LA COUR,

Vu la loi n° 48-1484 du 25 septembre 1948 modifiée tendant à sanctionner les fautes de gestion commises à l'égard de l'Etat et de diverses collectivités, et portant création d'une Cour de discipline budgétaire et financière ;

Vu la communication en date du 17 février 1989, enregistrée au Parquet de la Cour le même jour, par laquelle le Président de la Deuxième chambre de la Cour des comptes l'informe de la décision prise par ladite Cour, dans sa séance du 14 décembre 1988, de déférer à la Cour de discipline budgétaire et financière les irrégularités relevées dans la gestion de l'association FRANTERM (recherche et applications de terminologie française) ;

Vu le réquisitoire en date du 10 mars 1989 par lequel le Procureur général de la République a transmis le dossier à la Cour de discipline budgétaire et financière ;

Vu la décision du président de la Cour de discipline budgétaire et financière du 29 mars 1989 désignant comme rapporteur M. HERNANDEZ, conseiller référendaire à la Cour des comptes ;

Vu les accusés de réception des lettres recommandées adressées par le Procureur général de la République le 23 octobre 1989 à MM. de SAINT ROBERT, POIROT et COUTEAUX, les informant de l'ouverture d'une instruction et les avisant qu'ils étaient autorisés à se faire assister soit par un mandataire, soit par un avocat, soit par un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ;

Vu les avis émis le 1er juillet 1991 par le Ministre délégué chargé du budget et le 22 juillet 1991 par le Premier Ministre ;

Vu la décision du Procureur général de la République en date du 23 juillet 1991 renvoyant MM. de SAINT ROBERT, COUTEAUX et POIROT devant la Cour de discipline budgétaire et financière ;

Vu les avis émis le 29 octobre 1991 par la Commission administrative paritaire du ministère de la défense compétente à l'égard des administrateurs civils et le 5 novembre 1991 par la commission administrative paritaire interministérielle instituée par le statut particulier des administrateurs civils ;

Vu les accusés de réception des lettres recommandées en date du 13 décembre 1991 adressées par le président de la Cour de discipline budgétaire et financière respectivement à MM. COUTEAUX, de SAINT ROBERT et POIROT les avisant qu'ils pouvaient dans un délai de quinze jours prendre connaissance du dossier de l'affaire soit par eux-mêmes, soit par mandataire, soit par le ministère d'un avocat, ou d'un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ;

Vu les mémoires en défense déposés le 7 février 1992 par MM. de SAINT ROBERT et COUTEAUX ;

Vu les accusés de réception des lettres recommandées adressées le 9 janvier 1992 à MM. COUTEAUX, de SAINT ROBERT et POIROT, les citant à comparaître devant la Cour de discipline budgétaire et financière ;

Vu l'ensemble des pièces qui figurent au dossier et notamment les procès-verbaux d'audition et le rapport d'instruction établi par M. HERNANDEZ ;

Entendu M. HERNANDEZ en son rapport ;

Entendu le Procureur général de la République en ses conclusions ;

Entendu respectivement MM. de SAINT ROBERT, COUTEAUX et POIROT en leurs explications ;

Entendu le Procureur général de la République en ses réquisitions ;

Entendu MM. de SAINT ROBERT, COUTEAUX et POIROT en leurs observations, les intéressés ayant eu la parole les derniers ;

Sur la compétence de la Cour

Considérant qu'à l'époque des faits, M. de SAINT ROBERT était commissaire général de la langue française, M. COUTEAUX, administrateur civil, était son directeur de cabinet et M. POIROT, administrateur des PTT, était affecté au commissariat général au titre de l'obligation dite de "mobilité" à laquelle sont assujettis les membres de son corps ; que M. COUTEAUX était également secrétaire général de l'association FRANTERM (recherche et applications de terminologie française) et M. POIROT , directeur de ladite association placée sous la tutelle du commissariat général, régulièrement subventionnée par l'Etat et soumise en conséquence au contrôle de la Cour des comptes aux termes de l'article 1er (alinéa 6) de la loi du 22 juin 1967 modifiée et de l'article 38 du décret du 11 février 1985 ; qu'à ces divers titres MM. de SAINT ROBERT, COUTEAUX et POIROT sont justiciables de la Cour de discipline budgétaire et financière en application de l'article 1er de la loi du 25 septembre 1948 modifiée ;

Au fond

Considérant que l'association FRANTERM était depuis sa création, tant par le choix de ses dirigeants et de son personnel que par son financement et sa subordination au commissariat général de la langue française ou aux organismes qui l'ont précédé, un démembrement de ces administrations ; qu'à l'occasion d'une recomposition du conseil d'administration de l'association rendue nécessaire par de nombreuses démissions, M. COUTEAUX a été nommé secrétaire général de FRANTERM lors d'une réunion du conseil le 14 mars 1985 ; que M. POIROT a été nommé directeur par ce même conseil le 15 janvier 1985 et confirmé dans ces fonctions le 14 mars ; que l'association est restée officiellement sans président jusqu'au 6 mars 1986 ;

