Au nom du peuple français,

La Cour de discipline budgétaire et financière, siégeant à la Cour des comptes, a rendu l'arrêt suivant :

LA COUR,

Vu le Code des juridictions financières, notamment le titre Ier de son livre III ;

Vu le Code des marchés publics ;

Vu le décret du 29 décembre 1962, portant règlement général sur la comptabilité publique ;

Vu les décrets du 10 novembre 1983 et du 12 avril 1984, relatifs à l'organisation, au fonctionnement et au régime administratif, financier et comptable de l'INSERM ;

Vu les décrets du 24 novembre 1982 et 1er mars 1984, relatifs à l'organisation, au fonctionnement et au régime administratif, financier et comptable du CNRS ;

Vu la décision du 22 mai 1984, du directeur général de l'INSERM, conférant délégation de signature à l'administrateur délégué de la circonscription Necker-Enfants malades -Pasteur, M. Rigoard ;

Vu la décision du 9 avril 1986, par laquelle le directeur général du CNRS nomme M. Chanudet ordonnateur secondaire, en qualité d'administrateur délégué de la circonscription de Paris-A ;

Vu la communication en date du 22 novembre 1991, enregistrée au Parquet de la Cour de discipline budgétaire et financière le 25 novembre 1991, par laquelle le Président de la deuxième chambre de la Cour des comptes informe de la décision prise par ladite Cour, dans sa séance du 25 septembre 1991, de déférer à la Cour de discipline budgétaire et financière les irrégularités constatées dans la gestion de l'unité de recherche associée n° 318 du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) ;

Vu la communication en date du 1er avril 1992, enregistrée au Parquet le même jour, par laquelle le Président de la cinquième chambre de la Cour des comptes informe de la décision prise par ladite Cour, dans sa séance du 4 mars 1992, de déférer à la Cour de discipline budgétaire et financière les irrégularités constatées dans la gestion de l'unité n° 7 de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) ;

Vu le réquisitoire du Procureur général près la Cour des comptes, ministère public près la Cour de discipline budgétaire et financière, en date du 17 avril 1992, transmettant le dossier à la Cour de discipline budgétaire et financière, après avoir joint les deux déférés ;

Vu la décision du Président de la Cour de discipline budgétaire et financière du 19 octobre 1992, désignant comme rapporteur Mme Malegat- Mély, conseiller référendaire à la Cour des comptes ;

Vu les lettres recommandées par lesquelles le Procureur général a informé, le 18 décembre 1992 M. Philippe Meyer, directeur de l'unité de recherche associée du CNRS n° 318 et de l'unité de l'INSERM n° 7 et M. Camille Allué, délégué régional du CNRS, le 27 octobre 1993, M. René Rigoard, administrateur délégué régional de l'INSERM et le 9 mars 1994, M. Alain Chanudet, délégué régional du CNRS de l'ouverture d'une instruction et les avisant qu'ils pouvaient se faire assister soit par un mandataire, soit par un avoué ou un avocat, soit par un avocat au Conseil d'Etat ou à la Cour de cassation ; ensemble les accusés de réception de ces lettres ;

Vu la lettre du 13 octobre 1994 par laquelle Mme le Procureur général a fait connaître au Président de la Cour de discipline budgétaire et financière qu'elle estimait, après la communication du dossier de l'affaire le 4 octobre 1994, qu'il y avait lieu de poursuivre la procédure, ensemble les lettres du 28 octobre 1994 du Président de la Cour au ministre d'Etat, ministre des affaires sociales, de la santé et de la ville, au ministre du budget, porte- parole du gouvernement, chargé du ministère de la communication, et au ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche et la lettre du 6 mars 1995 du Président de la Cour au ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, lui demandant de saisir les commissions administratives paritaires compétentes ;

Vu les avis émis le 27 décembre 1994 par le ministre d'Etat, ministre des affaires sociales, de la santé et de la ville, le 6 janvier 1995 par le ministre du budget, porte-parole du gouvernement, chargé du ministère de la communication, le 20 janvier 1995 par le ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche ;

