La Cour des comptes, à l’issue de son contrôle sur la politique d’accueil et d’hébergement des demandeurs d’asile au cours des exercices 2009 à 2013, m’a demandé, en application de l’article R. 143-1 du code des juridictions financières, d’appeler votre attention sur les principales observations et recommandations résultant de ses travaux.

La Cour a constaté que les conditions d’accueil, d’hébergement et d’accompagnement des demandeurs d’asile, en vigueur jusqu’à la réforme en cours, n’étaient pas satisfaisantes, en dépit de la forte croissance ininterrompue des dépenses correspondantes depuis 2009. Les raisons de cette situation dégradée sont multiples : une hausse de la demande d’asile jusqu’en 2013, des délais de procédure qui s’élèvent à deux ans environ et une concentration des demandes sur certains territoires, en particulier l’Île-de-France. Il en résulte un engorgement des centres d’accueil pour demandeurs d’asile (CADA) et un report sur l’hébergement d’urgence de droit commun, également arrivé à saturation.

La Cour a noté les avancées prévues par la réforme de l’asile, préparée par le ministère de l’intérieur et définitivement adoptée par l’Assemblée nationale le 15 juillet 2015. Elle estime, à la lumière de ses constats, que quatre sujets mériteraient plus particulièrement votre attention pour que la mise en œuvre de la réforme puisse être mieux assurée par l’administration et les opérateurs concernés et que la politique d’asile soit mieux maîtrisée : l’enjeu prioritaire de la réduction des délais de la procédure (I), le pilotage interministériel à consolider (II), le dispositif d’hébergement spécialisé à rationaliser (III) et la dilution de la politique d’asile à éviter (IV).

I. UN ENJEU PRIORITAIRE : LA RÉDUCTION DES DÉLAIS DE LA PROCÉDURE

La durée de la procédure est une des données majeures des conditions de mise en œuvre de la politique d’accueil des demandeurs d’asile. En France, le délai global jusqu’à la décision de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) est de deux ans en moyenne, sans prendre en compte les demandes de réexamen, alors que les durées moyennes dans les autres États européens sont bien inférieures : cette durée est ainsi d’un an en Allemagne.

La réforme de l’asile a pour objectif principal la réduction des délais de procédure pour les demandes d’asile, en visant un délai moyen de neuf mois de procédure, dont trois mois à l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), inscrit dans le contrat d’objectifs et de performance de l’opérateur, et cinq mois à la CNDA, inscrit dans la loi. L’objectif est ambitieux, même s’il s’agit de délais moyens, et non maxima, qui ne seront pas sanctionnés en cas de dépassement. Il est subordonné à d’importants efforts d’adaptation des principaux acteurs concernés et à des mesures de clarification pour la bonne mise en œuvre de ces délais plus contraignants.

Une mobilisation intense des opérateurs

La mise en place, dans le cadre de la réforme, de guichets uniques regroupant, sur un même lieu, des agents des préfectures pour l’admission au séjour et des agents de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) chargés de l’ouverture des droits des demandeurs d’asile et de leur hébergement doit, en premier lieu, permettre le raccourcissement du délai d’enregistrement des demandes d’asile désormais fixé à trois jours, alors qu’il s’élève aujourd’hui à plusieurs mois dans certaines régions. Le rappel du délai variant, selon les régions, entre 1 et 90 jours, avant l’obtention par le demandeur d’asile de son premier rendez-vous en préfecture, montre l’ampleur des efforts attendus pour tenir le nouveau délai. Ils devront être fournis tout en menant le nécessaire processus d’intégration des agents des préfectures et de l’OFII, ainsi que le redéploiement interne des personnels de l’Office en fonction de ses missions nouvelles.

L’effort est à porter surtout sur l’instruction puis les délais d’examen des recours.

L’objectif d’un délai d’instruction de 90 jours à l’OFPRA d’ici 2016 avait été annoncé dès 2010 sans jamais être atteint : en 2014, le délai exécuté a été de 203 jours.

Par ailleurs, l’OFPRA qui a bénéficié de la création de 55 emplois au 1er janvier 2015 a souligné, au cours de la procédure de contradiction avec la Cour, les limites des gains de productivité à attendre, au vu de l’évolution du droit d’asile et de ses nouvelles contraintes (généralisation d’un entretien, interprétariat, présence de tiers).

