LA COUR,

Vu la loi n° 48-1484 du 25 septembre 1948 modifiée tendant à sanctionner les fautes de gestion commises à l'égard de l'Etat et de diverses collectivités en portant création d'une Cour de discipline budgétaire et financière ;

Vu la décision en date du 27 juin 1984, enregistrée au Parquet le 9 août 1984, par laquelle la Cour des comptes a saisi la Cour de discipline budgétaire et financière d'irrégularités constatées dans la gestion du centre hospitalier spécialisé de PREMONTRE (Aisne) ;

Vu le réquisitoire du Procureur général de la République en date du 20 décembre 1984 transmettant le dossier à la Cour de discipline budgétaire et financière ;

Vu la décision du Président de la Cour de discipline budgétaire et financière du 4 juillet 1985 désignant comme rapporteur M. CHABROL, conseiller référendaire à la Cour des comptes ;

Vu l'accusé de réception de la lettre recommandée adressée par le Procureur général de la République le 3 février 1986 à M. Paul CHATEL, ancien directeur du CHS de Prémontré, l'informant de l'ouverture d'une instruction et l'avisant qu'il était autorisé à se faire assister soit par un mandataire, soit par un avocat ou un avoué, soit par un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ;

Vu l'avis émis le 14 octobre 1986 par le Ministre délégué auprès du Ministre de l'Economie, des Finances et de la Privatisation, chargé du Budget ;

Vu l'avis émis le 9 avril 1987 par le Ministre des Affaires sociales et de l'emploi ;

Vu les conclusions du Procureur général de la République en date du 29 avril 1987, renvoyant M. CHATEL devant la Cour de discipline budgétaire et financière ;

Vu la lettre du Président de la Cour de discipline budgétaire et financière en date du 5 mai 1987 demandant au Ministre des Affaires sociales et de l'Emploi de saisir du cas de M. CHATEL la commission administrative paritaire compétente et lui rappelant qu'aux termes de l'article 22, premier alinéa, de la loi précitée du 25 septembre 1948 modifiée, en l'absence d'avis dans le délai d'un mois, la Cour peut statuer ;

Vu l'accusé de réception de la lettre recommandée adressée par le Président de la Cour de discipline budgétaire et financière le 11 septembre 1987 à M. CHATEL, l'avisant qu'il pouvait dans un délai de quinze jours prendre connaissance du dossier de l'affaire, soit par lui-même, soit par mandataire, soit par le ministère d'un avocat, d'un avoué ou d'un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ;

Vu l'accusé de réception de la lettre recommandée adressée le 6 octobre 1987 à M. CHATEL et l'invitant à comparaître ;

Vu le mémoire en défense présenté le 24 octobre 1987 par Me Michel HERMAN, avocat au barreau de Laon, assistant M. CHATEL ;

Vu le rapport d'instruction établi par M. CHABROL et l'ensemble des pièces qui figurent au dossier, notamment le procès-verbal d'interrogatoire ;

Entendu M. CHABROL, conseiller référendaire à la Cour des comptes en son rapport ;

Entendu le Procureur général de la République en ses conclusions ;

Entendu en ses explications M. CHATEL, assisté de Me HERMAN, avocat au barreau de Laon ;

Entendu le Procureur général de la République en ses réquisitions ;

Entendu en sa plaidoirie Me HERMAN et en ses observations M. CHATEL, l'intéressé et son conseil ayant eu la parole les derniers.

Sur la procédure et les droits de la défense :

Considérant que M. CHATEL a fait valoir que, n'ayant pas été entendu préalablement à l'établissement, en 1983, du rapport de l'Inspection générale de l'administration et de l'Inspection générale des Affaires sociales qui figure au dossier, ledit rapport ne peut être retenu par la Cour à l'appui des faits qui lui sont reprochés ;

Considérant que la circonstance ainsi invoquée, à la supposer établie, est sans portée puisqu'au cours de la procédure suivie devant la Cour de discipline budgétaire et financière, M. CHATEL a pu prendre connaissance du dossier complet de l'affaire et ainsi se défendre sur l'ensemble des griefs articulés contre lui.

Sur le fond :

Considérant que des irrégularités ont affecté l'exécution des dépenses et des recettes du Centre hospitalier spécialisé (CHS) de Prémontré.

Sur les irrégularités relevées dans l'exécution des dépenses du CHS :

Considérant que M. CHATEL, directeur du CHS de Prémontré, ayant décidé, pour des motifs personnels, de quitter en 1980 le logement qui lui était attribué dans cet établissement, afin d'habiter dans une maison sise à Prémontré appartenant à son épouse, a bénéficié dans son nouveau domicile de la fourniture gratuite d'électricité et de chauffage dont le règlement était opéré par l'établissement public ;

Considérant que cette situation s'est prolongée jusqu'au 12 mars 1983, date à laquelle M. CHATEL a cessé ses fonctions ;

Considérant qu'un autre agent de l'hôpital, Mme NIVELLE, a profité de ces mêmes prestations gratuites à compter de sa nomination dans les fonctions d'économe en 1979, alors que l'intéressée occupait l'habitation dont elle était propriétaire à Prémontré ;

Considérant qu'aucun texte légal ne permettait à l'établissement public de rembourser les frais de chauffage et d'éclairage de ces agents dès lors qu'ils occupaient un logement personnel ;

Considérant que Mme NIVELLE a bénéficié en outre de l'indemnité égale à 10 % du traitement instituée par l'article 72 du décret n° 891 du 17 avril 1943 au profit des agents ayant droit au logement, à l'éclairage et au chauffage lorsque les établissements hospitaliers ne peuvent leur assurer ces avantages ; qu'il ressort du dossier que l'hôpital disposait à l'époque de logements vacants qui auraient pu lui être attribués ; que dès lors les conditions posées pour l'octroi de cette indemnité n'étaient pas réunies ;

Considérant que les dépenses ainsi exposées par le CHS de Prémontré pour un montant de l'ordre de 100 000 F constituent des infractions aux règles d'exécution des dépenses au sens de l'article 5 de la loi du 25 septembre 1948 modifiée ; que dans la mesure où elles ont abouti à conférer des avantages injustifiés à Mme NIVELLE, elles constituent également une infraction à l'article 6 de ladite loi.

