Vu la loi n° 48-1484 du 25 septembre 1948 complétée par les lois n° 55-1069 du 6 août 1955 et n° 56-1193 du 26 novembre 1956, tendant à sanctionner les fautes de gestion commises à l'égard de l'Etat et de diverses collectivités et portant création d'une Cour de discipline budgétaire ;
Vu l'article 76 de la loi n° 50-928 du 8 août 1950 étendant à l'Algérie la compétence de la dite Cour et les articles 209 et suivants du décret n° 50-1413 du 13 novembre 1950 portant règlement d'administration publique relatif au régime financier de l'Algérie ;
Vu la lettre enregistrée au Parquet de la Cour le 6 janvier 1959 par laquelle la Commission de vérification des comptes des entreprises publiques a, en vertu de l'article 16 de la loi du 25 septembre 1948, saisi la Cour de discipline budgétaire d'irrégularités relevées à l'occasion de l'examen des comptes et de la gestion de la section Algérienne de l'Office National Interprofessionnel des Céréales (SAONIC) ;
Vu le réquisitoire de M le Procureur général de la République en date du 26 mars 1959 transmettant le dossier au président de la Cour de discipline budgétaire ;
Vu la décision du président de la Cour de discipline budgétaire du 14 avril 1959 désignant comme rapporteur M THERRE, conseiller référendaire à la Cour des comptes ;
Vu les accusés de réception des lettres adressées le 21 novembre 1959 au sieur René BENEDETTI, le 10 mars 1960 au sieur JAFFARD, et le 28 mars 1960 au sieur SERVEL, les informant de l'ouverture d'une instruction et les avisant qu'ils étaient autorisés à se faire assister soit par un mandataire, soit par un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ;
Vu le mandat donné en date du 30 avril 1960 par le sieur BENEDETTI à son fils BENEDETTI pour le représenter devant la Cour tant à l'instruction qu'à l'audience ;
Vu l'avis émis le 2 novembre 1960 par le secrétaire général pour les affaires algériennes ;
Vu l'avis émis le 9 décembre 1960 par le ministre de l'agriculture ;
Vu les avis émis le 9 février 1961 et le 24 mars 1961 par le ministre des finances et des affaires économiques ;
Vu les avis émis les 21 juin 1961 et 7 novembre 1961 par les commissions administratives paritaires compétentes, sur communication du dossier faite aux dites commissions en application de l'article 19 de la loi du 25 septembre 1948 ;
Vu les conclusions du Procureur général de la République en date du 27 novembre 1961 renvoyant les sieurs BENEDETTI, SERVEL et JAFFARD devant la Cour de discipline budgétaire ;
Vu les accusés de réception des lettres recommandées en date du 28 novembre 1961, avisant les sieurs BENEDETTI, SERVEL et JAFFARD qu'ils pouvaient dans un délai de quinze jours, prendre connaissance du dossier de l'affaire au secrétariat de la Cour, soit par eux-mêmes, soit par mandataire, soit par le ministère d'un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ;
Vu les mémoires présentés le 5 janvier 1962 par le sieur JAFFARD, le 13 janvier 1962 par Me J.E. BLOCH, pour le sieur SERVEL ;
Vu les accusés de réception des lettres recommandées en date du 28 février 1962 invitant les sieurs SERVEL et JAFFARD à comparaître ;
Vu l'accusé de réception de la lettre recommandée en date du 1er mars 1962 invitant le sieur BENEDETTI à comparaître à l'effet de représenter son père ;
Vu les autres pièces du dossier et, notamment, les procès-verbaux d'interrogatoire ;
Ouï M THERRE, conseiller référendaire à la Cour des comptes, en son rapport ;
Ouï le Procureur général de la République en ses conclusions ;
Ouï les sieurs SERVEL et JAFFARD en leurs explications ;
Ouï en leur qualité de témoins M SALA, sous-directeur de l'office national interprofessionnel des céréales, et M BARBUT, inspecteur général de l'agriculture ;
Ouï le Procureur général de la République en ses réquisitions ;
Ouï les observations du sieur JAFFARD, du sieur SERVEL et de son mandataire Me J.E. BLOCH qui ont eu la parole les derniers ;
Vu le télégramme parvenu le 20 mars 1962 par lequel le sieur BENEDETTI, cité à comparaître et qui ne s'est pas présenté, invoque l'impossibilité matérielle où il se trouve de se rendre à l'audience, ensemble le mémoire en défense présenté par le sieur Gérard BENEDETTI au nom de son père, René BENEDETTI ;
Considérant que, pour assurer le financement des campagnes céréalières en Algérie, les organismes stockeurs pouvaient émettre, en application des articles 17 et 23 de la loi du 15 août 1936 codifiée par le décret du 30 novembre 1957, deux catégories distinctes d'effets commerciaux : les effets de céréales et les effets dits de trésorerie ; que les effets de céréales devaient être obligatoirement couverts par les stocks effectivement détenus par les coopératives ; que les effets de trésorerie, permettant de régler aux producteurs leurs premières livraisons de grains sans attendre le financement sur effets de céréales, ne pouvaient être émis que dans une limite déterminée en fonction du volume de commercialisation, et devaient être entièrement remboursés avant la fin de la première année de campagne ; que ces deux catégories d'effets devaient être revêtus de l'aval de la section Algérienne de l'Office National Interprofessionnel des Céréales (SAONIC) avant d'être présentées à l'escompte des caisses de crédit agricole ;Considérant que l'aval donné par la SAONIC aux effets émis par les coopératives et présentés à l'escompte de la Caisse Algérienne de Crédit Agricole Mutuel (CACAM) constitue un engagement de dépenses qui peut être et a d'ailleurs été en fait générateur de paiements effectifs ; que par suite les règles relatives à l'octroi des avals sont partie intégrante des règles d'exécution des dépenses de la SAONIC, et que leurs violations sont constitutives d'infractions à celles-ci ;
