AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS,
LA COUR DE DISCIPLINE BUDGETAIRE ET FINANCIERE, siégeant à la Cour des comptes en audience non publique, a rendu l'arrêt suivant :
LA COUR,
Vu le titre Ier du livre III du code des juridictions financières relatif à la Cour de discipline budgétaire et financière ;
Vu la décision notifiée le 29 octobre 1992 et enregistrée au Parquet le même jour, par laquelle la Cour des comptes a saisi la Cour de discipline budgétaire et financière d'irrégularités dans la gestion de l'établissement public F et de deux de ses filiales ;
Vu le réquisitoire du Procureur général de la République en date du 7 décembre 1992 transmettant le dossier à la Cour de discipline budgétaire et financière ;
Vu la décision du Président de la Cour de discipline budgétaire et financière du 14 décembre 1992 désignant comme rapporteur M. Alain Lefoulon, conseiller référendaire à la Cour des comptes et celle du 15 mars 1994 désignant Mme Anne-Marie Boutin, conseiller maître à la Cour des comptes, comme rapporteur en remplacement de M. Lefoulon ;
Vu l'accusé de réception de la lettre recommandée par laquelle le Procureur général a informé, le 22 décembre 1993, M. A., ancien directeur général de l'établissement public F, de l'ouverture d'une instruction ;
Vu les lettres du 21 septembre 1995, par lesquelles le Président de la Cour de discipline budgétaire et financière a demandé au ministre de l'économie, des finances et du plan, au ministre (...), et au ministre (...), de faire connaître leur avis en application de l'article L. 314-5 du livre III du code des juridictions financières ;
Vu la lettre du 1er décembre 1995 du ministre (...), indiquant que lors des années 1987, 1988 et 1989, visées par le réquisitoire, l'établissement public F et ses deux filiales ne relevaient pas de la tutelle administrative de son département ;
Vu l'avis émis le 19 janvier 1996 par le ministre délégué au budget ;
Attendu que l'absence de réponse du ministre (...) dans le délai deux mois qui lui était imparti, ne fait pas obstacle, en application de l'article L. 314-5 du code des juridictions financières, à ce que la Cour de discipline budgétaire et financière puisse statuer sur la présente affaire ;
Vu la décision du 12 février 1996 du Procureur général près la Cour des comptes, ministère public près la Cour de discipline budgétaire et financière, renvoyant M. A. devant cette cour, en application de l'article L. 314-6 du code des juridictions financières ;
Vu la lettre du 5 mars 1996 du Président de la Cour de discipline budgétaire et financière, au ministre (...) lui demandant de consulter sur cette affaire la commission administrative paritaire compétente ou la formation en tenant lieu ;
Vu la réponse du ministre (...) du 5 juin annonçant son intention de réunir le conseil supérieur (...) et celle du 14 juin 1996, faisant état de l'impossibilité de tenir cette réunion ;
Attendu que l'absence d'avis de la commission administrative paritaire ou de la formation en tenant lieu ne fait pas obstacle à ce que la Cour de discipline budgétaire et financière puisse statuer sur la présente affaire ;
Vu l'accusé de réception de la lettre recommandée du 2 mai 1996 par laquelle le secrétaire de la Cour de discipline budgétaire et financière a avisé M. A. qu'il pouvait dans un délai de quinze jours prendre connaissance du dossier de l'affaire, soit par lui-même, soit par un mandataire, soit par le ministère d'un avocat ou d'un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ;
Vu le mémoire en défense présenté par M. A. enregistré au greffe de la Cour le 21 juin 1996, remplacé par le mémoire corrigé des fautes matérielles enregistré le 25 juin 1996 ;
Vu l'accusé de réception de la lettre recommandée du 31 mai 1996 par laquelle le Procureur général a cité M. A. à comparaître et l'a informé de son droit à ce que sa cause soit entendue publiquement, droit auquel M. A. a déclaré renoncer ;
Vu l'ensemble des pièces qui figurent au dossier et notamment le procès-verbal d'audition de M. A. et le rapport d'instruction établi par Mme Boutin ;
Entendu Mme Boutin en son rapport ;
Entendu Mme le Procureur général en ses conclusions et réquisitions ;
