LA COUR,

Vu la loi n° 48-1484 du 25 septembre 1948 modifiée tendant à sanctionner les fautes de gestion commises à l'égard de l'Etat et de diverses collectivités et portant création d'une Cour de discipline budgétaire et financière ;

Vu la décision du 21 octobre 1982, enregistrée au parquet le 2 décembre 1982, par laquelle la Cour des comptes a saisi la Cour de discipline budgétaire et financière d'irrégularités constatées dans la gestion du Centre hospitalier Sainte-Anne de Paris et se rapportant au paiement de diverses dépenses de personnel ;

Vu le réquisitoire du procureur général de la République en date du 21 janvier 1983 transmettant le dossier à la Cour de discipline budgétaire et financière ;

Vu la décision du président de la Cour de discipline budgétaire et financière du 26 janvier 1983 désignant comme rapporteur M. CHEVAGNY, conseiller maître à la Cour des comptes ;

Vu l'accusé de réception de la lettre recommandée adressée par le procureur général de la République le 11 février 1983 à M. Oswald ROUQUET, l'informant de l'ouverture d'une instruction et l'avisant qu'il était autorisé à se faire assister soit par un mandataire, soit par un avocat ou un avoué, soit par un avocat au conseil d'Etat et à la Cour de cassation ;

Vu l'avis émis le 17 juillet 1984 par le ministre des affaires sociales et de la solidarité nationale ;

Vu l'avis émis le 28 mars 1985 par le ministre de l'économie, des finances et du budget ;

Vu les conclusions du procureur général de la République en date du 18 novembre 1985 renvoyant M. Oswald ROUQUET devant la Cour de discipline budgétaire et financière ;

Vu la lettre du ministre des affaires sociales et de l'emploi en date du 30 septembre 1986, adressant en retour le dossier qui lui avait été transmis le 29 novembre 1985 en vue de sa communication à la commission administrative paritaire, siégeant en formation disciplinaire ;

Vu l'accusé de réception de la lettre recommandée adressée par le président de la Cour de discipline budgétaire et financière le 2 octobre 1986 à M. ROUQUET, l'avisant qu'il pouvait dans un délai de quinze jours prendre connaissance du dossier de l'affaire, soit par lui-même, soit par mandataire, soit par le ministère d'un avocat, d'un avoué ou d'un avocat au conseil d'Etat et à la cour de cassation ;

Vu la décision du président de la Cour de discipline budgétaire et financière en date du 4 novembre 1986 désignant comme rapporteur M. CHABROL, conseiller référendaire à la Cour des comptes, en remplacement de M. CHEVAGNY, conseiller maître, admis par limite d'âge à faire valoir ses droits à la retraite ;

Vu l'accusé de réception de la lettre recommandée adressée le 5 novembre 1986 à M. ROUQUET et l'invitant à comparaître ;

Vu le mémoire en défense présenté le 19 novembre 1986 par Me Alain- François ROGER, avocat au conseil d'Etat et à la Cour de cassation, assistant M. ROUQUET, ainsi que les pièces complémentaires produites à l'appui de ce mémoire ;

Vu le rapport d'instruction établi par M. CHEVAGNY et l'ensemble des pièces qui figurent au dossier ;

M. ROUQUET ayant été autorisé par le président de la Cour à ne pas comparaître personnellement à l'audience, en application du troisième alinéa de l'article 23 de la loi du 25 septembre 1948 susvisée ;

Entendu M. CHABROL, conseiller référendaire à la Cour des comptes en son rapport ;

Entendu le premier avocat général en ses conclusions ;

Entendu le témoin cité à la requête de M. ROUQUET :

M. DURNERIN, ancien membre du Conseil d'administration du Centre hospitalier Sainte-Anne ;

Sur la saisine de la Cour de discipline budgétaire et financière par la Cour des comptes :

Considérant que le mémoire présenté par la défense fait valoir que la saisine de la Cour de discipline budgétaire et financière par une seule chambre de la Cour des comptes ne répond pas aux condition conditions légales imposées par l'article 16 de la loi du 25 septembre 1948 ;

Considérant qu'il résulte des dispositions du décret n° 68-827 du 20 septembre 1968 alors en vigueur, et notamment de ses articles 7, 8 et 13, que la chambre constitue la formation ordinaire de délibération et de décision de la Cour des comptes ; que la Cour "toutes Chambres réunies" n'est compétente, aux termes de l'article 14 dudit décret, que pour juger les comptes qui lui sont renvoyés par le premier président ;

