En application de l’article L. 111-3 du code des juridictions financières, la Cour des comptes a examiné la manière dont les armées assuraient la restauration de leurs personnels.
À l’issue de son contrôle, la Cour m’a demandé d’appeler votre attention sur la faiblesse des performances de cette fonction et sur la nécessité de rapprocher rapidement le prix de revient des repas servis de celui pratiqué dans les propres restaurants du ministère de la défense, lorsque cette prestation a été externalisée.
1. Ni le coût budgétaire de la fonction « restauration », ni le prix de revient des repas ne sont connus avec précision.
Il reste malaisé de connaître le coût exact de la fonction « restauration » dans les armées, faute, notamment, de disposer d’un système de comptabilité analytique et de dénombrer exactement les agents assurant cette mission au sein des 10 000 agents assurant la fonction « hôtellerie, restauration, loisirs ».
Vos services estiment néanmoins ce coût à 819 M€ en 2013. Vos services évaluent également le prix complet moyen d’un des 40 millions de repas servis sur le territoire national1 à 15,60 €, sans que soit intégrée dans ce prix la rémunération des personnels employés dans les fonctions « support », estimés à 570 personnes, qui devrait venir le majorer.
Ce prix de revient devrait d’autant plus être maîtrisé que de très nombreux militaires bénéficient de la gratuité des repas, sur des bases juridiques dont la Cour a déjà eu l’occasion de souligner la fragilité.
Cette estimation unitaire de 15,60 € est à comparer au prix de revient des repas externalisés dans les restaurants du ministère de la défense, que vos services évaluent à 9,70 €2, soit un écart de 38 % entre le coût d’un repas fabriqué en régie et celui facturé dans le cadre d’une externalisation auprès d’un prestataire privé.
Cet écart de près de 6 € par repas, s’il peut s’expliquer, devrait cependant conduire le ministère à se fixer un objectif de réduction rapide et important du coût unitaire des repas.
2. Plusieurs raisons expliquent ce différentiel de prix de revient défavorable.
Le prix de revient très élevé résulte de plusieurs facteurs
Le nombre moyen d’agents employés par restaurant du ministère de la défense géré en régie apparaît en effet sensiblement supérieur à celui observé dans le secteur de la restauration collective privée. Un restaurant relevant du secteur de la restauration collective privée compte en moyenne de 5 à 9,5 employés, tandis qu’ils sont en moyenne plus de 20 par restaurant dans les armées. Chaque agent des restaurants externalisés par le ministère de la défense prépare et sert 51,9 couverts par jour alors que les restaurants militaires en régie n’atteignent que 23,1 repas par jour par agent ;
Une amélioration de la productivité constituerait un gisement important d’économies dès lors que le ministère de la défense se rapprocherait des standards privés, et cela d’autant plus dans un secteur où les rémunérations et cotisations sociales qui s’élèvent à 455 M€, représentent 60 % des dépenses de fonctionnement3.
De nombreux contraintes, traditions ou usages particuliers s’appliquant aux armées.
Ainsi, la plupart des restaurants des armées sont ouverts tous les jours alors que leur fréquentation est notablement réduite les week-ends. Certains restaurants doivent pratiquer des horaires atypiques comme, par exemple, ceux des bases aériennes. La marine doit embarquer des personnels de cuisine.
La configuration des locaux et les usages locaux conduisent à pratiquer encore, dans certains restaurants militaires, un service à la place qu’il conviendrait de faire disparaître progressivement.
Le statut des personnels et l’organisation du travail ne permettent guère de souplesse, en particulier, pour mettre en œuvre des horaires fractionnés. Le personnel civil est souvent constitué d’ouvriers de l’État dont l’âge, la rémunération et les cotisations associées sont élevés.
Si les armées doivent certes disposer d’un personnel de cuisine sous statut militaire, propre à être projeté, son dimensionnement doit être bien paramétré.
La Cour relève en effet que, sur plusieurs théâtres d’opération, les armées ont eu recours à des prestataires extérieurs pour assurer la restauration des militaires déployés, suivant en cela les pratiques de nombreuses armées étrangères, en particulier américaine et britannique.
La Cour note également qu’en 2013, alors qu’environ 27 000 militaires ont été projetés en opérations extérieures (OPEX), soit près de 40 % des forces projetables, seuls 467 militaires du personnel de restauration y ont été déployés, représentant 7,5 % des effectifs militaires de la fonction « Restauration Hôtellerie Loisirs » et 12 % de l’effectif militaire théorique que les armées estiment nécessaire de garder en régie4.