Considérant que M. POIROT, qui jouissait d'une grande autonomie dans la gestion de FRANTERM, disposait d'une procuration sur l'un des comptes bancaires de l'association ; que de février à octobre 1985, par chèques à son ordre, retraits en espèces, prélèvements sur la caisse de l'association et achats de devises, il a prélevé au total 289 718,82 F ; que si ces sommes ont servi partiellement à couvrir des dépenses de l'association parfois avancées par M. POIROT, une importante partie a été prélevée à des fins personnelles ;

Considérant que ces prélèvements ont été découverts fortuitement, alors que M. POIROT était en mission aux Etats-Unis et au Canada ; que MM. COUTEAUX et de SAINT ROBERT ont alors été alertés et des mesures prises pour sauvegarder les intérêts de l'association ;

Considérant qu'au retour de M. POIROT des entretiens ont eu lieu entre celui-ci et MM. de SAINT ROBERT et COUTEAUX ; qu'à la suite de ces entrevues, M. POIROT a signé une reconnaissance de dette datée du 24 octobre 1985 par laquelle il reconnaissait devoir à l'association 144 000 F, remboursables à raison de 12 000 F par mois, "représentant l'écart entre les avances qu'(il avait) engagées pour le compte de l'association soit 85 321 F et les retraits effectués sur le compte de FRANTERM (226 275 F) et portés sur (son) compte bancaire personnel, augmenté de 3 046 F représentant une majoration pour différé de paiement" ; que les sommes ainsi réputées "engagées pour le compte de l'association" comportaient une indemnité promise par M. de SAINT ROBERT à M. POIROT lors de son affectation au commissariat général, le surplus étant essentiellement constitué de frais de mission, de déplacement et de représentation ;

Considérant que d'autres décomptes de la dette de M. POIROT ont été établis par la suite, l'un en janvier 1986 par le nouveau directeur de l'association, à l'occasion d'une enquête confiée à un inspecteur général des PTT, s'établissant à 155 298,92 F, l'autre en 1988 lors de la dissolution de FRANTERM d'un montant de 232 729,94 F ; que la comptabilité de l'association fait, par ailleurs, mention d'une créance sur M. POIROT s'élevant à 164 209,92 F à l'époque de la signature de sa reconnaissance de dette ;

Considérant que les pièces justificatives des dépenses de l'association et, parmi elles, notamment celles qui pouvaient justifier les frais de mission, de déplacement et de représentation de M. POIROT ont été perdues au cours de la période de liquidation de l'association ; qu'en conséquence, si l'existence des prélèvements effectués à des fins personnelles par M. POIROT a été établie et reconnue par lui, leur montant n'a pas pu être déterminé avec exactitude ; que toutefois le montant n'a pas pu être déterminé avec exactitude ; que toutefois le montant de la créance de FRANTERM figurant dans sa comptabilité est celui qui correspond le mieux aux éléments d'information disponibles ;

Considérant que les faits incriminés se sont produit postérieurement au 17 février 1984 et ne sont donc pas couverts par la prescription de cinq ans instituée par l'article 30 de la loi du 25 septembre 1948 modifiée ;

Sur les responsabilités

. S'agissant de M. POIROT :

Considérant qu'en prélevant à des fins personnelles des fonds appartenant à FRANTERM, il a enfreint les règles d'exécution des dépenses de l'association et tombe ainsi sous le coup des sanctions prévues par l'article 5 de la loi du 25 septembre 1948 ;

Considérant toutefois qu'après avoir omis d'honorer la deuxième des échéances de sa reconnaissance de dette, il a dû quitter Télédiffusion de France où il avait été détaché après l'expiration de son affectation au commissariat général de la langue française de son affectation au commissariat général de la langue française et a été contraint en mars 1986 de démissionner de l'administration des PTT ; qu'avant sa démission, il a remboursé le montant de sa reconnaissance de dette, puis ultérieurement, par un versement complémentaire, soldé sa dette à l'égard de FRANTERM telle qu'elle figurait dans les comptes de l'association ;

. S'agissant de MM. de SAINT ROBERT et COUTEAUX :

Considérant qu'en arrêtant les principes de la transaction conclue avec M. POIROT, M. de SAINT ROBERT a engagé les dépenses de l'association sans en avoir le pouvoir ; qu'en décidant que le conseil d'administration de FRANTERM n'aurait pas à connaître des prélèvements de M. POIROT et de la transaction intervenue, il a enfreint les règles d'exécution des dépenses de l'association ; que l'arrangement qu'il a conclu avec M. POIROT comportait des avantages injustifiés pour celui-ci à la fois par sa nature et par les modalités d'évaluation de la dette de l'intéressé ;

