RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LA COUR DE DISCIPLINE BUDGÉTAIRE ET FINANCIÈRE,

siégeant à la Cour des comptes, en audience publique, a rendu l’arrêt suivant :

Vu le code des juridictions financières, notamment le titre 1er de son livre III, relatif à la Cour de discipline budgétaire et financière ;

Vu le code des ports maritimes, dans sa rédaction en vigueur au moment des faits ;

Vu la loi n° 2008-660 du 4 juillet 2008 portant réforme portuaire ;

Vu le code des marchés publics, dans ses rédactions successives résultant des décrets n° 2004-15 du 7 janvier 2004 et n° 2006-975 du 1er août 2006, en vigueur au moment des faits ;

Vu le décret n° 62-1587 du 29 décembre 1962 portant règlement général sur la comptabilité publique, en vigueur au moment des faits ;

Vu les instructions codificatrices n° 02-060-M95, 02-072-M95 et 02-039-M95 portant réglementation budgétaire, financière et comptable des établissements publics nationaux à caractère industriel et commercial ;

Vu les règlements intérieurs successifs du port de Nantes - Saint-Nazaire dans leur partie « règlement applicable aux marchés » ;

Vu la communication en date du 10 décembre 2012, enregistrée le 11 décembre 2012, par laquelle le président de la septième chambre de la Cour des comptes a informé le parquet général de la décision prise par ladite chambre, en sa séance du 24 mai 2012, de déférer à la Cour de discipline budgétaire et financière des faits laissant présumer l’existence d’irrégularités dans la gestion administrative, financière et comptable du grand port maritime de Nantes - Saint-Nazaire, intervenues au cours des exercices 2009 à 2011 ;

Vu le réquisitoire du 23 janvier 2013, par lequel le procureur général a saisi de cette affaire le premier président de la Cour des comptes, président de la Cour de discipline budgétaire et financière ;

Vu la lettre du 29 janvier 2013, par laquelle le président de la Cour de discipline budgétaire et financière a désigné comme rapporteur M. Christophe Archirel, premier conseiller de chambre régionale des comptes ;

Vu la lettre du 26 juin 2013 du procureur général, par laquelle ont été mis en cause dans cette affaire MM. François Marendet, directeur général du port du 1er mai 2004 au 5 février 2009, puis président du directoire du 6 février au 24 mars 2009 ; Yves Gauthier, président du directoire du port par intérim du 25 mars 2009 au 2 février 2010 ; Jean-Pierre Chalus, président du directoire du port depuis le 3 février 2010 ; Francis Bertrand, secrétaire général du port depuis le 1er janvier 2007 ; Alain Ego, agent comptable et directeur financier du 1er janvier 2000 au 30 juin 2010 ; M. Hendrick Wildeman, chef du service Achats-magasins-affaires générales (AMG) à compter de 2006 et Philippe Loreau, chef du pôle Affaires générales à compter de 2006 ;

Vu la lettre du président de la Cour de discipline budgétaire et financière du 14 mai 2015 transmettant au procureur général le dossier de l’affaire, après dépôt du rapport de M. Archirel, en application de l’article L. 314-4 du code des juridictions financières ;

Vu la lettre du procureur général, en date du 28 juillet 2014, informant le président de la Cour de discipline budgétaire et financière de sa décision, après communication du dossier de l’affaire, de poursuivre la procédure en application de l’article L. 314-4 du code des juridictions financières ;

Vu les lettres du 30 juillet 2014, par lesquelles le président de la Cour de discipline budgétaire et financière a transmis pour avis, en application de l’article L. 314-5 du code des juridictions financières, le dossier de l’affaire au ministre des finances et des comptes publics et à la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie ;

Vu l’avis de la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie en date du 10 septembre 2014 ;

Vu la décision du procureur général du 8 octobre 2014 renvoyant MM. Marendet, Gauthier, Chalus, Wildeman, Bertrand et Loreau devant la Cour de discipline budgétaire et financière, en application de l’article L. 314-6 du code des juridictions financières ;

