Madame la Présidente,

Par lettre en date du 2 décembre 2014, vous avez demandé à la Cour des comptes de procéder, en application du 2° de l’article 58 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances, à une enquête sur le Crédit immobilier de France.

En réponse à cette demande, j’ai l’honneur de vous transmettre le rapport sur Le Crédit immobilier de France que la Cour est prête à venir présenter devant votre commission.

J’en informe le ministre des finances et des comptes publics, la ministre du logement, de l’égalité des territoires et de la ruralité, ainsi que le Gouverneur de la Banque de France.

Par ailleurs, je vous précise que la Cour se réserve la possibilité d’utiliser dans des publications ultérieures les données analysées dans le présent rapport.

Je vous prie d’agréer, Madame la Présidente, l’expression de mes respectueux hommages.

Didier Migaud


ENTITES ET POLITIQUES PUBLIQUES

LE CREDIT IMMOBILIER DE FRANCE (CIF)

Communication à la commission des finances du Sénat

SEPTEMBRE 2015

AVERTISSEMENT             5

SYNTHÈSE          9

RECOMMANDATIONS  13

INTRODUCTION               15

CHAPITRE I  LA CONSTRUCTION D’UN RÉSEAU BANCAIRE PAR DES ACTEURS DE L’ACCESSION À LA PROPRIÉTÉ               17

I - L’ÉVOLUTION DU GROUPE ET DE SES ACTIONNAIRES               17

A - La création d’un réseau bancaire spécialisé 17

B - La réforme de 2006 : une négociation difficile entre le CIF et l’État   18

II - LES SACICAP, DES ACTEURS AYANT CONSERVÉ LEURS SPÉCIFICITÉS 21

A - Un sociétariat diversement structuré et financièrement désintéressé          22

B - Des acteurs de l’accession à la propriété       24

III - LE GROUPE BANCAIRE À LA VEILLE DES DIFFICULTÉS              26

A - Un acteur du crédit hypothécaire     26

B - Une solidité satisfaisante en apparence        27

C - Un groupe peu profitable     29

CHAPITRE II  LES VULNÉRABILITÉS DE L’ORGANISATION ET DU MODÈLE DU GROUPE CIF            33

I - LES VULNÉRABILITÉS DE L’ORGANISATION    33

A - Une organisation trop décentralisée et insuffisamment adaptée à une gestion de crise       33

B - Des projets d’adossement non concrétisés 36

II - UN MODÈLE ÉCONOMIQUE ET DE FINANCEMENT SOURCE DE RISQUES        38

A - Un positionnement économique étroit         38

B - La constitution d’un encours de prêts risqué              41

C - Le modèle de financement : une fragilité majeure   45

III - L’INSUFFISANTE PRISE EN COMPTE DES ALERTES DU SUPERVISEUR               53

A - Une mise en garde difficilement acceptée sur les pratiques commerciales  53

B - La question de la hausse du ratio de solvabilité          54

CHAPITRE III  LA MISE EN EXTINCTION DU CIF : UNE DÉCISION CONTRAINTE     57

I - LA MOBILISATION RAPIDE DES ACTEURS PUBLICS      57

A - L’appel du groupe CIF à une intervention publique 57

B - Les conséquences immédiates de la menace de dégradation             60

II - L’ABSENCE D’ALTERNATIVE À LA MISE EN EXTINCTION          61

A - Des solutions examinées mais inopérantes 61

B - Un espoir sans lendemain de reprise du CIF par LBP               63

C - L’absence de marge de manœuvre au regard du droit des aides d’État         66

III - UN PLAN DE RÉSOLUTION EN PARTIE DÉROGATOIRE             70

A - Une garantie adaptée à l’extinction sur longue durée            70

B - Des conditions financières spécifiques           73

C - Les conséquences opérationnelles pour le groupe CIF           76

IV - LES CONDITIONS DE DÉPART DES DIRIGEANTS EFFECTIFS    78

A - Des indemnités de départ légalement acquises        78

B - L’absence de moyens juridiques à la disposition de l’État     80

CHAPITRE IV  LES ENJEUX POUR L’AVENIR          83

I - LA BONNE EXÉCUTION DU PLAN DE RÉSOLUTION      83

A - La gestion des ressources humaines               83

B - Une transparence nécessaire sur les risques              89

C - L'indispensable coopération des actionnaires             91

II - L’IMPACT DE LA DISPARITION DU CIF SUR LES PRÊTS À L’ACCESSION À LA PROPRIÉTÉ            94

A - Une évaluation difficile         94

B - Un impact potentiellement négatif sur l’offre de crédit aux ménages les plus modestes      96

C - L’existence d’une offre alternative plus sélective     99

III - L’IMPACT DE LA DISPARITION DU CIF SUR LES MISSIONS SOCIALES DE SES ACTIONNAIRES 101

A - Des interventions sociales ciblées mais modestes    101

B - Un bilan contrasté de la convention avec l’État          107

C - Un avenir en question           111

CONCLUSION    117

ANNEXES            119


Avertissement

En application du 2° de l’article 58 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF), la Cour des comptes a été saisie par la présidente de la commission des finances du Sénat le 2 décembre 2014 d’une demande d’enquête portant sur « le Crédit immobilier de France » à laquelle le Premier président de la Cour des comptes a répondu par lettre du 11 décembre 2014.

Il a été convenu avec le rapporteur spécial de la commission des finances du Sénat rencontré le 14 janvier 2015 et acté dans un courrier du Premier président daté du 20 janvier 2014 que l’enquête de la Cour porte sur :

- les raisons qui expliquent la situation de crise connue par le CIF en 2012, en distinguant les fragilités intrinsèques du groupe et ses modalités de gestion, d’une part, et les défaillances éventuelles dans le contrôle et la surveillance par les autorités publiques, d’autre part ;

- la mise en œuvre du plan de résolution, s’agissant notamment de son impact éventuel sur les finances publiques et de la mise en œuvre du plan social ;

- la manière dont les missions spécifiques du groupe sont assumées par d’autres organismes de crédit ;

- la façon dont les sociétés anonymes coopératives d’intérêt collectif pour l’accession à la propriété (SACICAP), actionnaires du CIF, s’acquittent de leurs « missions sociales » depuis la mise en extinction du groupe bancaire.

La compétence de la Cour, qui se fonde sur les articles L. 111-7, L. 133-2 et R. 133-4 du code des juridictions financières, a été constatée par le procureur général près la Cour dans un avis du 12 mars 2015.

Aux termes de cet avis, la Cour est compétente pour contrôler, au sein du groupe Crédit immobilier de France (CIF), les comptes et la gestion, à partir de l’exercice 2013 et jusqu’à la période actuelle :

- de Crédit immobilier de France Développement (CIFD), société anonyme, compagnie financière au sens de l’article L. 517-1 du code monétaire et financier, organe central du groupe ;

- et de ses filiales, notamment les sociétés financières régionales (SFR), CIF Euromortgage (CIF€) et la Caisse centrale du Crédit immobilier de France (3CIF).

La Cour ne dispose pas, en revanche, d’une compétence générale1 pour contrôler les comptes et la gestion des sociétés anonymes coopératives d’intérêt collectif pour l’accession à la propriété (SACICAP), actionnaires du CIF, ou de leur organe fédéral, l’Union d’économie sociale pour l’accession à la propriété (UES-AP) dont les statuts sont régis par les dispositions des articles L. 215-1 à L. 215-9 du code de la construction et de l’habitation.

L’enquête de la Cour a été notifiée le 19 février 2015 par le président de la première chambre au président du conseil d’administration de Crédit immobilier de France Développement (CIFD), au président du conseil de surveillance de La Banque Postale ainsi qu’aux autorités publiques concernées2.

Les investigations de la Cour se sont appuyées sur l’analyse des réponses reçues aux questionnaires et sur les documents communiqués par le CIF, l’UES-AP et les administrations concernées, y compris ceux portant sur la période antérieure à 2013. La Cour a accès aux informations détenues par les autorités publiques sur lesquelles sa compétence est permanente et non limitée dans le temps. Près de soixante entretiens ont été conduits avec les anciens et actuels responsables du CIF ainsi qu’avec les principaux acteurs, publics et privés, du dossier. Le groupe CIF a apporté tout son concours au bon déroulé de l’enquête.

S’agissant des SACICAP, pour répondre à la commande de la commission des finances du Sénat, les rapporteurs se sont référés aux informations publiques, aux comptes publiés par ces sociétés ainsi qu’aux informations transmises, en réponse à leur demande, par l’UES-AP ou les responsables de certaines de ces sociétés. En l’absence de compétence de la Cour pour contrôler les comptes et la gestion des SACICAP, ils ont concentré leur analyse sur les missions sociales exercées par les SACICAP définies dans le cadre d’une convention conclue avec l’État en application de l’article L. 215-1-2 du code de la construction et de l’habitation.

Les rapporteurs ont également effectué des déplacements à Lille, Lyon et Marseille pour rencontrer les responsables locaux des sociétés financières régionales (SFR), filiales de CIFD, et des SACICAP, ainsi que leurs principaux partenaires.

Un relevé d’observations provisoires, délibéré par la première chambre de la Cour des comptes, a été adressé le 17 juin 2015 aux personnes concernées en application de l’article R. 141-8 du code des juridictions financières.

Il a été procédé, en application de l’article L. 141-9 du même code, à l’audition du chef du service du financement de l’économie de la direction générale du Trésor, du président et du directeur général de CIFD, du président de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, du directeur de l’habitat, de l’urbanisme et des paysages au ministère chargé du logement, de MM. Sadoun et Bouvard, anciens présidents-directeurs généraux de CIFD, et Morlat, ancien directeur général.

Le présent rapport a été délibéré le 2 septembre 2015 par la première chambre présidée par M. Briet, président de chambre, et composée de M. Briet, président de chambre, MM. Chouvet, Courtois et Dubois, conseillers maîtres, et Mme Morell, conseillère maître, M. Melmoux-Eude, conseiller référendaire, et Mme Eloy, rapporteur extérieur, étant rapporteurs et Mme Saliou, conseillère maître, étant contre-rapporteur.

Il a ensuite été examiné et approuvé le 8 septembre 2015 par le comité du rapport public et des programmes de la Cour des comptes, composé de MM. Migaud, Premier président, Durrleman, Briet, Mme Ratte, MM. Paul, rapporteur général du comité, Duchadeuil, Piolé, Mme Moati, présidents de chambre, et M. Johanet, procureur général, entendu en ses avis.

Synthèse

Le CIF est un réseau bancaire spécialisé…

À la veille de ses difficultés, le Crédit immobilier de France (CIF) est un groupe de taille modeste, spécialisé dans l’accession à la propriété, qui a rapidement développé sa production à la faveur d’un marché immobilier porteur. Son activité est peu diversifiée, même si le segment de l’investissement locatif a été développé dans la période qui a précédé les difficultés de 2012. Ne recevant pas de dépôts, le groupe se finance exclusivement sur les marchés financiers.

Le CIF est ainsi un groupe atypique dans le paysage bancaire français du fait, notamment, de l’histoire particulière de ses actionnaires historiques, les sociétés anonymes coopératives d’intérêt collectif pour l’accession à la propriété (SACICAP).

construit par des acteurs de l’accession à la propriété

Les SACICAP sont les héritières des anciennes sociétés de crédit immobilier (les SACI), constituées au début du XXème siècle pour favoriser le financement et la construction de logements au bénéfice de ménages modestes. Contraintes de se moderniser à la suite de la suppression ou de la libéralisation progressive des prêts réglementés qu’elles distribuaient de façon oligopolistique, les SACI ont donné naissance, au début des années 1990, à un véritable réseau bancaire spécialisé, structuré par la loi et calqué sur un modèle d’inspiration mutualiste : le CIF.

Si elles ne sont plus soumises à la réglementation HLM et ont définitivement perdu leur agrément bancaire depuis 2006, les SACICAP conservent un statut et des missions spécifiques encadrés par la loi. Elles se distinguent des sociétés concurrentielles par leur sociétariat financièrement désintéressé mais elles s’en rapprochent fortement par leurs activités immobilières qui constituent aujourd’hui leur cœur de métier. Avec les dividendes qu’elles percevaient de leurs filiales bancaires, elles ont financé notamment des « missions sociales » dans le cadre d’une convention avec l’État. Elles ont contribué au financement de la politique publique du logement à hauteur de 500 M€ en 2006.

Le modèle économique du CIF était peu profitable

Centrée sur l’accession à la propriété des ménages modestes et sur l’activité de crédit aux investisseurs locatifs, la politique de prêts du groupe concernait des prêts longs, à des conditions largement « hors marché ». Pendant la période 2004-2008, la banque a constitué un encours de crédits risqué en raison de la nature de sa clientèle. Son modèle économique était vulnérable en raison des possibles retournements des prix immobiliers et de la conjoncture économique qui affectent particulièrement sa clientèle d’emprunteurs plus fragile que la moyenne des emprunteurs de crédit immobilier.

La rentabilité du groupe était limitée du fait de faibles marges mais elle a été jugée suffisante par les actionnaires qui recevaient un dividende.

Son modèle financier n’a pas pu résister aux chocs de la crise

La crise financière de 2008, et son aggravation au sein de la zone euro en 2011-2012, ont fortement affecté la solidité de toutes les banques européennes. Le CIF n’a pu y résister compte tenu de ses particularités d’acteur spécialisé, sans adossement et recourant exclusivement aux ressources de marché. Si le groupe n’a pas connu de difficultés particulières au début des années 2000, et a pu surmonter les tensions de 2008, celles de 2011, particulièrement graves, ont montré que le fonctionnement du modèle financier atteignait ses limites.

Dans un contexte général de difficultés de refinancement, la chute de l’établissement a été précipitée par l’organisation très spécifique du groupe qui reposait sur une trop grande proximité entre la société de crédit foncier (CIF Euromortgage ou CIF€) et la centrale de trésorerie (3CIF). Leur imbrication étroite a été la cause directe du risque de défaut intervenu en février 2012. L’absence de préparation au scénario de dégradation par les agences de notation de la note de 3CIF et le considérable affaiblissement des marges de manœuvre lors des signaux d’alerte de la fin de 2011 démontrent que les dirigeants n’avaient pas su protéger le CIF contre la dégradation du contexte financier qui allait se produire début 2012.

Les fragilités du groupe ont été insuffisamment prises en compte par les instances dirigeantes

La gouvernance mise en place dans les années 1990 n’a pas pris toute la mesure des risques qui pesaient sur le CIF depuis 2008 ou bien n’a pas su y répondre à temps. La gouvernance du CIF était très décentralisée et faisait souvent prévaloir les intérêts des filiales régionales sur ceux de l’organe central. Son conseil d’administration, privé d’administrateur indépendant, était faiblement ouvert sur l’extérieur. Dans un tel contexte, la prise en compte des enjeux financiers par un groupe qui dépendait étroitement des marchés a sans doute été incomplète. Le conseil n’a pas été suffisamment réactif dans la crise.

L’absence d’adossement du groupe à un établissement bancaire plus puissant le privait d’actionnaire capable de le soutenir en cas de difficulté. A posteriori, l’erreur stratégique principale du CIF a été le refus de l’adossement avant la crise, alors que le groupe constituait une cible attractive, comme l’attestent les nombreuses marques d’intérêt des banques de la place à l’époque. En 2007 en particulier, le CIF a recherché activement un adosseur, avant de décliner toutes les propositions formulées, la gouvernance ayant craint une dilution de l’organisation et des structures du groupe dans un ensemble bancaire plus vaste.

Les risques pesant sur le CIF, dans un contexte où la confiance des investisseurs qui finançaient la banque pouvait être retirée, ont été perçus par le superviseur prudentiel, comme l’a traduit sa demande d’augmentation du ratio de solvabilité au titre du pilier 2 de la réglementation de Bâle. Cette alerte n’a pas été entendue par les dirigeants.

Le défaut du CIF, dont les conséquences pouvaient être systémiques, devait être évité

Compte tenu des risques de défiance qu’encouraient les autres émetteurs français d’obligations foncières, l’État, en accord avec la Banque de France, a jugé que son intervention était nécessaire et a écarté l’éventualité de laisser le CIF faire défaut dans le cadre des procédures de liquidation de droit commun. Le caractère systémique du défaut a été accepté par la Commission européenne.

L’État a examiné les différentes options envisageables

Au cours de l’année 2012, l’État a examiné de nombreuses voies d’action possibles pour éviter la mise en extinction du CIF. En particulier, la reprise du groupe par La Banque Postale (LBP) a été étudiée de manière très approfondie. Les risques ont néanmoins été jugés trop grands par LBP et l’opération ne s’est pas réalisée. L’option de la nationalisation a été écartée. Une intervention de la Caisse des dépôts et consignations (CDC) n’était pas possible : la reprise par un établissement sans aucune activité de banque de détail n’était pas pertinente ; un soutien en liquidité par la CDC aurait constitué une aide d’État. Le CIF ne pouvait pas être transformé en banque publique du logement, qui n’aurait été ni conforme au droit de l’Union européenne ni nécessairement utile à la politique publique du logement.

En l’absence de repreneur par un autre acteur bancaire, la mise en extinction s’est révélée inévitable

Le CIF, en l’absence de repreneur, pour des raisons liées à son modèle économique, ne pouvait être restructuré à court terme et rendu viable. L’octroi d’une garantie d’État, comme de toute autre forme de soutien public, avait pour contrepartie, compte tenu du droit des aides d’État et du caractère non viable de l’établissement, la mise en extinction.

Celle-ci n’a été que difficilement acceptée par la gouvernance du CIF, qui a mis en cause l’attitude de l’État jugée systématiquement « prédatrice ». L’analyse des dirigeants est largement liée au prélèvement opéré par la loi en 2006 sur les fonds propres des SACI. En tout état de cause, celui-ci n’explique pas les difficultés financières rencontrées en 2012. Le CIF s’est trouvé confronté cette même année à une crise de liquidité, malgré des fonds propres demeurés importants.

La mise en œuvre du plan de résolution doit se poursuivre conformément au plan initial, sous l’égide d’une gouvernance stabilisée

Le plan de résolution est dérogatoire à la doctrine de la Commission européenne en ce qu’il permet une distribution de dividendes aux actionnaires et le maintien en place de la gouvernance. La rémunération de la garantie est, elle, conforme à la doctrine européenne et représente la contribution des actionnaires.

Le plan de résolution se déroule sur une très longue période. La perspective d’une distribution de fonds propres aux actionnaires permet en principe d’aligner leurs intérêts avec ceux de l’État garant et de sécuriser ainsi le bon déroulement du plan.

La mise en résolution ordonnée s’est tout d’abord traduite par le départ de 1 200 collaborateurs dans le cadre d’un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) qui sera reconduit chaque année jusqu’à extinction totale du bilan. Les salariés du groupe bénéficient de conditions de départ très avantageuses négociées dans le cadre d’un accord collectif de gestion sociale dont le coût total pour l’entreprise s’élève à 600 M€, soit 275 000 € en moyenne par salarié. Ces conditions se sont révélées à ce stade peu incitatives pour les reclassements externes.

La mise en œuvre de la résolution a permis des avancées, notamment en termes de meilleure transparence sur les risques et de gestion plus industrialisée du groupe. Des difficultés de gouvernance sont néanmoins intervenues en 2014 et 2015. Les intérêts de l’État garant et ceux des actionnaires, qui ont été maintenus et sont susceptibles de bénéficier d’un boni de liquidation, sont pourtant étroitement liés. Il n’existe pas de marge de manœuvre pour renégocier les modalités de ce plan avec la Commission européenne.

L’État et le CIF doivent donc éviter tout risque dans la mise en œuvre du processus. Dans le cas d’évènement grave affectant l’exécution du plan, l’État et le superviseur disposent des outils juridiques nécessaires pour y faire face, au titre de la supervision bancaire et des nouvelles dispositions introduites dans le droit national et européen sur la résolution bancaire.

L’impact de la disparition du CIF sur l’accès au crédit à l’habitat des ménages les plus modestes est difficile à apprécier

L’impact de la disparition du groupe bancaire sur le marché du crédit à l’habitat est difficile à évaluer tant les facteurs affectant aussi bien l’offre que la demande sont nombreux. Toutefois, certains indicateurs montrent que l’accès au crédit des ménages les plus modestes, qui étaient la cible principale des prêts distribués par le CIF, paraît moins aisé aujourd’hui. La Banque Postale s’est engagée, à la demande de l’État, à accélérer le déploiement de sa nouvelle offre d’accession sociale à la propriété qui se révèle cependant plus sélective que celle du CIF. En outre, il ne semble pas souhaitable, que les établissements de crédit distribuent des produits complexes à taux variables ou à paliers qui engendrent des risques importants pour les banques et leurs clients les plus fragiles.

Les missions sociales des SACICAP peuvent se poursuivre et gagneraient à s’inscrire dans le cadre d’une nouvelle convention avec l’État

Depuis le début des années 2000, les SACICAP finançaient, à partir des dividendes versés par leurs filiales, des « missions sociales » au profit de ménages modestes. Ces interventions, qui comportent des prêts et avances en faveur de la rénovation de l’habitat, s’élèvent à environ 35 M€ par an. Si elles sont modestes par leur montant, elles peuvent avoir un effet de levier à l’échelle locale.

En raison de l’arrêt du versement du dividende du CIF, la plupart des SACICAP a fortement diminué voire arrêté leur distribution de prêts et avances. D’autres, en meilleure situation du fait de la profitabilité de leur pôle immobilier, l’ont maintenue voire augmentée, témoignant de la forte hétérogénéité de ce réseau.

Plusieurs solutions ont été explorées au niveau national pour assurer la pérennité, sous une forme ou sous une autre, des missions sociales des SACICAP mais aucune n’a abouti à ce jour. Leur gouvernance et leur identité particulières rendent difficiles les partenariats avec des établissements bancaires désireux de développer le microcrédit social, comme l’a montré l’expérimentation infructueuse avec LBP.

L’arrivée à échéance, en 2017, de la convention signée avec l’État doit conduire les pouvoirs publics et l’organe fédéral des SACICAP, l’UES-AP, à poursuivre leurs réflexions sur la nature des missions sociales et sur l’éventuelle affectation à ces missions d’une partie au moins des dividendes que les SACICAP devraient percevoir dès 2018.

Recommandations

La Cour formule les trois recommandations suivantes :

1. Recommandation n° 1 : soumettre au Parlement l’adoption d’une disposition législative interdisant le versement d’indemnités de départ aux mandataires sociaux et dirigeants effectifs d’un établissement financier bénéficiant d’un concours financier public exceptionnel, rendu nécessaire pour éviter sa défaillance.

2. Recommandation n° 2 : (DG Trésor et CIF) : poursuivre le processus de résolution engagé conformément au plan agréé par la Commission européenne dans les conditions et le calendrier prévus et, en particulier :

a. achever sans délai le chantier de la transparence sur les risques (CIF) ;

b. poursuivre les opérations de fusion juridique des SFR avec CIFD et prendre les mesures d’organisation nécessaires à une gestion opérationnelle centralisée (CIF) ;

c. fixer à l’avance les dates de fermeture des plates-formes de gestion afin d’assurer la bonne mise en œuvre des plans de sauvegarde de l’emploi (CIF) ;

d. diminuer le montant de l’encours de la garantie interne en procédant à la réorganisation des filiales financières (CIF, DG Trésor) ;

e. stabiliser la représentation de l’État au sein du conseil d’administration de CIFD (DG Trésor).

3. Recommandation n° 3 : (DG Trésor et DHUP) : engager la renégociation de la convention entre l’État et les SACICAP afin de redéfinir le contenu des missions sociales et leurs modalités de financement.

Introduction

La Cour des comptes a été saisie par la commission des finances du Sénat d’une demande d’enquête sur le Crédit immobilier de France, établissement bancaire dont l’activité a été mise en extinction en 2013 en contrepartie de l’octroi, par l’État, d’une garantie publique dont les conditions ont été négociées avec les autorités européennes.

Le groupe Crédit immobilier de France (CIF) présente plusieurs spécificités qui le distinguent des autres acteurs du paysage bancaire français.

La première tient à son actionnariat atypique. L’organe central, Crédit immobilier de France Développement (CIFD) comme les sociétés financières régionales (SFR) et ses autres filiales, sont contrôlés par les 56 sociétés anonymes coopératives d’intérêt collectif pour l’accession à la propriété (SACICAP) dont les activités, ancrées à l’échelle locale, sont principalement immobilières. La gouvernance du groupe, fortement décentralisée, reflète la nature particulière de cet actionnariat et s’apparente, dans une certaine mesure, à celle des banques mutualistes.

La deuxième spécificité tient à son modèle de financement. En l’absence de dépôts, le CIF se refinançait exclusivement sur les marchés financiers par émission de dettes sécurisées (obligations foncières) et non sécurisées (obligations classiques) à l’aide de deux établissements : une société de crédit foncier, CIF Euromortgage (CIF€) et une centrale de trésorerie, la caisse centrale du Crédit immobilier de France (3CIF).

Le troisième trait concerne son activité et sa clientèle. Acteur parmi d’autres de l’accession à la propriété, le CIF distribuait des prêts libres et conventionnés à des ménages principalement modestes. Les produits vendus à cette clientèle se caractérisaient par une durée très longue pouvant aller jusqu’à 30 ans, des taux révisables ou à paliers et des quotités de financement souvent supérieures à 100 %. Dans la période qui a précédé la crise, le CIF avait également fortement développé les prêts aux investisseurs locatifs.

À la fin de l’année 2012, le bilan du CIF s’élevait à 41,4 Md€ (dont 34,7 Md€ d’encours de crédit), son produit net bancaire était de 462,7 M€ et le groupe employait environ 2 500 salariés.

Après plusieurs alertes et à la suite de la dégradation de sa notation par l’agence Moody’s le 28 août 2012, le CIF a reçu une garantie de l’État plafonnée à 28 Md€ dont les termes ont été arrêtés par la loi de finances pour 2013 du 29 décembre 2012.

Cette garantie – qui constitue une aide d’État au sens du droit de l’Union européenne – a été notifiée à la Commission européenne à titre temporaire le 14 février 2013. La Commission l’a approuvée à titre définitif le 27 novembre 2013, en contrepartie de la mise en œuvre d’un « plan de résolution ordonnée », c’est-à-dire une mise en extinction complète des activités du groupe sur une très longue période qui doit s’achever en 2035 au plus tard.

Ce plan de résolution ordonnée présente des particularités fortes. Conclu avant l’adoption du nouveau régime européen de résolution prévu par la directive 2014/59 du 15 mai 2014 dite « BRRD », il est soumis au régime des aides d’État au secteur financier. Toutefois, compte tenu de l’importante capitalisation du CIF au moment de ses difficultés, ce plan est en partie dérogatoire à la pratique de la Commission européenne. Il prévoit en effet le maintien des actionnaires tout au long de la résolution et la possibilité, pour ces derniers, de percevoir des dividendes dès 2018.

Ce plan de résolution, engagé à la fin de l’année 2013, se déroule dans un contexte difficile, conflictuel au sein du CIF et avec l’État. Les conséquences sociales lourdes de la résolution, les risques du bilan, l’incertitude sur la réalisation des espérances des actionnaires et l’instabilité de la gouvernance sont des enjeux qui conditionnent la bonne exécution du processus.

Dans ce contexte, le présent rapport livre l’analyse de la Cour, après avoir ordonné l’enquête autour des questions suivantes :

Comment le CIF en est-il arrivé à une situation aussi critique ? Pourquoi l’État a-t-il dû intervenir ? Existait-il des alternatives à la mise en résolution ordonnée ? Quels sont les risques futurs pour les finances publiques ? Quelles sont les conséquences de la disparition du CIF sur le crédit à l’habitat aux ménages modestes et sur les activités des SACICAP ?

Après avoir rappelé l’histoire du groupe et de ses actionnaires, le présent rapport revient sur les spécificités du CIF et des SACICAP (chapitre I). Il analyse ensuite les vulnérabilités du groupe CIF qui permettent de mieux comprendre la crise qu’il a traversée en 2012 (chapitre II). Le rapport explique les conditions dans lesquelles l’État est intervenu et a négocié le plan de résolution ordonnée (chapitre III). Enfin, il expose les enjeux de la disparition du CIF pour l’État, pour le crédit à l’habitat et pour les SACICAP (chapitre IV).

Chapitre I

La construction d’un réseau bancaire par des acteurs de l’accession à la propriété

Le réseau bancaire a été créé par la loi en 1991, dans le contexte de la libéralisation progressive du crédit à l’habitat, à partir des sociétés anonymes de crédit immobilier (SACI), spécialisées dans la distribution de prêts réglementés. Ce réseau s’est progressivement structuré et développé dans le champ concurrentiel. Ses actionnaires historiques, les SACI, ont connu une réforme d’envergure en 2006, négociée avec l’État qui a opéré un prélèvement budgétaire sur leurs fonds propres.

À la veille de ses difficultés, le CIF est un groupe bancaire, de taille modeste, spécialisé dans le crédit immobilier et ne recevant pas de dépôts.

I - L’évolution du groupe et de ses actionnaires

A - La création d’un réseau bancaire spécialisé

1 - Le contexte de la libéralisation du crédit à l’habitat

Les SACI n'avaient pas fait l'objet de réformes institutionnelles substantielles depuis que la loi bancaire du 24 janvier 1984 leur avait conféré le statut d'établissements de crédit. Depuis 1977, elles distribuaient le prêt pour l’accession à la propriété (PAP), prêt réglementé, aux côtés du Crédit Foncier de France et du Comptoir des entrepreneurs.

La distribution de ces prêts réglementés, qui bénéficiaient d’un taux inférieur au taux offert par les banques et dont l’enveloppe était fixée annuellement par l’État, constituait la principale activité bancaire des SACI, en plus de leurs missions de construction et de promotion de logements sociaux3. Le montant des PAP distribuable, fixé par une enveloppe annuelle en loi de finances, a fortement diminué au cours de cette période4, contraignant les SACI à s’organiser en un véritable réseau bancaire concurrentiel. Les PAP ont été définitivement supprimés en 1995 alors que les autres prêts réglementés – le prêt à l’accession sociale et le prêt à taux zéro – ont été libéralisés, respectivement en 1993 et 1995.

Dans ce contexte, la loi du 15 mai 1991 a organisé les SACI en réseau, autour de deux entités centrales : la chambre syndicale, organe central du réseau, qui agrée les dirigeants des établissements de crédit membres du réseau, et qui gère un fonds de garantie assurant sa solvabilité ; une caisse centrale, ancêtre de la 3CIF. Cette réforme a permis le développement d’une activité concurrentielle, bancaire et immobilière, par l’intermédiaire de filiales, en parallèle du maintien d’une activité réglementée exercée en direct par les SACI.

Compte tenu de l’obligation faite aux SACI d’exercer leurs activités concurrentielles au travers de filiales, les SACI ont créé en 1993 les sociétés financières régionales (SFR), au nombre de 23 sur l’ensemble du territoire à cette date. Les SFR ont le statut de sociétés financières. Leur objet social est de distribuer des crédits à l’habitat dans le champ concurrentiel. Elles ont une compétence territorialement limitée. Elles sont affiliées au réseau et donc soumises à la compétence de la chambre syndicale, organe central au sens de la loi bancaire.

2 - La fin de l’activité bancaire des SACI et la structuration du réseau CIF

La société Crédit immobilier de France Développement (CIFD), mise en place en 1993, est devenue la holding de tête de ce réseau. Lors de la création des SFR en 1993, elle détenait 34 % de leur capital. Entre 1999 et 2001, CIFD est devenue majoritaire dans les SFR. CIFD est détenue conjointement par l’ensemble des SACI, qui détiennent également, au niveau local, la ou les SFR de leur ressort géographique.