Vu les avis émis le 4 mai 1995 par la commission administrative paritaire n° 3 du CNRS, siégeant en conseil de discipline, le 21 juin 1995 par la commission administrative paritaire compétente à l'égard des ingénieurs de recherche de 2e classe et des chargés d'administration de la recherche de 1ere classe de l'INSERM ;

Vu la décision du Procureur général en date du 17 février 1995, renvoyant devant la Cour de discipline budgétaire et financière, en application de l'article 20 de la loi du 25 septembre 1948 modifiée, article L. 314-6 du Code des juridictions financières, MM. Chanudet, Meyer et Rigoard ;

Vu les lettres recommandées du 6 septembre 1995, par lesquelles le secrétaire de la Cour de discipline budgétaire et financière a avisé MM. Chanudet, Meyer et Rigoard qu'ils pouvaient, dans le délai de quinze jours, prendre connaissance du dossier de l'affaire soit par eux-mêmes, soit par mandataire, soit par le ministère d'un avoué ou un avocat, ou d'un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, ensemble les accusés de réception de ces lettres ;

Vu les lettres du 18 octobre 1995, par lesquelles le Procureur général a cité MM. Chanudet, Meyer et Rigoard, à comparaître devant la Cour, ensemble les accusés de réception de ces lettres ;

Vu les pièces qui figurent au dossier, notamment les procès-verbaux d'audition de MM. Allué, Chanudet, Meyer et Rigoard, les témoignages de Mmes Anne-Marie Jeunehomme, ancienne adjointe à l'agent comptable principal de l'INSERM, contrôleur divisionnaire du Trésor, Sonia Hamon, Sylvie Dupont et Katia Bourgerie, épouse Quillon, secrétaires à l'unité de recherche, MM. Dodet, ancien secrétaire général de l'INSERM et Jean- Marie Bertrand, ancien secrétaire général du CNRS, les témoignages écrits de Mme Michèle Rivière, agent comptable secondaire du CNRS, Paris A et M. Duval, ancien chercheur de l'unité et le rapport d'instruction établi par Mme Malegat-Mély ;

Vu les mémoires en défense et productions présentés respectivement par M. Alain Chanudet le 25 septembre 1995, M. René Rigoard, le 11 octobre 1995 et M° Mendelsohn, avocat au Barreau de Paris, pour M. Philippe Meyer, le 23 octobre 1995 ;

Entendu Mme Malegat-Mély en son rapport ;

Entendu Mme le Procureur général en ses conclusions ;

Entendu en leurs explications MM. Chanudet, Meyer et Rigoard ;

Entendu Mme le Procureur général en ses réquisitions ;

Entendu en sa plaidoirie M° Mendelsohn et en leurs observations MM. Chanudet, Meyer et Rigoard, ceux-ci et le conseil ayant eu la parole en dernier ;

Sur la compétence de la Cour :

Considérant qu'en leur qualité, respectivement de directeur de l'unité de recherche associée du CNRS n° 318 et de l'unité de l'INSERM n° 7, de délégué régional du CNRS et d'administrateur délégué régional de l'INSERM, MM. Philippe Meyer, Alain Chanudet et René Rigoard sont justiciables de la Cour de discipline budgétaire et financière ;

Sur le fond :

I. Considérant, en premier lieu, qu'il résulte des textes susvisés, relatifs à l'organisation comptable et financière de l'INSERM et du CNRS, que seuls les administrateurs délégués avaient normalement compétence pour engager des dépenses au nom soit de l'INSERM, soit du CNRS ; que si les ordonnateurs secondaires du CNRS ont la possibilité, dans certaines limites, de déléguer la signature des bons de commande aux directeurs d'unité, le Pr Meyer n'a pas demandé à bénéficier d'une telle délégation ; qu'ainsi, aucun membre de l'unité 7-URA 318 n'avait compétence pour passer directement commande à des fournisseurs au nom de l'INSERM ou du CNRS ; qu'il leur appartenait seulement d'adresser des propositions à cette fin aux administrateurs compétents de ces établissements publics ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier et des procès- verbaux des auditions que les chercheurs et le personnel administratif de l'unité 7-URA 318 ont passé directement commande à des fournisseurs, par téléphone ; que les secrétaires de l'unité chargées des tâches administratives et financières ont signé plusieurs bons de commande à l'en-tête du CNRS ; que le Pr Meyer a signé personnellement certains bons de commande à l'en-tête du CNRS et des promesses d'achat de matériel et d'équipement scientifique, à valoir sur les crédits INSERM ou CNRS de l'année suivante, notamment pour l'achat d'une centrifugeuse et d'un spectrofluorimètre ;