Considérant que la défense allègue que le texte du déféré figurant au dossier ne met pas le requérant en mesure de vérifier si les procédures qui s'imposent aux juridictions administratives ont été respectées ;

Considérant que le déféré en Cour de discipline budgétaire et financière est une décision de saisine et non un arrêt de la Cour des comptes ; qu'il n'a donc pas à être rédigé en la forme requise pour ceux-ci ; que d'autre part aucune disposition légale ou réglementaire n'oblige à faire figurer sur ladite décision la liste nominative des magistrats ayant participé à la délibération ; qu'il n'est pas contesté que dans sa séance du 21 octobre 1982 la cinquième chambre ait délibéré dans des conditions régulières ;

Considérant que de tout ce qui précède il résulte que la Cour de discipline budgétaire et financière a été régulièrement saisie par la Cour des comptes des irrégularités constatées dans la gestion du centre hospitalier Sainte-Anne ;

Sur les droits de la défense :

Considérant en premier lieu que la défense allègue qu'il aurait été porté atteinte à ses droits en raison de la non communication, préalablement à l'audition de M. ROUQUET par le rapporteur, des griefs articulés dans le déféré et dans le réquisitoire ;

Considérant que M. ROUQUET, dès sa mise en cause le 11 février 1953, a été informé des faits qui étaient susceptibles d'engager sa responsabilité ; qu'il a reçu du rapporteur un questionnaire daté du 22 février 1983 lui indiquant les principaux points sur lesquels porterait l'audition ; qu'il a ainsi été mis à même de connaître les questions qui lui seraient posées au moment de sa comparution ; qu'il a pu répondre de façon détaillée, assisté de son avocat, lors des interrogatoires du 23 mars 1983 ;

Considérant que la défense allègue ensuite que la communication complète du dossier lui a été refusée au cours de l'instruction, en violation notamment des dispositions de la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 ;

Considérant que M. ROUQUET, en application des dispositions expresses de l'article 22 de la loi du 25 septembre 1948, a eu connaissance du dossier complet de l'affaire en même temps qu'il était avisé des conclusions de renvoi du procureur général ;

Considérant au demeurant que la commission d'accès aux documents administratifs, que M. ROUQUET n'avait d'ailleurs pas saisie, n'a pas compétence pour intervenir au cours d'une procédure juridictionnelle ;

Considérant qu'il n'apparaît pas et qu'il n'est pas d'ailleurs allégué que, au cours de l'instruction, M. ROUQUET n'ait pas eu connaissance de pièces qui auraient figuré au dossier et dont l'ignorance aurait pu lui être préjudiciable ;

Considérant qu'il apparaît ainsi que les droits de la défense, résultant non seulement de la loi mais aussi des principes généraux du droit qui s'imposent à toute juridiction et par conséquent à la Cour de discipline budgétaire et financière, n'ont pas été méconnus en l'espèce, et que la convention européenne des droits de l'homme ne peut être utilement invoquée ;

Sur le fond :

Considérant que certaines catégories de personnel ou certains agents du centre hospitalier Sainte-Anne ont bénéficié du paiement irrégulier d'indemnités et de primes, ainsi que du reversement d'une partie de l'allocation forfaitaire accordée à l'établissement par le ministère de la défense dans le cadre de contrats de recherche ;

Considérant que les dépenses irrégulières de personnel consistaient, d'une part, à régler des heures supplémentaires et des indemnités assimilées ainsi que des primes de caractère spécifique à des catégories de personnel qui ne pouvaient pas y prétendre, d'autre part à reverser une partie de l'allocation forfaitaire susmentionnée à divers agents administratifs, dont le directeur lui-même ;

Sur les irrégularités relevées dans l'attribution d'heures supplémentaires et d'indemnités assimilées :

Considérant que l'arrêté interministériel du 14 juin 1973 réserve l'octroi des indemnités horaires pour travaux supplémentaires aux agents dont la rémunération est au plus égale à celle qui correspond à l'indice hiérarchique net 315 (article 4) et n'ouvre le droit à une indemnité de sujétion spéciale, en cas de travail le dimanche ou les jours fériés, qu'aux catégories d'agents susceptibles de bénéficier desdites indemnités horaires (article 10) : que l'arrêté interministériel du 6 septembre 1978, s'il crée une indemnité de sujétion spéciale au profit de certaines catégories de personnel dans les hôpitaux publics, en exclut expressément les personnels de direction (article 1er) ;