Considérant que le sieur SERVEL, directeur du comité départemental des céréales de Constantine, service local de la SAONIC, a, postérieurement au 3 janvier 1955, donné l'aval de celle-ci à des effets de céréales émis au titre de la campagne 1955-56 par la Coopérative des Céréales de l'Ouest Constantinois (CCOC) et s'élevant à un total de 516 226 683 francs ; que ces avals, donnés au vu d'états fournis par la direction de ladite coopérative, excédaient à concurrence de 316 969 466 francs la valeur des stocks de céréales effectivement détenus par la CCOC ; qu'en exécution de l'aval donné par elle la SAONIC a dû, sur mise en demeure de la CACAM, honorer à concurrence de la dite somme de 316 969 466 francs les effets non gagés ;
Considérant qu'il ne résulte pas de l'instruction que les divers documents dont disposait le sieur SERVEL, lorsqu'il a apposé sa signature sur les dits effets pour le compte de la SAONIC, faisaient apparaître des discordances entre les stocks détenus par la CCOC et les effets présentés par elle ; que par suite il n'est pas établi que, dans les circonstances de la cause, il ait commis une faute en ne contestant pas la régularité des effets ; que dès lors il ne peut être retenu à son encontre d'infraction aux règles d'exécution des dépenses de la SAONIC ;
Considérant qu'il est établi et qu'il n'est pas contesté qu'à de multiples reprises, depuis 1952, le sieur BENEDETTI, directeur de la SAONIC, avait été averti, soit par les services de la CACAM, soit par la direction de l'agriculture du gouvernement général, du caractère suspect de la gestion de la CCOC, et de la discordance entre ses stocks et les effets présentés par elle à l'aval, mais qu'il a négligé ou refusé d'en tenir compte ; que le service d'inspection de la SAONIC, recevant d'une part le relevé des effets avalisés, d'autre part le relevé des situations de stocks d'entrée et de sorties établies pour l'assiette des redevances fiscales et visées par l'administration des contributions diverses, rapprochait mois par mois ces données et suivait ainsi l'ampleur du découvert ; que néanmoins le sieur BENEDETTI n'a mis aucun obstacle à l'octroi des avals aux effets céréales présentés par la CCOC ; qu'il a dès lors enfreint les règles relatives à l'exécution des dépenses de la SAONIC ;
Considérant qu'il est établi que le sieur BENEDETTI a, par plusieurs décisions postérieures au 3 janvier 1955, prescrit la prorogation, au delà de la limite réglementaire du 31 décembre, d'effets de trésorerie souscrits par la CCOC au titre des campagnes céréalières 1954-1955 et 1955-1956, et que la SAONIC a dû finalement, sur mise en demeure de la CACAM, honorer ces effets à concurrence de 90 millions ; que le sieur BENEDETTI a également enfreint de ce chef les règles relatives à l'exécution des dépenses de la SAONIC ;
Considérant que le sieur BENEDETTI, tant par lui-même que par sa famille immédiate, a tiré un profit personnel des irrégularités qu'il a commises en faveur de la CCOC ; qu'en effet la coopérative lui avait consenti personnellement des avances dont le montant fut arrêté, tous intérêts bloqués au 1er juin 1957, à 4 170 000 francs, et qu'elle avait consenti à son épouse et au frère de celle-ci, le sieur FRANCESCHI, en excédent de la valeur des livraisons de céréales faites par eux au titre de l'exploitation agricole dont ils étaient copropriétaires, des avances dont le montant total, également arrêté au 1er juin 1957, fut de 41 376 663 francs ;
Considérant qu'il sera fait une juste appréciation de l'ensemble des circonstances de l'affaire en infligeant au sieur BENEDETTI une amende de 15 000 NF ;
Considérant qu'il est établi que le sieur JAFFARD, sous-directeur de la SAONIC, a, par deux décisions du 6 janvier 1956 et 6 avril 1956, autorisé la prorogation, au delà de la limite réglementaire du 31 décembre, d'effets existants, et l'aval d'effets de trésorerie supplémentaires, émis par la CCOC ; qu'il n'est toutefois pas contesté que ces deux décisions ont été prises par lui alors qu'il savait que la commission de vérification des comptes des entreprises publiques avait été déjà saisie des conclusions de l'enquête effectuée sur les agissements de la CCOC, et qu'il n'avait eu d'autre souci que de prendre une mesure provisoire dans l'attente d'un apurement dont les modalités étaient à l'étude ;
Considérant qu'au surplus la seconde de ces décisions a été prise par lui avec l'accord et sur l'invitation écrite du directeur de l'agriculture et du secrétaire général adjoint pour les affaires économiques ; que si le statut, imprécis à l'époque, de la SAONIC, permet de douter du caractère juridique exact du lien de subordination du sieur JAFFARD à l'égard du directeur de l'agriculture et du secrétaire général adjoint, il résulte de l'instruction et des débats que ceux-ci ont entendu donner des directives impératives, au demeurant inspirées des considérations d'intérêt général, auxquelles le sieur JAFFARD n'était pas en mesure, eu égard à l'ensemble de ces circonstances, de se soustraire ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'il ne peut être retenu, à l'encontre du sieur JAFFARD, de faute justifiant une sanction au titre de la loi du 25 septembre 1948 ;
ARRETE :
le sieur BENEDETTI est condamné à une amende de 15 000 NF (quinze mille nouveaux francs) ;
Les sieurs SERVEL et JAFFARD sont relaxés des fins de la poursuite.