RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS,

LA COUR DE DISCIPLINE BUDGETAIRE ET FINANCIERE,
Siégeant à la Cour des comptes, en audience publique, a rendu l'arrêt suivant :

Vu le code des juridictions financières, notamment le titre 1er du livre III, relatif à la Cour de discipline budgétaire et financière ;

Vu l'ordonnance n° 67-578 du 13 juillet 1967 créant, sous le nom d’Agence nationale pour l’emploi (ANPE), un établissement public national doté de la personnalité civile et de l’autonomie financière ;

Vu le code du travail dans sa version applicable à l'époque des faits et notamment ses articles relatifs à l’ANPE L. 311-7 et L. 311-8, créés par l’ordonnance n° 86-1286 du 20 décembre 1986, et R. 311-4-1 à R. 311-4-22, créés par le décret n° 87-442 du 24 juin 1987 ;

Vu la loi n° 96-452 du 28 mai 1996 portant diverses mesures d'ordre sanitaire, social et statutaire ;

Vu la loi n° 2008-126 du 13 février 2008 relative à la réforme de l’organisation du service public de l'emploi et le décret n° 2008-1010 du 29 septembre 2008, aux termes desquels a été créée le 19 décembre 2008 une institution nationale publique, dénommée Pôle emploi, à laquelle l’ensemble des biens, droits et obligations, créances et dettes de l’ANPE a été transféré ;

Vu le décret n° 53-1227 du 10 décembre 1953 relatif à la réglementation comptable applicable aux établissements publics nationaux à caractère administratif ;

Vu la lettre du 21 décembre 2007, enregistrée au Parquet général le même jour, par laquelle le Président de la cinquième chambre de la Cour des comptes a informé le Procureur général près la Cour des comptes, ministère public près la Cour de discipline budgétaire et financière, de la décision de ladite chambre de déférer à la Cour de discipline budgétaire et financière des faits présomptifs d’irrégularités dans la gestion administrative et financière de l’ANPE, et notamment relatifs à un projet informatique dit de « gestion opérationnelle de la demande d’emploi » (GEODE) ;

Vu le réquisitoire du 10 avril 2008 par lequel le Procureur général a saisi la Cour de discipline budgétaire et financière desdites irrégularités, conformément à l’article L. 314-1 du code des juridictions financières ;

Vu la décision du 15 avril 2008 par laquelle le Président de la Cour de discipline budgétaire et financière a nommé en qualité de rapporteur Mme Michèle Coudurier, conseillère référendaire à la Cour des comptes ;

Vu la lettre recommandée du 14 novembre 2008 par laquelle le Procureur général a informé M. Michel Bernard, directeur général de l’ANPE, du 12 octobre 1995 au 17 avril 2005, de l’ouverture d’une instruction dans les conditions prévues à l’article L. 314-4 du code des juridictions financières, et l’avis de réception de ladite lettre ;

Vu la note du 25 février 2009 par laquelle Mme Coudurier a informé le Procureur général de faits nouveaux relatifs au conseil d’administration de l’ANPE laissant présumer l’existence d’autres irrégularités dans la gestion administrative et financière de l’ANPE ;

Vu le réquisitoire supplétif du 30 avril 2009 par lequel le Procureur général a saisi la Cour de discipline budgétaire et financière desdites irrégularités, conformément à l’article L. 314-1 du code des juridictions financières ;

Vu la lettre recommandée du 18 novembre 2009 par laquelle le Procureur général a informé M. Bernard de l’ouverture d’une instruction dans les conditions prévues à l’article L. 314-4 du code des juridictions financières, l’avis de réception de cette lettre ;

Vu la lettre du Président de la Cour de discipline budgétaire et financière du 26 janvier 2012 transmettant au Procureur général le dossier de l’affaire, après dépôt du rapport d’instruction, conformément aux dispositions de l’article L. 314-4 du code des juridictions financières ;

Vu la lettre du Procureur général en date du 12 avril 2012 informant le Président de la Cour de discipline budgétaire et financière de sa décision, après communication du dossier de l’affaire, de poursuivre la procédure en application de l’article L. 314-4 du code des juridictions financières ;

Vu les lettres du 18 avril 2012 du Président de la Cour de discipline budgétaire et financière transmettant le dossier pour avis au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie et au ministre du travail, de l’emploi et de la santé, en application de l'article L. 314-5 du même code, ensemble les avis de réception de ces lettres ;

