Vu la loi n° 48-1484 du 25 septembre 1948 modifiée tendant à sanctionner les fautes de gestion commises à l'égard de l'Etat et de diverses collectivités et portant création d'une Cour de discipline budgétaire et financière ;
Vu la lettre du 7 décembre 1977 enregistrée au parquet de la Cour le 22 décembre 1977, par laquelle le ministre délégué à l'économie et aux finances a saisi la Cour de discipline budgétaire et financière, en application de l'article 16 de la loi susvisée, d'irrégularités commises dans la gestion des crédits délégués à la direction départementale de l'équipement de la Corse, irrégularités imputées notamment aux directeurs successivement en fonction, M. René BOUCHET du 15 juillet 1970 au 15 août 1974 et M. Jean-Marie BUTIKOFFER après cette date ;
Vu le réquisitoire du procureur général de la République en date du 3 janvier 1978 transmettant le dossier à la Cour de discipline budgétaire et financière ;
Vu la décision du président de la Cour de discipline budgétaire et financière du 30 janvier 1978 désignant comme rapporteur M. SCHMELTZ, maître des requêtes au Conseil d'Etat ;
Vu les accusés de réception des lettres recommandées du 14 décembre 1979 adressées à MM. BOUCHET et BUTIKOFFER les informant de l'ouverture d'une instruction et les avisant qu'ils étaient autorisés à se faire assister soit par un mandataire, soit par un avocat ou un avoué, soit par un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de Cassation ;
Vu la décision du président de la Cour de discipline budgétaire et financière du 24 septembre 1980 désignant comme rapporteur M. CHEVAGNY, conseiller maître à la Cour des comptes, en remplacement de M. SCHMELTZ ;
Vu les accusés de réception des lettres recommandées des 29 septembre 1980, 3 décembre 1980 et 27 janvier 1981 adressées respectivement à MM. Gilles de CASTELLI, ingénieur des travaux publics de l'Etat, Michel BAYLE, ingénieur des ponts et chaussées et Jean SAULI, agent des parcs, en fonction à la direction départementale de la Corse, les informant de l'ouverture d'une instruction et les avisant qu'ils étaient autorisés à se faire assister soit par un mandataire, soit par un avocat ou un avoué, soit par un avocat au conseil d'Etat et à la cour de cassation ;
Vu l'avis émis le 11 août 1981 par le ministre délégué chargé du budget ;
Vu l'avis émis le 22 octobre 1981 par le ministre d'Etat, ministre des transports ;
Vu l'avis émis le 19 novembre 1981 par le ministre de l'urbanisme et du logement ;
Vu les conclusions du procureur général de la République en date du 11 janvier 1982 renvoyant MM. BOUCHET, BAYLE, de CASTELLI et SAULI devant la Cour de discipline budgétaire et financière et décidant qu'il n'y avait pas lieu de renvoyer M. BUTIKOFFER ;
Vu les procès-verbaux de la commission administrative paritaire du corps des ingénieurs des ponts et chaussées ayant siégé en formation disciplinaire le 20 décembre 1984 ;
Vu le procès-verbal de la commission administrative paritaire du corps des ingénieurs des travaux publics de l'Etat et des ingénieurs réviseurs ayant siégé en formation disciplinaire le 20 décembre 1984 ;
Vu le procès-verbal de la commission consultative des ouvriers des parcs et ateliers ayant siégé en formation disciplinaire le 16 avril 1985 ;
Vu les accusés de réception des lettres recommandées adressées le 21 juin 1985 respectivement a MM. BOUCHET, BAYLE, de CASTELLI et SAULI, les avisant qu'ils pouvaient, dans un délai de quinze jours, prendre connaissance du dossier de l'affaire, soit par eux-mêmes, soit par un mandataire, soit par le ministère d'un avocat, d'un avoué, ou d'un avocat au conseil d'Etat et à la cour de cassation ;
Vu le mémoire en défense de M. BAYLE enregistré au parquet de la Cour le 15 juillet 1985 ;
Vu les mémoires en défense présentés les 22 juillet 1985 et 26 août 1985, respectivement, par MM. BOUCHET et de CASTELLI ;
Vu le mémoire en défense de M. SAULI enregistré au parquet de la Cour le 2 octobre 1985 ;
Vu la décision du président de la Cour de discipline budgétaire et financière du 6 octobre 1986 désignant M. ROSSIGNOL, conseiller référendaire à la Cour des comptes, pour présenter le rapport sur l'affaire devant la Cour en remplacement de M. CHEVAGNY ;