Vu les lettres du 8 octobre 2014 du procureur général à MM. Marendet, Gauthier, Chalus, Wildeman, Bertrand et Loreau les informant de sa décision de les renvoyer devant la Cour ;

Vu les lettres recommandées adressées le 13 octobre 2015, par la greffière de la Cour de discipline budgétaire et financière, à MM. Marendet, Gauthier, Chalus, Wildeman, Bertrand et Loreau, leur transmettant la décision de renvoi et les invitant à prendre connaissance du dossier, ensemble les avis de réception de ces lettres ;

Vu les lettres recommandées, adressées le 17 avril 2014 par la greffière de la Cour de discipline budgétaire et financière à MM. Marendet, Gauthier, Chalus, Wildeman, Bertrand et Loreau, les citant à comparaître le 26 mai 2015 devant la Cour de discipline budgétaire et financière, ensemble les avis de réception de ces lettres ;

Vu la demande présentée par Maîtres Marc Richer et Jérôme Duvignau, adressée au président de la Cour par courriel du 4 mai 2015, tendant à faire citer M. Thierry Guimbaud en tant que témoin à la séance publique de jugement, et vu le permis, délivré le 11 mai 2015 par le président de la Cour, après conclusions du procureur général, de citer cette personne à cette audience ;

Vu la lettre recommandée de la greffière de la Cour de discipline budgétaire et financière du 11 mai 2015 transmettant au témoin, M. Guimbaud, la convocation à l’audience publique de jugement, ensemble l’avis de réception de cette lettre ;

Vu le mémoire produit par Maîtres Richer et Duvignau pour MM. Marendet, Gauthier, Chalus et Bertrand, le 11 mai 2015 ;

Vu les mémoires produits par Maître Rouxel pour MM. Wildeman et Loreau, transmis au greffe de la Cour le 12 mai 2015 ;

Vu les autres pièces du dossier, notamment les procès-verbaux d’audition et le rapport d’instruction de M. Archirel ;

Entendu le rapporteur, M. Archirel, résumant le rapport écrit, en application des articles L. 314-12 et R. 314-1 du code des juridictions financières ;

Entendu le ministère public, résumant la décision de renvoi, en application des articles L. 314-12 et R. 314-1 du code des juridictions financières ;

Entendu sous serment le témoin, M. Guimbaud, en sa déposition, en application de l’article L. 314-10 du code des juridictions financières ;

Entendu le procureur général en ses conclusions, en application de l’article L. 314-12 du code des juridictions financières ;

Entendu en leurs plaidoiries Maître Richer pour MM. Marendet, Gauthier, Chalus et Bertrand et Maîtres Rouxel et Moreau pour MM. Wildeman et Loreau ; MM. Marendet, Gauthier, Chalus, Bertrand, Wildeman et Loreau ayant été invités à présenter leurs explications et observations ;

Sur la compétence de la Cour

1. Considérant qu’il résulte des dispositions du b) du I de l’article L. 312-1 du code des juridictions financières qu’est justiciable de la Cour de discipline budgétaire et financière « Tout fonctionnaire ou agent civil ou militaire de l’État, des collectivités territoriales, de leurs établissements publics ainsi que des groupements des collectivités territoriales » ;

2. Considérant que le port autonome de Nantes - Saint-Nazaire, créé en tant qu’établissement public de l’État par le décret n° 65-938 du 8 novembre 1965, sous l’empire de la loi n° 65-491 du 29 juin 1965, a été transformé en « grand port maritime de Nantes - Saint-Nazaire » par décret n° 2008-1035 du 9 octobre 2008, pris en application de la loi n° 2008-660 du 4 juillet 2008 portant réforme portuaire ;

3. Considérant que les personnes mises en cause avaient toutes, au moment des faits, le statut d’agent du port autonome de Nantes - Saint-Nazaire, puis celui d’agent du grand port maritime de Nantes - Saint-Nazaire, tous deux établissements publics de l’État ; qu’en conséquence ces personnes sont justiciables de la Cour de discipline budgétaire et financière ;