Entendu en ses explications M. A., lequel a eu la parole le dernier ;
SUR LA COMPETENCE DE LA COURConsidérant que l'établissement public F, établissement public de l'Etat à caractère industriel et commercial relève de la compétence de la Cour des comptes en application de l'article L. 133-1 du code des juridictions financières ;
Que la société A dont le capital est dans sa quasi totalité détenu par la société holding B qui a elle-même un capital appartenant pour 53 % à des actionnaires dépendant de l'Etat, dont l'établissement public F, et la société C dont, à l'époque des faits, le capital était détenu à hauteur de 60 % par l'établissement public F, relèvent également de la compétence de la Cour des comptes en vertu de l'article L. 133-2 du code des juridictions financières ;
Considérant que M. A., (...) en service détaché, a été président de la société A depuis la création de cette société en 1980 jusqu'au 31 juillet 1990 ; qu'il a été nommé directeur général de l'établissement public F le 8 juillet 1982 et a exercé ces fonctions jusqu'au 10 février 1989 ; qu'enfin, le 13 décembre 1988, il a été nommé président de la société C, poste qu'il a conservé jusqu'au 1er septembre 1990 ;
Qu'en conséquence, en sa qualité de directeur général d'un établissement public et de président d'une ou deux filiales relevant tous trois de la compétence de la Cour des comptes, il est justiciable de la Cour de discipline budgétaire et financière en application de l'article L. 312-1-I du code des juridictions financières ;
SUR LA PRESCRIPTION
Considérant que le déféré de la Cour des comptes ayant été enregistré au Parquet de la Cour de discipline budgétaire et financière le 29 octobre 1992, les faits antérieurs au 29 octobre 1987 sont couverts par la prescription prévue par l'article L. 314-2 du code des juridictions financières ; que toutefois les irrégularités relevées portent sur des cumuls de rémunérations qui font l'objet de forfaits globaux annuels qui ne peuvent être appréciés qu'en fin d'année, c'est à dire s'agissant de l'année 1987 au 31 décembre 1987 ; que les faits considérés concernent donc des rémunérations reçues au titre des années 1987, 1988 et 1989 ;
SUR LES FAITS
Considérant qu'en vertu des dispositions de l'article 3 du décret du 9 août 1953 modifié relatif au contrôle de l'Etat sur les entreprises publiques nationales, le traitement et les autres éléments de rémunération du directeur général de l'établissement public F sont fixés par le ministre chargé des finances et le ministre de tutelle intéressé ;
Que la rémunération de M. A. avait été fixée par une décision conjointe du 23 août 1982 du ministre d'Etat, ministre de la recherche et de l'industrie et du ministre délégué chargé du budget, décision communiquée au président et à l'agent comptable de l'établissement public F ; que cette décision fixait le traitement brut total annuel de M. A. à 450 000 F (valeur 1982) et précisait que ce montant constituait un forfait global annuel "exclusif de tout autre avantage en espèces ou en nature lié à la qualité de dirigeant de l'entreprise" à l'exception de l'usage d'une voiture de fonction et qu'il serait revalorisé exclusivement en fonction des taux définis par le Gouvernement pour l'ensemble des dirigeants d'entreprise publique ; que la lettre de notification du 30 août 1982 adressée au président de l'établissement public F indiquait explicitement que la rémunération du directeur général était fixée pour l'ensemble de ses activités ;
Considérant que M. A. a néanmoins continué de percevoir en sus du traitement versé par l'établissement public F un complément de rémunération versé par la société A ; que cette situation a été signalée par le contrôleur d'Etat à la direction du budget et, en 1985 et 1986, par le ministre de l'économie, des finances et du budget au ministre de la recherche et de la technologie auquel il a proposé une augmentation de la rémunération versée par l'établissement public F dont serait déduit le complément versé par la société A ; qu'aucun accord n'a cependant été obtenu du ministère chargé de la recherche sur ces bases ;
