Au nom du peuple franCais,
La Cour de discipline BUDGETAIRE et financiEre, siégeant à la Cour des comptes, en audience publique, a rendu l'arrêt suivant :
Vu le livre III du code des juridictions financières, relatif à la Cour de discipline budgétaire et financière ;
Vu la communication en date du 30 juin 1997 transmise par le commissaire du Gouvernement près la chambre régionale des comptes de Bretagne, enregistrée au parquet le 1er juillet 1997, par laquelle le président de cette juridiction a informé de la décision de la chambre régionale des comptes, prise en sa séance du 3 avril 1997, de déférer des faits faisant présumer l'existence d'irrégularités dans la gestion du centre hospitalier de Saint-Brieuc ;
Vu le réquisitoire du 19 décembre 1997 par lequel le Procureur général a saisi la Cour de discipline budgétaire et financière des faits susmentionnés, conformément aux articles L. 314-1 et L. 314-3 du code des juridictions financières ;
Vu les décisions du Président de la Cour de discipline budgétaire et financière des 22 janvier 1998, 12 avril 1999, 5 mars 2004 et 13 avril 2004, désignant successivement comme rapporteur MM. Sépulchre, Prat, Mme Pellerin, conseillers référendaires à la Cour des comptes, et M. Groper, auditeur à la Cour des comptes ;
Vu la lettre recommandée du 2 février 1998 par laquelle le Procureur général a informé M. Jean-Yves Briant, directeur du centre hospitalier de Saint-Brieuc, de l'ouverture d'une instruction dans les conditions prévues à l'article L. 314-4 du code précité, ensemble l'accusé de réception de cette lettre ;
Vu la lettre du Président de la Cour de discipline budgétaire et financière en date du 18 septembre 2000, transmettant au Procureur général le dossier de l'affaire après dépôt du rapport d'instruction, conformément à l'article L. 314-4 du code précité ;
Vu la lettre du Procureur général au président de la Cour de discipline budgétaire et financière en date du 23 novembre 2001 l'informant de sa décision de poursuivre la procédure, en application de l'article L. 314-4 du code précité ;
Vu la lettre du 20 décembre 2001 transmettant le dossier au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie et au ministre délégué chargé de la santé, en application de l'article L. 314-5 du code précité ;
Vu la décision du procureur général, en date du 11 février 2004, renvoyant M. Briant devant la Cour de discipline budgétaire et financière, en application de l'article L. 314-6 du code susvisé ;
Vu la lettre du président de la Cour de discipline budgétaire et financière, en date du 12 février 2004, transmettant le dossier au ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées pour avis de la commission administrative paritaire compétente, en application de l'article L. 314-8 du code susvisé ;
Vu la lettre recommandée du 8 mars 2004 de la secrétaire générale de la Cour de discipline budgétaire et financière avisant M. Briant qu'il pouvait prendre connaissance du dossier suivant les modalités prévues par l'article L. 314-8 du code susvisé, ensemble son accusé de réception ;
Vu la lettre recommandée du 9 mars 2004 par laquelle le Procureur général a cité M. Briant à comparaître devant la Cour de discipline budgétaire et financière, ensemble son accusé de réception ;
Vu le mémoire en défense du 9 avril 2004, enregistré au greffe de la Cour le 14 avril 2004, transmis par Me Azan, conseil de M. Briant, et les mémoires complémentaires des 19 et 26 avril 2004 enregistrés au greffe respectivement les 21 et 27 avril 2004 ;
Vu l'avis émis le 26 avril 2004 par la Commission administrative paritaire nationale compétente ;
Vu l'ensemble des pièces qui figurent au dossier, notamment les procès verbaux d'audition de M. Briant ainsi que le rapport d'instruction de M. Prat ;
Entendu M. Groper, résumant le rapport susvisé ;
Entendu le procureur général en ses conclusions et réquisitions ;
Entendu en sa plaidoirie Me Azan et en ses explications et observations M. Briant, l'intéressé et son conseil ayant eu la parole en dernier ;
Sur la compétence de la Cour :
Considérant que le centre hospitalier de Saint-Brieuc, établissement public local de santé, est soumis au contrôle de la chambre régionale des comptes de Bretagne ;
