Vu la loi n° 48-1484 du 25 septembre 1948 modifiée tendant à sanctionner les fautes de gestion commises à l'égard de l'Etat et de diverses collectivités et portant création d'une Cour de discipline budgétaire et financière ;
Vu la décision du 18 octobre 1979, enregistrée au Parquet le 12 décembre 1979 par laquelle la Cour des comptes a saisi la Cour de discipline budgétaire et financière d'irrégularités constatées dans la gestion des crédits de la direction des Monnaies et médailles, notamment entre 1974 et 1978 et imputées à M. DEHAYE, directeur des Monnaies et médailles, à M. LAPASSADE, directeur-adjoint, à M. PATON, chef de bureau et à M. POLI, agent-comptable ;
Vu le réquisitoire du procureur général de la République en date du 24 mars 1980 transmettant le dossier à la Cour de discipline budgétaire et financière ;
Vu la décision du président de la Cour de discipline budgétaire et financière du 10 juillet 1985 désignant comme rapporteur M. JEAN- BAPTISTE, conseiller référendaire à la Cour des comptes, en remplacement de M. OLIVIER, maître des requêtes honoraire au Conseil d'Etat, initialement chargé de l'instruction par décision du 27 mars 1980 ;
Vu les accusés de réception des lettres recommandées adressées par le procureur général de la République le 21 novembre 1980 à MM. LAPASSADE, PATON et POLI et le 3 décembre 1981 à M. DEHAYE, les informant de l'ouverture d'une instruction et les avisant qu'ils pouvaient se faire assister soit par un mandataire dûment autorisé, soit par un avocat ou un avoué, soit par un avocat au conseil d'Etat et à la Cour de cassation ;
Vu l'avis émis le 26 avril 1983 par le ministre de l'Economie, des finances et du budget ;
Vu les conclusions du procureur général de la République en date du 26 mai 1983 renvoyant MM. DEHAYE, LAPASSADE, PATON et POLI devant la Cour de discipline budgétaire et financière ;
Vu les mémoires en défense présentées par M. POLI le 19 décembre 1984, par M. DEHAYE le 28 janvier 1985, par Me Marie-Geneviève THENAUT, avocat à la cour d'appel de Paris, le 14 avril 1985 pour M. PATON et le 18 avril 1985 pour M. LAPASSADE ;
Vu les accusés de réception des lettres recommandées adressées le 24 octobre 1985 à MM. DEHAYE, LAPASSADE, PATON et POLI et les invitant à comparaître ;
Vu l'ensemble des pièces qui figurent au dossier et notamment les procès-verbaux d'interrogatoire ;
Entendu M. JEAN-BAPTISTE en son rapport ;
Entendu M. le procureur général de la République en ses conclusions ;
Entendu en leurs explications, MM. DEHAYE, PATON et POLI ainsi que Me THENAUT pour M. LAPASSADE ;
Entendu M. le procureur général de la République en ses réquisitions ;
Entendu en leurs observations respectives MM. DEHAYE, PATON et POLI ainsi que Me THENAUT pour M. LAPASSADE, les intéressés ayant eu la parole les derniers ;
Considérant que la gestion des personnels du service des Monnaies et médailles a été marquée par la pratique constante, notamment de 1974 à 1978, de dépassements des crédits ouverts à cet effet au budget annexe, et en particulier des crédits limitatifs affectés aux traitements (chapitre 01-61), aux primes et indemnités (chapitre 03-61), aux salaires (chapitre 04-61) ainsi qu'aux charges connexes (chapitre 05- 61) ;Considérant que les dépenses en dépassement, réglées suivant la procédure de paiement sans ordonnancement préalable, étaient portées à un compte d'attente, puis ultérieurement imputées au budget de l'année suivante par le moyen d'ordonnances de régularisation comportant de fausses indications ; que ces imputations irrégulières, portant sur des sommes croissantes pendant les dernières années, ont atteint un montant cumulé dépassant 10 millions de francs au 31 décembre 1977 ; qu'elles avaient pour objet et pour effet d'enfreindre la règle de l'annualité budgétaire édictée par l'article 16 de l'ordonnance organique du 2 janvier 1959 ;
Considérant que, pour masquer les dépassements, certaines régularisations et spécialement en 1977 celles des "primes différentielles" aux fonctionnaires techniques, ont été imputées sur des crédits ouverts pour d'autres objets, en violation de la règle de la spécialité des crédits ;
Considérant enfin que certaines ordonnances de régularisation ont été émises pour des montants supérieurs aux paiements à imputer, le service constituant ainsi sur le compte d'attente une "masse de manoeuvre" permettant de couvrir des dépenses irrégulières, notamment des primes aux fonctionnaires de l'administration centrale affectés aux Monnaies et médailles, des remboursements de frais d'hôtel pour cures thermales, et la prime "informatique" versée au personnel ouvrier ;
Considérant que ces faits sont constitutifs des infractions prévues aux articles 5 et 3 de la loi du 25 septembre 1948 modifiée ;