Considérant que par lettre du 12 octobre 1987, le directeur général de l'industrie au ministère de l'industrie, des PTT et du tourisme informait M. A. qu'en accord avec le ministère du budget, le montant annuel brut de sa rémunération était fixé à 748 624 F (valeur 1985) ; que l'annexe à cette lettre rappelait la règle du forfait global et mentionnait expressément les rémunérations provenant des filiales dans les avantages à déduire du forfait global fixé par les pouvoirs publics ; que M. A. a eu connaissance de cette correspondance, mais qu'il a réclamé de pouvoir bénéficier en plus du forfait, d'un intéressement que lui verserait la société A ;
Qu'aucun accord entre les administrations n'a été trouvé sur les bases proposées par M. A. ; que M. A. a continué de recevoir de l'établissement public F la rémunération fixée par la décision interministérielle du 23 août 1982 puis revalorisée, et de la société A, jusqu'en 1990, un complément de rémunération ; qu'il a en outre perçu en 1990, au titre de 1989, une rémunération de la société C ;
Qu'à la suite de l'enquête de ses services sur les rémunérations des dirigeants des entreprises publiques, le ministre délégué au budget a écrit le 14 août 1991 au ministre chargé de l'espace pour lui signaler que M. A. avait perçu au titre de 1988 un total de rémunérations excédant le montant fixé le 12 octobre 1987 et proposait que le versement du trop perçu qu'il chiffrait à 157 329 F soit réclamé à l'intéressé par une lettre conjointe ; que le ministre chargé de l'espace a refusé de donner son accord à cette procédure de récupération ;
Qu'à l'occasion du contrôle de l'établissement public F, de la société A et de la société C, la Cour des comptes, prenant comme référence la lettre sus mentionnée du 12 octobre 1987, a évalué le trop perçu à 564 674 F pour les années 1987, 1988 et 1989 ; que le procureur général près la Cour des comptes a écrit le 25 novembre 1992 au président de l'établissement public F pour lui demander de faire reverser les trop payés dans la caisse de l'établissement public par M. A. ; qu'en réponse, le président de l'établissement public F et M. A. ont fait valoir différents arguments de droit et de fait et qu'il n'a pas été procédé au reversement ;
Considérant que la lettre du 12 octobre 1987 majorant la rémunération globale du directeur général de l'établissement public F résulte d'un accord de deux ministères, celui du budget et celui de l'industrie, des PTT et du tourisme, alors qu'à cette date l'établissement public F était placé sous la double tutelle technique des ministères de l'industrie, des PTT et du tourisme d'une part, de la recherche et de l'enseignement supérieur d'autre part ; qu'en l'absence d'accord de ce dernier, la décision du 12 octobre 1987 n'était pas conforme aux dispositions du décret du 9 août 1953 modifié et n'a donc pu produire d'effet juridique ; que la décision du 23 août 1982 demeurait donc seule applicable ;
Considérant que M. A. était président de la société A depuis deux ans lorsqu'il a été nommé directeur général de l'établissement public F, et que cette présidence ne pouvait dès lors être regardée comme un avantage "lié à la qualité de dirigeant de l'entreprise" au sens de la lettre du 23 août 1982 ;
Considérant que les sommes reçues de la société C en janvier 1990 étaient une prime de rendement fixée a posteriori pour l'ensemble de l'année 1989 ; qu'il ne peut donc être envisagé d'en affecter une partie à la période du 1er janvier au 10 février 1989 ;
Considérant que dès lors non seulement l'irrégularité ne paraît pas établie mais surtout qu'elle ne pourrait être imputée à M. A. ;
ARRETE
Article 1er et unique.- M. A. est relaxé des fins de la poursuite.
Fait et jugé en la Cour de discipline budgétaire et financière le vingt-six juin mil neuf cent quatre-vingt-seize.
Présents : M. Joxe, Premier président de la Cour des comptes, président ; M. Massot, président de la section des finances du Conseil d'Etat, vice-président ; MM. Galmot et Fouquet, conseillers d'Etat ; MM. Isnard et Gastinel, conseillers maîtres à la Cour des comptes, membres de la Cour de discipline budgétaire et financière ; Mme Boutin, conseiller maître à la Cour des comptes, rapporteur.
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le Président de la Cour et le Greffier.
Le Président, Le Greffier,