La Cour de discipline budgétaire et financière, siégeant à la Cour des comptes, a rendu l'arrêt suivant :
LA COUR,
Vu la loi n° 48-1484 du 25 septembre 1948 modifiée, tendant à sanctionner les fautes de gestion commises à l'égard de l'Etat et de diverses collectivités et portant création d'une Cour de discipline budgétaire et financière;
Vu la décision notifiée le 20 novembre 1991 et enregistrée au Parquet le même jour, par laquelle la Cour des comptes a saisi la Cour de discipline budgétaire et financière d'irrégularités constatées dans le paiement des primes dites d'impulsion accordées à des dirigeants de la Poste de 1988 à 1990 au titre des contrats de la Caisse nationale de prévoyance placés par le réseau de la Poste ;
Vu le réquisitoire du Procureur général de la République en date du 28 février 1992 transmettant le dossier à la Cour de discipline budgétaire et financière ;
Vu la décision du Président de la Cour de discipline budgétaire et financière du 25 mars 1992 désignant comme rapporteur M. Pierre Paugam, conseiller maître à la Cour des comptes ;
Vu les accusés de réception des lettres recommandées adressées par le Procureur général de la République le 15 juillet 1992 à MM. Maurice Esnoux et Daniel Bretin, receveur principal et ancien receveur principal des postes à Versailles, Marcel Legros et Louis Navarre, anciens receveurs principaux des postes à Paris (rue du Louvre), Poncio Muntaner y Rotger, ancien directeur régional des postes à Paris, Pierre Burgaud, ancien directeur régional des postes d'Ile-de-France-Ouest, Julien Peter, ancien directeur régional des postes d'Ile-de-France-Est, Hugues Capelle, ancien délégué du directeur général des postes pour l'Ile-de-France, Jean Pichon et Jean-Pierre Bodet, anciens directeurs du réseau, Gérard Delage et Yves Cousquer, anciens directeurs généraux, le 26 janvier 1993 à M. Marcel Roulet, ancien directeur général des postes et le 6 avril 1993 à M. Auguste L'Ollivet, ancien receveur principal des postes à Paris, les informant de l'ouverture d'une instruction et les avisant qu'ils pouvaient se faire assister soit par un mandataire dûment autorisé, soit par un avocat, soit par un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de Cassation ;
Vu les lettres du 27 octobre 1993, par lesquelles le Président de la Cour de discipline budgétaire et financière a demandé au ministre de l'économie et au ministre de l'industrie, des postes et télécommunications et du commerce extérieur de faire connaître leur avis ;
Vu la lettre du 20 janvier 1994 par laquelle le ministre de l'économie a indiqué que le dossier ne relevait pas de sa compétence et qu'il l'avait transmis au ministre du budget ;
Attendu que l'absence de réponse du ministre du budget, dans le délai de deux mois qui lui était imparti, ne fait pas obstacle, en application de l'article 19 de la loi du 25 septembre 1948 modifiée, à ce que la Cour de discipline budgétaire et financière puisse statuer sur la présente affaire ;
Vu l'avis émis le 1er février 1994 par le ministre de l'industrie, des postes et télécommunications et du commerce extérieur ;
Vu les conclusions du Procureur général de la République en date du 16 mars 1994 renvoyant MM. Bodet, Burgaud, Capelle, Muntaner y Rotger, Peter et Pichon devant la Cour de discipline budgétaire et financière ;
Vu l'avis émis le 30 septembre 1994 par la commission administrative paritaire des inspecteurs généraux des postes et télécommunications, transmis par le ministre de l'industrie, des postes et télécommunications et du commerce extérieur le 13 octobre 1994 et enregistré au greffe de la Cour le 14 octobre ;
Vu les accusés de réception des lettres recommandées adressées par le secrétaire de la Cour de discipline budgétaire et financière, le 12 octobre 1994, à MM. Bodet, Burgaud, Capelle, Muntaner y Rotger et Peter et le 14 octobre 1994 à M. Pichon, les avisant qu'ils pouvaient dans un délai de quinze jours prendre connaissance du dossier de l'affaire soit par eux-mêmes, soit par un mandataire, soit par le ministère d'un avocat ou d'un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de Cassation ;
Vu les mémoires en défense présentés pour MM. Bodet, Burgaud, Capelle, Muntaner y Rotger, Peter et Pichon, enregistrés au greffe de la Cour le 25 novembre 1994 ;