Vu la lettre du 25 mai 2012 par laquelle le Président de la Cour de discipline budgétaire et financière a transmis au Procureur général le dossier de l’affaire, conformément à l’article L. 314-6 du code des juridictions financières ;

Vu la décision du Procureur général du 26 juillet 2012 renvoyant M. Bernard devant la Cour de discipline budgétaire et financière, conformément à l’article L. 314-6 du code des juridictions financières ;

Vu la lettre recommandée de la greffière de la Cour de discipline budgétaire et financière du 31 juillet 2012, avisant M. Bernard qu'il pouvait prendre connaissance du dossier de l’affaire et produire un mémoire en défense dans les conditions prévues à l'article L. 314-8 du code des juridictions financières, et le citant à comparaître le 26 octobre 2012 devant la Cour, et l’avis de réception de ladite lettre ;

Vu le mémoire en défense produit par Maître Jean-Jacques Recoules pour M. Bernard le 11 octobre 2012, enregistré au greffe de la Cour le même jour, ensemble les pièces à l'appui ;

Vu les autres pièces du dossier, notamment les procès-verbaux d’audition et le rapport d'instruction de Mme Coudurier ;

Entendu le rapporteur, Mme Coudurier, résumant son rapport écrit, en application des articles L. 314-12 et R. 314-1 du code des juridictions financières ;

Entendu le représentant du ministère public, résumant la décision de renvoi, en application des articles L. 314-12 et R. 314-1 du code des juridictions financières ;

Entendu le Procureur général en ses conclusions, en application de l’article L. 314-12 du code des juridictions financières ;

Entendu en sa plaidoirie Maître Recoules pour M. Bernard, ce dernier ayant été invité à présenter ses explications et observations, la défense ayant eu la parole en dernier ;

Sur la compétence de la Cour

Considérant que, selon les dispositions du I de l’article L. 312-1 du code des juridictions financières, est justiciable de la Cour de discipline budgétaire et financière « b) tout fonctionnaire ou agent civil ou militaire de l’Etat, des collectivités territoriales, de leurs établissements publics, ainsi que des groupements des collectivités territoriales » ;

Considérant que l’ANPE était, selon l’article L. 311-1 du code du travail dans sa version applicable à l’époque des faits, un établissement public national ; qu’elle était soumise au contrôle de la Cour des comptes en vertu des articles L. 111-1 et L. 111-3 du code des juridictions financières ;

Considérant dès lors que M. Bernard, directeur général de l’ANPE du 12 octobre 1995 au 17 avril 2005, est justiciable de la Cour de discipline budgétaire et financière en application des dispositions précitées du b du I de l’article L. 312-1 du code des juridictions financières ;

Sur l'absence d'avis du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie et du ministre du travail, de l’emploi et de la santé

Considérant qu’en application de l'article L. 314-5 du code des juridictions financières, l'absence de réponse du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie et du ministre du travail, de l’emploi et de la santé à la demande d'avis qui leur avait été adressée le 18 avril 2012, ne fait pas obstacle à la poursuite de la procédure ;

Sur la prescription

Considérant qu’aux termes de l’article L. 314-2 du code des juridictions financières : « la Cour ne peut être saisie après l'expiration d'un délai de cinq années révolues à compter du jour où aura été commis le fait de nature à donner lieu à l'application des sanctions prévues par le présent titre » ;

Considérant que la lettre du président de la cinquième chambre de la Cour des comptes a été enregistrée au Parquet général près la Cour de discipline budgétaire et financière le 21 décembre 2007 ; qu’ainsi, les irrégularités postérieures au 21 décembre 2002 ne sont pas couvertes par la prescription édictée par l'article L. 314-2 du code des juridictions financières ;

Considérant toutefois que les marchés publics conclus avant le 21 décembre 2002 au titre du projet GEODE, et toujours en cours d’exécution après cette date, ont continument affecté l’établissement public pendant la période non prescrite ; qu'il appartient dès lors à la Cour de procéder à leur examen sans que soit méconnue la règle de prescription prévue par l'article L. 314-2 du code des juridictions financières ;

Sur les faits, leur qualification juridique et les responsabilités

1 - Sur les faits

Considérant que l’article L. 311-2 du code du travail en vigueur jusqu’au 1er mai 2008 disposait que « tout travailleur recherchant un emploi doit requérir son inscription auprès de [l’ANPE] » ; que l’article L. 311-5 dudit code précisait que les personnes inscrites sur la liste des demandeurs d'emploi étaient « classées dans des catégories déterminées par arrêté du ministre chargé de l'emploi en fonction de l’objet de leur demande et de leur disponibilité pour occuper un emploi » ;

