REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS,

La Cour de discipline budgétaire et financière, siégeant à la Cour des comptes en audience non publique, a rendu l'arrêt suivant :

LA COUR,

Vu le titre 1er du livre III du code des juridictions financières, relatif à la Cour de discipline budgétaire et financière ;

Vu la communication en date du 3 décembre 1992, enregistrée au Parquet le même jour, par laquelle le président de la cinquième chambre de la Cour des comptes l'informe de la décision prise par ladite Cour, dans sa séance du 1er juillet 1992, de déférer à la Cour de discipline budgétaire et financière des irrégularités commises dans la gestion de la société B ;

Vu le réquisitoire du Procureur général de la République en date du 25 mai 1993 transmettant le dossier à la Cour de discipline budgétaire et financière ;

Vu la décision du président de la Cour de discipline budgétaire et financière du 26 novembre 1993 désignant comme rapporteur M. Chabrol, conseiller maître à la Cour des comptes, en remplacement de Mme Fradin, conseiller référendaire à la Cour des comptes, empêchée, qui avait été désignée le 29 juillet 1993 ;

Vu l'accusé de réception de la lettre recommandée adressée par le Procureur général de la République le 7 décembre 1993 à M. A., ancien président directeur général de la société B, l'informant de l'ouverture d'une instruction et l'avisant qu'il pouvait se faire assister soit par un mandataire, soit par un avoué ou un avocat, soit par un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ;

Vu les avis émis par le ministre chargé de l'intégration et de la lutte contre l'exclusion le 21 août 1995 et le ministre de l'économie et des finances le 15 novembre 1995 ;

Vu les conclusions du Procureur général de la République en date du 11 décembre 1995 renvoyant M. A. devant la Cour de discipline budgétaire et financière ;

Vu la lettre du 16 février 1996 du ministre du travail et des affaires sociales au Président de la Cour de discipline budgétaire et financière, l'informant de l'avis rendu par la commission administrative paritaire le 14 février 1996 ;

Vu l'accusé de réception de la lettre recommandée adressée par le secrétaire de la Cour de discipline budgétaire et financière le 20 février 1996 à M. A. l'avisant qu'il pouvait dans un délai de quinze jours prendre connaissance du dossier de l'affaire soit par lui-même, soit par mandataire, soit par le ministère d'un avocat ou d'un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ;

Vu l'accusé de réception de la lettre recommandée adressée par le Procureur général de la République le 17 avril 1996 à M. A., le citant à comparaître et lui précisant qu'en l'absence de demande contraire de sa part l'audience de la Cour n'aurait pas de caractère public ;

Vu l'ensemble des pièces qui figurent au dossier, et notamment le procès-verbal d'audition et le rapport d'instruction établi par M. Chabrol ;

Vu le mémoire en défense et les productions jointes présentés par M. A. le 20 avril 1996 ;

Entendu M. Chabrol, conseiller maître à la Cour des comptes, en son rapport ;

Entendu le Procureur général de la République en ses conclusions et réquisitions ;

Entendu M. A. en ses explications, l'intéressé ayant eu la parole en dernier ;

Considérant qu'en sa qualité d'administrateur de la société B, organisme soumis au contrôle de la Cour des comptes, M. A. est justiciable de la Cour de discipline budgétaire et financière ;

Considérant que l'instruction, ouverte pour la période postérieure au 3 décembre 1987 non couverte par la prescription, a, permis d'établir l'existence d'irrégularités ayant affecté l'exécution de certaines dépenses de la société B, à l'occasion du versement de la rémunération de son ancien président directeur général, de qualifier ces irrégularités au regard des dispositions du livre III du code des juridictions financières, de définir la responsabilité de la personne mise en cause et de préciser les diverses circonstances de nature à aggraver ou atténuer ladite responsabilité ;

Sur les irrégularités commises :

