LA COUR,

Vu la loi n° 48-1484 du 25 septembre 1948, modifiée et complétée par les lois n° 55-1069 du 6 août 1955, 63-778 du 31 juillet 1963 et 71-564 du 13 juillet 1971, tendant à sanctionner les fautes de gestion commises à l'égard de l'Etat et de diverses collectivités et portant création de la Cour de discipline budgétaire et financière ;

Vu la décision du 27 novembre 1973, transmise au Parquet de la Cour de discipline budgétaire et financière le 12 décembre suivant, par laquelle la Cour des comptes a saisi la Cour de discipline budgétaire et financière d'irrégularités ayant affecté la gestion de la direction des constructions et armes navales de Toulon à l'occasion de travaux effectués sur le navire "Galaxy Queen" ;

Vu le réquisitoire du Procureur général de la République en date du 17 décembre 1973 transmettant le dossier à la Cour de discipline budgétaire et financière ;

Vu la décision du président de la Cour de discipline budgétaire et financière du 20 novembre 1973 désignant comme rapporteur Melle VENENCIE, conseiller référendaire à la Cour des comptes ;

Vu l'accusé de réception de la lettre recommandée adressée le 11 juin 1974 à M l'ingénieur général de l'armement JAUBERT, alors directeur des constructions et armes navales de Toulon, l'informant de l'ouverture d'une instruction et l'avisant qu'il était autorisé à se faire assister soit par un mandataire, soit par un avocat ou un avoué, soit par un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ;

Vu l'avis émis le 20 novembre 1975 par le ministre de la défense ;

Vu l'avis émis le 18 mai 1976 par le ministre de l'économie et des finances ;

Vu la décision du Procureur général de la République en date du 30 septembre 1976 renvoyant l'ingénieur général de l'armement JAUBERT devant la Cour de discipline budgétaire et financière ;

Vu l'avis de la commission réunie le 18 octobre 1976, en application des articles 28 et 78 de la loi n° 72-662 du 13 juillet 1972 portant statut général des militaires ;

Vu l'accusé de réception de la lettre recommandée adressée le 15 novembre 1976 à l'ingénieur général de l'armement JAUBERT l'avisant qu'il pouvait, dans un délai de 15 jours, prendre connaissance du dossier de l'affaire soit par lui-même, soit par mandataire, avocat, avoué ou avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ;

Vu l'accusé de réception de la lettre recommandée adressée le 21 février 1977 à l'ingénieur général de l'armement JAUBERT et l'invitant à comparaître ;

Vu le mémoire en défense présenté pour l'ingénieur général de l'armement JAUBERT par Me Jean-Marie MICHAUD, avocat à la Cour d'appel ;

Vu l'ensemble des pièces qui figurent au dossier et notamment le procès-verbal d'interrogatoire ;

Ouï Melle VENENCIE, conseiller référendaire à la Cour des comptes, en son rapport ;

Ouï le Procureur général de la République en ses conclusions ;

Ouï en ses explications l'ingénieur général de l'armement JAUBERT assisté de son conseil ;

Ouï le Procureur général de la République en ses réquisitions ;

Ouï en sa plaidoirie Me Jean-Marie MICHAUD, l'intéressé et son conseil ayant eu la parole en dernier ;

Considérant que, dans le cadre de la politique dite de diversification, l'ingénieur général de l'armement JAUBERT, directeur des constructions et armes navales de Toulon, a signé le 10 février 1971, avec la compagnie anglaise Sovereign Cruises, représentée par un sieur MORLEY, un contrat de 507 672 francs portant sur les modifications à apporter aux cabines du "Galaxy Queen" ; que ledit contrat prévoyait une possibilité d'exécution de travaux supplémentaires ;

Que ceux-ci, beaucoup plus importants qu'il n'avait été prévu lors de la signature du contrat, furent exécutés en trois tranches, de février à septembre 1971, et s'élevèrent à 5 009 579,50 francs sans que soit signé l'additif prévu au contrat ;

Considérant que si, en avril et mai 1971, la compagnie avait réglé une somme de 773 140 francs correspondant au montant du forfait prévu au contrat et à un léger acompte sur les travaux supplémentaires, elle restait redevable au départ du navire, en septembre 1971, d'une somme de 4 744 111,50 francs dont le montant exact n'a cependant été connu que trois mois plus tard ;

Que le titre émis pour ce montant le 21 janvier 1972 et rendu exécutoire le 28 janvier, n'a pu être encore recouvré ; qu'il en résulte une perte importante pour le compte de commerce des constructions navales, compte spécial du Trésor ;

Considérant que si les difficultés qui ont fait obstacle au recouvrement de cette créance résultent, pour une large part, de la situation juridique complexe du "Galaxy Queen" et des manoeuvres auxquelles ont eu recours les propriétaires du navire pour se soustraire à leurs obligations envers la DCAN de Toulon, elles sont également la conséquence de manquements imputables à l'ingénieur général de l'armement JAUBERT, responsable, en tant que directeur, de la gestion de la DCAN de Toulon ;