Considérant que l’informatisation du fichier des demandeurs d’emploi a été réalisée grâce à l’application dite de « gestion informatisée des demandeurs d’emploi » (GIDE) développée dans les années 1980 par l’Union nationale interprofessionnelle pour l’emploi dans l’industrie et le commerce (Unédic) et généralisée à l’ensemble du territoire français aux termes d’une convention conclue le 25 juillet 1983 entre l’ANPE et l’Unédic ;

Considérant que pour prendre en compte les besoins propres de l’ANPE, une nouvelle convention relative à l’exploitation du fichier unique des demandeurs d’emploi, dite GIDE 1 bis, a été conclue le 9 juin 1988 entre l’ANPE et l’Unédic ; que le transfert aux Assédic de l’inscription administrative des demandeurs d’emploi, décidé par la loi n° 96-452 du 28 mai 1996, a été à l’origine de l’avenant n° 1 à ladite convention, qui a également tiré les conséquences de la réorganisation des services informatiques de l’Unédic, avec la mise en place de cinq centres de services informatiques des Assedic (CSIA) en remplacement des groupements informatiques inter-Assédic (GIA) qui géraient les fichiers de GIDE 1 bis ;

Considérant que le schéma directeur stratégique des systèmes d’information, finalisé le 29 août 1995 par l’ANPE, prévoyait la réalisation d’un nouveau système d’information permettant notamment de « clarifier la position vis-à-vis du régime d’assurance chômage » ; que parmi les 12 projets composant le système-cible figurait celui baptisé à ce stade « GIDE ANPE » qui avait pour objectifs de « diminuer, voire supprimer les contraintes dues à la multiplicité des plates-formes GIA, se donner les moyens de faire évoluer le système plus facilement, améliorer les facilités d’utilisation » en constituant, au sein de l’ANPE des bases de données opérationnelles ; que le budget du projet GIDE ANPE était estimé à ce stade à 14,48 M€ (95 MF), dont 3,05 M€ (20 MF) pour les logiciels et 11,43 M€ (75 MF) pour les matériels et logiciels systèmes ;

Considérant que la décision de lancement du projet GIDE ANPE, rebaptisé GEODE, a été prise par l’ANPE et a fait l’objet d’un appel d’offre à compter du 22 octobre 1996 ;

Considérant qu’aux termes de l’instruction signée le 3 décembre 1996 par M. Bernard, directeur général de l’ANPE, « fixant les responsabilités et l’organisation » du projet GEODE, la direction de projet a été confiée au directeur de la mission contrat de progrès (rebaptisée direction de la modernisation et de la qualité début 1997) rattachée directement au directeur général ; que la maîtrise d’ouvrage (MOA) relevait de la direction générale adjointe (DGA) « développement des services » (DDS), renommée en 1998 « développement des services et des interventions » (DDSI), alors que la maîtrise d’œuvre (MOE) était confiée à la direction des systèmes d’information (DSI) qui dépendait de la DGA « appui et logistique » ; qu’un comité directeur du projet, présidé par le directeur général, a été mis en place et réuni pour la première fois le 26 février 1997 ;

Considérant que selon la méthode de conduite de projets, élaborée par la « mission qualité méthode et sécurité » (MQMS) de la DSI, le projet GEODE devait passer par les quatre phases suivantes : phase de définition (expression des besoins, élaboration d’études préalables et élaboration d’un cahier des charges), phase de réalisation (rédaction des spécifications, développement, tests et recettes fonctionnelles), phase de réception (intégration et qualification globale, site pilote) et phase de déploiement sur l’ensemble du territoire ;

Considérant qu’un premier marché d’assistance à la maîtrise d’ouvrage a été notifié le 1er juillet 1997 au groupement KPMG Peat Marwick/Sycomore pour un montant de 3,78 M€ (24, 788  MF) et que trois marchés de définition ont été notifiés le 3 mars 1998 pour un montant total de 3 M€ (19,681 MF) : marché n° 98/0055 avec le groupement Bull/Cap Gemini ; marché n° 98/0056 avec le groupement Atos/Hewlett Packard (HP) et marché n° 98/0058 avec le groupement IBM/Steria ; que l’examen de leurs offres détaillées, remises le 18 septembre 1998, a été effectué avec l’aide de KPMG Peat Marwick/Sycomore ;