Vu les accusés de réception des lettres recommandées adressées le 5 novembre 1986 à MM. BOUCHET, BAYLE, de CASTELLI et SAULI, les invitant à comparaître ;
Vu l'ensemble des pièces qui figurent au dossier et notamment les procès-verbaux d'audition ;
M. de CASTELLI ayant été autorisé par le président de la Cour à ne pas comparaître personnellement à l'audience en application du 3ème alinéa de l'article 23 de la loi du 25 septembre 1948 modifiée ;
Entendu M. ROSSIGNOL, conseiller référendaire à la Cour des comptes, en son rapport ;
Entendu le procureur général de la République en ses conclusions ;
Entendu en leurs explications MM. BOUCHET, BAYLE et SAULI ;
Entendu le procureur général de la République en ses réquisitions ;
Entendu en leurs observations MM. BOUCHET, BAYLE et SAULI, les intéressés ayant eu la parole les derniers ;
Sur les faits :Considérant que la direction départementale de l'équipement de la Corse a demandé à une entreprise de travaux publics à laquelle elle achetait ou vendait régulièrement diverses prestations, la société CORSOVIA, de régler les dépenses de location d'un véhicule ainsi que de fourniture de carburant et de divers matériels de bureau, en contre- partie soit de la majoration du montant des travaux qui étaient payés à cette entreprise, soit de la minoration du prix de services qui lui étaient rendus ;
Considérant que ces opérations de compensation se sont déroulées de 1971 à 1974 ; mais que la lettre par laquelle le ministre délégué à l'économie et aux finances en a saisi la Cour de discipline budgétaire et financière est parvenue au parquet de celle-ci le 22 décembre 1977 ; qu'il y a lieu, en conséquence, de faire application aux faits antérieurs au 21 décembre 1972 de la prescription prévue à l'article 30 de la loi n° 48-1484 du 25 septembre 1948 modifiée ;
Considérant que, dans l'attente du remplacement du véhicule dont disposait le groupe d'études et de programmation de la direction départementale, véhicule rendu inutilisable à la suite d'un accident survenu à la fin de 1972, ce service a loué à la société SOLVET une automobile de type R 16 ; que les factures correspondantes établies entre le mois de janvier et avril 1973 pour un montant total de 6364,40 F ont été transmises par l'administration à la société CORSOVIA qui les a acquittées ; qu'en contrepartie, des prestations fournies à cette société par le parc départemental de la voirie routière ne lui ont pas été facturées ;
Considérant que le laboratoire d'analyses, créé en 1964 au sein de la direction départementale, ne disposait pas, en 1972, d'un nombre suffisant de voitures de service ; qu'en conséquence, les agents de ce laboratoire ont été autorisés à utiliser leur véhicule personnel pour effectuer des déplacements professionnels ; que cette autorisation n'ayant pas été donnée officiellement, ces agents ne pouvaient obtenir le remboursement de leurs frais de déplacement ; qu'au surplus, l'insuffisance des crédits ouverts à cet effet n'en aurait probablement pas permis la prise en charge ;
Considérant qu'il fut décidé, à la suite d'un accord passé avec le fournisseur SHELL, d'allouer à ce personnel des bons d'essence pour un montant équivalent aux frais de déplacement calculés selon les dispositions du décret du 10 août 1966 ; qu'une première facture correspondant aux livraisons de carburant effectuées au vu de ces bons ayant été présentée par le fournisseur, le trésorier-payeur général de la Corse refusa d'en assurer le paiement sur le budget départemental, comme cela avait été initialement convenu avec le secrétaire général de la préfecture d'Ajaccio ; qu'il fut alors demandé à la société CORSOVIA d'acquitter cette facture et celles de même nature qui lui seraient transmises ultérieurement ;
Considérant que ladite société a payé à ce titre des sommes de 10 216,75 francs en 1972, puis de 22170,55 francs entre les mois de février 1973 et de juillet 1974, période non prescrite ; qu'en contre- partie, les titres de recettes émis par la direction départementale pour des analyses d'enrobés effectuées au profit de la société par le laboratoire ont été diminués d'autant ;