S’agissant de la CNDA, elle n’a pas obtenu tous les emplois demandés en 2015, au titre de la réforme de l’asile, afin de réduire ses délais, sachant que le délai moyen constaté en 2014 s’est élevé à huit mois.

Des mesures à clarifier

Conformément à la directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale, la loi relative à la réforme du droit d’asile prévoit désormais que l’enregistrement de la demande doit avoir lieu au plus tard trois jours ouvrés après sa présentation à l’autorité administrative compétente, sans condition préalable de domiciliation ; ce délai peut être porté à dix jours ouvrés lorsqu’un nombre élevé d’étrangers demande l’asile simultanément.

Toutefois, le point de départ du délai d’enregistrement de trois jours n’est pas clairement défini. Son interprétation diverge selon les intervenants : à partir de la présentation du demandeur devant le pré-accueil, organisé par les acteurs associatifs ou bien à compter de la transmission du dossier au nouveau guichet unique tenu par les services de la préfecture et de l’OFII. Il conviendrait donc de veiller à la bonne mise en œuvre de la réduction à trois jours du délai d’enregistrement de la demande d’asile, en clarifiant son point de départ ainsi qu’en précisant les motifs justifiant l’application du délai dérogatoire de dix jours, d’autant plus que ce délai était prévu dès la directive 2003/9/CE du Conseil du 27 janvier 2003 relative à des normes minimales pour l’accueil des demandeurs d’asile dans les États membres mais que la France ne l’a jamais respecté.

Un fort enjeu budgétaire s’attache à la réduction des délais d’examen des demandes d’asile. Leur réduction significative prévue par la réforme devrait permettre de diminuer les dépenses en matière d’allocation et d’hébergement. Une réduction d’un mois permettrait d’économiser entre 10 et 15 M€ selon le ministère de l’intérieur. La diminution des délais permettrait également de dissuader certaines demandes d’asile a priori infondées et de rendre moins délicat l’éloignement des personnes déboutées qui ne se seront pas encore intégrées en France, ce qui redonnerait du sens à la procédure d’asile. Cet objectif doit être considéré comme prioritaire.

II. UN PILOTAGE INTERMINISTÉRIEL À CONSOLIDER

Les décisions prises dans le cadre de la politique d’accueil et d’hébergement des demandeurs d’asile, financées par le programme 303 - Immigration et asile de la mission Immigration, asile et intégration, ont des conséquences sur la politique d’hébergement généraliste à destination des personnes sans domicile ou éprouvant des difficultés à se loger et sur son programme support 177 - Prévention de l’exclusion et insertion des personnes vulnérables de la mission Égalité des territoires et logement. En effet, certains demandeurs d’asile sont abrités dans des hébergements d’urgence généralistes avant d’obtenir une autorisation provisoire de séjour ; d’autres y sont également hébergés pendant la procédure en raison de l’engorgement du dispositif spécifique aux demandeurs d’asile. Enfin, à l’issue de la procédure, les réfugiés et les personnes déboutées du droit d’asile sont, pour la plupart, hébergés dans des structures de droit commun.

Une bonne articulation entre les deux programmes budgétaires et, ce faisant, entre les deux politiques publiques, passe par une plus grande coordination de l’action des services de l’État et des opérateurs chargés des dispositifs d’accueil et d’hébergement des demandeurs d’asile et des personnes vulnérables. À cet égard, la loi sur la réforme de l’asile prévoit que le schéma national d’accueil des demandeurs d’asile soit arrêté par le ministre de l’intérieur, après avis des ministres chargés du logement et des affaires sociales. En outre, le plan d’action du Gouvernement présenté le 17 juin 2015 prévoit la mise en place d’un pilotage interministériel rapproché, entre le ministère de l’intérieur et celui chargé du logement, qui se réunira toutes les semaines, mais qui devrait être pérenne.

Il s’agit d’avancées importantes qui pourraient cependant se révéler délicates dans la mise en œuvre : des progrès sont, en effet, nécessaires pour remédier au défaut de connaissance et de suivi de l’ensemble des demandeurs d’asile, lequel exigerait une coordination plus efficace des acteurs chargés d’animer, au plan opérationnel, les dispositifs spécialisé et généraliste d’hébergement, à savoir les services de l’OFII, d’une part, et les services intégrés d’accueil et d’orientation (SIAO), d’autre part, et les systèmes d’information de ces deux dispositifs.

