LA COUR,

Vu la loi n° 48-1484 du 25 septembre 1948 modifiée, tendant à sanctionner les fautes de gestion commises à l'égard de l'Etat et de diverses collectivités et portant création d'une Cour de discipline budgétaire et financière ;

Vu le réquisitoire du 18 décembre 1987 par lequel le Procureur général de la République a saisi la Cour de discipline budgétaire et financière d'irrégularités ayant affecté la gestion du centre hospitalier spécialisé de SAINT-VENANT ;

Vu la décision du Président de la Cour de discipline budgétaire et financière en date du 4 mars 1988 désignant comme Rapporteur M. CHABROL, Conseiller référendaire à la Cour des comptes ;

Vu l'accusé de réception de la lettre recommandée adressée par le Procureur général de la République le 19 juillet 1988 à M. Raymond DURAND, l'informant de l'ouverture d'une instruction et l'avisant qu'il était autorisé à se faire assister soit par un mandataire, soit par un avocat, soit par un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ;

Vu l'accusé de réception de la lettre recommandée, rédigée dans les mêmes termes, adressée le 22 septembre 1988 à M. René GEORGES ;

Vu les accusés de réception des lettres recommandées, rédigées dans les mêmes termes, adressées le 17 octobre 1988 à MM. Gaston DUFOUR, Bernard MERIAU et Roger DECONINCK ;

Vu les avis émis le 2 juin 1989 par le ministre délégué chargé du budget et le 15 juin 1989 par le ministre de la Solidarité, de la Santé et de la protection Sociale ;

Vu les conclusions du Procureur général de la République en date du 22 septembre 1989 renvoyant devant la Cour de discipline budgétaire et financière MM. DURAND, GEORGES, MERIAU et DUFOUR et prononçant un non lieu en ce qui concerne M. DECONINCK ;

Vu la lettre du ministre de la Solidarité, de la Santé et de la protection Sociale en date du 25 janvier 1990 faisant part du décès de M. MERIAU ;

Vu l'avis émis le 12 février 1990 par la commission nationale paritaire compétente à l'égard du personnel de direction des établissements d'hospitalisation publics concernant la situation de M. DURAND, ancien directeur du Centre hospitalier spécialisé de SAINT- VENANT, et de M. GEORGES, directeur du centre hospitalier spécialisé de SAINT-VENANT ;

Vu l'avis émis le 21 février 1990 par la commission administrative paritaire départementale n° 3, siégeant en conseil de discipline, concernant la situation de M. DUFOUR, adjoint technique principal au Centre hospitalier spécialisé de SAINT-VENANT ;

Vu les accusés de réception des lettres recommandées adressées par le Président de la Cour de discipline budgétaire et financière le 16 mars 1990 à MM. DURAND, GEORGES et DUFOUR les avisant qu'ils pouvaient dans un délai de quinze jours prendre connaissance du dossier de l'affaire soit par eux-mêmes, soit par mandataire, soit par le ministère d'un avocat, d'un avoué ou d'un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ;

Vu les accusés de réception des lettres adressées par le Procureur général de la République le 27 avril 1990 à MM. DURAND, GEORGES et DUFOUR les citant à comparaître devant la Cour de discipline budgétaire et financière ;

Vu l'ensemble des pièces qui figurent au dossier, et notamment les rapports d'enquêtes administratives, les procès-verbaux d'audition et le rapport d'instruction établi par M. CHABROL ;

Vu les mémoires en défense et productions présentés par Me VIER, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, pour M. GEORGES le 2 mai 1990 et par Me ODENT, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, pour M. DURAND le 4 mai 1990 ;

Entendu M. CHABROL, Conseiller référendaire à la Cour des comptes, en son rapport ;

Entendu le Procureur général de la République en ses conclusions ;

Entendu en leurs explications MM. DURAND, assisté de Me ODENT, GEORGES, assisté de Me VIER et M. DUFOUR ;

Entendu le Procureur général de la République en ses réquisitions ;

Entendu en leurs plaidoiries Me ODENT et Me VIER et en leurs observations MM. DURAND, GEORGES et DUFOUR, les intéressés et leurs conseils ayant eu la parole les derniers ;

Sur la compétence de la Cour

Considérant que la loi n° 82-13 du 2 mars 1982, en créant les chambres régionales des comptes, s'est bornée à répartir les compétences antérieurement dévolues à la Cour des comptes entre cette dernière et les chambres régionales des comptes ; qu'elle n'a donc eu ni pour objet ni pour effet de modifier la compétence de la Cour de discipline budgétaire et financière à l'égard de tout représentant, administrateur ou agent des organismes dont les comptes, depuis son entrée en vigueur, sont ou peuvent être vérifiés par une chambre régionale des comptes ;