Les SFR interviennent exclusivement dans le champ concurrentiel. Contrairement aux SACI, elles sont fiscalement « banalisées » et peuvent distribuer des prêts libres. En 1999, les SACI ont cessé définitivement leur activité de prêts réglementés. Les encours ont été intégralement transférés au bilan des SFR à la fin de l’année 2001. Parallèlement, le pôle immobilier des SACI (promotion, construction et gestion) était filialisé.

B - La réforme de 2006 : une négociation difficile entre le CIF et l’État

1 - Une réforme nécessaire du statut des SACI

À partir du milieu des années 1990, le double statut des SACI, à la fois organismes HLM et établissements de crédit, n’était plus adapté à la réalité de leurs activités. En effet, les SACI contrevenaient aux règles bancaires dans la mesure où leur activité de crédit était totalement filialisée.

La Commission bancaire avait appelé à plusieurs reprises l'attention de l'État sur la nécessité d'une réforme législative permettant de retirer leur agrément en tant qu'établissements de crédit sans pour autant conduire à leur dissolution, ce que leurs textes fondamentaux prévoyaient.

De même, la qualification d'organisme HLM ne semblait plus adaptée car les SACI ne répondaient pas au critère de service d'intérêt général qui caractérise le statut HLM au sens de l’article L. 411-2 du code de la construction et de l’habitation, du fait de l'existence de filiales concurrentielles5.

La chambre syndicale des SACI a demandé, conformément à son rôle, une évolution du statut afin d'une part, de ne plus être en infraction répétée avec la législation bancaire et d'autre part, de moderniser le statut social. La clarification de la gouvernance des SACI était également un objectif.

Cette réforme attendue de longue date a été finalement engagée par l'article 51 de la loi n° 2006-872 du 13 juillet 2006 portant engagement national pour le logement, qui habilite le Gouvernement à réformer par ordonnance le statut des SACI. L'ordonnance n° 2006-1048 du 25 août 2006 a transformé les SACI en sociétés anonymes coopératives d'intérêt collectif pour l'accession à la propriété (SACICAP). La loi de ratification de l'ordonnance est intervenue le 18 décembre 20066. Elle a enrichi les dispositions de l'ordonnance. Ces deux textes définissent un nouveau statut pour les SACICAP, leur retirent la qualité d’établissements de crédit et les soustraient à la réglementation propre aux organismes HLM.

2 - Un prélèvement budgétaire négocié mais demeuré contesté

Les services de l'État souhaitaient saisir l’opportunité de cette réforme pour obtenir un adossement du groupe bancaire. L’État considérait qu’un adossement, c’est-à-dire une cession en tout ou partie à un autre acteur bancaire de parts détenues par les SACI dans le groupe, se traduirait pour ces dernières par une rentrée de trésorerie. Du point de vue de l’État, une partie de cette trésorerie devait revenir à la collectivité et en particulier contribuer à la politique publique du logement. L'État a clairement exprimé ses attentes d'un retour budgétaire significatif et ce point a fait l'objet d'intenses négociations avec la chambre syndicale.

Une partie de la représentation nationale n’a pas souhaité aller dans ce sens lors du débat parlementaire sur le projet de loi portant engagement national pour le logement. Aussi l'idée d'un adossement « forcé » du CIF a-t-elle été abandonnée. Une solution négociée entre le CIF et l’État conduisant à la réforme du statut des SACI et à un prélèvement exceptionnel sur les fonds propres des SACI est alors intervenue.

La légitimité de ce prélèvement et le caractère constitutionnel de la loi qui l’autorise demeurent contestés aujourd’hui par les dirigeants du CIF. L’État a souligné en 2006 que les fonds propres du réseau de l'ordre de 2,5 Md€ avaient pu être accumulés grâce au statut fiscal dérogatoire des organismes soumis au statut HLM7, à l'oligopole accordé aux SACI, au Crédit Foncier et au Comptoir des entrepreneurs, seuls habilités à distribuer les PAP à partir de 1977 ainsi qu'au fait que le statut des SACI limitait la distribution de dividendes et la valeur des actions détenues par les actionnaires8. Le CIF, de son côté, a souligné qu'ils étaient le résultat d'une bonne gestion et que les réserves avaient été accumulées alors que le groupe bénéficiait de moindres avantages que le Crédit Foncier.

Un « comité des sages » a été constitué au sein de la représentation nationale9. Le caractère d'impôt du prélèvement a été précisé10. Les SACI se sont finalement engagées à contribuer à titre exceptionnel pour 350 M€ en 2006 et 150 M€ en 2007, soit un total de 500 M€. Ces dispositions ont été inscrites dans l'ordonnance du 25 août 2006.

La solution votée par le Parlement a été négociée avec le président du CIF. A posteriori, cette décision a durablement dégradé les relations entre l’État et le CIF. Il faut souligner que ce prélèvement ne constitue pas un élément d’explication des difficultés financières du CIF en 2012. Le CIF s’est alors trouvé confronté à une crise de liquidité malgré des fonds propres demeurés importants.

3 - La refondation du réseau bancaire 

L'ensemble des SACI et de leurs filiales financières disparaissait juridiquement du fait de la transformation du statut des SACI. L'ordonnance de 2006 a consacré la fin du réseau bancaire antérieur mais la loi de ratification l'a reconstitué aussitôt en permettant aux SACICAP de détenir des participations. Un article L. 215-1-1 nouveau du code de la construction et de l’habitation autorise en effet les SACICAP à prendre ou à détenir directement ou indirectement des participations dans toutes sociétés commerciales du secteur concurrentiel ayant pour objet de réaliser des opérations dans le domaine de l'habitat ou de fournir des produits et services bancaires.

Plusieurs points techniques ont été en discussion lors du vote de la loi de ratification, en particulier la transformation de la chambre syndicale. La holding de tête, CIFD, est devenue l’organe central en lieu et place de l’ancienne chambre syndicale. Une structure fédérale des SACICAP, l’Union d’économie sociale pour l’accession à la propriété (UES-AP), a également été créée.

L’adossement était rendu juridiquement possible à partir du 1er janvier 2008, date de la fin de la période de transition, au cours de laquelle toutes les SACI devaient être transformées en SACICAP. À partir de cette date, la disparition du rôle de CIFD comme organe central était prévue sans intervention du législateur, dès lors que les SACICAP ne détiendraient plus la majorité de son capital.

II -Les SACICAP, des acteurs ayant conservé leurs spécificités

Les sociétés anonymes coopératives d’intérêt collectif pour l’accession à la propriété (SACICAP) sont des sociétés coopératives d’intérêt collectif régies par les dispositions de la loi n° 47-1175 du 10 septembre 1947 modifiée portant statut de la coopération et par des dispositions spécifiques du code de la construction et de l’habitation. Ce statut, distinct de celui des organismes HLM, d’une part, et du droit commun des sociétés, d’autre part, en fait des acteurs atypiques de l’accession sociale à la propriété.

En 2014, 56 SACICAP se répartissent sur l’ensemble du territoire sans autre logique d’établissement que celle dictée par l’histoire. Ces sociétés se caractérisent par leur très forte hétérogénéité, tant du point de vue de leur actionnariat que de leur situation financière.

Carte n° 1 : implantation territoriale des SACICAP et de leurs groupes immobiliers

[A consulter dans le fichier word ou pdf joint]

A - Un sociétariat diversement structuré et financièrement désintéressé

Le sociétariat des SACICAP, dont les origines remontent au début du XXème siècle, est, lui aussi, le fruit de l’histoire. Essentiellement composé à l’origine de personnes physiques ou morales représentatives du tissu économique local, il s’est progressivement élargi à d’autres acteurs publics ou privés investis dans la politique du logement (collectivités locales, collecteurs du « 1 % logement », organismes HLM, etc.).

Le statut des SACICAP, déterminé par la loi11, encadre très strictement la composition de leur sociétariat. Doivent obligatoirement figurer parmi les associés : les salariés, les bénéficiaires des opérations d’accession à la propriété de l’habitat, les collectivités territoriales et les organismes d’habitation à loyer modéré. Peut également participer à ces sociétés toute personne physique souhaitant contribuer bénévolement à l’activité des sociétés ou toute personne morale participant par tout autre moyen à la réalisation de leurs objectifs. Les droits de vote sont déconnectés de la participation au capital social de la société.

Conformément au système coopératif, les associés sont regroupés au sein de collèges dont un détient obligatoirement 50 % des droits de vote en assemblée générale, exerçant de facto un pouvoir de contrôle sur la société. Le conseil d’administration de la société est le reflet de cet actionnariat, les fonctions de président – lorsqu’elles sont exécutives – étant assumées par un représentant du collège quasi majoritaire. Le conseil est souvent composé d’administrateurs qui exercent par ailleurs un très grand nombre de mandats.

Graphique n° 1 : collège « majoritaire » des SACICAP

[A consulter dans le fichier word ou pdf joint]

À ce jour, la plupart des sociétés est contrôlée par des collèges composés de personnes physiques ou morales issues du tissu économique local (dirigeants d’entreprises, caisses d’épargne, etc). Huit SACICAP sont contrôlées par les comités interprofessionnels du logement (CIL)12, six par des organismes HLM et une par les collectivités territoriales (Procivis Alsace).

Les SACICAP sont dotées d’un régime financier de « lucrativité très limitée ». En effet, les dividendes versés à leurs associés ne peuvent excéder un taux défini par les statuts de chaque société qui est au plus égal au taux moyen de rendement des obligations des sociétés privées (TMO)13. De même, le versement de jetons de présence aux administrateurs est très encadré. En conséquence, les SACICAP utilisent les dividendes versés par leurs filiales en placement de trésorerie pour financer les prêts relatifs aux missions sociales (cf. infra) et en investissement dans les activités immobilières (recapitalisation des filiales, achat d’autres sociétés).

B -Des acteurs de l’accession à la propriété

1 -Un objet large, défini par la loi

Si la réforme de 2006 a, en partie, permis de « banaliser » le statut des SACICAP, leurs missions et leur organisation sont toujours régies par des dispositions spécifiques du code de la construction et de l’habitation. L’objet social des SACICAP, défini par l’article L. 215-1 du code de la construction et de l’habitation, est double :

- à titre principal, réaliser toutes opérations d’accession à la propriété de l’habitat destinées à des personnes dont les revenus sont inférieurs à un plafond de ressources fixé par la loi ;

- à titre subsidiaire, réaliser, notamment dans un objectif de mixité sociale, toute opération d’aménagement destinée en tout ou partie à des opérations d’habitat ainsi que toute opération de construction, rénovation et prestation de services liées à l’habitat.

Cet objet social est défini de façon particulièrement large. La notion d’« accession à la propriété »se heurte à un problème de définition. L’objet subsidiaire est quant à lui défini de façon trop large pour ne pas rapprocher les SACICAP des entreprises du secteur concurrentiel. Enfin, cet objet social n’est pas directement rempli par les SACICAP, qui sont des sociétés faîtières, mais par leurs différentes filiales.

2 - Des holdings à forte dominante immobilière

La loi autorise les SACICAP à détenir des participations directes ou indirectes dans des sociétés ayant pour objet soit la réalisation d’opérations liées à l’habitat, soit la fourniture de produits et services bancaires concourant aux opérations liées à l’habitat. Ces participations doivent obligatoirement être supérieures à un tiers du capital des sociétés.

Les activités des sociétés dans lesquelles les SACICAP détiennent, seules ou conjointement avec d’autres SACICAP des participations, s’exercent dans le champ concurrentiel mais visent, dans la plupart des cas et sans que cela soit systématique, des populations modestes, cibles des politiques d’accession sociale. Contrairement aux SACI, qui pouvaient bénéficier d’une exonération d’impôt sur les sociétés, les SACICAP sont imposables à l’impôt sur les sociétés dans les conditions de droit commun.

En pratique, les SACICAP sont des structures faîtières extrêmement légères, dotées d’un ou deux salariés14, qui gèrent des participations dans des sociétés que l’on peut regrouper au sein de deux pôles :

- un pôle financier qui regroupe les participations détenues dans une ou plusieurs sociétés financières régionales et dans CIFD ;

- un pôle immobilier constitué généralement de participations dans plusieurs sociétés exerçant des activités immobilières, notamment, de promotion, de construction et de gestion.

Schéma n° 1 : structure type d’une SACICAP

[A consulter dans le fichier word ou pdf joint]

Compte tenu de la forte autonomie de la branche crédit par ailleurs soumise au contrôle d’un organe central, les SACICAP ont principalement développé, avant même la mise en extinction du CIF, les activités du pôle immobilier que l’UES-AP a tenté de structurer autour de plusieurs marques.

Les activités – peu nombreuses – gérées en direct par les SACICAP sont, d’une part, les missions sociales et, d’autre part, les participations à certaines opérations immobilières, notamment de promotion, sans l’intermédiaire d’une filiale.

III -Le groupe bancaire à la veille des difficultés

A -Un acteur du crédit hypothécaire

Peu de groupes sont spécialisés dans la distribution de crédits hypothécaires. Le plus important est le Crédit Foncier de France, filiale du groupe BPCE depuis 2000. La spécialité de ces acteurs est la distribution de prêts immobiliers aux ménages garantis par des hypothèques sur le bien financé ou par une caution. Une partie de ces prêts entre dans le champ de l’accession sociale à la propriété et est soumise à une réglementation. Les établissements sont spécialisés : ils n’exercent pas d’autres activités. En particulier, ils ne collectent pas de dépôts.

L’absence de dépôts pour le CIF résulte de son histoire. Ses évolutions dans le temps n’en ont pas fait un acteur bancaire de plein exercice. Le groupe comprend des établissements de crédit, contrôlés par la compagnie financière holding et tête du groupe, CIF Développement (CIFD). Les liens capitalistiques entre les différentes structures sont partagés entre cette holding et les actionnaires de CIFD que sont les SACICAP. Celles-ci sont des actionnaires minoritaires mais néanmoins très importants, à 49 %, des établissements régionaux que sont les SFR.

Les SFR, au nombre de neuf en 2012, sont chargées de distribuer les crédits immobiliers aux clients. Leur objet social est la fourniture à toute personne de produits et services bancaires concourant aux opérations liées à l'habitat y compris leurs annexes et accessoires. Elles disposent d’un conseil d’administration. Leurs directeurs généraux sont des mandataires sociaux non-salariés du groupe CIF. La compétence des SFR s’exerce sur le territoire désigné par leur statut. À la fin de 2012, les SFR couvraient l’ensemble de la France métropolitaine sauf la Corse, les Alpes-de-Haute-Provence et les Hautes-Alpes.

Le groupe a été doté de filiales chargées de son refinancement au niveau national. Ces filiales, la centrale de trésorerie – 3CIF – et la société de crédit foncier – CIF Euromortgage – sont directement détenues par la holding qui centralise ainsi le refinancement de l’ensemble.

Au cours de son histoire, le groupe s’est enrichi de deux filiales dans le métier de courtage de l’assurance de personnes avec Assurances et conseils et CEGERIS. La tentative d’obtenir une source de dépôts a été concrétisée dans les années 2000 par l’achat d’une petite banque, devenue Banque Patrimoine Immobilier (BPI), mais qui reste de taille modeste avec environ 500 M€ de dépôts. Sa clientèle est plus patrimoniale que celles des SFR. Une dernière particularité du groupe concerne la détention conjointe avec une filiale de la SNCF15 de la SOFIAP, dédiée à la clientèle des cheminots.

Le groupe se présente ainsi depuis 2006 :

Schéma n° 1 : présentation du groupe CIF

[A consulter dans le fichier word ou pdf joint]

Au 31 décembre 2012, il comptait 300 points de vente, 2 362 salariés dont une force commerciale de 1 000 agents environ.

B -Une solidité satisfaisante en apparence

En 2012, la taille du bilan du groupe CIF atteignait plus de 41 Md€ avec un encours de prêts à la clientèle de 34,7 Md€. Il a, dans la période entre 2007 et 2011, dégagé des résultats nets annuels positifs. Son ratio de solvabilité, élevé en raison d’un montant de capital de plus de 2,4 Md€, s’établissait à 13,7 % en 2012.

Tableau n° 1 : synthèse de la situation financière du CIF

[A consulter dans le fichier word ou pdf joint]

1 - Le sentiment de la prospérité

Le CIF a toujours mis en avant son excellent ratio de solvabilité qui devait rassurer le superviseur, les actionnaires et le marché. La notation octroyée par les agences a toujours été favorable notamment sur la base de cette information.

La capitalisation du groupe de plus de 2,4 Md€ devait lui permettre d’assumer le développement important de sa production de crédit. Néanmoins, la stabilité du niveau des fonds propres montre l’absence d’apport externe en capital sur la période, le groupe n’étant pas adossé, et l’absence de renforcement de ces fonds propres par croissance organique, phénomène lié à la distribution de dividendes qui ne laissait guère de surplus. Ce niveau, élevé et stable, a participé au sentiment que le groupe CIF était durablement prospère.

2 - Une évolution inégale dans un contexte de crise

Les indicateurs globalement favorables ont évolué, entre 2007 et 2012, de façon inégale. Ils révèlent une faible capacité à maintenir ou à renforcer les éléments fondamentaux qui président à une croissance durable.

Graphique n° 2 : évolution de la taille du bilan et de l’encours de crédit (2004-2014)

[A consulter dans le fichier word ou pdf joint]

La croissance de la taille du bilan pourrait indiquer que le groupe CIF avait réussi à devenir un acteur bancaire crédible et à développer une production autonome aux résultats positifs. Elle masque cependant la fragilité de cette production. Une quasi-stagnation est constatée, à compter de 2009, en raison de la crise économique et financière et de forts taux de remboursements anticipés (7 % en 2010 et 7,7 % en 2011 contre 4,5 % en 2009) auxquels le CIF a été très sensible, en devant défendre le maintien de ses encours face à la concurrence.

Deux éléments inquiétants sont intervenus dans la période :

- la faible progression du produit net bancaire de l’ordre de 1 % en moyenne sur 6 ans, avec une hausse plus soutenue entre 2008 et 2010, contraste avec la progression cumulée de l’encours clients de 21 %, soit une moyenne de l’ordre de 3,5 % par an. Lorsque ces deux indicateurs sont combinés, ils tendent à montrer que la production supplémentaire s’est effectuée à marge réduite, donc insuffisante pour la sécurité durable de la rentabilité ;

- le coût du risque a fortement augmenté à partir de 2008.

Après 2012, la décroissance de l’encours provient de la décision du superviseur de limiter la production16.

C - Un groupe peu profitable

La holding CIFD détenant 51 % des SFR, le résultat net consolidé, intérêts des SACICAP compris (49 %), a été le suivant.

Graphique n° 3 : résultat net consolidé (2004-2014)

[A consulter dans le fichier word ou pdf joint]

Les variations s’expliquent par l’évolution du coût du risque.

La baisse du résultat net, entre 2007 et 2009, alors même que le produit net bancaire était en hausse sur la même période, tient aux deux hausses consécutives et significatives du coût du risque (- 49 M€ entre 2007 et 2008 puis - 53 M€ entre 2008 et 2009).

À l’inverse, le résultat net consolidé a augmenté entre 2009 et 2010 grâce aux diminutions au cours de l’exercice du coût du risque (baisse de 13 M€) et des charges d’exploitation (baisse de 10 M€).

La baisse à nouveau constatée entre 2011 et 2012 s’explique autant par la baisse du PNB sur la même période (- 20 M€ environ) que par une nouvelle hausse du coût du risque (- 20 M€).

Le groupe était peu profitable mais comme il dégageait des résultats toujours positifs, les actionnaires n’ont pas perçu la nécessité d’une recherche optimisée du rendement financier. Deux indicateurs principaux montrent cette faiblesse structurelle.

Le rendement des capitaux propres a été inférieur à 5 %.

Graphique n° 4 : rentabilité nette des capitaux propres (2004-2014)

[A consulter dans le fichier word ou pdf joint]

Le taux de marge brute à la vente (hors coût de la liquidité) s’est établi pour la moyenne des SFR entre 0,96 % et 1,55 % sur la période 2009-2011. Le niveau cible que le groupe cherchait à atteindre était de 2 %. L’année 2012 a vu cette marge se redresser juste au moment où les difficultés sont arrivées.

Tableau n° 2 : taux de marge brute à la vente (moyenne des SFR)

[A consulter dans le fichier word ou pdf joint]

Le dividende reçu par les actionnaires de la holding CIFD a été en constante progression, bien que d’une valeur assez faible, mais s’est interrompu dès 2011. Le principe était un versement de 50 % des résultats.

Ainsi, à la veille des difficultés, le groupe CIF semblait bénéficier d’une solidité globale et de la stabilité de ses fondamentaux.

Une analyse plus approfondie montre qu’il convient de nuancer cette appréciation. Après une période de très bonne tenue du marché immobilier, la crise financière de 2008 puis de 2011 a eu des effets sur l’économie réelle et sur la situation du groupe.

CONCLUSION

Le CIF est un groupe atypique dans le paysage bancaire français du fait de l’histoire particulière de ses actionnaires historiques, les SACICAP.

Ces dernières sont les héritières des anciennes SACI, acteurs nés au début du XXème siècle pour favoriser le financement et la construction de logements au bénéfice de ménages modestes. Contraintes de se moderniser du fait de la libéralisation progressive des prêts réglementés, les SACI ont donné naissance à un véritable réseau bancaire, structuré par la loi et calqué sur un modèle d’inspiration mutualiste.

Sociétés coopératives spécialisées dans l’accession à la propriété, les SACICAP conservent un statut et des missions spécifiques, organisés par la loi. Si elles se distinguent des sociétés concurrentielles par leur sociétariat financièrement désintéressé, elles s’en rapprochent fortement par leurs activités immobilières qui constituent depuis longtemps leur cœur de métier.

À la veille de ses difficultés, le CIF est un groupe de taille modeste, spécialisé dans l’accession à la propriété, qui a rapidement développé sa production à la faveur d’un marché immobilier porteur, dont les fragilités sont réelles mais peu apparentes.

La période examinée par la Cour a été marquée par une forte croissance de la production, mais décorrélée de la profitabilité. Les résultats du groupe, inégaux, ont été dépendants de la maîtrise du risque de crédit et des frais généraux. Les fonds propres, élevés et très stables, n’étaient pas alimentés par une croissance organique en raison de la distribution de dividendes et du coût du risque. Le CIF se développait ainsi sur ses réserves.

Le résultat de CIFD et des SFR a constitué un enjeu pour les SACICAP actionnaires car il devait leur permettre de satisfaire aux obligations nées de la convention sur les « missions sociales ». Un dividende régulier, même de montant assez peu élevé, était toutefois suffisant pour atteindre ces objectifs.

Chapitre II

Les vulnérabilités de l’organisation et du modèle du groupe CIF

Le groupe CIF présente en 2012 des vulnérabilités structurelles. Ses organes de gouvernance, bien que fonctionnant correctement, sont largement centrés sur les intérêts régionaux et leurs membres sont inégalement sensibilisés aux risques bancaires nés de la crise de 2008. Le groupe est demeuré indépendant malgré des tentatives d’adossement à plusieurs reprises et ses actionnaires ne sont pas à même de le soutenir financièrement. Son modèle économique et son financement comportent des fragilités qui se sont révélées avec la survenance de la crise financière.

I - Les vulnérabilités de l’organisation

A -Une organisation trop décentralisée et insuffisamment adaptée à une gestion de crise

1 - Une gouvernance fermée

La constitution du réseau bancaire à partir des SACI ancrées localement et les fusions-absorptions progressives de SFR ont conduit à une gouvernance décentralisée, à deux niveaux : l’organe central, CIFD, dispose d’un conseil d’administration et chacune des filiales financières en est également dotée.

Cette gouvernance fonctionnait bien formellement à la veille des difficultés du groupe. Le conseil d’administration de CIFD se réunissait régulièrement, en général mensuellement, depuis 2006. Un comité d’audit et un comité des rémunérations avaient été créés et fonctionnaient normalement. Les filiales régionales disposaient de comités d’audit locaux et de comités de rémunération. L’assemblée générale de CIFD se réunissait également régulièrement.

Cependant, la gouvernance n’a pas été à même d’apprécier à leur juste mesure les risques encourus par le groupe bancaire dans la crise. Cette faiblesse résulte de divers facteurs.

a) Une vision homogène des enjeux

La gouvernance du groupe CIF à la veille de ses difficultés se caractérisait par une vision très homogène des enjeux parmi ses dirigeants. Cette situation s’explique tout d’abord par le cumul des fonctions, manifeste au sein du groupe. Les administrateurs de CIFD cumulent les fonctions de dirigeants et les mandats d’administrateurs au sein des filiales financières, des SACICAP, de l’UES-AP et de Procivis Immobilier. La longévité des carrières et le faible renouvellement des dirigeants du CIF et des SFR, fortement ancrés localement, n’ont pas favorisé l’ouverture de cette gouvernance. Le cumul des fonctions de président et de directeur général choisi par le CIF, ainsi que le cumul de cette fonction avec celle de président de l’UES-AP, la structure fédérale des SACICAP, renforçaient la cohésion sur la stratégie du groupe.

Les conseils d’administration de CIFD, de 3CIF et le conseil de surveillance de CIF€ ne comportent pas d’administrateur indépendant ni, jusqu’à une période très récente, de représentant des salariés.

L’organe de pilotage, fédéré par le président-directeur général entouré d’un nombre restreint de collaborateurs, sans administrateur indépendant, laissait peu de place à d’éventuelles interrogations sur la stratégie.

b) Une appréhension insuffisante des risques liés au modèle financier

Bien que les SACI aient été historiquement des acteurs de nature bancaire, les SACICAP sont, en 2012, des sociétés holding non bancaires, faiblement sensibilisées aux enjeux du secteur financier. La composition des conseils d’administration, tant régionaux que nationaux, fait une large place à des administrateurs issus du monde de l’immobilier.

Ainsi, les conditions du refinancement de la société (cf. infra), bien qu’elles aient été régulièrement discutées depuis 2009, ne semblent pas avoir réellement alerté la gouvernance de CIFD. La direction générale du CIF contrôlait étroitement les entités spécifiquement dédiées au refinancement (3CIF et CIF€). En 2012, le président-directeur général de CIFD était également président-directeur général de 3CIF et le directeur financier du groupe était aussi président du directoire de CIF€.

Alors que la tension sur le refinancement, les difficultés rencontrées par les autres acteurs exclusivement financés par le marché et le retournement de la conjoncture auraient dû entraîner une réflexion stratégique sur l’avenir du groupe, la gouvernance semble, collectivement, avoir été faiblement consciente de la fragilité du CIF dans la crise. Peu ouverte sur l’extérieur, elle n’a pas suffisamment perçu les risques du modèle à partir de 2008.

c) Un organe central obligé de composer avec les filiales régionales

L’organisation du groupe, calquée sur le modèle mutualiste, se caractérisait par un pouvoir central fort en apparence mais, de fait, limité par les intérêts des filiales régionales. Cette organisation a pu nuire à la réactivité du groupe pour répondre aux enjeux nés de la crise à partir de 2008. Ainsi, le conseil d’administration de CIFD, composé notamment des dirigeants de filiales régionales, était fréquemment guidé par le souci de l’intérêt des filiales, celui-ci pouvant parfois être contradictoire avec celui de CIFD. À titre d’exemple, les propositions visant à renforcer le pouvoir de contrôle de l’organe central sur les dirigeants des filiales, notamment en leur donnant un statut spécifique de salarié de CIFD, ont été écartées par le conseil d’administration. Ce dernier a également refusé la proposition du président-directeur général de systématiser la présence d’un représentant de CIFD dans le comité de rémunération des filiales.

En définitive, la capacité de supervision des filiales par l’organe central était limitée. Bien que disposant de 51 % des droits de vote au sein des conseils d’administration des SFR, CIFD n’y était représenté que par une seule personne, les autres membres étant les dirigeants des SACICAP locales détenant la filiale régionale concernée pour les 49 % restants.

2 - Une large autonomie de gestion des SFR

Jusqu’à la période où le CIF a connu des difficultés, le suivi des filiales exercé par CIFD n’était pas coercitif. Les SFR rencontrant des problèmes faisaient l’objet d’inspections internes donnant lieu à des lettres de suite mais celles-ci n’étaient pas nécessairement suivies d’effet.

Les SFR disposaient d’une large autonomie de gestion. Elles ont ainsi longtemps distribué des produits régionaux non standardisés. L’hétérogénéité de pratiques, de méthodes, de politique commerciale, de produits, rendait difficilement comparables les performances des SFR et le suivi des risques.

Cette situation était largement acceptée jusqu’en 2007-2008. Les SFR pouvaient obtenir des dérogations aux grandes orientations du groupe. La filiale CIFRAA17, qui a lancé une politique de diversification vers l’investissement locatif, par dérogation à la politique générale du groupe essentiellement centrée sur les primo-accédants, en est un exemple. Bien que CIFD ait souhaité y apporter des limites, cette diversification, qui s’est avérée désastreuse pour le groupe18, avait été acceptée par le niveau central.

À partir de 2008-2009, le groupe devait faire face aux tensions sur les marchés financiers et demeurait faiblement profitable. Le président-directeur général a alors entamé une transformation fondée sur la réduction des coûts et la rationalisation de l’organisation.

Le nombre de SFR a progressivement diminué au cours du temps, sous l’effet des fusions engagées à partir de 2006-2007. Au nombre de 20 en 2004, elles ont été rationalisées à partir de 2007 afin de constituer des filiales homogènes, capables de mutualiser certaines fonctions. En 2012, il n’y avait plus que neuf SFR. Le groupe a, de plus, défini un modèle cible pour les SFR, le « modèle SFR ».

En 2009, le suivi des filiales a été renforcé avec une direction dédiée des filiales et participations. Le groupe a également impulsé un suivi de la performance via des indicateurs groupe : 5 % de part de marché, 2,5 % de taux de créances douteuses et 60 % de coefficient d’exploitation. L’élaboration annuelle du plan d’affaires entre l’organe central et les filiales était l’occasion d’une discussion sur les objectifs, la stratégie et les moyens à mettre en œuvre, permettant au niveau central d’organiser progressivement un mouvement d’harmonisation au sein du réseau. La mise en place de « feuilles de route » en 2011, filiale par filiale, par CIFD allait également dans ce sens.

La rationalisation des structures était néanmoins demeurée inachevée en 2012. La plupart des SFR conservait des sites éclatés (quatre sites en Bretagne et deux sites au sein de CIF Méditerranée par exemple). Les systèmes d’information n’avaient que partiellement convergé. Le « modèle SFR » n’était pas nécessairement appliqué partout et de façon homogène.

En dépit des efforts de rationalisation, les intérêts entre CIFD et les SFR restaient partiellement divergents. Alors que les enjeux centraux de refinancement exigeaient une réduction des coûts de structure par une mutualisation plus grande ainsi qu’une réduction du coût du risque, pour atteindre une meilleure rentabilité, les filiales financières aspiraient à maintenir leur indépendance fonctionnelle, et à tenir le centre éloigné de leur gestion quotidienne.

Les actions de transformation menées par le niveau central ont donc été trop tardives et insuffisantes.

B - Des projets d’adossement non concrétisés

La question de l’adossement du CIF à un groupe bancaire plus puissant a traversé l’histoire du groupe dès le début des années 2000.

Compte tenu du renforcement de la réglementation prudentielle à partir des années 2000-2005, le superviseur et les services du ministère de l'économie et des finances ont perçu la fragilité du réseau bancaire qui ne bénéficiait pas de dépôts19. Le Crédit immobilier de France était le seul réseau spécialisé en crédit immobilier demeuré indépendant après le rachat du Crédit Foncier de France par le groupe Caisse d'épargne en 1999.

