LA COUR,

La Cour de discipline budgétaire et financière, siégeant à la Cour des comptes, a rendu l'arrêt suivant :

Vu la loi n° 48-1484 du 25 septembre 1948 modifiée tendant à sanctionner les fautes de gestion commises à l'égard de l'Etat et de diverses collectivités et portant création d'une Cour de discipline budgétaire et financière ;

Vu la décision du 14 décembre 1983, enregistrée au parquet le même jour, par laquelle la Cour des comptes a saisi la Cour de discipline budgétaire et financière d'irrégularités constatées dans la gestion de la Caisse interprofessionnelle de retraite des commerçants détaillants de la région parisienne (CIRCD) qui se rapportaient à l'engagement et à l'exécution de divers travaux dans les locaux occupés par la caisse, et nommément déféré M. Gérard LANGLOIS, ancien Président du Conseil d'administration de la CIRCD, et M. René MARELLE, ancien directeur de ladite caisse ;

Vu le réquisitoire du Procureur général de la République en date du 2 février 1984 transmettant le dossier à la Cour de discipline budgétaire et financière ;

Vu la décision du Président de la Cour de discipline budgétaire et financière du 7 février 1984 désignant comme rapporteur M. CAPDEBOSCQ, Conseiller référendaire à la Cour des comptes ;

Vu les accusés de réception des lettres recommandées adressées par le Procureur général de la République le 22 juin 1984 à MM. Gérard LANGLOIS et René MARELLE les informant de l'ouverture d'une instruction et les avisant qu'ils étaient autorisés à se faire assister soit par un mandataire dûment autorisé, soit par un avocat ou un avoué, soit par un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ;

Vu les avis formulés par le ministre délégué auprès du ministre de l'Economie, des Finances et de la Privatisation, chargé du budget, le 13 août 1987 et par le ministre des affaires sociales et de l'emploi le 27 août 1987 ;

Vu les conclusions du Procureur général de la République en date du 28 septembre 1987 renvoyant MM. LANGLOIS et MARELLE devant la Cour de discipline budgétaire et financière ;

Vu la lettre du Président de la Cour de discipline budgétaire et financière du 19 octobre 1987 au ministre des Affaires sociales et de l'Emploi lui demandant de réunir la Commission administrative paritaire, siégeant en formation disciplinaire, compétente à l'égard de M. MARELLE, ensemble la réponse du Directeur de la sécurité sociale du 16 novembre 1987 faisant connaître que la commission chargée de rendre un avis sur les sanctions à prendre à l'égard des agents de direction, en application des articles R. 123-51 et 52 du code de la Sécurité sociale, ne pouvait remplir le rôle d'une Commission administrative paritaire dans l'affaire en cause ;

Vu les accusés de réception des lettres recommandées adressées le 8 janvier par le Procureur général de la République à MM. LANGLOIS et MARELLE les avisant qu'ils pourraient, dans un délai de quinze jours, prendre connaissance du dossier de l'affaire soit par eux-mêmes, soit par mandataire, soit par le ministère d'un avocat, d'un avoué ou d'un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ;

Vu les accusés de réception des lettres recommandées adressées le 8 mars 1988 par le Procureur général de la République à MM. LANGLOIS et MARELLE les citant à comparaître devant la Cour de discipline budgétaire et financière ;

Vu les mémoires en défense présentés le 8 février 1988 par M. LANGLOIS et le 10 mars 1988 par Me DAVIDEAU, avocat à la Cour, pour M. MARELLE, ensemble les pièces annexées au mémoire de M. MARELLE ;

Vu l'ensemble des pièces qui figurent au dossier, et notamment les procès-verbaux d'interrogatoire ;

Ouï M. CAPDEBOSCQ en son rapport ;

Ouï M. le Procureur général de la République en ses conclusions ;

Ouï en leurs explications M. LANGLOIS et Me DAVIDEAU pour M. MARELLE absent ;

Ouï M. le Procureur général de la République en ses réquisitions ;

Ouï en leurs observations M. LANGLOIS et Me DAVIDEAU pour M. MARELLE absent, les intéressés ayant eu la parole les derniers ;

Considérant que la Caisse interprofessionnelle de retraite des commerçants détaillants de la région parisienne (CIRCD) fait partie des organismes de droit privé jouissant de la personnalité civile et de l'autonomie financière qui assurent en tout ou en partie la gestion d'un régime légalement obligatoire d'assurance couvrant la vieillesse ; qu'elle est, à ce titre, soumise au contrôle de la Cour des comptes, en application de l'article 7 de la loi n° 67-483 du 22 juin 1967 modifiée ; que ses représentants, administrateurs ou agents, sont justiciables de la Cour de discipline budgétaire et financière conformément aux dispositions de l'article 1er de la loi du 25 septembre 1948 modifiée susvisée ;