Considérant que parallèlement au choix du prestataire, la réalisation du projet GEODE « avant la fin de l’année 2001 » a été mentionnée dans le volet « moderniser le système d’information » du 3ème contrat de progrès conclu entre l’Etat et l’ANPE le 28 janvier 1999 pour la période 1999-2003 ; qu’afin de résoudre un différend, apparu lors de la discussion de la subvention pour 1999, relatif au montant exact des dépenses informatiques de l’ANPE, un rapport d’audit a été établi par le Conseil général des technologies de l’information (CGTI) en avril 1999 ; qu’après avoir constaté « un certain nombre d’anomalies qui ont pour effet d’obscurcir le débat budgétaire et d’empêcher la mise en place d’un système sous contrôle », cet audit a notamment recommandé de « doter l’ANPE d’une comptabilité analytique capable d’établir les coûts complets des applications et des coûts prévisionnels pour les projets envisagés » ;

Considérant que, les trois marchés de définition susmentionnés portant sur le même objet ayant été passés en application de l’article 108 du code des marché publics (CMP) alors en vigueur, les prestations de réalisation pouvaient être attribuées, sans nouvelle mise en concurrence, à l’auteur de la solution retenue, en l’occurrence au groupement Atos/HP, choisi au terme de l’examen des trois offres ; qu’ainsi deux marchés à tranches et bons de commande négociés sans mise en concurrence en application respectivement des articles 76 et 104.II.3 du CMP, l’un avec le groupement Atos/HP pour la réalisation et le déploiement de GEODE (dit ci-après marché n° 99/272 de réalisation), l’autre avec HP pour la fourniture de matériels, logiciels de constructeur, maintenance de base et prestations associées nécessaires à la réalisation et au déploiement de GEODE (dit ci-après marché n° 99/273 de fourniture), ont été conclus ;

Considérant que le marché n° 99/272 de réalisation de GEODE, signé par le directeur général de l’ANPE, M. Bernard, a été notifié à la société Atos, mandataire du groupement Atos/HP, le 7 juin 1999 ; qu’il comportait une tranche ferme (TF) et trois tranches conditionnelles (TC1, TC2 et TC3) ; que son montant total était de 25,75 M€ (168, 883 MF) TTC, dont 3,47 M€ (22, 787 MF) TTC pour la tranche ferme ; que les livrables de la TC1 étaient regroupés en trois sous-ensembles fonctionnels ;

Considérant que le marché n° 99/273 de fourniture, signé par le directeur général de l’ANPE, M. Bernard, a été notifié à la société HP France le 7 juin 1999 ; qu’il comportait quatre tranches identiques à celles du marché n° 99/272 de réalisation, de façon à ce que les deux marchés s’exécutent sur la même durée, exception faite toutefois de la TC3 ; que son montant total était de 3,74 M€ (24, 540 MF) ;

Considérant qu’après la notification de ces deux marchés, un document a redéfini l’organisation mise en place pour la phase de réalisation du projet GEODE ; qu’en plus du directeur de projet assisté de trois adjoints responsables de pôles opérationnels, trois nouvelles instances internes à l’ANPE ont été mises en place : en plus du comité directeur bimestriel, un comité de pilotage hebdomadaire, un comité de suivi des sous-projets ANPE bimensuel et une réunion quotidienne  de coordination des trois responsables de pôles ; qu’ont également été constituées deux instances mixtes à l’ANPE et au groupement Atos/HP, désigné sous l’intitulé de « Consortium » : un comité de pilotage mensuel et un comité de suivi des sous-projets bimensuel ;

Considérant que le marché n° 99/272 de réalisation a fait l’objet de cinq avenants signés par le directeur général de l’ANPE, M. Bernard ; qu’à l’exception de l’avenant n° 4 notifié le 7 avril 2003, ces avenants ont eu un impact sur le coût du marché et sur son délai d’exécution ;

Considérant que l’avenant n° 1 au marché n° 99/272 a été notifié le 8 décembre 2000 à Atos ; qu’il a eu notamment pour objet d’augmenter le montant du marché de 653 219,64 € (4, 284 MF) TTC et de porter le délai d’exécution de la tranche conditionnelle n°1 de 19 à 21 mois à cause « du retard dans la livraison par l’ANPE des différentes versions de son modèle métier » et de « la durée des études complémentaires » ; que le démarrage de GEODE est cependant resté fixé à mars 2003, selon le compte rendu de la réunion du comité directeur du 15 novembre 2000 ;

