La Cour des comptes a réalisé une enquête sur la formation continue des enseignants dans le secteur public et le secteur privé sous contrat d’association avec l’État. À l’issue de la contradiction, elle en a tiré des observations définitives qui sont adressées au ministère de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, au secrétariat général de l’enseignement catholique ainsi qu’à la fédération des associations pour la formation et la promotion professionnelles dans l’enseignement catholique (Formiris).
En application des articles L. 143-1 et R. 112-3 du code des juridictions financières, la Cour m’a demandé d’appeler plus particulièrement votre attention sur plusieurs points.
S’ils ont bénéficié de plus de 730 000 journées de formation dans le premier degré et de plus de 970 000 journées de formation dans le second degré au cours de la dernière année scolaire, les enseignants de l’éducation nationale ne sont pas dans une situation aussi favorable qu’elle pourrait le paraître en matière de formation continue. Ils suivent, certes, en moyenne trois jours et demi de formation par an, soit à peu près autant que les autres agents de la fonction publique d’État. Cependant, ce niveau est sensiblement inférieur à celui des seuls agents de catégorie A, pour lesquels la moyenne annuelle est supérieure à quatre jours de formation. En outre, les enseignants français bénéficient de moitié moins de jours de formation que leurs homologues étrangers : la moyenne est de huit jours dans les pays membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) en 2013. Par ailleurs, les enquêtes conduites par les organisations internationales comme par les organisations syndicales révèlent un scepticisme, très majoritaire parmi les enseignants, sur l’aide que leur apportent ces formations dans leur travail quotidien.
Le coût de cette politique, quoique difficilement isolable, n’est pas négligeable : le chiffrage de la dépense associée à la politique de formation continue n’est pas de lecture directe dans les documents budgétaires, mais le calcul, établi en réponse à l’enquête interministérielle de la direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP), à quelques approximations près, permet d’estimer ce coût annuel à un peu plus d’un milliard d’euros (1,07 Md€ en 2012).
I. La formation continue pourrait être un outil de gestion des ressources humaines
La formation continue, avant tout conçue comme un vecteur de mise en œuvre des réformes pédagogiques, n’est pas utilisée par le ministère comme un levier de gestion des ressources humaines : aussi bien l’organisation administrative, que les manques constatés dans l’évaluation des besoins des enseignants et dans le suivi du parcours de formation y font obstacle.
Alors que la formation continue de tous les autres corps du ministère est du ressort de la direction générale des ressources humaines (DGRH), celle des enseignants relève à titre principal de la direction générale de l’enseignement scolaire (DGESCO), comme si elle constituait un élément détachable du reste de la gestion des ressources humaines. De fait, la prise en compte de la formation continue dans le parcours de carrière des enseignants, hormis lorsqu’ils accèdent à des fonctions d’encadrement, est quasiment inexistante. Seule la préparation de l’agrégation par la voie interne peut conduire, en cas de succès, à une évolution de leurs conditions d’exercice du métier.
Les réflexions en cours sur le cadre réglementaire définissant les modalités d’évaluation des enseignants devront permettre d’organiser l’appréciation régulière de leur besoin en formation. Aujourd’hui, compte tenu des conditions particulières de l’évaluation des enseignants, par un personnel d’inspection et à une fréquence irrégulière (en moyenne, tous les trois à quatre ans dans le premier degré et jusqu’à sept ans dans le second degré), il n’existe pas d’entretien annuel de formation pour les enseignants, alors même que la loi n° 2007-148 du 2 février 2007 de modernisation de la fonction publique a généralisé sa mise en œuvre dans tous les ministères et pour toutes les catégories de personnel.