Vu le permis de citer M. Delage à comparaître comme témoin, délivré le 1er décembre 1994 par le président de la Cour de discipline budgétaire et financière ;
Vu les accusés de réception des lettres recommandées adressées le 22 décembre 1994 par le Procureur général de la République à MM. Bodet, Burgaud, Capelle, Muntaner y Rotger, Peter et Pichon, les citant à comparaître devant la Cour de discipline budgétaire et financière ;
Entendu M. Delage en son témoignage lors de l'audience du 11 janvier 1995 ;
Vu le procès-verbal de ladite audience ;
Vu les conclusions du Procureur général de la République, en date du 9 février 1995, renvoyant M. Delage devant la Cour de discipline budgétaire et financière, aux côtés de MM. Bodet, Burgaud, Capelle, Muntaner y Rotger, Peter et Pichon ;
Vu la lettre, en date du 6 mars 1995, du Président de la Cour de discipline budgétaire et financière au ministre de l'industrie, des postes et télécommunications et du commerce extérieur lui demandant de consulter les commissions administratives paritaires compétentes ;
Attendu qu'en l'absence d'avis des commissions administratives paritaires dans le délai d'un mois, la Cour de discipline budgétaire et financière peut statuer, en application de l'article 22 de la loi du 25 septembre 1948 modifiée ;
Vu les accusés de réception des lettres recommandées adressées par le Président de la Cour de discipline budgétaire et financière le 6 mars 1995 à MM. Delage, Bodet, Burgaud, Capelle, Muntaner y Rotger, Peter et Pichon les avisant de la décision de renvoi complémentaire ;
Vu les lettres, en date du 18 avril 1995, du secrétaire de la Cour de discipline budgétaire et financière à MM. Bodet, Burgaud, Capelle, Delage, Muntaner y Rotger, Peter et Pichon, les invitant à prendre connaissance du dossier ;
Vu la lettre de M. Delage au Président de la Cour de discipline budgétaire et financière, en date du 17 mai 1995 ;
Vu les accusés de réception des lettres recommandées adressées le 24 mai 1995 par le Procureur général de la République à MM. Bodet, Burgaud, Capelle, Delage, Muntaner y Rotger, Peter et Pichon, les citant à comparaître devant la Cour de discipline budgétaire et financière ;
Vu les mémoires en défense présentés pour MM. Bodet, Burgaud, Capelle, Delage, Muntaner y Rotger, Peter et Pichon, enregistrés au greffe de la Cour le 13 juin 1995 ;
Vu l'ensemble des pièces qui figurent au dossier et notamment les procès-verbaux d'audition et le rapport d'instruction établi par M. Paugam ;
Entendu M. Paugam en son rapport ;
Entendu Mme le Procureur général de la République en ses conclusions ;
Entendu en leurs explications MM. Bodet, Burgaud, Capelle, Delage, Muntaner y Rotger, Peter et Pichon, assistés de Me Defrenois ;
Entendu Mme le Procureur général de la République en ses réquisitions ;
Entendu en sa plaidoirie Me Defrenois et en leurs observations MM. Bodet, Burgaud, Capelle, Delage, Muntaner y Rotger, Peter et Pichon, les intéressés et leur conseil ayant eu la parole les derniers ;
Considérant qu'il convient d'examiner successivement la situation des directions d'Ile-de-France et celle de la direction générale de la Poste ;I - En ce qui concerne les directions d'Ile-de-France
Extension sans texte du champ d'application des primes d'impulsion
Sur les irrégularités :
Considérant que l'arrêté du ministre des finances du 21 juin 1955 a institué une "prime d'impulsion" au bénéfice des trésoriers-payeurs généraux, des receveurs particuliers des finances, ainsi que des "directeurs régionaux des services postaux et des directeurs départementaux des postes", destinée à rémunérer leur rôle dans la diffusion et la promotion des produits de la Caisse nationale d'assurance en cas de décès, puis de la Caisse nationale de prévoyance;
Considérant que, compte tenu des changements d'appellation intervenus dans les grades de la Poste depuis 1955, seuls les directeurs régionaux et les chefs de service départementaux des postes pouvaient régulièrement percevoir cette prime ;
Considérant qu'au moment des faits, MM. Amanieu et Olive, administrateurs des PTT, exerçaient respectivement les fonctions de directeur du personnel et de directeur d'exploitation à la direction régionale de Paris, qu'ils n'avaient pas le grade de directeur régional ou de chef de service départemental et n'étaient pas non plus détachés sur un tel emploi ;