Considérant que l’avenant n° 2 au marché n° 99/272 a été notifié le 25 octobre 2001 à Atos (renommée Atos Origin) ; que son objet était de « modifier certains dispositifs techniques, d’apporter des modifications dans le domaine fonctionnel, ce qui a [eu] pour conséquence une modification de planning » ; que le délai d’exécution de la TC1 a ainsi été porté de 21 à 28 mois « pour prendre en compte le temps nécessaire à l’exécution des études et des réalisations entrainées par les modifications demandées par l’ANPE » ; que ces modifications ont eu pour effet d’augmenter le montant du marché de 2,343 M€ (15, 367 MF) TTC ;

Considérant que l’avenant n° 3 au marché n° 99/272 a été notifié le 31 mai 2002 à Atos Origin ; que pour prendre en compte la mise en œuvre du plan d’aide au retour à l’emploi (PARE) et du projet d’action personnalisée (PAP), prévus par la nouvelle convention d’assurance chômage du 1er janvier 2001, il a eu pour objet de porter le délai d’exécution de la TC1 de 28 à 46 mois et de supprimer les deux autres tranches conditionnelles (TC2 et TC3) ; qu’en dépit de cette suppression, le montant total du marché a été augmenté d’un montant de 1,082 M€ (7, 102 MF) compte tenu des ajouts, ce qui l’a porté à 35,84 M€ TTC ;

Considérant que l’avenant n° 5 au marché n° 99/272 de réalisation a été notifié le 28 novembre 2003 à Atos Origin ; qu’il avait pour objet de modifier les sous-ensembles fonctionnels n° 3 et n° 4, d’en créer un cinquième, d’ajouter des livrables complémentaires ; qu’en conséquence, le délai d’exécution de la TC1 a été porté de 46 à 53 mois et le montant du marché augmenté de 7 651 805,75 € pour atteindre 43,49 M€ TTC, soit une augmentation de 68,9 % par rapport au montant initial ;

Considérant que, compte tenu de la date d’affermissement de la TC1 au 1er février 2000 et de l’allongement du délai d’exécution à 53 mois, celui-ci est arrivé à échéance le 30 juin 2004 ; qu’à cette date, le groupement Atos/HP n’avait toujours pas rempli tous les engagements du marché ; que plusieurs courriers faisant état de défaillances d’Atos ont été adressés par le nouveau directeur de la DSI, qui avait pris ses fonctions le 1er novembre 2003 ;

Considérant que, dans le cadre d’une procédure négociée sans mise en concurrence, un nouveau marché à bons de commande n° 2004/M000360 de maintenance du système GEODE a été conclu avec le groupement Atos/HP ; que, selon le rapport de présentation du 25 mai 2004, ce marché à bons de commande a « fait suite au marché de réalisation et de déploiement du système GEODE, qui s’achève le 30 juin 2004 et dans lequel les sites pilotes et le déploiement ont été supprimés puisque leur processus a été fortement modifié depuis la notification » et qu’il avait « pour objet la maintenance applicative et technique ainsi que l’accompagnement à la mise en œuvre du système GEODE durant les phases de site pilote et de déploiement » ; que ce marché a été signé par le directeur général de l’ANPE, M. Bernard, et notifié le 27 juillet 2004 à Atos/HP, pour une durée maximum de trois ans à compter de sa date de notification, avec des montants minimum et maximum de 7 M€ et 15 M€ ;

Considérant que selon le rapport rendu en janvier 2004 par M. Jean Marimbert, à la demande du ministre des affaires sociales du travail et des solidarités : « Le choix stratégique fait en 1996 par la direction générale de l’ANPE en vue de la mise en place d’un système propre baptisé GEODE nous paraît compréhensible […]. Mais sa concrétisation tardive - près de huit années plus tard - aboutit à rompre, en quelque sorte à contre temps, avec la pratique du fichier commun – GIDE, puis GIDE 1 bis désormais réaménagé dans le cadre du projet ALADIN – qui était en vigueur depuis une vingtaine d’années » ; que cependant ce rapport n’a pas proposé l’abandon du projet GEODE ;