Qu'en conséquence, M. Briant, directeur dudit centre hospitalier depuis octobre 1991, est justiciable de la Cour de discipline budgétaire et financière au titre de l'article L. 312-1-I-c du code des juridictions financières, lequel vise tout représentant, administrateur ou agent des organismes qui, autres que l'Etat, les collectivités territoriales, leurs établissements publics ainsi que les groupements des collectivités territoriales, sont soumis soit au contrôle de la Cour des comptes, soit au contrôle d'une chambre régionale des comptes ;
Sur la procédure :
Sur la prescription :
Considérant que l'ensemble des faits pour lesquels l'intéressé est renvoyé devant la Cour sont postérieurs au 1er juillet 1992 ; qu'ils ne sont donc pas couverts par la prescription édictée par l'article L. 314-2 du code des juridictions financières ;
Sur l'absence d'avis du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie et du ministre délégué à la santé :
Considérant que l'absence de réponse du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie et du ministre délégué à la santé à la demande d'avis formulée le 20 décembre 2001, dans le délai de deux mois qui leur avait été imparti, ne fait pas obstacle, en application de l'article L. 314-5 du code des juridictions financières, à la poursuite de la procédure ;
Sur les faits :
Sur le recours à la procédure négociée pour le contrat de maîtrise d'oeuvre et la convention de réalisation d'un système de cogénération :
Considérant que, après lui avoir fait réaliser un audit, au cours de l'année 1993, sur la restructuration thermique et la gestion de l'énergie de l'établissement, facturé pour un total de 292 400 F TTC (44 576,09 €), le directeur du centre hospitalier de Saint-Brieuc a signé, le 16 décembre 1993, avec la société BERRY Ingénierie un contrat de maîtrise d'oeuvre portant sur une mission de type « M1 » pour un montant de 2 149 990,70 F TTC (327 763,97 €) puis, le 5 avril 1994, une convention de réalisation prévoyant l'installation d'une cogénération pour un coût d'objectif de 13 676 843 F TTC (2 085 021,27 €) ; que ces deux contrats ont été pris sous forme négociée en application du deuxième alinéa de l'article L. 104-2 du code des marchés publics en vigueur à l'époque des faits ;
Considérant que les dispositions de cet article étaient réservées aux besoins qui ne pouvaient être satisfaits que par une prestation qui, à cause de nécessités techniques, d'investissements préalables importants, d'installations spéciales ou de savoir-faire, ne pouvait être confiée qu'à un fournisseur déterminé ;
Considérant que les difficultés auxquelles était confronté le centre hospitalier, en cours de restructuration au moment de la prise de fonctions de M. Briant, et des considérations urgentes de sécurité des usagers de ce service public ont amené M. Briant à rechercher rapidement les moyens propres à garantir l'approvisionnement énergétique des bâtiments du centre hospitalier ;
Considérant par ailleurs qu'il ressort des pièces du dossier que les autorités de tutelle, dûment consultées, ne se sont pas opposées aux modalités de contractualisation des marchés susvisés conclus avec la société BERRY Ingénierie, en raison de la situation d'urgence dans laquelle se trouvaient alors les responsables du centre hospitalier et des choix techniques particuliers attachés au projet de cogénération ;
Considérant enfin qu'il ne ressort pas des pièces du dossier qu'une autre entreprise que la société BERRY Ingénierie aurait été en mesure, au moment des faits, de fournir les prestations susvisées dans les conditions de technicité et de rapidité requises ; qu'il n'est dès lors pas établi que des règles d'exécution des dépenses auraient été méconnues en l'espèce ;
Sur le paiement d'un acompte à la société BERRY Ingénierie :
Considérant qu'en raison des observations des services chargés de la tutelle et du contrôle de légalité, le centre hospitalier, après avoir signé la convention de réalisation de la cogénération avec BERRY Ingénierie le 5 avril 1994, a ensuite eu recours à une mise en concurrence pour attribuer l'exécution des travaux par lots à six entreprises différentes ; que les actes d'engagement correspondants ont été signés entre août 1994 et janvier 1995 ;
