En application de l’article L. 111-3 du code des juridictions financières, la Cour des comptes a procédé au contrôle de la fonction d’inspection au ministère de la justice.

Au terme de cette enquête et après en avoir délibéré, le président de la quatrième chambre a adressé, le 1er décembre 2014, un relevé d’observations provisoires à votre directeur de cabinet, au secrétaire général, à l’inspecteur général des services judiciaires (IGSJ), à la directrice de l’administration pénitentiaire et à la directrice de la protection judiciaire de la jeunesse. Votre ministère a fait connaître les observations qu’appelait de sa part ce document par une lettre du directeur de votre cabinet en date du 4 février 2015.

Après avoir examiné et tenu compte de cette réponse, auditionné l’inspecteur général des services judiciaires le 12 mars dernier et en avoir à nouveau délibéré, la Cour m’a demandé, en application des dispositions de l’article R. 143-1 du code des juridictions financières, de vous faire part des observations suivantes.

1. La réforme de 2010 a représenté un indiscutable progrès

Le décret n° 2010-1668 du 29 décembre 2010,relatif aux attributions et à l’organisation des missions de l’inspecteur général des services judiciaires a étendu le périmètre de l’IGSJ en intégrant à l’inspection générale la mission d’inspection des greffes et en confiant à l’inspecteur général la coordination de l’inspection des services pénitentiaires et de l’inspection de la protection judiciaire de la jeunesse.

Placé sous votre autorité, l’inspecteur général des services judiciaires dispose d’une équipe solide et expérimentée, dont le professionnalisme et la qualité des travaux sont reconnus de tous, aussi bien au sein de l’administration centrale que dans les juridictions.

L’IGSJ a développé ces dernières années des méthodes de travail rigoureuses. La programmation qui vous est soumise est préparée en concertation étroite avec les directions et les chefs de cour. Les contrôles de fonctionnement et les enquêtes administratives sont conduits sur la base de référentiels élaborés. À l’issue de chaque contrôle, constats et recommandations sont révisés et partagés au sein de l’inspection générale, travail d'équipe qui renforce d’autant leur portée. La contradiction avec les contrôlés est systématique. Une grande attention est portée au suivi des recommandations. Par ses nombreux rapports, une cinquantaine par an en moyenne, l’IGSJ apporte ainsi une contribution significative à la modernisation de la justice.

L’inspection générale participe aussi à un nombre croissant de missions thématiques. Elle assume ses responsabilités en matière d’audit interne financier, fonction qui était nouvelle pour elle, avec une efficacité reconnue par la Cour dans ses notes annuelles d’évaluation du contrôle interne.

La Cour observe également que la réforme de 2010 a permis une meilleure coordination entre l’inspection générale des services judiciaires, l’inspection des services pénitentiaires (ISP) et l’inspection de la protection judiciaire de la jeunesse (IPJJ). La nomination des chefs de l’ISP et de l’IPJJ en qualité d’inspecteurs généraux adjoints des services judiciaires a facilité la diffusion d’une méthodologie, d’une doctrine d’emploi et de règles déontologiques communes. Le programme annuel de ces deux inspections vous est soumis conjointement par l’inspecteur général et par les directrices.

L’inspection générale invite désormais les chefs de cour d’appel à assumer de façon plus systématique, avec son soutien, leur mission d’inspection des juridictions de leur ressort.

2. Cette réforme est cependant restée au milieu du gué

Si la réforme de 2010 a représenté un réel progrès, elle laisse néanmoins subsister des anomalies et des faiblesses.

Tout en faisant pleinement partie des inspections générales ministérielles, l’inspection générale des services judiciaires n’a jamais été reconnue formellement comme un service du ministère de la justice, même si elle l’est dans la pratique. Elle n’a pas de véritable statut. Elle n’a ni budget ni personnel propres. Les magistrats affectés à l’IGSJ n’entrent dans aucune des deux catégories prévues par l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958.

L’inspection de la protection judiciaire de la jeunesse a fait un effort de rapprochement avec l’IGSJ en s’installant dans ses locaux, mais l’inspection des services pénitentiaires reste très autonome. Les moyens (effectifs et budget de fonctionnement) de l’ISP et de l’IPJJ relèvent des programmes 107 - administration pénitentiaire et 182 - protection judiciaire de la jeunesse, alors que ceux de l'IGSJ relèvent du programme 310 - conduite et pilotage de la politique de la justice. La réalité demeure ainsi celle de trois inspections qui fonctionnent en parallèle.

