entre 1,6 million et 2,7 millions
de non-recourants pour la CMU-C et 1,9 million à
3,4 millions de non-recourants pour l’ACS.
39
. Ou
la maintenir pendant une durée de douze mois pour les
personnes qui perdent leur emploi (portabilité des droits).
40
. Le
nombre de titulaires de la CMU-C passerait de 4,2 millions à
fin 2014 à 5,9 millions à fin 2019 et celui des
utilisateurs de l’ACS de près d’un million à
1,25 million entre ces deux dates. Par ailleurs, la dépense
moyenne par bénéficiaire de la CMU-C augmenterait
moins vite que l’ONDAM, tandis que les recettes de la taxe de
solidarité additionnelle affectée au Fonds CMU-C
progresseraient à un rythme comparable à celui des
années récentes (+2,5 %). Faute de recul, la
prévision n’évalue pas les impacts de la
généralisation de la complémentaire santé
à l’ensemble des salariés sur les recettes de la
taxe et les effectifs de titulaires de la CMU-C et de l’ACS,
ni les incidences de la sélection des contrats éligibles
à l’ACS sur ceux des utilisateurs de cette aide.
41
. Les
organismes gestionnaires des droits à la CMU-C sont
remboursés par le Fonds CMU-C à hauteur des dépenses
réelles de prestations complémentaires dans la limite
d’un forfait par bénéficiaire.
42
. Les
contrats « responsables » ont été
assujettis au taux de 3,5 % (loi de finances rectificative d’août
2011), puis au taux de 7 % (loi de financement de la sécurité
sociale pour 2014), tandis que le régime fiscal des autres
contrats a été porté de 7 % à 9 % en
2011, puis à 14 % en 2014.
43
. La
loi de financement de la sécurité sociale pour 2008 a
élargi aux établissements financiers, aux fournisseurs
d’énergie et aux opérateurs de téléphonie
le droit de communication dont étaient dotés les
organismes de sécurité sociale à l’égard
de leurs homologues et de l’administration fiscale. La loi de
financement pour 2012 a conforté l’utilisation de ce
droit en prévoyant un délai de réponse
opposable aux banques et la gratuité de la fourniture par ces
dernières des informations demandées.
44
. En
matière de tarifs sociaux de l’énergie comme de
dépenses de santé.
45
. Notamment
le RSA socle, le RSA activité, les aides au logement, une
partie des prestations de la prestation d’accueil du jeune
enfant - PAJE (allocation de base, complément de libre
choix du mode de garde, prime à la naissance ou à
l’adoption), l’allocation de rentrée scolaire
(ARS), l’allocation d’éducation de l’enfant
handicapé (AEEH) et ses compléments, l’allocation
personnalisée d’autonomie (APA), la prestation
complémentaire pour recours à tierce personne, les
majorations pour tierce personne et la prestation de compensation.
46
. Comme
les actions de prévention, la détection de
comportements atypiques de recours au système de soins
(fréquence des consultations de médecins généralistes,
niveau des prescriptions) ou la réorientation des patients
vers des prises en charge moins onéreuses (consultations en
ville plutôt qu’à l’hôpital).
47
. Dentisterie
(+46 %), pharmacie (+45 %), consultation de médecins
généralistes (+55 %), actes infirmiers (+56 %)
et consultations à domicile (+167 %) notamment. A
l’opposé, la dépense moyenne est inférieure
pour la consultation de médecins spécialistes et les
actes des masseurs-kinésithérapeutes (de l’ordre
de -10 %).
48
. Au
titre des prestations exécutées en 2012 et liquidées
jusqu’à fin juin 2013, sur un champ couvrant la France
entière et toutes les prestations, à l’exception
de celles remboursées par les mutuelles par délégation
du régime général.
49
. Voir
chapitre V du présent rapport : vingt ans de
recomposition territoriale de l’offre de soins : un bilan
décevant, p. 185-216.
50
. Voir
chapitre X du présent rapport : l’insuffisance
rénale chronique terminale : favoriser des prises en
charge plus efficientes pour les patients, p. 345-378.