Considérant que le centre hospitalier spécialisé de SAINT-VENANT, établissement public départemental, est soumis, depuis le 1er janvier 1983, en application de l'article 87 (1er alinéa) de la loi n° 82-213 du 2 mars 1982 modifiée au contrôle de la chambre régionale des comptes du Nord-Pas-de-Calais en premier ressort et à celui de la Cour des comptes par la voie de l'appel ; qu'en conséquence les "représentants, administrateurs ou agents" de cet établissement public local sont, en vertu de l'article 1er de la loi susvisée du 25 septembre 1948 modifiée, justiciables de la Cour de discipline budgétaire et financière ;

Sur le fond

Considérant que diverses irrégularités ont affecté, d'une part, l'exécution de certaines dépenses de l'hôpital, d'autre part la tenue de la comptabilité de stocks ;

Sur les irrégularités ayant affecté l'exécution des dépenses

Considérant que le centre hospitalier spécialisé de SAINT-VENANT, établissement public local, est soumis pour la réalisation de travaux, fournitures et services aux dispositions du livre III du code des marchés publics ;

Qu'en vertu de l'article 321 dudit code, l'hôpital peut effectuer des achats ou réaliser des travaux sur simples mémoires ou factures dans le cas où le montant annuel présumé, toutes taxes comprises, de ces achats ou travaux n'excède pas la somme de 150 000 F (montant fixé à 180 000 F à compter du 12 janvier 1985) ;

Que pour des travaux, fournitures ou services dont la valeur ne dépasse pas, pour le montant total de l'opération, la somme de 350 000 F, l'établissement peut, en application de l'article 309 du code des marchés publics et de l'arrêté interministériel du 7 janvier 1982, conclure des marchés négociés ;

Qu'au-delà d'un montant de 350 000 F par opération, le centre hospitalier est tenu, conformément à l'article 279 du code des marchés publics, de procéder par adjudication ou appel d'offres, sauf exceptions prévues aux articles 312 et 312 bis du même code ;

Considérant qu'au cours des exercices 1983 et 1984, diverses acquisitions de produits textiles et alimentaires ainsi que des travaux de peinture ont été réalisés en fractionnant volontairement les commandes entre différentes entreprises dont certaines n'étaient en réalité que des prête-noms pour le véritable fournisseur ou entrepreneur ;

Que l'établissement s'est ainsi irrégulièrement affranchi des différents seuils précités et soustrait à l'obligation de mise en concurrence imposée par le code des marchés publics ;

S'agissant des acquisitions de produits textiles

Considérant qu'au cours des exercices 1983 et 1984, le CHS a eu recours à trois fournisseurs apparemment distincts pour divers achats de produits textiles portant sur des articles de nature identique ou similaire ;

Que si l'un des fournisseurs, la SARL FROMENT, avait effectivement la qualité de négociant en vêtements, les deux autres tenaient respectivement un bureau de tabacs (MAIRESSE) et un commerce d'appareils électroménagers (CLAINQUART) ;

Considérant que les montants cumulés des mandats émis par l'hôpital ont atteint 483 434,07 F au profit de ces trois fournisseurs en 1983 et 243 279,14 F au profit des deux premiers en 1984 (FROMENT et MAIRESSE) ; qu'en outre une commande de draps passée à la maison MAIRESSE pour plus de 130 000 F en 1984 a été annulée à la suite de l'enquête ouverte sur les activités réelles de ce fournisseur en 1984 ; que toutefois la livraison a été effectuée et réglée directement au fabricant en 1985 ;

Considérant qu'il a pu être établi à partir d'une enquête des services fiscaux que des pièces et éléments de dossiers archivés au CHS que les entreprises MAIRESSE et CLAINQUART n'étaient en réalité que des prête-noms de la société FROMENT ; que le rapport d'enquête fiscale, figurant au dossier d'instruction, met formellement en évidence l'existence d'une entente entre la SARL FROMENT et les deux autres entreprises et la mise en oeuvre d'un système de facturation destiné à éviter le franchissement du seuil à partir duquel la conclusion d'un marché public est obligatoire ;

