LA COUR,

Vu la loi n° 48-1484 du 25 septembre 1948, modifiée et complétée par les lois n° 55-1069 du 6 août 1955, 63-778 du 31 juillet 1963 et 71-564 du 13 juillet 1971, tendant à sanctionner les fautes de gestion commises à l'égard de l'Etat et de diverses collectivités locales et portant création d'une Cour de discipline budgétaire et financière ;

Vu la décision des 28 avril et 5 mai 1976 par laquelle la Cour des Comptes a saisi la Cour de discipline budgétaire et financière d'irrégularités relevées à l'occasion d'une opération immobilière projetée au lieu-dit "Mas des Aulnes", sur le territoire de la commune de Saint-Martin-de-Crau (Bouches du Rhône), et nommément déféré M. Jean LAPORTE, ancien préfet de la région et du département, décision transmise au parquet de la Cour de discipline budgétaire et financière le 22 juillet 1976 ;

Vu le réquisitoire du Procureur général de la République en date du 10 septembre 1976 transmettant le dossier à la Cour de discipline budgétaire et financière ;

Vu la décision du président de la Cour de discipline budgétaire et financière du 15 septembre 1976 désignant comme rapporteur M. COLLINET, Conseiller Référendaire à la Cour des Comptes ;

Vu l'accusé de réception de la lettre recommandée, adressée le 11 février 1977 à M. LAPORTE, l'informant de l'ouverture d'une instruction et l'avisant qu'il était autorisé à se faire assister soit par un mandataire, soit par un avocat ou un avoué, soit par un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de Cassation ;

Vu l'avis émis le 23 février 1978 par le ministre délégué à l'économie et aux finances ;

Vu l'avis émis le 14 mars 1978 par le ministre de l'intérieur ;

Vu l'avis émis le 29 mars 1978 par le ministre de l'équipement et de l'aménagement du territoire ;

Vu l'accusé de réception de la lettre recommandée adressée le 4 septembre 1978 à M. LAPORTE, l'avisant qu'il pouvait dans un délai de quinze jours prendre connaissance du dossier de l'affaire soit par lui- même, soit par un mandataire, soit par le ministère d'un avocat, d'un avoué ou d'un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de Cassation ;

Vu le mémoire en défense présenté le 21 mars 1979 par M. LAPORTE et les pièces annexées ;

Vu l'accusé de réception de la lettre recommandée adressée le 5 avril 1979 à M. LAPORTE et l'invitant à comparaître ;

Vu l'ensemble des pièces qui figurent au dossier et notamment le procès-verbal d'interrogatoire ;

Ouï M. COLLINET, Conseiller Référendaire à la Cour des Comptes, en son rapport ;

Ouï en ses conclusions le Procureur général de la République, qui s'en est remis à la sagesse de la Cour pour apprécier si, eu égard à l'importance et à la difficulté de la mission d'ensemble dont M. LAPORTE était chargé pour assurer l'installation du complexe de Fos, mission dans le contexte de laquelle se situe la présente affaire, la faute que constitue un engagement conditionnel pris hors des procédures budgétaires régulières, même s'il n'en est résulté en définitive aucune obligation du fait de la non surveillance de la condition, revêt en l'espèce un caractère de gravité suffisant pour tomber sous le coup des dispositions de l'article 5 de la loi du 25 septembre 1948 modifiée ;

Ouï en ses observations M. LAPORTE, ayant eu la parole le dernier.