Un suivi individuel des formations dont bénéficient les enseignants serait par ailleurs un préalable nécessaire à leur prise en compte dans leurs évolutions de carrière. Pourtant, en l’état actuel des systèmes d’information du ministère, il n’est pas possible de retracer le parcours de formation des enseignants, en particulier lorsqu’ils sont amenés à changer d’académie d’affectation. Ce suivi statistique doit être amélioré, afin que les académies disposent d’une connaissance fine du niveau de participation des enseignants aux actions de formation et qu’elles soient ainsi en mesure de déterminer les priorités sur lesquelles concentrer la politique de formation continue.
Enfin, l’utilisation de la formation continue au service du développement professionnel des enseignants impliquerait d’élargir sa cible au-delà de l’accompagnement des réformes et de la préparation des concours internes (en particulier, l’agrégation), afin de permettre un accompagnement des enseignants tout au long de leur carrière, depuis le développement actif de compétences pendant les premières années du métier jusqu’à une phase de consolidation professionnelle, puis de valorisation de l’expérience acquise. Les dispositifs de congé pour formation professionnelle devraient aussi avoir pour but, ainsi que les textes le prévoient, d’accompagner les réorientations de carrière et de soutenir des projets professionnels atypiques.
II. L’offre de formation continue devrait être adaptée aux besoins, à michemin entre le monde enseignant et l’université
À la suite de la mise en place des écoles supérieures du professorat et de l’éducation (ESPE), le ministère doit s’assurer que les rectorats sont en mesure de piloter la constitution d’une offre de formation correspondant aux besoins des enseignants.
Le code de l’éducation prévoit que les ESPE, mises en place depuis la rentrée 2013, « participent » à la formation continue des enseignants et des personnels d'éducation et, à cet effet, « organisent des actions de formation continue des personnels enseignants des premier et second degrés ». La circulaire de rentrée pour l’année scolaire 2013-2014 qualifie même les ESPE d’« opérateur privilégié » de la formation continue et leur rôle dans « la formation continue au numérique » est mis en avant dans la circulaire de rentrée pour l’année scolaire en cours.
L’offre des ESPE reste cependant à construire dans ce domaine, tant elles se sont concentrées jusqu’à présent sur l’établissement de leur gouvernance et sur l’élaboration de leur maquette de formation initiale à destination des nouveaux enseignants. Pour ce qui est de la formation continue, les conventions progressivement signées, dans chaque académie, entre le recteur et l’ESPE, spécifient le rôle et la contribution de chacun en emplois et en crédits. À ce jour, de nombreuses modalités de coopération possibles sont envisagées.
Dès lors, l’enjeu pour le ministère et les académies est de faire en sorte que les ESPE construisent une offre pertinente dans le paysage préexistant de la formation continue, en les incitant à adopter un positionnement à égale distance des universités et du monde enseignant. Il importe, en particulier, que l’articulation entre recherche en sciences de l’éducation, formation et acte pédagogique soit incluse dès le cahier des charges de toute action de formation, afin d’assurer le dialogue entre les acteurs de terrain et les chercheurs et la diffusion des expérimentations réussies. Les ESPE ont également un rôle à jouer pour instaurer une réelle continuité entre la formation initiale et la formation continue et pour favoriser le développement de modules de formation en ligne.
Dans ce contexte, les académies doivent continuer à se doter d’outils d’évaluation des actions de formation pour s’assurer de la qualité et de l’adéquation des formations proposées aux besoins concrets des enseignants, relayés par les corps d’inspection.
III. Les risques budgétaires pourraient être réduits et la qualité de la gestion améliorée
Le défaut de remboursement des frais de déplacement, de restauration, et d’hébergement occasionnés par la formation continue n’est pas conforme à la réglementation et crée un risque contentieux potentiellement lourd.
L’enquête de la Cour a révélé que certaines dispositions réglementaires en vigueur n’étaient pas appliquées, au détriment des possibilités de formation des enseignants. C’est le cas, en particulier, des règles relatives au remboursement des frais de déplacement, de restauration et d’hébergement occasionnés par la formation continue. Les règles de gestion, à cet égard, sont les mêmes pour les enseignants que pour tout fonctionnaire.