Considérant que MM. Amanieu et Olive ont ainsi irrégulièrement perçu des primes d'impulsion d'un montant total de 348 000 F ;
Considérant qu'il est établi que M. Capelle, qui a exercé de mai 1982 à janvier 1991 les fonctions de délégué général du directeur général de la Poste pour l'Ile-de-France, a bénéficié du versement de primes d'impulsion tout au long de cette période ; qu'il a notamment perçu de 1988 à 1990 des primes d'impulsion provenant des trois directions régionales d'Ile-de-France à hauteur de 365 000 F ;
Considérant qu'il résulte des arrêtés ministériels définissant les attributions de la délégation pour la région Ile-de-France, et en particulier des articles 1er et 9 de l'arrêté n° 636 du 5 mars 1986 et des articles 1er et 10 de l'arrêté n° 1434 du 30 mars 1987, que cette délégation fait partie des services de la direction générale ;
Que, dans ces conditions, c'est à tort que M. Capelle, fonctionnaire des services centraux, a perçu des primes d'impulsion, alors que l'arrêté du 21 juin 1955 en réserve le bénéfice à certains fonctionnaires des services extérieurs;
Considérant que l'ensemble des versements irréguliers, non budgétisés et effectués de surcroît pour partie en numéraire, dont ont bénéficié MM. Amanieu, Olive et Capelle, tombe sous le coup des dispositions de l'article 5 de la loi du 25 septembre 1948, qui vise les personnes qui auront "enfreint les règles relatives à l'exécution des recettes et des dépenses de l'Etat" et des dispositions de l'article 6 de la même loi qui vise les personnes qui, "dans l'exercice de [leurs] fonctions ou attributions, [auront], en méconnaissance de [leurs] obligations, procuré à autrui un avantage injustifié, pécuniaire ou en nature, entraînant un préjudice pour le Trésor" ;
Sur les responsabilités :
Considérant que les primes d'impulsion étaient versées aux agents figurant sur des listes établies par les directeurs régionaux, lesquels les faisaient adresser, sous la signature de leurs chefs de cabinet, aux receveurs principaux ;
Considérant que, dans ces conditions, les versements irréguliers effectués pendant la période considérée relèvent de la responsabilité respective des directeurs régionaux d'Ile-de-France en fonction à l'époque des faits, soit, s'agissant des primes versées à MM. Amanieu et Olive, de M. Muntaner y Rotger et, s'agissant de celles versées à M. Capelle, de MM. Muntaner y Rotger, Burgaud et Peter ;
Qu'il y a lieu toutefois d'examiner s'il existe des circonstances de nature à atténuer leurs responsabilités ;
Considérant qu'en ce qui concerne le directeur régional de Paris, dès 1955, une note du ministre des PTT adressée au directeur régional des services postaux à Paris a prévu un système de "répartition spéciale entre le directeur régional et ses collaborateurs" ; que la succession, dans des fonctions identiques, de fonctionnaires tantôt titulaires d'un des grades visés par l'arrêté du 21 juin 1955, tantôt non titulaires de ces grades, est de nature à atténuer fortement la responsabilité encourue par M. Muntaner y Rotger dans les versements intervenus au profit de MM. Amanieu et Olive ;
Qu'en ce qui concerne les versements dont a bénéficié M. Capelle, il est établi, d'une part, que ce régime préexistait à sa prise de fonctions et à celles des directeurs régionaux concernés et, d'autre part, que la délégation générale pour l'Ile-de-France dont il assurait la direction, si elle est organiquement rattachée à la direction générale de la Poste, assure une fonction d'"animation et de coordination" des services extérieurs d'Ile-de-France qui concerne également les produits de la Caisse nationale de prévoyance ; qu'en outre, M. Capelle était membre du comité d'orientation Poste-CNP de l'Ile-de-France ;
Considérant, dès lors, qu'eu égard à l'ensemble des circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'engager la responsabilité de MM. Muntaner y Rotger, Burgaud et Peter au regard des dispositions de la loi du 25 septembre 1948 modifiée du chef des versements irréguliers de primes d'impulsion dont ont bénéficié MM. Amanieu, Olive et Capelle ;
Irrégularités de caractère fiscal