Considérant que le rapport établi en juin 2004 par le comité d’évaluation du 3ème contrat de progrès conclu entre l’Etat et l’ANPE fait le constat du retard important du projet GEODE ; qu’il rappelle que « le marché initial de réalisation de GEODE prévoyait un déploiement de la version 1 début 2002, il est désormais envisagé pour 2004 » ; qu’après avoir souligné les défaillances du Consortium, le rapport estime que les difficultés rencontrées ont surtout été liées à la mise en œuvre du PARE et que « les préoccupations relatives à GEODE, au départ purement techniques et financières, touchent maintenant la stratégie même des deux partenaires ANPE et Unédic » ; que bien qu’il indique aussi que « le projet d’autonomie de l’ANPE en matière de système d’information suscite une interrogation dans un contexte où le PARE-PAP conduit politiquement et fonctionnellement à une étroite imbrication entre l’Unédic et l’ANPE », il ne se prononce pas sur la réponse à apporter ;

Considérant qu’au moment où le nouveau directeur général de l’ANPE, M. Charpy, a pris ses fonctions le 18 avril 2005, le projet GEODE était en phase de déploiement dans une région pilote ; qu’après avoir fait procéder à plusieurs études, M. Charpy a décidé de suspendre le projet GEODE le 13 septembre 2005, puis a procédé à la réception définitive du marché n° 99-272 de réalisation, avec réfaction et application de pénalités de retard ; que le marché n° 2004/M000360 de maintenance a été résilié le 7 octobre 2005 avec un préavis de quatre mois ;

Considérant que M. Charpy a fait procéder à l’audit du projet GEODE par le cabinet Deloitte ; que le rapport de celui-ci d’avril 2006 a estimé que ce « projet majeur de l’Agence, initialement prévu pour une durée de 3 ans et non finalisé au bout de 8 ans, […] a mobilisé de nombreuses énergies, a nécessité un investissement financier considérable pour finalement être arrêté avant son déploiement par manque de fiabilité et inadéquation avec les nouvelles politiques de l’emploi » ;

Considérant qu’il n’a pas été possible de déterminer l’ensemble des coûts liés au projet GEODE ; qu’une note de la DGA finances à l’attention du directeur général de l’ANPE du 6 septembre 2005 fait état de 138,5 M€ de coûts directs de GEODE, soit ceux comprenant les achats de logiciels, matériels et prestations externes ; que le montant inclut 15 M€ de coûts d’assistance à la MOA, mais qu’il est indiqué que ce montant n’est pas exhaustif, ces coûts n’étant pas connus, mais seulement estimés ; que le rapport Deloitte d’avril 2006 cite, quant à lui, un document intitulé « bilan financier du projet GEODE au 15 novembre 2005 » fourni par le DSI, qui indique un montant de 137,59 M€ de coûts externes sur l’ensemble du projet ;

Considérant que sur la base des documents recueillis au cours de l’instruction, les coûts externes sont de l’ordre de 140 M€, les coûts internes du projet correspondant aux coûts salariaux des agents de l’ANPE travaillant sur le projet (MOE, MOA et autres) et aux coûts de formation des autres agents de l’ANPE n’ayant jamais été évalués ;

2. Sur les infractions

2.1 Sur le défaut d’organisation et de suivi des coûts du projet

Considérant que le rapport d’audit réalisé en avril 1999 par le Conseil général des technologies de l'information a recommandé que l’ANPE soit dotée d’une comptabilité analytique en vue d’établir les coûts complets des projets informatiques ; que le rapport d’audit des procédures comptables et financières, de contrôle et d’évaluation interne de l’ANPE, établi en mars 2003 par l’Inspection générale des finances (IGF) et l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS), a préconisé la mise en place d’un suivi des coûts complets de tous les projets informatiques ;

Considérant que ces préconisations n’ont pas été suivies d’effet ;

Considérant que les coûts complets du projet n’ont pu dès lors constituer un outil de pilotage ; qu’ainsi que l’a relevé le rapport susmentionné de l’IGF et de l’IGAS, sur les 13 réunions du comité directeur tenues de 2000 à 2002, « la situation budgétaire et financière du projet n’a été traitée au niveau de cette instance qu’une seule fois » ; que pour les trois réunions de 2003, seul le procès-verbal de la réunion du 25 février 2003 fait état du budget de GEODE pour 2003 avec une annonce de la réduction du budget de l’assistance à la maîtrise d’œuvre, sans toutefois qu’une évaluation des coûts globaux n’ait été présentée ; qu’aucune évaluation de la situation financière et budgétaire du projet n’a été effectuée lors de l’unique réunion attestée du comité directeur, le 3 février 2004 ;