Une connaissance et un suivi des demandeurs d’asile à affiner

L’OFII, désormais chargé au sein des guichets uniques de l’hébergement, ne suit que les places d’hébergement proposées par les CADA, même si une expérimentation est en cours pour les places en hébergement d’urgence des demandeurs d’asile (HUDA). Les demandeurs d’asile hébergés chez des tiers ou dans les structures d’hébergement généraliste ne sont connus ni par l’OFII ni par le ministère chargé du logement. Il n’existe pas, en effet, de données chiffrées précises sur le nombre de demandeurs d’asile, de réfugiés et de personnes déboutées qui sont abrités dans les structures d’hébergement de droit commun.

L’administration fait valoir le caractère non obligatoire du renseignement des informations relatives à la situation administrative des demandeurs d’une place en hébergement généraliste et les réticences des gestionnaires à les renseigner. En dépit d’initiatives récentes, tels que les diagnostics territoriaux dits « à 360 ° » (de la rue au logement) prévus dans le plan pluriannuel contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale, il n’est pas prévu de recenser les demandeurs d’asile et les personnes déboutées du droit d’asile, hébergés dans les structures financées par le programme 177. De plus, ne sont connus ni le nombre de demandeurs ayant une autorisation de travail, ni le nombre de demandeurs d’asile déboutés demandant une autorisation provisoire de séjour pour soins ou ayant été régularisés, ni le nombre de personnes déboutées étant assignées à résidence ou ayant bénéficié d’une aide au retour.

Une politique publique ne peut être correctement mise en œuvre si l’administration ne dispose pas des données nécessaires à un état des lieux précis afin de définir les actions à mener, avant d’en évaluer l’efficacité et l’efficience. L’absence de connaissance et de suivi des demandeurs d’asile hébergés dans les structures de droit commun risque ainsi de fragiliser notamment la mise en œuvre de l’hébergement directif qui constitue une mesure importante de la réforme (cf. infra point III). Il importe donc que le ministère de l’intérieur, le ministère chargé des affaires sociales et le ministère chargé du logement se mettent en capacité de regrouper l’ensemble des données du parcours des demandeurs d’asile pour assurer leur suivi, au cours de la procédure, quel que soit leur lieu d’hébergement et, à l’issue de celle-ci, pour les personnes déboutées qui demeurent sur le territoire national.

De même, si un progrès important va résulter de la mise au point du système d’information transversal (SI) Asile, permettant la communication entre les systèmes d’information de l’OFII, de l’OFPRA et du ministère de l’intérieur, les demandeurs d’asile hébergés chez un tiers ou dans les structures de droit commun n’y seront pas suivis en ce qui concerne leur hébergement. L’absence de système d’information national dans le champ de l’hébergement d’urgence généraliste complique, en outre, l’échange souhaitable des informations entre les différents acteurs de la politique de l’asile.

Le pilotage renforcé et la gestion optimale du dispositif d’accueil et d’hébergement des demandeurs d’asile impliquent ainsi de créer les conditions d’une bonne alimentation, pour les informations nécessaires, du système d’information Asile à partir des SIAO pour un pilotage efficace et complet de la politique de l’asile.

Des dépenses en forte croissance à mieux maîtriser

En 2013, l’ensemble des dépenses directes de la politique de l’asile s’est élevé à 690 M€, dont 540 M€ au titre du programme 303, auxquels il convient d’ajouter les dépenses de santé, eu égard aux droits spécifiques ouverts aux demandeurs d’asile (CMU1, CMU-C2 et AME3) et les frais de scolarisation des enfants qu’il est difficile d’évaluer avec précision.

Les crédits consacrés à l’asile, au sein du programme 303, sont en augmentation de 72 % entre les lois de finances initiales de 2009 et 2013 et de 52 % entre les lois de règlement de 2009 et 2014. Cette hausse est supérieure à celle du nombre de demandes d’asile adressées à la France, qui a atteint 36 % sur la même période. Les principaux postes de dépenses concernés sont le financement des centres d’accueil pour demandeurs d’asile, l’allocation temporaire d’attente (ATA) en hausse de 179 % entre 2009 et 2013, et le financement de l’hébergement d’urgence des demandeurs d’asile en augmentation de 106 %. Sur le programme 177, la dépense d’hébergement d’urgence a progressé de 89 % entre 2009 et 2014, en raison notamment de la prise en charge des personnes déboutées du droit d’asile.

