LA COUR,

Vu la loi n° 48-1484 du 25 septembre 1948 modifiée, tendant à sanctionner les fautes de gestion commises à l'égard de l'Etat et de diverses collectivités, et portant création d'une Cour de discipline budgétaire et financière ;

Vu la décision du 17 août 1982, enregistrée au Parquet de la Cour de discipline budgétaire et financière le même jour, par laquelle la Cour des comptes a déféré à ladite Cour des irrégularités constatées dans la gestion de l'université de Paris XII-Val-de-Marne et nommément déféré M. GUILLOU, ancien Président de cette université ;

Vu le réquisitoire du Procureur général de la République en date du 14 octobre 1982 transmettant le dossier à la Cour de discipline budgétaire et financière ;

Vu la décision du Président de la Cour de discipline budgétaire et financière du 8 juin 1983 désignant comme rapporteur M. FOURRE, Maître des requêtes au Conseil d'Etat en remplacement de M. CAZANAVE, Auditeur à la Cour des comptes qui avait été initialement chargé de l'instruction par décision du 20 janvier 1983 ;

Vu l'accusé de réception de la lettre recommandée adressée par le Procureur général de la République le 19 octobre 1983 à M. GUILLOU, l'informant de l'ouverture d'une instruction et l'avisant qu'il était autorisé à se faire assister soit par un mandataire, soit par un avocat ou un avoué, soit par un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ;

Vu les avis émis le 1er août 1985 par le ministre de l'éducation nationale et le 25 novembre 1985 par le secrétaire d'Etat chargé du budget et de la consommation ;

Vu les conclusions du Procureur général de la République en date du 16 mars 1987 renvoyant M. GUILLOU devant la Cour de discipline budgétaire et financière ;

Vu la lettre du Président de la Cour de discipline budgétaire et financière en date du 18 mars 1987 demandant au ministre délégué chargé de la recherche et de l'enseignement supérieur de saisir du cas de M. GUILLOU la commission administrative paritaire compétente et la réponse du ministre en date du 14 avril 1987 ;

Vu l'accusé de réception de la lettre en date du 29 avril 1987 adressée par le Président de la Cour à M. GUILLOU, l'avisant qu'il pouvait, dans un délai de quinze jours prendre connaissance du dossier de l'affaire soit par lui-même, soit par un mandataire, soit par le ministère d'un avocat, d'un avoué ou d'un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ;

Vu les accusés de réception des lettres recommandées adressées les 11 mai 1987 et 5 juin 1987 par le Procureur général de la République à M. GUILLOU, le citant à comparaître devant la Cour de discipline budgétaire et financière ;

Vu le mémoire en défense, enregistré au Greffe de la Cour le 15 juin 1987, présenté pour M. GUILLOU par Maître RICHER, avocat à la Cour, ensemble les pièces annexées ;

Vu l'ensemble des pièces qui figurent au dossier et notamment le procès-verbal d'audition de M. GUILLOU ;

Entendu M. FOURRE, Conseiller d'Etat, en son rapport ;

Entendu le Procureur général de la République en ses conclusions ;

Entendu M. GUILLOU en ses explications ;

Entendu les témoins cités à la requête de M. GUILLOU :

M. Jacques BEGUIN, ancien directeur de l'enseignement supérieur ;

M. Jean-Claude SALOMON, ancien directeur des Affaires générales au ministère des universités ;

M. Jacques DEHAUSSY, ancien recteur de l'Académie de Créteil ;

M. le docteur Daniel-Nicolas LAURENT, Président de l'université de PARIS XII ;

M. Bernard CHAPPEY, directeur de l'IUT de Créteil ;

à l'exception de MM. Jean IMBERT et Guy OURISSON, anciens directeurs de l'Enseignement supérieur qui, à leur demande, ont été autorisés par le Président de la Cour à ne pas comparaître à l'audience conformément aux dispositions de l'article 23, 3ème alinéa, de la loi du 25 septembre 1948 modifiée ;