Dans les faits, certaines académies et directions académiques ont choisi de faire une application sélective des textes en réservant le remboursement des frais à une partie des enseignants seulement, ou bien seulement aux formateurs, ou encore de ne rembourser aucun des frais liés à la formation continue. Certaines académies opèrent une distinction entre les stages obligatoires, qui ouvrent droit à remboursement, et les stages sur inscription individuelle, dont les frais restent à la charge des enseignants.
Les deux principales raisons avancées pour justifier cette liberté prise avec les textes sont le coût de la dépense qui découlerait d’une prise en charge systématique (estimée à plus d’1 M€ par an pour une académie comme celle de Versailles) et la lourdeur de la gestion administrative qu’elle engendrerait, mettant en jeu des pièces justificatives nombreuses pour un faible montant unitaire. Des possibilités de dématérialisation ou de contrôle hiérarchisé de la dépense existent pourtant, confortées par le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique (GBCP).
Surtout, cette situation, qui n’est pas conforme à la réglementation, place les rectorats dans une situation de forte insécurité juridique. Dans l’éventualité où des enseignants engageraient massivement des procédures de recours, les académies seraient, en effet, susceptibles de devoir verser des montants conséquents, non provisionnés à ce jour. En tout état de cause, le non-respect des textes ne saurait être une solution satisfaisante pour permettre à l'État de maîtriser ses dépenses, ce dernier objectif pouvant être poursuivi, notamment par redéploiement des crédits, sans qu’il soit besoin de ne pas respecter les textes, d’autant que leur correcte observation représenterait, à titre d’exemple pour l’académie de Versailles, une dépense estimée à 0,03 % de l’ensemble des crédits annuels alloués à ce rectorat, donc pouvant être financée par redéploiement.
Dans le second degré, le nombre d’heures de formation dues par heure de décharge hebdomadaire n’est pas harmonisé entre académies.
Les enseignants du second degré qui participent aux actions de formation continue bénéficient d’une décharge partielle ou totale de leur obligation réglementaire de service (ORS). Chaque académie a aujourd’hui développé ses propres modalités de calcul pour déterminer combien d’heures de formation continue un enseignant du second degré doit assurer pour une heure de décharge hebdomadaire de son obligation réglementaire de service, avec des différences constatées entre les académies pouvant aller jusqu’à 48 heures par an. Il appartient au ministère de promouvoir un mode de calcul plus homogène.
Cette disparité des modes de calcul des décharges, déjà relevée dans le précédent rapport de la Cour relatif à la formation continue des enseignants du premier et du second degré de juillet 2000, ne paraît pas justifiée par des particularités locales d’exercice des missions des enseignants. La création d’une fonction de formateur académique pour les enseignants, envisagée par le ministère, devrait aller de pair avec la définition d’un mode de calcul qui serait un facteur d’équité entre enseignants.
L’identification des crédits alloués à la formation continue faciliterait son pilotage et les arbitrages sur l’utilisation de ses crédits.
Aujourd’hui, c’est l’évolution de l’enveloppe des crédits, hors titre 2, consacrés à la formation continue, soit moins de 30 M€, qui cristallise l’attention des gestionnaires, tant au niveau national qu’au niveau déconcentré, alors que cette somme est sans commune mesure avec la dépense totale de formation continue du ministère si on l’aborde en coût complet, c’est-à-dire en prenant en compte notamment la rémunération des stagiaires et des formateurs : elle dépasse alors 1 Md€. Au total, la dépense de formation continue en faveur des enseignants est de 4 % de la masse salariale, supérieure à la moyenne de la fonction publique (3,5 %). Le ministère dispose donc de moyens suffisants mais mal mis en valeur et peu pilotés.