Sur l’absence d’avis du ministre de l’économie et des finances

4. Considérant que si, à la date de la présente décision, l’avis du ministre des finances et des comptes publics, sinon un courrier du 11 septembre 2014 du directeur général des finances publiques, n’a pas été communiqué à la Cour, cette circonstance ne saurait faire obstacle à la poursuite de la procédure, en application de l’article L. 314-5 du code des juridictions financières ;

Sur la prescription

5. Considérant qu’aux termes de l’article L. 314-2 du code des juridictions financières « La Cour ne peut être saisie après l’expiration d’un délai de cinq années révolues à compter du jour où aura été commis le fait de nature à donner lieu à l’application des sanctions prévues par le présent titre. » ;

6. Considérant que la communication du président de la septième chambre de la Cour des comptes en date du 10 décembre 2012 a été enregistrée au ministère public près la Cour de discipline budgétaire et financière le lendemain ; qu’il en résulte que les irrégularités postérieures au 11 décembre 2007 ne sont pas couvertes par la prescription ;

Sur les faits, leur qualification et l’imputation des responsabilités

7. Considérant que les agissements pour lesquels MM. Marendet, Gauthier, Chalus, Bertrand, Wildeman et Loreau sont renvoyés devant la Cour se rapportent à la passation et l’exécution de conventions de marchés conclues par le port autonome de Nantes - Saint-Nazaire ;

8. Considérant qu’au moment de la commission des faits dont la Cour est saisie, le port de Nantes - Saint-Nazaire était régi par le titre 1er du livre 1° du code des ports maritimes ;

9. Considérant qu’aux termes de l’article R. 113-18 du code des ports maritimes « les marchés des ports autonomes sont soumis au code des marchés publics, à l’exception des articles 126 à 130 pour les marchés ne donnant pas lieu à une participation financière de l’État » ;

10. Considérant qu’au cours de la période en cause, le port a été soumis au code des marchés publics, dans ses versions successives issues du décret n° 2004-15 du 7 janvier 2004 puis, à compter du 1er septembre 2006, du décret n° 2006-975 du 1er août 2006 ;

A. Les faits

S’agissant de l’annulation de la procédure de renouvellement du marché 04 027 en 2007

11. Considérant que, depuis 1994, le port fait appel à une prestation externalisée pour le nettoyage des locaux portuaires et bureaux sur l’ensemble de ses sites ;

12. Considérant que, pour cette prestation, un marché à bons de commande n° 04 027, lot n°1, prolongeable par reconduction expresse jusqu’au 29 juin 2007, soit une durée totale de trois ans, a été attribué en 2004 à la société  ONET Services, après mise en concurrence régulière ; que ce marché a été prolongé, par trois avenants successifs, au-delà de sa période reconductible telle qu’elle résulte des dispositions du contrat, jusqu’au 31 décembre 2008 ;

13. Considérant qu’une consultation de renouvellement a été initiée le 6 avril 2007, sous forme d’un appel d’offres ouvert, en application des articles 33, 57 et 59 du code des marchés publics tel que résultant du décret n° 2006-975 du 1er août 2006 ; que l’estimation du besoin, sous la forme d’un marché à bons de commande, était évaluée entre 300 000 € et 600 000 € HT ;

14. Considérant que huit candidats ont remis une offre dans le délai imposé ;

15. Considérant qu’à l’issue de l’examen des candidatures et des offres, les 22 mai et 18 septembre 2007, la société Sud Service a été désignée comme présentant l’offre la plus avantageuse économiquement ; que la société ONET n’a été classée que troisième des huit candidats retenus ;

16. Considérant que la commission consultative des marchés, instaurée par le règlement intérieur du 16 septembre 2004 modifié le 16 mai 2007, saisie de ce dossier, a rendu, le 3 septembre 2007, un avis favorable sur la procédure suivie ;

17. Considérant que M. Marendet, directeur général du port, a décidé, par une lettre du 3 octobre 2007, de ne pas attribuer le marché au motif du lancement imminent de la réforme portuaire annoncée par le Président de la République à l’été 2007 et susceptible de modifier les périmètres de nettoyage ;