Considérant, en conséquence, que les commandes passées directement aux fournisseurs par téléphone, les bons de commande à l'en-tête du CNRS signés à l'unité 7-URA 318 et les promesses d'achats de matériels constituent des engagements de dépenses effectués par des personnes non habilitées à cet effet ; que ces faits entrent dans le champ d'application de l'article L. 313-3 du Code des juridictions financières ;

II - Considérant, en deuxième lieu, qu'il ressort des procès- verbaux des auditions et des observations des intéressés que les engagements irréguliers susmentionnés n'ont pas été portés à la connaissance des administrateurs délégués de l'INSERM et du CNRS ; qu'en raison de cette carence, la comptabilité des engagements de l'unité 7-URA 318, tenue par les administrateurs délégués compétents, ne permettait pas de constater l'ensemble des obligations de ces organismes publics, desquelles résulterait une charge, comme l'exige l'article 29 du décret susvisé du 29 décembre 1962, portant règlement général sur la comptabilité publique ; qu'il en est résulté d'importants dépassements de crédits, à hauteur d'environ 1,6 million de francs pour le budget du CNRS et de 1,4 million de francs pour le budget de l'INSERM ;

Considérant que ces faits entrent dans le champ d'application de l'article L. 313-4 du Code des juridictions financières ;

III. Considérant, en troisième lieu, qu'il résulte des pièces du dossier et des procès-verbaux d'audition que le CNRS et l'INSERM autorisent les unités de recherche à se faire livrer directement les biens et services ; que les factures des fournisseurs sont, en conséquence, adressées auxdites unités ; que ces dernières certifient le service fait ; qu'il appartenait dès lors à l'unité de recherche de transmettre aux autorités compétentes de l'INSERM et du CNRS les factures reçues, dans les délais imposés par le Code des marchés publics ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier et des procès- verbaux des auditions qu'à dater de l'exercice 1987 des factures impayées ont été conservées à l'unité 7-URA 318, sans transmission aux administrateurs délégués ; que le montant total TTC des factures reçues par l'unité et non transmises à l'INSERM ou au CNRS a été arrêté à 6 863 105,52 F ;

Considérant que la non transmission de ces factures aux administrateurs compétents entre dans le champ d'application de l'article L. 313-4 du Code des juridictions financières ;

Sur les responsabilités :

En ce qui concerne le Pr Meyer :

Considérant qu'à l'époque des faits, les directeurs généraux de l'INSERM et du CNRS n'avaient pas clairement défini le rôle administratif et financier des directeurs d'unités de recherche et n'avaient pas établi avec suffisamment de précisions les relations que ceux-ci devaient nécessairement entretenir avec les administrateurs délégués ;

Considérant toutefois que les textes applicables établissaient sans ambiguïté qu'en l'absence de toute délégation expresse qui lui aurait été consentie à cet effet, le Pr Meyer ne disposait d'aucun pouvoir pour prendre les décisions relatives à l'exécution du budget de son unité de recherche ; qu'il lui appartenait, dès lors, de veiller à ce que le personnel placé sous son autorité n'empiète en aucune manière sur la responsabilité exclusive attribuée en la matière aux administrateurs compétents de l'INSERM ou du CNRS ; que, s'agissant des chercheurs de l'unité, ni leur grade, leur âge ou leur expérience scientifique ne dispensaient le Pr Meyer de l'exercice de son pouvoir hiérarchique à leur égard ; qu'en laissant ces chercheurs aussi bien que des secrétaires administratives passer directement des commandes aux fournisseurs et prendre ainsi des décisions d'engagement de dépenses, en ne veillant pas à faire assurer aux autorités de l'INSERM et du CNRS la transmission des factures reçues et en s'abstenant d'informer de la situation ainsi créée les dites autorités, le Pr Meyer a manqué à son devoir de surveillance et engagé sa responsabilité ;