En 2005, les responsables du CIF avaient annoncé aux services du ministère de l’économie et des finances être en discussion avec BNP Paribas (BNPP) pour envisager une opération de rapprochement. Le dossier était très avancé. L’adossement aurait consisté en un apport d’une filiale immobilière de BNPP (UCB) à la holding CIFD ; une prise de contrôle de l’ensemble fusionné à 51 % pour BNPP, 49 % restant entre les mains des SACI ; le versement d’une soulte par BNPP. Ce projet, concomitant de celui qui était en discussion avec l’État sur la transformation du réseau des SACI, a échoué, pour des raisons qui n’ont été qu’en partie expliquées à la Cour.

En 2007, à l’issue de la réforme ayant transformé les SACI en SACICAP, le CIF a repris la réflexion sur un adossement, en mandatant une banque conseil pour rechercher un partenaire éventuel. Il a engagé alors la discussion avec trois partenaires potentiels : BNPP, Banques populaires et le Crédit agricole.

Le CIF a écarté la proposition de BNPP, considérant qu’elle entraînait une dilution du CIF dans un groupe intégré20. La BNP envisageait une prise progressive du contrôle de 100 % du capital de CIFD dans les cinq ans. Bien que conservant la marque CIF, le groupe aurait été intégré à l’ensemble constitué par Cetelem et UCB dont le rapprochement a finalement été réalisé par BNPP fin 2007.

Le Crédit agricole était également intéressé, les discussions englobant la prise de contrôle des activités immobilières des SACICAP. Les actionnaires qui ne souhaitaient pas vendre leur branche immobilière ont écarté cette option. Ultérieurement, un partenariat commercial avec le Crédit agricole a été tenté sous forme d’expérimentation régionale mais n’a pas abouti.

Une proposition des Banques populaires permettait de maintenir une entité CIF distincte, avec sa propre marque et une gestion des ressources humaines autonome. Le schéma d’adossement proposé consistait en une prise de participation réciproque, de 5 à 9 % par CIFD au capital de la Banque fédérale et de 34 % des Banques populaires dans un premier temps puis de 51 % au sein de CIFD. Le projet d’intégration devait permettre le maintien de la marque CIF avec une spécialisation des métiers, le CIF se positionnant sur les prêts administrés. Le projet comportait une plate-forme de gestion unique, des modalités de refinancement communes, et un développement de l’activité de crédit immobilier à l’international porté par le CIF.

Le CIF excluait cependant de conclure un tel accord en cas de rapprochement des Banques populaires du réseau des Caisses d’épargne qui contrôlait le principal concurrent du CIF, le Crédit Foncier de France. Les Caisses d’épargne ont d’ailleurs également approché le CIF en 2007 mais celui-ci craignait une absorption par son principal concurrent. Le schéma issu des discussions avec les Banques populaires a finalement été rejeté.

À la connaissance de la Cour, le CIF n’a plus engagé de discussions approfondies avec d’éventuels partenaires de 2007 à 2012. Au total, aucun projet d'adossement n’a finalement abouti, pour des raisons que la Cour n’a pu entièrement documenter. En tout état de cause, le caractère privé de l’actionnariat ne permettait pas à l’État de contraindre le CIF à s’adosser.

L’examen des opportunités apparues en 2007 démontre que le CIF était une cible attractive à l’époque pour plusieurs grands réseaux bancaires français. Ces projets semblent avoir été examinés par la gouvernance du CIF à l’aune du maintien de l’indépendance fonctionnelle qu’ils permettaient de conserver, en particulier au niveau régional.

A posteriori, le refus de l’adossement a été une erreur stratégique grave. L’année 2007, où le CIF a activement recherché un adosseur mais a finalement écarté toutes les marques d’intérêt, apparaît comme une occasion manquée. Bien que les conditions financières aient été à l’époque favorables, le président-directeur général du groupe avait conscience des fragilités du modèle et indiquait au conseil d’administration en 2007 qu’une évolution défavorable du refinancement pourrait conduire le groupe à devoir s’adosser sous la pression des marchés ou de la tutelle, ce qui serait la pire des situations21. Pour autant, dans les conditions financières encore favorables de l’époque, le CIF n’a pas pris la décision de s’adosser. Les risques de l’indépendance financière ont été sous-estimés. Le groupe a poursuivi son activité sans filet protecteur contre les tensions de marché éventuelles et le retournement possible du marché immobilier.

II - Un modèle économique et de financement source de risques

Le groupe CIF a pu se maintenir dans la décennie 2000 sans avoir de difficultés avérées. Il était porté par un marché immobilier favorable et la modestie de son rang parmi les acteurs bancaires le protégeait sans doute d’une expansion qui devait ultérieurement pénaliser d’autres banques. Toutefois, à partir de 2008, la crise de liquidité bancaire a mis en difficulté tous les acteurs et le groupe CIF ne pouvait y échapper. C’est dans ce contexte qu’il convient de replacer l’analyse. L’approche micro-économique du positionnement commercial et de l’activité de crédit ainsi que l’analyse du modèle financier permettent de mettre en évidence les vulnérabilités spécifiques qui expliquent sa moindre résistance aux chocs de la crise.

A - Un positionnement économique étroit

Le positionnement du groupe résulte de son histoire liée à celle des anciennes SACI et d’un choix de porter sa production dans les segments de l’accession à la propriété pour les ménages à revenus modestes. Un élargissement de la cible de clientèle est intervenu dans le domaine des investisseurs locatifs.

1 - Une production plutôt concentrée

La production du CIF se répartissait principalement entre les primo-accédants (76 %) et les investisseurs locatifs (17 %) avec, sur ces deux segments, une position concurrentielle.

Sur le premier segment, les revenus des ménages se situaient à moins de trois fois le SMIC pour plus de 70 % d’entre eux. Près de 60 % des ménages avaient un revenu (en valeur de 2012) inférieur à 3 000 €22, soit 800 € de moins que le revenu moyen des ménages emprunteurs immobiliers. Le segment des primo-accédants justifiant de ces revenus modestes constituait un risque intrinsèque en raison de la fragilité de ces ménages plus élevée que le reste de la population emprunteuse.

Tableau n° 3 : répartition des clients sur la période 2008-2011

[A consulter dans le fichier word ou pdf joint]

Progressivement, le CIF a développé une offre en faveur des « investisseurs locatifs » qui représentait de l’ordre de 17 % de la production en 2011 malgré un recul depuis 2008. La clientèle emprunteuse était plus solvable. Le CIF comptait environ 7 500 prescripteurs régionaux liés par un contrat non exclusif et commissionné23. Le risque du crédit investisseur était d'autant plus élevé que les apporteurs d'affaires n'étaient pas d'assez bonne qualité.

2 - La part non prépondérante des prêts sociaux réglementés

Le positionnement sur les prêts d’accession sociale réglementés n’a pas non plus, en valeur absolue, été un trait prépondérant. La part des prêts réglementés (PAS et PTZ) représentait 13,4 % de la production totale en 2011. Les SFR se trouvaient ainsi dans une position concurrentielle sur cette gamme de prêts qui ne peuvent être accordés qu’associés avec un autre crédit pour former le « paquet » de l’emprunteur.

L’instabilité des conditions réglementaires de distribution des prêts au logement aidés (PTZ, investissements locatifs), entre 2008 et 2012 ne contribuait pas à fiabiliser le niveau de la production.

S’agissant spécifiquement du PAS et du PTZ, l’examen par la Cour des séries statistiques longues montre que le CIF a perdu des parts de marché concernant le PTZ où il était placé au cinquième rang des banques distributrices au début des années 2000 et n’a été plus qu’au huitième rang en 2011. Il est plutôt mieux positionné sur le segment du PAS pour lequel sa part était de 14 % en 2000, soit au cinquième rang et a progressé en 2011 au troisième rang derrière le Crédit Foncier et le Crédit agricole.

Tableau n° 4 : répartition de la production de crédits sur la période 2008-2011

[A consulter dans le fichier word ou pdf joint]

3 - Le maintien d’objectifs ambitieux

De façon constante, le groupe a fait du développement commercial son orientation stratégique majeure. Ainsi au plus fort de la crise en 2011, et bien que les indicateurs sur la production aient été mal orientés, les administrateurs de CIFD concluaient, lors de leur séminaire stratégique de juin, à la pertinence du maintien des objectifs de 5 % de part de marché24, 60 % de coefficient d’exploitation, 2,5 % de taux de créance douteuses mais ils constataient aussi que les « résultats n’étaient pas à la hauteur des objectifs » et que l’indicateur de rentabilité financière (Return on Equity ou ROE) devait être mis en veille, tout en préconisant une cible de résultat net de 80 à 120 M€ par an. Pour les prévisions du plan d’affaires 2012-2014, certains administrateurs ont souligné l’ambition d’un objectif de production de + 20 %, soit 5,8 Md€ à 6 Md€, à marge de 200 points de base dans un marché baissier, mais le groupe jugeait ces objectifs atteignables25.

De fait, la production de crédit du CIF n’a pas été négligeable – de l’ordre de 60 000 prêts en moyenne par an – et elle s’est maintenue à ce niveau jusqu’en 2008 avec un fort recul en 2009, un rebond en 2010 et un sévère repli en 2012 lié aux décisions des 15 juin et 4 septembre 2012 de l’ACPR de limiter la production, en raison des difficultés de refinancement (cf. infra).

Tableau n° 5 : évolution de la production de nouveaux prêts (2006-2012)

En application de cette stratégie, le CIF a fait des choix commerciaux structurants comme la construction d’une force commerciale importante de 1 000 commerciaux environ et de réseaux d’apporteurs d’affaires commissionnés répartis sur le territoire. Malgré cette volonté, la place du CIF dans le marché global est demeurée celle d’un petit acteur avec des productions, des rentabilités et des forces commerciales hétérogènes selon les régions.

B - La constitution d’un encours de prêts risqué

Les prêts distribués par le CIF comportaient des caractéristiques particulières :

- un recours massif aux apporteurs d’affaires ;

- des emplois d’une durée très longue dépassant parfois les 30 ans ;

- une vente prépondérante de prêts à taux mixte et à taux révisable, aboutissant à un encours de 51 % des encours totaux à fin 2014 ;

- des conditions emprunteurs souvent en dehors des pratiques de marché, comme le surfinancement des prêts (« loan to value » ou LTV), bien que l’emprunteur puisse opter pour une garantie de revente de son bien immobilier.

1 - Le risque lié aux apporteurs d’affaires

Les acteurs spécialisés ont une approche davantage intermédiée ou « prescrite » par des apporteurs d’affaires que les banques généralistes. Ces acteurs travaillent volontiers aussi avec des partenaires professionnels.

Le groupe CIF avait une implantation d’agences hétérogène sur le territoire et n’en possédait qu’un faible nombre (environ 300). Aussi les apporteurs d’affaires (courtiers, agents immobiliers, constructeurs de maisons individuelles, gestionnaires de patrimoine) ont-ils été à l’origine de la majorité de la production du CIF dont la part directe était inférieure à 30 %, certaines agences étant même exclusivement productrices sur apport d’affaires.

Ces apporteurs d’affaires ont créé des difficultés très sensibles dans la période 2006-2009. Le sinistre le plus important concerne l’affaire dite « Apollonia » encore pendante.

L’affaire « Apollonia »

Une escroquerie financière et immobilière de grande ampleur

Entre 1998 et 2009, la société immobilière d’Aix-en-Provence, Apollonia, a vendu environ 7 500 logements, principalement des appartements meublés dans des résidences hôtelières ou étudiantes, à des fins de défiscalisation.

En 2008, plusieurs centaines de personnes ont déposé plainte, pour un montant total de dépenses engagées de 1 Md€. Les premières mises en examen ont eu lieu en février 2009 visant les dirigeants d’Apollonia. L’instruction a également inclus l’examen de la responsabilité des banques ayant commercialisé les prêts.

Recours civil et pénal : de la mise en examen des banques au statut de témoin assisté

En juillet 2012, la cour d’appel d’Aix-en-Provence a mis en examen plusieurs banques dont CIFD et plusieurs filiales du groupe CIF (BPI, CIFRAA). Le chef d’examen concernait la conformité à la loi Scrivener, notamment l’octroi et le respect du délai de rétractation de sept jours ouvrés accordé à l’emprunteur. Ces mises en examen ont été annulées et les banques sont devenues témoins assistés. L’instruction est toujours en cours.

Des conséquences coûteuses pour le CIF 

Le CIF est la banque qui a l’encours le plus élevé de prêts à des clients d’Apollonia, de 373,9 M€ à l’origine. 71 % de l’encours initial du CIF auprès des clients Apollonia a été souscrit par une filiale : CIF Rhône-Ain.

Au 31 décembre 2014, l’encours de prêt « Apollonia » demeure de 304 M€, dont près de 300 M€ comptabilisés en créances douteuses, soit 15,5 % des encours douteux du groupe.

En l’état des procédures actuelles, le groupe encourt toujours des risques au titre de sa responsabilité pénale ou civile.

Dans les années 2003-2004, l’organe central du groupe (CIFD) avait pourtant bien fixé aux SFR des limites à la production et à l’encours total en provenance des apporteurs d’affaires. Des analyses de la solidité des promoteurs par la direction centrale des risques étaient diffusées aux SFR. Toutefois, celles-ci demandaient des dérogations en fonction de la situation locale et dépassaient largement les limites fixées. L’existence de ces apporteurs d’affaires a eu notamment pour conséquence une caractéristique de la production qui est le « sur-financement » au-delà de 90 % des biens.

À la suite d’un contrôle transversal de l’ACPR sur les apporteurs d’affaires dans les SFR, le groupe CIF a décidé que ce risque devait davantage être maîtrisé, ce qui a eu pour conséquence immédiate la réduction du volume de production.

2 - Des prêts aux caractéristiques particulières

a) Des prêts de durée longue

Une illustration de la durée des prêts consentis par le CIF est donnée par les durées appliquées par CIF Méditerranée entre 2007 et 2011. Alors que les prêts consentis pour une durée supérieure à 30 ans représentaient 49 % de la production en 2007, cette proportion est passée à 61 % en 2011. La durée moyenne pour la totalité de l’encours s’établissait sur la période à environ 28 ans. Celle-ci peut également s’expliquer par l’allongement des durées après restructuration des prêts, en particulier entre 2007 et 2008.

Certains prêts étaient modulables sur 20 à 30 ans avec la possibilité pour le client d’augmenter ses mensualités de 10 % pour réduire la durée du prêt ou de rembourser 10 % de son prêt chaque année.

Comme on le verra dans l'analyse du modèle financier, la durée des prêts introduisait un risque de transformation élevé.

b) Des conditions d’octroi hors des pratiques usuelles

La clientèle primo-accédante du CIF correspondait majoritairement aux ménages à revenus modestes ou très modestes avec 80 à 90 % de l’encours selon les filiales.

La tranche de revenus de ces ménages emprunteurs était trop concentrée pour assurer un niveau satisfaisant de diversification. L’absence d’apport personnel était un argument commercial. Le « surfinancement » se situait au-delà de l’usage d’une limite à 80 %, jugée dans les pratiques bancaires comme le maximum raisonnable de la valeur du gage, c'est-à-dire la valeur du bien en cas de revente. À l’époque, nombre d’établissements bancaires dépassait cette limite.

Or le « surfinancement » est un indicateur suivi par les agences de notation qui l’ont toujours considéré comme une vulnérabilité du groupe. Il a très vite attiré l’attention de La Banque Postale lorsque celle-ci a examiné le portefeuille à l’été 2012.

3 - Une gamme de prêts parfois trop complexe pour les clients

À compter de 2007, le CIF a conçu une gamme nationale de prêts destinée à se substituer progressivement aux « produits régionaux ». Toutefois, malgré les orientations du siège, les SFR ont conservé une certaine liberté dans la détermination de leur offre de prêts en jouant sur des index différents et sur les durées. Les commerciaux pouvaient se référer à plus d'une trentaine de produits dont certains étaient très sophistiqués.

La grande spécificité du CIF a été de consentir des prêts à taux révisable, soit « purs » soit le plus souvent mixtes avec une phase initiale de taux fixe de durée plus ou moins courte (trois, cinq ou dix ans) avant le passage à taux variable. Cependant, la plupart des SFR offrait aussi des prêts à taux fixe à l’exception très notable de CIF Rhône-Alpes-Auvergne dont la production à taux mixte et variable s’est établie à 66 % du total et de la BPI dont la clientèle était plus patrimoniale.

Dans les années 2000, le groupe a ainsi beaucoup encouragé les filiales opérationnelles à offrir des prêts à taux révisable. Les raisons qui ont été expliquées à la Cour ont trait à la fois à une « lecture du marché immobilier de l’accession sociale » et à la rentabilité recherchée pour le groupe en raison de sa dépendance au refinancement de marché.

La lecture du marché immobilier de l’accession sociale pour des populations modestes plaidait pour une forme de crédit qui ne pouvait être que de durée longue, sans apport et à taux variable qui, en fin de parcours, était économiquement gagnante pour l’emprunteur. La hausse des valeurs immobilières constatée dans le temps étant plus élevée que celle des salaires, elle devait permettre aux emprunteurs de gagner une plus-value sur le coût final de l’emprunt en cas de revente.

Par ailleurs, la dépendance au refinancement de marché interdisait au CIF de viser un adossement d’une production exclusivement à taux fixe sur des émissions plus coûteuses en refinancement. Plus prosaïquement, le CIF souhaitait le développement rapide de son activité.

Dans la période 2004-2008, en raison de prêts trop complexes difficilement compréhensibles, de nombreux clients, qui avaient cru souscrire un prêt à taux fixe sur un horizon d’emprunt maîtrisable, se sont trouvés en grande difficulté. À partir de 2007, avec la hausse des taux, le CIF a dû prendre des mesures pour faire face à ces difficultés par des réaménagements dont le suivi a été insuffisant en termes de rentabilité, de suivi du risque et de comptabilité. Le CIF avait pourtant des documents normés et des dispositifs d'accompagnement des clients au moment des « paliers » de remboursement, mais leur application a été inégale selon les régions et la communication envers les clients insuffisante.

Le groupe CIF a encouru dans cette période un fort risque d’image.

4 - Une difficile réorientation du positionnement commercial

Dès 2008, après la constatation de résultats médiocres en 2006-2007 en termes de risques et de marge, CIFD a pris des mesures de resserrement et d’encadrement de la production des SFR, créant ainsi un débat sur l’autonomie de gestion des directeurs généraux de ces établissements. Un plan d’action pour redresser la rentabilité a été entrepris. Néanmoins, ce meilleur encadrement interpellait la nécessité d’une réorientation du positionnement commercial qui s’avérait difficile alors que celui-ci était de moins en moins adapté aux contraintes de plus en plus fortes de la gestion du risque. Ainsi, le constat était fait que l’exigence d’un apport personnel des ménages de 10 % excluait d’emblée la quasi-totalité des dossiers de primo-accédants. La pratique du « surfinancement » se heurtait à la baisse de la valorisation alors que le marché immobilier avait jusqu’alors été porté par une forte valorisation. Les prêts à taux révisable ne pouvaient plus être vendus.

Plus fondamentalement, ce recentrage ne résolvait pas la question première de la spécialisation stratégique proprement dite du CIF sur un segment de clientèle très peu diversifié.

Si les responsables avaient bien identifié les problèmes, ils n’ont pas trouvé les solutions de diversification dans un modèle économique figé qui demeurait centré sur la clientèle des ménages primo-accédants à faibles revenus.

5 - Des risques aggravés et persistants

Le coût du risque26 s’est considérablement accru pour les prêts consentis dans la période 2004-2008. Après s’être maintenu en dessous de 2 % jusqu’en 2008, le taux de créances douteuses au sein du groupe a connu une augmentation régulière au cours des années suivantes. À partir de 2013, le taux de créances douteuses subit la conséquence de l’arrêt de la production mais le stock de prêts continue de peser durablement sur le coût du risque, la proportion des crédits investisseurs dans l’encours douteux étant encore importante, de l’ordre de 45 % en 2015. Les meilleurs crédits font l’objet de rachats accélérés et le risque encouru pour la banque est qu’il ne subsiste dans le portefeuille que les crédits les moins sûrs.

Graphique n° 5 : évolution du taux de créances douteuses (2004-2014)

[A consulter dans le fichier word ou pdf joint]

Lors des difficultés du groupe au début de 2012, la gestion et le suivi de la sinistralité du portefeuille de crédit sont apparus comme largement perfectibles : la gestion déléguée était la règle et les pratiques entre SFR étaient disparates. En raison des exigences du plan de résolution, on connaît mieux désormais le risque porté par l’encours et on peut le segmenter selon plusieurs critères, notamment les revenus des emprunteurs et l’endettement atteint par eux.

La majorité des acquéreurs primo-accédants se situe dans les trois classes de risques les plus hautes (classes de score 3 à 5) pour 46 % de l’encours existant à fin 2014 auquel sont associés les taux de créances douteuses les plus élevés de 5,5 % à 8,8 %.

Trois SFR concentrent ce risque : CIF Méditerranée, CIF Rhône-Alpes, CIF Centre-Est.

Les pertes à terminaison dépendront des possibilités de récupération des créances douteuses.

C - Le modèle de financement : une fragilité majeure

À l’issue de la période de distribution des prêts réglementés refinancés par la Caisse des dépôts et consignations, le CIF a dû assurer seul son refinancement sur les marchés financiers. Le groupe a mis en place une organisation des flux adaptée à son modèle économique et à son organisation décentralisée. Il a pu compter sur son aisance en fonds propres et a établi un mécanisme de solidarité financière assurant au gouverneur de la Banque de France que l’ensemble des fonds propres de CIFD et des SFR était le garant des risques du groupe.

L’analyse du fonctionnement du modèle financier est nécessaire pour comprendre d’une part, à quelles fragilités le groupe s’est exposé et d’autre part, la survenance du risque de défaut et la décision de garantir ses financements pour éviter la faillite.

1 - Une circulation des flux intense

La liquidité est un enjeu crucial pour toutes les banques comme l’a rappelé la crise de 200827. Le CIF ne s’est distingué des autres banques de détail que par l’exclusivité de ses ressources obtenues sur les marchés. Il a mis en place un fonctionnement tout à fait spécifique dans la collecte puis la fourniture en interne des ressources aux SFR en vue d’adosser leurs actifs. Deux sociétés du groupe et un véhicule de titrisation sans personnalité morale ont été chargés de cette tâche : la caisse centrale du CIF (3CIF), CIF Euromortgage (CIF€) et CIF Assets (CIFA).

Dans la relation très étroite que ces trois entités ont organisée, il est observé une circulation de la liquidité que l’on peut qualifier de très dense et complexe, à l’origine du risque de propagation des difficultés rencontrées par le CIF.

D’une part, l’existence de 3CIF a permis de centraliser la gestion de la liquidité. Cette avancée, relativement récente (2007), constituait une rupture organisationnelle par rapport à la situation où les SFR étaient encore libres de se refinancer directement auprès de leurs confrères régionaux. L’existence d’une centralisation de la trésorerie dans un groupe comprenant des établissements locaux est un élément de bonne gestion. Elle a conduit à recruter des compétences financières avec une trentaine de collaborateurs.

D’autre part, toutefois, on verra plus loin que la circulation de la liquidité intra-groupe a été un élément majeur de fragilité.

Le schéma simplifié suivant retrace la relation entre les utilisateurs (les SFR) et les pourvoyeurs de financement (3CIF et CIF€).

Schéma n° 3 : modèle de refinancement du CIF

[A consulter dans le fichier word ou pdf joint]

Si ce dispositif à plusieurs entrées se maintient encore actuellement, le fonctionnement a dû en être modifié dans le cadre du plan de résolution.

a) Le rôle de la centrale de trésorerie 3CIF

La société 3CIF constitue le canal principal de trésorerie par lequel les SFR se refinancent en exerçant les trois missions de refinancement à court terme, d’achat des instruments financiers de couverture du risque de taux et de change et de gestion des réserves de liquidité du groupe.  Pour assurer la contrepartie des liquidités en faveur des SFR, 3CIF émet sur le marché financier pour recueillir des ressources non sécurisées (dites « unsecured ») à moyen et long terme. Ces émissions – publiques, privées, en euros ou en devises – sont d’un montant nettement moins important que les émissions sécurisées de CIF€ puisqu’elles ne représentent que 27 % du financement total du groupe sur le marché.

3CIF a également été chargée d’appliquer le choix stratégique du groupe de disposer d’une réserve équivalente à environ six mois de production permettant de fonctionner en cas d’absence de refinancement. Cette réserve de liquidité dénote une volonté de gestion prudente de la part du groupe. Elle était de la plus haute importance et a toujours été regardée attentivement par les agences de notation.

La société n’a jamais détenu d’actifs à problème, à l’exception d’un portefeuille de diversification en RMBS28 européens dont les risques étaient maîtrisés.

b) Un refinancement externe prépondérant : les obligations foncières

En 2013, le marché français des obligations foncières sécurisées (« covered bonds ») a représenté près de 300 Md€ dans lequel le groupe CIF tenait le quatrième rang, le Crédit Foncier de France étant le premier émetteur.

La grande caractéristique des obligations foncières est leur extrême sécurité que reflètent les contraintes de fonctionnement des sociétés émettrices dans la législation française.

La société de crédit foncier – CIF € – répond à cette organisation. Le CIF a ajouté un véhicule supplémentaire au dispositif qui est un fonds commun de titrisation (FCT) sans personnalité morale. Les deux véhicules fonctionnent ensemble, le FCT étant géré par une société de gestion.

c) Des opérations de titrisation par CIF Assets

La titrisation est une pratique devenue courante dans les banques et sert en principe à ajuster la taille des bilans et à alléger le coût du financement.

Pour refinancer en obligations sécurisées, le CIF a mis en place un véhicule interne de titrisation des actifs des SFR29. L’existence d’une titrisation interne est une spécificité du groupe CIF.

Cette mission est prise en charge par CIF Assets, dont le fonctionnement est régi par les articles L. 214-42 et suivants du code monétaire et financier30. CIF€ achète les seuls titres prioritaires notés AAA/Aaa issus de cette titrisation. La titrisation est donc scindée en deux types de titres : les titres A les mieux notés sont acquis par CIF€ et les titres B, les plus risqués, rachetés par les filiales opérationnelles, demeurent au bilan des SFR.

2 - L’affaiblissement des marges de manœuvre dans l’appel aux ressources de marché

CIF€ a été, depuis sa création en 2001, le principal intervenant dans le refinancement du groupe avec, au 31 décembre 2011, un encours de 23,52 Md€ d’obligations foncières et autres ressources privilégiées. Toutefois, il existait la part des actifs du bilan qui demeurait non achetée par la société de crédit foncier (les titres B de titrisation restant au bilan des SFR) et devait être refinancée pour un montant non négligeable d’une dizaine de milliards d’euros. En tout état de cause, ne pouvant être adossés à des obligations foncières, ces actifs devaient être refinancés par 3CIF au moyen de financements non sécurisés ou d’autres ressources. Pour des raisons de coût, les émissions de 3CIF ne pouvaient être effectuées qu’à rentabilité acceptable pour le groupe. En effet, la notation du groupe joue dans les primes de risque à payer aux investisseurs. À la fois la crise des marchés qui induisait une offre devenue restreinte et l’augmentation des primes de risques ont affaibli la capacité de 3CIF d’appel aux financements de marché non sécurisés.

Jusqu’en 2007, le groupe parvenait encore à panacher ses ressources en équilibrant les appels au marché selon les instruments. Il évitait ainsi de saturer les capacités d’émission de sa société de crédit foncier, ce qui constituait une politique prudente.

Or, avec la crise, l’encours des émissions de CIF€ a occupé une place grandissante, tandis que le refinancement par émissions non sécurisées de 3CIF décroissait significativement, comme le montre l’historique des encours au passif de CIFD entre 2007 et 2011. 

Tableau n° 6 : moyens de refinancement (2007-2012)

[A consulter dans le fichier word ou pdf joint]

3 - La dangereuse interconnexion des filiales financières

Le groupe CIF présentait un panorama très complexe de flux croisés de liquidité au soutien mutuel tant des trois structures financières que des SFR.

Parmi ces flux, le modèle de titrisation et des obligations foncières, construit autour de CIF Assets et CIF€, devait être optimisé au maximum pour créer de la liquidité pour 3CIF, en usant de toutes les facilités permises par la réglementation des sociétés de crédit foncier. Ainsi CIF€ plaçait d’importants excédents de trésorerie auprès de 3CIF.

La pratique de placement de la trésorerie auprès d’un établissement de crédit – 3CIF – est autorisée par l’article L. 513-7 du code monétaire et financier. Dans le cas du groupe CIF, cette possibilité a été activée de façon très poussée.

Le point relatif aux dépôts de trésorerie effectués par CIF€ auprès de 3CIF se situe au cœur de la problématique de la garantie interne accordée par l’État pour éviter le défaut (cf. infra).

4 - Des risques de transformation et de notation consubstantiels au modèle

a) Un désajustement structurel de l’actif et du passif

Le risque de transformation était réel et significatif en raison de la durée très longue de certains emplois (crédits hypothécaires), parfois au-delà de 30 ans, par rapport à celle concernant le refinancement. Selon la direction des risques du groupe, la maturité moyenne du portefeuille ressort à 22 ans31.

Le groupe CIF connaissait un désajustement permanent entre les emplois et les ressources comme tous les acteurs du crédit hypothécaire mais celui-ci a été aggravé par le raccourcissement de plus en plus évident des maturités obtenues dans les émissions d’obligations foncières publiques. Dans les meilleures années, les maturités obtenues sur le marché des obligations sécurisées ont été, exceptions faites d’émissions de montants beaucoup moins significatifs (les « registered covered bonds » ou certains placements privés), entre dix ans et vingt ans et se sont considérablement raccourcies en raison de la crise avec une maturité comprise entre cinq et sept ans.

Ainsi, le portefeuille était de moins en moins adossé. Il ne devenait sans doute plus possible de continuer à produire des prêts de maturité longue quand le refinancement se raccourcissait aussi significativement.

b) L’écart de notation entre les structures

Le fait de disposer d’un instrument très sécurisé auquel le groupe faisait de plus en plus appel devait contraindre celui-ci à la discipline de la société de crédit foncier.

Or les deux structures de refinancement – 3CIF et CIF€ – ne relèvent pas de la même sphère de notation. La première relève de l’analyse de la solidité d’une banque de détail dédiée au crédit envers les particuliers32 et la seconde de l’analyse des sociétés de crédit foncier dont les obligations sécurisées doivent bénéficier de la notation AAA pour obtenir des meilleures conditions de placement.

Du fait de ses contraintes de notation propres, CIF€ ne pouvait pas avoir d’engagements en « valeurs de remplacement » (autrement dit des dépôts de trésorerie) auprès de 3CIF que si celle-ci était notée au moins P-1 chez Moody’s selon la réglementation.

La réglementation concernant les valeurs de remplacement

En conformité avec les dispositions de la directive européenne sur les fonds propres réglementaires, l’article L. 513‐7 du code monétaire et financier autorise les sociétés de crédit foncier à détenir des valeurs suffisamment sûres et liquides que le décret d’application fixe à 15 % de l’encours nominal des ressources privilégiées inscrites au passif de leur bilan (les obligations foncières). L’article R. 515‐7 du code considère comme suffisamment sûrs et liquides les titres, valeurs et dépôts dont sont débiteurs des établissements de crédit ou des entreprises d'investissement bénéficiant du meilleur échelon de qualité de crédit établi par un organisme externe d'évaluation de crédit reconnu par l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution ainsi que les créances d’une échéance résiduelle n’excédant pas cent jours sur les établissements de crédit ou entreprises d’investissement bénéficient du second meilleur échelon de qualité de crédit.

En effet, en vertu des articles L. 511-44 et R. 515-7-1 du code monétaire et financier, 3CIF, pour être un débiteur éligible aux placements de CIF€, doit obtenir le premier échelon de notation de qualité de crédit à court terme établi par un organisme externe d’évaluation de crédit.

