RÉPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS,

La Cour de discipline BUDGÉTAIRE et financiÈre, siégeant à la Cour des comptes, en audience publique, a rendu l'arrêt suivant :

La Cour,

Vu le titre Ier du livre III du code des juridictions financières, relatif à la Cour de discipline budgétaire et financière ;

Vu le rapport de l'inspection générale des services judiciaires sur la situation budgétaire du tribunal de grande instance (TGI) de Marseille, daté de novembre 1996, communiqué le 26 mai 1997 à la Cour des comptes à la demande du procureur général près ladite cour en application de l'article 19 du décret du 11 février 1985 (devenu l'article R. 141-4 du code des juridictions financières) ;

Vu la lettre en date du 9 juillet 1997 du président de la quatrième chambre de la Cour des comptes au procureur général près ladite cour, enregistrée au parquet général le 10 juillet 1997, lui renvoyant ledit rapport en vue d'une éventuelle saisine par ses soins de la Cour de discipline budgétaire et financière ;

Vu le réquisitoire du 5 septembre 1997 par lequel le procureur général près la Cour des comptes, ministère public près la Cour de discipline budgétaire et financière, a saisi la Cour, de sa propre initiative conformément à l'article L. 314-1 du code des juridictions financières, d'engagements de dépenses par le tribunal de grande instance de Marseille largement supérieurs aux crédits budgétaires disponibles et d'irrégularités répétées concernant leur gestion ;

Vu la décision du président de la Cour de discipline budgétaire et financière du 15 octobre 1997, désignant comme rapporteur M. Jean-Pierre Auger, conseiller référendaire à la Cour des comptes ;

Vu les lettres recommandées du 19 juin 1998 par lesquelles le procureur général a avisé MM. Alphonse Rihet, greffier en chef du tribunal de grande instance de Marseille au moment des faits, retraité, et Jean-Louis Féraud, premier greffier chargé de la gestion des crédits de fonctionnement de cette juridiction, de l'ouverture d'une instruction dans les conditions prévues à l'article L. 314-4 du code susvisé, ensemble les accusés de réception de ces lettres ;

Vu la lettre du procureur général au président de la Cour de discipline budgétaire et financière en date du 9 avril 2001 l'informant de sa décision de poursuivre la procédure, en application de l'article L. 314-4 du code des juridictions financières ;

Vu l'avis émis le 13 juillet 2001 par la ministre de la justice en application de l'article L. 314-5 du code susvisé ;

Vu la décision du procureur général, en date du 10 juin 2002, renvoyant M. Rihet devant la Cour de discipline budgétaire et financière, en application de l'article L. 314-6 du code susvisé, et exonérant de toute responsabilité personnelle M. Féraud ;

Vu la lettre du président de la Cour de discipline budgétaire et financière, en date du 23 juillet 2002, transmettant le dossier à la ministre de la justice, en application des dispositions de l'article L. 314-8 du code susvisé ;

Vu l'avis rendu par la commission consultative paritaire compétente à l'égard du corps des greffiers en chef, dans sa séance du 29 janvier 2003, sur la mise en cause de M. Rihet ;

Vu la lettre recommandée du 5 décembre 2002 de la secrétaire générale de la Cour de discipline budgétaire et financière avisant M. Rihet qu'il pouvait prendre connaissance du dossier suivant les modalités prévues par l'article L. 314-8 du code susvisé, ensemble son accusé de réception ;

Vu le mémoire en défense du 3 janvier 2003, enregistré au greffe de la Cour le 9 janvier 2003, transmis par M. Patrick Lebrun, conseil de M. Rihet ;

Vu la lettre du 24 décembre 2002 par laquelle le procureur général a cité M. Rihet à comparaître devant la Cour de discipline budgétaire et financière, ensemble son accusé de réception ;

Vu la lettre du 29 janvier 2003 de M. Rihet demandant à ne pas comparaître en personne à l'audience et le certificat médical joint ;

Vu l'ensemble des pièces qui figurent au dossier, notamment les procès verbaux d'audition de MM. Rihet et Féraud ainsi que le rapport d'instruction de M. Auger ;

Entendu M. Auger, résumant le rapport susvisé ;

Entendu Mme le procureur général en ses conclusions et réquisitions ;

Entendu en ses observations M. Lebrun, conseil de M. Rihet, qui a eu la parole en dernier ;