Comme l’évolution des dépenses d’asile, qui dépend notamment de facteurs exogènes, est difficile à prévoir, la Cour constate, dans ses notes annuelles d’analyse de l’exécution budgétaire, une sous-budgétisation quasiment structurelle du programme 303, qui en affecte la sincérité. Ainsi, l’écart cumulé entre les crédits prévus en loi de finances initiale et l’exécution s’est élevé à 582 M€ entre 2009 et 2013. Pourtant, le programme 303 a bénéficié d’un  traitement exceptionnel sur cette période, le faisant échapper aux contraintes de la politique de maîtrise générale de la dépense publique.

Des tensions budgétaires devraient également apparaître en 2015 à la suite d’annulations de crédits, du gel de la réserve de précaution, du retard pris pour la mise en œuvre de la réforme par rapport au calendrier initialement envisagé et de besoins complémentaires au titre de l’ATA qui pourraient atteindre 200 M€. Ainsi, malgré les économies attendues de la mise en œuvre de la réforme, la programmation des crédits des programmes 177 et 303 pour les années 2015 à 2017 pourrait être insuffisante à cause de l’évolution à attendre des dépenses, ce qui appelle un renforcement encore amplifié du pilotage de celles-ci.

III. UN DISPOSITIF D’HÉBERGEMENT SPÉCIALISÉ À RATIONALISER

L’adaptation du dispositif d’hébergement des demandeurs d’asile devrait constituer une priorité afin de redonner aux structures d’hébergement de droit commun, aujourd’hui saturées, une capacité de réponse à l’ensemble des situations d’urgence.

L’engorgement des places d’hébergement

Moins d’un tiers des demandeurs d’asile est hébergé dans les structures spécifiques, les centres d’accueil pour demandeurs d’asile, financés par le programme 303 - Immigration et asile de la mission Immigration, asile et intégration. Ils y bénéficient d’un accompagnement, contrairement aux personnes accueillies dans les autres structures d’hébergement spécialisé, les hébergements d’urgence des demandeurs d’asile, qui comportent de nombreuses places en hôtels. Le ministère de l’intérieur reconnaît que moins de la moitié des demandeurs d’asile bénéficient d’un hébergement dédié4 à cause de la longueur des procédures, de la hausse du nombre de demandeurs d’asile jusqu’en 2013 et de la présence indue des déboutés (6 % des places en 2013 en moyenne mais jusqu’à 18,1 % dans les Pays de la Loire).

Il existe ainsi une situation d’inégalité entre les demandeurs d’asile selon leur mode d’hébergement. Leur accompagnement différencié selon le type d’hébergement ne présente pourtant pas de corrélation évidente avec le taux d’octroi du statut de réfugié, ce qui peut interpeller sur l’efficacité du modèle des CADA et justifier la recherche d’un meilleur dimensionnement des prestations de ces centres.

L’engorgement des hébergements pour les demandeurs d’asile se répercute sur l’hébergement d’urgence de droit commun, financé par le programme 177. Ce dernier est, lui aussi, saturé compte tenu des principes d’inconditionnalité de l’accueil5 et de continuité de la prise en charge6. Selon une enquête réalisée par la direction départementale de la cohésion sociale (DDCS) du Rhône en décembre 2012, les demandeurs d’asile occupaient 9 % des places de l’hébergement d’urgence de droit commun, les réfugiés 35 % et les personnes déboutées 25 %, soit un total de près de 70 %.

Lié à l’attente de la décision de l’OFPRA et de la CNDA puis, le cas échéant, d’une régularisation à un autre titre, le maintien des demandeurs d’asile dans les structures d’hébergement de droit commun peut entraîner un effet d’éviction des autres publics vulnérables auxquels ces structures sont destinées.