Considérant que, par lettre du 5 mai 1972, M. LAPORTE a donné son accord au Comité Interprofessionnel du logement (CIL) des Bouches du Rhône pour l'acquisition d'un terrain d'environ 300 hectares, au lieut- dit "Mas des Aulnes" à Saint-Martin-de-Crau, en vue de la réalisation d'une zone d'aménagement concerté devant comporter 2000 logements ; que ladite lettre indiquait toutefois que la décision concernant cette réalisation projetée par le CIL ne serait définitivement prise "qu'au vu des avis les plus motivés" des "services les plus compétents en matière de sécurité quant à la présence dans les environs de la dynamiterie et du parc d'explosifs de Beaussenq" ; que la lettre précisait à l'intention du CIL que "dans le cas où des motifs de sécurité s'opposeraient à la réalisation de cette opération, le terrain vous serait racheté au prix coûtant sur les crédits de réserves foncières mis à ma disposition par le ministère de l'équipement au titre des années 1973 et 1974" ;

Considérant que cette promesse d'achat, sous condition suspensive, d'un bien déterminé à un prix défini, créait, à la charge de l'Etat, une obligation de nature à entraîner une dépense budgétaire dont l'imputation sur les crédits de "réserves foncières" du budget de l'équipement était d'ailleurs expressément envisagée ; qu'elle constituait donc un engagement de dépenses, au regard des principes généraux du droit budgétaire et au sens de l'article 29 du décret n° 62-1587 du 29 décembre 1962 portant règlement général de la comptabilité publique ;

Considérant qu'un tel engagement n'aurait pu régulièrement intervenir que s'il avait été couvert par des crédits budgétaires correspondant à des autorisations de programmes déléguées ou affectées, mises à la disposition de l'ordonnateur secondaire par le ministre de l'équipement et de l'aménagement du territoire, après consultation des commissions spécialisées compétentes et visa du contrôleur financier ; que M. LAPORTE, en indiquant dans la lettre précitée du 5 mai 1972 que, si le rachat des terrains du Mas des Aulnes devait intervenir, le paiement en serait effectué sur les fonds dont il disposerait au titre des années 1973 et 1974, convenait lui-même implicitement que cet engagement était pris en l'absence de tout crédit budgétaire ; que la seule décision de principe arrêté par l'ordonnateur principal, évoquée dans une lettre adressée le 21 avril 1972 par le directeur départemental de l'équipement au président du CIL et confirmée dans une lettre du directeur de l'aménagement foncier et de l'urbanisme au directeur départemental de l'équipement, le 5 juin 1972, ne visait pas l'ensemble des terrains du Mas des Aulnes mais portait seulement sur l'éventualité du rachat par l'Etat de la part non constructible de ces terrains, soit 120 hectares correspondant à un étang et à son environnement immédiat ; qu'en outre ce rachat était subordonné à l'accord préalable du groupement interministériel foncier (GIF) et ne constituait donc pas un engagement ferme et définitif ;

Considérant de plus que la décision prise par M. LAPORTE s'inscrivait dans un contexte qui rendait singulièrement incertaine la poursuite de l'opération qu'elle avait pour objet de faciliter ;

Considérant qu'en particulier la création d'une ZAC au Mas des Aulnes avait été approuvée le 12 avril 1972 par le conseil municipal de Saint-Martin-de-Crau, au terme d'une discussion au cours de laquelle il avait été affirmé que les terrains en cause appartenaient en totalité au CIL, alors qu'en fait les actes translatifs de propriété n'intervinrent qu'après, et au vu de la lettre du 5 mai de M. LAPORTE ; que cette approbation fut donnée par une délibération du conseil municipal prise à une majorité de deux voix, incluant celles de deux conseillers dont l'un était propriétaire de 80 hectares, et l'autre le gendre du propriétaire de 154 hectares, sur les 271 hectares que le CIL allait acquérir ; que ladite délibération tombait ainsi sous le coup de l'article 43 du code d'administration communale, selon lequel "sont annulables les délibérations auxquelles auraient pris part des membres du conseil intéressés soit en leur nom personnel soit comme mandataires à l'affaire qui en fait l'objet" ; que d'ailleurs elle donna lieu dans les jours qui suivirent, et pour ce motif explicite, à une demande d'annulation présentée à M. le préfet LAPORTE ; que celui-ci, néanmoins, signait et adressait d'abord au président du CIL la lettre du 1972, puis, le 9 mai, rejetait la demande d'annulation, rejet que devait ultérieurement annuler, en même temps que la délibération incriminée, un jugement du tribunal administratif de Marseille du 10 avril 1974 ;