Considérant que la personne renvoyée devant la Cour était, au moment des faits, fonctionnaire civil de l'État ; qu'elle est en conséquence justiciable de la Cour en application de l'article L. 312-1 I-b du code des juridictions financières ;

Sur l'amnistie :

Considérant que les amendes qui peuvent être infligées aux auteurs des infractions définies aux articles L. 313-1 à L. 313-10 du code des juridictions financières sont assimilées par l'article L. 313-14 de la même loi aux amendes prononcées par la Cour des comptes en cas de gestion occulte au sens du paragraphe XI de l'article 60 de la loi de finances pour 1963 ; que ces amendes ne sont pas des sanctions disciplinaires ou professionnelles, au sens de la loi du 6 août 2002 portant amnistie ; que cette dernière est, par suite, sans effet sur le renvoi de M. Rihet devant la Cour ;

Sur la prescription :

Considérant que, compte tenu de la saisine de la Cour par le procureur général le 5 septembre 1997, les faits postérieurs au 5 septembre 1992 ne sont pas couverts par la prescription instituée par l'article L. 314-2 du code précité ;

Sur l'absence de sanctions disciplinaires :

Considérant que l'administration judiciaire n'a pas poursuivi M. Rihet, alors qu'il était en activité, devant le conseil de discipline de son corps à la suite du rapport susvisé de novembre 1996 de l'inspection générale des services judiciaires ; que l'absence de sanction disciplinaire n'exonère pas M. Rihet de ses responsabilités devant la Cour ;

Sur les faits :

I - Sur la mauvaise tenue de la comptabilité des engagements du tribunal

            Considérant que, depuis le 1er janvier 1987, en application du décret n° 86-1244 du 8 décembre 1986, les dépenses des juridictions du premier degré de l'ordre judiciaire ont été mises directement à la charge de l'État ; que les règles générales d'application à ces juridictions des principes fondamentaux de la comptabilité publique fixés à la première partie du décret n° 62-1587 du 29 décembre 1962 sont depuis lors celles de l'État fixées à la deuxième partie dudit décret ;

Considérant que la loi du 10 août 1922 relative à l'organisation du contrôle des dépenses engagées oblige à la tenue d'une comptabilité des dépenses engagées ; qu'en application de l'article 98 du décret du 29 décembre 1962 portant règlement général sur la comptabilité publique les engagements sont retracés dans des comptabilités tenues en particulier par les ordonnateurs secondaires dans les limites des délégations qui leur ont été consenties ;

Considérant que, en application du décret n° 82-389 du 10 mai 1982 relatif au pouvoir des préfets et à l'action des services et organismes publics de l'État dans les départements, la fonction d'ordonnateur secondaire des dépenses des services du garde des sceaux tient compte des spécificités de leurs missions ;

Considérant qu'aux termes de l'article R-814-1 du code l'organisation judiciaire, issu du décret n° 83-454 du 2 juin 1983, le chef du secrétariat-greffe d'une juridiction tient la comptabilité administrative des opérations de recettes et de dépenses relatives au fonctionnement de la juridiction ;

Considérant que, pour la mise en oeuvre des textes susmentionnés, une circulaire interministérielle du 17 décembre 1986 a défini le schéma d'organisation administrative et financière retenu pour l'administration des juridictions du premier degré transférée à l'État, ainsi que les modalités de gestion de leurs crédits de fonctionnement et d'investissement ; qu'elle précise la comptabilité à tenir par la juridiction, qui prend trois formes : une comptabilité des factures, une comptabilité des dépenses par imputations budgétaires et une comptabilité des engagements ; que les modalités de la tenue de la comptabilité des engagements ont été simplifiées par une circulaire du ministre de la justice DAGE 89-10 I3 du 3 mai 1989 ; que désormais les montants imputés sur un engagement comptable sont regroupés en un document unique intitulé « comptabilité des commandes et des mandats sur engagement » et qu'un second document présente une situation cumulée de l'ensemble des engagements ;

Considérant que la circulaire du 17 décembre 1986 précitée rappelle que « conformément à la loi du 10 août 1922, l'engagement comptable d'une dépense doit précéder son engagement juridique » et qu'« il est donc interdit aux services de contracter un engagement juridique sans s'être assurés au préalable de l'existence d'une autorisation d'engagement qui garantit la mise en réserve des crédits nécessaires au règlement de la dépense » ;