Une programmation des places d’hébergement en CADA à améliorer

Malgré l’augmentation du nombre total de demandeurs d’asile (hors procédure Dublin) de 18 500 entre 2009 et 2013, 1 000 places seulement d’hébergement en CADA ont été créées en 2009 et en 2012, 2 000 en 2013 et moins de 1 000 en 2014. Le ministère de l’intérieur a indiqué qu’il envisageait de disposer de 33 200 places en CADA d’ici 2017, contre 23 700 places en 2014, essentiellement par transformation d’HUDA en CADA. Au total, le nombre de places disponibles (CADA et HUDA) passerait de 48 900 en 2014 à 52 900 en 2015, avant de diminuer à 51 700 en 2017, soit une création nette de 2 800 places. Toutefois, dans le cadre de son plan d’action du 17 juin 2015, le Gouvernement a annoncé jusqu’à 4 000 places supplémentaires d’hébergement des demandeurs d’asile d’ici fin 2016, sans en préciser le statut (CADA ou HUDA en gestion nationale ou en gestion déconcentrée).

Ces créations de places sont annoncées au coup par coup, sans qu’un plan d’ensemble ait été défini pour en préciser le statut, le financement et le calendrier de réalisation. La réforme de l’asile consacrant les CADA comme « modèle pivot » pour l’hébergement des demandeurs d’asile, une véritable programmation est à développer, assortie, comme la réforme le prévoit, d’une adaptation du taux d’encadrement en CADA pour mieux maîtriser les coûts de l’hébergement ainsi que d’un assouplissement de leur statut juridique.

La Cour recommande en outre, dans le même sens, l’élaboration de référentiels de prestations et de coûts adaptés pour l’hébergement et l’accompagnement des demandeurs d’asile.

Un prérequis pour l’hébergement directif

En raison de l’insuffisance de la péréquation nationale et régionale pour l’hébergement des demandeurs d’asile, la loi sur la réforme de l’asile prévoit un schéma national de l’hébergement des demandeurs d’asile ayant pour finalité leur orientation directive. Les demandeurs d’asile seront, en effet, orientés de façon contraignante vers les places disponibles, y compris hors du lieu de leur première demande d’accueil. Toutefois, en cas de refus, ils devront renoncer à l’allocation pour demandeur d’asile (ADA) et ne devraient plus pouvoir être hébergés dans les structures de droit commun financées par le programme 177. La loi portant réforme de l’asile prévoit, en effet, que l’OFII devra informer les SIAO de l’identité des demandeurs d’asile qui ont refusé l’offre d’hébergement. Les SIAO devront tenir compte de ce refus et ne pourront en principe orienter ces personnes sur des places d’hébergement d’urgence financées par le programme 177 que si elles sont dans une situation de détresse.

Cependant, la mise en œuvre de l’hébergement directif risque de ne pas être effective car les SIAO, comme indiqué supra, ne distinguent pas les demandeurs selon leur situation et ne seront d’ailleurs pas tenus d’informer l’OFII des demandeurs hébergés dans les structures de droit commun. Compte tenu de l’organisation de l’hébergement d’urgence en France et de l’inconditionnalité de l’accueil à l’égard des personnes en situation de détresse, quelle qu’en soit l’origine, le demandeur d’asile pourra de facto être hébergé par les dispositifs de droit commun, même en cas de refus d’un hébergement au titre de la demande d’asile. Se trouve ainsi confirmée la nécessité de disposer de l’ensemble des données relatives aux parcours des demandeurs d’asile hébergés dans les structures dédiées mais aussi de droit commun.

IV. ÉVITER LA DILUTION DE LA POLITIQUE DE L’ASILE

Il appartient à la puissance publique, en se conformant aux textes législatifs et réglementaires sur les conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France, d’éviter que la relation nécessairement étroite entre la politique de l’asile et la politique de contrôle de l’immigration soit source de confusion.

Augmenter le taux de réadmission des demandeurs d’asile relevant du règlement Dublin

