P. J. : deux annexes
La loi n° 91-772 du 7 août 1991 relative au congé de représentation en faveur des associations et des mutuelles et au contrôle des comptes des organismes faisant appel à la générosité publique impose à tout organisme faisant appel à la générosité publique d’établir un compte d’emploi annuel des ressources collectées à ce titre.
En application des dispositions de l’article L. 111-8 du code des juridictions financières, ce compte est susceptible d’être contrôlé par la Cour, dont l’intervention doit permettre aux donateurs de s’assurer de la conformité des dépenses engagées aux objectifs poursuivis par l’appel à dons.
Trois finalités ont été assignées par le législateur au compte d’emploi des ressources :
- rendre compte de l’affectation des dons en ventilant les dépenses en trois catégories : les missions sociales (ou dépenses opérationnelles), les frais de recherche de fonds (frais de collecte et de traitement des dons) et les frais de fonctionnement ;
- permettre le suivi des sommes collectées et non utilisées en fin d’exercice ;
- être aisément compréhensible par un donateur non spécialiste de la technique comptable.
Ces finalités sont traduites dans les dispositions des textes suivants :
- un arrêté du 30 juillet 1993 portant fixation des modalités de présentation du compte d'emploi annuel des ressources collectées auprès du public par des organismes faisant appel à la générosité publique a défini les rubriques devant obligatoirement figurer dans le compte d’emploi des ressources ;
- un règlement n° 99-01 du 16 février 19991 du Comité de la réglementation comptable (CRC) a précisé les modalités d’établissement des comptes annuels des associations et des fondations ;
- une ordonnance du 28 juillet 2005 portant simplification du régime des libéralités consenties aux associations, fondations et congrégations, de certaines déclarations administratives incombant aux associations, et modification des obligations des associations et fondations relatives à leurs comptes annuels a intégré le compte d’emploi des ressources dans le périmètre de la certification des commissaires aux comptes2, en l’incluant dans l’annexe des comptes annuels ;
- compte tenu de la persistance de pratiques divergentes dans la construction des comptes d’emploi3, un nouveau règlement comptable n° 2008-12 du 7 mai 2008 afférent à l'établissement du compte d'emploi annuel des ressources des associations et fondations a modifié le règlement du 16 février 1999, établi par le Comité de la réglementation comptable, auquel a succédé depuis 2009 l’Autorité des normes comptables. Ce règlement constitue aujourd’hui la norme applicable aux comptes d’emploi des ressources des associations et des fondations.
La Cour a achevé, au début de l’année 2015, une enquête portant sur les conditions d’application du règlement comptable n° 2008-12. Ses travaux se sont appuyés sur le contrôle des comptes d’emploi des ressources établis par les dix plus gros organismes collecteurs de la générosité publique en France4. Elle a recueilli par ailleurs les analyses de l’ensemble des acteurs concernés : Compagnie Nationale des Commissaires aux Comptes, Conseil supérieur de l’Ordre des experts-comptables, principaux réseaux fédératifs (France générosités, Comité de la charte du don en confiance, Centre Français des Fonds et Fondations, notamment), inspection générale des affaires sociales (Igas).
À l’issue de ces travaux, la Cour des comptes m’a demandé, en application de l’article R. 143-1 du code des juridictions financières, d’appeler votre attention sur les principales observations qui suivent.
I. Le règlement comptable de 2008 a entraîné certains progrès
Avant la mise en œuvre du règlement n° 2008-12, les organismes n’appliquaient guère l’arrêté de 1993 : ils présentaient des comptes d’emplois dont le format et le contenu des rubriques étaient hétérogènes et qui ne rendaient qu’imparfaitement compte de l’utilisation des fonds reçus des donateurs.
Le règlement comptable n° 2008-12 a tenté de résoudre ce problème en imposant aux associations et fondations un compte d’emploi des ressources normé et structuré en quatre colonnes présentant à la fois les produits et les charges du compte de résultat (colonnes 1 et 2) et les ressources issues de la générosité publique et leurs emplois (colonnes 3 et 4). Il a, par ailleurs, défini le contenu et le mode de calcul des différents rubriques et soldes de ce compte d’emploi, afin de permettre au donateur de disposer d’une présentation homogène de l’utilisation, ventilée en missions sociales, frais de fonctionnement et frais de recherche de dons, des fonds issus de la générosité publique.