Considérant par ailleurs que si, comme l'a fait valoir M. LAPORTE dans son mémoire en défense, il ressort des conclusions déposées le 17 août 1972 par M. PARISIELLE, ingénieur général de l'armement, que des motifs de sécurité ne s'opposaient pas à la réalisation de l'opération et que, la condition suspensive ne s'étant pas réalisée, l'Etat n'est donc pas tenu de racheter les terrains du Mas des Aulnes, cette constatation n'est pas de nature à retirer à la promesse contenue dans la lettre du 5 mai 1972 sa qualification et son existence juridique ; que d'ailleurs les conditions dont le rapport de l'expert assortissaient l'opération de construction du Mas des Aulnes auraient fait peser sur sa réalisation des servitudes telles qu'il n'est nullement assuré qu'il eût été financièrement possible de la mener à bien ;

Considérant qu'en tout état de cause la décision prise par M. LAPORTE est irrégulière et tombe sous le coup de l'article 2 de la loi du 25 septembre 1948 modifiée, en tant qu'elle constitue un engagement de dépenses en l'absence de crédit budgétaire ;

Considérant toutefois que, si cette infraction n'est pas couverte par un ordre écrit préalable de l'ordonnateur principal, il ressort du dossier que M. LAPORTE a agi sur la base des directives orales qu'il avait reçues ; que ce fait a été notamment confirmé par deux lettres de M. Albin CHALANDON, ancien ministre de l'équipement, adressées, la première le 13 juin 1977 à M. LAPORTE, et la seconde, le 21 octobre 1977, au rapporteur afin d'être versée au dossier ; que ces directives verbales sont pourtant d'autant moins de nature à dégager la responsabilité de M. LAPORTE que leur auteur a indiqué qu'elles "portaient sur une éventuelle promesse de rachat de la propriété par l'Etat" mais qu'il ne "saurait affirmer que ces promesses visaient l'ensemble des 270 hectares acquis par le CIL" et qu'il lui paraissait seulement "concevable de le considérer" ;

Considérant enfin que les motifs de fait invoqués par M. LAPORTE pour excuser sa décision irrégulière ne peuvent être entièrement écartés et doivent être pour partie retenus à sa décharge ; que, pour répondre aux besoins résultant de la construction et de la prochaine mise en service de deux usines relevant du complexe industriel de Fos, il était apparu indispensable aux pouvoirs publics, à partir de 1971, de porter de 600 à 3000 le nombre de logements à mettre chaque année en service ; qu'un programme avait été défini dont il avait été jugé, à l'époque, que l'exécution s'imposait de toute urgence ; mais que ce programme se heurtait à la résistance de certaines collectivités locales qui avaient décidé de refuser la mise en chantier de toute opération de construction qui ne répondrait pas aux seuls impératifs de leur croissance propre ; que dès lors la difficulté de trouver des terrains constructibles imposait de prospecter systématiquement les zones urbanisables à proximité de Fos et d'inciter les promoteurs à engager les opérations de construction dans les délais les plus rapides ; que c'est dans ce contexte que M. LAPORTE a été conduit à faire au CIL une promesse de rachat qui engageait l'Etat bien qu'elle n'ait pas eu à ce jour de conséquences financières, le ministère de l'équipement ayant décidé de ne pas acquérir les terrains du Mas des Aulnes mais de leur rechercher une affectation conforme à l'intérêt public et à laquelle puisse souscrire le CIL ;

Considérant qu'il sera fait une exacte appréciation de l'ensemble des circonstances et éléments ci-dessus mentionnés en infligeant à M. LAPORTE une amende de cent francs ;

ARRETE :

Article unique.- M. LAPORTE est condamné à une amende de cent francs.