Considérant que M. A. (...) a été nommé administrateur de la société B par un décret du 5 février 1986, puis président du conseil d'administration par décret du 24 février 1986 et ce pour une durée de trois ans ; qu'il a été renouvelé dans ses fonctions de président du conseil d'administration de la société par décret du 9 janvier 1991, ayant exercé de fait et sans base juridique lesdites fonctions entre le 24 février 1989, date d'expiration de son premier mandat, et le 9 janvier 1991 ;

Considérant que la société B est une société anonyme d'économie mixte dont l'Etat détient directement la majorité du capital ;

Considérant qu'en vertu des dispositions de l'article 3 du décret n° 53-707 du 9 août 1953 relatif au contrôle de l'Etat sur les entreprises publiques nationales, modifié par le décret n° 78-173 du 16 février 1978, le traitement et les autres éléments de rémunération d'activité et de retraite des dirigeants des entreprises dans lesquelles l'Etat possède directement la majorité du capital social sont fixés ou approuvés par décision conjointe du ministre chargé de l'économie et des finances et du ministre de tutelle intéressé ;

Considérant qu'une lettre du 11 mars 1986 du ministre de l'économie, des finances et du budget adressée au ministre des affaires sociales et de la solidarité nationale a fixé la rémunération de M. A., président directeur général de la société B, à 450 000 F (valeur 1985) ;

Considérant qu'une annexe à ce document précisait notamment que la rémunération fixée constituait un forfait global annuel ; qu'elle était en outre exclusive de tout avantage en espèces ou en nature lié à la qualité de dirigeant de l'entreprise à l'exception, le cas échéant, de l'usage d'une voiture de fonctions ou du remboursement des frais de représentation sur justification ; que cette rémunération n'évoluait pas comme celle des personnels de l'entreprise ;

Considérant que ce dispositif ne pouvait être révisé chaque année qu'en fonction des seules décisions gouvernementales relatives à l'ensemble des dirigeants des entreprises publiques ; que ces décisions sont intervenues, durant la période où M. A. a exercé ses fonctions à la tête de la société B, par lettres du ministre délégué chargé du budget en date du 26 mai 1987, du 15 septembre 1988, du 23 mai 1989, du 18 septembre 1990 et du 27 décembre 1991, diffusées à tous les départements ministériels intéressés et à toutes les missions du contrôle d'Etat ;

Considérant qu'entre le 3 décembre 1987, début de la période non prescrite, et la date à laquelle il a quitté ses fonctions, M. A. a perçu des éléments de rémunération supplémentaires en violation des règles susmentionnées ;

1°/ S'agissant des versements au titre de l'intéressement

Considérant qu'en application de l'ordonnance n° 86-1134 du 21 octobre 1986 relative à l'intéressement et à la participation des salariés de l'entreprise et à l'actionnariat des salariés, un accord a été conclu le 3 novembre 1988 entre la société B et les syndicats pour une durée de trois ans (1988, 1989 et 1990) pour faire participer directement le personnel aux résultats de l'entreprise ; qu'étaient déclarés "bénéficiaires de l'intéressement les salariés en activité ayant six mois d'ancienneté au dernier jour de l'exercice" ;

Considérant qu'au titre de cet accord, M. A. a perçu 29 289 F en 1989 et 24 033 F en 1990 alors que, compte tenu des règles découlant du décret de 1953 précité et de la lettre ministérielle du 11 mars 1986, il ne pouvait pas prétendre à cet avantage ;

2°/ S'agissant de l'attribution de primes ou de bonus

Considérant que M. A. a perçu 20 000 F de primes exceptionnelles en février 1988, 46 100 F de primes de fin d'année en décembre 1988, un bonus de 41 500 F en décembre 1989 et un bonus de 41 500 F en janvier 1991 ; que ces primes ou bonus ont été également versés contrairement aux termes de la lettre du 11 mars 1986 ;