Considérant que différentes pièces détenues par l'hôpital montrent que les services hospitaliers ne pouvaient ignorer l'existence de tels circuits commerciaux ; qu'il en va notamment ainsi de factures à en- tête de la société CLAINQUART révélant précisément sa spécialisation dans l'électroménager ou encore d'une correspondance, jointe à deux factures du 15 juillet 1983 au nom de CLAINQUART, adressée à M. GEORGES par l'entreprise FROMENT, lui indiquant le détail des colis, et complétée par un bon de livraison faisant clairement apparaître cette dernière entreprise comme le véritable expéditeur ;

Considérant qu'il résulte des montants globaux de commandes passées par l'hôpital en 1983 et 1984 que l'établissement était tenu de procéder à une consultation sur appel d'offres, et, en admettant même que le montant annuel des achats ne pût être prévu de manière rigoureuse, à la passation d'un marché négocié ;

Considérant que ce mécanisme de fractionnement artificiel des commandes, délibérément accepté dès l'origine par M. GEORGES en sa qualité de directeur-adjoint chargé des services économiques a eu pour conséquence de faire irrégulièrement application de l'article 321 du code des marchés publics ; que cette violation des dispositions dudit code constitue une infraction aux règles d'exécution de la dépense tombant sous le coup des dispositions de l'article 5 de la loi du 25 septembre 1948 modifiée ;

Considérant en outre que la vérification de la comptabilité de la société FROMENT par les services fiscaux a révélé que le "service rendu" à M. FROMENT par ses prête-noms à l'occasion des refacturations au CHS était rémunéré par l'octroi d'une commission fixée à 5 % de la valeur facturée hors taxe, sous forme de note d'avoir ;

Que de surcroît une majoration du coefficient de bénéfice brut habituellement pratiqué et donc des prix unitaires facturés a été appliquée de façon assez large lors de certaines facturations au CHS ; que cette constatation résulte de comparaisons effectuées par les services fiscaux à partir de la comptabilité de la société FROMENT ;

Que dès lors l'ensemble du montage précédemment décrit a contribué à procurer à autrui un avantage pécuniaire injustifié au préjudice de l'hôpital, au sens de l'article 6 de la loi du 25 septembre 1948 modifiée ;

S'agissant des achats de produits alimentaires

Considérant que pour s'approvisionner dans ce secteur, le CHS a eu recours à diverses entreprises par l'intermédiaire d'un représentant multicartes, M. Jean-Marie BEGHIN, lui-même gérant de l'une des sociétés concernées ; que dans trois cas, ce système d'achat recouvre des faits de nature similaire à ceux décrits précédemment en matière d'acquisition de produits textiles ;

Considérant que des marchés négociés d'un montant de 350 000 F ont été conclus par l'hôpital, d'une part avec l'entreprise SOVIPA, d'autre part avec l'entreprise EDE et RUY pour chacun des exercices 1983 et 1984 ; que ces deux fournisseurs ont livré globalement diverses marchandises relevant d'un catalogue commun pour un montant global de 724 184,97 F en 1983 et 529 506,51 F en 1984 ;

Considérant que ces deux sociétés implantées à Vienne (Isère) avaient le même gérant et disposaient d'un même représentant auprès du CHS ;

Qu'en outre, depuis le 31 juillet 1981, la SOVIPA avait cédé sa clientèle "collectivités et hôtels" et ses marques commerciales à la SARL "conserves et salaisons du Dauphiné" autrement dénommée EDE et RUY ;

Considérant en outre qu'en 1983 une commande de pâtisserie industrielle strictement identique à deux autres commandes facturées pendant la même période par EDE et RUY a été réglée, par mandat d'un montant de 57 122,34 F, à une certaine entreprise POLETTE de Riom (Puy- de-Dôme) spécialisée en charcuterie ;

Que la livraison afférente à cette commande correspondait à un bon de commande émis le 17 mars 1983 sous la signature de M. GEORGES et adressée à l'entreprise POLETTE ;

Que le bon de transport, le bon de livraison et le bordereau des entrées en magasin font apparaître que les produits ont été expédiés par EDE et RUY ;

Qu'un autre bon de commande émis le 20 mai 1983 également à l'intention de l'entreprise POLETTE sous la signature de M. GEORGES, pour les mêmes articles et le même montant, a servi de référence à une facture établie par EDE et RUY le 3 juin 1983 ;

Que le caractère contradictoire des explications données par M. GEORGES indique à l'évidence la difficulté de justifier a posteriori l'existence de circuits complexes et artificiels dans lesquels les services de l'hôpital ont fini par s'embrouiller ;