Considérant que les choix d’organisation arrêtés ont été préjudiciables à la surveillance et au suivi convenables des coûts du projet GEODE au regard de son ampleur et de sa complexité ;

Considérant en effet que les missions du directeur du projet GEODE, ainsi que ce dernier l’a déclaré, « ne couvraient pas toutes les composantes du projet » ; qu’elles excluaient les relations avec l’Unédic, confiées à la directrice générale adjointe en charge du secteur opérationnel, ainsi que la passation et l’exécution des marchés qui relevaient de la maîtrise d’œuvre et de la maîtrise d’ouvrage ;

Considérant que le procès-verbal de la première réunion du comité directeur du 26 février 1997 prévoyait de mettre en place, auprès du directeur de projet GEODE, un « correspondant chargé des aspects financiers et administratifs » et que le document intitulé « la gestion du budget du projet GEODE » indiquait un « responsable budget et juridique » ; que cependant un tel poste n’a jamais été créé ; qu’en conséquence, faute de disposer d’une vision exhaustive sur l’utilisation des crédits, la direction du projet n’a jamais été en mesure d’être « le garant du respect des contraintes de budget et de calendrier fixées pour le projet » alors que ce rôle lui avait été assigné selon le document non daté intitulé « organisation générale de la phase de réalisation » ;

Considérant que, du fait notamment des choix effectués en matière de direction de projet, aucun suivi exhaustif des coûts du projet GEODE n’a été mis en place ; qu’en effet, la maîtrise d’œuvre n’était en charge que d’un suivi limité, ne prenant pas en compte les coûts complets de l’ensemble du projet ; que, de même, la maîtrise d’ouvrage n’a pas organisé de suivi des coûts et que nul document n’atteste d’une véritable consolidation des coûts du projet ;

Considérant ainsi qu’en l’absence de pilotage par les coûts, le directeur général de l’établissement ne s’est pas doté des outils nécessaires pour éviter la dérive financière du projet GEODE, dont le montant total a été de l’ordre de 140 M€ pour les seuls coûts externes ; que le montant initial du projet était de 14,48 M€, retenu à titre prévisionnel en août 1995 par le schéma directeur stratégique des systèmes d’information, puis de 18 M€, en 1997, au moment de la réception des offres pour le marché de définition, et enfin de 29 M€ au moment de la pré-conférence informatique pour 1999 ; que la mise en œuvre ultérieure du dispositif PARE-PAP qui a imposé, à compter de 2001, une adaptation du projet GEODE, n’explique que partiellement l’évolution des coûts dudit projet ;

Considérant au surplus que le comité directeur, présidé par M. Bernard à l’époque des faits, était notamment chargé de « valider les travaux, examiner les risques du projet, valider le planning prévisionnel » et devait se réunir à chaque évènement important, à l’initiative du directeur général ou sur proposition du directeur de projet ; qu’après la réunion du 3 février 2004, le comité directeur n’a plus été réuni jusqu’à l’arrivée du nouveau directeur général ;

2.2 Sur les autres griefs

Considérant que le défaut de production d’un plan d’assurance qualité (PAQ), pourtant prévu parmi les pièces constitutives du marché de réalisation n° 99/272 notifié le 7 juin 1999, a été constaté pendant la période prescrite ;

Considérant de même que l’absence de mise en œuvre en 1999 des pénalités de retard, stipulées à l’article 10 § 1 du CCAP, lors de l’exécution de la tranche ferme du marché n° 99/272 de réalisation, se situe également au cours de la période prescrite ;

Considérant que si nulle pénalité n’a été appliquée pour sanctionner les retards constatés au titre de la tranche conditionnelle n° 1 du marché n° 99/272 avant l’arrêt du projet, l’instruction n’a pas déterminé dans quelle mesure ces retards étaient imputables au cocontractant de l’administration, alors que la mise en œuvre desdites pénalités y étaient conditionnées en application de l’article 10, § 2, du CCAP ;

Considérant dès lors que ce grief doit être écarté ;