A cet effet, faire apparaître dans les budgets opérationnels de programme (BOP) académiques une ligne correspondant à la formation continue (titre 2 et hors titre 2), bénéficiant de la fongibilité asymétrique, permettrait aux recteurs de procéder à de véritables choix en la matière. L’évaluation plus fine des coûts de formation des enseignants devrait donc s’imposer, afin de faciliter les arbitrages dans l’affectation des crédits et de répondre plus efficacement aux besoins.
Enfin, le ministère a un rôle à jouer pour encourager le secteur privé sous contrat à optimiser sa gestion financière dans le domaine de la formation continue des enseignants.
Formiris, association de la loi de 1901 chargée d’organiser au niveau national la formation des maîtres de l’enseignement catholique privé sous contrat et fédérant 13 associations territoriales qui organisent la formation au niveau académique, doit rendre compte à l’État, comme tout gestionnaire de deniers publics, de la bonne utilisation des crédits de formation qui lui sont confiés. Il importe donc que le ministère puisse s’assurer que la fédération, à travers le déploiement de règles communes dans l’ensemble de ses associations territoriales, tend vers une meilleure maîtrise collective de ses dépenses de fonctionnement et une amélioration constante de l’efficacité de ses dépenses.
À cet effet, le ministère doit notamment veiller à ce que Formiris mette en œuvre, pour l’emploi des fonds qui lui sont attribués, les principes de la commande publique applicables aux pouvoirs adjudicateurs. L’organisation de la fonction achat et une mise en concurrence des prestataires de formation continue sont désormais nécessaires et doivent aller de pair avec une évaluation de la qualité des actions de formation proposées.
Un dialogue opérationnel avec la DGESCO permettrait également de faciliter l’anticipation des réformes pédagogiques et des actions de formation qu’elles impliquent pour les enseignants du secteur privé sous contrat d’association avec l’État.
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En conséquence, la Cour formule les principales recommandations suivantes :
- Recommandation n° 1 : établir un lien plus étroit entre le parcours de formation des enseignants et les caractéristiques de leurs postes d’affectation et, à cet effet, améliorer le suivi statistique et individuel du parcours de formation des enseignants ;
- Recommandation n° 2 : comme prévu dans les programmes budgétaires du MENSR, veiller à ce que l’offre de formation continue des écoles supérieures du professorat et de l’éducation (ESPE) soit effective, et qu’elle soit adossée à la recherche universitaire et construite en lien étroit avec les besoins concrets exprimés par les enseignants et les corps d’inspection ;
- Recommandation n° 3 : respecter la réglementation en vigueur sur les frais de déplacement des enseignants participant à la formation continue, en dégageant si nécessaire les crédits par redéploiement.
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Je vous serais obligé de me faire connaître, dans le délai de deux mois prévu à l’article L. 143-5 du code des juridictions financières, la réponse que vous aurez donnée à la présente communication1.
Je vous rappelle qu’en application des dispositions du même code :
- deux mois après son envoi, le présent référé sera transmis aux commissions des finances, et, dans leur domaine de compétence, aux autres commissions permanentes de l’Assemblée nationale et du Sénat. Il sera accompagné de votre réponse si elle est parvenue à la Cour dans ce délai. À défaut, votre réponse leur sera transmise dès sa réception par la Cour (article L. 143-5) ;
- dans le respect des secrets protégés par la loi, la Cour pourra mettre en ligne sur son site internet le présent référé, accompagné de votre réponse (article L. 143-1) ;
- l’article L. 143-10-1 prévoit que, en tant que destinataire du présent référé, vous fournissiez à la Cour un compte rendu des suites données à ses observations, en vue de leur présentation dans son rapport public annuel. Ce compte rendu doit être adressé à la Cour, selon les modalités de la procédure de suivi annuel coordonné, convenue entre elle et votre administration.
Didier Migaud
1 La Cour vous remercie de lui faire parvenir votre réponse, sous votre signature personnelle exclusivement, sous forme dématérialisée (un fichier PDF comprenant la signature et un fichier Word) à l’adresse électronique suivante : greffepresidence@ccomptes.fr.