Sur les irrégularités :
Considérant que l'arrêté du ministre des finances du 21 juin 1955 relatif aux primes d'impulsion dispose que ces primes sont pour partie représentatives de frais et donc non imposables à due concurrence ;
Considérant qu'il a été constaté que ces primes ne figuraient pas, contrairement aux primes de propagande et aux autres indemnités, sur les états budgétaires informatisés tenus pour chaque agent, mais qu'elles étaient signalées à l'agent comptable régional des PTT de la région Ile-de-France soit par le chef de service territorial, soit, dans le cas de M. Capelle, par l'intéressé lui-même ;
Que seule la fraction réputée non imposable des primes en cause était portée à la connaissance de l'agent comptable régional ;
Que cette pratique a eu pour effet de rendre impossible l'application, par l'agent comptable régional, du plafonnement à 50 000 F, prévu à l'article 6 de la loi de finances pour 1970, devenu article 83-3 du code général des impôts, des déductions forfaitaires spéciales admises au titre des frais professionnels, alors qu'il est établi que ce plafond aurait dû jouer, compte tenu des indemnités qu'ils percevaient, à l'égard notamment de MM. Muntaner y Rotger, Burgaud, Peter, Viet, Hugues et Capelle ;
Considérant, en outre, que la Cour des comptes, par deux référés en date du 16 novembre 1983, a spécialement appelé l'attention du ministre des PTT sur cette situation en demandant qu'elle fût régularisée ; que dans sa réponse du 19 décembre 1984 à la Cour, le ministre des PTT a indiqué qu'il avait adressé une circulaire en ce sens à ses services ;
Considérant que ces irrégularités tombent sous le coup des dispositions de l'article 5 bis de loi du 25 septembre 1948 qui visent les personnes qui, dans l'exercice de leurs fonctions, "ont omis sciemment de souscrire les déclarations qu'elles sont tenues de fournir aux administrations fiscales" ou "fourni sciemment des déclarations inexactes ou incomplètes" ; que la circonstance que les régularisations nécessaires soient ultérieurement intervenues pour les années non prescrites est sans effet sur l'existence de cette infraction ;
Sur les responsabilités :
Considérant que la non-application du plafonnement des déductions forfaitaires spéciales admises au titre des frais professionnels prévu par l'article 83-3 du code général des impôts n'a subsisté, après l'intervention de la Cour des comptes en 1983, qu'en Ile-de-France ;
Que la persistance d'une telle irrégularité, propre à la région parisienne, est liée à l'existence de modalités particulières de déclaration ; qu'en effet, les primes d'impulsion ne figuraient pas sur les états historiques informatisés tenus pour chaque agent mais étaient signalées chaque année par un courrier particulier du chef de service territorial ;
Considérant, en outre, que la région parisienne se caractérisait à l'époque des faits par l'existence d'un circuit particulier de paiement des primes d'impulsion, dans la mesure où celles-ci n'y étaient pas versées, contrairement aux autres régions, par l'agent comptable régional ; qu'ainsi ce dernier n'était pas en mesure d'appliquer directement le plafonnement de la fraction considérée comme représentative de frais, qu'il dépendait à cet égard des informations transmises par les directeurs régionaux et le délégué général ; que c'est donc bien à ceux-ci qu'il convient d'imputer le caractère inexact et incomplet des informations transmises aux services fiscaux et qu'ils ne sont pas fondés à soutenir que les conditions d'application de l'article 5 bis de la loi du 25 septembre 1948 ne sont pas réunies au motif qu'ils n'auraient pas eu eux-mêmes de rapports directs avec les services fiscaux ;
Qu'ils ne peuvent davantage prétendre que ces erreurs n'ont pas été commises sciemment, puisque, même s'ils n'ont pas eu l'intention de commettre une fraude, ce n'est pas à la suite d'erreurs matérielles, mais en toute connaissance de cause qu'ils ont porté, dans ces déclarations, les informations incomplètes sur le montant des primes versées ;
Considérant toutefois que ces circuits de paiement et d'information sont antérieurs à l'entrée en fonctions de MM. Muntaner y Rotger, Burgaud et Peter et qu'il convient, par ailleurs, de tenir compte de l'importance et de la diversité des tâches qui leur incombaient ;
