Vu la loi n° 48-1484 du 25 septembre 1948, modifiée et complétée par les lois n° 55-1069 du 6 août 1955, 63-778 du 31 juillet 1963 et 71- 454 du 13 juillet 1971, tendant à sanctionner les fautes de gestion commises à l'égard de l'Etat et de diverses collectivités et portant création de la Cour de discipline budgétaire et financière ;
Vu la décision du 15 janvier 1975, parvenue au Parquet de la Cour de discipline budgétaire et financière le 20 janvier suivant, par laquelle la Cour des Comptes a saisi la Cour de discipline budgétaire et financière d'irrégularités constatées dans la gestion du laboratoire de physique corpusculaire et cosmique rattaché à la Faculté des Sciences, puis a l'Université Louis Pasteur de Strasbourg, et dirigé par le Professeur Pierre CUER ;
Vu le réquisitoire du Procureur Général de la République en date du 30 janvier 1975 transmettant le dossier à M. le Premier Président de la Cour des Comptes, Président de la Cour de discipline budgétaire et financière, en lui demandant de désigner un rapporteur ;
Vu la décision du Président de la Cour de discipline budgétaire et financière du 7 mars 1975 désignant comme rapporteur Melle VENENCIE, Conseiller référendaire à la Cour des Comptes ;
Vu l'accusé de réception de la lettre recommandée adressée le 22 septembre 1977 à M. Pierre CUER, l'informant de l'ouverture d'une instruction et l'avisant qu'il était autorisé à se faire assister soit par un mandataire, soit par un avocat, soit par un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de Cassation ;
Vu l'accusé de réception de la lettre recommandée, rédigée dans les mêmes termes, adressée le 22 septembre 1977 à M. Gérard ATZENHOFFER ;
Vu le rapport d'instruction établi par Melle VENENCIE, ensemble les pièces à l'appui ;
Vu les avis formulés par le Président de l'Université Louis Pasteur de Strasbourg le 22 septembre 1981, par le Ministre de l'Education nationale le 25 septembre 1981 et par le Ministre délégué chargé du Budget le 25 novembre 1982 ;
Vu la décision du Procureur Général de la République en date du 10 mai 1983 renvoyant M. Pierre CUER et M. Gérard ATZENHOFFER devant la Cour de discipline budgétaire et financière ;
Vu les mémoires en défense produits par M. ATZENHOFFER et M. CUER ;
Vu la lettre du 7 juin 1983 du Président de l'Université Louis Pasteur, transmettant l'avis du 12 novembre 1980 de la section disciplinaire de l'Université Louis Pasteur ;
Vu l'ensemble des pièces qui figurent au dossier et notamment les procès-verbaux d'interrogatoire ;
Ouï Mlle VENENCIE, Conseiller référendaire à la Cour des Comptes, en son rapport ;
Ouï le Procureur Général de la République en ses conclusions ;
Ouï en leurs explications M. Pierre CUER et M. Gérard ATZENHOFFER ;
Ouï le Procureur Général de la République en ses réquisitions ;
Ouïs, en leurs réponses, M. Pierre CUER et M. Gérard ATZENHOFFER, les intéressés ayant eu la parole en dernier ;
Sur la compétence :Considérant que M. CUER, directeur du Laboratoire de Physique corpusculaire et cosmique (LPCC), rattaché à la Faculté des Sciences, puis, à partir de 1971, à l'Université Louis Pasteur de Strasbourg, a, en 1961, suscité la création d'une association de la loi de 1901, l'Association pour le développement de la recherche en physique corpusculaire et cosmique (ADRPCC) qu'il présidait et contrôlait entièrement ;
Considérant que la compétence de la Cour de discipline budgétaire et financière s'étend à tout représentant, administrateur ou agent des organismes soumis au contrôle de la Cour des Comptes ; que M. CUER est justiciable de la Cour de discipline budgétaire et financière en sa qualité de professeur de la Faculté des Sciences, puis de l'Université de Strasbourg ;