Considérant qu'il ressort du dossier qu'ont été attribuées en 1978 et 1979 à divers membres du personnel de direction des rémunérations pour travaux supplémentaires appelées notamment "indemnité spéciale automatique de treize heures supplémentaires" ou "indemnité de sujétion spéciale automatique mensuelle" ;

Que M. ROUQUET s'est ainsi accordé à lui-même de janvier à mai 1978 une indemnité spéciale de sujétion automatique de treize heures supplémentaires par mois, d'un montant d'abord de 953,42 francs, puis de 967,72 francs ;

Que l'intéressé a attribué, sous des appellations diverses (heures supplémentaires normales forfaitaires, indemnité spéciale automatique de treize heures, indemnité spéciale) des rémunérations pour travaux supplémentaires à huit autres cadres de direction ;

Considérant que ces irrégularités tombent sous le coup des dispositions de l'article 5 de la loi du 25 septembre 1948 modifiée ; que, dans la mesure où elles ont abouti à conférer des avantages injustifiés à certains agents, elles constituent également une infraction à l'article 6 de ladite loi ;

Considérant que l'arrêté du 14 juin 1973, en son article 2, interdit d'attribuer des indemnités horaires pour travaux supplémentaires aux agents qui bénéficient, en application d'un texte réglementaire, de la gratuité du logement pour nécessité absolue de service ;

Considérant qu'au cours des années 1978 et 1979, neuf agents autres que les cadres de direction, logés à titre gratuit par l'établissement, ont reçu de telles indemnités ;

Considérant que ces infractions tombent sous le coup des dispositions des articles 5 et 6 de la loi du 25 septembre 1948 modifiée ;

Considérant que, sur proposition du directeur du centre hospitalier, le conseil d'administration a décidé par délibération du 14 mars 1975 d'accorder, avec effet au 1er janvier 1974, une indemnité forfaitaire de treize heures supplémentaires mensuelles aux assistantes sociales chefs et aux assistantes sociales ; que cette délibération n'a pas été approuvée par l'autorité de tutelle, mais qu'elle a néanmoins été appliquée par le directeur ;

Considérant que cette irrégularité s'est poursuivie jusqu'au 1er février 1978, date d'effet de l'arrêté interministériel du 6 septembre 1978 relatif à l'indemnité de sujétion spéciale qui a autorisé le versement aux assistantes sociales de ladite indemnité dont le montant équivaut à treize heures mensuelles supplémentaires ;

Considérant que ces infractions tombent sous le coup des articles 5 et 6 de la loi du 25 septembre 1948 modifiée pour la période du 2 décembre 1977 au 1er février 1978 ;

Sur les irrégularités commises dans le versement de primes spécifiques :

Considérant que la circulaire ministérielle n° 173/DH/4 du 16 août 1972, reprenant les dispositions de circulaires antérieures, réserve le paiement de l'indemnité pour usure des chaussures et des vêtements de travail, si ces accessoires ne leur sont pas fournis par l'établissement, "aux agents des exploitations agricoles, aux agents du personnel ouvrier accomplissant des travaux particulièrement salissants (mécaniciens, peintres, etc...), au personnel des services médicaux et des laboratoires" ;

Considérant que, par note de service en date du 30 août 1977, M. ROUQUET a accordé ladite indemnité à tout le personnel du centre hospitalier non chaussé par l'établissement, y compris le personnel de direction et le directeur lui-même ; qu'ainsi plus de deux cent cinquante agents qui n'y avaient pas droit ont perçu abusivement ladite rémunération ;

Considérant que ces irrégularités tombent sous le coup de l'article 5 de la loi du 25 septembre 1948 modifiée ; que, dans la mesure où elles ont abouti à conférer des avantages injustifiés à certains agents, elles constituent également une infraction à l'article 6 de ladite loi ;