3°/ S'agissant des réévaluations annuelles de rémunération

Considérant que les normes fixées par les circulaires annuelles ont été ignorées par M. A. en 1989 ; qu'en effet celui-ci a bénéficié en 1989, d'une réévaluation globale de plus de 12 % de son traitement brut de base alors que le taux officiel avait été limité à 1,9 % par la lettre interministérielle du 18 mai 1989 ; que les sommes perçues en trop par M. A. se sont ainsi élevées à 47 054 F en 1989 ;

Considérant que si, en 1990 et 1991, la rémunération de M. A. a été maintenue au même niveau, elle a laissé subsister en 1990 un dépassement de 7,3 % par rapport à la progression de 2,5 % autorisée par la circulaire du 18 septembre 1990 et en 1991 un dépassement de 5,1 % par rapport à la réévaluation autorisée de 2,1 % par la lettre interministérielle du 27 décembre 1991 ; que toutefois, M. A. n'a pas perçu pendant cette période une rémunération supérieure à celle fixée, à compter du 1er janvier 1990, par la lettre conjointe en date du 13 août 1991 du ministre des affaires sociales et de l'intégration et du ministre délégué au budget, à laquelle les ministres ont conféré une portée rétroactive ;

4°/ S'agissant de la prise en charge des retenues pour pension

Considérant qu'en qualité de fonctionnaire en position de détachement M. A. était tenu de supporter personnellement la charge des retenues pour pension civile de l'Etat sur la base du traitement indiciaire de son grade dans l'administration ; que cependant les versements correspondants ont été effectués par la société B, ce qui a représenté 64 335 F jusqu'au 30 juin 1990 ;

Considérant en outre que les sommes versées par la société B au titre de la prise en charge pour pension n'ont fait l'objet d'aucune déclaration fiscale au titre des avantages en espèces et n'ont pas supporté de charges sociales et fiscales ;

Considérant que les paiements correspondant aux avantages financiers susmentionnés attribués à M. A. ont donc été ordonnés et effectués en violation des règles applicables à l'exécution des dépenses de l'entreprise publique ; que l'ensemble de ces irrégularités tombent sous le coup des dispositions de l'article L. 313-4 du code des juridictions financières ; que la non déclaration fiscale de l'avantage financier constitué par la prise en charge par la société B des retenues pour pension de M. A. tombe également sous le coup de l'article L. 313-5 du code des juridictions financières ;

Sur les responsabilités encourues :

Considérant que M. A., en tant que président directeur général, ayant en charge l'ensemble de la gestion de l'entreprise publique et notamment celle des personnels et des mandataires sociaux et de leur rémunération, porte la responsabilité de ces infractions ; que d'ailleurs l'intéressé ne conteste pas devoir assumer cette responsabilité ;

Considérant que par une lettre, en date du 6 janvier 1992, les deux ministres de tutelle ont informé M. A. qu'il aurait également à verser à la société B une somme correspondant à la totalité des retenues pour pension civile de l'Etat que l'entreprise avait supportées à sa place depuis le 24 février 1986 ;

Considérant que par lettre du 7 février 1992, soit trois jours avant la prise d'effet de la démission de M. A., le directeur des ressources humaines de la société B, a adressé à ce dernier un décompte définitif du trop perçu, mis à jour notamment de la part salariale "retraite" payée par l'entreprise de 1986 au 30 juin 1990, tels qu'il résultait de l'application des différentes décisions ministérielles ; que le montant total net a été arrêté à 284 412 F ;

Considérant que ce n'est qu'après plusieurs interventions du contrôleur d'Etat puis le déclenchement du contrôle de la Cour des comptes sur cette affaire, que M. A. a répondu, le 15 juin 1992, en adressant une reconnaissance de dette dudit montant à l'égard de la société B tout en acceptant un échéancier de remboursement fixé à 4 000 F par mois ;

Sur les éléments de nature à atténuer ou aggraver la responsabilité de M. A. :