Considérant que, le 21 novembre 1994, M. Briant a conclu pour le financement de cette opération une convention de crédit-bail avec la société FIP-CEPME ; que l'article 1er des conditions particulières de cette convention désignait BERRY Ingénierie comme bénéficiaire unique de l'ensemble des paiements des travaux pour un montant de 16 753 230,12 F TTC (2 554 013,47 €), et non les entreprises titulaires des marchés, alors que les articles 3B et 4B des conditions générales et l'article 2 des conditions particulières prévoyaient au contraire le paiement direct par le bailleur aux entreprises ; que ces dispositions, contradictoires, ont ensuite fait l'objet d'une clarification, avant l'entrée en vigueur de ladite convention, pour faire prévaloir le paiement direct aux entreprises ;
Considérant que l'article 25 de cette convention prévoyait par ailleurs que le bailleur n'effectuerait son premier paiement sur ordre de la personne publique et au bénéfice des fournisseurs qu'à la double condition expresse que la personne publique lui ait produit la copie de l'accusé de réception de l'envoi par ses soins de la convention à l'autorité chargée d'effectuer le contrôle de légalité, et qu'un délai de deux mois se soit écoulé à compter de cette date sans que l'autorité chargée d'effectuer le contrôle ait effectué des observations modificatives ou demandé des compléments d'informations ou ait déféré l'acte au tribunal administratif compétent ; que l'accusé de réception de la convention par la direction départementale des affaires sanitaires et sociales (DDASS), service chargé du contrôle de légalité, a été retourné au centre hospitalier de Saint-Brieuc le 20 janvier 1995 ; que les clauses du contrat faisaient donc obstacle à ce qu'un paiement intervienne avant le 20 mars 1995 ;
Considérant que nonobstant ces dispositions, une première facture d'acompte établie le 9 novembre 1994 par la société BERRY Ingénierie pour un montant de 4 237 749,44 F HT (646 040,74 €) a été payée par le FIP-CEPME à la société BERRY dès la réception de la facture visée par M. Briant au plus tard le 22 novembre 1994 ;
Considérant tout d'abord que cette facture ne précisait ni la nature ni le montant de la prestation à laquelle elle se rapportait, mais se bornait à demander le paiement de 30 % du montant total de l'opération de cogénération ; qu'il résulte de l'instruction et notamment d'une lettre adressée le 17 janvier 1995 par M. Briant à la société BERRY que la prestation en question consistait en l'achat d'un moteur à une entreprise norvégienne par la société SDMO, titulaire du lot n°1 du marché ; qu'il résulte en outre de l'instruction qu'en janvier 1995, la société SDMO n'avait ni commandé le moteur en question ni reçu de versement de la part de BERRY Ingénierie ; qu'en conséquence M. Briant, en visant la facture, émise par BERRY Ingénierie et non par SDMO qui était pourtant titulaire du marché, a certifié le service fait, sans avoir vérifié, comme l'exigeait l'article 162 du code des marchés publics alors en vigueur, que l'acompte demandé se rapportait à l'objet contractuel et que les prestations avaient connu un début d'exécution ;
Considérant ensuite que le visa « bon pour accord » apposé par M. Briant a conduit le FIP-CEPME à payer immédiatement l'acompte à la société BERRY, en se fondant sur la mention expresse de la facture, qui précisait que le règlement s'effectuerait par chèque à la réception, alors même que le FIP-CEPME ne pouvait ignorer que le paiement auquel il procédait était fait en contradiction avec les termes de l'article 25 de la convention du 21 novembre 1994 qu'il avait passée avec le centre hospitalier ;
Considérant que la société BERRY Ingénierie a été placée en redressement judiciaire par un jugement du tribunal de commerce de La Roche-sur-Yon en date du 13 juin 1995 puis en liquidation judiciaire par un jugement du 14 novembre 1995 ;
Considérant que, non seulement la société BERRY Ingénierie ne s'est pas acquittée de sa prestation, mais a en outre conservé une partie de l'acompte, qu'elle n'a pas reversé aux entreprises réalisant les travaux ; que de ce fait, le centre hospitalier de Saint-Brieuc a été contraint de rechercher de nouveaux fournisseurs pour terminer le chantier ; qu'il en est résulté un préjudice à son détriment que M. Briant évalue à 2 600 000 F (400 000 €) et que les services financiers de l'hôpital estiment à 5 700 000 F (870 000 €) ;