Entendu le Procureur général de la République en son réquisitoire ;

Entendu Me RICHER en sa plaidoirie et M. GUILLOU en ses observations, les intéressés ayant eu la parole les derniers ;

Considérant en premier lieu qu'aux termes de l'article 29 de la loi n° 68-978 du 12 novembre 1968 modifiée d'orientation de l'enseignement supérieur, chaque établissement d'enseignement et de recherche "vote son budget, qui doit être en équilibre réel" ; qu'aux termes de l'article 2 du décret n° 69-612 du 14 juin 1969 relatif au budget et au régime financier des universités, "le conseil de l'université sur proposition de son président, arrête les recettes et les dépenses des services communs de l'université. Il approuve les budgets des unités d'enseignement et de recherche et des établissements publics à caractère scientifique ou culturel groupés dans l'université" ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction que les budgets de l'université de Paris XII-Val-de-Marne, alors même qu'ils étaient présentés en équilibre comptable, n'étaient pas en équilibre réel pour les exercices 1978, 1979 et 1980 ; que le défaut d'inscription par le président de l'université au projet de budget soumis au vote du conseil de l'université de crédits suffisants pour régler, en plus des dépenses nécessaires au fonctionnement de l'université pendant l'exercice, les arriérés des dettes exigibles et non contestées contractées au cours des exercices antérieurs, avec des prévisions de recettes d'un montant égal, constitue une infraction aux règles relatives à l'exécution des dépenses tombant sous le coup de l'article 5 de la loi du 25 septembre 1948 modifiée ; que le fait que M. GUILLOU ait fait savoir au conseil de l'université et aux autorités de tutelle que le budget présenté par lui n'était pas en équilibre réel n'est pas de nature à dégager la responsabilité que lui confèrent les dispositions de l'article 2 précité du décret du 14 juin 1969 ;

Considérant qu'en vertu des articles 29, 3ème alinéa, et 168, du décret n° 62-1587 du 29 décembre 1962 portant règlement général de la comptabilité publique ainsi qu'aux termes de l'article 41 du décret précité du 14 juin 1969, les engagements de dépenses doivent "être limités soit au montant des crédits, soit au montant des autorisations de programme" ;

Considérant qu'il résulte des pièces versées au dossier qu'ont été engagées, au cours des exercices 1979 et 1980, des dépenses de fonctionnement, en particulier pour les travaux, fournitures et services extérieurs, et des dépenses en capital, notamment pour la construction de locaux ou l'acquisition de matériels, au-delà des crédits ouverts à ces budgets ; que de tels engagements de dépenses enfreignent les dispositions susmentionnées des décrets des 29 décembre 1962 et 14 juin 1969 et tombent sous le coup de l'article 5 précité de la loi du 25 septembre 1948 modifiée ; que la responsabilité de ces infractions incombe à M. GUILLOU, Président de l'université et, à ce titre, ordonnateur principal du budget de celle-ci en vertu de l'article 22, alinéa 1er du décret précité du 14 juin 1969 ;

Considérant que l'absence d'équilibre réel des budgets et l'engagement de dépenses au-delà des crédits ouverts ont conduit à une accumulation croissante de dépenses engagées non mandatées, dont l'exécution s'est trouvée reportée sur les exercices suivants, alors qu'aux termes de l'article 169 du décret du 29 décembre 1962 toutes les dépenses doivent être liquidées et ordonnancées au cours de l'exercice auquel elles se rattachent, l'ordonnateur disposant toutefois au début de chaque exercice d'un délai de deux mois pour émettre les ordres de dépenses correspondant aux services faits au cours de l'exercice précédent ;