Considérant qu'en tout état de cause la maison POLETTE qui n'avait, comme l'a confirmé la direction régionale des impôts de Clermont- Ferrand, qu'une activité de fabrication et distribution de charcuterie, n'a pu intervenir que comme prête-noms pour EDE et RUY ; que le montant total des achats effectués auprès de cette dernière société se monte en réalité à 435 077,83 F pour l'exercice 1983 ;

Que cette dissimulation conjuguée avec la passation d'un marché séparé d'un montant de 30 084,53 F a eu pour objet d'éviter un dépassement du montant du marché principal avec EDE et RUY qui n'a ainsi atteint que 347 872,96 F ;

Considérant enfin que les marchés passés tant avec SOVIPA qu'avec EDE et RUY n'étaient accompagnés ni du rapport motivant le devis du fournisseur et exposant le déroulement des négociations avec le titulaire ni d'indications relatives à l'existence d'une mise en compétition par consultation écrite, au moins sommaire ;

Qu'ainsi ces marchés négociés ont été conclus dans des conditions irrégulières car ne respectant pas les procédures imposées par les articles 312 ter et 308 du code des marchés publics ;

Considérant qu'en procédant au fractionnement occulte des commandes de produits alimentaires entre deux fournisseurs pour éviter le recours à la procédure d'appel d'offres rendue obligatoire par l'application conjointe des articles 295 et 309 du code des marchés publics, en acceptant l'intervention d'une troisième société comme prête-nom pour échapper aux mêmes contraintes dans le cas du marché négocié passé en 1983 avec EDE et RUY, et en ne respectant pas même les procédures prévues pour la passation des marchés négociés, les services économiques du CHS ont commis une série de violations des dispositions du code des marchés publics qui constituent des infractions aux règles d'exécution des dépenses de l'hôpital exposant leurs auteurs aux sanctions prévues par l'article 5 de la loi du 25 septembre 1948 modifiée ;

Considérant en outre que dans le cadre du marché négocié de 350 000 F passé par l'hôpital avec EDE et RUY en 1984, une commande de 6 000 doses de potage, livrées en janvier 1984, a été facturée à un prix unitaire hors taxe de 27,50 F nettement supérieur à celui qui était porté sous la même référence pour ces articles dans le barème du fournisseur servant de base aux prix du marché ;

Considérant que l'article 4 du marché stipule : "les prix consentis par les fournisseurs sont ceux en vigueur au stade de gros au moment des commandes, sauf conditions particulières établies d'un commun accord entre les deux parties au moment desdites commandes" ;

Que la différence totale de 70 860 F HT résultant de l'écart constaté entre les prix facturés et les prix de catalogue n'a pu être justifiée ni par une convention particulière, ni par un dossier technique précisant la spécificité du produit en cause ;

Que l'établissement public a ainsi enfreint les règles d'exécution de ses dépenses au sens de l'article 5 de la loi du 25 septembre 1948 modifiée ;

Que, toutefois, des lettres du fournisseur ayant précisé que les produits livrés et facturés sous des références correspondant à des articles de son catalogue étaient différents de ces derniers et que cette différence justifiait un prix plus élevé, la preuve n'a pas été apportée que les services de l'hôpital aient ainsi procuré à autrui un avantage pécuniaire injustifié ;

Considérant que le 15 juillet 1984 l'hôpital a adressé un bon de commande à la société CARSALADE de Grenade (Haute-Garonne) pour la fourniture de 5 000 doses de potage au prix unitaire de 25,29 F (HT) ;

Que le CHS avait préalablement passé commande d'autres produits alimentaires à la SARL APCOL de Vitrolles (Bouches-du-Rhône) dont le gérant était M. Jean-Marie BEGHIN déjà mentionné ;

Que le 28 août 1984, l'ensemble de ces commandes était livré directement par une troisième société ASTRA-CALVE de Courbevoie (Hauts- de-Seine) qui avait adressé au CHS, le 25 août 1984, une facture de 98 704,53 F correspondant à ladite livraison ;

Que l'annulation de cette facture adressée par erreur par ASTRA- CALVE au CHS alors qu'elle était destinée aux établissements APCOL et les factures adressées respectivement par APCOL et CARSALADE à l'hôpital pour les mêmes produits et pour un montant global de 180 089,09 F ont permis d'établir l'existence d'un fractionnement de commandes de produits alimentaires entre deux fournisseurs (APCOL et CARSALADE) doublé d'un circuit de facturations successives entre ASTRA- CALVE et ces deux sociétés ;