S’agissant de l’annulation de la procédure de renouvellement du marché en 2009

18. Considérant qu’en février 2009, une nouvelle consultation a été lancée ; que six candidats ont été admis à présenter une offre ; que la société ONET n’a été classée que cinquième sur six et avant dernière après l’examen des offres ;

19. Considérant que la candidature classée première, le 31 mars 2009, a été celle de la société Carrard Services ;

20. Considérant que la commission consultative des marchés du port, instaurée par le règlement intérieur du 16 septembre 2004 modifié, a rendu, le 12 juin 2009, un avis favorable sur la procédure de consultation ;

21. Considérant que le président du directoire, M. Gauthier, a décidé, par une lettre du 27 octobre 2009, de ne pas attribuer le marché, au même motif que celui invoqué en 2007, à savoir que la réforme portuaire serait susceptible de perturber l’économie générale du marché ;

S’agissant de la poursuite des prestations avec la société ONET

22. Considérant que le port a, bien que le marché ait expiré, continué à traiter avec 1’entreprise ONET ;

23. Considérant, au vu des pièces recueillies lors de l’instruction préliminaire à fin d’examen des comptes du port et du tableau récapitulatif établi lors de l’instruction, qu’ont été payés, en 2009 et 2010, à la société ONET, les montants figurant au tableau suivant ;

[Tableau à consulter dans le fichier Word ou Pdf joint]

24. Considérant que les bons de commande répertoriés ci-avant, dont la date est identique ou postérieure à celle des factures correspondantes, ont été qualifiés de « techniques », puisqu’issus du système d’information financier, par le comptable lors de l’audience publique à la suite de laquelle la Cour des comptes a statué sur sa responsabilité personnelle et pécuniaire ;

25. Considérant que ces bons de commande, établis au vu des factures reçues, ne venaient que couvrir des prestations effectuées sans marché, sans engagement juridique ou comptable préalable, ni support formel ;

26. Considérant, toutefois, que l’instruction a établi que huit des prestations effectuées en 2009 et 2010, répertoriées au tableau ci-après ont été effectuées sur la base d’un devis formalisé antérieurement à la réception de la facture ;

[Tableau à consulter dans le fichier Word ou Pdf joint]

27. Considérant que le visa des bons à payer a été porté par M. Wildeman, chef du service AMG, sur l’ensemble des factures, à l’exception des factures n° 440231212 et 440231213, honorées sans visa, des factures n° 440226485, 440226473 et 440235430, visées par M. Ménard, chef du service « Gestion du patrimoine », et 440131679 visée par M. Lassaulx ;

28. Considérant, outre les commandes répertoriées ci-avant, que le port a continué, jusqu’au 20 juin 2011, à commander des prestations à la société ONET ; que les factures correspondantes n’ayant pas été payées, ont été conclus trois accords transactionnels avec la société, le premier couvrant la période allant du 31 juillet 2010 au 30 novembre 2010, pour un montant de 278 387,82 € HT ; le deuxième couvrant la période allant du 1er décembre 2010 au 31 mars 2011, pour un montant de 201 914,95 € HT ; le troisième couvrant la période allant du 1er avril au 20 juin 2011, pour un montant de 116 600,58 € HT ;

29. Considérant, en conséquence, que le total des commandes et paiements faits au profit de la société ONET, sans support contractuel, s’élève à 1 378 174.99 € HT, soit 1 648 237.29 € TTC ;

30. Considérant que, depuis le 20 juin 2011, suite à un appel d’offres restreint ayant retenu cinq candidats, la société Carrard Services assure les prestations de nettoyage du port ;

B. Les irrégularités

1) Le respect du code des marchés publics

31. Considérant que l’article 15 du code des marchés publics, dans sa rédaction résultant du décret du 7 janvier 2004, disposait que « la durée d’un marché est fixée en tenant compte de la nature des prestations et de la nécessité d’une remise en concurrence périodique. » ; qu’un « marché peut prévoir une ou plusieurs reconductions à condition que ses caractéristiques restent inchangées et que la mise en concurrence ait été réalisée en prenant en compte la durée totale du marché, période de reconduction comprise. » et que « Le nombre des reconductions doit être indiqué dans le marché. » ;