Considérant que certaines des dépenses de personnel ainsi engagées et payées en l'absence de crédits ou au delà des crédits disponibles présentaient elles-mêmes un caractère irrégulier qui aurait fait obstacle à l'octroi de dotations budgétaires ; qu'il en est allé ainsi de certaines rémunérations pour heures supplémentaires interdites par les textes, de certaines primes dépourvues de base réglementaire, de la prime informatique étendue aux ouvriers, des frais d'hôtel remboursés sous forme d'heures supplémentaires fictives ;
Considérant que ces diverses irrégularités constituent tant des infractions aux règles d'exécution des dépenses de l'Etat visées par l'article 5 de la loi du 25 septembre 1948 que des infractions visées par l'article 6 de cette loi, dès lors qu'elles procuraient à certains agents des avantages injustifiés, au préjudice du service des Monnaies et médailles ;
Considérant que M. DEHAYE n'est pas intervenu personnellement et directement dans le recours aux procédures incriminées, dont il n'est pas établi qu'il ait eu connaissance avant que ses services ne lui en révèlent les mécanismes à la fin de 1977 ; que ces pratiques sont d'ailleurs très antérieures à sa nomination en 1962 à la direction des Monnaies et médailles ;
Considérant d'autre part que M. DEHAYE se heurtait à la difficulté de remettre en cause des avantages accordés depuis fort longtemps à certaines catégories d'agents ; que l'institution de la seule rémunération irrégulière dont il a pris l'initiative, l'extension à des personnels ouvriers de la prime "informatique" des agents techniques, a été portée par ses soins à la connaissance de la direction du personnel du ministère des finances, qui s'est abstenue de prendre position ;
Considérant que, depuis de nombreuses années avant la nomination de M. DEHAYE., la conjonction d'accommodements dans les procédures et d'anomalies dans les rémunérations, ceux-là permettant et dissimulant celles-ci, avait pris figure de coutume tacitement tolérée ;
Considérant toutefois qu'à partir de 1974 jusqu'en 1977, l'importance des irrégularités commises et notamment des dépassements de crédits s'est considérablement accélérée sans que M. DEHAYE ait été amené à en prendre conscience de lui-même ; qu'il n'a pu en aller ainsi que par l'effet d'une attention insuffisante portée depuis longtemps à l'évolution des dépenses du service et à la sincérité des budgets proposés, puis exécutés sous sa responsabilité ; que la connaissance de ces budgets et la surveillance de leur exécution devaient être une préoccupation essentielle du directeur, dont les autres tâches, pour diverses qu'elles fussent, ne pouvaient être correctement assurées en dehors du respect des autorisations budgétaires ;
Considérant que la responsabilité personnelle de MM. LAPASSADE et PATON, respectivement directeur adjoint et chef de bureau des Monnaies et médailles, est engagée par les pratiques irrégulières en cause, puisqu'ils en assuraient matériellement et directement la mise en oeuvre, sans pouvoir pour autant exciper d'ordre écrit donné par leur supérieur hiérarchique dans les conditions prévues par l'article 8 de la loi du 25 septembre 1948 ; qu'au surplus leur qualité d'administrateurs du ministère des Finances, qu'ils partageaient avec leur directeur, aurait dû les inciter à ne pas recourir à des pratiques contraires aux principes budgétaires et comptables que l'administration des finances a pour mission de faire respecter.
Considérant que M. POLI, agent comptable des Monnaies et médailles, ne saurait arguer de sa totale ignorance des irrégularités commises, à l'exécution desquelles il participait ; que d'autre part la position subalterne qu'il allègue avait sa contrepartie, au moins partielle, dans son statut de comptable public ; que cependant le visa des ordonnances de régularisation par le contrôleur financier ne pouvait être tenu par lui comme dépourvu de toute signification ; que d'autre part le renforcement spectaculaire du personnel de l'agence comptable après son départ ne peut être interprété que comme la reconnaissance par l'administration centrale de l'extrême insuffisance des moyens dont il avait disposé ; que sa responsabilité, en l'espèce indépendante de celle qu'il a pu encourir en tant que comptable public, ne saurait être mise sur le même plan que celle de MM. DEHAYE, LAPASSADE et PATON ; qu'il n'en convient pas moins d'en reconnaître l'existence par l'infliction d'une amende modérée ;
Considérant qu'il sera fait une juste appréciation de l'ensemble des circonstances de l'affaire en condamnant MM. DEHAYE, LAPASSADE et PATON à une amende de 10 000 F chacun et M. POLI à une amende de 1 000 F.
ARRETE :
Article 1er : M. DEHAYE, ancien Directeur des Monnaies et médailles, est condamné à une amende de 10 000 F.
Article 2 : M. LAPASSADE, ancien Directeur adjoint des Monnaies et médailles est condamné à une amende de 10 000 F.
Article 3 : M. PATON, ancien Chef de bureau des Monnaies et médailles est condamné à une amende de 10 000 F.
Article 4 : M. POLI, ancien agent-comptable des Monnaies et médailles est condamné à une amende de 1 000 F.
Article 5 : Le présent arrêt sera publié au Journal officiel de la République française.