Considérant que ces circonstances sont de nature à atténuer les responsabilités des intéressés au regard des dispositions de la loi du 25 septembre 1948 modifiée, du chef de la non-application du plafonnement des déductions forfaitaires spéciales admises au titre des frais professionnels prévu par l'article 83-3 du code général des impôts ;
Considérant que M. Capelle n'était ni ordonnateur, ni répartiteur des primes d'impulsion qu'il percevait et qu'il n'entrait pas dans ses attributions de les déclarer à l'agent comptable régional ; qu'il n'a donc pas agi "dans l'exercice des [ses] fonctions" au sens de l'article 5 bis de la loi du 25 septembre 1948 ;
Considérant qu'il sera fait une juste appréciation de l'ensemble des irrégularités concernant les directions régionales d'Ile-de-France en condamnant MM. Muntaner y Rotger, Burgaud et Peter à une amende de mille francs chacun ;
Considérant qu'en revanche, il n'y a pas lieu d'engager la responsabilité de M. Capelle ;
II - En ce qui concerne la direction générale de la Poste
Extension sans texte du champ d'application des primes d'impulsion
Sur les irrégularités :
Considérant que l'arrêté précité du ministre des finances du 21 juin 1955 a institué une "prime d'impulsion" au bénéfice des chefs de service territoriaux de la Poste, destinée à remunérer leur rôle dans la diffusion et la promotion des produits de la Caisse nationale d'assurance en cas de décès, puis de la Caisse nationale de prévoyance ;
Considérant que l'instruction a permis d'établir que de nombreux agents de la direction générale de la Poste, et notamment les directeurs, chefs de service et sous-directeurs, soit près d'une centaine de fonctionnaires en tout, ont perçu à partir de 1987 des primes d'impulsion dont le montant s'élève, pour les seules années 1988 à 1990, à plus de neuf millions six cent mille francs ;
Considérant que ces versements sont contraires aux dispositions de l'arrêté du ministre des finances du 21 juin 1955 ; qu'ils tombent donc sous le coup des dispositions de l'article 5 de la loi du 25 septembre 1948, qui vise les personnes qui auront "enfreint les règles relatives à l'exécution des recettes et des dépenses de l'Etat" et des dispositions de l'article 6 de la même loi qui vise les personnes qui, "dans l'exercice de [leurs] fonctions ou attributions, [auront], en méconnaissance de [leurs] obligations, procuré à autrui un avantage injustifié, pécuniaire ou en nature, entraînant un préjudice pour le Trésor" ; qu'à cet égard, ne saurait être retenu l'argument selon lequel aucun préjudice n'a été causé au Trésor, ces indemnités étant prélevées sur la masse affectée par la Caisse nationale de prévoyance au paiement des primes ; qu'il était en effet prévu par l'avenant du 16 avril 1984 aux conventions entre la Caisse nationale de prévoyance et la Direction générale des postes que la part de cette masse non utilisée au paiement des primes serait mandatée chaque année au profit du budget des PTT ;
Considérant que l'augmentation rapide - et d'ailleurs inégale - des primes d'implusion perçues par les responsables territoriaux de la Poste a suscité, au cours de l'année 1986, des revendications de la part des dirigeants des services centraux, et en particulier des sous- directeurs, qui s'estimaient défavorisés ;
Considérant que, face à ces revendications, le directeur général de l'époque, M. Roulet, a décidé, d'une part de faire verser à chacun des sous-directeurs, au cours de l'été, une somme forfaitaire de 5 000 F et, d'autre part, de confier l'étude de cette question à M. Pichon, alors directeur de la promotion ;
Considérant que les principales conclusions de cette étude ont fait l'objet d'une note de M. Pichon, en date du 26 août 1986, dans laquelle celui-ci indiquait notamment que la réglementation des primes d'impulsion figurait dans l'arrêté du ministre des finances du 21 juin 1955, mais ajoutait que pour réformer ce régime, la modification de cet arrêté ne lui paraissait pas une "solution aisée et rapide", ni "nécessairement efficace" et proposait, en conséquence, de passer outre et de "rechercher une solution d'application auprès de la Caisse des dépôts et consignations" ;