Considérant toutefois que le commissaire général de la langue française n'avait guère d'expérience des procédures juridiques et budgétaires ; qu'en faisant une confusion entre les services du commissariat général et l'association et en intervenant directement, au mépris de ses statuts, dans la gestion de FRANTERM dont il n'était ni membre, ni administrateur, il n'a pas agi différemment de ses prédécesseurs, sans percevoir l'irrégularité d'une telle pratique ; qu'il a eu le souci, d'une part, en croyant devoir conserver une certaine confidentialité à l'affaire, de ne pas dissuader des partenaires extérieurs d'apporter leur concours aux actions menées par FRANTERM et, d'autre part, d'obtenir la restitution des sommes indûment prélevées, restitution qu'à son avis, des poursuites à l'encontre de M. POIROT eussent définitivement compromise ; qu'il a, devant la défaillance de M. POIROT à s'acquitter de la dette qu'il avait reconnue, saisi son administration d'origine et provoqué les mesures dont celui-ci a fait l'objet ; que c'est en grande partie grâce à cette démarche que la créance de FRANTERM a été recouvrée ;

Considérant surtout que M. de SAINT ROBERT n'a pas conclu de transaction avec M. POIROT sans en avoir auparavant prévenu le cabinet du ministre des PTT, qui a donné son accord, ainsi que le secrétaire général du gouvernement qui avait autorité sur services du commissariat général de la langue française ; qu'il s'est entretenu de l'affaire avec ce dernier ; que celui-ci, selon ses propres indications, ne s'est pas opposé à la transaction projetée et que M. de SAINT ROBERT a pu en conclure qu'il avait reçu de sa part l'autorisation de la mettre en oeuvre ;

Considérant que M. COUTEAUX, en qualité de secrétaire général de FRANTERM et en l'absence de président, disposait de pouvoirs étendus pour gérer et administrer les intérêts de l'association, la représenter dans tous les actes de la vie civile et pour en ordonnancer les dépenses en application des articles 18 et 22 de ses statuts ; qu'il n'a pas exercé les pouvoirs qui lui étaient ainsi reconnus et n'a pas cherché à rendre les dépenses de l'association conformes à ses statuts qui distinguaient l'ordonnancement et le paiement ; qu'il a laissé M. POIROT exercer les fonctions d'ordonnateur et de trésorier alors qu'il n'en avait pas la qualité ; qu'il a exercé un contrôle insuffisant sur sa gestion ; qu'il a préparé l'arrangement intervenu avec lui ;

Considérant toutefois que la reconnaissance de dette de M. POIROT a été établie conformément aux instructions de M. de SAINT ROBERT et sur des bases nécessairement incomplètes en l'état de la comptabilité de FRANTERM et avant l'établissement de ses comptes annuels ; que le commissaire général de la langue française avait confié à M. COUTEAUX des tâches qui, par leur contenu et leur ampleur, n'avaient pas de rapport direct avec les obligations de gestion que comportaient ses fonctions statutaires au sein de FRANTERM ; que l'administration de cette association comme un démembrement du commissariat général et des organismes qui l'ont précédé, sans considération de ses statuts, était un état de fait admis à tort depuis de nombreuses années ; qu'en dépit de cette situation, les services administratifs du commissariat général se sont montrés défaillants dans le contrôle des opérations de FRANTERM qui leur incombait ; que la formation et l'expérience administrative de M. POIROT ont pu conduire les responsables du commissariat général de la langue française à lui conserver leur confiance jusqu'à la découverte des faits ; que celle-ci étant intervenue, M. COUTEAUX a pris les mesures nécessaires pour empêcher tout autre prélèvement sur les fonds de l'association ;

Considérant que, pour l'ensemble de ces motifs, il n'y a pas lieu d'engager la responsabilité de MM. de SAINT ROBERT et COUTEAUX au regard des dispositions de la loi du 25 septembre 1948 modifiée ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'il sera fait une juste appréciation des circonstances de l'affaire en infligeant à M. POIROT une amende de 10 000 francs et en prononçant la relaxe de MM. de SAINT ROBERT et COUTEAUX ;

ARRETE

Article 1 : MM. de SAINT ROBERT et COUTEAUX sont relaxés des fins de la poursuite.

Article 2 : M. POIROT est condamné à une amende de dix mille francs (10 000 F).

Fait et jugé en la Cour de discipline budgétaire et financière. Présents : M. ARPAILLANGE, Premier président de la Cour des comptes, président ; Mme BAUCHET et M. FOUQUET, Conseillers d'Etat, M. ISNARD, conseiller maître, membres de la Cour de discipline budgétaire et financière ; M. HERNANDEZ, conseiller référendaire à la Cour des comptes, rapporteur.

Le dix neuf février mil neuf cent quatre vingt douze.

Le Président, Le Greffier,

En conséquence, la République mande et ordonne à tous huissiers de justice sur ce requis de mettre ledit arrêt à exécution, aux procureurs généraux et aux procureurs de la République près les tribunaux de grande instance d'y tenir la main, à tous commandants et officiers de la force publique de prêter main-forte lorsqu'ils en seront légalement requis.

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le Président de la Cour et le Greffier.

Le Président, Le Greffier,