Considérant que pour expliquer les anomalies qui ont entaché le paiement de ses rémunérations et démontrer sa bonne foi, M. A. invoque la priorité qui avait été donnée à l'époque à la réorganisation de l'entreprise pour la rendre plus performante, la faiblesse administrative de la direction des ressources humaines qui a été chargée de mettre en oeuvre un nouveau système de rémunération et le manque d'habitude de celle-ci à traiter la rémunération d'un dirigeant fonctionnaire d'origine, et enfin l'ignorance dans laquelle le contrôle d'Etat l'aurait trop longtemps tenu sur les irrégularités constatées ;

Considérant que les circonstances évoquées auraient dû, à tout le moins, conduire à un renforcement de la vigilance du président, responsable de la politique salariale de l'entreprise, au demeurant fonctionnaire et membre d'un corps d'inspection, qui ne pouvait ou ne devait se désintéresser des modalités de fixation de sa propre rémunération ;

Considérant que dans ces conditions, M. A. ne saurait invoquer la fragilité de la direction des ressources humaines de l'entreprise pour des irrégularités qui ont persisté pendant toute la durée de son second mandat ;

Considérant que, s'agissant de la part salariale des retenues pour pension réglée par l'entreprise, il recevait personnellement à son domicile les avis de versement notifiés chaque semestre par son administration d'origine et que ce document fait bien ressortir qu'il s'agit d'une obligation personnelle de l'intéressé ; que la référence à une pratique généralisée au sein de l'entreprise à l'égard des fonctionnaires détachés ne saurait justifier la méconnaissance de cette règle par le président de la société B ;

Considérant que M. A. ne saurait invoquer son ignorance puisqu'il a eu connaissance de la lettre du 11 mars 1986 fixant sa rémunération initiale et les modalités de son évolution dans le temps, et que l'instruction a établi qu'il avait reçu personnellement notification, le 23 mai 1989, par le contrôleur d'Etat de la société B, de la lettre du ministre délégué chargé du budget fixant la revalorisation de la rémunération des dirigeants d'entreprises publiques au titre de l'année 1989 ;

Mais considérant toutefois que la mise en place d'un nouveau système de rémunération négocié au sein de l'entreprise à partir de 1988 a pu conduire à une application automatique de cette réforme au président directeur général dont le sort n'avait jamais été distingué auparavant de celui des salariés ; qu'il convient notamment de retenir comme circonstance atténuante que l'intéressement des salariés à l'entreprise n'a expressément figuré parmi les avantages dont ne pouvaient bénéficier les dirigeants des entreprises publiques qu'à partir de la circulaire interministérielle du 18 septembre 1990 ;

Considérant qu'il y a lieu également de retenir à sa décharge l'attitude du contrôle d'Etat qui, informé des conditions de rémunération de M. A. dès juin 1989, n'a pas jugé opportun de lui faire part des observations qu'elles appelaient de sa part, dans une période où le gouvernement avait laissé l'intéressé dans une complète incertitude sur sa situation juridique ;

Considérant que, dès lors, il sera fait une juste appréciation des circonstances de l'affaire en infligeant à M. A. une amende de 7 500 F ;

ARRETE :

Article 1er : M. A. est condamné à une amende de 7 500 F.

Art. 2 : Le présent arrêt ne sera pas publié au Journal Officiel de la République française.

Fait et jugé en la Cour de discipline budgétaire et financière le quinze mai mil neuf cent quatre-vingt-seize.

Présents : M. Joxe, premier président de la Cour des comptes, président ; MM. Galmot et Fouquet, conseillers d'Etat, MM. Isnard et Gastinel, conseillers maîtres à la Cour des comptes, membres de la Cour de discipline budgétaire et financière ; M. Chabrol, conseiller maître à la Cour des comptes, rapporteur.

En conséquence, La République mande et ordonne à tous huissiers de justice sur ce requis de mettre ledit arrêt à exécution, aux procureurs généraux et aux procureurs de la République près les tribunaux de grande instance d'y tenir la main, à tous commandants et officiers de la force publique de prêter main-forte lorsqu'ils en seront légalement requis.

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le Président de la Cour et le Greffier

Le Président, Le Greffier,