Considérant que le directeur de la promotion a fait à nouveau le point du dossier des primes d'impulsion dans une note, plus brève, du 3 novembre 1986, au directeur général ; que dans une annotation manuscrite, celui-ci a fait part de son accord de principe et donné pour instruction de soumettre le projet au conseil de direction générale et d'informer ensuite les chefs de service régionaux ;
Considérant que le projet d'extension du champ d'application des primes d'impulsion aux principaux dirigeants des services centraux de la Poste a été effectivement présenté par M. Pichon au conseil de direction générale au cours de sa séance du 17 novembre 1986 ; que cette instance purement consultative, dont les membres figuraient parmi les bénéficiaires de la mesure, s'est bornée à en "prendre note" ; que des informations sur le contenu de la réforme envisagée ont ensuite été données aux sous-directeurs à la fin du mois de novembre ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que, si un processus de décision était en cours lors de l'entrée en fonctions de M. Delage comme directeur général de la Poste le 16 décembre 1986, ce processus n'avait abouti à aucune décision formelle ; que ni l'annotation manuscrite de M. Roulet sur la note de M. Pichon du 3 novembre 1986, ni la consultation du conseil de direction générale le 17 novembre suivant, ne sauraient en tenir lieu ; qu'en particulier, la date d'entrée en vigueur de l'extension du champ d'application des primes n'avait pas encore été arrêtée ; qu'à cet égard, le versement, non renouvelable et purement forfaitaire, d'une somme de 5 000 F à chacun des sous-directeurs au cours de l'été 1986 constituait une simple mesure provisoire, prise dans l'attente de la réforme, en cours d'examen, et ne peut donc être regardé comme la mise en oeuvre de cette réforme ;
Sur les responsabilités
Considérant que lors de sa déposition devant la Cour le 11 janvier 1995 en tant que témoin cité par la défense, M. Delage, qui était à l'époque des faits, et depuis le 16 décembre 1986, directeur général de la Poste, a déclaré, sous la foi du serment, qu'il avait donné son "feu vert" à la décision de mise en oeuvre de la réforme ;
Considérant qu'en absence de décision formelle antérieure, il ne saurait être possible de faire le partage entre le "feu vert" que M. Delage aurait donné à la mise en oeuvre d'une décision qui aurait été prise avant son entrée en fonctions et cette décision elle-même, l'un et l'autre se confondant ;
Considérant qu'en ce qui concerne M. Delage, la Cour a été régulièrement saisie par la décision de renvoi du 9 février 1995, puisque celle-ci s'appuie sur le procès-verbal de l'audience du 11 janvier 1995, qui constitue un acte authentique qui fait foi, faute d'avoir été contesté dans les conditions prévues par la loi ;
Considérant que la mise en oeuvre du nouveau système d'intéressement de la Caisse nationale de prévoyance a été effectuée par une lettre de M. Pichon, devenu entre-temps directeur du réseau, adressée le 29 janvier 1987 à la Caisse nationale de prévoyance, par laquelle il demandait à celle-ci de virer la somme nécessaire au receveur principal des postes de Paris-Louvre et lui transmettait l'état de répartition des primes d'impulsion à verser aux nouveaux bénéficiaires ; que, par la suite, lui-même et son successeur M. Bodet ont procédé de la même manière chaque semestre ;
Considérant que, dans ces conditions, l'extension irrégulière du champ d'application des primes d'impulsion aux dirigeants des services centraux de la Poste relève de la responsabilité du directeur général de l'époque, M. Delage, et de celle des deux directeurs successifs du réseau, MM. Pichon et Bodet ; qu'il y a lieu toutefois d'examiner s'il existe des circonstances de nature à aggraver ou à atténuer leurs responsabilités ;
Considérant à cet égard que les motifs d'opportunité qui ont présidé à l'extension du champ d'application des primes d'impulsion, à savoir le souci d'atténuer les disparités existant entre les services extérieurs et de favoriser la mobilité entre ceux-ci et les services centraux, ne sauraient justifier l'irrégularité de la procédure suivie ; que de même, les réformes intervenues ultérieurement sont sans effet sur cette irrégularité ;