Ces échelons sont les suivants :

- chez Moody’s, les notes s’établissent de P-1 (Prime-1), la meilleure note, à Not Prime, la moins bonne ;

- chez Standard & Poor’s, l’échelle est la suivante : A-1+, A-1, A-2, A-3, B, C, D ;

- chez Fitch, l’échelle de notation est: F1, F2, F3, B, C, D.

Tant que la note de court terme de 3CIF est demeurée P-1, le système a fonctionné. Il n’a plus fonctionné dès lors que 3CIF pouvait être dégradée au-delà de P-2.

Au-delà de cette menace de dégradation qui a été la cause immédiate du risque de défaut, le mécanisme de solidarité financière entre toutes les structures du groupe, mis en place pour montrer la solidité de ce groupe, ne permettait pas de protéger la société de crédit foncier. Un défaut de 3CIF se serait propagé à CIF€, ce qui montre la vulnérabilité intrinsèque de l’édifice financier qui avait été créé.

5 - Des alertes soutenues sur la liquidité, une fragilisation profonde du dispositif

a) Les alertes en 2008

Les premières alertes qu’a connues le groupe CIF sont liées à la fermeture des marchés interbancaires lors de la crise de 2008.

Les années 2008-2009 ont été particulièrement difficiles pour le secteur bancaire en raison de la crise de liquidité qui s’est amplifiée après la faillite de Lehman Brothers. Le groupe CIF a subi d’autant plus ces difficultés qu’il n’avait pas d’autres ressources que celles du marché. Il a dû se refinancer par les opérations de refinancement de la Banque centrale33 à hauteur de 1,7 Md€ en 2009 en apportant des parts de titrisation en contrepartie. Il a accédé au guichet de la Société de financement de l’économie française (SFEF)34 pour des prêts d’un montant total de 732 M€.

C’est dans un contexte d’inquiétude pour la solidité du groupe CIF que l’ACPR s’est penchée, par des actions de contrôle sur pièces et sur place, sur les conditions de sa liquidité. L’autorité de supervision a fermement insisté, auprès de dirigeants qui envisageaient une approche plus souple et plus conforme selon eux à la réalité économique, sur le strict respect, à tout instant et pour toutes les entités du groupe, de la réglementation et des ratios en matière de liquidité, ayant pu constater des coefficients de liquidité inférieurs au niveau minimal réglementaire pour certaines filiales.

Le groupe a obtempéré sur l’infraction constatée en modifiant certaines modalités de gestion de la trésorerie mais pas les dépôts de trésorerie de CIF€ auprès de 3CIF.

b) De nouvelles tensions fin 2011 et début de 2012

Au troisième trimestre 2011, la situation des marchés se tendait de nouveau en raison de l’aggravation de la crise des dettes souveraines. Or les signes tant du marché que des agences de notation examinant alors la notation du groupe35 ne semblent pas avoir provoqué chez les dirigeants du groupe une vraie prise de conscience des conséquences dangereuses de la situation. Le groupe avait des marges de manœuvre de plus en plus limitées sur les financements non sécurisés dans la mesure où, au prix où se collectaient alors ces refinancements, il n’était plus rentable. Les obligations sécurisées elles-mêmes connaissaient un renchérissement conséquent de la prime. L’écart entre les émissions non sécurisées et les émissions sécurisées s’est établi entre 60 et 100 points de base, rendant le financement de la production des SFR encore plus dépendant de CIF€, moins chère.

Chaque production nouvelle de prêts creusait la perte potentielle de résultat. Son coût de refinancement se situait en moyenne entre Euribor+65 et Euribor +78 points de base. Pour illustrer ce phénomène, chaque milliard d’euros qu'il fallait émettre coûtait près de 4 M€ de plus et ce surcoût devait être répercuté dans la marge des prêts.

c) L’intensification des dépôts en trésorerie en 2011

Du côté des ressources à court terme36, 3CIF a fait intensifier les dépôts des disponibilités apportées par CIF€ qui ont été de 3,7 Md€ fin 2011 contre 2,4 Md€ en 2010. En mars 2012, les dépôts ont encore connu un bond en s’établissant à 4,6 Md€. Le groupe se rendait encore plus dépendant d’une éventuelle évolution de la notation de 3CIF (cf. supra).

Or, c’est l’ensemble des dépôts de trésorerie versés par CIF€ et CIF Assets à 3CIF qui est devenu critique au premier trimestre 2012 avec la menace de dégradation par Moody’s. Ces sommes ont dû être incluses ensuite dans les garanties internes que l’État a apportées pour un plafond maximum de 12 Md€.

III - L’insuffisante prise en compte des alertes du superviseur

Dans la période sous revue, l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) a exercé une action de surveillance prudentielle sur le groupe qui été à la fois constante et vigilante. Elle a conduit plus de douze inspections sur place, notamment dans les SFR, touchant aux domaines les plus critiques, comme les pratiques commerciales, la gestion de la trésorerie et le respect des ratios prudentiels.

Le groupe CIF a contesté à plusieurs reprises l’action de l’ACPR. La Cour a eu connaissance de deux contentieux importants, l’un portant sur les pratiques commerciales de la SFR de l’Ouest et l’autre sur l’exigence d’augmentation du ratio de solvabilité.

A - Une mise en garde difficilement acceptée sur les pratiques commerciales

L’ACPR a entrepris de délivrer une mise en garde sur les pratiques commerciales à la suite d’un contrôle sur place de juin 2008 concernant les pratiques commerciales de CIF-Ouest, comme ses pouvoirs le lui permettent au titre de l’article L. 612-1 du code monétaire et financier, dans un contexte où le CIF connaissait une forte croissance de sa production et de ses encours de crédit, dans un environnement particulièrement concurrentiel.

Le CIF a introduit un contentieux qui a duré jusqu’à mi-2011. Il a perdu sur les arguments concernant la légalité du pouvoir de mise en garde de l’ACPR ainsi que sur la contestation de la plupart des reproches et a obtenu une annulation partielle de la décision de mise en garde sur la question du revenu résiduel des particuliers. L’annulation a reposé sur le défaut de texte d’application des règles définissant le plafonnement des dépenses de l’article L. 331-2 du code de la consommation. Le groupe CIF a dû s’engager, comme les autres banques, à rectifier ses pratiques après 2008.

B - La question de la hausse du ratio de solvabilité

Au titre du « pilier 2 » du cadre normatif sur les exigences prudentielles de Bâle 2, le superviseur peut imposer de détenir un niveau de fonds propres prudentiels supérieur à l’exigence minimale en fonction de son analyse des risques d’un établissement qu’il confronte à celle émise par l’établissement lui-même.

Au vu d’une analyse sur les facteurs de risque encourus par le groupe CIF, le superviseur a enjoint CIFD de détenir un ratio minimum de fonds propres de base de 12 %, donc supérieur à l’exigence minimale de 8 %. CIFD, en réponse, a contesté la procédure, les méthodes d’analyse et les principaux facteurs de risque identifiés. Un contentieux s’en est suivi.

La décision de l’ACPR a été annulée par le Conseil d’État en 2012, le juge administratif estimant n’avoir pas été en mesure de vérifier pas à pas la méthode d’évaluation utilisée par le superviseur qui était en partie fondée sur « un dire d’expert » et de ce fait, de pouvoir apprécier par lui-même les facteurs de risque de l’établissement.

CONCLUSION

Le CIF présentait des vulnérabilités structurelles à la veille de ses difficultés en 2012.

La gouvernance mise en place dans les années 1990 s’exerçait dans un contexte marqué par la volonté d’assurer une production importante au niveau local et la réalité d’un financement central par des ressources risquées. Son organisation était très décentralisée et faisait souvent prévaloir les intérêts des filiales régionales sur ceux de l’organe central. Son conseil d’administration, privé d’administrateur indépendant, était faiblement ouvert sur l’extérieur. Dans un tel contexte, la prise en compte du risque de la liquidité a sans doute été incomplète et n’a pas permis au groupe d’être suffisamment réactif dans la crise. De même, l’absence d’adossement du groupe à un établissement bancaire plus puissant privait le CIF d’actionnaires capables de le soutenir en cas de difficulté.

Son modèle économique, peu profitable, a été centré sur l’accession à la propriété de ménages plus fragiles et sur une activité de crédit aux investisseurs locatifs risquée. Il en est résulté une production de prêts plus risquée que les banques généralistes, souvent « hors marché ». Sa rentabilité limitée ne permettait pas de supporter de trop fortes hausses du coût du refinancement. Dans ces conditions, bien que le groupe ait disposé de capitaux propres importants, les chocs graves et répétés que le secteur bancaire a connus à compter de 2008 mettaient davantage en péril le modèle ainsi construit d’acteur spécialisé sans ressources autres que celles des marchés.

En effet, le modèle financier a amplifié les fragilités du CIF. Les difficultés, aggravées en 2011, ont considérablement réduit les marges de manoeuvre du groupe. Les risques nés de cette situation ont été insuffisamment perçus par les instances dirigeantes de CIFD.

Le risque de défaut au début de 2012 est survenu en raison de la trop grande proximité que le groupe avait établie entre ses sociétés financières - 3CIF et CIF€ -. Le danger potentiel de cette proximité induisant un risque de propagation d’un défaut entre 3CIF et la société de crédit foncier n’a pas été réellement perçu à la fin de 2011, en dépit des signaux d’alerte que montraient les études en cours par les agences de notation sur les changements de méthodologie des notes du secteur bancaire et du CIF.

Le superviseur prudentiel a, de façon constante, exercé une vigilance sur les facteurs de risque du groupe. Son action a été entravée par des contentieux montrant le peu de compréhension qu’il a rencontré.

Chapitre III

La mise en extinction du CIF : une décision contrainte

Le CIF, fragilisé par la crise depuis 2008, s’est trouvé mis en difficulté par la décision de l’agence Moody’s de mise sous revue de sa notation en février 2012. En raison de sa dépendance aux ressources de marché et de la fragilité intrinsèque de son modèle financier, il était sous la menace imminente d’un défaut. Compte tenu de l’absence de repreneur et de l’impossibilité de restructurer l’activité, le CIF a reçu la garantie de l’État et a été mis en extinction. Le plan de résolution sur longue période est dérogatoire à la doctrine de la Commission européenne.

I - La mobilisation rapide des acteurs publics

A - L’appel du groupe CIF à une intervention publique

1 - La survenance de la menace de défaut

L’agence de notation Moody’s a mis le 15 février 2012 sous revue la notation de 114 banques européennes, en particulier celle de la centrale de trésorerie du groupe CIF, 3CIF. Moody’s indiquait que cette mise sous revue était susceptible de conduire à une dégradation de quatre crans de la note de long terme de 3CIF.

Tableau n° 1 : notation de 3CIF

[A consulter dans le fichier word ou pdf joint]

La décision de Moody’s est inscrite dans la revue plus large des banques européennes et soulignait les risques pesant sur le secteur bancaire, notamment l’environnement macroéconomique difficile, les coûts de refinancement élevés, la pression à la baisse sur les profits. Cette décision prenait également acte des faiblesses propres du CIF. L’agence mentionnait ainsi dans une note publiée quelques jours plus tard sa dépendance aux seules ressources de marché, sa faible profitabilité, ses coûts de refinancement croissants et la vulnérabilité de la qualité de son portefeuille à l’évolution des prix sur le marché immobilier.

La décision de Moody’s a été présentée comme brutale par le CIF37 car Moody’s avait confirmé la note de long terme de 3CIF en janvier 2012. L’agence notait alors le CIF pour la première fois sur une base « sollicitée »38. En effet, le CIF avait décidé de changer d’agence de notation. Il recourait jusqu’en 2011 aux services de Standard & Poor’s (S&P). Le changement de prestataire a été justifié par les modifications fréquentes de méthodologie de cette agence, qui auraient nui à la réalisation de son programme d’émission en 2011.

La mise sous revue de la notation de 3CIF par Moody’s s’inscrivait ainsi en réalité dans une série de signaux de la part des agences de notation qui aurait dû alerter. L’agence Fitch avait mis CIFD, les SFR, la BPI et 3CIF sous perspective négative en janvier 2012, en soulignant dans sa décision la dépendance au refinancement par des ressources de marché uniquement et l’augmentation des coûts de refinancement qui pesaient sur la profitabilité du groupe39. Moody’s, qui notait alors 3CIF sur base « non sollicitée »40, avait placé en perspective négative la notation de la dette subordonnée et junior du CIF en novembre 2011, dans le cadre d’une revue de l’ensemble des banques européennes41.

Compte tenu de l’imbrication des sociétés internes au groupe assurant son refinancement, la dégradation de la notation financière de 3CIF était de nature à entraîner un défaut rapide de l’ensemble du groupe CIF. En cas de dégradation, 3CIF n’aurait pu faire face à la restitution des sommes dues à CIF€ et CIF Assets. Ces derniers auraient pu décider de maintenir leurs financements à 3CIF, en contravention avec la documentation juridique présentée aux investisseurs mentionnant que les dépôts étaient effectués auprès de contreparties bien notées. Dans ce cas, CIF€, notamment, aurait vu sa notation rapidement dégradée. La menace de dégradation des notes de 3CIF, bien qu’elle ne déclenche pas en elle-même le mécanisme de rapatriement des fonds vers la société de crédit foncier et le véhicule de titrisation interne, a de facto rendu impossible l’approvisionnement du groupe en liquidité sur le marché. Le groupe CIF était dès lors en sursis : la décision effective de dégradation de Moody’s conduisant au défaut, le CIF n’a eu d’autre choix que de trouver dans l’urgence une solution pour assurer sa liquidité autre que le recours au marché.

Les changements de méthodologie de S&P invoqués et la mise sous perspective négative par Moody’s en novembre 2011 et Fitch en janvier 2012 constituaient de réelles alertes pour le groupe CIF. A posteriori, le changement de prestataire fin 2011, au profit de Moody’s, dénote ou bien une mauvaise maîtrise de la relation avec les agences de notation, ou bien une difficulté à tenir compte de ces alertes, auxquelles le CIF était impuissant à répondre. Ces alertes révélaient les difficultés de refinancement bien réelles du groupe et la fragilité intrinsèque de son modèle, très vulnérable aux facteurs macroéconomiques externes.

2 - Un écart de perception sur le traitement de la difficulté

Dès la connaissance de la menace de dégradation par Moody’s, le groupe CIF a alerté l’ACPR et la direction générale du Trésor des difficultés graves auxquelles il était confronté. Le conseil d’administration de CIFD convoqué le 1er mars 2012 a mandaté le président-directeur général pour rechercher un adossement dans les meilleurs délais et mettre en place une « solution technique de court terme au problème de refinancement » 42.

Le groupe sollicitait une intervention de l’État sous la forme d’une solution de « back-up temporaire »43 permettant d’éviter les conséquences de la dégradation de la note de 3CIF. Le dispositif d’interposition envisagé visait à permettre à CIF€ et CIF Assets de déposer leur trésorerie auprès d’une contrepartie extérieure au groupe et bien notée, susceptible de reprêter ces fonds à 3CIF.

L’État, rapidement mobilisé, lui a demandé dès mars 2012 de rechercher sans délai un adossement à un groupe bancaire plus puissant. Cette décision a été perçue par le CIF comme en retrait par rapport à sa demande d’intervention financière immédiate.

L’analyse du CIF était cependant en décalage avec le cadre juridique européen applicable aux aides d’État dans le secteur financier, dont la pratique est bien établie depuis 2008. Tout soutien financier de l’État ou d’un autre acteur public comme la Caisse des dépôts et consignations (CDC), aurait nécessité une notification au titre des aides d’État à la Commission européenne par les autorités françaises. Celle-ci aurait déclenché un examen de la viabilité de l’entreprise et précipité la mise en gestion extinctive. Un soutien public immédiat aurait, de plus, compliqué la recherche d’un adossement, l’octroi d’une garantie au CIF risquant d’être assimilé par la Commission à une aide à l’acheteur.

L’État a privilégié l’option de l’adossement, en raison des risques quasi certains que l’octroi d’emblée d’un soutien public aurait entraînés pour le CIF au regard du droit de l’Union européenne. Cette analyse ne semble pas avoir été partagée par les dirigeants du groupe CIF.

B - Les conséquences immédiates de la menace de dégradation

1 - Le recours à l’ELA de la Banque de France

Ne pouvant plus émettre sur le marché, le CIF a sollicité une assistance de liquidité d’urgence (ELA)44 de la part de la Banque de France, qui lui a été accordée le 3 mai 2012. L’ELA, qui a culminé à près de 4 Md€ fin décembre 2012, a été intégralement remboursée par le groupe CIF fin août 2013. Ce dispositif exceptionnel est une solution temporaire de dernier recours pour assurer la liquidité. Il ne constituait pas une solution pérenne pour le CIF.

2 - Le déclenchement des procédures d’alertes prévues

Le CIF a connu en avril-mai 2012 une période de fortes perturbations, son sort étant lié à la décision de dégradation de Moody’s. Cette décision a pu être suspendue durant tout le premier semestre 2012. Néanmoins, compte tenu des risques pesant sur la continuité d’exploitation, les procédures d’alerte prévues par les textes ont été déclenchées.

Les commissaires aux comptes du CIF ont lancé une procédure d’alerte le 2 mai 2012, après avoir informé l’ACPR dès le mois d’avril des risques sur la continuité d’exploitation du CIF. Le 7 mai 2012, l’Autorité des marchés financiers a demandé à Euronext de suspendre les transactions sur les obligations de 3CIF et CIF€, le CIF n’ayant pu, en raison de l’incertitude sur la continuité d’exploitation, déposer son rapport financier annuel 2011 dans les délais requis. L’AMF a transmis cette décision à l’autorité des marchés financiers du Luxembourg (CSSF), où l’essentiel de l’encours des titres de 3CIF et de CIF€ était coté.

Moody’s, tout en dégradant le 17 mai 2012 la note intrinsèque de 3CIF à « E », la note la plus basse, a maintenu la note de crédit de 3CIF, en raison de la « haute probabilité » d’un soutien du secteur public. Cette décision a contribué à permettre la clôture des comptes en continuité d’exploitation le 22 mai et la reprise des transactions.

3 - La limitation de la production du groupe

Compte tenu des risques persistants concernant l’avenir du groupe, et de la nécessité de ne pas augmenter ses besoins de liquidité, l’ACPR a décidé en juin 2012 de limiter l’activité de production de crédits du CIF. Ces mesures visaient une stabilisation de l’encours au montant atteint à cette date. En septembre, des critères qualitatifs concernant la quotité financée, le taux d’apport personnel et la durée des prêts étaient ajoutés45.

4 - Le report de la décision de Moody’s

Au total, la décision de Moody’s de dégradation de la note du groupe CIF n’aura lieu que le 28 août 2012, en raison des diligences menées par le secteur public pour trouver une solution pérenne pour le groupe. L’essentiel de l’année 2012 a ainsi été consacré à rechercher des solutions durables pour le groupe.

II - L’absence d’alternative à la mise en extinction

A - Des solutions examinées mais inopérantes

1 - L’hypothèse du défaut : un risque jugé systémique

L’État a écarté rapidement la possibilité de ne pas intervenir dans le dossier du CIF. La non-intervention de l’État, aurait conduit, en l’absence de repreneur pour le CIF, à l’application des procédures prévues par le code monétaire et financier et le code de commerce. Après avis de l’ACPR, le tribunal peut ouvrir une procédure de conciliation, de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire.

Selon l’analyse des conseils du groupe CIF conduite a posteriori en septembre 2013, les procédures de sauvegarde ou de redressement judiciaire, suivies d’une liquidation, auraient pu être utilisées dans la période précédant la dégradation de la note de 3CIF fin août 2012.

Ces procédures, qui se distinguent l’une de l’autre par l’existence ou non d’une situation de cessation de paiement, ont pour conséquence de geler les dettes alors que les actifs restent disponibles. Une négociation peut alors s’engager avec les créanciers. Selon ces analyses, un réaménagement des dettes de 3CIF, sous la forme d’une extension des maturités, aurait pu régler le problème de liquidité du groupe. En revanche, la mise sous procédure judiciaire de la société de crédit foncier ne l’exonérait pas de devoir rembourser à échéance les obligations foncières. La conduite de ces procédures n’aurait pas permis une restructuration du groupe à même d’en assurer la viabilité et aurait donc conduit à sa mise en liquidation.

Un tel scénario, sans octroi de la garantie de l’État, aurait permis aux actionnaires, selon ces analyses, de retrouver une partie de leurs fonds propres.

Cependant, ces analyses produites a posteriori reposaient sur des hypothèses dont l’acceptation par les créanciers et un tribunal n’était pas certaine. En tout état de cause, l’État n’a pas souhaité prendre le risque de ne pas intervenir.

En effet, l’État et la Banque de France ont considéré que le défaut du CIF sur ses obligations foncières pouvait avoir des conséquences systémiques. Ils ont craint que l’absence de soutien public au groupe CIF, émetteur important d’obligations foncières détenues par des investisseurs internationaux et notamment des banques centrales étrangères, engendre une défiance des investisseurs vis-à-vis de l’ensemble des émetteurs d’obligations foncières français, voire entraîne une hausse du coût de financement souverain dans le contexte tendu de 201246. La Commission européenne a reconnu le risque d’un impact important du défaut du CIF sur le marché des obligations foncières en zone euro, voire de l’ensemble des obligations sécurisées.

2 - Le refus des banques de la place de soutenir le CIF

L’État, au nom du risque qu’aurait fait peser un défaut de CIF€ sur l’ensemble des émetteurs d’obligations foncières français, a sollicité les banques françaises et le Fonds de garantie des dépôts (FGD)47 pour que ceux-ci organisent une structure de place susceptible de racheter le CIF. Une telle option aurait pu permettre un apport de liquidité dans l’immédiat, et le cas échéant, aurait conduit cette structure de place à décider dans un cadre privé du devenir du groupe CIF.

Les principales banques françaises ont refusé de participer à un tel dispositif, mettant en avant les risques pour elles-mêmes d’une exposition directe sur le groupe CIF, dans le contexte de révision générale des notations financières des banques européennes. Elles ont également souligné leur incertitude quant à la capacité des pouvoirs publics à trouver une solution pérenne pour le CIF une fois ce soutien d’urgence mis en place.

3 - L’impossibilité d’une reprise ou d’une aide sans contrepartie de la Caisse des dépôts et consignations

L’option d’une entrée de la section générale de la CDC au capital de CIFD a été rapidement écartée. L’intervention d’un acteur public en continuité d’exploitation est compatible avec le droit des aides d’État dès lors qu’il est possible de démontrer qu’il s’agit d’un investissement avisé. Le caractère avisé était difficile à démontrer compte tenu de la situation du CIF. En outre, un investissement de la CDC dans le CIF ne permettait pas de synergie avec l’activité de la Caisse, qui n’exerce aucune activité de banque de détail. Le procès-verbal de la Commission de surveillance du 10 octobre 2012 rapporte l’intervention du directeur général de la CDC : « M. Jouyet tient à réaffirmer que la Caisse des dépôts n’a pas vocation à distribuer des crédits aux particuliers. Il a d’ailleurs fait savoir, par différents canaux, qu’il n’était pas question d’adosser le Crédit immobilier de France à la Caisse des dépôts. »

L’adossement à la CDC n’était pas pertinent. En l’absence de synergie bancaire possible, il ne pouvait avoir lieu dans le cadre d’un investissement avisé. Cette possibilité étant écartée, une reprise potentielle par la CDC aurait constitué une aide État, comme l’a été la garantie de l’État. Dans ce contexte, un tel soutien aurait conduit à la mise en extinction du CIF48. Cette solution aurait fait peser les risques d’exécution de la résolution sur le bilan de la CDC, solution peu acceptable par cette dernière et par l’État.

Un soutien par le Fonds d’épargne, autre option envisageable en théorie, ne semblait pas pertinent. Celui-ci n’aurait pu fournir qu’un soutien en liquidité et non une solution pérenne. Surtout, il aurait constitué une aide d’État, les emplois du Fonds d’épargne étant décidés par le ministre des finances et ses ressources bénéficiant d’une garantie de l’État. À ce titre et comme tout autre soutien public, il aurait enclenché un examen immédiat de la viabilité du CIF et probablement fermé, avant tout autre examen, la piste de l’adossement à un acteur bancaire. Plus généralement, la CDC n’a pas vocation à être le prêteur en dernier ressort du système financier français.

4 - La nationalisation

L’État a envisagé mais écarté l’option de la nationalisation. Celle-ci n’aurait pu avoir lieu sans l’accord des SACICAP, qui semblait peu probable avant la réalisation effective de la dégradation de la note et la survenance réelle du défaut.

Une nationalisation à l’euro symbolique n’aurait donc pu se produire que dans un second temps, une fois la dégradation de la note de 3CIF effective. La nationalisation n’impliquait pas nécessairement le retrait de la licence bancaire du CIF et pouvait avoir lieu sans consolidation du bilan dans la dette publique49 au sens de la comptabilité nationale. Une garantie de l’État aurait été nécessaire sur les expositions internes compte tenu de la dégradation de la note. Cette solution aurait impliqué une perte totale des fonds propres pour les actionnaires. La gestion extinctive longue aurait pu permettre un retour financier à l’État.

Pour autant, le risque d’exécution d’un portage long d’actifs par l’État semblait élevé, notamment au regard de la nécessité de restructuration de l’établissement. La capacité de l’État actionnaire à gérer la structure sur très longue période était soumise à des aléas. L’État n’avait pas à l’époque une visibilité complète sur la qualité du portefeuille de crédits du CIF. Compte tenu de l’importance des prêts à taux révisables, le risque de renégociation des prêts de la part des clients du CIF aurait pu conduire à une dégradation de la situation financière de l’entité en extinction. En outre, il n’était pas évident pour l’État, dans un tel schéma, d’assumer la mise en extinction de l’entité concernée. Enfin, la nationalisation aurait pu avoir des conséquences sur la perception par les marchés de la situation de la France dans un contexte de crise des dettes souveraines.

B - Un espoir sans lendemain de reprise du CIF par LBP

Afin d’assurer la continuité d’exploitation, l’État a encouragé le CIF à rechercher un adossement de nature privée. Le conseil d’administration du CIF avait d’ailleurs également mandaté le président du groupe dès le 1er mars 2012 pour relancer la recherche d’un adossement, y compris en recourant à des pistes étrangères. L’État a appuyé cette démarche par des contacts avec des grands réseaux bancaires privés qui auraient pu marquer un intérêt pour le CIF, démarche qui n’a pas abouti. Une data room a été ouverte par le CIF mi-juin. À l’exception de La Banque Postale (LBP), seuls deux fonds d’investissement l’ont visitée mais sans donner suite.

Dans ce contexte, LBP, engagée récemment dans le lancement d’une offre de crédit immobilier, paraissait du point de vue de l’État le meilleur candidat potentiel à la reprise du CIF.

1 - Un examen approfondi dans des délais contraints

L’État a engagé avec le groupe La Poste des discussions au plus haut niveau dès le mois de mai et jusqu’à la fin du mois de juillet 2012. C’est à la demande de l’État que LBP a engagé un examen du dossier du CIF qu’elle n’aurait pas spontanément conduit50. Le ministre des finances a eu plusieurs entretiens avec les dirigeants du groupe La Poste. La direction générale du Trésor est intervenue pour demander des simulations nouvelles à LBP afin que soient examinés tous les schémas possibles.

LBP a exprimé des réticences dès le début des discussions. Le 28 juin 2012, LBP a fait part à l’ACPR et à la direction générale du Trésor de sa préoccupation quant à la découverte lors des premières diligences que 44 % des crédits octroyés aux clients du CIF présentaient une quotité financée supérieure à 100 %.

Une équipe projet d’une quinzaine de personnes assistée de différents conseils a travaillé sur le projet pendant plus d’un mois. De nombreuses réunions se sont tenues entre les équipes du CIF et de LBP. L’examen du dossier du CIF par LBP s’est achevé en juillet.

2 - Des risques trop élevés

Les opportunités apparentes pour LBP de la reprise du CIF résidaient dans la reprise des fonds propres du CIF, bien capitalisé. Le savoir-faire du CIF en matière de titrisation et sa société de crédit foncier pouvaient intéresser LBP51. De plus, cet adossement aurait permis à LBP d’accéder à une nouvelle clientèle sociale, dans la mesure où selon les diligences effectuées à l’époque, seule 10 % de la clientèle était commune aux deux réseaux.

Cependant, ces opportunités n’étaient qu’apparentes. L’absence de viabilité du modèle du CIF est ressortie clairement de l’analyse qu’ont menée les équipes de LBP à l’été 2012. Elle a conduit à constater le décalage croissant dans l’ajustement entre l’actif et le passif au bilan au cours des dernières années, engendrant des coûts de refinancement de plus en plus élevés. Le modèle économique du CIF n’était viable selon LBP que grâce au cycle de baisse des taux d’intérêt qui permettait de refinancer à court terme à taux favorable des crédits longs. Ce modèle n’était plus viable dès lors que les coûts de refinancement augmentaient, compte tenu de la marge d’intérêt faible du CIF. Selon LBP, le maintien de résultats positifs en 2010 et 2011 était lié à des évènements exceptionnels et masquait une diminution forte de la marge d’intérêt entre ces deux années, en raison des coûts croissants de refinancement.

Les risques liés à la gouvernance du CIF, jugée complexe et trop décentralisée et l’absence d’intégration des systèmes d’information entre les SFR apparaissaient également comme des facteurs de risque. Le management de LBP a souligné que le portefeuille de prêt était risqué par nature et ne correspondait pas à la politique de crédit de LBP (quotité financée et durée des prêts). Les synergies de réseaux étant faibles, des regroupements et des fusions auraient dû avoir lieu et auraient été potentiellement difficiles à mettre en œuvre.

Enfin, l’opération manquait d’intérêt stratégique pour LBP. La banque était d’ores et déjà bien positionnée sur le PTZ et s’apprêtait à lancer son offre de PAS. Elle pouvait réaliser le développement de cette offre sans recourir à une opération de croissance externe.

Selon LBP, l’adossement du CIF ne se serait pas traduit par un retour à la profitabilité du CIF sur 2012-2030 : compte tenu des perspectives de pertes, l’intégration du CIF aurait dégradé les ratios prudentiels de LBP, son ratio de solvabilité passant de 12,7 % à 10,2 %, son ratio structurel de liquidité à long terme (NSFR) passant de 121 % à 104 %.

Bien que l’État ait encouragé un rapprochement avec LBP, l’examen des conséquences de l’intégration du groupe CIF a révélé des opportunités faibles et des risques importants. Le jeune groupe bancaire était en 2012 confronté à de nombreux défis : réussir la mise en œuvre du financement des collectivités locales en partenariat avec la Caisse des dépôts52, conduire son développement commercial, réussir le lancement de son offre dans le crédit immobilier. L’intégration du CIF aurait été un pari risqué, qui ne semblait pas conforme à la prudence qui s’impose à un établissement financier comme à l’État actionnaire.

L’analyse du dossier du CIF par LBP a confirmé la vision de l’État de l’absence de viabilité du CIF.

LBP a néanmoins contribué à traiter certaines problématiques nées de la mise en résolution du CIF en s’engageant auprès de l’État à accélérer son offre à l’accession sociale à la propriété et en prenant des engagements quant à la reprise des salariés du CIF (cf. infra). LBP a enfin racheté la part majoritaire de CIFD dans SOFIAP (51 %), filiale financière du groupe CIF, détenue conjointement avec la SNCF.

C - L’absence de marge de manœuvre au regard du droit des aides d’État

La mise en extinction du CIF, qui résultait du constat de l’absence de viabilité de son modèle, a été mal acceptée par les dirigeants du groupe, qui en ont contesté le principe dès la décision de l’État d’octroyer sa garantie.

Des interrogations se sont également fait jour sur la nécessité de la mise en extinction, notamment à l’occasion de la table ronde organisée par le Sénat le 3 octobre 2012 et de l’audition par la commission des finances de l’Assemblée nationale du directeur général du Trésor et du président-directeur général du CIF le 22 octobre 2012.