Considérant, en premier lieu, que le fractionnement a eu pour effet, si l'on se réfère au chiffre d'affaires réel de la société APCOL avec l'hôpital en 1984, soit 404 151,15 F, de faire échapper l'hôpital à l'obligation de procéder par appel d'offres dès lors que le montant total des achats présumés dépassait le seuil de 350 000 F ;

Qu'en outre, les produits alimentaires en cause ont été commandés sans la moindre référence à un barème de prix fourni par les prétendus vendeurs ;

Qu'en violant ainsi les dispositions du code des marchés publics et notamment les articles 279 et 295,l'hôpital a commis l'infraction prévue à l'article 5 de la loi du 25 septembre 1948 modifiée ;

Considérant en second lieu que la mise en oeuvre d'un circuit de facturations successives, dont l'hôpital n'ignorait pas l'existence, a eu pour conséquence de procurer à l'intermédiaire, la société APCOL, sur la seule livraison du 28 août 1984 ayant pour origine ASTRA-CALVE, une marge brute de 70 000 F représentant 78 % de plus de ce qui lui était facturé par le véritable fournisseur ;

Que de tels faits ont entraîné l'obtention d'avantages injustifiés par autrui au détriment de l'hôpital et qu'ils tombent ainsi sous le coup de l'article 6 de la loi du 25 septembre 1948 modifiée ;

Considérant que l'hôpital a réglé, en février 1983, deux factures, respectivement de 16 711,20 F et 35 936,35 F, à la maison CLAUPIER sise à Clermont-Ferrand à la suite de la livraison de différentes conserves alimentaires ;

Considérant qu'il ressort d'une enquête effectuée par la direction régionale des impôts de Clermont-Ferrand que la maison CLAUPIER exerce le commerce d'antiquités et que ce négociant n'a comptabilisé les opérations concernées ni dans ses charges pour les achats de produits alimentaires ni dans ses recettes pour les factures adressées au CHS ; que la livraison a été effectuée par un autre fournisseur du CHS, la société SDAC, domiciliée à Mozac dans le Puy-de-Dôme, dont le directeur commercial était également gérant de l'entreprise CLAUPIER et pour laquelle M. BEGHIN avait travaillé en tant que VRP ; que le CHS a donc passé des commandes sans s'être assuré que son fournisseur offrait les garanties, notamment de compétence, pour l'obtention des meilleurs produits aux prix les plus avantageux ;

Considérant que, de surcroît, en omettant de procéder au rapprochement entre les identités respectives du fournisseur, de la personne qui livre et de celle qui facture, les services hospitaliers ont permis l'existence de circuits commerciaux fictifs et de facturation de complaisance ;

Que cette série de négligences et d'irrégularités entre dans la catégorie des infractions aux règles d'exécution des dépenses de l'hôpital passibles des sanctions prévues à l'article 5 de la loi du 25 septembre 1948 modifiée ;

S'agissant des travaux de peinture

Considérant que, pour l'exécution de travaux d'entretien de peinture au cours des exercices 1983 à 1985, le centre hospitalier a signé respectivement le 6 décembre 1982, le 23 novembre 1983 et le 7 août 1984, trois marchés négociés avec l'entreprise HORNOIS ;

Considérant que la récapitulation des dépenses de peintures réglées par le CHS au cours des trois exercices 1983, 1984 et 1985 fait apparaître le paiement à HORNOIS de 405 915,52 F, 489 487,25 F et de 349 119,10 F au titre de chacun de ces trois marchés ; qu'en outre l'hôpital, également au titre des travaux d'entretien de peinture, a mandaté et payé 88 700,62 F en 1984 à l'entreprise HOCQ à la suite d'un bon de commande du 2 décembre 1983 et 85 823,35 F à l'entreprise LEBON, également en 1984, sans marché, ni bon de commande ;

Considérant que le regroupement de ces dépenses par commandes passées dans le cadre d'une année civile fait ressortir que l'entreprise HORNOIS a bénéficié de 506 689,42 F de commandes en 1983 et de 565 893,16 F en 1984 ; que, dès lors, l'ensemble des besoins de l'hôpital relevait du marché à commandes sur appel d'offres avec fixation d'un minimum et d'un maximum de prestations dans les conditions prévues par l'article 273 du code des marchés publics ;

Considérant qu'au surplus les dépassements par rapport au seuil de 350 000 F de travaux exigeant le recours à la mise en concurrence par appel d'offres ont été plus importants qu'il n'y paraît au premier abord ;