Si ces contraintes peuvent expliquer, en partie, l’écart de près de 60 % relevé par le ministère de la défense entre le coût moyen d’un repas produit en régie et celui produit dans un restaurant externalisé, elles ne sauraient en justifier l’ampleur dans un domaine où chaque euro gagné par repas conduit à une économie récurrente d’au moins 40 M€ pour les seuls repas servis sur le territoire national5.
Les armées doivent donc s’engager dans une réforme en profondeur de ce secteur, en allant au-delà des mesures déjà prises. Cette réforme peut être mise en œuvre d’autant plus rapidement que la pyramide des âges, notamment celle des personnels civils, permet de gérer la nécessaire réduction des effectifs par le biais de l’attrition naturelle, tandis que la loi dite MALD6 et le décret pris en application de son article 43 permettent de garder les personnels sous statut tout en préparant leur reconversion vers le secteur privé, notamment pour les militaires approchant de leur fin de contrat.
3. En conclusion, la Cour estime que le ministère devrait viser rapidement un prix de revient moyen du repas proche de 10 €, en fixant, en fonction des situations locales, à chaque gestionnaire de cercle et mess un objectif de prix à atteindre dans un calendrier déterminé, tout en respectant les normes alimentaires communes.
Cet objectif permettrait de dégager une économie annuelle récurrente, potentiellement de l’ordre de 200 M€, de nature à alléger la contrainte pesant sur les ressources de ce ministère.
La Cour formule donc la recommandation suivante :
Définir et mettre en œuvre une organisation permettant d’atteindre rapidement un coût complet du repas proche de celui constaté dans les contrats d’externalisation de la restauration.
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Je vous serais obligé de me faire connaître, dans le délai de deux mois prévu à l’article L. 143-5 du code des juridictions financières, la réponse, sous votre signature, que vous aurez donnée à la présente communication7.
Je vous rappelle qu’en application des dispositions du même code :
- deux mois après son envoi, le présent référé sera transmis aux commissions des finances et, dans leur domaine de compétence, aux autres commissions permanentes de l’Assemblée nationale et du Sénat. Il sera accompagné de votre réponse si elle est parvenue à la Cour dans ce délai. À défaut, votre réponse leur sera transmise dès sa réception par la Cour (article L. 143-5) ;
- dans le respect des secrets protégés par la loi, la Cour pourra mettre en ligne sur son site internet le présent référé, accompagné de votre réponse (article L. 143-1) ;
- l’article L. 143-10-1 prévoit que, en tant que destinataire du présent référé, vous fournissiez à la Cour un compte rendu des suites données à ses observations, en vue de leur présentation dans son rapport public annuel. Ce compte rendu doit être adressé à la Cour, selon les modalités de la procédure de suivi annuel coordonné, convenue entre elle et votre administration.
Didier Migaud
1 Au total, en 2013, les armées ont servi environ 52 millions de repas : 40 millions sur le territoire national, 7 millions en opérations extérieures (OPEX) et 5 millions dans la marine embarquée.
2 Ce coût correspond au coût moyen d’un repas calculé sur la base des huit contrats d’externalisation conclus entre le ministère de la défense et des entreprises du secteur privé de la restauration collective en 2011 pour 1,9 million de repas.
3 Les dépenses de fonctionnement incluent les dépenses de titre 2 (rémunérations et cotisations sociales des personnels) et celles relevant du titre 3 (denrées).
4 Ces données s’entendent hors marine, dont l’organisation est particulière.
5 Sur la base du nombre annuel de repas servi sur le territoire national (soit hors marine embarquée et hors opérations extérieures) estimé par le ministère de la défense à 40 millions.
6 Loi n° 2009-972 du 3 août 2009 relative à la mobilité et aux parcours professionnels dans la fonction publique ; décret n° 2010-1109 du 21 septembre 2010 pris pour l'application de son article 43. Ce nouveau dispositif juridique crée une position statutaire autorisant la mise à la disposition d’un prestataire privé, contractant du ministère de la défense, des agents de ce ministère. L’agent mis à disposition continue de percevoir l’ensemble des éléments de rémunération afférente à l’emploi qu’il occupait précédemment au sein du ministère. Il continue à être rémunéré par le ministère de la défense et l’employeur - qui n’a pas l’obligation de reprendre tous les personnels - reverse à ce même ministère une somme équivalente au salaire qu’aurait perçu un salarié de droit privé à qualification et ancienneté équivalentes.
7 La Cour vous remercie de lui faire parvenir votre réponse, sous votre signature personnelle exclusivement, sous forme dématérialisée (un fichier PDF comprenant la signature et un fichier Word) à l’adresse électronique suivante : greffepresidence@ccomptes.fr.