Considérant qu'une circulaire CD - 3909 du 8 août 1991 du ministre délégué au budget a rénové les procédures d'engagement comptable des crédits ; qu'elle précise que toute dépense doit donner lieu à engagement spécifique, sauf les cas pour lesquels la faculté d'engagement provisionnel est ouverte ; qu'elle exclut expressément de la procédure des engagements provisionnels un certain nombre de cas, dont notamment les dépenses impayées de la gestion précédente qui doivent faire l'objet d'un engagement spécifique ; qu'elle a bien été diffusée au tribunal de grande instance de Marseille où elle est arrivée le 14 avril 1992 et qu'elle a été rappelée à l'attention du greffier en chef par le préfet des Bouches-du-Rhône le 1er octobre 1993 et par les chefs de la cour d'appel d'Aix-en-Provence le 14 février 1994 ;

Considérant cependant que la comptabilité des engagements du tribunal de grande instance de Marseille tenue pendant les années 1992 à 1995 ne retrace pas les commandes et que seuls les mandats donnent lieu à une imputation sur l'engagement comptable des crédits ; qu'il s'ensuit que la comptabilité du tribunal ne permet pas de connaître le montant des crédits réellement disponibles pour l'engagement de la juridiction, mais seulement le montant des crédits qui restent disponibles pour le mandatement ;

Considérant que cette pratique, qui ne prend pas en compte les commandes dans la comptabilité des engagements, est contraire à l'obligation de tenir une comptabilité des dépenses engagées, telle qu'elle résulte des textes susmentionnés et telle qu'elle a été explicitée par les instructions comptables édictées par le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, le ministre de la justice et le ministre délégué au budget conformément à l'article 10 du décret précité du 29 décembre 1962 ; qu'elle constitue une violation des règles d'exécution des dépenses de l'État et qu'elle tombe sous le coup des dispositions de l'article L. 313-4 du code des juridictions financières ;

II - Sur l'engagement des dépenses au-delà des crédits ouverts

Considérant qu'en l'absence de prise en compte des commandes dans la comptabilité des engagements du tribunal, des factures ont été reçues de fournisseurs à la suite de commandes alors que les crédits disponibles pour mandatement étaient insuffisants ; que ces factures ont alors été mises en attente à la juridiction jusqu'à ce que des délégations de crédits permettent de demander à l'ordonnateur secondaire, le préfet des Bouches-du-Rhône, l'émission des mandats correspondants ;

            Considérant que cette situation est ancienne ; qu'ainsi, à la fin de l'exercice 1989, le montant des impayés s'élevait déjà à 0,26 M€ (1,7 MF), selon les constatations mêmes des chefs du TGI et du greffier en chef alors en fonctions ; que cependant la mise en place d'un pilotage strict de la gestion du budget par un comité budgétaire institué par les chefs de la juridiction en 1988 avait permis de ramener ce montant à 0,11 M€ (0,7 MF) à l'issue de l'exécution du budget 1991, selon les comptes rendus de réunion de ce comité ; que les engagements pris par le tribunal en 1991, estimés sur la base des factures émises cette année-là par les fournisseurs, avaient été inférieurs de 0,06 M€ (0,4 MF) aux crédits ouverts ; qu'ainsi, lors de l'installation le 16 septembre 1991 du nouveau greffier en chef, M. Rihet, la situation budgétaire du tribunal était en voie d'assainissement ;

Considérant que ledit comité budgétaire a tenu sa dernière réunion le 19 septembre 1991 et que le contrôle des chefs du TGI ne s'est alors exercé qu'au vu des états comptables ; qu'un rapport, en apparence rassurant, d'une mission conduite par l'inspection des greffes sur la situation budgétaire du tribunal en mars et avril 1992 et sollicitée par M. Rihet à la suite de son entrée en fonctions sans qu'un procès-verbal de passation de service ait pu être dressé, avait conclu à un budget particulièrement bien tenu au niveau de la comptabilité ;

Considérant que de 1992 à 1995 la situation budgétaire du tribunal s'est à nouveau détériorée ; qu'en effet, le montant des impayés à la fin de l'exercice 1995 s'élevait à 0,59 M€ (3,9 MF) ; que les dépenses engagées ont dépassé les crédits ouverts de 0,14 M€ (0,9 MF) en 1992, de 0,05 M€ (0,3 MF) en 1993, de 0,24 M€ (1,6 MF) en 1994 et de 0,03 M€ (0,2 MF) en 1995, sans qu'il soit possible de déterminer exactement les engagements en cause ;