Qu'en effet l'instruction a permis d'établir que les deux entreprises HOCQ et LEBON précitées ont servi de prête-nom à l'entreprise HORNOIS, véritable exécutant des travaux qu'elles ont facturés ;

Qu'en fait Mme HOCQ est la fille de M. HORNOIS et tient un commerce de droguerie créé le 4 mai 1984 alors que la facture de 88 700,62 F qu'elle a établie est censée correspondre à un bon de commande du 2 décembre 1983 ;

Considérant que ces faits sont intervenus principalement en méconnaissance des dispositions des articles 309 et 273 du code des marchés publics et qu'ils impliquent par ailleurs, en ce qui concerne l'utilisation de prête-noms pour l'entreprise HORNOIS, la complicité du service de l'hôpital chargé notamment de contrôler la réalité du service fait et la qualité du créancier ; qu'ils constituent donc des violations des règles d'exécution des dépenses de l'hôpital exposant leurs auteurs aux sanctions prévues à l'article 5 de la loi du 25 septembre 1948 modifiée ;

Sur les irrégularités ayant affecté la tenue de la comptabilité des stocks

Considérant que l'instruction a permis d'établir l'existence de différentes anomalies ayant pour origine la falsification des comptes de stocks au cours des exercices 1983 à 1985 ;

Considérant en premier lieu que des produits alimentaires et des fournitures textiles ont été fictivement sortis des stocks pour un montant global de 1 312 710,99 F à la clôture de l'exercice 1983 ; que les écritures ainsi irrégulièrement passées pour transférer une partie de l'excédent d'exploitation sur la section d'investissement ont eu pour conséquence d'altérer la sincérité de cette dernière pour l'exercice 1983 ;

Considérant en second lieu qu'un certain nombre d'articles d'alimentation livrés au début de l'exercice 1984 ont fait l'objet d'une prise en charge comptable au titre de l'exercice 1983 ; qu'en procédant ainsi pour réduire artificiellement l'excédent l'exploitation de l'exercice 1983 et se constituer en quelque sorte une réserve pour l'exercice suivant, les services de l'hôpital ont violé le principe de l'annualité budgétaire qui s'applique à l'établissement public ;

Considérant enfin qu'à la suite de la découverte des irrégularités décrites ci-dessus et relatives au fractionnement des commandes et à l'utilisation de sociétés prête-noms dans les achats de produits textiles et alimentaires, deux livraisons intervenues en 1984, l'une portant sur 2 063 draps commandés à la maison MAIRESSE, l'autre ayant trait à différents articles d'alimentation facturés par la société APCOL, ont donné lieu à l'annulation des écritures comptables passées en 1984 et à une réimputation sur les comptes de l'exercice 1985 ; que ces manipulations avaient pour objet de dissimuler les violations du code des marchés publics dans deux affaires où les conditions réglementaires de mise en concurrence n'avaient pas été respectées ;

Considérant que le recours aux différents artifices comptables susmentionnés a conduit l'établissement à enfreindre les règles relatives à l'exécution tant de ses recettes que de ses dépenses et à la gestion de ses biens en ce qui concerne la tenue de la comptabilité de ses stocks, au sens de l'article 5 de la loi du 25 septembre 1948 modifiée ;

Sur les responsabilités encourues

Considérant que le directeur d'un établissement public hospitalier exerce les fonctions d'ordonnateur, qu'à ce titre il est notamment responsable de l'engagement, de la liquidation et du mandatement des dépenses, de la passation des contrats, des conventions et des marchés publics et de la tenue de la comptabilité administrative ;

En ce qui concerne M. DURAND

Considérant que M. DURAND, nommé à la tête de l'hôpital de SAINT- VENANT le 1er janvier 1979, a assuré la direction de l'établissement jusqu'au 30 décembre 1983 ;

Que s'agissant des infractions relevées à l'occasion des achats de produits textiles et alimentaires intervenus au cours de l'exercice 1983, et même s'il a été constaté des délais anormaux dans l'émission de plusieurs mandats relatifs à des factures suspectes qui visaient manifestement à faire échapper ces pièces à son examen et à sa signature, il peut lui être reproché un défaut de surveillance dans l'ordonnancement de certaines dépenses ;

