LA COUR,

Vu la loi n° 48-1484 du 25 septembre 1948, modifiée et complétée par les lois n° 55-1069 du 6 août 1955, 63-778 du 31 juillet 1963 et 71-564 du 13 juillet 1971, tendant à sanctionner les fautes de gestion commises à l'égard de l'Etat et de diverses collectivités et portant création d'une Cour de discipline budgétaire et financière ;

Vu l'ordonnance du 18 décembre 1839, le code de la santé publique et le code général des impôts ;

Vu la décision du 12 juillet 1974 transmise, le 17 septembre suivant, au Parquet de la Cour de discipline budgétaire et financière, et par laquelle la Cour des comptes a saisi la Cour de discipline budgétaire et financière d'irrégularités constatées dans la gestion de l'hôpital psychiatrique de Saint-Alban-sur-Limagnole, département de la Lozère, et mommément déféré à cette juridiction le docteur Yves RACINE, ancien médecin-directeur de l'établissement ;

Vu le réquisitoire du Procureur général de la République en date du 25 septembre 1974 transmettant le dossier à la Cour de discipline budgétaire et financière ;

Vu la décision du président de la Cour de discipline budgétaire et financière du 3 octobre 1974 désignant comme rapporteur M de VILLAINES, conseiller maître à la Cour des comptes ;

Vu l'accusé de réception de la lettre recommandée adressée le 3 juin 1975 au docteur RACINE l'informant de l'ouverture d'une instruction et l'avisant qu'il était autorisé à se faire assister soit par un mandataire, soit par un avocat ou un avoué, soit par un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ;

Vu l'avis émis le 10 novembre 1975 par le ministère de la santé ;

Vu l'avis émis le 9 décembre 1975 par le ministre de l'économie et des finances ;

Vu l'avis émis le 9 février 1976 par le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur ;

Vu les conclusions du Procureur général de la République en date du 3 mars 1976 renvoyant le docteur RACINE devant la Cour de discipline budgétaire et financière ;

Vu l'avis émis le 26 mars 1976 par le conseil de discipline des praticiens à plein temps des établissements hospitaliers publics autres qu'universitaires (section de psychiatrie) ;

Vu l'accusé de réception de la lettre recommandée, adressée le 29 avril 1976 au docteur RACINE, l'avisant qu'il pouvait, dans un délai de quinze jours, prendre connaissance du dossier de l'affaire soit par lui-même, soit par mandataire, soit par le ministère d'un avocat, d'un avoué, ou d'un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ;

Vu le mémoire en défense présenté par le docteur RACINE et ses pièces annexes ;

Vu l'accusé de réception de la lettre recommandée adressée le 8 juin 1976 au docteur RACINE l'invitant à comparaître ;

Vu l'ensemble des pièces qui figurent au dossier, et notamment le procès-verbal d'interrogatoire ;

Ouï M de VILLAINES, conseiller maître à la Cour des comptes, en son rapport ;

Ouï le Procureur général de la République en ses conclusions ;

Ouï Mme le docteur CAMPLO, médecin chef de service à l'hôpital psychiatrique de Béziers (Hérault), et M HADJADJ, directeur de l'hôpital Dupuytren à Champresay (Seine-et-Marne), cités comme témoins par le Procureur général ;

Ouï le Procureur général de la République en ses réquisitions ;

Ouï en ses observations le docteur RACINE, celui-ci ayant eu la parole le dernier ;

Considérant que les deux griefs articulés contre le docteur RACINE consistent d'une part dans l'attribution de repas gratuits au personnel infirmier de l'établissement, d'autre part dans le défaut de déclaration fiscale de ces avantages en nature ;

Sur l'attribution de repas à titre gratuit

Considérant que le docteur RACINE a, en sa qualité de directeur de l'hôpital psychiatrique de Saint-Alban, accordé aux infirmiers la gratuité des repas, à charge de les prendre avec les malades ; qu'il reconnaît être l'auteur de cette décision, qu'il situe toutefois en 1969 ou au début de 1970, et non en 1968 comme il ressort de la plupart des documents figurant au dossier ; que ladite décision a continué de produire ses effets après le départ du docteur RACINE, les directeurs qui lui ont succédé n'ayant pas estimé possible de revenir sur l'avantage accordé ;

Considérant que cette mesure n'a pas été soumise à la commission de surveillance qui, aux termes de l'article 4 de l'ordonnance du 18 décembre 1839, est chargée de la surveillance générale de toutes les parties du service et doit être appelée à donner son avis notamment sur le régime intérieur de l'établissement ; qu'ainsi l'autorité de tutelle n'a pas été en mesure de se prononcer à son sujet, contrairement à l'article 205 du règlement-modèle, annexé à l'arrêté du 5 février 1938, qui dispose que le directeur soumettra à l'approbation du préfet tous règlements particuliers nécessaires pour compléter le règlement général, en ce qui concerne notamment la thérapeutique et la discipline ;