Considérant que ces dettes, à l'égard notamment des fournisseurs de l'université, des organismes de sécurité sociale et de l'Etat, ont été évaluées par l'inspection générale de l'administration du ministère de l'Education nationale, pour les seuls services centraux, à 13,8 millions de francs au 31 décembre 1981, chiffre ramené à 8,3 millions de francs en déduisant les créances de l'Assistance publique faisant l'objet d'un litige et les rémunérations afférentes aux heures complémentaires du quatrième trimestre 1981 ; que l'existence, à la même date, d'excédents d'exploitation non affectés, ainsi que de diverses réserves, peut être prise en compte pour l'appréciation de la situation financière d'ensemble de l'université, mais qu'elle est sans effet sur le montant des sommes restant dues par celle-ci ; que l'accord qui a dû être donné par les autorités de tutelle pour le mandatement, au cours des exercices 1980 et 1981, de dépenses reportées des exercices antérieurs, ne saurait dégager la responsabilité de M. GUILLOU ;

Considérant, toutefois que des promesses de construction de nouveaux bâtiments avaient été faites par les autorités de tutelle à M. GUILLOU ; que celui-ci a eu à assurer l'accueil d'étudiants, dont l'effectif a crû rapidement au cours des années en cause ainsi qu'une diversification des enseignements ; que durant son mandat l'université de Paris XII-Val-de-Marne a acquis une réputation internationale et favorisé la coopération avec les pays étrangers ; que, s'ils ne sont pas de nature à dégager la responsabilité de M. GUILLOU, ces faits constituent des circonstances atténuantes en sa faveur ;

Considérant par ailleurs que l'instruction a révélé des irrégularités résultant du versement de diverses indemnités et rémunérations, ainsi que de l'octroi d'avantages en nature, dans des conditions contraires à la réglementation ;

Considérant qu'il en a été ainsi notamment des indemnités différentielles payées à deux agents de l'université pour compenser la différence entre la rémunération indiciaire que leur versait cet établissement avant leur changement de statut et celle afférente aux emplois de l'Etat dans lesquels ils ont été intégrés, des vacations payées sur les crédits d'heures complémentaires à des personnes qui ne pouvaient y prétendre en application des dispositions de l'article 62 de la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 et du décret n° 78-966 du 20 septembre 1978, ainsi que de la prise en charge du loyer de l'appartement du secrétaire général de l'université contrairement à l'article 1er du décret n° 49-742 du 7 juin 1949, dont le champ d'application a été étendu par le décret n° 62-1477 du 27 novembre 1962 aux logements dans les immeubles détenus par les établissements publics, qui n'autorise l'occupation d'un logement par des agents publics que si ceux-ci sont bénéficiaires d'une concession de logement ou d'un acte de location passé avec l'administration des domaines ;

Considérant il est vrai que de telles pratiques résultaient parfois de tolérances assez générales dans les universités ou avaient été établies à l'université de Paris XII-Val-de-Marne antérieurement à l'entrée en fonctions de M. GUILLOU ;

Mais considérant qu'en l'espèce l'agent comptable de l'université avait attiré à plusieurs reprises l'attention de M. GUILLOU sur le caractère irrégulier des rémunérations et avantages susmentionnés en suspendant les paiements ; que, toutefois, M. GUILLOU a cru devoir utiliser son droit de réquisition ;

Considérant que c'est donc en toute connaissance de cause que M. GUILLOU a ordonné le paiement de ces dépenses irrégulières ; que dans ces conditions il tombe sous le coup de l'article 5 et de l'article 6 de la loi du 25 septembre 1948 modifiée sanctionnant les infractions aux règles relatives à l'exécution des dépenses et le fait de procurer à autrui un avantage injustifié, pécuniaire ou en nature, entraînant un préjudice pour l'organisme intéressé ; que la circonstance qu'il n'en a tiré aucun avantage personnel est sans influence sur la qualification des faits au regard des dispositions précitées ;

Considérant qu'il sera fait une juste appréciation de l'ensemble des circonstances de l'affaire en infligeant à M. GUILLOU une amende de 15 000 francs.

ARRETE

Article 1er : M. GUILLOU est condamné à une amende de quinze mille francs (15 000 F).

Article 2 : La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.