Considérant, par ailleurs, qu'il résulte d'une enquête du 24 mars 1975 effectuée par les services fiscaux que la société CORSOVIA a payé des matériels de bureau destinés en réalité à la direction départementale de l'équipement de la Corse, et que ces paiements ont été compensés par la majoration du prix de certains travaux réalisés par cette société, sans toutefois que les modalités de cette compensation aient pu être clairement précisées ;
Considérant que la liste exacte de ces matériels n'a pu être dressée avec certitude en raison de la très mauvaise tenue des inventaires établis par la direction départementale tant en ce qui concerne l'affectation que l'origine fréquemment qualifiée "d'inconnue" des biens ; que, toutefois, il ressort des états fournis à la Cour durant l'instruction que ces matériels tels que tables à dessin, machines à calculer, meubles de rangement, sièges et lampes de bureau, ont été au nombre d'une quinzaine ;
Considérant que les opérations d'acquisition en cause se sont déroulées entre 1971 et 1974, mais qu'elles n'ont pas pu être datées avec précision tant en raison de la procédure irrégulière à laquelle il a été recouru que des insuffisances des inventaires ; qu'elles se sont poursuivies pendant une période non prescrite, les inscriptions auxdits inventaires n'intervenant qu'ultérieurement, en 1976 et en 1977, à la suite de la découverte des irrégularités ;
Sur les qualifications :
Considérant que, tant en ce qui concerne la location du véhicule de type R 16, que l'acquisition de carburant par la direction départementale de l'équipement, les faits se sont traduits soit par l'absence d'émission, soit par la réduction irrégulière de titres de recettes à l'encontre d'un débiteur de cette administration ainsi que par la contraction entre des recettes et des dépenses ; qu'ils ont entraîné une majoration occulte des dotations budgétaires dont disposait la direction ; qu'ils constituent donc des infractions aux règles relatives à l'exécution des recettes et des dépenses de l'Etat dont les auteurs tombent sous le coup des dispositions de l'article 5 de la loi n° 48-1484 du 25 septembre 1948 modifiée ;
Considérant qu'en ce qui concerne la fourniture de matériels de bureau, les procédures mises en oeuvre ont permis d'effectuer des achats hors crédit ; qu'elles se sont traduites par des majorations irrégulières de factures d'un entrepreneur ; qu'elles constituent donc également des infractions aux règles relatives à l'exécution des recettes et des dépenses de l'Etat, dont les auteurs tombent sous le coup des mêmes dispositions ;
Sur les responsabilités :
Considérant que M. de CASTELLI, responsable du parc départemental, même s'il n'a pas pris seul l'initiative de la location du véhicule automobile mis à la disposition du groupe d'études et de programmation, a néanmoins reçu les factures correspondantes, les a transmises à la société CORSOVIA et n'a pas émis en contre-partie certains titres de recettes à l'encontre de cette dernière ; qu'il n'a rendu compte à M. BAYLE, ingénieur d'arrondissement, des conditions dans lesquelles le règlement de ladite location était intervenu qu'après l'expiration de celle-ci ; que, faute d'un ordre écrit de ses supérieurs hiérarchiques accompagné d'un rapport particulier, il ne peut exciper des dispositions de l'article 8 de la loi susvisée du 25 septembre 1948 modifiée et que, dès lors, sa responsabilité se trouve engagée ;
Considérant que, pour les fournitures de carburant, M. SAULI, en sa qualité de responsable du laboratoire d'analyses, a pris les contacts appropriés avec les sociétés SHELL et CORSOVIA et a mis au point les modalités comptables correspondant aux pratiques irrégulières qui ont été relevées ; que, s'il a agi après avoir informé ses supérieurs hiérarchiques, la transmission des factures de carburant à la société CORSOVIA qui devait les acquitter ne peut pour autant être imputée avec certitude à l'un d'entre eux ; que, faute d'un ordre écrit de ces derniers accompagné d'un rapport particulier, il ne peut non plus exciper des dispositions de l'article 8 de la loi susvisée et que, dès lors, sa responsabilité se trouve engagée ;