Considérant qu'il résulte de l'article L 823 du code général de la santé que les conditions dans lesquelles les agents soumis au statut général des établissements d'hospitalisation peuvent bénéficier d'avantages en nature et recevoir des primes et indemnités sont déterminées par des arrêtés interministériels ; qu'aucun texte de cette nature n'a prévu la gratuité des repas pris dans les hôpitaux psychiatriques par le personnel infirmier ;

Considérant, dès lors, que la décision par laquelle le docteur RACINE a dispensé un nombre important d'agents de rembourser le prix des repas consommés par eux est irrégulière et qu'elle tombe sous le coup des dispositions de l'article 5 de la loi du 25 septembre 1948 modifiée, en tant qu'elle affecte l'exécution des recettes d'un établissement public, et de l'article 6 de la même loi, en tant qu'elle a procuré, après l'entrée en vigueur de la loi du 13 juillet 1971, un avantage injustifié à certains agents, au détriment de l'établissement ;

Considérant que ces infractions ne sont pas couvertes par un ordre préalable des supérieurs hiérarchiques du docteur RACINE ; que ne peut en effet être regardée comme telle l'"observation" sur la gratuité des "repas pris par les agents à la table des malades et avec eux dans un but thérapeutique" qui figure dans une lettre adressée en mai 1972 à un autre chef d'établissement par le directeur des hôpitaux au ministère de la santé ;

Considérant que les motifs de fait invoqués par le docteur RACINE pour excuser sa décision irrégulière ne peuvent être retenus à sa décharge ;

Que le docteur RACINE allègue qu'obligation aurait été faite au personnel infirmier de prendre à la table des malades les repas gratuits, et que cette obligation aurait été observée aussi longtemps qu'il a dirigé l'établissement ; qu'il ressort toutefois des déclarations de l'intéressé qu'il laissait au médecin responsable de la thérapeutique dans chaque pavillon le soin de mettre en oeuvre la mesure ; qu'il apparaît d'ailleurs qu'aucune disposition n'a été prise pour assurer le bon fonctionnement et le contrôle du système des "repas thérapeutiques" ; qu'en l'absence de toute précaution, des abus ne pouvaient manquer de se produire, abus dont l'instruction a établi la réalité ;

Que le docteur RACINE fait valoir aussi que l'octroi de repas gratuits au personnel infirmier aurait mis fin à une pratique irrégulière admise par ses prédécesseurs : la permission donnée aux agents de prendre leurs repas pendant les heures de service hors de l'établissement ; qu'en droit, il ne saurait être remédié à une irrégularité par une autre irrégularité, et qu'en fait, la nouvelle pratique n'était pas plus satisfaisante, les malades pouvant se trouver sans surveillance pendant les repas pris en dehors d'eux par le personnel infirmier ;

Que, dans ces conditions, ne saurait être regardée comme une mesure novatrice, prise dans l'intérêt des malades et de la bonne gestion de l'établissement, une décision irrégulière qui n'a été accompagnée ni de l'effort d'organisation, ni de la surveillance attentive qu'aurait appelés l'expérimentation d'une méthode nouvelle ;

Sur le défaut de déclaration fiscale

Considérant qu'il n'est pas contesté que, dans la déclaration annuelle exigée de tout employeur par l'article 87 du code général des impôts, n'a été compris, pour aucune des années au cours desquelles le docteur RACINE a exercé ses fonctions et le personnel infirmier bénéficié des repas gratuits, le montant de cet avantage ;

Considérant que celui-ci entrait dans le revenu imposable des agents, tel que le définissent les articles 13-1, 39-6 (annexe III) et 82 du code général des impôts, et aurait dû en conséquence être inclus dans les déclarations précitées ;

Considérant que la responsabilité de l'omission dont il s'agit incombe principalement au docteur RACINE, puisqu'il était chargé comme ordonnateur de certifier la déclaration fiscale et qu'il ne pouvait ignorer le caractère obligatoire de cette déclaration en ce qui concerne les avantages en nature, ayant du reste certifié pour une des années en cause des imprimés règlementaires qui portaient mention de certains d'entre eux ;

Considérant qu'il ne peut être soutenu qu'en l'espèce les repas gratuits constituaient pour les bénéficiaires non pas des avantages en nature, mais une sujétion liée à l'exercice de leur activité ; qu'en effet la déclaration fiscale doit porter aussi sur les prestations justifiées par la nécessité absolue de service et que précisément l'évaluation du logement accordé par nécessité de service à des agents de l'hôpital apparaît sur une déclaration fiscale certifiée par le docteur RACINE ;

Considérant que l'omission dont il s'agit constitue l'infraction prévue par les dispositions de l'article 5 bis de la loi du 25 septembre 1948 modifiée ;

Considérant qu'il sera fait une exacte appréciation de l'ensemble des circonstances et éléments ci-dessus mentionnés en infligeant au docteur RACINE une amende de deux mille francs ;

ARRETE :

Article 1er - Le docteur Yves RACINE est condamné à une amende de deux mille francs.

Article 2 - Le présent arrêt sera publié au Journal Officiel de la République Française.