1 - La mise en résolution, contrepartie obligatoire de l’aide d’État

La multiplicité et la concomitance de nombreux cas de défaillances bancaires concentrées dans la période de la crise de 2008-2009 ont conduit la Commission européenne à élaborer une doctrine d’intervention et d’approbation en accord avec les dispositions du traité. C’est à partir de sa pratique ancienne du droit de la concurrence que les aides d’État ont été examinées, non sans la souplesse que permet le traité. Le droit de la concurrence est fondé sur l’article 107 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne qui déclare incompatibles avec le marché commun les aides d’État versées à certaines entreprises ou produits entraînant des restrictions de concurrence.

Lors de la crise de 2008, la Commission s’est appuyée sur l’article 107§3 (b) du traité permettant aux États d’intervenir pour remédier à une perturbation grave de l’économie.

Les principes généraux de l’aide d’État

Pour être compatible avec le traité, le régime d’aide doit être de portée générale, les mesures exceptionnelles et temporaires et prendre fin dès que la situation économique le permet.

Les aides ne doivent pas excéder deux ans et doivent être réexaminées tous les six mois.

Elles doivent être ciblées, proportionnées et non discriminatoires ; leur attribution est fondée sur des critères objectifs.

La Commission a défini les lignes directrices de sa doctrine dans quatre communications relatives au secteur financier datant de 2008-2009. Ces communications ont été mises à jour et complétées en 2011 et 2013.

Les communications de la Commission européenne

- communication de portée générale publiée le 25 octobre 2008. Elle a eu pour objet les mesures de garantie, les mesures de liquidité d’urgence (« ELA ») et la liquidation. Elle s’est appliquée à la garantie temporaire octroyée au CIF. Cette communication a été mise à jour par une nouvelle communication le 31 juillet 2013. Cette dernière s’est appliquée à l’aide définitive accordée au CIF ;

- communication publiée le 15 janvier 2009 sur les recapitalisations ;

- communication publiée le 26 mars 2009 sur le traitement des actifs dépréciés ;

- communication publiée le 18 août 2009 sur le retour à la viabilité et l’appréciation des mesures de restructuration dans le secteur financier ;

- communication publiée le 1er décembre 2011 concernant l'application, à partir du 1er janvier 2012, des règles en matière d'aides d'État accordées aux banques dans le contexte de la crise financière. Le montant de la garantie a été calculé sur la base de cette communication.

Les principes de l’aide d’État sont restés constants au cours du temps : le retour à la viabilité (caractère temporaire de l’aide), les mesures compensatoires pour les distorsions de concurrence (restructuration ou résolution) et la contribution propre du bénéficiaire (burden sharing).

La doctrine de la Commission a été rendue plus stricte par sa communication du 31 juillet 2013. Celle-ci pose l’exigence de présenter un plan de restructuration pour les banques bénéficiant de garanties publiques dans les deux mois dès lors que « l'encours total des engagements garantis (y compris les garanties accordées avant la date de cette décision) dépasse un ratio de 5 % du total des engagements et un montant total de 500 M€ ». Le CIF était dans ce cas, l’encours garanti ayant été d’emblée supérieur à 500 M€ compte tenu de l’existence d’une garantie sur les dépôts internes, qui dépassait ce montant.

Ainsi, l’octroi d’une garantie publique permettant d’assurer la liquidité du CIF nécessitait la présentation par la France d’un plan de restructuration. Le plan de restructuration peut conduire à restaurer la viabilité d’une banque53 notamment en cédant ou en interrompant les activités déficitaires, ou bien à sa mise en liquidation (résolution) si la viabilité sans aide d’État ne peut être démontrée, en s’appuyant sur la définition suivante : « Une banque est viable à long terme lorsqu'elle est en mesure de couvrir la totalité de ses coûts, y compris les coûts d'amortissement et les charges financières, et d'obtenir un rendement approprié de ses fonds propres compte tenu de son profil de risque. Une banque ayant fait l'objet d'une restructuration doit être à même d'exercer une concurrence sur le marché pour obtenir des capitaux sur la base de ses qualités intrinsèques, conformément aux exigences réglementaires applicables ».

Lorsque la viabilité d’une entité ne peut être établie, l’aide d’État ne peut être autorisée, sauf en contrepartie d’une mise en résolution, c’est-à-dire d’une gestion extinctive.

La restructuration de l’activité du CIF n’était pas envisageable. Le CIF ne pouvait plus accéder à la liquidité sans aide d’État. Il ne trouvait pas de repreneur. La mise en gestion extinctive était la seule voie possible.

Le groupe CIF a contesté cette vision, en estimant pouvoir être restructuré et non mis en résolution.

2 - La tentative du CIF de maintenir une activité hors du périmètre de la résolution

Le groupe CIF a défendu pendant plusieurs mois l’idée de maintenir une activité, en s’appuyant sur le concept européen de service d’intérêt économique général (SIEG).

Le projet défendu visait la constitution d’un service d’intérêt économique général de l’accession sociale à la propriété, qui aurait consisté à créer une nouvelle entité autour des SACICAP et d’un nouvel établissement de crédit, le cas échéant en partenariat avec des acteurs publics (la CDC ou LBP ont été évoquées). Cette structure aurait accordé des financements aux ménages exclus du crédit pour permettre de financer des opérations d’amélioration de l’habitat, la vente d’HLM aux occupants et l’accession à la propriété pour les ménages les plus modestes ayant essuyé deux refus des banques traditionnelles. La production annuelle se serait élevée à environ 1 Md€ en régime de croisière.

Cette proposition a été instruite par l’administration, sous l’égide du secrétariat général de la Présidence de la République, en tant qu’alternative possible à la mise en gestion extinctive complète, en parallèle à la préparation de la loi de finances sur l’article de garantie. Cette proposition a été évoquée lors de la table ronde organisée en octobre 2012 à la commission des finances du Sénat. Pour autant, elle n’a pas été retenue.

La doctrine européenne sur les SIEG

La notion de SIEG est utilisée aux articles 14 et 106, paragraphe 2, du TFUE, ainsi que dans le protocole n° 26 annexé au TFUE, mais elle n'est pas définie par le droit de l’Union européenne. Elle a été précisée principalement par la jurisprudence de la Cour de Justice européenne et par des communications successives de la Commission européenne.

La Commission a ainsi défini les SIEG : « des activités économiques remplissant des missions d’intérêt général qui ne seraient pas exécutées (ou qui seraient exécutées à des conditions différentes en termes de qualité, de sécurité, d’accessibilité, d’égalité de traitement ou d’accès universel) par le marché en l'absence d'une intervention de l'État. L'obligation de service public est imposée au prestataire par mandat et sur la base d'un critère d'intérêt général garantissant la prestation du service à des conditions lui permettant de remplir sa mission ».

Ainsi, un SIEG doit effectuer une activité qui ne peut être réalisée dans les mêmes conditions par le marché, recevoir un mandat définissant des obligations de service public particulières et une compensation de service public.

Un tel projet s’analysait comme bénéficiant d’une aide d’État injustifiée. En effet, le financement public ne pouvait se justifier qu’en cas de défaillance de marché concernant l’accession sociale à la propriété. Or, selon l’analyse même du CIF, celui-ci n’avait qu’une part de marché estimée à 20 % des accédants les plus modestes54, le Crédit Foncier notamment couvrant ce segment à hauteur de 50 % et les établissements traditionnels de 30 %. Dans la mesure où ces prêts étaient accordés par le CIF en situation concurrentielle, il ne semblait pas possible de démontrer l’existence d’une défaillance de marché justifiant un financement de nature publique.

L’examen de la doctrine européenne dans le domaine des SIEG de nature bancaire atteste par ailleurs d’une interprétation limitée aux services bancaires et d’épargne de base. Dans ce cadre, certains cas valides au regard de la doctrine recouvrent une activité de micro-crédit55 pour des prêts d’urgence à la consommation de petit montant mais non une activité de crédit immobilier.

La « Green Investment Bank » autorisée par la Commission européenne

Le cas de la « Green Investment Bank » du Royaume-Uni, a été cité parfois comme l’un des cas qui aurait pu inspirer la création d’un SIEG à partir du CIF. Cette banque, qui a pour unique actionnaire l’État, a été jugé conforme au droit des aides d’État.

Ce projet présente des différences fondamentales avec le CIF : elle apporte des financements, le plus souvent sous la forme de prêts, de garantie et d’investissements en capital, à des projets environnementaux de grande taille qui n’ont pu trouver un financement intégral par le marché (infrastructures, énergie, biocarburants, etc.). L’activité est donc très différente de celle d’une activité de crédit à des ménages modestes.

Par ailleurs, dans le cas de la « Green Investment Bank », la justification de l’aide est liée à la production d’externalités positives pour l’ensemble de la société, par ses bénéfices environnementaux. L’existence d’externalités positives pour l’ensemble de la société s’agissant de l’accession sociale à la propriété est moins facilement démontrable.

De plus, au-delà de sa conformité au droit de l’Union européenne, la création d’un tel service d’intérêt économique général, semblait opérationnellement très difficile à mettre en œuvre. Elle aurait nécessité une restructuration profonde des structures existantes, et plus probablement leur suppression et le remplacement par de nouvelles structures, l’intervention en liquidité ou en capital d’un acteur public à désigner.

La création d’un SIEG ne constituait donc pas une alternative à la mise en extinction du CIF, mais un nouveau projet pour les SACICAP. Il ne réglait en rien les difficultés du CIF. Il n’aurait pu bénéficier des fonds propres du CIF, nécessairement mobilisés pour gérer l’encours en extinction.

Ce projet n’était pas acceptable par l’État et ne l’aurait probablement pas été pour la Commission européenne. Il ne répondait pas à une nécessité d’intérêt général identifiée dans le cadre de la politique publique du logement, déjà mise en œuvre par l’État par d’autres moyens dans le domaine de l’accession sociale à la propriété (prêts PAS, PTZ, vente HLM). Il reflétait davantage un projet d’avenir pour les SACICAP qu’un projet de restructuration du groupe CIF. Il traduit le fait que cet ensemble, malgré la séparation des activités bancaires opérée par la loi depuis les années 2000, était indissociable dans l’esprit des dirigeants du groupe.

La défense de ce projet a pu entretenir encore quelque temps la confusion sur la possible viabilité de la banque elle-même, qui n’était pourtant pas démontrable. L’assemblée générale des actionnaires de CIFD qui s’est réunie le 24 janvier 2013 a refusé de ratifier la nomination de M. Michel Bouvard comme président du conseil d’administration, le président de l’UES-AP estimant que le CIF s’était « censuré » sur la recherche de solutions alternatives à l’extinction, notamment via la Caisse des dépôts ou la création d’un SIEG.

III - Un plan de résolution en partie dérogatoire

A - Une garantie adaptée à l’extinction sur longue durée

1 - L’octroi de la garantie de l’État

La dégradation effective de la note du groupe CIF conduisait sans garantie de l’État à interrompre à brève échéance la continuité d’exploitation. En l’absence de reprise du CIF par LBP, Moody’s a annoncé, le 28 août 2012, la dégradation de la notation attribuée aux titres et dépôts émis par la centrale de trésorerie de trois crans, les notations de long et de court terme respectivement de 3CIF passant de A1 et P1 à Baa1 et P2. Dans ces conditions, le conseil d’administration de CIFD réuni en urgence le 31 août 2012 a réitéré sa demande de la garantie de l’État. Les représentants du ministre de l’économie présents ont exposé les conditions mises à l’octroi de cette aide, en particulier l’arrêt de la production et la préparation d’un plan de résolution. L’État prenait également acte de la décision du président-directeur général du CIF de faire valoir ses droits à la retraite et indiquait s’attendre à ce qu’il renonce à ses indemnités56.

Le 1er septembre, l’État annonçait publiquement son intention d’octroyer sa garantie au CIF. Celle-ci a été effectivement votée en loi de finances initiale pour 2013 (article 108 de la loi du 29 décembre 2012 de finances pour 2013). Elle se décompose en deux parties :

- la garantie dite interne, entre les entités du groupe CIF, qui garantit les créances de CIF€ et CIF Assets contre 3CIF, ainsi que les contrats de couverture (swaps) conclus entre elles. Elle est plafonnée à 12 Md€ ;

- la garantie externe, couvrant les futures émissions de 3CIF. Elle est plafonnée à 16 Md€.

2 - La garantie temporaire et la préparation d’un plan de résolution

La négociation avec la Commission européenne s’est engagée informellement dès août 2012 et s’est poursuivie jusqu’en février 2013. Après accord du conseil d’administration de CIFD le 7 janvier puis de l’assemblée générale des actionnaires le 24 janvier, l’État a formellement notifié le 14 février 2013 à la Commission européenne une garantie de l'État sur le fondement de l’article 107 (3) § b) du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, en vue de remédier à une perturbation grave de l’économie. La Commission européenne a autorisé la garantie temporaire le 21 février 2013.

La garantie temporaire, conformément au dispositif voté en loi de finances, comportait deux parties distinctes, l’une couvrant les créances « internes » au groupe CIF et l’autre les futures émissions de titres de dette par 3CIF, permettant d’assurer le refinancement du groupe57. Cette garantie temporaire s’accompagnait de la reprise par la Commission européenne du principe de limitation de la production conformément aux critères définis par l’ACPR. Les autorités françaises s’engageaient, en contrepartie de l’aide, à présenter un plan de résolution ordonnée à la Commission européenne dans un délai maximal de six mois.

La garantie temporaire a été prolongée par la Commission européenne le 14 août 2013 en raison de l’impossibilité pour la France de présenter un plan de restructuration à cette date. En effet, la consultation des institutions représentatives du personnel du CIF nécessitait des délais significatifs en raison de la structure juridique complexe du CIF (un comité central d'entreprise, quatorze comités d'établissement et quatorze comités d'hygiène et de sécurité).

3 - Une garantie définitive aux plafonds très élevés

L’aide définitive, assortie d’un plan de résolution a été notifiée le 23 octobre 2013 à la Commission et approuvée le 27 novembre 201358. L’échéance maximale de la garantie est fixée à 2035. Il s’agit d’une garantie autonome, inconditionnelle, irrévocable et à première demande. Le garant doit payer au premier appel du bénéficiaire59.

Elle porte sur un encours maximal total de 28 Md€, qui se décompose en deux parties.

La garantie dite interne, entre les entités du groupe CIF, garantit les titres de CIF€ et CIF Assets contre 3CIF, ainsi que les contrats de couverture (swaps) conclus entre eux. Elle est plafonnée à 12 Md€. Ce montant a été déterminé en fonction de la trésorerie déposée au sein de 3CIF par CIF€ et CIF Assets. Une marge de sécurité tenant compte de la variation de la valeur de marché des swaps associés aux dépôts de trésorerie été incluse dans le calcul du plafond. La garantie interne est fortement dérogatoire au droit commun des aides d’État, qui n’autorise pas, en principe, de garantie sur des créances existantes. La difficulté dans le cas de ces créances internes au groupe, qui sont au cœur de la fragilité du CIF, a été contournée, l’État et le CIF ayant fait valoir auprès de la Commission européenne qu’il s’agissait de dépôts sans cesse renouvelés (« rolled-over »), et dont la garantie permettait de limiter le montant total de l’aide, interprétation qui a été admise par la Commission.

La garantie externe ne couvre que les nouvelles émissions de 3CIF, désormais seule entité émettrice du groupe, CIF€ ne devant plus émettre d’obligations foncières. Le CIF se refinance désormais uniquement en dette garantie émise par 3CIF, au moyen de titres d’une durée de vie obligatoirement supérieure à trois mois et inférieure à cinq ans. L’encours de la garantie externe est plafonné à 16 Md€. Ce montant a été déterminé en fonction de la situation prévisionnelle de trésorerie du groupe, résultat des prévisions d’écoulement des actifs et des passifs. Une marge de sécurité a été ajoutée en s’appuyant sur des hypothèses de « stress » concernant le taux de remboursement anticipé des clients, le risque d’augmentation des besoins de liquidité pour collatéraliser les opérations de couverture de swap de taux et le risque que la BCE exige un remboursement anticipé du Long term refinancing operation (LTRO).

Tableau n° 8 : décomposition des plafonds de garanties (en Md€)

[A consulter dans le fichier word ou pdf joint]

Le pic du besoin de liquidité devrait être atteint courant 2015 autour de 15 Md€ pour un plafond total autorisé de 28 Md€. 

Tableau n° 9 : encours garantis par l’État

[A consulter dans le fichier word ou pdf joint]

L’encours garanti en 2014 a été légèrement supérieur au montant prévisionnel indiqué dans le plan de résolution. Le montant de la garantie externe est en effet supérieur aux prévisions de 5,7 Md€ alors que le montant de garantie interne est inférieur de 2,7 Md€. En effet, afin de réduire tout risque d’incident de financement, 3CIF préfinance ses besoins de liquidité avec trois mois d’avance. Cette mesure, qui n’était pas initialement prévue dans le plan de résolution, conduit à un surfinancement temporaire du groupe et avance dans le temps le pic du besoin de liquidité. CIF€ est autorisée dans ce contexte à retirer une partie de sa trésorerie garantie auprès de 3CIF et à la placer en bons du Trésor à taux fixe. Ce mécanisme permet de diminuer le montant de l’encours de garantie interne, dont le coût est un peu plus élevé que la garantie externe.

B - Des conditions financières spécifiques

Tenant compte de la spécificité du CIF, qui était bien capitalisé, l’État a fait admettre par la Commission européenne la possibilité d’un retour d’une partie de fonds propres aux actionnaires, dès 2018. La contribution du CIF, bénéficiaire de l’aide, réside dans la rémunération de la garantie, relativement élevée, mais conforme à la pratique européenne.

1 - Une distribution de dividendes autorisée dès 2018

Bien que la Commission ait régulièrement appliqué strictement sa doctrine aux termes de laquelle les actionnaires privés sont en général évincés en cas d’aide d’État au secteur financier, les autorités françaises ont obtenu que les actionnaires puissent percevoir des « dividendes » sur les fonds propres excédentaires dès 2018.

Le cas du CIF est donc un cas particulier au plan européen compte tenu du montant important de ses fonds propres. La Commission a souhaité plafonner les retours aux actionnaires au boni qu’ils auraient obtenu sans aide d’État en cas de liquidation. En d’autres termes, selon la doctrine européenne, si l’aide d’État est indispensable à la stabilité financière, elle ne doit pas permettre aux actionnaires de reconstituer leur mise de fonds de départ. Cette doctrine vise à limiter l’aléa moral au sein du secteur bancaire.

La Commission européenne indique ainsi dans sa décision définitive : « Ainsi, eu égard à cette particularité du CIF, il convient de tempérer exceptionnellement le principe d'une contribution propre des actionnaires, qui implique en principe une interdiction de libérations de réserves et autres distributions de fonds propres, en permettant à ces derniers de se voir distribuer, dans certaines limites, une partie significative des fonds propres de la banque sous la forme de dividendes et d'un éventuel boni de liquidation, sans que cette distribution n'empiète sur la rémunération appropriée de l'État au titre de sa garantie. »

Ce boni est plafonné à 650 M€ (en valeur actualisée nette à 8 % de 2013)60. Cette distribution pourra être effectuée à partir de 2018, alors même que le CIF devrait, à cette date, toujours bénéficier d’une garantie d’État pour un encours initialement prévu de 13 Md€. Près d’un tiers du versement pourrait avoir lieu à cette date, les montants diminuant ensuite année par année, compte tenu de l’écoulement progressif du bilan.

Tableau n° 10 : distribution de fonds propres aux actionnaires

[A consulter dans le fichier word ou pdf joint]

2 - Une rémunération de la garantie adaptée

La rémunération de la garantie définitive est constituée d'une commission de base de 5 points de base de l’encours garanti, payable mensuellement, et d’une commission additionnelle de 145 points de base sur l’encours effectif de la garantie externe et de 148 points de base sur l’encours effectif de la garantie interne, payable annuellement, soit une commission totale de 150 points de base au titre de la garantie externe et de 153 points de base au titre de la garantie interne. Ce calcul se fonde sur la formule définie par la Commission européenne dans sa communication du 1er décembre 2011 concernant l'application des règles en matière d'aides d'État aux aides accordées aux banques dans le contexte de la crise financière. Cette formule prévoit une prime de base, une prime reflétant le niveau de risque intrinsèque de la banque aidée et une prime reflétant le niveau de risque souverain de l’État membre accordant la garantie.

Selon le scénario central du plan de résolution ordonnée, la rémunération de la garantie conduirait à un versement à l’État de 2,376 Md€ sur l’ensemble de la résolution. Les versements de dividendes aux actionnaires seraient de 1,189 Md€.

Tableau n° 11 : rémunération de la garantie selon les hypothèses du plan de résolution

Tableau n° 12 : commissions de garanties perçues par l’État

[A consulter dans le fichier word ou pdf joint]

La rémunération par le CIF de la garantie de l’État est permise par la souscription d’une action de préférence par l’État dans le capital de CIFD. Elle est sécurisée par un nantissement de titres détenus par CIFD dans ses filiales au profit de l’État. Le paiement de la commission de garantie est prioritaire sur toute distribution de fonds propres aux actionnaires. Il peut être différé en cas de stress identifié par l’ACPR ou si le ratio de solvabilité est inférieur à 12 %.

Le montant de la rémunération de la garantie de l’État a fait l’objet d’une négociation avec la Commission européenne : alors que les autorités françaises envisageaient initialement une garantie de 5 points de base, la Commission a estimé que seules les banques dont les actionnaires ont été évincés au profit du secteur public peuvent bénéficier de telles conditions. Le montant relativement élevé de la rémunération de la garantie représente ainsi la contribution des actionnaires du CIF.

Coût des garanties octroyées à Dexia et à PSA Finance

Dexia, également en résolution ordonnée, n’a pas toujours bénéficié d’une garantie de 5 points de base. Cette faible rémunération n’est apparue qu’avec la nationalisation du groupe. La garantie accordée à PSA Finances, établissement en restructuration et non en résolution, était nettement plus élevée que celle accordée au CIF, puisque qu’elle s’établissait à 260 points de base au minimum, ce montant pouvant être accru jusqu’à 491 points de base en fonction de la proportion de véhicules vendus avec un financement PSA Finance (afin d’éviter une distorsion de concurrence au profit de PSA).

C - Les conséquences opérationnelles pour le groupe CIF 

Le plan de résolution se caractérise par un portage long des actifs en extinction qui permet d’optimiser la valeur patrimoniale du CIF et de réduire au maximum le risque d’appel de la garantie de l’État. Il ne présente pas « d’accélération » de bilan, par des cessions d’actifs ou des mises en liquidation forcée qui auraient pu conduire à des moins-values : le bilan s’éteint au fur et à mesure que les clients du CIF remboursent leurs prêts.

Ainsi, le CIF doit s’éteindre en 2030 dans le scénario central, et 2035 dans le scénario de stress, au titre du plan de résolution notifié à la Commission. Le plan de résolution prévoit également la cession des entités viables. La gestion extinctive entraîne une décrue progressive des effectifs.

1 -L’arrêt de la production et le retour sur les marchés

Les SFR ont arrêté définitivement la production à compter de la décision définitive de la Commission européenne de novembre 2013. Hors coût de la garantie, le produit net bancaire a continué à croître en 2013 par rapport à 2012, du fait du maintien partiel de la production, puis a diminué à partir de 2014 pour s’établir à 417,7 M€ soit un montant inférieur au niveau atteint depuis 2007.

Le résultat net est négatif depuis la mise en œuvre de la résolution. Après un exercice 2013 fortement déficitaire (- 481,4 M€) du fait de l’enregistrement de 407,3 M€ de charges au titre de l’accord de gestion sociale, le résultat se redresse en 2014 mais reste négatif à - 205,1 M€.

Le refinancement du groupe est désormais uniquement assuré par 3CIF, CIF€ n’émettant plus d’obligations foncières. Revenu uniquement sur le marché des placements privés en 2013, 3CIF a émis avec succès sur le marché des émissions publiques en 2014 et a bénéficié de conditions de refinancement extrêmement favorables.

Tableau n° 13 : émissions garanties du CIF

[A consulter dans le fichier word ou pdf joint]

2 - Des cessions limitées

Seules quelques entités périphériques du groupe ont pu être cédées, ni la BPI ni aucune SFR n’ayant trouvé de repreneur. La filiale de courtage Assurances et Conseils a été vendue au groupe Verspieren (avec une moins-value de 10,5 M€). La part de CIFD dans la SOFIAP a été cédée à La Banque Postale, qui la détient désormais conjointement avec la SNCF (moins-value de 21,4 M€). Enfin, le portefeuille de RMBS du groupe a été cédé en 2015. Les actifs immobiliers sont cédés au fur et à mesure en fonction des opportunités.

3 - La simplification juridique et opérationnelle du groupe

Le plan de résolution prévoit une simplification de l’organisation et de la gouvernance du CIF avec la fusion au sein de CIFD des différentes SFR. En décembre 2014, une première étape a été franchie avec l’apport par les SACICAP de leurs titres dans les filiales financières à la holding du groupe. Cette étape est un préalable nécessaire à la fusion des SFR avec CIFD.

La fusion des SFR au sein de CIFD prévue par le plan permet une simplification de la gouvernance (suppression des conseils d’administration locaux), une simplification opérationnelle du groupe avec une gestion progressivement centralisée de l’encours de prêts, et un allègement des fonctions de direction, les postes de directeurs généraux de filiales étant progressivement supprimés. La fusion des SFR devait s’étaler sur 2015-2016 avec une fusion des neuf filiales régionales, d’abord CIFRAA début 2015 puis des fusions avec CIFD par groupe de deux ou trois SFR.

Les plates-formes de gestion seront progressivement rationalisées et fermées. Le plan prévoit leur regroupement en fonction de la diminution de la taille critique de chaque plate-forme. Ces modalités de regroupement qui rendent les fermetures incertaines ne facilitent pas la mise en œuvre de la décrue des effectifs, créant une situation d’incertitude préjudiciable tant aux salariés qu’au management.

Les fusions juridiques nécessitent une homogénéisation des conditions opérationnelles de fonctionnement du groupe afin de produire tous leurs effets en termes d’économies d’échelle et de meilleur contrôle des risques. À cet égard, le projet « Diapason » vise à uniformiser au sein du groupe les pratiques dont le fonctionnement était jusque-là extrêmement hétérogène. La rationalisation informatique est en cours avec la migration, qui sera achevée fin 2015, des différentes SFR sur un même système d’information XLoan. La fusion des bases clients est également prévue avec l’objectif d’une base unique à fin 2016.

4 - Les modalités de surveillance de la résolution

La garantie ouvre des droits de gouvernance pour l’État. La loi du 29 décembre 2012 de finances pour 2013 octroyant la garantie de l’État à 3CIF a prévu la présence d’un commissaire du Gouvernement aux réunions du conseil d’administration de CIFD tant que durera la garantie ainsi que la signature d’un protocole passé entre l’État et le groupe CIF. Par ce protocole, signé entre 3CIF, CIFD, CIF€ et l’État, CIFD s’engage à respecter et mettre en œuvre les engagements pris dans la décision de la Commission de novembre 2013 c’est-à-dire la mise en œuvre de la résolution ordonnée telle que prévue par le plan.

Le protocole de garantie prévoit le contrôle par un comité de suivi chargé de s’assurer de la protection des intérêts patrimoniaux de l’État. Il comprend les représentants de la direction générale du Trésor, les dirigeants responsables de CIFD avec voix consultative, et, sur invitation, des représentants de l’ACPR et de la Banque de France. Il peut entendre des représentants des salariés du CIF. Le protocole exige également l’agrément préalable de l’État à toute opération importante, notamment les émissions, cessions, etc. Les dirigeants du CIF seraient révoqués si le commissaire du Gouvernement le demandait par écrit et de manière motivée. Le CIF ne doit procéder à aucune nomination ou révocation sans son agrément préalable.

Enfin le suivi des engagements de l’État pris vis-à-vis de la Commission européenne est effectué par un expert indépendant qui remet un rapport à la Commission ainsi qu’au CIF et aux autorités françaises sur une base annuelle.

IV - Les conditions de départ des dirigeants effectifs

A - Des indemnités de départ légalement acquises

Les deux dirigeants effectifs au sens de l’article L. 511-13 du code monétaire et financier ont fait valoir leurs droits à la retraite, le président-directeur général dès août 2012 et la secrétaire générale en mars 2013. Le coût de leurs départs s’élève à 1,13 M€.

1 - Le président-directeur général

Parmi les conditions préalables à l’octroi de sa garantie, l’État avait demandé que le président-directeur général abandonne son mandat et renonce à ses indemnités. Lors du conseil d’administration du 31 août 2012 pendant lequel les administrateurs ont confirmé la demande de garantie à l’État et en présence des représentants du ministère de l’économie et des finances, M. Claude Sadoun a fait valoir ses droits à la retraite, sans pour autant renoncer aux indemnités associées.

Une « indemnité de fin de carrière » au bénéfice du président-directeur général avait été confirmée à l’unanimité par les administrateurs lors du conseil d’administration du mois précédent, le 25 juillet 2012. Lors de ce même conseil, l’indemnité de mandat au titre de l’exercice 2012 avait été portée de 550 000 à 560 000 €. C’est sur la base de ce nouveau montant que l’indemnité de fin de carrière a été calculée. Cette indemnité avait été votée, conformément aux dispositions du code de commerce et du code monétaire et financier, lors du conseil d’administration du 26 octobre 201061 et renouvelée le 20 septembre 2011 dans les mêmes termes.

M. Sadoun a donc perçu une indemnité de 700 000 € bruts (soit 622 104,70 € nets) en dépit des fortes réserves exprimées par l’État.

2 - La directrice générale adjointe

Préalablement à l’annonce officielle de la garantie, l’État avait également demandé le départ de la seconde dirigeante effective, Mme Christine Auffret, directrice générale adjointe de CIFD depuis juin 2007 assurant les fonctions de secrétaire générale. L’État a finalement renoncé à cette condition lors du conseil d’administration du 31 août 2012. Mme Auffret, qui était salariée et non mandataire social, a été maintenue sans affectation au sein de la direction générale de CIFD pendant plusieurs mois.

Mme Auffret a perçu, après avoir fait valoir ses droits à la retraite, une indemnité de départ de 129 963 € bruts dans les conditions prévues par son contrat de travail qui correspond à 5,25 mois du douzième du salaire brut perçu entre le 1er mars 2012 et le 28 février 2013.

Elle a par ailleurs conclu, dès le 9 octobre 2012, un protocole d’accord transactionnel avec CIFD aux termes duquel elle a obtenu le versement d’une rémunération variable au titre de 2012 (23 000 €), une prime spéciale de 6 000 € bruts « eu égard au surcroît exceptionnel d’activité liée à la menace de dégradation par l’agence de notation Moody’s » ainsi qu’une indemnité de 270 000 € au titre des dommages et intérêts en réparation du grave préjudice moral, financier et professionnel subi.

Mme Auffret a ainsi perçu, à l’occasion de son départ à la fin du mois de mars 2013, soit sept mois après l’annonce de la garantie de l’État, 428 963 € bruts au titre de ses diverses indemnités.

B - L’absence de moyens juridiques à la disposition de l’État

Bien qu’ayant annoncé dès septembre qu’il octroierait sa garantie au CIF, l’État ne pouvait pas légalement s’opposer au versement des indemnités à M. Sadoun et à Mme Auffret décidées respectivement en août et en octobre 2012. Ce n’est en effet qu’à partir du 28 février 2013, date de la signature de la convention de garantie temporaire62, que l’État a acquis un pouvoir d’agrément sur la gouvernance de la banque et sa politique de rémunération. Cette prérogative ne vaut que pour l’avenir.