Qu'il peut également lui être fait grief d'un manque de vigilance, d'une part, lors des mandatements justifiés par des factures sans indication de raison sociale ou avec mention d'une activité électro- ménagère sans rapport avec les produits facturés, d'autre part, lors de la signature de marchés respectivement le 20 mai 1983 avec EDE et RUY et le 15 juin 1983 avec SOVIPA où il aurait pu constater à la lecture des pièces que ces deux entreprises avaient le même gérant ;

Considérant toutefois qu'il ressort du dossier de l'instruction que M. DURAND s'appuyait, dans des conditions qui ne révèlent pas de sa part une défaillance dans l'exercice de ses responsabilités propres, sur ses chefs de service pour se consacrer personnellement au bon fonctionnement général d'un établissement très lourd à diriger avec un encadrement insuffisant ;

Considérant que s'agissant du service achats, tout en ayant mis en place par différentes instructions écrites un dispositif destiné à renforcer les contrôles sur les entreprises proposant leurs services et les factures présentées au mandatement, il a, dans des conditions normales, fait confiance à son directeur adjoint, chargé des services économiques, arrivé cinq mois après lui dans l'hôpital ; qu'en outre il n'était plus en fonction à la fin de l'exercice 1983 pour exercer les contrôles réglementaires sur la comptabilité matières de son collaborateur ;

Considérant que dès lors, en dehors d'une responsabilité de principe liée à son emploi, M. DURAND n'a pas été directement impliqué dans les irrégularités relevées en 1983 et qu'en conséquence il y a lieu de le relaxer de toute poursuite ;

En ce qui concerne M. GEORGES

Considérant que M. GEORGES a succédé à M. DURAND à la tête du CHS le 31 décembre 1983 ; qu'il exerçait auparavant, et ce depuis 1979, la fonction de directeur-adjoint chargé des services économiques ; que sa responsabilité dans les infractions commises doit être appréciée sur l'ensemble de la période non prescrite ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction M 21 - Titre V - relative à la comptabilité hospitalière que parmi les missions confiées au responsable des services économiques figure notamment l'engagement des commandes, que celles-ci relèvent ou non de l'exécution de marchés ou de contrats de prestations de service ; qu'il est précisé que "dans le cadre des crédits budgétaires autorisés, le responsable des services économiques délivre et signe les bons de commande qui sont adressés aux différents fournisseurs et suit à travers les résultats de la comptabilité des dépenses engagées l'évolution des besoins et des consommations des services" ; que ce responsable a également en charge le contrôle des livraisons, la liquidation des factures, la tenue de la comptabilité des stocks et l'inventaire, sans que la répartition des tâches d'exécution entre différents collaborateurs puisse l'affranchir de sa propre responsabilité ;

Considérant que M. GEORGES, qui avait expressément reçu du directeur par note n° 174 du 4 décembre 1980 délégation pour l'émission d'engagements au titre du budget de fonctionnement concernant les services économiques, a effectivement exercé les tâches qui lui étaient dévolues ; qu'il a ainsi signé la plupart des bons de commande et visé pour liquidation l'ensemble des factures incriminées ;

Que la quasi totalité des pièces versées au dossier provenant de la comptabilité de l'établissement pour l'exercice 1983 auraient dû soulever des interrogations de sa part ;

Considérant qu'en 1983, alors qu'il était facile de déterminer à l'avance que les besoins, pour l'ensemble de l'année, dans les produits alimentaires considérés, dépasseraient le seuil requis pour le lancement d'un appel d'offres, M. GEORGES n'a proposé à aucun moment l'utilisation d'une telle procédure et n'a fourni aucune explication sur le recours au service d'un représentant multicartes pour ces approvisionnements ;

Considérant que, s'agissant des achats de produits textiles, la nécessité d'une reconstitution progressive des stocks de l'hôpital après une destruction survenue en octobre 1981 ne saurait justifier le détournement des procédures du code des marchés publics par un découpage des commandes entre trois entreprises dont deux servant de prête-noms au véritable fournisseur ;

Considérant que non seulement M. GEORGES ne pouvait ignorer les infractions relevées mais de surcroît qu'il est à l'origine de celles- ci ;

Considérant en outre que dans le cas des travaux de peinture susmentionnés, M. GEORGES n'a pas été étranger aux pratiques incriminées ;

Qu'il a en effet lui-même signé le bon de commande à HOCQ daté du 2 décembre 1983 et l'ordre de service invitant, le 6 décembre 1983, l'entreprise HORNOIS à commencer les travaux de peinture ;

Qu'il doit donc être également tenu pour responsable des violations apportées aux règles d'exécution de la dépense pour les travaux de peinture en cause ;