Les organismes faisant appel à la générosité du public respectent désormais cette présentation. La nouvelle réglementation, qui rappelle des principes fondamentaux tels que la permanence des règles comptables appliquées ou l’imputation des coûts indirects sur la base d’une règle d’affectation préétablie, garantit une plus grande rigueur dans la présentation des comptes et des actions menées. Enfin, dans neuf des dix organismes contrôlés par la Cour, la mise en œuvre du règlement comptable n° 2008-12 a fait l’objet de délibérations précises des instances statutaires, organisées sur la base de dossiers techniques clairs et complets.
Au total, le règlement comptable de 2008 a donc permis d’accomplir des progrès. Pour autant, l’actuel compte d’emploi des ressources n’assure pas une transparence financière suffisante.
II. La transparence du compte d’emploi des ressources demeure insuffisante
A. Un compte d’emploi des ressources peu compréhensible par un donateur non spécialiste
Le compte d’emploi des ressources devait être l’instrument privilégié d’une communication transparente des organismes caritatifs à destination des donateurs. Malgré les apports du règlement de 2008, son format actuel ne lui permet pas d’atteindre cet objectif. Un donateur non spécialiste de la technique comptable peine considérablement à le comprendre.
La complexité du compte d’emploi des ressources est en effet inhérente à son mode de construction, qui tente de concilier, dans un seul document, à la fois un retraitement de l’ensemble du compte de résultat et l’analyse des emplois et des ressources issus de la seule générosité publique. En outre, il ne permet pas de connaître l’évolution des emplois et des ressources d’un exercice à l’autre. Enfin, sa lecture est rendue particulièrement ardue par le recours à des intitulés et à des règles de calcul et de présentation complexes.
À l’issue des contrôles effectués, la Cour ne peut que relever le peu d’utilité, pour les organismes faisant appel à la générosité publique, d’un document qui ne sert, la plupart du temps, ni à la communication externe, ni à la communication interne, et qui n’est pas non plus un outil de gestion.
B. Des pratiques comptables encore trop hétérogènes
Le règlement comptable n° 2008-12 n’apporte pas les précisions qui permettraient de se prononcer sur le caractère approprié de toutes les règles d’évaluation ou de comptabilisation retenues par les organismes. Il ne favorise donc pas l’homogénéité du traitement et de la présentation comptable.
S’agissant, par exemple, de la définition de l’appel à la générosité publique, le règlement comptable devrait être précisé ou complété sur des points essentiels, tels que :
- les dispositions applicables aux appels à dons sur l’internet et les réseaux sociaux, qui se sont beaucoup développés au cours des dernières années ;
- les obligations déclaratives des structures faisant partie d’organismes fédératifs ou décentralisés ;
- les conditions justifiant l’établissement de comptes combinés.
En ce qui concerne le périmètre des ressources issues de la générosité publique, il serait également nécessaire de préciser le traitement comptable des ressources issues du mécénat d’entreprise, qui ont connu un fort développement au cours de la dernière décennie, des ressources éventuellement reversées par des entités tierces, des produits financiers ou encore des cotisations des adhérents.
Pour les emplois, une meilleure définition des principes d’affectation et de répartition des coûts directs et indirects rattachables aux missions sociales ou aux collectes affectées serait également indispensable. Il en va de même pour la comptabilisation des transferts éventuels vers l’étranger d’une partie des sommes collectées5.
Le détail des constats effectués par la Cour, accompagné de propositions de clarifications techniques, figure en annexe n° 2 du présent document.
C. Des pratiques très diverses et parfois contestables en matière de communication financière
Les informations sur l’emploi des dons ne sont pas toujours aussi aisément accessibles sur les sites internet des organismes que les messages d’appel à dons et les formulaires correspondants.
Certaines pratiques peuvent, en outre, induire en erreur les donateurs :
- présentation de tableaux, de ratios ou de graphiques ne reprenant pas les éléments présentés dans le compte d’emploi des ressources, du fait de divers retraitements mal justifiés ;
- citation partielle ou tronquée des rapports des corps de contrôle sur l’organisme (Cour des comptes et Igas) ;
- inexactitude du ratio présentant la répartition des emplois entre missions sociales, frais de recherche de fonds et frais de fonctionnement.