Considérant que M. CUER a fait l'objet de la part de la Cour des Comptes d'une déclaration de gestion de fait des deniers de l'Université de Strasbourg, rendue définitive par arrêt du 2 juin 1976 ; que cette déclaration eut pour effet de rendre également M. CUER justiciable de la Cour de discipline budgétaire et financière en tant qu'ayant exercé en fait les fonctions de comptable de l'Université susvisée ; que les opérations qui ont motivé ladite déclaration ont eu, pour une part importante, comme support le compte bancaire de l'ADRPCC dont M. CUER avait la signature en sa qualité de président de l'Association ; que, dans ces conditions, la compétence de la Cour de discipline budgétaire et financière s'étend aux irrégularités commises tant directement que par l'intermédiaire de l'ADRPCC, sans qu'il y ait lieu d'établir de distinction ;
Sur les irrégularités relevées dans l'exécution des dépenses du LPCC
Considérant qu'un marché de gré à gré, conclu le 15 juin 1966 entre la faculté des Sciences de Strasbourg et l'Institut für Hochenergie Physik de Heidelberg (IHEP) et modifié par trois avenants des 21 octobre 1966, 19 décembre 1966 et 7 janvier 1969, a défini les conditions d'utilisation des ordinateurs de l'Institut pour la réalisation des calculs nécessaires aux travaux de recherche, conduits par le LPCC ; que, notamment, le troisième avenant a fixé à 400 000 F le montant maximal de la dépense annuelle autorisée ;
Considérant que l'exécution de ce marché a donné lieu, de décembre 1966 à novembre 1971, à l'établissement de factures, authentifiées par M. CUER, pour un montant total de 1 140 000 DM ; que l'instruction a établi que, pour une part importante, ces certifications étaient fausses, le nombre d'heures de calcul facturées et payées ayant atteint 5 168,8 alors que les heures comptabilisées par les machines ne s'étaient élevées qu'à 1 402,8 ; qu'en conséquence, une somme de 750 000 DM a été payée à tort par la Faculté des Sciences, puis l'Université de Strasbourg ; qu'il a été recouru pour ce faire à l'établissement agent administratif contractuel du LPCC, sur ordre de M. CUER, de projets de factures, transmis à l'IHEP, pour un montant annuel forfaitaire d'environ 300 000 F ;
Considérant que la matérialité des faits susmentionnés a été établie tant par l'autorité judiciaire, et notamment par l'arrêt de la Cour d'Appel de Colmar en date du 16 octobre 1979, que par la Cour des Comptes dans son arrêt du 28 juin 1978 ;
Considérant que, si M. CUER allègue que cette somme de 750 000 DM a rémunéré des prestations de nature différente de celles prévues au contrat, fournies par l'IHEP (mise à disposition de locaux, formation technique de physiciens, techniciens et mesureurs), d'ailleurs estimées par lui à un montant supérieur aux sommes payées, il n'a pu en apporter ni preuve ni justification ; qu'une partie de ces sommes, à savoir 366480 DM, a été reversée à un compte bancaire ouvert au nom de l'ADRPCC à l'agence de Kehl de la Société générale alsacienne de banque (SOGENAL) entre février 1969 et décembre 1971 ; que le montant de certains de ces reversements correspondait exactement à celui des factures payées par l'Université de Strasbourg ; qu'il est en conséquence patent qu'il ne s'agissait pas de la rémunération d'un service effectivement rendu par l'IHEP au LPCC ;
Considérant que l'entreprise Data a versé à l'ADRPCC, entre 1966 et 1971, une subvention totale de 59 587,22 F correspondant, à concurrence de 23 708,40 F, au prix de matériel payé, au vu de factures certifiées exactes par M. CUER, par la Faculté des Sciences, mais non livrée et, à concurrence du solde, soit 35 878,82 F, au montant de la TVA relative à la fourniture de dérouleurs non livrés, mais auxquels d'autres matériels avaient été ultérieurement substitués pour leur montant hors taxes ; que les fausses certifications délivrées par M. CUER ont ainsi permis d'extraire irrégulièrement des fonds de la caisse publique au profit de l'ADRPCC ;