Considérant que, devenu directeur de l'hôpital, le 31 décembre 1983, et alors que son successeur à la tête des services économiques en provenance d'un autre établissement ne prenait ses fonctions que le 1er février 1984, M. GEORGES a conservé, en 1984, la responsabilité d'opérations qui, portant sur les mêmes produits et travaux et associant les mêmes intermédiaires, fournisseurs et entreprises qu'en 1983, ne sont que le résultat de la poursuite des pratiques irrégulières nées à son initiative en 1983 et dont M. MERIAU, son successeur, n'a pu prendre conscience qu'au bout de quelques mois d'exercice de ses nouvelles fonctions ;

Considérant en outre, qu'en tant que responsable des services économiques à qui incombait la tenue de la comptabilité matières en 1983 puis en tant qu'ordonnateur ayant pour mission la tenue de la comptabilité administrative de l'établissement à partir du 31 décembre 1983 et par ailleurs chargé de s'assurer par contrôle de la régularité et de la sincérité des opérations ayant affecté la comptabilité des stocks en 1983 et 1984, M. GEORGES porte au premier chef la responsabilité des irrégularités qui ont entaché les écritures comptables de l'établissement, irrégularités dont plusieurs au demeurant ne sont que la conséquence des infractions susmentionnées qui lui sont imputables dans sa gestion des approvisionnements de l'hôpital en produits textiles et alimentaires ;

Considérant que les arguments qu'il invoque pour minimiser les irrégularités commises n'ont qu'une portée relative ; que, notamment tout en faisant remonter certaines des pratiques condamnables à la période antérieure à sa nomination, M. GEORGES n'explique pas pourquoi il a fallu attendre plus de cinq années et le déclenchement d'une enquête administrative avant qu'il ne mette en oeuvre une révision des procédures critiquables ;

Considérant que M. GEORGES a donc engagé sa responsabilité au titre des articles 5 et 6 de la loi du 25 septembre 1948 modifiée ;

Considérant toutefois qu'il y a lieu de tenir compte des difficultés et de l'ampleur des tâches entreprises au regard des moyens dont disposait l'établissement ainsi que des efforts déployés par M. GEORGES au service de l'hôpital ;

En ce qui concerne M. DUFOUR

Considérant que M. DUFOUR exerce les fonctions d'adjoint technique au CHS de SAINT-VENANT depuis 1968 ;

Qu'à ce titre il est notamment chargé de l'exécution du programme de travaux d'entretien des bâtiments ;

Qu'il prépare les différents marchés nécessaires et la passation des commandes ;

Qu'il suit l'exécution desdits travaux et que la liquidation des dépenses de l'hôpital dans ce domaine se fait au vu des certifications qu'il effectue ;

Considérant qu'en préparant le bon de commande pour travaux de peinture établi le 2 décembre 1983 au nom de Mme HOCQ, fille de M. HORNOIS, et en certifiant en toute connaissance de cause les factures présentées par cette dernière et par M. LEBON, en 1984, alors qu'il savait que tous les travaux de peinture correspondants avaient été réalisés par HORNOIS, il s'est rendu complice de l'utilisation d'un système de prête-noms pour tenter de dissimuler la violation de dispositions du code des marchés publics ;

Qu'il a donc contribué à la réalisation de l'infraction qualifiée à l'article 5 de la loi du 25 septembre 1948 modifiée, s'exposant par là- même aux sanctions prévues par ce même article ;

Considérant cependant qu'il convient de retenir comme circonstances atténuantes le fait que M. DUFOUR devait assurer, dans des conditions d'encadrement insuffisant, la bonne marche d'un service technique pour lequel il ne réunissait pas toutes les qualifications requises ;

Considérant que les faits incriminés qui se sont produits et poursuivis postérieurement au 18 décembre 1982 ne sont pas couverts par la prescription de cinq ans instituée par l'article 30 de la loi du 25 septembre 1948 modifiée ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'il sera fait une juste appréciation des circonstances de l'affaire en infligeant à M. GEORGES une amende de 30 000 F, à M. DUFOUR une amende de 2 500 F et en prononçant la relaxe de M. DURAND ;

ARRETE :

Article 1er : M. René GEORGES est condamné à une amende de trente mille francs (30 000 F).

Article 2 : M. Gaston DUFOUR est condamné à une amende de deux mille cinq cent francs (2 500 F).

Article 3 : M. Raymond DURAND est relaxé des fins de la poursuite.

Article 4 : Le présent arrêt sera publié au Journal officiel de la République française.