Le règlement dit Dublin III7 prévoit qu’un pays est désigné responsable pour l’instruction et la décision relatives à une demande d’asile, si les empreintes du demandeur d’asile ont déjà été enregistrées dans la base de données européennes EURODAC et si le demandeur admet, ou s’il peut être démontré, qu’il a traversé ou séjourné dans un autre pays. Il s’agit généralement du premier pays dans lequel le demandeur est entré sur le territoire européen. Dans ce cas, le demandeur d’asile doit être réadmis dans le pays responsable de la demande d’asile, dans un délai de 6 mois, pouvant être prolongé jusqu’à 18 mois en cas de fuite de l’intéressé. Alors qu’un objectif déjà peu ambitieux de 25 % de réadmissions est fixé par le ministère de l’intérieur8, le taux d’exécution des réadmissions des demandeurs d’asile sous procédure Dublin, inférieur à 13 %, est particulièrement faible en France, puisqu’il représente un demandeur relevant de cette procédure effectivement transféré sur huit. La mise en œuvre du règlement Dublin dépend de la bonne coopération entre les différents États membres et avec les personnes concernées. L’important taux d’échec des réadmissions s’explique notamment par la disparition de l’intéressé, dès la notification du refus de séjour jusqu’à l’expiration du délai de transfert, la multiplication des recours, la présentation incomplète d’une famille au moment du transfert ou la demande d’un autre titre de séjour. Ainsi, alors que les transferts avec délai prolongé ne représentaient que 13,5 % du total des transferts effectués en 2009, leur part s’est établie à 42,4 % en 2013.

La loi sur la réforme de l’asile prévoit la possibilité d’assigner à résidence des demandeurs d’asile, sous règlement Dublin, dès le début de la procédure, pour une durée maximale de six mois renouvelable une fois. La Cour ne peut qu’encourager le recours à cette nouvelle mesure. Au demeurant, la comparaison avec les autres pays européens9 montre que certains États, qui ont des conditions d’accueil plus contraignantes pour les demandeurs d’asile relevant du règlement Dublin, obtiennent des taux de transfert vers la France beaucoup plus élevés : 53 % pour la Norvège et 82 % pour les Pays-Bas.

Renforcer le taux d’exécution des obligations de quitter le territoire français (OQTF)

74 % des demandes d’asile ont été rejetées chaque année en moyenne entre 2009 et 2013, en France. L’enquête de la Cour fait apparaître que le taux d’exécution des obligations de quitter le territoire français (OQTF), notifiées aux personnes déboutées du droit d’asile, est de 6,8 %10, à comparer avec une moyenne de 16,8 % pour l’ensemble des étrangers en situation irrégulière. Cependant, seule une personne déboutée sur deux reçoit une OQTF11.

In fine, plus de 96 % des personnes déboutées resteraient en France12, compte tenu, d’une part, du taux d’exécution très faible des OQTF et, d’autre part, des procédures et des recours engagés par les demandeurs d’asile. Comme l’avait noté la Cour en 2009, « trois perspectives s’ouvrent [aux personnes déboutées] : repartir avec éventuellement une aide au retour, rechercher une régularisation ou venir grossir la population des résidents irréguliers en France »13. Il en résulte une politique publique de maintien sur le territoire national des personnes déboutées, qui paraît subie car elle n’est pas maîtrisée par l’État, pris entre le respect du principe de l’inconditionnalité de l’accueil de toute personne vulnérable, fixé à l’article L. 345-2-2 du code de l’action sociale et des familles, et celui des conditions de séjour régulier en France, imposées par l’article L. 311-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, à l’expiration d’un délai de trois mois. La loi sur la réforme de l’asile n’aborde pas la question des personnes déboutées du droit d’asile se maintenant sur le territoire français.

Néanmoins, le plan d’action du Gouvernement annoncé le 17 juin 2015 prévoit « la mise en œuvre d’une politique d’éloignement plus efficace dissuadant le maintien de personnes en situation irrégulière dans des structures d’hébergement d’urgence », en renforçant « très significativement l’utilisation de la capacité de 1 400 places [en centres de rétention] actuellement ouvertes en métropole », car seulement deux tiers des places de rétention sont occupées. Les dernières circulaires du ministère de l’intérieur relatives à la lutte contre l’immigration irrégulière font également de l’éloignement des personnes déboutées une priorité de l’action des préfets. Enfin, l’article 14 du projet de loi relatif au droit des étrangers prévoit des délais plus courts pour l’éloignement des personnes déboutées du droit d’asile.

La Cour prend acte de l’ensemble de ces mesures qu’elle appelle à amplifier pour lutter contre la sollicitation de la politique de l’asile au-delà de son objet et pour contribuer au rétablissement de son intégrité.