Qu'il en va ainsi non seulement de M. MARELLE, mais aussi de M. LANGLOIS, qui ne peut se prévaloir de l'exception prévue par l'avant- dernier alinéa de l'article 1er de la même loi, dès lors qu'il a exercé les fonctions de Président ;

Considérant que les agissements qui ont motivé le renvoi de MM. LANGLOIS et MARELLE devant la Cour de discipline budgétaire et financière étaient susceptibles d'entraîner la condamnation de leurs auteurs aux amendes prévues aux articles 2 à 8 de la loi du 25 septembre 1948 modifiée susvisée, que l'article 29 de ladite loi assimile aux amendes prononcées par la Cour des comptes en cas de gestion de fait ; que ces amendes ne sont ni des sanctions disciplinaires, ni des sanctions professionnelles au sens de l'article 13 de la loi n° 81-736 du 4 août 1981 portant amnistie, qui est ainsi sans effet sur le renvoi de MM. LANGLOIS et MARELLE devant la Cour de discipline budgétaire et financière ;

Considérant que l'engagement de procédures disciplinaires à l'encontre de M. MARELLE ne saurait priver la Cour de discipline budgétaire et financière du pouvoir de sanctionner les fautes de gestion commises par cet agent ; qu'au demeurant, ces procédures n'ont pas été menées à leur terme pour les irrégularités énumérées ci-après ;

Qu'est aussi sans effet sur la compétence de la Cour de discipline budgétaire et financière la mesure de suspension de ses fonctions prise le 10 septembre 1979 à l'encontre de M. MARELLE, et confirmée par une délibération du 24 septembre 1979 de la Commission de discipline, délibération qui a été ensuite annulée par décision du Conseil d'Etat en date du 28 octobre 1987 ; qu'il en est de même de la décision de licenciement prise à l'encontre de M. MARELLE et entérinée par le Conseil d'administration de la CIRCD le 20 juillet 1983 ;

Considérant que M. LANGLOIS, Président de la CIRCD, ayant sommé M. MARELLE, Directeur de cet organisme, de commander les travaux d'aménagement du cinquième étage de l'immeuble en abritant les services, celui-ci a signé, les 24 et 31 juillet 1979, des bons de commande à quatre entreprises, d'un montant total de 199 143,67 F ; que M. LANGLOIS les a contresignés ;

Que M. MARELLE a requis l'agent comptable de la CIRCD aux fins de régler les dépenses afférentes à ces travaux ;

Considérant que les dépenses administratives de la Caisse interprofessionnelle de retraite des commerçants détaillants de la région parisienne ne pouvaient être engagées que dans la limite des crédits régulièrement ouverts au budget de la CIRCD, voté par le Conseil d'administration de la Caisse, puis arrêté par la Caisse de compensation de l'Organisation autonome nationale de l'industrie et du commerce (ORGANIC), et enfin approuvé par le Directeur régional des affaires sanitaires et sociales, conformément aux dispositions du décret n° 49-1303 du 17 septembre 1949 modifié portant règlement d'administration publique relatif aux règles de fonctionnement et de gestion de l'organisation autonome d'allocation de vieillesse des professions industrielles et commerciales, de l'arrêté du 23 janvier 1973, de l'article L. 171, alinéa 4, du code de la Sécurité sociale et du décret n° 77-429 du 12 avril 1977 .

Que le budget approuvé de la CIRCD pour 1979 ne contenait aucune dotation permettant de couvrir les dépenses en cause ; que l'ouverture d'autorisations supplémentaires par un rectificatif au budget, approuvé les 11 et 14 décembre 1979, n'a pu avoir pour effet de faire disparaître l'irrégularité que constituait l'engagement de dépenses en l'absence de crédits inscrits au budget ;

Qu'en sommant M. MARELLE de faire exécuter les travaux d'aménagement sans crédit préalablement ouvert, M. LANGLOIS a excédé ses pouvoirs de Président du Conseil d'administration de la Caisse et s'est immiscé dans l'exécution des dépenses de celles-ci ;

Qu'en signant les bons de commande aux entreprises, M. MARELLE, qui, du fait même des fonctions qu'il remplissait depuis le 9 septembre 1974, ne pouvait ignorer que le budget approuvé n'ouvrait pas de crédit pour les travaux projetés, a, en pleine connaissance de cause, engagé des dépenses sans crédit ;

Que de tels agissements constituent des infractions aux règles relatives à l'exécution des dépenses des organismes autonomes d'assurance vieillesse ; qu'ainsi MM. LANGLOIS et MARELLE ont engagé leur responsabilité au regard des dispositions de l'article 5 de la loi du 25 septembre 1948 modifiée ;