Considérant que M. CUER a fait établir, en janvier et mars 1972, des ordres de missions fictifs dont le montant (554,40 F et 1 320,55 F) a été reversé par leurs bénéficiaires à l'ADRPCC ; que ces sommes devaient permettre de financer l'entretien de deux véhicules du LPCC pour lequel aucun crédit n'était prévu au budget de l'Université ;
Considérant que l'authentification de factures fictives ou substantiellement majorées constitue une infraction aux règles d'exécution des dépenses de la faculté des Sciences et de l'Université Louis Pasteur ; que ces pratiques irrégulières, également établies par le juge judiciaire, ont été considérées par la Cour des Comptes comme constitutives de gestion de fait ; qu'à ce titre, elles tombent sous le coup de l'article 5 de la loi du 25 septembre 1948 modifiée ;
Sur les irrégularités commises dans l'exécution des recettes du LPCC
Considérant que M. CUER a reconnu avoir fait encaisser par l'ADRPCC, entre 1968 et 1972, une somme totale de 325 498,40 DM, payée par l'IHEP sur présentation de factures établies par ses soins au nom de l'Association pour des travaux de recherche ; qu'à supposer que ces travaux, qui ne correspondaient au demeurant pas à ceux énoncés sur les factures, aient été réellement exécutés, comme l'affirme M. CUER, ils ne pouvaient l'être que par le personnel et avec le matériel du laboratoire, l'association ne disposant d'aucun moyen qui lui fût propre ; que, dans ces conditions, les éventuelles recettes correspondantes auraient constitué des recettes de l'Université et auraient dû, en tant que telles, être encaissées par l'agent-comptable de la Faculté des Sciences, puis de l'Université Louis Pasteur ;
Que si M. CUER a justifié l'utilisation de cette procédure irrégulière par son souci d'éviter, dans le seul intérêt du laboratoire qu'il dirigeait, que les recettes en cause, en transitant par le budget de l'établissement public, ne soient pas intégralement affectées au LPCC, il n'en aurait pas moins organisé par là même une gestion occulte, constitutive d'infraction aux règles d'exécution des recettes de l'Université, passible des sanctions prévues à l'article 5 de la loi du 25 septembre 1948 modifiée ;
Sur l'utilisation des sommes mises à la disposition de l'ADRPCC
Considérant que, par l'intermédiaire de l'ADRPCC, M. CUER s'est constitué une réserve de crédits à sa disposition, afin de promouvoir, avec l'IHEP de Heidelberg, en dehors des procédures budgétaires et comptables, considérées par lui trop lourdes, une politique de collaboration scientifique pour laquelle il estimait ne pas recevoir un soutien financier suffisant de la part des pouvoirs publics ;
Considérant que les dépenses payées sur les crédits mis à la disposition de l'ADRPCC l'ont été le plus souvent en infraction aux règles administratives et comptables applicables aux universités pour des opérations de même nature ;
Qu'il en a été ainsi notamment de la prise en charge, de 1967 à 1973, de frais de réception importants au profit de membres du laboratoire et surtout de prélèvements en espèces, d'un montant de 349771 DM, opérés de 1967 à 1972 sur le compte bancaire ouvert à l'ag ence de Kehl de la Sogenal au nom de l'ADRPCC, pour alimenter une "caisse liquide" entre les mains de M. CUER ;
Que sur cette "caisse liquide" ont été imputés en particulier, d'une part des compléments mensuels de rémunération versés à M. ATZENHOFFER et à Melle COBUT lesquels versements, s'ils avaient correspondu effectivement à des travaux supplémentaires, n'auraient pu, compte tenu de leur importance, être imputés sur le budget de l'établissement public, d'autre part des frais de réception, de voyage et de séjour exposés par M. CUER et remboursés à ce dernier pour des montants forfaitaires, en l'absence de justifications précises et parfois en sus des indemnisations réglementaires obtenues par ailleurs ;