Sur les conditions de conclusion et le contenu du contrat

Considérant que l'article 34-21, faisant renvoi à l'article 24-213 de l'instruction n° 62-901 CN/CC du 6 mars 1968 dispose que "(...) la convention ne peut être signée que par le propriétaire du matériel à réparer ou par un mandataire ayant reçu un pouvoir régulier du propriétaire" ; qu'en conséquence, obligation était faite au directeur des constructions et armes navales de s'assurer que M MORLEY avait été investi d'un mandat régulier par la compagnie ;

Considérant qu'en ne procédant pas à cette vérification, l'ingénieur général de l'armement JAUBERT a commis une infraction à l'obligation ci-dessus rappelée ;

Mais considérant que, par lettre du 12 octobre 1970, le groupement des exportateurs de navires et engins de mer en acier "GENEMA" avait présenté à la direction technique des constructions navales M MORLEY comme mandataire de "Sovereign Cruises" avec tous pouvoirs pour négocier ; que copie de cette lettre ayant été adressée par l'administration centrale à la Direction des constructions et armes navales de Toulon, l'ingénieur général de l'armement JAUBERT a estimé qu'il n'était pas nécessaire de procéder à une vérification particulière ;

Considérant que l'article 34-21 faisant référence à l'article 24- 213, alinéa 1er, de l'instruction sus-mentionnée dispose que "l'autorité compétente pour approuver la cession est compétente pour apprécier si le prix de cession devra être versé en totalité ou en partie préalablement à l'exécution des travaux, si une caution personnelle ou solidaire, autorisée à cautionner les marchés de la Marine, doit être constituée ou si le cessionnaire est dispensé à la fois du paiement préalable et de la constitution d'une caution" ;

Considérant que les conditions de paiement prévues au contrat étaient plus favorables que celles mentionnées par l'article 24-212 auquel fait référence l'article 34-21 de l'instruction sus-mentionnée sans qu'ait été exigée la constitution d'une caution ni prise aucune mesure de nature à garantir le paiement des travaux supplémentaires - paiement exigible deux mois après présentation de la dernière facture ;

Considérant qu'en l'espèce, l'ingénieur général de l'armement JAUBERT a estimé qu'il pouvait, sans qu'il y ait lieu d'exiger du client des garanties particulières, retenir les conditions qui, selon lui, étaient habituellement appliquées par les concurrents privés de la DCAN, d'autant qu'aucun élément alors en sa possession n'était de nature à susciter des doutes sur la solvabilité et la bonne foi de son client ;

Considérant en conséquence que, s'il est indéniable que les irrégularités et imprudences ont été commises lors de la signature du contrat, celles-ci ne constituent pas, compte tenu des circonstances particulières de l'affaire, des fautes d'une gravité suffisante pour motiver l'application des sanctions prévues à l'article 5 de la loi du 25 septembre 1948 modifiée ;

Sur les conditions d'exécution du contrat

Considérant que certaines négligences commises au cours de l'exécution du contrat engagent la responsabilité de l'ingénieur général de l'armement JAUBERT ;

Considérant en effet qu'il ne saurait être admis qu'un marché de 0,5 millions de francs, dont l'exécution devait durer sept semaines, puisse conduire à la réalisation pendant 7 mois, sans qu'aucune précaution particulière ne soit prise, de travaux supplémentaires pour un montant dix fois plus élevé ;

Considérant que cette situation résulte de l'organisation défectueuse du service, laquelle est également à l'origine de la prise de conscience tardive du volume des travaux engagés et des importants retards - de 2 à 4 mois - dans la facturation ; qu'il incombait à l'ingénieur général de l'armement JAUBERT, en tant que directeur de l'arsenal, de déterminer la structure de sa direction et les moyens et procédures applicables aux opérations de diversification de manière à permettre le contrôle précis du déroulement de celles-ci et leur correcte exécution sur les plans administratif, comptable et financier autant que technique ;

Considérant que, en méconnaissance tant des dispositions contractuelles que des prescriptions de l'article 24-211 de l'instruction susmentionnée du 6 mars 1968, les travaux supplémentaires n'ont donné lieu à la négociation d'aucun additif ou avenant au contrat initial ; que cette carence a eu des conséquences graves ;

Qu'en effet, la préparation d'un tel document aurait rendu nécessaire une évaluation précise du volume et du montant des travaux supplémentaires ;

Que cette évaluation aurait conduit, par application des règles de compétence, à soumettre ce contrat à l'administration centrale ;

Considérant qu'en poursuivant la réalisation, sous sa seule responsabilité, de cette commande de diversification, l'ingénieur général de l'armement JAUBERT a outrepassé sa compétence telle qu'elle est définie par l'article 3 - 1 de l'instruction susvisée du 6 mars 1968 aux termes duquel "sont considérées comme commandes locales toutes les commandes d'un montant inférieur à 1 000 000 francs pour les cessions de travaux (...)" ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'ingénieur général de l'armement JAUBERT a enfreint les règles de gestion du compte de commerce des constructions navales et est en conséquence passible des sanctions prévues à l'article 5 de la loi du 25 septembre 1948 modifiée ;

Considérant qu'il sera fait une juste appréciation des circonstances de l'affaire en condamnant l'ingénieur général de l'armement JAUBERT à une amende de 5000 francs ;

ARRETE :

Article 1er - L'ingénieur général de l'armement JAUBERT est condamné à une amende de 5000 francs.

Article 2 - Le présent jugement sera publié au Journal Officiel de la République Française.