Considérant que M. BAYLE, ingénieur des ponts et chaussées, a été nommé à l'arrondissement d'Ajaccio le 1er octobre 1970 ; qu'il a exercé cette fonction qui constituait sa première affectation jusqu'au 15 novembre 1974 ; qu'en cette qualité, le parc départemental et le laboratoire d'analyses étaient placés sous son autorité ; que toutefois ni l'instruction ni les débats n'ont permis d'établir qu'il ait été l'initiateur ou l'exécutant des irrégularités commises, tant en ce qui concerne les fournitures de carburant et de matériels de bureau qu'en ce qui concerne la location du véhicule dont les modalités n'ont été portées à sa connaissance que lorsqu'elle eut pris fin ; que, dès lors, sa responsabilité personnelle ne peut être engagée ;
Considérant que, d'une façon générale, il incombait à M. BOUCHET, en sa qualité de directeur départemental de l'équipement de la Corse du 15 juillet 1970 au 15 août 1974, de veiller au respect par ses collaborateurs et ses subordonnées des règles d'exécution des dépenses et des recettes de l'Etat au sens de l'article 5 de la loi susvisée du 25 septembre 1948 modifiée ; que les irrégularités certaines et répétées ont cependant été commises pendant cette période, en particulier pendant la période non prescrite, notamment à l'occasion de fournitures de matériels à la direction, sans que l'origine des décisions prises en l'espèce ait pu être établie avec certitude ; que ces irrégularités ont revêtu un caractère de gravité certaine du fait qu'elles impliquaient le recours à la complicité d'un fournisseur habituel du service, et qu'il n'en pouvait que résulter, dans l'esprit des cocontractants de l'administration, des doutes sérieux sur la rectitude et la loyauté des représentants de celle-ci ; que, si M. BOUCHET n'a pas été directement à l'origine des pratiques en cause, il ne les a pas interdites après en avoir eu connaissance et qu'elles n'ont cessé qu'après son départ ; qu'au surplus, il a lui-même accepté la procédure de compensation telle qu'elle a été appliquée aux fournitures de carburant destinées à des agents du laboratoire ; que, pour l'ensemble de ces motifs, sa responsabilité se trouve engagée ;
Considérant toutefois qu'à l'époque des faits, les crédits de frais de fonctionnement et de déplacement ouverts à la direction départementale de l'équipement de la Corse n'étaient pas suffisants pour lui permettre de faire face à ses besoins ; que cette insuffisance était évoquée chaque année par les ministères chargés respectivement des transports, de l'urbanisme et du logement lors de l'examen des propositions budgétaires, et qu'elle a d'ailleurs été constatée dans un rapport de l'inspection des finances ; que, par la suite, les dotations ont été relevées dans de fortes proportions puisque, d'un montant de 226 194 francs en 1974, elles ont atteint 1317865 francs en 1975 puis 2330898 francs en 1976 ; que ces circonstances ont pu amener les gestionnaires de la direction départementale à commettre des irrégularités pour assurer le fonctionnement de leurs services et que, sans faire disparaître pour autant les responsabilités encourues, elles sont de nature à les atténuer ;
Considérant que ni l'instruction ni les débats n'ont permis d'établir que les irrégularités relevées aient été commises dans une intention malhonnête ni qu'elles aient procuré à leurs auteurs un avantage injustifié, pécuniaire ou en nature ;
Considérant qu'il sera fait une juste appréciation de l'ensemble des circonstances de l'affaire en infligeant à M. BOUCHET une amende de 5000 francs, à M. de CASTELLI une amende de 2000 francs et à M. SAULI une amende de 1000 francs, ainsi qu'en prononçant la relaxe de M. BAYLE ;
ARRETE :
Article 1er : M. René BOUCHET est condamné à une amende de 5 000 F.
Article 2 : M. Gilles de CASTELLI est condamné à une amende de 2 000 F.
Article 3 : M. Jean SAULI est condamné à une amende de 1 000 F.
Article 4 : M. Michel BAYLE est relaxé des fins de la poursuite.
Article 5 : Le présent arrêt sera publié au Journal officiel de la République française.