Aucune disposition législative et réglementaire ne permettait à l’État, avant la signature de la convention de garantie temporaire, de s’opposer, même rétroactivement, au versement des indemnités.

Les décrets du 30 mars 200963 et du 20 avril 200964, qui prévoient l’encadrement des rémunérations des dirigeants, ne trouvent pas à s’appliquer au cas d’espèce car ils ne concernent que les entreprises bénéficiant du concours de la société de prise de participations de l’État (SPPE) et du Fonds de développement économique et social (FDES).

De même, la loi du 2 novembre 2011 de finances rectificative pour 2011 qui dispose que le conseil d’administration d’un établissement de crédit à l’égard duquel l’État s’est financièrement engagé par la souscription de garanties ne peut pas décider ou proposer l’attribution ou le versement d’éléments de rémunération variable, ne s’applique pas à CIFD, qui est une compagnie financière, et n’encadre pas les conditions de départ des dirigeants.

Seule une disposition législative de portée générale permettrait d’interdire le versement d’indemnité de départ aux dirigeants d’établissements financiers bénéficiant d’un concours financier public exceptionnel rendu nécessaire pour éviter sa défaillance.

CONCLUSION ET RECOMMANDATION

La possibilité d’une dégradation de la note de 3CIF par Moody’s engendrait pour le CIF un risque de défaut à brève échéance. Le CIF a sollicité rapidement un soutien public pour parer à cette éventualité.

Alors que cette menace a été annoncée le 15 février 2012, l’agence de notation n’a procédé à la dégradation effective de la note de 3CIF que le 28 août 2012. La période intermédiaire a été mise à profit par l’État pour évaluer toutes les options permettant d’éviter la mise en extinction du groupe CIF. Aucune solution n’a pu être trouvée. En particulier, la reprise du groupe par La Banque Postale a été étudiée de manière approfondie. Les risques ont néanmoins été jugés trop grands par LBP et l’opération ne s’est pas réalisée.

L’État, en accord avec la Banque de France, a jugé que le défaut potentiel du CIF présentait un caractère systémique. De fait, un défaut du CIF sur ses obligations foncières, détenues en partie par des investisseurs internationaux, aurait pu avoir des conséquences pour l’ensemble des émetteurs français d’obligations foncières. Le caractère systémique d’un défaut potentiel du CIF a été reconnu par la Commission européenne. Aussi, l’État a écarté la simple mise en liquidation du groupe et a annoncé son intention d’octroyer sa garantie au CIF dès l’annonce par Moody’s de la dégradation effective de la note de 3CIF fin août 2012.

Le CIF, en l’absence de repreneur, compte tenu de son modèle économique, ne pouvait être restructuré à court terme et rendu viable. Il ne pouvait pas non plus être transformé en banque publique du logement, qui n’aurait été ni conforme au droit de l’Union européenne ni nécessairement utile à la politique du logement.

L’octroi d’une garantie d’État, comme de toute autre forme de soutien public (y compris par l’intermédiaire de la Caisse des dépôts et consignations), devait avoir comme contrepartie, compte tenu du droit des aides d’État, la mise en extinction. Un plan de résolution ordonnée a ainsi été préparé et notifié à la Commission européenne.

Ce plan de résolution est en partie dérogatoire à la doctrine de la Commission européenne en ce qu’il permet une distribution de dividendes aux actionnaires et le maintien en place de la gouvernance. La rémunération de la garantie, relativement élevée, est, elle, conforme à la doctrine européenne et représente la contribution des actionnaires.

Le plan de résolution se déroule sur une très longue période. La perspective d’une distribution de fonds propres aux actionnaires du CIF permet en principe d’aligner leurs intérêts avec ceux de l’État garant et ainsi de sécuriser le bon déroulement du plan.

Malgré les fortes réserves exprimées par l’État, les dirigeants effectifs en fonction au moment des difficultés traversées par le groupe ont perçu des indemnités de départ qui s’élèvent à 1,13 M€. L’État ne disposait alors d’aucun moyen juridique pour s’y opposer.

La Cour formule la recommandation suivante :

1. Recommandation n° 1 : soumettre au Parlement l’adoption d’une disposition législative interdisant le versement d’indemnités de départ aux mandataires sociaux et dirigeants effectifs d’un établissement financier bénéficiant d’un concours financier public exceptionnel, rendu nécessaire pour éviter sa défaillance.

Chapitre IV

Les enjeux pour l’avenir

La mise en extinction du CIF a des conséquences majeures pour le groupe et ses salariés, ainsi que pour l’État garant. Le processus choisi, qui maintient en place la gouvernance antérieure, n’est pas dépourvu de risques d’exécution. L’impact de la disparition du CIF sur le crédit immobilier aux ménages modestes est difficile à évaluer. Les SACICAP, privées des dividendes de leur pôle financier, au moins jusqu’en 2018, sont confrontées à la question de l’évolution de leurs activités et de leurs missions sociales.

I - La bonne exécution du plan de résolution

A - La gestion des ressources humaines

1 - Un plan social très généreux négocié dans un contexte difficile

Le plan de résolution ordonnée prévoit, compte tenu de l’extinction de l’activité commerciale du CIF, la mise en œuvre d’un plan de sauvegarde pour l’emploi (PSE). Un accord collectif de gestion sociale et d’encadrement des réorganisations (AGS) a été conclu le 20 décembre 2013 entre la direction générale et les représentants syndicaux à l’issue de six mois de négociations. Cet accord, auquel l’État n’était pas partie, a été précédé de deux protocoles, signés les 6 et 26 novembre 2013, qui arrêtent les termes essentiels de l’AGS concernant notamment l’enveloppe budgétaire et les principales mesures d’accompagnement des salariés.

Le montant de l’enveloppe budgétaire globale associée à l’AGS a évolué en faveur des salariés tout au long de la négociation qui s’est déroulée parallèlement aux discussions conduites par l’État avec la Commission européenne. L’adoption du plan définitif de résolution ordonnée ne pouvait en effet se faire sans avoir recueilli au préalable l’avis des institutions représentatives du personnel (IRP). Compte tenu du nombre d’institutions concernées65 et des négociations en cours sur l’AGS, l’État a dû solliciter auprès des autorités européennes un délai supplémentaire de quatorze semaines.

Dès juin 2013, les représentants du personnel avaient fait savoir à la direction générale du CIF et à l’État garant qu’ils étaient prêts à prendre le risque de reporter le calendrier de consultation sur le projet de plan de résolution ordonnée si la question sociale n’était pas traitée « dignement ». Une seule journée de grève a été organisée par les salariés du CIF, à l’ouverture des négociations, le 19 juin, mais n’a pas été reconduite, indiquant ainsi que des garanties suffisantes avaient été données sur le volet financier.

Pour ne pas mettre en péril le déroulement du calendrier de la résolution, la direction générale a accepté de réévaluer le montant de l’enveloppe, initialement estimé entre 380 et 400 M€, à 525,6 M€, auxquels se sont ajoutés, dans la nuit qui a précédé l’assemblée générale du 6 novembre 2013, 50 M€ au titre de mesures supplémentaires qui, selon la direction générale du CIF, auraient de toute façon été engagées sur la période de la résolution ordonnée (accord d’intéressement notamment).

L’enveloppe supplémentaire de 50 M€ correspond en réalité aux coûts induits par l’harmonisation des statuts collectifs (rémunérations fixes et variables, œuvres sociales, intéressement, mutuelle et prévoyance, etc.) très variables d’une société à l’autre, condition nécessaire à la réussite des fusions des SFR au sein de CIFD.

L’enveloppe globale comprend les indemnités de licenciement et le financement des mesures d’accompagnement. Elle n’inclut pas certaines dépenses induites qui viennent s’y ajouter à hauteur de 23,4 M€. Il s’agit principalement des charges patronales assises sur la prime de fidélisation (14,8 M€), de la TVA sur la formation (4,9 M€) et de l’obligation légale de revitalisation (2,3 M€).

Tableau n° 14 : chiffrage global du plan social

[A consulter dans le fichier word ou pdf joint]

Le plan social, qui s’applique à l’ensemble du personnel, s’élève donc au total à 599 M€, soit 275 000 € en moyenne par salarié et équivaut à environ quatre années de masse salariale66. Le montant de cette enveloppe doit également être remis en perspective avec les fonds propres du CIF (2,4 Md€) tels qu’évalués à la date de l’accord, l’estimation du boni de liquidation attendu par les actionnaires qui avait été communiquée aux salariés (plafond de 650 M€) ainsi que le coût de la garantie de l’État (2,3 Md€ sur la période).

L’AGS, qui constitue un « accord-cadre » pour les plans de sauvegarde de l’emploi prévus dans le cadre du plan de résolution, est particulièrement généreux si on le compare à celui de Dexia, tant s’agissant des indemnités de licenciement que des mesures d’accompagnement. Si les hypothèses retenues dans le PSE de Dexia avaient été appliquées, le montant du plan se serait élevé à 357,8 M€ répartis entre 102,1 M€ au titre des mesures d’accompagnement et 255,6 M€ au titre des indemnités, soit 168 M€ de moins.

Une indemnité de licenciement est due à tous les salariés dont le contrat est rompu pour cause de licenciement pour motif économique, sous réserve de justifier d’une ancienneté d’au moins égale à un an au sein du CIF. À cette indemnité de licenciement s’ajoute en tout état de cause une indemnité forfaitaire de licenciement de 20 000 €. Les salariés du CIF licenciés pour motif économique peuvent cumuler ces indemnités, selon leur situation, avec d’autres mesures financières.

2 - Des PSE peu incitatifs pour les reclassements externes

Les plans de sauvegarde sont, de façon dérogatoire au droit commun et compte tenu des spécificités d’une gestion extinctive de l’activité, programmés sur l’ensemble de la période, à raison d’un par an.

Un premier plan de sauvegarde de l’emploi a été arrêté à l’issue des consultations des institutions représentatives du personnel. Il prévoit la suppression au 30 juin 2014 de 1 187 postes liés à la commercialisation des prêts, regroupés au sein des familles de métier suivantes : commercial, marketing, relations clients, développement, mise en œuvre administrative des prêts et engagement.

Le premier plan est intervenu sept mois après l’arrêt définitif de la production (novembre 2013) et dix-huit mois après son ralentissement significatif décidé dès l’apparition des premières difficultés de refinancement du CIF (mars 2012). Dans l’intervalle, l’entreprise a connu une forte dégradation de son climat social et, selon la direction des ressources humaines, l’apparition de risques psycho-sociaux.

Conformément au droit de travail67, plusieurs options ont été proposées aux salariés concernés par le premier PSE :

- un plan de départs volontaires destiné à limiter le nombre de licenciements contraints pour les salariés ayant trouvé une « solution externe identifiée » ;

- un plan de reclassement interne permettant de proposer aux salariés concernés par un licenciement des postes maintenus dans l’organisation ;

- un congé de reclassement, en fonction de l’âge de l’intéressé, de 12 à 15 mois consistant en des actions de formation, de validation des acquis de l’expérience ou de reconversion destinées à faciliter la recherche d’un emploi et au cours duquel le salarié perçoit 65 % de son salaire.

Au préalable, un dispositif de mobilité externe avait été proposé aux salariés dès avril 2013 avec suspension du contrat de travail jusqu’à ce que la solution trouvée soit pérennisée.

Tableau n° 15 : bilan du premier PSE (au 31 décembre 2014)

[A consulter dans le fichier word ou pdf joint]

Conformément aux estimations de la direction générale, plus de 70 % des salariés concernés par le PSE ont fait le choix du congé de reclassement qui permet, tout en percevant la rémunération brute mensuelle antérieure pendant une durée maximale de 12 mois68, d’accéder à de nombreuses actions de formation et d’accompagnement. À l’issue de la période de reclassement, les salariés peuvent continuer de bénéficier de ces actions jusqu’à ce qu’ils trouvent une solution.

S’il est encore trop tôt pour dresser un bilan définitif du premier PSE, force est de constater qu’au 14 août 2015, seule une petite moitié des 906 salariés concernés avait bénéficié d’un reclassement (465 au total) : 368 avaient trouvé une solution définitive (CDI, création d’entreprise, autoentrepreneur, retraite) et 97 une solution provisoire (CDD). 79 salariés étaient par ailleurs en formation longue. Dans des bassins d’emplois souvent difficiles, le caractère très généreux tant des indemnités que des mesures d’accompagnement freine sans aucun doute la reprise d’emploi des salariés du CIF dont les compétences, en matière de crédits immobiliers, sont par ailleurs reconnues par les établissements bancaires concurrents.

Pour faciliter le reclassement des salariés, la direction générale du CIF a conclu des conventions avec des établissements de la place :

- une convention avec La Banque Postale (LBP) signée le 12 avril 2013 qui prévoit que celle-ci donne une priorité aux collaborateurs du CIF sur 300 postes à pourvoir en externe, principalement sur des fonctions commerciales, pendant une période de deux ans ;

- une convention avec les groupes bancaires adhérents à la Fédération bancaire française (FBF) signée le 25 octobre 2013, par laquelle ils s’engagent à « participer autant qu’il leur est possible au reclassement des salariés devant quitter les établissements relevant du réseau du CIF ».

LBP a respecté ses engagements en diffusant plus de 300 offres et en engageant 80 salariés du CIF concernés par le premier PSE69 qui ont pu conserver leur ancienneté. Ils ont notamment rejoint la nouvelle filière dédiée à l’accession sociale à la propriété créée par LBP.

Le bilan de la convention avec la FBF est plus mitigé. Alors qu’une large information avait été diffusée auprès des adhérents et qu’une procédure spécifique avait été mise en place pour les quatre plus grands établissements de la place (BNP Paribas, Société générale, Crédit agricole, Crédit mutuel), peu de salariés du CIF y ont bénéficié d’un reclassement. En mars 2015, Crédit agricole et Crédit mutuel n’avaient reçu aucune candidature de la part du CIF. BNP Paribas avait reçu plusieurs candidatures et finalement recruté un salarié. Société générale avait été destinataire d’une quarantaine de candidatures et finalement embauché cinq collaborateurs.

Les actionnaires (SACICAP) n’avaient quant à eux pris aucun engagement vis-à-vis du CIF. Si cinq propositions de reclassement externe ont été faites aux collaborateurs concernés par le premier PSE, aucune n’a été suivie d’une embauche dans les SACICAP ou leurs filiales.

3 - Une gestion des ressources humaines sous contrainte

L’extinction progressive de l’activité du CIF nécessite un accompagnement des salariés maintenus dans l’emploi pour prévenir les risques opérationnels. Une gestion habile des ressources humaines est indispensable à la bonne exécution du plan de résolution ordonnée alors que le dialogue social s’est tendu au sein de l’entreprise.

Dans un contexte de gestion extinctive de l’activité du CIF, le volet du plan social concernant les salariés maintenus vise à limiter le risque opérationnel. Afin de garantir la bonne exécution du plan de résolution ordonnée, l’accord de gestion sociale dessine une politique de l’emploi pour les 22 années de gestion extinctive et prévoit des mesures d’accompagnement des salariés maintenus au sein du CIF. Au 30 avril 2015, le CIF comptait encore environ 900 salariés. La procédure du deuxième PSE a été engagée le 7 mai 2015, les premiers licenciements pouvant intervenir le 12 janvier 2016. 139 salariés sont concernés.

Pour la première fois, le CIF a mis en place au niveau central une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) qui permet d’accompagner le plan de résolution. Elle identifie notamment les fonctions qui doivent être renforcées (par exemple, gestion des ressources humaines, immobilier) et celles qui vont connaître une atrophie progressive. Ainsi, pour permettre une gestion davantage sécurisée de l’encours de crédits, 43 postes ont été créés.

Pour motiver les salariés maintenus dans l’emploi directement impliqués dans la mise en résolution, une prime de fidélisation leur est versée, indépendamment d’éventuelles révisions du salaire fixe ou de rémunérations additionnelles liées à la qualité du travail. L’enveloppe totale consacrée à cette mesure est estimée à 29,6 M€ auxquels s’ajoutent les charges patronales (14,8 M€), soit un coût total de 44,4 M€ pour l’entreprise.

L’enjeu, pour la direction générale, est de suivre au plus près la consommation des crédits de l’enveloppe dédiée à l’AGS. Au 31 décembre 2014, 18 % de cette enveloppe avait été consommée. Des dépassements ont déjà été constatés sur un poste (suivi personnalisé des salariés par un consultant). Des risques de dépassements ne sont pas à exclure en cas de dérapage du calendrier des PSE. La gestion des dépassements éventuels devra toutefois se faire à enveloppe constante. De même, dans l’hypothèse où des négociations s’ouvriraient pour amender l’AGS à l’issue du délai de cinq ans pendant lequel il ne peut être dénoncé, elles devraient se faire sous contrainte de l’enveloppe initialement arrêtée.

4 - Un dialogue social difficile avec le comité central d’entreprise

La mise en résolution du CIF a entraîné, dans le cadre de l’AGS, la reconnaissance d’une union économique et sociale (UES) incluant les 16 entités du groupe CIF. La mise en place d’une UES, prévue par l’article L. 2322-4 du code du travail, était une condition nécessaire pour piloter les PSE de façon centralisée et garantir l’égalité de traitement de l’ensemble des salariés.

Une nouvelle gouvernance a été instaurée avec la création d’un comité central d’entreprise (CCE), qui se substitue aux comités de chacune des sociétés. Deux représentants du CCE siègent désormais au conseil d’administration de CIFD. La mise en place, pour la première fois de l’histoire du CIF, d’institutions représentatives du personnel au niveau central complexifie les relations sociales au sein de l’entreprise. La crise de gouvernance intervenue au début de 2015 a renforcé ce climat d’incertitudes.

Considérant qu’il était, faute d’information utile, dans l’impossibilité de rendre un avis motivé sur les aspects économiques du projet de plan de résolution, le CCE, assisté d’un expert-comptable70, a souhaité, à partir de décembre 2013, exercer son « droit d’alerte économique ». L’article L. 2323-78 du code du travail autorise en effet le comité d’entreprise à demander à l’employeur de lui fournir des explications « lorsqu’[il] a eu connaissance de faits de nature à affecter de manière préoccupante la situation économique de l’entreprise ». La direction générale a estimé que les conditions pour exercer ce droit d’alerte n’étaient pas réunies et a refusé de communiquer une partie des éléments demandés.

Par conséquent, le CCE et son expert ont assigné, en juillet 2014, les entités du CIF devant le tribunal de grande instance de Paris. Par ordonnance du 28 novembre 2014, le juge des référés, sans se prononcer au fond sur la validité du droit d’alerte, a débouté les demandeurs71. Malgré ce jugement, le CCE – qui a interjeté appel – souhaitait exercer un droit d’alerte économique permanent afin de peser dans les décisions qui concernent l’entreprise. La direction générale indique cependant avoir fourni au CCE une information nettement supérieure à ce qu’exigent les textes.

Compte tenu des difficultés inhérentes à un processus de gestion extinctive d’une activité, la direction générale du CIF doit être particulièrement vigilante sur la qualité du dialogue social et alerter les partenaires sociaux sur les risques opérationnels qui s’attachent à d’éventuelles perturbations de la bonne marche de l’entreprise.

B - Une transparence nécessaire sur les risques

La garantie de l’État est plafonnée à un montant maximum de 28 Md€. La plus grande vigilance est indispensable pour assurer que celle-ci ne sera pas appelée. Elle passe notamment par une transparence complète sur les risques du portefeuille de crédits du CIF. L’encours garanti devrait également pouvoir être réduit et permettre de limiter l’exposition de l’État.

1 - La poursuite de la transparence sur les risques de l’encours de crédit

Le coût du risque à terminaison du CIF était évalué à 650 M€ dans le scénario central du plan de résolution et à 1,1 Md€ dans le scénario de stress. Les fonds propres du CIF sont donc a priori à même d’absorber ces montants, y compris en scénario de stress. Dans le cas contraire, l’État pourrait être contraint de recapitaliser le CIF.

Le risque du portefeuille de crédit s’est cependant révélé plus élevé qu’attendu. En effet, si le coût du risque est demeuré dans les limites du plan de résolution transmis à la Commission européenne, il s’est avéré nettement plus élevé en 2013 et 2014 que les prévisions internes du CIF.

Tableau n° 16 : coût du risque

[A consulter dans le fichier word ou pdf joint]

Par ailleurs, le montant de l’encours classé comme douteux a continué à augmenter en 2013 et 2014 pour s’établir à 1 945 M€ soit un montant supérieur au montant prévu dans le plan de résolution. Cependant, on observe à partir de mi-2014 une inflexion de la croissance des créances douteuses, la tendance à la stabilisation se confirmant début 2015. La mise en œuvre de la résolution a également vu la poursuite de la croissance du surendettement des clients, les dossiers concernés représentant 2,5 % du portefeuille fin 2014 au lieu de 0,76 % en 2010.

S’agissant de ses modes d’organisation, le CIF s’est conformé aux nouvelles obligations du code monétaire et financier notamment en créant un comité des risques au sein de son conseil d’administration. Le comité des risques n'était pas une obligation réglementaire, elle l'est devenue avec l'adoption de la directive CRD IV72 et l'arrêté du 3 novembre 2014. Le premier comité des risques s'est tenu le 30 mars 201573.

Un nouveau directeur des risques et un nouveau directeur de l’inspection générale et de l’audit ont été recrutés. La direction des risques au niveau central a vu ses missions et ses effectifs renforcés. Un responsable de la sécurité des systèmes d’information rattaché à la direction des risques et du contrôle permanent a été nommé. Un travail d’unification des pratiques régionales au sein de la filière de la gestion des risques était en cours à la date de l’enquête.

Le comité d’audit a également été renforcé. Il compte désormais deux membres administrateurs contre un seul auparavant. Les recommandations de l’audit sont davantage prises en compte, grâce à une nouvelle procédure de suivi des recommandations en continu et centrée sur les recommandations non suivies. La coordination avec les inspections régionales a également été renforcée. Un comité d’audit a été créé au sein de 3CIF et de CIF€.

La filière comptabilité est en cours de renforcement aux niveaux central et régional. Des lacunes sont apparues dans ce domaine, avec des pratiques non homogènes et parfois non conformes dans certaines SFR. En particulier, un audit externe au sein de la filiale CIFRAA a montré l’insuffisance des classements en douteux en 2013 et a identifié plus de 50 M€ de créances compromises.

Vis-à-vis des clients, une démarche de prévention des risques potentiels a été mise en œuvre afin d’agir en amont sur l’encours potentiellement en risque. En 2015, les SFR ont lancé une action de « désensibilisation » des prêts à taux mixte en proposant aux clients un passage à taux fixe. Un plan d’action sur le surendettement, visant à détecter les cas en amont, est en cours de mise en place.

L’État et le superviseur doivent exercer une vigilance stricte sur la poursuite de ce travail de transparence sur les risques, qui n’est pas achevé à ce jour, afin d’éviter tout risque de recapitalisation de fait, qui serait rendu nécessaire si les fonds propres du CIF s’avéraient insuffisants, au cours du temps, à absorber l’ensemble des risques présents dans le portefeuille résiduel de crédits du CIF.

Le chantier de la transparence sur les risques engagé par le CIF en résolution était encore en cours à la date de l’enquête. Il doit être mené à bien. Un audit approfondi du portefeuille de crédit a été lancé par la nouvelle direction générale du CIF mi-2015, afin de permettre une appréhension complète des risques résiduels du portefeuille. Les risques concernant le dossier Appolonia, pour lequel les procédures judiciaires ne sont pas achevées, doivent être pris en compte. Les remboursements anticipés importants dans le contexte de baisse des taux augmentent également le risque de perdre les clients les plus solvables, ce qui doit être pris en compte.

2 - La réduction de l’encours de la garantie interne

Le CIF a identifié en 2015 des marges de manœuvre pour limiter l’encours de la garantie interne et ainsi diminuer la rémunération pour l’État.

En effet, l’évolution de la réglementation des sociétés de crédit foncier est favorable. Elle pourrait permettre la disparition de CIF Assets conduisant ainsi à la libération de sa réserve de trésorerie. CIF Assets en effet dispose de réserves importantes, nécessaires pour garantir la notation AAA des titres A qu’elle émet. Ces réserves, déposées chez 3CIF, sont couvertes par la garantie interne octroyée par l’État. Elles s’élevaient fin 2014 à 2,2 Md€. La disparition du fonds commun de titrisation diminuera d’autant l’encours de la garantie interne de l’État.

L’économie en coût de la garantie serait de l’ordre de 170 M€ pour le CIF sur l’ensemble du plan, selon l’hypothèse d’un encours de garantie interne abaissé de 2,2 Md€ à partir de 2018.

C - L'indispensable coopération des actionnaires

1 - Une adhésion inégale des actionnaires à la mise en œuvre du plan

La perspective de versements de dividendes aux actionnaires a été présentée comme un moyen de favoriser la bonne fin du processus d'une gestion extinctive qui va être longue. 

Or, des aléas peuvent affecter la trajectoire des retours financiers. En effet, les divers facteurs qui sous-tendent le scénario central de retour d'une partie des fonds propres aux actionnaires ne sont qu'en partie maîtrisables par le CIF. Ainsi, les hypothèses concernant le niveau des prix immobiliers, les coûts de refinancement, le coût de la garantie de l'État dépendant lui-même de l'importance des appels aux liquidités de marché sont des données exogènes. D'autres facteurs sont davantage maîtrisables par le CIF comme les risques du portefeuille de crédit ou les charges de structure supportées. Dans ce contexte, il existe des risques d’écarts dans l'exécution du processus qui pourraient avoir un impact sur les montants du boni final.

Les actionnaires du CIF souhaitent bénéficier d’un retour de fonds propres proche de 650 M€ au total (en valeur actualisée nette 2013 au taux de 8 %), qui est le montant du plafond autorisé par la Commission. Ils ont examiné les premières étapes du redressement de la gestion de l'établissement, conduites par la direction générale, à la lumière de cet objectif.

Des coûts supplémentaires par rapport aux prévisions du plan de résolution sont apparus. Les montants d'honoraires des cabinets de conseils engagés pour aider aux différentes phases d'une organisation nouvelle ont été jugés trop importants. Les frais de personnel ont été supérieurs aux prévisions, en particulier du fait des retards dans la mise en œuvre du premier plan social (cf. supra) et de la nécessité de renforcer les équipes chargées du recouvrement et du contentieux en région, renforcement néanmoins très important pour minimiser les risques résiduels du portefeuille de crédits.

Une divergence forte entre l'organe social et la direction générale s’est manifestée sur la stratégie et la méthode qu'il convenait d'appliquer, provoquant une crise de gouvernance latente à partir de l'été 2014, devenue ouverte au début de 2015. 

En janvier 2015, une première réactualisation du plan a été soumise aux administrateurs de CIFD avec des hypothèses moins favorables que prévu. Le scénario initial était corrigé concernant certaines hypothèses notamment la sinistralité qui ne diminuait qu'à partir de 2015, et le redressement du marché immobilier stabilisé en 2018, puis redémarrant de façon limitée à partir de 2019 au lieu de 2016. De ce fait, les projections laissaient entrevoir un boni à terminaison de l'ordre de 501 M€ au total, dont 223 M€ en 2018, ce qui représentait un peu moins de la moitié du total des montants espérés par les actionnaires.

Cette évaluation, bien que présentée comme susceptible d’évolutions à la hausse, a entraîné une réaction négative des membres du conseil d'administration. Ils ont estimé que les conditions de leur accord au plan de résolution, obtenu sur la base des hypothèses initiales transmises à la Commission européenne, étaient remises en cause. La gouvernance du CIF s'est trouvée en situation de blocage. Au-delà de la question du montant de fonds propres distribuables, les actionnaires critiquaient également la centralisation du groupe, prévue par le plan de résolution, appelant à une gestion « décentralisée », préservant le plus possible les effectifs au plan régional.

Opposé au maintien du directeur général dans ses fonctions, le conseil d'administration a refusé de voter le premier projet de fusion de la SFR CIFRAA avec la tête du groupe CIFD. Ce n'est qu'après l'obtention de l'accord de l'État pour révoquer le directeur général à la mi-avril 2015 que le processus prévu de fusion a pu reprendre son cours.

Les conditions de départ du directeur général

Le directeur général avait droit à une indemnité de cessation de mandat ou à une indemnité de fin de carrière dont le principe était acté depuis le conseil d'administration du 12 février 2013. M. François Morlat ayant été démis de ses fonctions, il a perçu une indemnité de fin de mandat de 256 356 € à laquelle s'ajoute une indemnité de 50 000 € au titre du préjudice subi, décidée par le conseil d'administration du 21 avril 2015.

Bien que le conseil d'administration de CIFD ait réaffirmé envers l'État l'engagement à respecter la mise en œuvre du plan prévu, quelques actionnaires ont néanmoins manifesté leur souhait de voir renégociés les éléments substantiels du plan, lors de l'assemblée générale de CIFD du 12 mai 2015. Certaines SACICAP ont déposé deux résolutions, l'une demandant une renégociation des modalités de la résolution et l'autre une renégociation du coût de la garantie de l'État. Ces propositions ont été clairement rejetées par l'assemblée générale.

Si la crise de gouvernance traversée par le CIF semblait apaisée en mai 2015, il n'est pas exclu que le processus de résolution puisse à nouveau connaître, dans le temps, des évènements ou des perturbations qui compliqueraient son pilotage déjà délicat.

Ainsi, le vote sur les fusions successives des SFR avec CIFD qui doivent s'étaler jusqu'à la fin de 2016 est un élément-clé de la réussite du plan. Chaque fusion nécessitera un vote des conseils d'administration de CIFD et des SFR concernées. Le risque serait que des actionnaires représentant 5 % au moins du capital de CIFD actionnent le tribunal de commerce pour obtenir la convocation d'une assemblée générale de CIFD au cours de laquelle ils déposeraient des résolutions divergentes du conseil.

2 - La nécessaire application des conditions du plan

La mise en œuvre du plan, aux conditions dans lesquelles il a été arrêté, est néanmoins la condition de la sauvegarde des intérêts respectifs de l’État et des actionnaires.

Il n'est dans l'intérêt ni de l'État ni des actionnaires d'entrer de nouveau en discussion avec la Commission européenne pour renégocier ce plan ou les modalités du partage des fonds propres. Le risque serait que la Commission pose de nouveau la question de l'avantage qu'elle a exceptionnellement accordé aux actionnaires dans ce dossier. Une telle renégociation affecterait également la crédibilité de la France.

Les conditions du plan portent en particulier sur la centralisation de la gestion nécessitant une restructuration du réseau, un pilotage rigoureux de la gestion des risques avec des méthodes renouvelées et une décrue des effectifs conforme aux prévisions. Ces changements majeurs pour l’entreprise, qui peuvent parfois heurter une tradition de décisions opérationnelles décentralisées, demeurent le meilleur moyen de réussir le processus engagé.

Au cas où des évènements graves viendraient affecter la stabilité financière et prudentielle de l'établissement, l’ACPR dispose de moyens d'action.

Ces moyens résident dans les pouvoirs légaux de l'ACPR en tant que superviseur prudentiel et en tant qu’autorité de résolution. En tant que superviseur, l’ACPR peut nommer un administrateur provisoire. En tant qu’autorité de résolution, la loi du 26 juillet 2013 de séparation et de régulation des activités bancaires et la directive 2014/59 du 15 mai 2014 sur le redressement et la résolution des établissements de crédit et des entreprises d'investissement, transposée par l’ordonnance du 20 août 2015, permettent à l'ACPR de désigner un administrateur spécial pour mettre en œuvre une résolution bancaire dont l'un des objectifs est explicitement la protection des ressources de l'État74.