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La Cour formule donc les recommandations suivantes :

Recommandation n° 1 : veiller à la bonne mise en œuvre de la réduction à trois jours du délai d’enregistrement de la demande d’asile, en clarifiant le point de départ de ce délai et en précisant les motifs justifiant l’application du délai dérogatoire de dix jours ;

Recommandation n° 2 : enregistrer l’ensemble des données du parcours des demandeurs d’asile pour assurer leur suivi, au cours de la procédure, quel que soit leur lieu d’hébergement, et à l’issue de celle-ci, pour les personnes déboutées qui demeurent sur le territoire national ;

Recommandation n° 3 : créer les conditions d’une bonne alimentation, pour les informations nécessaires, du système d’information (SI) Asile, à partir des services intégrés d’accueil et d’orientation (SIAO) pour un pilotage efficace et complet de la politique de l’asile ;

Recommandation n° 4 : définir un plan pluriannuel de création de places en centres d’accueil pour demandeurs d’asile (CADA), s’inscrivant dans la programmation budgétaire triennale, en tenant compte de la baisse du taux d’accompagnement, et poursuivre les assouplissements en cours quant à leur statut juridique ;

Recommandation n° 5 : élaborer un référentiel de prestations et de coûts complets pour l’hébergement et l’accompagnement des demandeurs d’asile ;

Recommandation n° 6 : renforcer les mesures de nature à permettre la mise en œuvre effective et rapide de la procédure de réadmission des demandeurs d’asile, en application du règlement Dublin III ;

Recommandation n° 7 : augmenter le taux d’exécution, sous les garanties du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, des obligations de quitter le territoire français (OQTF) pour les personnes déboutées du droit d’asile.

-=oOo=-

Je vous serais obligé de me faire connaître, dans le délai de deux mois prévu à l’article L. 143-5 du code des juridictions financières, la réponse que vous aurez donnée à la présente communication14.

Je vous rappelle qu’en application des dispositions du même code :

- deux mois après son envoi, le présent référé sera transmis aux commissions des finances et, dans leur domaine de compétence, aux autres commissions permanentes de l’Assemblée nationale et du Sénat. Il sera accompagné de votre réponse si elle est parvenue à la Cour dans ce délai. À défaut, votre réponse leur sera transmise dès sa réception par la Cour (article L. 143-5) ;

- dans le respect des secrets protégés par la loi, la Cour pourra mettre en ligne sur son site internet le présent référé, accompagné de votre réponse (article L. 143-1) ;

- l’article L. 143-10-1 prévoit que, en tant que destinataire du présent référé, vous fournissiez à la Cour un compte rendu des suites données à ses observations, en vue de leur présentation dans son rapport public annuel. Ce compte rendu doit être adressé à la Cour, selon les modalités de la procédure de suivi annuel coordonné, convenue entre elle et votre administration.

Didier Migaud

1 CMU : couverture maladie universelle.

2 CMU-C : couverture maladie universelle complémentaire.

3 AME : aide médicale de l’État.

4 Plan d’action du Gouvernement « Répondre au défi des migrations : respecter les droits, faire respecter le droit », en date du 17 juin 2015.

5 Article L. 345-2-2 du code de l’action sociale et des familles.

6 Article L. 345-2-3 du code de l’action sociale et des familles.

7 Règlement (UE) N° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013.

8 Ce taux de 25 % apparaît dans la maquette budgétaire pour le financement de la réforme de l’asile de la direction générale des étrangers en France - DGEF (mai 2014).

9 Assemblée nationale, MEC. Rapport de Mme Jeanine Dubié et M. Arnaud Richard sur l’évaluation de la politique d’accueil des demandeurs d’asile. Mai 2014.

10 1 432 personnes déboutées du droit d’asile ont été éloignées sur 20 910 OQTF notifiées en 2014 selon la DGEF.

11 20 910 OQTF notifiées en 2014 pour 40 206 personnes déboutées selon la DGEF.

12 1 432 personnes déboutées du droit d’asile ont été éloignées sur 40 206 personnes déboutées en 2014.

13 Cour des comptes. Rapport public annuel 2009. La prise en compte de la demande d’asile : des améliorations à poursuivre. P. 603-630. La Documentation française, 2009, disponible sur www.ccomptes.fr.

14 La Cour vous remercie de lui faire parvenir votre réponse, sous votre signature personnelle exclusivement, sous forme dématérialisée (un fichier PDF comprenant la signature et un fichier Word) à l’adresse électronique suivante : greffepresidence@ccomptes.fr.