Compte tenu des difficultés de lecture du compte d’emploi des ressources, les organismes ont très souvent développé, à l’attention des donateurs, une communication fondée sur un document de synthèse de format réduit, tel que celui qui est préconisé par le Comité de la charte du don en confiance6. Le contenu de ce type de document est très variable selon les organismes : certains n’y font figurer aucun compte d’emploi des ressources, même simplifié ; d’autres présentent des informations qui ne recoupent pas celles du compte d’emploi des ressources ; enfin, de façon générale, ce document n’entre pas dans le périmètre de l’annexe des comptes annuels, si bien que, dans la plupart des cas, les instances chargées d’approuver ces comptes ne le valident pas et les commissaires aux comptes ne le certifient pas.
III. Une simplification du compte d’emploi des ressources et une plus grande rigueur des autres documents d’information du donateur apparaissent nécessaires
a) La Cour estime tout d’abord qu’il est nécessaire de réaffirmer l’obligation de publier un compte d’emploi des ressources, qui est le seul document permettant au donateur de mesurer précisément la conformité de l’usage des fonds collectés au titre de la générosité publique aux objectifs de l’appel à dons.
Le compte d’emploi des ressources doit demeurer un document normé par un règlement comptable et inclus dans l’annexe des comptes annuels. Sa présentation devrait rendre compte de l’emploi des seules ressources issues de la générosité publique. Pour respecter l’intention du législateur, son contenu devrait être simplifié, ainsi que le montre le modèle présenté en annexe n° 1 du présent document, afin de le rendre plus lisible et directement utilisable par les donateurs.
b) Par ailleurs, certains acteurs de la générosité publique font valoir que l’organisme doit pouvoir porter à la connaissance du public son « modèle économique », c’est-à-dire l’organisation globale de son financement, par-delà les seules ressources issues de la générosité du public. La Cour observe que, s’il est décidé par l’organisme de publier un tel document, sa présentation devrait être également normée (cf. modèle en annexe n° 1), afin de permettre une comparaison fiable entre les patrimoines, les revenus et les actions des différents organismes qui s’adressent aux donateurs.
c) Enfin, si l’organisme souhaite également publier un document de synthèse à des fins de communication générale vers le public, ce document devrait faire l’objet d’un visa du commissaire aux comptes, afin d’attester la conformité de ses données avec le compte d’emploi des ressources.
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L’ensemble de ces constats amène la Cour à formuler les quatre recommandations suivantes :
- Recommandation n° 1 : simplifier le compte d’emploi des ressources, afin de revenir à un format de tableau conforme à l’arrêté du 30 juillet 19937, centré sur l’emploi des seules ressources issues de la générosité publique, en reprenant pour les exercices N et N-18 :
- en emplois, les missions sociales, les frais de recherche et de traitement des dons, les frais de fonctionnement, les dotations aux fonds dédiés et les ressources restant à affecter ;
- en ressources, les différentes rubriques issues du règlement comptable n° 2008-12, les dons et legs, les autres produits liés à l’appel à la générosité publique (dont les produits financiers), le report des ressources non affectées et non utilisées des exercices antérieurs et les reprises de fonds dédiés ;
- Recommandation n° 2 : pour les organismes souhaitant décrire l’organisation globale de leur financement, définir une présentation normée par le règlement comptable de l’ensemble des produits et des charges du compte de résultat, reclassés suivant l’origine des ressources et la destination des emplois ;
- Recommandation n°3 : faire viser les documents de synthèse destinés à la communication des organismes bénéficiaires de la générosité publique par le commissaire aux comptes, afin de garantir la conformité de ses données avec le compte d’emploi des ressources ;
- Recommandation n° 4 : compléter le règlement 2008-12 afin de préciser les règles comptables applicables au compte d’emploi des ressources (cf. annexe n° 2).
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Je vous serais obligé de me faire connaître, dans le délai de deux mois prévu à l’article L. 143-5 du code des juridictions financières, la réponse, sous votre signature, que vous aurez donnée à la présente communication9.