Si l’IGSJ a une meilleure vision sur les questions concernant l’exécution de ces programmes, qui représentent à eux deux près de la moitié des crédits du ministère, l’ISP et l’IPJJ restent pleinement intégrées aux directions qu’elles contrôlent. La séparation des fonctions de contrôle et des fonctions opérationnelles pourrait être mieux assurée.

Les inspections devraient pouvoir porter sur toute l’étendue de la chaîne judiciaire. Une approche globale aurait du sens dans bien des cas et justifierait des enquêtes associant magistrats, greffiers en chef, inspecteurs issus de la direction de l’administration pénitentiaire (DAP) et de la direction de la protection judiciaire de la jeunesse (DPJJ). Si ces deux dernières catégories d’inspecteurs participent déjà à certains contrôles de fonctionnement de juridictions, cette participation gagnerait à être accentuée. À titre d’illustration, sur la question sensible du traitement des mineurs délinquants, il serait sans nul doute intéressant d’avoir une inspection unique, thématique, évaluant le fonctionnement du tribunal, la chaîne d’exécution des peines, la prise en charge des mineurs par la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). Les tribunaux pour enfants pourraient, de la même façon, être inspectés par un binôme composé d’un magistrat et d’un inspecteur de la PJJ. De même encore, les magistrats devraient pouvoir être associés de manière régulière au contrôle des structures déconcentrées des deux directions.

3. La création d’une inspection générale de la justice est aujourd’hui souhaitable

La Cour prend acte de la réflexion engagée au sein du ministère sur les modalités et les conditions permettant d’aboutir à une fusion des trois inspections. À la lumière des insuffisances constatées de la réforme de 2010, elle recommande aujourd’hui au ministère de franchir un pas supplémentaire en opérant cette fusion et en créant une inspection générale de la justice.

Il serait cohérent qu’à la mission Justice corresponde, pour le ministère, une inspection générale unique. Le décloisonnement de l’inspection générale elle-même en serait facilité. La transversalité au sein de l’administration centrale, dont le ministère a un impérieux besoin, se trouverait singulièrement renforcée, ainsi que l’indépendance de l’inspection générale. Même si une partie de son personnel continue à provenir de la direction de l’administration pénitentiaire et de la direction de la protection judiciaire de la jeunesse, ces inspecteurs seraient désormais pleinement intégrés à la nouvelle inspection générale. Ils n’auraient plus de lien hiérarchique avec leur direction d’origine.

Il conviendrait naturellement de trouver un équilibre entre, d’un côté, cette nouvelle inspection générale, aux compétences renforcées, et, de l’autre, les directions de l’administration pénitentiaire et de la protection judiciaire de la jeunesse, qui voudront, à juste titre, conserver une indispensable capacité d’enquête sur leurs établissements déconcentrés et utiliser, pour ce faire, leurs échelons territoriaux.

À l’occasion d’une telle réforme, l’inspection générale pourrait enfin être dotée d’un statut qui déterminerait sa structure et son format. De même, des garanties propres à assurer leur indépendance devraient être données aux membres de l’inspection générale, comme l’a recommandé le Conseil d’État dans un avis du 19 février 2009.

Une telle évolution devrait toutefois être réalisée à moyens constants. La Cour appelle à cet égard votre attention sur le nombre, devenu très élevé, d’inspecteurs généraux adjoints, tous magistrats hors hiérarchie : 5 en 2006 ; 14 en 2014.

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Je vous serais obligé de me faire connaître, dans le délai de deux mois prévu à l’article L. 143-5 du code des juridictions financières, la réponse, sous votre signature, que vous aurez donnée à la présente communication1.

Je vous rappelle qu’en application des dispositions du même code :

- deux mois après son envoi, le présent référé sera transmis aux commissions des finances et, dans leur domaine de compétence, aux autres commissions permanentes de l’Assemblée nationale et du Sénat. Il sera accompagné de votre réponse si elle est parvenue à la Cour dans ce délai. À défaut, votre réponse leur sera transmise dès sa réception par la Cour (article L. 143-5) ;

- dans le respect des secrets protégés par la loi, la Cour pourra mettre en ligne sur son site internet le présent référé, accompagné de votre réponse (article L. 143-1) ;

- l’article L. 143-10-1 prévoit que, en tant que destinataire du présent référé, vous fournissiez à la Cour un compte rendu des suites données à ses observations, en vue de leur présentation dans son rapport public annuel. Ce compte rendu doit être adressé à la Cour selon les modalités de la procédure de suivi annuel coordonné convenue entre elle et votre administration.

Didier Migaud

1 La Cour vous remercie de lui faire parvenir votre réponse, sous votre signature personnelle exclusivement, sous forme dématérialisée (un fichier PDF comprenant la signature et un fichier Word) à l’adresse électronique suivante : greffepresidence@ccomptes.fr.