Considérant qu'il est par conséquent établi qu'en visant la facture précitée du 9 novembre 1994, qui a déclenché le payement irrégulier par le FIP-CEPME de l'acompte à BERRY Ingénierie, M. Briant a méconnu les dispositions de l'article 162 du code des marchés publics ; que par ailleurs, en vertu de l'article 7 du décret n° 62-1587 du 29 décembre 1962 portant règlement général sur la comptabilité publique, les ordonnateurs sont responsables des certifications qu'ils délivrent ; que cet agissement constitue dès lors une faute caractérisée et une violation des règles d'exécution des dépenses de l'établissement, qui a par surcroît procuré un avantage injustifié à autrui ;
Considérant toutefois que, pour justifier la présentation de ladite facture du 9 novembre 1994, la société BERRY avait fait valoir à M. Briant que l'urgence d'amorcer la construction du moteur de cogénération imposait le recours à un commencement de preuve par écrit exigé par l'entreprise norvégienne spécialisée à laquelle la société SDMO devait passer commande du moteur ; que la certification de la facture susvisée par M. Briant était censée répondre précisément à cette exigence ; que M. Briant, en apposant le visa « bon pour accord » sur la facture datée du 9 novembre 1994, pouvait penser que ce visa n'avait pour objet que de permettre la commande du moteur et s'attendre à ce qu'il n'entraînât pas de payement immédiat, en raison des termes de l'article 25 précité de la convention du 21 novembre 1994, qui d'ailleurs n'avait pas encore été présentée au contrôle de légalité et n'était donc a fortiori pas encore entrée en vigueur ; qu'il en découle que si ladite convention avait été respectée par le FIP-CEPME, le visa apposé par M. Briant sur la facture n'aurait pas eu de conséquences financières avant le 17 janvier 1995, date à laquelle M. Briant s'est préoccupé de la réalité du service fait ; qu'il aurait pu ainsi s'opposer en temps utile au payement de l'acompte par le FIP-CEPME ; que la cause principale du préjudice subi par le centre hospitalier résulte du non respect par le bailleur de l'article 25 de la convention du 21 novembre 1994 ;
Considérant par ailleurs que M. Briant peut invoquer les mesures qu'il a prises dès qu'il est apparu que le motif invoqué par BERRY Ingénierie pour obtenir la certification de la facture susvisée avait été inexact, la commande en Norvège n'ayant pas encore été passée fin décembre 1994 ; qu'il a notamment demandé par lettre du 17 janvier 1995 à la société BERRY Ingénierie de justifier de la réalité du service fait ;
Considérant que, d'une façon générale, au moment des faits, l'encadrement juridique du recours au crédit-bail par des personnes morales de droit public était particulièrement complexe, ce que la Cour des comptes avait d'ailleurs relevé à l'époque ;
Considérant que les efforts ultérieurs entrepris par M. Briant pour mener à bien les travaux ont permis la mise en place de la cogénération dans des délais satisfaisants ; que le bilan a posteriori de l'opération est positif ;
Considérant par ailleurs que, par un arrêt de la Cour d'appel de Poitiers du 29 mars 2002, passé en force de chose jugée, M. Briant a été relaxé du chef de recel d'abus de bien social au détriment de la société BERRY Ingénierie ; que ce même arrêt a en revanche retenu la responsabilité pénale des dirigeants de la société BERRY Ingénierie ;
Considérant enfin qu'il y a lieu de tenir compte des états de services de M. Briant ;
Considérant que ces éléments, pris dans leur ensemble, constituent des circonstances absolutoires de responsabilité ;
Sur la publication :
Considérant qu'il n'y a pas lieu, en application de l'article L. 314-20 du code des juridictions financières, de publier le présent arrêt au Journal officiel de la République française ;
ArrEte :
Article unique : M. Briant est relaxé des fins de la poursuite.
Délibéré par la Cour de discipline budgétaire et financière, le trente avril deux mil quatre, par M. Logerot, Premier président de la Cour des comptes, président, M. Fouquet, président de la section des finances au Conseil d'Etat, vice-président, M. Martin, conseiller d'Etat et M. Capdeboscq, conseiller maître à la Cour des comptes ;
Lu en séance publique le 15 juin 2004
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le Président de la Cour et le greffier.
Le président,
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Le greffier,
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