Considérant que la circulaire précitée du 16 août 1972 a défini les conditions d'attribution de l'indemnité pour affectation dans les services de malades agités et difficiles, instituée par l'arrêté du 17 août 1971, et en a limité le bénéfice "aux agents travaillant dans des services spécialisés recevant uniquement des malades agités et difficiles" ;

Considérant que la plupart des agents de l'établissement ont reçu, de 1978 au 25 mai 1979, ladite indemnité, y compris, comme il ressort de l'instruction, les personnels administratif et technique, les personnels de laboratoire et de la pharmacie, ainsi que certains cadres de direction, toutes personnes qui n'ont aucun contact avec ces malades ;

Considérant que les infractions constatées tombent sous le coup des articles 5 et 6 de la loi du 25 septembre 1948 modifiée ;

Considérant qu'une prime mensuelle de 150 francs a été attribuée par le directeur aux auxiliaires de puériculture employées à la crèche de l'établissement, sans aucune base légale et en l'absence de toute délibération du Conseil d'administration ;

Considérant que cette infraction tombe sous le coup de l'article 5 de la loi du 25 septembre 1948 modifiée ;

Sur l'utilisation de l'allocation forfaitaire versée par le ministère de la Défense dans le cadre de contrats de recherche :

Considérant que le ministère de la Défense, direction des recherches, études et techniques (DRET) a conclu, soit directement avec le centre hospitalier, soit avec certains de ses médecins, plusieurs contrats de recherche prévoyant, au titre des dispositions financières, que le ministère accorderait une allocation forfaitaire au titulaire du contrat, comme participation aux frais généraux et d'administration ainsi qu'aux menues dépenses de l'établissement et du laboratoire ;

Que par "titulaire du contrat", il faut entendre, ainsi que l'indiquent les conditions générales des conventions de recherche passées par la DRET, l'organisme qui assure la responsabilité civile, administrative et financière de l'exécution de la convention et qu'en l'espèce, il s'agit du Centre hospitalier Sainte-Anne ;

Considérant que M. ROUQUET a redistribué une partie des allocations forfaitaires ainsi reçues, soit à son profit (pour un montant de 4 064,83 francs pour les seules années 1978 et 1979) soit à celui de divers agents administratifs de l'hôpital ;

Considérant que ces versements, discrétionnairement décidés par M. ROUQUET, constituent une infraction aux règlements de la dépense publique et tombent sous le coup de l'article 5 de la loi du 25 septembre 1948 modifiée ; que ces irrégularités, dans la mesure où elles ont abouti à conférer des avantages injustifiés à certains agents, constituent également l'infraction définie par l'article 6 de ladite loi ;

Sur les responsabilités encourues :

Considérant que la responsabilité des irrégularités susvisées incombe à M. ROUQUET, directeur du Centre hospitalier Sainte-Anne au cours de la période du 2 décembre 1977 au 25 mai 1979, date de la cessation de ses fonctions ;

Considérant que M. ROUQUET invoque pour sa défense l'existence d'une situation réglementaire confuse en matière de personnels, favorisant les réclamations ou les pressions au nom des "droits acquis", la difficulté de résister indéfiniment à des demandes invoquant l'existence, régulière ou non, d'avantage analogues dans d'autres établissements de la région parisienne, la modestie de certaines des rémunérations en cause ou leur justification du fait de leur régularisation ultérieure ;

Considérant qu'il y a lieu d'admettre que l'ensemble de ces circonstances atténue dans une certaine mesure la responsabilité de M. ROUQUET, bien qu'elles n'aient joué qu'un rôle mineur dans certaines extensions manifestement abusives ;

Considérant surtout que lesdites circonstances sont étrangères à l'attribution consentie par M. ROUQUET à lui-même de certaines des indemnités en cause ; qu'en particulier la confusion alléguée, dans l'interprétation donnée à la clause des contrats de recherche sur l'allocation accordée au "titulaire" du contrat, entre l'établissement public et certains membres de sa direction, perd toute crédibilité dès lors que M. ROUQUET s'est placé lui-même au nombre des bénéficiaires de cette prétendue confusion ;

Considérant dès lors qu'il sera fait une juste application de l'ensemble des circonstances de l'affaire en infligeant à M. ROUQUET une amende de 5 000 francs.

ARRETE :

Article 1er : M. Oswald ROUQUET est condamné à une amende de 5 000 F.

Article 2 : Le présent arrêt sera publié au Journal officiel de la République française.