II - L’impact de la disparition du CIF sur les prêts à l’accession à la propriété

A - Une évaluation difficile

1 - Un acteur modeste du crédit à l’habitat

Si les parts globales de marché du CIF ont pu atteindre 5 % dans certaines régions, son encours de crédits à l’habitat représentait 1,1 % du marché du crédit immobilier total en septembre 2011. En 2014, à la suite de l’arrêt de la production, sa part est devenue non significative.

Deux concurrents directs du CIF, le Crédit Foncier de France (CFF) et La Banque Postale (LBP), avaient en 2011 des parts de marché respectives de 4,9 % et 5,6 %. Ces parts ont récemment augmenté et s’élevaient à 5,3 % et 6,3 % en décembre 2014.

Graphique n° 6 : évolution de la part du total de l’encours des crédits à l’habitat aux particuliers pour le CFF, LBP et le CIF (2011 et 2014)

[A consulter dans le fichier word ou pdf joint]

Compte tenu des nombreuses variables qui caractérisent ce marché (conjoncture économique, prix de l’immobilier, revenus des emprunteurs, attentisme de la demande, etc.) l’analyse globale des crédits à l’habitat, deux ans après l’arrêt de la production du CIF, ne permet pas de savoir si les établissements bancaires ont repris ses parts de marché.

Néanmoins, la hausse des encours des deux principaux concurrents les plus directs laisse penser que, dans un marché baissier, un effort a été entrepris en direction de clientèles réputées plus sociales.

2 - Un marché de référence spécifique

Le CIF a concentré sa production sur une population de primo-accédants située en-dessous d’un certain niveau de revenu. Pour autant, la définition de l’« accession sociale » retenue par le CIF reste approximative. Relève de cette catégorie tout ménage percevant des revenus inférieurs à trois SMIC. Or d’après l’Insee, le revenu médian par foyer en France en 2012 est de 29 330 €, ce qui représente seulement 1,7 fois le SMIC. Aussi la définition retenue par le CIF est-elle très large dans la mesure où elle englobe une clientèle pouvant être près de deux fois plus aisée qu’un ménage au revenu médian.

Pour mieux appréhender son cœur de clientèle, le CIF a commandité une étude75 qui a défini un marché de référence dit de « clients modestes délaissés » aux caractéristiques plus ciblées : outre un seuil de revenu inférieur à 3 SMIC, la clientèle est composée de familles nombreuses, souvent monoparentales, ainsi que de catégories socio-professionnelles majoritairement constituées d’agriculteurs, d’ouvriers, de retraités et d’inactifs.

En volume, l’étude en question estimait ce marché spécifique de « clients modestes délaissés » à 78 000 opérations par an sur un total de 788 000 opérations immobilières, soit environ 10 % du marché immobilier. Sur ce marché spécifique, les parts de marché du CIF seraient d’environ 20 % contre 50 % pour le Crédit Foncier et 30 % pour les autres établissements bancaires.

Pour servir cette clientèle, le CIF avait développé des prêts avec des caractéristiques très particulières qui ont été analysées dans le chapitre II du présent rapport.

Graphique n° 7 : répartition géographique des agences du CIF et du CFF en 2011

[A consulter dans le fichier word ou pdf joint]

B - Un impact potentiellement négatif sur l’offre de crédit aux ménages les plus modestes

La Cour a identifié deux tendances qui pourraient aller dans le sens d’une baisse des prêts bancaires à une clientèle très modeste : la diminution des prêts d’accession sociale (PAS) pour les tranches de revenus les plus faibles et des exigences plus marquées en matière d’apport personnel.

1 - Une diminution des PAS pour les ménages les plus modestes

Si les PAS ont augmenté de 18 % entre 2011 et 2014, ceux attribués aux tranches de revenus les plus faibles ont diminué de 27 % sur la même période.

Pour permettre un suivi de la distribution des prêts conventionnés, la Société de gestion des financements et de la garantie de l’accession sociale à la propriété (SGFGAS) a défini une « variable R » qui approche la notion de revenu par unité de consommation. Elle permet ainsi d’analyser la production de PAS en fonction des revenus des bénéficiaires. C’est cette variable qui est retenue ici.

La variable R, utilisée par la SGFGAS

La quantité R utilisée est fonction du plus élevé des deux montants suivants :

- le revenu fiscal de référence (RFR) du ménage ;

- le résultat de la division du montant d’opération par 10, arrondi à l’euro le plus proche.

La division du plus fort montant par le coefficient familial mentionné à l’article L. 31-10-10 du code de la construction et de l’habitation, majoré de 0,3 par personne destinée à occuper le logement au-delà de la cinquième, dans la limite de huit personnes au total arrondie au centime d'euro le plus proche, forme la quantité R.

Graphique n° 8 : répartition de la distribution de PAS par tranche de revenus (2011-2014)

[A consulter dans le fichier word ou pdf joint]

Au niveau global, les parts de marché du CIF qui étaient d’environ 11 % en 2011 et 10 % en 2012 semblent, toutes choses égales d’ailleurs, avoir été reprises par la concurrence puisque le montant total des PAS distribués a augmenté en 2013 et s’est maintenu en 2014, au-dessus du niveau de 2012.

En revanche, le volume de PAS distribués aux ménages ayant un revenu inférieur à 11 000 € par an a diminué sur la même période. Il représentait 20 % de l’enveloppe totale en 2014 contre 32 % en 2011. En effet, 1,72 Md€ avaient été distribués à ces ménages en 2011 (sur un total de 5,45 Md€) contre seulement 1,26 Md€ en 2014 (sur un total de 6,41 Md€).

Le montant des prêts accordés sous forme de PAS à des ménages ayant un revenu inférieur à 11 000 € a donc diminué de 27 % entre 2011 et 2014 alors que le montant total des prêts accordés sous forme de PAS a augmenté de 18 %. Cet indicateur est, cependant, à prendre avec prudence, en raison de l’absence de connaissance plus approfondie des facteurs à l’œuvre derrière ces évolutions.

Graphique n° 9 : montants des PAS distribués à des ménages ayant un revenu inférieur à 11 000€

[A consulter dans le fichier word ou pdf joint]

Le CIF était, avec respectivement 16 % et 13 % de parts de marché en 2011 et 2012 sur cette tranche de revenus, le troisième acteur du marché derrière le Crédit Foncier de France et le Crédit agricole. La plupart des établissements bancaires ont réduit leur offre sur cette tranche spécifique mais LBP, qui distribue des PAS depuis 2012, atteint désormais 9 % de part de marché sur ce segment.

2 - L’exigence de plus en plus forte d’un apport personnel

L’offre « accession sociale » du CIF se caractérisait également par un financement des prêts supérieur au montant du bien avec un ratio d’endettement supérieur à 100 %. Dans la mesure où le financement en propre par l’emprunteur des frais d’agences et de notaire était une condition nécessaire à l’attribution d’un PAS, le CIF proposait à certains ménages des prêts non conventionnés leur permettant d’accéder à la propriété. Cette caractéristique de surfinancement est très peu partagée par les autres acteurs bancaires.

La Banque Postale reste en particulier très prudente sur les ratios d’endettement de ces clients. Les dossiers dont la quotité de financement est supérieure à 100 % sont, dans un premier temps, soigneusement présélectionnés par les agences locales avant d’être examinés par un comité dédié au niveau central. Aucun dossier n’a été financé lors du premier trimestre de l’année 2015 dans le cadre de ce dispositif.

De même, le CFF accepte de financer les frais de notaire, de garantie et de courtage dans la limite de 105 % dans le neuf et de 108 % dans l’ancien si l’emprunteur principal est âgé de moins de 40 ans le jour de la demande ou si son âge en fin de prêt est inférieur à 65 ans. Les prêts relevant de l’accession sociale76 et incluant une quotité de financement supérieure à 100 % de la valeur du bien représentent 477 M€ en 2014, soit 13 % des prêts dits d’accession sociale.

C - L’existence d’une offre alternative plus sélective

1 - Les engagements de LBP en faveur de l’accession sociale à la propriété

À la suite de discussions avec l’État, LBP a décidé, en décembre 2012, d’accélérer le déploiement de son offre en matière d’accession à la propriété pour répondre à la mise en extinction du CIF. Cela se traduit, d’une part, par le renforcement des liens avec les acteurs du logement social et, d’autre part, par l’accroissement de la distribution de prêts réglementés.

LBP a démarré le développement de son offre dite d’accession sociale avec la signature d’une convention avec la Fédération nationale des sociétés coopératives d’HLM. Ce faisant, elle entend favoriser l’accès à la banque des ménages modestes désirant acquérir leur logement, en offrant une gamme de prêts et services adaptés. Les prêts distribués présentent les caractéristiques des prêts immobiliers classiques (taux fixe).

LBP a mis en place un dispositif commercial spécifique : 28 correspondants en financement de l’accession sociale (CFAS) ont été, à partir de mai 2013, déployés sur l’ensemble du territoire français. Ils sont les interlocuteurs des partenaires de l’accession sociale et font bénéficier les clients de leur expertise en matière de solutions concernant les financements possibles. Ils établissent une présélection des dossiers reçus avant que ces derniers soient traités par l’un des 750 conseillers spécialisés. Dans le cadre de la mise en œuvre de programmes PSLA, LBP a également développé une plate-forme en ligne qui vient appuyer la présélection des futurs propriétaires.

Dans le même temps, LBP a accéléré la distribution de prêts réglementés pour l’accession sociale. Si elle était déjà, avant la mise en résolution ordonnée du CIF, un acteur important de la distribution des PTZ+ avec environ 22 000 projets de primo-accédants financés en 2011, elle a développé à partir d’octobre 2012 son offre de PAS. En 2012, LBP visait ainsi une production de PAS de 350 M€ en 2013 et 1,3 Md€ à horizon 2015. Ces objectifs ont été largement dépassés puisque LBP a produit 1,1 Md€ de PAS dès 2013 et 1,5 Md€ en 2014.

Néanmoins, ce développement très rapide sur le segment de l’accession sociale profite principalement aux tranches les plus aisées des bénéficiaires potentiels du PAS. En effet, seuls 9 % des clients de LBP ont un revenu inférieur à 11 000 € contre 20 % pour la moyenne du marché et 23 % pour le Crédit Foncier.

Graphique n° 10 : répartition des revenus par établissement bancaire pour la distribution de PAS en 2014

[A consulter dans le fichier word ou pdf joint]

2 - Le Crédit Foncier de France : un positionnement légèrement différent

Si le Crédit Foncier de France (CFF) présente des similitudes avec le CIF par son positionnement sur le marché de l’accession sociale ou par la durée longue de ses prêts, un examen détaillé suggère que leurs clientèles sont différentes et que le Crédit Foncier a finalement peu repris la clientèle la plus sociale du CIF. Les prêts distribués par le CFF sont très majoritairement à taux fixe.

La clientèle type du CIF est constituée de familles monoparentales avec enfants empruntant sur des durées longues avec une forte proportion de taux variable. Celle du CFF est en moyenne plus âgée, relativement plus aisée avec une situation familiale plus stable et moins disposée à emprunter à taux variable puisque moins de 5 % des clients primo-accédants effectuent ce choix. L’âge moyen des clients du Crédit Foncier obtenant un PAS est de 34 ans en moyenne et le revenu fiscal de référence moyen du ménage de 22 540 €, ce qui est supérieur à la moyenne constatée dans les PAS distribués par les établissements bancaires français. De plus, 28 % des clients du CFF achètent leur bien en Île-de-France contre 16 % pour la moyenne des établissements de crédit français. Ainsi, la clientèle du CFF apparaît moins risquée que celle du CIF et répartie de façon plus inégale sur le territoire.

Par ailleurs, le Crédit Foncier a récemment diversifié sa clientèle, notamment avec la création, en avril 2010, de sa filiale patrimoniale. Il entend ainsi profiter de son expertise en matière de prêts immobiliers pour renforcer son offre d’investissement locatif, qui représente aujourd’hui 19 % de sa clientèle.

Les montants des prêts à l’accession sociale à la propriété ont diminué au cours des deux dernières années, sous l’effet de divers facteurs, notamment macroéconomiques et prudentiels, dont la Cour n’a pas été en mesure d’isoler l’impact. Toutefois, l’examen du positionnement des deux établissements à clientèle réputée plus sociale montre que leurs parts de marché ont augmenté sur le segment des PAS dans la période 2012-2014. Ces nouveaux prêts s’adressent moins aux ménages les plus modestes (c’est-à-dire ceux dont les revenus sont inférieurs à 11 000 €) pour lesquels le CIF a indiqué détenir une part de 13 à 16 %. LBP, qui constitue un nouvel acteur sur ce segment, dispose encore de marges de développement, alors que le Crédit Foncier, déjà bien positionné sur l’accession sociale en général, a atteint une phase beaucoup plus mature.

À la lumière des pratiques observées au sein du CIF, il ne semble pas souhaitable que les acteurs bancaires distribuent des produits complexes comme les prêts à taux variables non plafonnés ou à saut d’échéance qui engendrent des risques importants pour les banques et leurs clients les plus fragiles.

III - L’impact de la disparition du CIF sur les missions sociales de ses actionnaires

A - Des interventions sociales ciblées mais modestes

À la faveur de la convention signée avec l’État en 2007, l’objet social des SACICAP s’est de facto élargi à d’autres volets de la politique du logement. Alors qu’elles sont limitées en droit à l’accession à la propriété, leurs missions incluent également la fourniture de produits financiers à taux zéro à destination de propriétaires et copropriétaires occupants modestes.

Les SACICAP ont en effet vocation à mettre en œuvre, à l’aide d’une partie du produit de leurs participations dans leurs filiales ou « dividende social », des « missions sociales » au profit de ménages modestes dans le cadre d’une convention conclue avec l’État en 2007 et amendée en 2010 pour tenir compte des nouvelles orientations gouvernementales en faveur de la lutte contre la précarité énergétique.

Les « missions sociales », dans leur large acception, constituent une obligation légale pour les SACICAP définie par l’article L. 215-1-2 du code de la construction et de l’habitation : « toute société est tenue d’employer chaque année une somme au moins égale au tiers du bénéfice distribuable du dernier exercice au financement d’opérations qu’elle conçoit et réalise elle-même ou par ses filiales dans le domaine de l’habitat en faveur de personnes aux ressources modestes, selon des orientations définies par convention avec l’État ».

Dans ce cadre, une convention a été conclue entre l’État et l’Union d’économie sociale pour l’accession sociale à la propriété (UES-AP) le 16 avril 2007 et modifiée par avenant le 8 décembre 2010. Deux objectifs sont assignés de façon collective aux SACICAP en matière de politique de l’habitat :

- la réalisation de 25 000 logements en accession à la propriété sur une période de dix ans (2008-2017) ;

- le financement de « missions sociales » à hauteur de 340 à 500 M€ sur la même période, dont 140 à 200 M€ doivent être consacrés à la lutte contre la précarité énergétique et à la rénovation thermique dans le cadre des dispositifs engagés par l’Agence nationale pour l’habitat (ANAH).

1 - Une contribution modeste à l’effort de construction

Les SACICAP ou leurs filiales exercent, dans le secteur concurrentiel, des activités immobilières de promotion ou de construction à destination, principalement mais non exclusivement, de populations modestes.

Aux termes de la convention passée avec l’État, la participation à l’effort de construction doit s’intégrer prioritairement dans le cadre des dispositifs suivants :

- l’accession en zone ANRU ou dans les quartiers faisant l’objet d’une convention ANRU entièrement situés à une distance de moins de 500 mètres de la limite de ces quartiers, qui bénéficie d’une TVA réduite à 5,5 % ;

- l’accession grâce au dispositif du prêt social location-accession (PSLA) consenti à des opérateurs agréés par l’autorité préfectorale (organismes HLM, sociétés d’économie mixte, promoteurs privés) pour financer la construction ou l’acquisition de logements neufs ;

- les logements à prix dits maîtrisés en accession traditionnelle, qui sont fonction de l’indice du coût de la construction et des mensualités plafonds acceptables pour les acquéreurs emprunteurs.

Les opérations sont réalisées, en fonction de leur taille, soit dans le cadre d’une vente en état futur d’achèvement (VEFA), soit dans le cadre d’un contrat de construction de maison individuelle (CCMI).

Elles sont réalisées soit directement par les SACICAP, ce qui est rare, soit indirectement par leurs filiales immobilières, les entreprises sociales pour l’habitat (ESH) dans lesquelles dont elles sont actionnaires de référence ou les sociétés coopératives d’HLM sur lesquelles elles exercent une influence notable.

Entre 2008 et 2014, les SACICAP ont engagé 21 177 logements dont 15 835 ont été livrés au 31 décembre 2014, ce qui correspond à une production annuelle moyenne de 2 640 logements.

Plus de la moitié des logements livrés entre dans le cadre de l’accession traditionnelle à prix maîtrisés. Seuls 2 920 logements, soit 18 % du total, ont été construits en zone ANRU ou dans la bande des 500 mètres.

Graphique n° 11 : répartition des logements livrés entre 2008 et 2014

[A consulter dans le fichier word ou pdf joint]

Le ministère chargé du logement n’établit pas, en raison de l’absence de définition partagée, de statistiques générales relatives à la livraison de logements en accession sociale. Le faible volume annuel moyen produit par les filiales immobilières des SACICAP conduit cependant à penser qu’il s’agit d’une contribution relativement modeste à l’effort de construction.

2 - Une activité locale de prêteur social

Les SACICAP ont développé, à partir de 2008 dans le cadre de la convention conclue avec l’État et, pour certaines, dès 2002, une activité de prêts très sociaux notamment à destination des propriétaires occupants. Cette activité, reconnue par les acteurs locaux, est éloignée de leur objet social principal, l’accession sociale à la propriété. Les SACICAP financent, sur leurs fonds propres, des interventions au profit de personnes physiques pouvant prendre trois formes :

- des subventions, versées à titre exceptionnel, dans le cadre d’une convention signée avec une personne physique pour financer des travaux de réhabilitation ;

- des avances sur subventions de l’ANAH ou d’autres opérateurs publics (collectivités locales, caisses de retraite, caisses d’allocation familiale) ;

- des prêts à taux zéro ou à taux très faible au bénéfice de propriétaires ou copropriétaires modestes.

Les SACICAP ne peuvent être assimilées à des associations de « microcrédit »77 qui doivent faire l’objet d’une habilitation spécifique octroyée par l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution dans les conditions fixées par l’article L. 511-6-5 du code monétaire et financier. Néanmoins, leurs interventions financières, effectuées à titre gratuit, se placent en dehors du monopole bancaire en application de l’article L. 313-1 du code monétaire et financier.

En pratique, cette activité de prêteur très social s’effectue dans des conditions très éloignées de celles d’un établissement de crédit. Au-delà de l’absence de rentabilité, consubstantielle aux activités de cette nature, les SACICAP se distinguent par l’absence de politique commune de crédit ou d’harmonisation des critères d’attribution. Elles n’ont pas développé de système d’information et ne sont pas en mesure, malgré le suivi effectué au cas par cas par les SACICAP, de fournir des données agrégées sur l’encours douteux.

De fait, la gestion des prêts et des avances était, avant la mise en extinction du CIF, déléguée aux sociétés financières régionales (SFR) avec lesquelles les SACICAP avaient passé des contrats de mandat de gestion. L’instruction et la décision d’octroi des prêts et avances incombaient à la SACICAP, qui disposait généralement d’un chargé de mission « missions sociales » exerçant à temps partiel, tandis que le déblocage des fonds et le recouvrement étaient assurés par la SFR. Pour la plupart d’entre elles, les SACICAP ne disposent donc pas des compétences nécessaires en matière d’appui (« back office »).

De même, les SACICAP ne font pas de « prospection » mais s’appuient sur des partenaires locaux avec lesquels elles ont conclu des conventions : collectivités territoriales, organismes HLM, ANAH, CAF, MSA, associations, etc. Au total, 772 conventions avaient été signées au 31 décembre 2013 dont 334 avec des collectivités locales et 413 dans le cadre de dispositifs au profit de propriétaires occupants en complément des aides de l’ANAH. Les associations comme les PACT ou Habitat & Développement, du fait de leur connaissance du tissu social, jouent généralement le rôle d’apporteurs d’affaires.

Grâce à leur trésorerie alimentée par le « dividende social », les SACICAP ont décaissé, sur la période 2008-2014, 35 M€ de prêts et avances en moyenne par an avec un pic d’activité atteint en 2011 (45,2 M€ décaissés). Ils se répartissent entre 13 M€ pour les prêts dits « accession sociale » et 22 M€ pour les prêts et avances en faveur des propriétaires occupants.

Graphique n° 12 : évolution des prêts et avances distribués par les SACICAP (en M€)

[A consulter dans le fichier word ou pdf joint]

a) Le préfinancement des subventions des opérateurs

Les avances sur subventions versées par les SACICAP permettent de financer des ménages très modestes, exclus en principe du circuit bancaire classique, qui ne disposent pas de trésorerie suffisante pour préfinancer des travaux lourds ou de rénovation éligibles aux subventions de l’ANAH ou d’autres opérateurs (collectivités territoriales, etc.).

En effet, les règles de décaissement ou les délais de procédure conduisent ces organismes à verser les subventions après le démarrage des travaux, soit en moyenne entre trois et quatre mois plus tard.

Les subventions de l’ANAH préfinancées par les SACICAP

Les SACICAP préfinancent des subventions versées, sous certaines conditions, par l’ANAH aux propriétaires occupants ou aux propriétaires bailleurs pour la rénovation de logements.

Les subventions aux propriétaires occupants

L’ANAH peut financer à hauteur de 50 % les propriétaires occupants pour la réalisation de :

- travaux lourds pour réhabiliter un logement indigne ou très dégradé ;

- travaux d’amélioration pour la sécurité et la salubrité de l’habitat, pour l’autonomie de la personne et pour la lutte contre la précarité énergétique.

En outre, une aide supplémentaire de solidarité écologique, comprise entre 1 600 et 2 000 €, peut être versée aux propriétaires occupants aux ressources modestes pour financer les travaux de rénovation thermique les plus efficaces, à partir du fonds d’aide à la rénovation thermique (FART).

Les conditions d’éligibilité et de versement des subventions

Les aides de l’ANAH sont versées sous conditions de ressources à des ménages modestes ou très modestes. Les plafonds de travaux subventionnables ne peuvent excéder 50 000 € HT pour les travaux lourds et 20 000 € HT pour les travaux d’amélioration. L’ANAH ne finance que 35 % ou 50 % de ces plafonds et les aides publiques ne peuvent excéder 80 % des travaux.

Les règles applicables au versement des subventions

En application de l’article R. 321-18 du code de la construction et de l’habitation, les subventions de l’ANAH sont versées sur déclaration d'achèvement des travaux, après vérification de la conformité des travaux réalisés avec les caractéristiques du projet sur lesquelles la décision d'attribution a été fondée. La subvention est versée sur présentation des factures des entreprises afin d’éviter que les aides ne soient utilisées à d’autres besoins.

Toutefois, des acomptes peuvent être versés aux ménages très modestes au fur et à mesure de l'avancement du projet sans pouvoir excéder 70 % du montant prévisionnel de la subvention. Un montant équivalent à 30 % du montant prévisionnel de la subvention reste donc à la charge du propriétaire occupant, de même que la partie non subventionnable.

Les SACICAP préfinancent ainsi 100 % de la subvention à 0 % jusqu’à un an. Dans la plupart des cas, les avances sont versées par les SACICAP aux associations (PACT, Habitat & Développement) qui font, pour le compte des bénéficiaires, les demandes de subventions auprès des partenaires publics et les assistent dans la maîtrise d’ouvrage. Dans ces cas, le seul risque porté par les SACICAP est donc celui de contrepartie sur l’association.

La production d’avances a connu une progression importante sur la période 2008-2012, en raison notamment de la montée en charge des programmes de l’ANAH. Sur cette période, les SACICAP ont décaissé 54,6 M€ et l’encours, au 31 décembre 2012, s’élevait à 18 M€.

Tableau n° 17 : montant des avances (en M€)

[A consulter dans le fichier word ou pdf joint]

Ces avances, qui sont remboursables dans un délai maximal d’un an, sont à mettre en regard des aides consenties par l’ANAH aux propriétaires occupants très modestes qui s’élevaient à 71,9 M€ en 2011, 76,9 M€ en 2012 et 202,5 M€ en 201378. En 2011 et 2012, les avances des SACICAP ont ainsi permis de préfinancer respectivement 20 et 23 % des aides de l’ANAH.

b) Une activité de prêts sociaux non concurrentielle

Les prêts distribués par les SACICAP peuvent répondre à deux besoins principaux :

- le financement de l’accession à la propriété très sociale, notamment dans le cadre du prêt social location-accession (PSLA) avec la prise en charge des intérêts et des garanties ;

- le financement du reste à charge des copropriétaires ou des propriétaires occupants modestes dans le cadre d’opérations lourdes de rénovation des logements.

À titre d’exemple, Procivis Rhône propose deux types de prêts avec les caractéristiques suivantes :

Tableau n° 18 : financements distribués par Procivis Rhône

[A consulter dans le fichier word ou pdf joint]

Les prêts « accession sociale » occupent une part de moins en moins importante dans les produits distribués par les SACICAP. Alors qu’ils représentaient un peu plus de la moitié de la production en 2009, ils occupent une part inférieure à 20 % en 2014, au profit des prêts et avances en faveur des propriétaires occupants. Ces prêts viennent par ailleurs s’ajouter à de nombreux autres outils existants en faveur de l’accession sociale à la propriété : primes à l’accession de l’ANRU, décote sur le prix de vente des HLM, PTZ+, prêts Action logement, etc.

Graphique n° 13 : évolution des prêts distribués par les SACICAP (en M€)

[A consulter dans le fichier word ou pdf joint]

À la connaissance de la Cour, seules les populations exclues du circuit bancaire classique sont éligibles à ces prêts. Selon les partenaires locaux des SACICAP, cette aide est d’autant plus précieuse dans le cas des copropriétés dégradées où les travaux à réaliser sont plus lourds et ne peuvent être supportés par les copropriétaires sans prêts.

Les prêts distribués par les SACICAP s’élèvent en moyenne à environ 23 M€ par an sur la période 2008-2013. L’encours de prêts au 31 décembre 2013 était évalué à 111,5 M€ contre 109,6 M€ au 31 décembre de l’année précédente.

B - Un bilan contrasté de la convention avec l’État

Les objectifs fixés dans la convention valent à titre collectif mais il revient à l’UES-AP, pour s’assurer de l’atteinte de ces cibles, de les décliner pour l’ensemble des SACICAP en fonction de leur capacité contributive.

Les objectifs assignés à chaque SACICAP au titre de la convention « missions sociales » tiennent compte :

- des résultats des filiales (crédit et immobilier) de l’exercice précédent ;

- du niveau des fonds propres ;

- des effets d’éventuelles variations qui ne doivent pas excéder 20 % d’un exercice à l’autre.

Les objectifs assignés au titre de la convention opérationnelle sont quant à eux déterminés en fonction de la quote-part des capitaux investis directement dans les sociétés à vocation immobilière. Un plancher annuel de production est fixé à 20 logements par SACICAP, soit 200 logements minimum sur dix ans.

La Cour a examiné dans quelle mesure les SACICAP se sont acquittées, collectivement et individuellement, des objectifs fixés dans la convention. Cette analyse a été effectuée à partir des données communiquées par l’UES-AP dont la fiabilité n’a pas pu être vérifiée. Elle doit donc être considérée avec prudence.

1 - Des objectifs partiellement et inégalement atteints

a) La participation à l’effort de construction en accession sociale

Les SACICAP s’étaient engagées à initier 25 000 logements en accession à la propriété sur une période de 10 ans entre 2008 et 2017, soit 2 500 logements en moyenne par an. À la fin de l’année 2014, 15 835 logements avaient été livrés sur un objectif de 17 503. Les SACICAP ont ainsi collectivement rempli leur objectif à 90 %.

Cette réussite collective masque cependant une très forte hétérogénéité puisque seulement 18 SACICAP ont atteint leur objectif individuel sur la période. Les SACICAP les plus intégrées au sein d’un groupe à vocation principalement immobilière ont pu aller bien au-delà des objectifs qui leur avaient été assignés. Ainsi, à titre d’exemple, les deux sociétés contrôlés par le groupe Arcade, SCCI-Arcade et La Ruche, ont respectivement livré 1 023 et 718 logements alors que leurs objectifs étaient fixés à 314 et 228.

Dix SACICAP réalisent 45 % des logements prévus par la convention opérationnelle. Quatorze ont réalisé moins de 20 % de leurs objectifs et sept moins de 10 %.

Tableau n° 19 : répartition des objectifs de la convention opérationnelle

[A consulter dans le fichier word ou pdf joint]

Cette hétérogénéité peut s’expliquer au moins par deux séries de facteurs. La première concerne la situation du marché de l’immobilier qui varie très fortement d’un territoire à l’autre. La seconde tient à la capacité opérationnelle des filiales immobilières des SACICAP qui ne sont pas toutes en mesure d’initier des logements dans les délais prévus. C’est la raison pour laquelle certaines SACICAP s’associent à des programmes lancés par d’autres sociétés dans des zones plus porteuses hors de leur champ d’intervention habituel.

En théorie, les SACICAP qui ne respectent pas leur engagement doivent verser à un fonds de compensation, mis en place par l’UES-AP, une contribution financière pour chaque logement non initié. Celle-ci s’élève à 8 000 € par logement si la SACICAP atteint 70 % au moins de ses objectifs, à 10 000 € pour les logements non livrés compris entre 50 % et 70 % des objectifs et 15 000 € si les objectifs sont inférieurs à 50 %. Alors même que 26 SACICAP n’ont pas atteint, au 31 décembre 2014, leur objectif à hauteur d’au moins 70 %, le fonds de compensation n’a jamais été activé. Or, il était prévu que la somme collectée serait partagée le 31 mars 2014 entre les SACICAP ayant dépassé leurs objectifs au prorata des dépassements constatés.

Dans la mesure où l’activité de construction de logements, y compris en accession sociale, se situe pleinement dans le champ concurrentiel, la question d’un conventionnement avec l’État d’objectifs de production ne se justifie pas pleinement, ces objectifs relevant davantage d’une logique de plan d’affaires.

b) Les « missions sociales »

Les SACICAP se sont engagées à financer 340 à 500 M€ de prêts et avances au titre des missions sociales entre 2008 et 2017, dont 140 à 200 M€ dans le cadre du programme « Habiter mieux » de l’ANAH.

Les objectifs assignés collectivement chaque année aux SACICAP par l’UES-AP s’établissent à 35 M€ par an, soit un objectif prévisionnel de décaissements sur l’ensemble de la période de 350 M€ qui correspond à la borne basse de l’objectif global fixé dans la convention signée en 2008 telle qu’amendée en 2010.

Pour vérifier le respect des objectifs fixés par la convention, la Cour n’a pris en considération que les données à partir de l’année 2009, celles de 2008 incluant, sans les isoler, les montants décaissés au titre des années antérieures.

Tableau n° 20 : répartition des objectifs de la convention sociale

[A consulter dans le fichier word ou pdf joint]

Sur la période 2009-2014, les SACICAP ont décaissé 228 M€, soit 131 % de l’objectif fixé à la fin de cette année (174 M€ en cumulé). Si 66 % des SACICAP ont atteint leur objectif individuel, cela masque d’importantes disparités.

Dix SACICAP concentrent près de la moitié de la production et dix-neuf SACICAP ne respectent pas leurs engagements. En particulier, six SACICAP avaient réalisé moins de 75 % de leurs objectifs sur la période 2009-2014. Il s’agit des SACICAP du Var (39 %), de la Haute-Savoie (53 %), de Lorraine (59 %), du Vaucluse (65 %), des Alpes-Dauphiné (68 %) et de la Savoie (72 %). Ces SACICAP, dont la situation financière est hétérogène, sont toutes contrôlées par des personnes physiques et morales issues du tissu économique local.