Considérant, en outre, qu'en signant lui-même des bons de commande à en-tête du CNRS et des promesses d'achat d'équipement, le professeur Meyer a également méconnu personnellement les règles budgétaires de l'INSERM et du CNRS ;

Considérant, cependant, que l'honorabilité du Pr Meyer n'est pas en cause ; qu'il n'a pris aucun intérêt personnel aux errements constatés ; qu'il a sollicité, de l'INSERM et du CNRS, sans l'obtenir, l'éclatement de l'unité 7-URA 318, en plusieurs unités de taille plus réduites et donc plus aisées à gérer ;

Considérant qu'il résulte, en outre, de l'instruction que le Pr Meyer n'a pas reçu de l'INSERM et du CNRS l'aide et les conseils dont il aurait eu besoin pour assurer correctement la gestion d'une unité de recherche dont le financement était assuré aussi bien par des sources publiques que privées ; qu'à plusieurs reprises, l'INSERM, à l'initiative de son directeur général, et le CNRS, à l'initiative du directeur scientifique concerné, ont accordé à l'unité 7-URA 318 des crédits exceptionnels destinés à prévenir des dépassements de crédits ; que ces pratiques, qui n'ont pas été immédiatement accompagnées des investigations destinées à mettre en lumière les causes de ces dépassements, n'ont pu inciter le Pr Meyer à mettre fin aux erreurs rappelées ci-dessus ;

En ce qui concerne MM. Chanudet et Rigoard :

Considérant qu'en ce qui concerne MM. Chanudet et Rigoard, aucune participation personnelle à des irrégularités relatives à l'engagement ou au mandatement ne peut être retenue ; qu'en l'absence d'informations sur les engagements de dépenses décidés au sein de l'unité, ceux-ci pouvaient légitimement penser que l'unité 7-URA 318 disposait de crédits suffisants pour couvrir les engagements de dépenses dont ils avaient connaissance ;

Considérant que la découverte des factures impayées découle d'une initiative personnelle de M. Rigoard ; que ce dernier a donc exercé le devoir de surveillance qui lui incombait ; qu'au moment où M. Chanudet a quitté ses fonctions, aucun élément matériel, et notamment aucune réclamation de fournisseurs, ne lui permettait de mettre en doute la sincérité des informations qui lui étaient transmises par l'URA 318 ; qu'en conséquence, il ne peut être reproché à M. Chanudet d'avoir failli au devoir de surveillance ;

Considérant qu'il sera fait une juste appréciation des circonstances de l'affaire en condamnant le Pr Meyer à une amende de 8 000F, en prononçant la relaxe de MM. Chanudet et Rigoard et en publiant le présent arrêt au Journal officiel de la République française ;

ARRETE

Article 1er - M. Philippe Meyer est condamné à une amende de 8000 F;

Article 2 - MM. Alain Chanudet et René Rigoard sont relaxés ;

Article 3 - Le présent arrêt sera publié au Journal officiel de la République française.

Fait et jugé en la Cour de discipline budgétaire et financière le vingt novembre mil neuf cent quatre-vingt-quinze.

Présents : M. Galmot, président de la section des finances du Conseil d'Etat, vice-président de la Cour de discipline budgétaire et financière, président, Mme Bauchet et M. Fouquet, conseillers d'Etat, M. Campet, conseiller maître à la Cour des comptes, membres de la Cour de discipline budgétaire et financière ; Mme Malegat-Mély, conseiller référendaire à la Cour des comptes, rapporteur.

En conséquence, la République mande et ordonne à tous huissiers de justice sur ce requis de mettre ledit arrêt à exécution, aux procureurs généraux et aux procureurs de la République près les tribunaux de grande instance d'y tenir la main, à tous commandants et officiers de la force publique de prêter main-forte lorsqu'ils en seront légalement requis.

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le Président de la Cour et le Greffier.