Considérant que ces irrégularités tombent sous le coup de l'article 5 de la loi du 25 septembre 1948 modifiée en tant qu'elles constituent des infractions aux règles d'exécution des dépenses de l'établissement public ; qu'elles tombent également sous le coup de l'article 6 dans la mesure où elles ont eu pour effet, en ce qui concerne le versement de rémunérations complémentaires à des tiers, de procurer à ces derniers un avantage non justifié au regard de la réglementation applicable ;
Considérant que ces rémunérations complémentaires n'ont pas donné lieu à déclaration aux administrations fiscales ; que des éléments constitutifs de l'infraction définie par l'article 5 bis de la loi du 25 septembre 1948 modifiée sont donc réunis ; que la circonstance que les régularisations nécessaires soient ultérieurement intervenues est sans effet sur l'existence de ladite infraction ;
Sur la prescription :
Considérant que les irrégularités susvisées, nées en 1966, se sont poursuivies jusqu'en 1973 ; qu'une partie d'entre elles s'est donc déroulée au cours d'une période non couverte par la prescription de cinq ans édictée par l'article 30 de la loi du 25 septembre 1948, tel que modifié par la loi du 13 juillet 1971 ; qu'en effet, suivant le principe, fixé par la jurisprudence de la Cour de Cassation, selon lequel les dispositions modifiant le délai de prescription sont applicables aux actions nées avant leur promulgation et non encore prescrites, il y a lieu de retenir en l'espèce le délai de cinq ans en vigueur à la date à laquelle la saisine de la Cour de discipline budgétaire et financière a interrompu la prescription ;
Sur les responsabilités encourues :
Considérant que la responsabilité des irrégularités susvisées incombe à M. CUER, directeur du LPCC et président de l'ADRPCC, qui en est l'initiateur et le principal auteur ;
Considérant que les diverses circonstances invoquées par l'intéressé pour sa défense - notamment sa volonté de développer la recherche sur un plan de large coopération internationale dans l'intérêt du laboratoire qu'il dirigeait - ne sauraient atténuer très sensiblement sa responsabilité engagée au regard des articles 5, 5 bis et 6 de la loi du 25 septembre 1948 modifiée ;
Qu'en effet, il a de façon répétée commis une série d'irrégularités qui, bien que distinctes, avaient un objet unique - se soustraire aux règles d'exécution des dépenses et recettes publiques jugées par lui trop contraignantes - lesdites irrégularités revêtant dès lors le caractère d'une infraction continue ; que ces irrégularités doivent être sanctionnées comme telles ;
Considérant que M. ATZENHOFFER, qui a participé dans l'exercice de ses fonctions d'agent administratif du LPCC et de trésorier de l'ADRPCC à la réalisation de certaines des irrégularités ci-dessus mentionnées, ne peut exciper d'un ordre écrit donné par son supérieur hiérarchique selon les modalités prévues par l'article 8 de la loi du 25 septembre 1948 modifiée ; que toutefois sa situation administrative subordonnée ne le mettait pas en mesure d'apprécier pleinement le caractère anormal des instructions qui lui étaient données et que, de l'aveu même de M. CUER, il n'a eu qu'un rôle d'exécutant ; qu'il n'avait en outre ni les moyens ni le motif d'en suspecter la régularité ou le bien-fondé, eu égard à la notoriété de M. CUER dans le monde scientifique ;
Considérant dès lors qu'il sera fait une juste appréciation de l'affaire en relaxant M. ATZENHOFFER et en condamnant M. CUER à une amende de 10 000 F ;
ARRETE :
Article 1er : M. Gérard ATZENHOFFER est relaxé des fins de la poursuite
Article 2 : M. Pierre CUER est condamné à une amende de dix mille francs (10 000 F).
Article 3 : Le présent arrêt sera publié au journal officiel de la République française.