Sur les irrégularités commises dans l'exécution des recettes du CHS

Considérant que certains membres du personnel de l'hôpital ont été employés et certains moyens en matériel de l'établissement utilisés pour effectuer des travaux ou fournir des services au profit de tiers, personnes physiques ou morales, sans contrepartie financière ;

Que l'instruction a établi que des travaux d'entretien des bâtiments ont été effectués par des agents du CHS dans des immeubles que celui-ci louait à titre onéreux alors que ces opérations auraient dû être à la charge des locataires ;

Que toutefois, il y a lieu de reconnaître que l'exécution de ces travaux, en dépassement des strictes obligations du propriétaire, a contribué au maintien en état du patrimoine de l'établissement ;

Considérant que des agents de l'hôpital sont intervenus dans les mêmes conditions pour effectuer des travaux d'entretien et de jardinage dans le nouveau domicile de M. CHATEL, alors même que celui-ci n'était pas la propriété de l'hôpital ;

Considérant que si M. CHATEL a fait valoir que les feuilles d'emploi du temps du personnel utilisé à son domicile correspondaient à des prévisions et non pas à des réalisations et que la rédaction de ces documents n'aurait pas toujours été exacte, il n'en reste pas moins que, même si elles ne peuvent être évaluées avec précision, les interventions des agents hospitaliers sont manifestes ;

Considérant d'autre part, que l'entretien de divers éléments du patrimoine de la commune de Prémontré, tels que la mairie, le cimetière, les espaces verts, le monument aux morts ainsi que la station d'épuration a également, en tout ou partie, été réalisé par des agents de l'hôpital ;

Que de même il était procédé jusqu'en 1983 à l'enlèvement des ordures ménagères au moyen d'un tracteur et d'une remorque appartenant à l'hôpital ; que si des malades, payés par le commune, procédaient à la collecte, il étaient encadrés par du personnel hospitalier conduisant le matériel ;

Considérant que ces prestations rendues à des tiers auraient dû faire l'objet de conventions ou, à tout le moins, au paiement du service rendu ;

Qu'en n'établissant pas les titres de recettes correspondants, M. CHATEL n'a permis ni la constatation ni par conséquent le recouvrement de créances que l'hôpital avait ainsi acquises sur des tiers ; que cette omission constitue une infraction aux règles d'exécution des recettes, passible des sanctions prévues à l'article 5 de la loi du 25 septembre 1948 modifiée ;

Que, même si l'essentiel de la population de Prémontré est composé des agents de l'hôpital et de leur famille, le financement sans contrepartie par cet établissement de prestations qui auraient dû être réglées par la commune constitue un transfert de charges au profit des contribuables de la collectivité, au détriment du budget de l'hôpital lui-même financé sur d'autres ressources et donc un avantage injustifié pour ces contribuables, au sens de l'article 6 de la loi du 25 septembre 1948 modifiée.

Sur les responsabilités encourues :

Considérant que la responsabilité des irrégularités susvisées incombe principalement à M. CHATEL, directeur du CHS de Prémontré, au cours de la période non prescrite s'étendant du 9 août 1979 au 12 mars 1983, date de son admission à la retraite ;

Considérant que les diverses circonstances invoquées par l'intéressé pour sa défense - en particulier sa volonté de mener à bien la mission qui lui avait été confiée de réaliser l'intégration d'un grand établissement psychiatrique en milieu rural et cela malgré l'inadaptation des structures juridiques hospitalières - ne sauraient atténuer très sensiblement sa responsabilité dès lors que M. CHATEL s'est placé lui-même au nombre des bénéficiaires de certaines irrégularités commises, même si elles ont été apparemment tolérées par le conseil d'administration et les autorités de tutelle ;

Considérant toutefois que M. CHATEL peut invoquer à sa décharge le caractère imprécis de la réglementation en matière de logement applicable aux agents des hôpitaux psychiatriques ;

Considérant surtout que l'existence de liens historiques et très étroits entre le CHS et la commune de Prémontré ainsi que l'isolement de l'ensemble par rapport aux agglomérations les plus proches, expliquent l'intérêt qui pouvait s'attacher à la fourniture à la commune des services collectifs indispensables ;

Qu'il y a donc lieu d'admettre que cette circonstance est de nature à atténuer la responsabilité de M. CHATEL pour les faits relevant des relations entre le CHS et la commune ;

Considérant d'autre part, qu'à la suite des injonctions prononcées par la Cour des comptes sur les sommes correspondant aux avantages indus procurés à M. CHATEL et à Mme NIVELLE jusqu'au 31 décembre 1982, un montant total de 109 972,45 F a été reversé par les intéressés à la caisse de l'hôpital ;

Considérant dès lors qu'il sera fait une juste appréciation des circonstances de l'affaire en infligeant à M. CHATEL une amende de 15 000F.

ARRETE :

Article 1er : M. Paul CHATEL est condamné à une amende de quinze mille francs (15 000 F).

Article 2 : Le présent arrêt sera publié au Journal officiel de la République française.