Considérant que M. Delage figurait parmi les bénéficiaires de l'extension et a touché à ce titre 223 000 francs pour les seules années 1988 à 1990, qu'il n'a sollicité dans cette affaire aucune décision du ministre ni de son cabinet et ne les a même pas informés ;
Considérant que la responsabilité de M. Delage, qui détenait le pouvoir hiérarchique, tant en application des textes d'organisation du ministère que du fait des délégations de signature consenties par le ministre, apparaît ainsi prédominante ;
Considérant que M. Pichon, directeur d'administration centrale, ne pouvait ignorer les règles régissant l'attribution de rémunérations accessoires aux fonctionnaires de l'Etat et, en particulier, celles qui s'appliquaient aux primes d'impulsion, dont il a eu directement à connaître en sa qualité de directeur de la promotion, puis du réseau, chargé à ces titres des relations de la Poste avec la Caisse nationale de prévoyance ;
Considérant, qu'en ayant omis d'appeler l'attention de M. Delage, lorsque celui-ci est entré en fonctions en décembre 1986, sur les conditions juridiques nécessaires à une extension régulière du champ d'application des primes d'impulsion, M. Pichon a permis et facilité l'irrégularité ;
Considérant que M. Pichon, qui figurait également parmi les bénéficiaires de cette extension et a touché à ce titre 99 500 francs pour les seules années 1988 et 1989, n'a pris ni suggéré de prendre aucune mesure tendant à informer le ministre ou son cabinet de l'importante réforme qui était envisagée ;
Considérant, au contraire, que M. Pichon, en demandant, le 29 janvier 1987, à la Caisse nationale de prévoyance d'effectuer le virement nécessaire auprès de la recette principale des postes de Paris-Louvre, alors que le comptable assignataire des rémunérations des fonctionnaires des services centraux était l'agent comptable des services spéciaux, installé à Arcueil, a entouré la novation en cause du maximum de discrétion ;
Considérant, dans ces conditions, que, si la déclaration de M. Delage indiquant qu'il avait donné son "feu vert" à la mise en oeuvre de l'extension est de nature à atténuer la responsabilité de M. Pichon, elle ne saurait, en l'absence d'ordre écrit, la dégager entièrement ;
Considérant que M. Bodet, qui figurait, lui aussi, parmi les bénéficiaires et a touché à ce titre 139 400 francs pour les seules années 1988 à 1990, s'est borné à appliquer les dispositions prises par son prédécesseur et que cette circonstance est de nature à atténuer sa responsabilité ;
Considérant que les faits incriminés, qui se sont ainsi produits postérieurement au 20 novembre 1986, ne sont pas couverts par la prescription instituée par l'article 30 de la loi du 25 septembre 1948 modifiée ;
Irrégularités de caractère fiscal
Sur les irrégularités :
Considérant que le versement aux agents de la direction générale de la Poste de primes d'impulsion, qualifiées de "compléments de primes de rendement", s'effectuait par un virement de la Caisse nationale de prévoyance au receveur principal des postes de Paris-Louvre, alors que le comptable assignataire des rémunérations des services centraux était l'agent comptable des services spéciaux à Arcueil ; que ces rémunérations accessoires échappaient au traitement informatisé des "indemnités éventuelles" ;
Considérant que les directeurs du réseau successifs ne signalaient à l'agent comptable régional chargé d'établir les déclarations fiscales, que la partie des primes réputée non imposable, soit 45 % du montant de celles-ci ;
Considérant que ces modalités de paiement et de déclaration ont eu pour effet de rendre impossible l'application du plafonnement à 50 000 F, prévu par l'article 6 de la loi de finances pour 1970, devenu article 83-3 du code général des impôts, des déductions forfaitaires spéciales admises au titre des frais professionnels, alors qu'il est établi que ce plafond aurait dû jouer, compte tenu des indemnités qu'ils percevaient, à l'égard au moins de deux hauts fonctionnaires en 1990 ;