Considérant cependant qu'en 1994, au regard de la répartition indicative des crédits faite entre les postes de dépenses par les chefs de la cour d'appel d'Aix-en-Provence une fois arrêté le montant des crédits alloués, les commandes passées par le tribunal de grande instance de Marseille pour ses fournitures courantes [0,55 M€ (3,6 MF)] ont dépassé de 0,2 M€ (1,3 MF) le montant des crédits attribués pour ce poste [0,35 M€ (2,3 MF)] ; qu'elles ont même été supérieures de 0,17 M€ (1,1 MF) à la demande de crédits faite pour elles initialement par les chefs du TGI [0,38 M€ (2,5 MF)] ; que le montant des crédits ouverts arrêté par la cour d'appel était pourtant en rapport avec l'activité du tribunal ; que les commandes de fournitures courantes relevaient du greffier en chef ;

Considérant qu'à la fin de l'exercice 1994, le montant des factures impayées s'élevait déjà à 0,56 M€ (3,7 MF), alors que les crédits ouverts pour 1995 [2,12 M€ (13,9 MF)] étaient pour plus de la moitié [1,14 M€ (7,5 MF)] affectés aux marchés publics et aux dépenses d'intérêt commun et gérés directement par les services de la préfecture ; que dans ces conditions, plus de la moitié des crédits restant à la disposition du tribunal en 1995 [0,98 M€ (6,4 MF)] se trouvait hypothéquée par les impayés des années antérieures ; que la situation budgétaire était alors devenue critique comme l'a reconnu M. Féraud, adjoint du greffier en chef, lors de son audition le 19 janvier 1996 par les chefs du TGI ;

Considérant que l'engagement de dépenses au-delà des crédits ouverts est contraire au principe du caractère limitatif des crédits édicté par l'article 11 de l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances applicable à l'époque ; qu'en effet les lois de finances des années 1988 à 1995 ne spécifiaient pas le chapitre 37-92 du budget du ministère de la justice, où sont inscrits les crédits de fonctionnement des juridictions du premier degré, parmi ceux dotés de crédits évaluatifs ou provisionnels, et qu'ainsi les crédits délégués pour le fonctionnement du tribunal de grande instance de Marseille étaient limitatifs ; que cette pratique constitue également une transgression des limites fixées à l'engagement des dépenses par l'article 97 du décret du 29 décembre 1962 portant règlement général sur la comptabilité publique ; qu'elle est à ce double titre constitutive d'une violation des règles d'exécution des dépenses de l'État et tombe ainsi sous le coup des dispositions de l'article L. 313-4 du code des juridictions financières ;

III - Sur le report irrégulier de dépenses d'un exercice sur l'autre

Considérant que, pour éviter leur rejet par l'ordonnateur pour insuffisance de crédits, des factures étaient laissées impayées en fin d'année en attente au tribunal ; qu'elles étaient présentées à l'ordonnateur secondaire pour imputation sur le ou les budgets suivants lorsque des crédits étaient disponibles ; que concomitamment les factures n'étaient pas prises en charge dans la comptabilité du tribunal le jour de leur arrivée, mais à la date de leur transmission à l'ordonnateur pour mandatement ; que cette pratique a conduit à une imputation irrégulière de dépenses engagées au cours d'un exercice sur les exercices suivants ; qu'il en est résulté également une tenue défectueuse de la comptabilité des factures et une mise à jour tardive de l'inventaire comptable des matériels ; qu'ainsi les matériels inscrits à l'inventaire entre le 16 février 1995 et le 22 février 1995, à la date de proposition de mandatement des dépenses correspondantes, visent des factures datées, les plus anciennes, de juin 1994 et, les plus récentes, de décembre 1994 ;

Considérant que le montant des dépenses engagées les années antérieures ainsi imputées sur le budget de chacun des exercices en période non prescrite a atteint 0,14 M€ (0,9 MF) en 1992, 0,27 M€ (1,8 MF) en 1993, 0,3 M€ (2 MF) en 1994, 0,53 M€ (3,5 MF) en 1995 et 0,59 M€ (3,9 MF) en 1996 ; que la moitié environ des quelque 800 factures imputées sur le budget 1995 concernait des engagements contractés au titre du budget de 1994, avec une date de prise en charge en 1995 ; que sur le budget 1996 ont été imputées 38 factures datées de 1994 pour un montant de 0,03 M€ (0,2 MF) et 547 factures datées de 1995 pour un montant de 0,56 M€ (3,7 MF) ;