Je vous rappelle qu’en application des dispositions du même code :
- deux mois après son envoi, le présent référé sera transmis aux commissions des finances et, dans leur domaine de compétence, aux autres commissions permanentes de l’Assemblée nationale et du Sénat. Il sera accompagné de votre réponse si elle est parvenue à la Cour dans ce délai. À défaut, votre réponse leur sera transmise dès sa réception par la Cour (article L. 143-5) ;
- dans le respect des secrets protégés par la loi, la Cour pourra mettre en ligne sur son site internet le présent référé, accompagné de votre réponse (article L. 143-1) ;
- l’article L. 143-10-1 prévoit que, en tant que destinataire du présent référé, vous fournissiez à la Cour un compte rendu des suites données à ses observations, en vue de leur présentation dans son rapport public annuel. Ce compte rendu doit être adressé à la Cour selon les modalités de la procédure de suivi annuel coordonné convenue entre elle et votre administration.
Didier Migaud
ANNEXE N° 1
Tableau proposé pour le nouveau modèle de compte d’emploi annuel des ressources (obligatoire)
Tableau d'équilibre du « modèle économique » de l'organisme (facultatif)
ANNEXE N° 2
Synthèse des propositions de clarification du règlement comptable n° 2008-12
[Tableaux à consulter dans le fichier Word ou Pdf joint]
1 relatif aux modalités d’établissement des comptes annuels des associations et fondations modifié par le règlement n° 2004-12 du 23 novembre 2004 du CRC.
2 L’article R. 821-26 du code de commerce dispose que : « Les contrôles périodiques [sur les cabinets de commissaires aux comptes] mentionnés au b de l'article L. 821-7 sont réalisés au moins tous les six ans, selon les orientations, le cadre et les modalités définis par le Haut Conseil du Commissariat aux Comptes. Ce délai est ramené à trois ans pour les commissaires aux comptes exerçant des fonctions de contrôle légal des comptes auprès de personnes ou d'entités faisant appel public à l'épargne ou appel à la générosité publique. ». Le guide des contrôles périodiques du Haut Conseil du Commissariat aux Comptes rappelle en effet que les entités d’intérêt public (EIP) définies par la directive 2006/43/CE du Parlement européen et du Conseil du 17 mai 2006 concernant les contrôles légaux des comptes annuels et des comptes consolidés et modifiant les directives 78/660/CEE et 83/349/CEE du Conseil, et abrogeant la directive 84/253/CEE du Conseil, comprennent les personnes morales faisant appel à la générosité publique, ce qui justifie une périodicité plus rapprochée des contrôles. Cette disposition a introduit une garantie supplémentaire pour les donateurs répondant à des appels à la générosité publique. À la suite de la réforme européenne de l’audit, la question du rattachement des personnes morales faisant appel à la générosité publique à la catégorie des EIP sera à nouveau posée à l’occasion de la transposition des textes récemment publiés (directive 2014/56/UE du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 modifiant la directive 2006/43/CE concernant les contrôles légaux des comptes annuels et des comptes consolidés et règlement 537/2014 du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 relatif aux exigences applicables au contrôle légal des comptes des entités d’intérêt public et abrogeant la décision 2005/909/CE de la Commission européenne).
3 Ces divergences avaient été soulignées par la Cour dans un rapport Générosité publique sur La qualité de l’information financière communiquée aux donateurs par les organismes faisant appel à la générosité publique. La Documentation française, octobre 2007.
4 Croix-Rouge française, Unicef France, Institut Pasteur, Les Restaurants du Cœur - Les Relais du Cœur, Secours Catholique-Caritas France, Fondation d’Auteuil, Fondation de France, Médecins sans frontières, Association Française contre les Myopathies et Ligue nationale contre le cancer.
5 Cas des organismes qui transfèrent à l’étranger, vers une structure centrale ou internationale dont ils sont membres ou qu’ils représentent, une partie des sommes collectées auprès du public.
6 L’essentiel de l’année.
7 La seule différence notable étant la mention des fonds dédiés, dont l’introduction en comptabilité a été postérieure à cet arrêté.
8 Ce qui permettrait l’analyse des évolutions d’un exercice à l’autre, aujourd’hui impossible.
9La Cour vous remercie de lui faire parvenir votre réponse, sous votre signature personnelle exclusivement, sous forme dématérialisée (un fichier PDF comprenant la signature et un fichier Word) à l’adresse électronique suivante : greffepresidence@ccomptes.fr.