Considérant que les bons de commande signés par M. MARELLE et contresignés par M. LANGLOIS étaient tous d'un montant supérieur à 10 000 F ; que, dès lors, l'engagement et l'ordonnancement des dépenses correspondantes relevaient de la compétence exclusive du Conseil d'administration de la Caisse, en vertu des pouvoirs que celui-ci s'était réservés, en dernier lieu par délibération du 29 janvier 1979, en exécution de l'article 8 quater du décret précité du 17 septembre 1949 modifié ;

Qu'il est avéré que le Conseil d'administration de la Caisse, qu'il appartenait à M. LANGLOIS de réunir, a été informé pour régularisation, le 14 septembre 1979, des travaux engagés les 24 et 31 juillet et de la procédure employée pour l'aménagement du 5ème étage, mais que la ratification des travaux exécutés et des règlements faits n'a pas effacé les irrégularités commises ;

Qu'en engageant ainsi des dépenses qu'il n'avait pas le pouvoir d'engager, M. MARELLE a exposé sa responsabilité au regard des dispositions de l'article 4 de la loi du 25 septembre 1948 susvisée ;

Qu'en s'immisçant dans cet engagement par ses sommations, M. LANGLOIS, a qui il appartenait au demeurant de réunir le Conseil d'administration, ainsi qu'il a déjà été souligné, a, lui aussi, engagé sa responsabilité ;

Considérant qu'aux termes des dispositions de l'article 8 quater du décret précité du 17 septembre 1949 et des articles 23 et 46 du décret n° 70-312 du 25 mars 1970, il ne peut être procédé à la réquisition du comptable par le directeur dans le cas où il y a absence ou insuffisance de crédits et lorsque ces derniers sont limitatifs ;

Qu'en l'espèce, le budget approuvé de la CIRCD n'ouvrant pas de crédit pour l'opération en cause, la réquisition de l'agent comptable de la CIRCD par M. MARELLE, les 24 et 31 juillet 1979, était irrégulière et constituait une infraction aux règles d'exécution des dépenses des organismes autonomes d'assurance vieillesse ;

Considérant que la sommation adressée par M. LANGLOIS à M. MARELLE, qui est à l'origine des anomalies constatées, révélait une volonté manifeste d'agir en dehors des procédures réglementaires ;

Considérant que M. LANGLOIS ne peut se prévaloir, pour atténuer sa responsabilité, de la lettre qu'il a adressée le 20 juillet 1979 au Président de l'ORGANIC à son domicile personnel ; qu'en effet, une telle procédure ne permettait pas aux services de l'ORGANIC d'apprécier en temps utile le coût et l'urgence alléguée des travaux, alors même qu'il est établi que les services de la Caisse nationale pouvaient facilement être joints à cette même période ; qu'au surplus, la direction régionale des affaires sanitaires et sociales d'Ile-de-France n'a eu connaissance des travaux qu'à l'occasion d'une visite de la CIRCD le 3 septembre 1979 ;

Considérant qu'il ne pouvait échapper à M. MARELLE, eu égard en particulier aux connaissances juridiques qui sont exigées d'un directeur de caisse, que les sommations que lui a adressées M. LANGLOIS étaient dépourvues de base juridique ; que lesdites sommations ne peuvent être regardées comme des ordres écrits, au sens de l'article 8 de la loi du 25 septembre 1948 modifiée susvisée, de nature à faire disparaître la responsabilité de M. MARELLE ;

Qu'à supposer même que les sommations adressées par M. LANGLOIS à M. MARELLE aient pu présenter, aux yeux de celui-ci, l'apparence d'un ordre écrit, la réquisition de l'agent comptable par M. MARELLE était d'une irrégularité manifeste au regard du décret du 25 mars 1970 qu'un directeur de caisse ne saurait ignorer ;

Considérant toutefois que l'opportunité des travaux, sinon leur urgence, n'est pas contestée ; qu'il ne ressort pas du dossier que la dévolution des travaux a été l'occasion d'avantages indus ; que ces circonstances sont de nature à atténuer la responsabilité de MM. LANGLOIS et MARELLE ;

Considérant que les faits reprochés à MM. LANGLOIS et MARELLE ne sont pas couverts par la prescription instituée par l'article 30 de la loi du 25 septembre 1948 modifiée précitée ;

Considérant qu'il sera fait une juste appréciation de l'ensemble des circonstances de l'affaire en condamnant M. LANGLOIS à une amende de 5 000 F et M. MARELLE à une amende de 2 000 F ;

ARRETE :

Article 1er : M. Gérard LANGLOIS est condamné à une amende de 5 000 F.

Article 2 : M. René MARELLE est condamné à une amende de 1 000 F.

Article 3 : Le présent arrêt sera publié au Journal officiel de la République française.