Considérant que ces pratiques de report de charges d'un exercice sur l'autre sont contraires aux dispositions des articles 11 et 16 de l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances alors en vigueur et du décret n° 86-451 du 14 mars 1986 qui dispose que les engagements de dépenses s'imputent sur les crédits du budget de l'année en cours (article 6) et qui précise dans quelles limites les réimputations sur l'exercice suivant sont possibles (articles 7 à 9) ;

Considérant que, de 1993 à 1995, aucun crédit n'a été affecté sur un engagement comptable annuel spécifique pour couvrir les impayés des années antérieures ; que cette pratique est contraire aux dispositions de la circulaire précitée CD - 3909 du 8 août 1991 du ministre délégué au budget et de sa circulaire d'application aux juridictions judiciaires signée par le ministre de la justice le 24 mars 1992 ;

Considérant que la tenue systématiquement ajournée de la comptabilité des factures est contraire à la circulaire précitée du 17 décembre 1986, qui précise que cette comptabilité, assimilable au livre-journal de la comptabilité privée, est à tenir autant que possible au jour le jour ;

Considérant que les retards importants apportés au règlement des factures contreviennent aux dispositions des articles 178 et 357 du code des marchés publics alors en vigueur, lesquelles prévoyaient l'intervention du mandatement dans un délai à compter de la réception de la facture fixé à 45 jours jusqu'en 1994, puis à 35 jours ;

Considérant que les retards constatés dans la tenue des inventaires sont contraires aux dispositions de l'article 54 du décret du 29 décembre 1962 portant règlement sur la comptabilité publique ; que la tenue défectueuse des inventaires est de surcroît une violation de l'article R. 812-2 du code de l'organisation judiciaire ;

Considérant que le report de dépenses d'un exercice sur l'autre est une infraction aux règles d'exécution des dépenses de l'État ; qu'il n'est pas prouvé cependant que l'imputation irrégulière des dépenses correspondantes avait pour objet de dissimuler les dépassements de crédits ; que ce report a entraîné la commission d'autres violations à ces règles ; que ces violations sont sanctionnées par l'article L. 313-4 du code des juridictions financières ;

IV - Sur les autres irrégularités

Considérant que des achats sur factures ont été effectués au-delà du seuil de passation d'un marché public fixé à l'article 123 du code des marchés publics alors en vigueur et porté à 45 734,7 € (300 000 F) par le décret du 3 juillet 1990 ; qu'ainsi, de 1992 à 1995, en l'absence de suivi des commandes par fournisseurs, des factures ont été réglées en dépassement de ce seuil à la papeterie Mouret [76 690,5 - (503 057 F) en 1992, 63 349 - (415 542 F) en 1993, 92 793,6 - (608 686 F) en 1994 et 74 132,9 - (486 280 F) en 1995] ; qu'il en a été de même avec la société Sud Buro Reprographie de 1993 à 1995 [76 265,7 € (500 270 F) en 1993, 86 672,9 € (568 537 F) en 1994 et 81 155,2 € (532 343 F) en 1995] ; qu'il n'est pas prouvé que l'absence de passation de marchés a procuré à ces sociétés un avantage injustifié ;

Considérant que des dépenses ont été engagées par le greffier en chef du tribunal au-delà de ses compétences ; qu'en effet, des dépenses relatives aux travaux d'entretien immobilier lourd et d'équipement qui, aux termes de la circulaire précitée du 17 décembre 1986, ne relèvent pas de la compétence des juridictions du premier degré, ont été prises en charge par le TGI sur ses crédits de fonctionnement courant ; qu'il en avait été ainsi en 1989, 1990 et 1991 ; qu'il en a été de même en période non prescrite, mais pour des montants moindres, M. Rihet prenant en charge trois factures d'un montant total de 11 758,9 € (77 133 F) payées en 1994 et 1995 à la société Spie Trindel pour des travaux effectués notamment dans le self et la cafétéria et sur le système de sécurité ; que le règlement de telles dépenses relevait des crédits du chapitre 35-10, « services judiciaires, entretien des bâtiments », du budget du ministère de la justice gérés à la cour d'appel ;

Considérant que ces irrégularités sont constitutives de violations des règles d'exécution des dépenses de l'État et qu'elles tombent ainsi sous le coup des dispositions de l'article L. 313-4 du code des juridictions financières ;

Sur les responsabilités :