Si la réalisation des objectifs dépend pour partie du contexte local, elle tient également au degré d’engagement des dirigeants des SACICAP qui n’est pas toujours pleinement orienté vers la réalisation des missions sociales.

2 - Un suivi insuffisant de la convention

a) Un suivi lacunaire par les pouvoirs publics

Par manque d’intérêt ou par insuffisance de moyens de contrôle, l’État ne s’est jamais assuré du respect des objectifs qui ont été collectivement assignés aux SACICAP dans le cadre de la convention.

L’article L. 215-7 du code de la construction et de l’habitation prévoit que l’UES-AP remet un rapport annuel à l’autorité administrative sur l’exécution des conventions. L’UES-AP a produit ses rapports qui ont été communiqués à la Cour79.

En outre, les textes, dans leur rédaction issue de l’ordonnance de 2006, prévoyaient un contrôle des SACICAP par l’administration visant principalement à vérifier le respect des conventions passées avec l’État. L’article L. 215-9 du code de la construction et de l’habitation dispose en effet que « l’administration s’assure du respect […] des conventions passées avec l’État ».

Cette compétence, qui revenait en pratique à la Mission interministérielle d’inspection du logement social (MIILOS), n’a été que très partiellement exercée compte tenu à la fois de la nature spécifique des sociétés concernées, de statut privé, et d’un manque d’intérêt de la part du ministère chargé du logement. Certes des missions d’inspection ponctuelles ont pu être réalisées mais l’État ne s’est jamais assuré que les objectifs fixés dans la convention étaient globalement respectés.

Le contrôle des SACICAP a été définitivement supprimé par la loi du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové (dite « ALUR »), de telle sorte que l’État ne dispose plus d’aucun moyen juridique pour vérifier la bonne application de la convention. Seules les SACICAP majoritairement contrôlées par des organismes déjà soumis au contrôle de l’administration sont dorénavant susceptibles d’être contrôlées par l’Agence nationale de contrôle du logement social (ANCOLS) qui s’est substituée à la MIILOS depuis 2014.

Il est regrettable que le ministère chargé du logement, qui s’était lié par convention avec la structure fédérale des SACICAP pour s’assurer de leur implication dans les politiques publiques d’accession sociale et d’amélioration de l’habitat, se soit désintéressé du respect des objectifs assignés en renonçant à toute forme de contrôle.

b) Les insuffisances de la gouvernance et du pilotage de l’UES-AP

L’hétérogénéité des SACICAP et le degré divers avec lequel elles ont rempli leurs missions sociales s’expliquent en partie par la faiblesse de la gouvernance de leur organe fédéral dont le statut est défini par la loi. L’UES-AP ne dispose en effet que d’un pouvoir de recommandation, laissant aux SACICAP une très forte autonomie.

L’UES-AP

L’Union d’économie sociale pour l’accession à la propriété (UES-AP), qui a succédé à la chambre syndicale des sociétés anonymes de crédit immobilier, est une société coopérative régie par les dispositions des articles L. 215-5 à L. 215-8 du code de la construction et de l’habitation et du titre II bis de la loi n° 47-1775 du 10 septembre 1947 modifiée portant statut de la coopération.

L’UES-AP constitue l’une des cinq « familles » du mouvement HLM dans lequel elle s’est maintenue malgré la réforme de 2006 qui a soustrait les SACI à la réglementation HLM. Elle représente, notamment auprès des pouvoirs publics, les intérêts communs des SACICAP et est chargée de veiller à la mise en œuvre des conventions qu’elle conclut avec l’État pour leur compte.

Elle a obligatoirement pour associés les SACICAP, qui disposent d’au moins 90 % des droits de vote en assemblée générale également réparties entre elles, et l’Union des fédérations d’organismes d’habitation à loyer modéré (UESH).

Le conseil d’administration est composé de quinze membres dont quatorze sont désignés par les SACICAP et un représente l’UESH.

Le règlement intérieur de l’UES-AP prévoit des « obligations de reporting » et des « obligations déclaratives » de la part des SACICAP permettant de vérifier la bonne exécution des conventions passées avec l’État. L’UES-AP procède également à des contrôles pour s’assurer que les opérations enregistrées rentrent bien dans le champ de la convention.

Néanmoins, en l’absence de système d’information commun, l’UES-AP ne peut véritablement jouer le rôle d’un organe central et produire des données totalement fiables. Elle ne dispose par ailleurs d’aucun moyen juridique pour contraindre les SACICAP à remplir leurs missions sociales.

La gouvernance de l’UES-AP est par ailleurs trop fermée compte tenu de la composition de son conseil d’administration. Elle devrait être élargie à d’autres partenaires de l’accession sociale ou de la rénovation de l’habitat dégradé comme les collectivités territoriales, l’ANAH ou le secteur associatif, tout en maintenant une majorité d’actionnaires SACICAP.

C - Un avenir en question

1 - Une situation financière très hétérogène

Avec la mise en extinction du CIF, l’hétérogénéité de la situation financière des SACICAP s’est renforcée. Elle dépend aujourd’hui très largement de la rentabilité de leur pôle immobilier. Les SACICAP présentaient, au 31 décembre 2013, des disponibilités globalement excédentaires, estimées à environ 90 M€, et des fonds propres qui s’élevaient à 1,5 Md€.

Jusqu’en 2012, elles percevaient, en tant que sociétés faîtières, les dividendes de la branche crédit, constituée de CIFD et des SFR, et de la branche immobilière. En 2013, les SACICAP ont dû enregistrer dans leurs comptes, à la suite de la mise en extinction du CIF, des dépréciations importantes en fonction des participations qu’elles détenaient dans CIFD et les SFR, dégradant d’autant la valeur de leurs fonds propres. Elles n’ont plus perçu, à partir de cette date, de dividendes de la branche crédit qui représentaient environ deux tiers des distributions de résultats.

Certaines SACICAP, dont les actifs immobiliers n’étaient pas profitables, connaissent aujourd’hui des difficultés financières. Ainsi, à la fin de l’exercice 2013, dernières données financières accessibles, 51 % d’entre elles affichaient des disponibilités inférieures à 1 M€ et 16 % détenaient des fonds propres inférieurs à 10 M€. Eu égard à leur très faible niveau de trésorerie, la survie de certaines sociétés serait même compromise.

Tableau n° 21 : situation financière des SACICAP

[A consulter dans le fichier word ou pdf joint]

D’autres sociétés sont en bonne santé financière : 16 SACICAP enregistraient des disponibilités supérieures à 2 M€ à l’exercice clos 2013 et 19 avaient des fonds propres supérieurs à 30 M€.

2 - Un ralentissement des missions sociales depuis 2013

La mise en extinction du CIF et l’arrêt du versement des dividendes de la branche crédit ont conduit les SACICAP à réduire significativement leur production. Les décaissements correspondant aux prêts et avances ont en effet diminué de 40 % entre 2012 et 2014. Faute de trésorerie suffisante, dix SACICAP ont totalement arrêté la production80 et 37 l’ont fortement diminué. Neuf SACICAP, dont la situation financière est très satisfaisante, ont toutefois maintenu voire augmenté leur niveau de production sur la période.

Les SACICAP ayant décidé de poursuivre leurs missions ont dû revoir leur organisation. Si la gestion des encours de prêts et avances attribués jusqu’à la fin de l’année 2013 est toujours assurée par les SFR, celle des produits distribués après cette date revient dorénavant aux SACICAP qui ne sont pas toutes outillées à cet effet. Celles qui sont intégrées à un groupe contrôlé par un CIL ou un organisme HLM peuvent bénéficier des systèmes d’information qu’ils utilisent pour gérer leurs propres prêts. Tel est par exemple le cas de Procivis Rhône qui fait partie du collecteur Amallia. Les autres pourront éventuellement bénéficier à l’avenir d’une solution spécifique développée par Procivis Vallée du Rhône.

Pour l’année 2013, le conseil d’administration de l’UES-AP a décidé, compte tenu des incertitudes sur les capacités futures des SACICAP à financer les missions sociales, d’imputer sur l’objectif annuel de 35 M€ l’avance collective81 qui ressort à 18 M€, arrêtant l’objectif pour cette année à 17 M€.

Si cela est difficile à objectiver, le ralentissement de la production des SACICAP se traduit de façon concrète au niveau local, selon leurs principaux partenaires.

Consécutivement au ralentissement de la production des SACICAP, l’ANAH a enregistré une hausse des demandes d’avances, ce qui pèse de façon significative sur sa trésorerie. Alors qu’elles représentaient 6 % des paiements en 2011 (7,7 M€ pour 136 M€), les avances consenties par l’ANAH en 2013 et 2014 représentaient respectivement 19 % puis 45 % des paiements (39 M€ pour 198 M€ et 57 M€ pour 126 M€). Toutefois, ces avances, qui sont versées plusieurs semaines après le début des travaux, ne résolvent pas totalement les difficultés de trésorerie des bénéficiaires qui ne sont pas toujours en mesure de régler les premiers acomptes aux entreprises.

S’ils ont perdu une partie de leur utilité pour les travaux de rénovation énergétique qui sont dorénavant fortement subventionnés par l’ANAH, les prêts des SACICAP finançaient utilement le reste à charge des ménages modestes au titre d’autres travaux dans le cadre de la lutte contre l’habitat indigne et les copropriétés dégradées. Selon, l’ANAH, le ralentissement de la production se traduit dans la baisse du nombre de dossiers de demandes de financement au titre de ces aides. Ces constats n’ont cependant pas pu être documentés.

3 - L’échec des solutions récemment avancées

Dans le contexte de la mise en extinction du CIF et à l’invitation de l’UES-AP, les pouvoirs publics ont été conduits à s’interroger sur l’avenir des missions sociales des SACICAP et, plus particulièrement, de celles liées à la lutte contre la précarité énergétique.

Une mission gouvernementale a été lancée sur « les outils de financement nécessaires pour la réalisation d’économies d’énergie par les ménages les plus modestes en situation de précarité énergétique et sur la mobilisation des SACICAP, parmi d’autres acteurs, en appui de ces outils ». Un rapport a été remis au Gouvernement en juin 2014 par Jean-Paul Redouin, sous-gouverneur honoraire de la Banque de France, et Sabine Baïetto-Beysson, inspectrice générale de l’administration du développement durable.

Ce rapport préconise un partenariat entre l’UES-AP et un établissement de crédit permettant de financer 70 000 dossiers, dont 40 000 au titre des avances sur subventions de l’ANAH et 30 000 microcrédits. Dans ce schéma, les SACICAP assureraient, compte tenu de leur implantation territoriale et de leur connaissance des partenaires locaux, un rôle d’intermédiaire en opérations de banque et en services de paiement (IOB), dans les conditions prévues par l’article L. 519-1 du code monétaire et financier. Une expérimentation a été lancée en octobre 2014 avec La Banque Postale mais elle s’est soldée par un échec. Elle se poursuit parallèlement avec d’autres partenaires.

D’autres solutions ont été explorées par les SACICAP comme la création d’un nouvel établissement de crédit distribuant des microcrédits sociaux immobiliers ou la participation à des sociétés de tiers-financement en partenariat avec les collectivités territoriales mais elles se sont heurtées à de nombreuses oppositions au sein des pouvoirs publics.

Compte tenu de l’arrêt des activités du CIF et de la perspective d’un versement anticipé de dividendes en 2018, il paraît nécessaire de revoir les termes de la convention conclue entre l’État et l’UES-AP qui arrive à échéance en 2017. Une nouvelle convention devrait être précédée d’une réflexion sur les missions sur lesquelles les SACICAP détiennent une véritable valeur ajoutée et sur l’éventuelle affectation d’au moins une partie du boni de liquidation à des activités d’intérêt général.

CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS

Une mise en œuvre difficile du plan de résolution

La mise en résolution ordonnée s’est tout d’abord traduite par le départ de 1 200 collaborateurs dans le cadre d’un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) qui sera reconduit chaque année jusqu’à extinction totale du bilan. Les salariés du groupe CIF bénéficient de conditions de départ très avantageuses négociées dans le cadre d’un accord collectif de gestion sociale dont le coût total pour l’entreprise s’élève à 600 M€, soit 275 000 € en moyenne par salarié. Ces conditions ne sont pas très incitatives pour les reclassements externes, seuls 50 % des anciens collaborateurs ayant trouvé une solution à l’issue de leur congé de reclassement.

Le plan de résolution ordonnée du CIF est particulier en ce qu’il maintient la gouvernance en place. La mise en œuvre de la résolution, qui a permis des avancées, notamment en termes de meilleure transparence sur les risques et de gestion plus professionnelle du groupe, n’est pas exempte de difficultés. Or les intérêts de l’État garant et des actionnaires en place sont étroitement liés. Il n’existe aucune marge de manœuvre pour renégocier les modalités de ce plan avec la Commission européenne.

L’État et le CIF doivent donc éviter tout risque dans la mise en œuvre du processus. Dans le cas d’évènement grave affectant l’exécution du plan, l’État et le superviseur disposent des outils juridiques nécessaires pour y faire face, dans le cadre des nouvelles dispositions introduites dans le droit national et européen sur la résolution bancaire.

Un impact incertain sur l’accès au crédit de l’ancienne clientèle servie par le CIF

L’impact de la disparition du CIF sur le marché du crédit à l’habitat est difficile à évaluer tant les facteurs affectant aussi bien l’offre que la demande sont nombreux. Toutefois, certains indicateurs montrent que l’accès au crédit des ménages les plus modestes, dont certains étaient autrefois servis par le CIF, paraît moins aisé aujourd’hui. Pour y remédier, La Banque Postale a accéléré, à la demande de l’État, le déploiement de sa nouvelle offre d’accession sociale à la propriété qui se révèle cependant plus sélective. En tout état de cause, il ne semble pas souhaitable que les acteurs bancaires distribuent des produits complexes comme les prêts à taux variables qui engendrent des risques importants pour les banques et leurs clients les plus modestes.

Des missions sociales qui peuvent se poursuivre

En raison de l’arrêt du versement du dividende du CIF, la plupart des SACICAP ont fortement diminué voire arrêté leur production au titre des « missions sociales ». D’autres, en meilleure situation du fait de la profitabilité de leur pôle immobilier, l’ont maintenue voire augmentée, rappelant la forte hétérogénéité de ce réseau. La situation financière globale des SACICAP devrait en outre s’améliorer avec le versement anticipé, en 2018, d’un dividende pouvant aller jusqu’à 347 M€.

Plusieurs solutions ont été explorées au niveau national pour assurer la pérennité, sous une forme ou sous une autre, des missions sociales des SACICAP mais aucune n’a abouti. Leur gouvernance et leur identité particulières rendent très difficiles les partenariats avec des établissements bancaires désireux de développer le microcrédit social, comme l’a montré l’expérimentation infructueuse avec LBP.

L’arrivée à échéance, en 2017, de la convention signée avec l’État doit conduire les pouvoirs publics et l’UES-AP à poursuivre leurs réflexions sur la nature des missions sociales à exercer et sur l’éventuelle affectation vers ces missions d’une partie au moins des dividendes que les SACICAP devraient percevoir dès 2018.

La Cour formule donc les deux recommandations suivantes :

2. Recommandation n° 2 : (DG Trésor et CIF) : poursuivre le processus de résolution engagé conformément au plan agréé par la Commission européenne dans les conditions et le calendrier prévus et, en particulier :

a. achever sans délai le chantier de la transparence sur les risques (CIF) ;

b. poursuivre les opérations de fusion juridique des SFR avec CIFD et prendre les mesures d’organisation nécessaires à une gestion opérationnelle centralisée (CIF) ;

c. fixer à l’avance les dates de fermeture des plates-formes de gestion afin d’assurer la bonne mise en œuvre des plans de sauvegarde de l’emploi (CIF) ;

d. diminuer le montant de l’encours de la garantie interne en procédant à la réorganisation des filiales financières (CIF, DG Trésor) ;

e. stabiliser la représentation de l’État au sein du conseil d’administration de CIFD (DG Trésor).

3. Recommandation n° 3 : (DG Trésor et DHUP) : engager la renégociation de la convention entre l’État et les SACICAP afin de redéfinir le contenu des missions sociales et leurs modalités de financement.

Conclusion

Le cas du CIF a illustré avec acuité le manque d’outils à la disposition des pouvoirs publics pour prévoir et traiter les situations de crise affectant un établissement financier, lacune que la directive n°°2014/59 du 15 mai 2014 dite « BRRD », transposée pour sa partie législative par l’ordonnance du 20 août 2015, devraient à l’avenir, en principe, contribuer à combler.

L’État n’a eu en la circonstance d’autre solution qu’une intervention massive sous forme d’octroi d’une garantie, sans même être en mesure de pouvoir contraindre juridiquement les dirigeants de l’établissement à renoncer à leurs indemnités de départ.

Les finances publiques sont engagées à un niveau très élevé, le plafond de la garantie accordée au CIF se situant à 28 Md€, soit près de 1,5 point de PIB, sur une période très longue pouvant aller jusqu’en 2035.

Les risques d’appel de la garantie, qui ne se sont pas matérialisés à ce jour, peuvent survenir principalement dans trois cas : une situation macroéconomique nettement plus défavorable que celle prévue dans les scénarios du plan de résolution ; une aggravation des risques du portefeuille de prêts ; des difficultés opérationnelles dans la mise en œuvre du plan de résolution ordonnée.

À cet égard, trois facteurs-clés de succès doivent permettre de sécuriser son déroulement. La gouvernance du CIF doit demeurer stable et mobilisée en faveur de la mise en œuvre du plan.  Les risques du portefeuille de crédits doivent être gérés de manière rigoureuse. Enfin, la gestion opérationnelle doit être centralisée dans le cadre d’une organisation du réseau simplifiée et les plans de sauvegarde de l’emploi se dérouler selon le calendrier et l’enveloppe prévus.

La stricte application de ce plan constitue la seule voie possible pour concrétiser tout à la fois l’éventualité du boni de liquidation que les actionnaires attendent pour investir dans leurs activités immobilières et poursuivre leurs missions sociales et pour préserver les finances publiques.


Annexe n° 1 : échange de correspondances entre la Présidente de la commission des finances du Sénat et le Premier président de la Cour des comptes

[A consulter dans le fichier word ou pdf joint]


Annexe n° 2 : liste des principaux acronymes

ACPR : Autorité de contrôle prudentiel et de résolution

AGS : Accord collectif de gestion sociale et d’encadrement des réorganisations

ANAH : Agence nationale pour l’habitat

BPI : Banque Patrimoine Immobilier

BRRD : Directive sur le redressement et la résolution des crises bancaires

CDC : Caisse des dépôts et consignations

CFF : Crédit Foncier de France

CIF : Crédit immobilier de France

CIFD : Crédit immobilier de France Développement

CIF€ : Crédit immobilier de France Euromortgage

CIFRAA : Crédit immobilier de France Rhône-Alpes-Auvergne

3CIF : Caisse centrale du Crédit immobilier de France

CRD : Capital requirement directive (directive sur les exigences de fonds propres)

ELA : Emergency Liquidity Assistance (assistance de liquidité d’urgence)

FGD : Fonds de garantie des dépôts

IRP : Institutions représentatives du personnel

LBP : La Banque Postale

LTV : Loan to value (ratio d’endettement)*

NSFR : Net stable funding ratio (ratio structurel de liquidité à long terme)

PAP : Prêt pour l’accession à la propriété

PAS : Plan d’accession sociale

PSE : Plan de sauvegarde de l’emploi

PSLA : Prêt social location-accession

PTZ : Prêt à taux zéro

RMBS : Residential Mortgage-backed Securities

SACI : Société anonyme de crédit immobilier

SACICAP : Société anonyme coopérative d’intérêt collectif pour l’accession à la propriété

SFR : Société financière régionale

SGFGAS : Société de gestion des financements et de la garantie de l’accession sociale à la propriété

SIEG : Service d’intérêt économique général

UES-AP : Union d’économie sociale pour l’accession à la propriété

1Cette compétence ne s’exerce que lorsque les SACICAP sont majoritairement contrôlées par des organismes d’ores et déjà soumis au contrôle des juridictions financières (collectivités locales, comités interprofessionnels du logement).

2Gouverneur de la Banque de France, président de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), président de l’Autorité des marchés financiers, directeur général du Trésor, directeur général de l’aménagement, du logement et de la nature.

3Certaines des sociétés filiales (ESH et coopératives) sont soumises à la réglementation des HLM.

4Le nombre des PAP est passé de 171 000 en 1982 à 69 000 en 1988 et à 40 000 en 1991.

5Les sociétés anonymes d'HLM ne peuvent constituer des filiales de droit commun. En outre, la pratique des SACI était de constituer des groupements d’intérêt économique (GIE) communs entre organismes d'HLM et filiales concurrentielles.

6Loi n° 2006-1615 du 18 décembre 2006.

7Les SACI ont été dispensées de l'impôt sur les sociétés en totalité jusqu'en 1992 et partiellement après cette date. Les organismes HLM ont en outre un statut fiscal dérogatoire au regard de la TVA.

8Le prix de cession était limité à la valeur nominale actualisée déduction faite des dividendes distribués.

9Il était composé des présidents des commissions, des rapporteurs du projet de loi ainsi que d'anciens ministres du logement.

10Avis du Conseil d'État du 17 janvier 2006.

11Articles L. 215-3 et L. 215-4 du code de la construction et de l’habitation.

12SACICAP Midi-Méditerranée, SACICAP de la Gironde, Immobilière Plurihabitat (Champagne), SACIEST (Meuse), SACICAP de Picardie, Procivis Rhône, SACICAP Aipal (Île-de-France) et SACICAP Aisne Somme Oise.

13Ce taux est défini par arrêté du ministre chargé de l’économie. Il correspond au taux moyen de rendement des obligations des sociétés privées émises au cours du semestre précédent. Il s’établit à 1,5 % au deuxième semestre 2014 et à 3,89 % en moyenne sur la période 2001-2014.

14Il s’agit généralement d’un directeur général et d’un chargé de mission « missions sociales ».

15SNCF Habitat, qui est une SACICAP.

16Rapport annuel de CIFD 2012.

17CIF Rhône Alpes Auvergne.

18CIFFRA est la filiale la plus affectée par l’affaire Apollonia (cf. infra).

19Hormis des dépôts dans la filiale BPI rachetée à Barclays.

20Conseil d’administration de CIFD du 11 septembre 2007.

21Conseil d’administration de CIFD du 16 octobre 2007.

22Ceci représente moins de 2,5 fois le SMIC qui s'élevait en 2012 à 1 425 € bruts.

23Pouvant aller jusqu'à plus de 1 % du montant financé.

24L’objectif de 5 % ne résulte pas d’une injonction écrite des agences de notation dont la trace n’a pas été trouvée par la Cour. Il s’agit d’un objectif interne au groupe CIF qui a pu interpréter le sentiment des agences sur sa taille trop petite.

25Cf. procès-verbal du conseil d’administration de CIFD du 25 octobre 2011.

26Le risque de crédit, ou de contrepartie, est le risque de perte sur une créance. Il est fonction de trois paramètres : le montant de la créance, la probabilité de défaut et la proportion de la créance qui ne sera pas recouvrée en cas de défaut.

27La Cour a analysé cette période dans ses rapports publics. Cour des comptes, Rapport public thématique : Les concours publics aux établissements de crédit : bilan et enseignements à tirer. La Documentation française, juin 2009 et mai 2010, 189 p., disponible sur www.ccomptes.fr

28Résidential Mortgage Back Securities : créances titrisées d’actifs hypothécaires.

29La part des encours titrisés a été variable selon les SFR, certaines ayant titrisé beaucoup comme CIF Sud-Ouest.

30Le groupe possédait deux fonds : CIF Assets et BPI Master Mortgage qui a été mis en extinction.

31La durée résiduelle moyenne est de l’ordre de 8 ans, selon la direction financière.

323CIF admettait que, de plus en plus, les agences de notation rattachaient sa notation à l'appartenance au groupe et à la solidité intrinsèque de celui-ci.

33Ces opérations sont appelées « LTRO » pour Long Term Refinancing Operation. Elles font partie de la panoplie des interventions de politique monétaire de la Banque centrale européenne. Lors de la crise de 2008-2009, la BCE en a fait un instrument de lutte décisif contre la crise de liquidité bancaire en décidant que ces opérations seraient conduites à taux fixe, pour des montants illimités et pour des durées de 3 et 6 mois.

34Voir les rapports publics de la Cour des comptes. Cour des comptes, Rapport public thématique : Les concours publics aux établissements de crédit : bilan et enseignements à tirer. La Documentation française, juin 2009 et mai 2010, 189 p., disponible sur www.ccomptes.fr

35Il s’agissait encore de Standard & Poor’s et de Fitch. Moody's notait le groupe de façon « non sollicitée ».

36CIFD a même fait appel aux dépôts de trésorerie des SACICAP.

37Conseil d’administration de CIFD du 1er mars 2012.

38Dans le cas d’une note sollicitée, l’emprunteur demande à une ou plusieurs agences de notation d’évaluer sa capacité de remboursement.

39Note de crédit de Fitch, 17 janvier 2012.

40Dans le cas d’une note non sollicitée, c’est l’agence de notation qui prend l’initiative de noter l’emprunteur, généralement sans son accord préalable.

41Le CIF n’avait cependant pas de dette junior ou subordonnée en 2012.

42Conseil d’administration de CIFD du 1er mars 2012.

43Lettre du président-directeur général de CIFD au directeur général du Trésor du 13 mars 2012.

44Cette assistance, de nature exceptionnelle, peut être accordée par les banques centrales nationales à titre temporaire aux institutions financières qui rencontrent des difficultés de liquidité, en contrepartie de la remise de collatéral non éligible au refinancement monétaire classique. À partir d’un montant d’assistance supérieur à 500 M€, une information du Conseil des gouverneurs de la BCE est nécessaire. Au-delà de 2 Md€, l’accord du Conseil des gouverneurs de l’Eurosystème est requis.

45Rapport annuel de CIFD de 2012.

46La France a perdu sa notation AAA en 2012 auprès de deux des trois principales agences de notation.

47L’une des filiales du CIF, la Banque Patrimoine et Immobilier, recueillait des dépôts, qui étaient de l’ordre de 0,4 Md€ fin 2011.

48L’option d’un service d’intérêt économique général (SIEG), qui aurait pu s’appuyer sur la CDC, a également été écartée (cf. infra).

49Le bilan du CIF était de l’ordre de 41 Md€ fin 2011.

50Conseil de surveillance de LBP du 4 juin 2012.

51LBP a décidé, lors du conseil de surveillance du 7 décembre 2012, de créer une société de financement de l’habitat.

52Créée le 27 mars 2013, La Banque Postale Collectivités Locales, détenue à 65 % par La Banque Postale et à 35 % par la Caisse des dépôts, assure des prestations de services en lien avec la commercialisation de crédits aux collectivités locales et aux hôpitaux par La Banque Postale. Les prêts éligibles sont ensuite refinancés par la CAFFIL (Caisse Française de Financement Local), société dont La Banque Postale (5 %) et la Caisse des dépôts (20 %) sont également actionnaires.

53Aux termes de la communication du 18 août 2009 sur le retour à la viabilité et l’appréciation des mesures de restructuration dans le secteur financier, le plan de restructuration « doit démontrer comment la banque recouvrera sa viabilité à long terme sans aide d'État dans les plus brefs délais ».

54Étude du cabinet Advention commandée par le CIF en novembre 2012.

55Aide d’État n° 244/2003, Royaume-Uni, Credit Union Provision of Access to Basic Financial Services – Scotland.

56Note blanche de l’État remise au conseil d’administration de CIFD le 31 août 2012.

57La garantie interne a été plafonnée à 11 Md€ et la garantie externe à 7 Md€, plafond qui a été porté à 8 Md€ en août 2013.

58Le plan de résolution appliqué au groupe CIF obéit aux règles qui régissent les aides d’État conformément à la réglementation applicable en 2012 et 2013. Le CIF est placé en gestion extinctive sous garantie d’État et conserve sa licence bancaire. Ce régime se distingue du régime de résolution prévu dans la directive dite « BRRD » transposée par l’ordonnance du 20 août 2015. Celle-ci prévoit des mesures préventives des crises et des outils d’intervention précoce des autorités de surveillance ainsi que des outils de résolution : cession d’activité, transferts d’actifs et passifs dans une banque relais, séparation des actifs douteux, renflouement interne par les actionnaires et mise à contribution des créanciers selon un ordre prédéfini en fonction de la séniorité des créances.

59Article 2321 du code civil.

60Le scénario central du plan de résolution prévoit un versement de dividende de 592 M€ sur la période.

61« Le conseil décide, à l’unanimité, à l’instar de la décision prise pour les dirigeants mandataires sociaux rémunérés des établissements de crédit du groupe, relative aux indemnités de fin de carrière, d’attribuer au président-directeur général, en cas de départ à la retraite, une indemnité de fin de carrière fixée, compte tenu de son ancienneté en qualité de dirigeant au sein du réseau, à un montant maximum correspondant à 15 mois de rémunération brute ».

62Cette convention stipule que CIF, 3CIF et CIF Euromortgage s’engagent à « ne procéder à aucune nomination, révocation ou remplacement de leurs président, directeur général, directeurs généraux et/ou dirigrants responsables effectifs et ne pas arrêter les conditions de leur rémunération, sans l’agrément préalable du commissaire du Gouvernement ».

63Décret n° 2009-348 du 30 mars 2009 relatif aux conditions de rémunération des dirigeants des entreprises aidées par l'État ou bénéficiant du soutien de l'État du fait de la crise économique et des responsables des entreprises publiques.

64Décret n° 2009-445 du 20 avril 2009 portant modernisation du fonctionnement du Fonds de développement économique et social.

6529 au total dont un comité central d’entreprise, quatorze comités d’établissement et quatorze comités d’hygiène et de sécurité.

66En retenant comme hypothèse la masse salariale de l’exercice 2013 qui s’élève à 160 M€.

67Articles L. 1233-61 à L. 1233-63 du code du travail.

68Cette durée peut, dans certaines situations, être étendue à 15 voire 18 mois, ce qui est supérieur au maximum légal (12 mois).

69LBP a recruté 88 salariés au total dont huit n’étaient pas concernés par le premier PSE.

70Le cabinet Tandem Expertises dont les honoraires, qui s’élèvent à 2,2 M€ en 2014, ont été réglés par CIFD. Le coût total des expertises à la charge de l’employeur s’élève à 3,57 M€.

71Le comité central d’entreprise avait déjà introduit un recours contre la direction générale sur le même fondement mais avait été débouté par le tribunal de grande instance en juillet 2013.

72CRD IV transpose Bâle 3.

73CIFD a choisi d’avoir la même composition pour son comité des risques et son comité d'audit. Le président est un ancien commissaire aux comptes.

74Article 31 de la directive 2014/59 du 15 mai 2014.

75Étude du cabinet Advention, mandaté par le CIF en 2012. La Cour n’a pas eu la possibilité de valider les sources et les hypothèses de cette étude.

76La définition d’« accession sociale » retenue par le Crédit Foncier de France fait référence à tout prêt distribué incluant un PAS ou un PTZ.

77Le microcrédit consiste en l’attribution de prêts de faible montant à des personnes physiques ou morales qui ne peuvent accéder aux prêts bancaires classiques.

78L’évolution des plafonds de ressources des propriétaires occupants ainsi que la revalorisation de la prime du fonds d’aide à la rénovation thermique (3 000 €) expliquent l’augmentation importante du montant des aides octroyées.

79Le ministère chargé du logement a cependant indiqué à la Cour n’avoir reçu qu’un rapport depuis 2007 portant sur l’exercice 2012.

80Y compris la SACICAP de l’Orne qui disposait au 31 décembre 2012 d’une trésorerie très excédentaire (1,7 M€).

81Il s’agit de l’avance enregistrée au cours des précédentes années par rapport aux objectifs annuels fixés collectivement aux SACICAP.