Considérant, en outre, que comme il a été indiqué ci-dessus, la Cour des comptes, par deux référés en date du 16 novembre 1983, avait déjà spécialement appelé l'attention du ministre des PTT sur cette situation, en ce qui concerne les agents des services extérieurs, en demandant qu'elle fût régularisée ; que, dans sa réponse faite le 19 décembre 1984 à la Cour, le ministre des PTT a indiqué qu'il avait adressé une circulaire en ce sens à ses services ; que, dans ces conditions, les irrégularités fiscales relevées ci-dessus sont d'autant plus critiquables qu'elles ont été commises dans le cadre d'une extension du champ d'application des primes d'impulsion aux agents des services centraux, décidée en 1987, c'est à dire postérieurement aux observations émises par la Cour des comptes ;
Considérant que ces irrégularités tombent sous le coup des dispositions de l'article 5 bis de la loi du 25 septembre 1948 qui visent les personnes qui, dans l'exercice de leurs fonctions, "ont omis sciemment de souscrire les déclarations qu'elles sont tenues de fournir aux administrations fiscales" ou "fourni sciemment des déclarations inexactes ou incomplètes" ; que la circonstance que les régularisations nécessaires soient ultérieurement intervenues est sans effet sur l'existence de cette infraction ;
Sur les responsabilités :
Considérant que le recours à la recette principale des postes de Paris-Louvre, pour effectuer le versement des primes d'impulsion aux agents des services centraux résultait des dispositions prises en 1987 par M. Pichon, alors directeur du réseau ;
Considérant que ce sont les directeurs du réseau successifs, M. Pichon puis M. Bodet, qui ont adressé à l'agent comptable régional d'Ile-de-France des informations incomplètes et inexactes sur le montant des primes d'impulsion ainsi versées ; que la responsabilité de M. Pichon est la plus importante dans la mesure où il a été à l'origine de l'irrégularité ; que la responsabilité de M. Bodet, qui a seulement suivi les errements de son prédécesseur, est moins engagée ; que c'est donc bien à ceux-ci qu'il convient d'imputer le caractère inexact et incomplet des informations transmises aux services fiscaux et qu'ils ne sont pas fondés à soutenir que les conditions d'application de l'article 5 bis de la loi du 25 septembre 1948 ne sont pas réunies au motif qu'ils n'auraient pas eu eux-mêmes de rapports directs avec les services fiscaux ;
Qu'ils ne peuvent davantage prétendre que ces erreurs n'ont pas été commises sciemment, puisque, même s'ils n'ont pas eu l'intention de commettre une fraude, ce n'est pas à la suite d'erreurs matérielles, mais en toute connaissance de cause qu'ils ont porté dans ces déclarations les informations incomplètes sur le montant des primes versées ;
Considérant qu'il sera fait une juste appréciation de l'ensemble des irrégularités concernant la direction générale de la Poste en condamnant M. Delage à une amende de cent mille francs, M. Pichon à une amende de dix mille francs et M. Bodet à une amende de mille francs ;
ARRETE :
Article 1er : M. Gérard Delage est condamné au paiement d'une amende de cent mille francs ;
Article 2 : M. Jean Pichon est condamné au paiement d'une amende de dix mille francs ;
Article 3 : MM. Poncio Muntaner y Rotger, Julien Peter, Pierre Burgaud et Jean-Pierre Bodet sont condamnés au paiement d'une amende de mille francs chacun ;
Article 4 : M. Hugues Capelle est relaxé des fins de la poursuite ;
Article 5 : La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.
Fait et jugé en la Cour de discipline budgétaire et financière, le vingt-huit juin mil neuf cent quatre-vingt-quinze, rendu public le deux octobre mil neuf cent quatre-vingt-quinze.
Présents : M. Joxe, Premier président de la Cour des comptes, Président ; M. Galmot, président de section au Conseil d'Etat, vice- président ; Mme Bauchet, conseiller d'Etat, MM. Isnard et Campet, conseillers maîtres à la Cour des comptes, membres de la Cour de discipline budgétaire et financière ; M. Paugam, conseiller maître à la Cour des comptes, rapporteur.
En conséquence, la République mande et ordonne à tous huissiers de justice sur ce requis de mettre ledit arrêt à exécution, aux procureurs généraux et aux procureurs de la République près les tribunaux de grande instance d'y tenir la main, à tous commandants et officiers de la force publique de prêter main-forte lorsqu'ils en seront légalement requis.
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le Président de la Cour et le Greffier.