Considérant que, aux termes des articles R. 812-1 et R. 812-2 du code de l'organisation judiciaire, les chefs du tribunal de grande instance, à savoir son président et le procureur de la République, sont responsables de son fonctionnement et que le greffier en chef, qui participe à la préparation du budget, gère les crédits de fonctionnement de la juridiction sous leur contrôle ; que les chefs de juridiction ne peuvent se substituer au greffier en chef dans l'exercice de ses fonctions ;

Considérant que M. Rihet, greffier en chef, a été responsable de la gestion des crédits de fonctionnement du tribunal de grande instance de Marseille pendant la période postérieure au 5 septembre 1992 et jusqu'en 1996 inclus ;

Considérant que, aux termes de la circulaire interministérielle du 17 décembre 1986, la comptabilité de la juridiction est tenue par le greffier en chef ; que la mauvaise tenue de la comptabilité des engagements du tribunal est donc imputable à M. Rihet ; que cependant l'absence de comptabilisation des engagements juridiques était une pratique antérieure à son arrivée ; qu'elle avait été relevée par la mission précitée d'inspection des greffes qui a estimé toutefois que les crédits disponibles n'en demeuraient pas moins suivis scrupuleusement ; que sa responsabilité est donc atténuée ;

Considérant que la responsabilité des dépassements des autorisations d'engagement de 1992 à 1995, qui ont représenté un montant de 0,46 M€ (3 MF) pendant cette période, découle de la mauvaise tenue de la comptabilité des engagements ; qu'elle est entièrement imputable à M. Rihet en sa qualité de responsable de la gestion des crédits ;

Considérant que le report irrégulier des dépenses d'un exercice sur l'autre est imputable à M. Rihet, seul responsable des propositions de mandatement au préfet des Bouches-du-Rhône, ordonnateur des dépenses du tribunal ; que le fait que l'ordonnateur n'ait pas cherché jusqu'en 1996 à faire respecter l'obligation nouvelle faite par la circulaire précitée du 8 août 1991 de réserver des crédits de chaque exercice pour faire face aux impayés des gestions antérieures, et sans d'ailleurs que le trésorier-payeur-général des Bouches-du-Rhône, chargé du contrôle financier, ait relevé cette carence, atténue la responsabilité de M. Rihet ;

Considérant que les défaillances constatées dans la tenue de la comptabilité des factures et de la comptabilité spéciale des matières sont imputables au greffier en chef, M. Rihet ; qu'elles étaient toutefois antérieures à son arrivée ;

Considérant que les achats sur factures pour des montants dépassant le seuil de passation d'un marché public sont imputables à M. Rihet ; que les charges indues supportées par la juridiction en raison de l'engagement de dépenses d'entretien lourd qui ne relevaient pas de la compétence reconnue au gestionnaire des crédits de fonctionnement lui sont également imputables ; que cependant le règlement de telles dépenses, d'un montant réduit pendant les fonctions de M. Rihet, a pu être encouragé par le magistrat de la cour d'appel délégué à l'équipement ;

Considérant qu'en quittant ses fonctions en 1998, M. Rihet avait réduit le montant des dépassements globaux de crédits des années antérieures au tribunal de grande instance (TGI) de Marseille ; qu'il y a lieu, enfin, de tenir compte de ses états de services ;

Sur le montant de l'amende :

Considérant qu'il sera fait une juste appréciation des circonstances de l'affaire en infligeant une amende de 1 000 euros à M. Rihet ;

Sur la publication :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de publier le présent arrêt au Journal officiel de la République française ;

Arrête :

Article 1er : M. Rihet est condamné à une amende de 1 000 € (mille euros).

Article 2 : Le présent arrêt sera publié au Journal officiel de la République française.

Délibéré par la Cour de discipline budgétaire et financière, le 14 février 2003, par M. Logerot, Premier président de la Cour des comptes, président, M. Fouquet, président de la section des finances du conseil d'État, vice-président, M. Massot, président de section au Conseil d'État maintenu en activité, M. Martin, conseiller d'État, M. Capdeboscq, conseiller maître.

Lu en séance publique le vingt trois avril deux mille trois.

En conséquence, la République mande et ordonne à tous huissiers de justice sur ce requis de mettre ledit arrêt à exécution, aux procureurs généraux et aux procureurs de la République près les tribunaux de grande instance d'y tenir la main, à tous commandants et officiers de la force publique de prêter main-forte lorsqu'ils en seront légalement requis.

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le Président de la Cour et le greffier.

Le Président,                          Le greffier,

François LOGEROT              Maryse LE GALL