3. Sur la qualification et les responsabilités

Considérant que le défaut de surveillance, d’organisation du service et de suivi des coûts, qui est constitutif de l’infraction portée par l’article L.313-4 du code des juridictions financières, doit être apprécié par référence aux obligations auxquelles est soumise une personne en raison des fonctions qu’elle exerce et de l’institution dont elle relève ; qu’ainsi, l’exercice des fonctions de directeur général d’un établissement public national implique un devoir de surveillance et de sauvegarde des intérêts matériels de l’organisme concerné ;

Considérant qu’en tant que directeur général de l’ANPE du 12 octobre 1995 jusqu’au 17 avril 2005, date de son départ à la retraite, M. Bernard, était ordonnateur et personne responsable des marchés de l’établissement public ; que si la décision de développer le projet GEODE a été prise par son prédécesseur, c’est M. Bernard qui a pris les décisions relatives au lancement du projet, à son organisation, et à sa réalisation ; qu’il présidait en outre le comité directeur du projet GEODE et que le directeur du projet lui était directement rattaché ;

Considérant ainsi que M. Bernard, a engagé sa responsabilité pour défaut d’organisation et de surveillance lors de la mise en œuvre dudit projet sur le fondement de l'article L. 313-4 du code des juridictions financières ;

Sur les circonstances

Considérant que plusieurs rapports d’audit et d’inspection ont alerté M. Bernard au cours du déroulement du projet ; que notamment le rapport d’audit, diligenté par la MQMS de la DSI de l’ANPE et réalisé de mars à juin 2001, contenait l’avertissement suivant : « GEODE un projet en danger. Au vu des différentes synthèses présentées, il apparaît que des dysfonctionnements graves pour un projet de cette envergure peuvent être constatés de part et d’autre. Le projet GEODE n’est pas maîtrisé à ce jour. Si l’ANPE ne réagit pas fermement, la bonne fin elle-même du projet est en danger (…)» ; que le conseiller scientifique de M. Bernard lui a adressé, le 6 novembre 2001, un courrier exposant les risques graves qui menaçaient le projet et proposant d’étudier une solution alternative ; que la responsable de projet MOE, qui estimait que l’absence d’allotissement constituait le principal problème du projet a également exprimé des propositions lors du comité de pilotage interne du 7 janvier 2002 ;

Considérant que ces circonstances sont de nature à aggraver la responsabilité de M. Bernard ;

Considérant que les autorités de tutelle de l’ANPE n’ont pas exigé de disposer d’un suivi des coûts du projet GEODE et se sont abstenues d’intervenir lorsque les changements apportés à la politique de l’emploi par la mise en œuvre du PARE-PAP ont modifié les données de réalisation du projet ;

Considérant que l’évolution des orientations de la politique de l’emploi au cours de la période a contraint le directeur général à procéder à des adaptations très importantes du projet GEODE ;

Considérant que ces circonstances conduisent la Cour à atténuer la responsabilité de M. Bernard ;

Sur l'amende

Considérant qu’il sera fait une juste appréciation des irrégularités commises et des circonstances de l’espèce en infligeant à M. Bernard une amende de 2 000 € ;

Sur la publication au Journal officiel de la République française

Considérant qu’il y a lieu, compte tenu des circonstances de l'espèce, de publier le présent arrêt au Journal officiel de la République française en application de l’article L. 314-20 du code des juridictions financières.

ARRÊTE :

Article 1er : M. Michel Bernard est condamné à une amende de 2 000 € (deux mille euros).

Article 2 : Le présent arrêt sera publié au Journal officiel de la République française.

Délibéré par la Cour de discipline budgétaire et financière, le vingt-six octobre deux mille douze par M. Migaud, Premier président de la Cour des comptes, Président ; M. Toutée, président de la section des finances du Conseil d'État, vice-président ; M. Loloum, conseiller d'État, M. Duchadeuil et Mmes Fradin et Vergnet, conseillers maîtres à la Cour des comptes, MM. Prieur et Larzul, conseillers d'État et M. Geoffroy, conseiller maître à la Cour des comptes.

Lu en audience publique le 16 novembre deux mille douze.

En conséquence, la République mande et ordonne à tous huissiers de justice sur ce requis de mettre ledit arrêt à exécution, aux procureurs généraux et aux procureurs de la République près les tribunaux de grande instance d’y tenir la main, à tous les commandants et officiers de la force publique de prêter main-forte lorsqu’ils en seront légalement requis.

En foi de quoi, le présent arrêt a été signé par le président de la Cour et la greffière.

Le Président,
Didier MIGAUD

La greffière,
Isabelle REYT