32. Considérant que le marché n° 04 027 ne comportait pas de clause de reconduction au-delà du 29 juin 2007 ; qu’il a été néanmoins prolongé par avenant jusqu’au 31 décembre 2008 ; qu’ainsi l’ensemble des commandes passées à la société ONET, postérieurement à cette date, était irrégulier, en l’absence de passation d’un nouveau marché ;

33. Considérant qu’aux termes de l’article R. 103-10 du code des ports maritimes, « Sauf pour les marchés passés avec le groupement d’intérêt économique mentionné à l’article R. 153-1, les marchés et accords-cadres des grands ports maritimes sont soumis au code des marchés publics, à l’exception de ses articles 125 et 126 pour les marchés ne donnant pas lieu à une participation financière de l’État. » ;

34. Considérant qu’en application de l’article 1er du code des marchés publics, ceux-ci sont « les contrats conclus à titre onéreux entre les pouvoirs adjudicateurs définis à l’article 2 et des opérateurs économiques publics ou privés, pour répondre à leurs besoins en matière de travaux, de fournitures ou de services. » ;

35. Considérant qu’aux termes de l’article 26 du même code, dans sa rédaction antérieure au décret n° 2011-2027 du 29 décembre 2011 modifiant les seuils applicables aux marchés et contrats relevant de la commande publique :

« I. - Les pouvoirs adjudicateurs passent leurs marchés et accords-cadres selon les procédures formalisées suivantes :

1° Appel d’offres ouvert ou restreint ;

2° Procédures négociées, dans les cas prévus par l’article 35 ;

3° Dialogue compétitif, dans les cas prévus par l’article 36 ;

4° Concours, défini par l’article 38 ;

5° Système d’acquisition dynamique, défini par l’article 78.

II. - Les marchés et accords-cadres peuvent aussi être passés selon une procédure adaptée, dans les conditions définies par l’article 28, lorsque le montant estimé du besoin est inférieur aux seuils suivants : 125 000 € HT pour les marchés de fournitures et de services […] de l’État et de ses établissements publics » ;

36. Considérant que selon l’article 29 du même code, « Sont soumis, en ce qui concerne leur passation, aux règles prévues par le présent titre les marchés publics et les accords-cadres ayant pour objet les services énumérés ci-dessous : 1. Services d’entretien et de réparation ; [...] 14. Services de nettoyage de bâtiments et services de gestion de propriétés » ;

37. Considérant qu’aux termes de l’article 40 du code des marchés, dans sa version antérieure au décret n° 2011-1853 du 9 décembre 2011 modifiant certains seuils du code des marchés publics : « I. - En dehors des exceptions prévues aux II et III de l’article 28 ainsi qu’au II de l’article 35, tout marché ou accord-cadre d’un montant égal ou supérieur à 4 000 euros HT est précédé d’une publicité, dans les conditions définies ci-après ;

II. - Pour les achats de fournitures, de services et de travaux d’un montant compris entre 4 000 euros HT et 90 000 euros HT, ainsi que pour les achats de services relevant du I de l’article 30 d’un montant égal ou supérieur à 4 000 euros HT, le pouvoir adjudicateur choisit librement les modalités de publicité adaptées en fonction des caractéristiques du marché, notamment le montant et la nature des travaux, des fournitures ou des services en cause.

III. - 1° Lorsque le montant estimé du besoin est compris entre 90 000 euros HT et les seuils de procédure formalisée définis à l’article 26, le pouvoir adjudicateur est tenu de publier un avis d’appel public à la concurrence soit dans le Bulletin officiel des annonces des marchés publics, soit dans un journal habilité à recevoir des annonces légales, ainsi que sur son profil d’acheteur. Cet avis est établi conformément au modèle fixé par arrêté du ministre chargé de l’économie. Le pouvoir adjudicateur n’est pas tenu d’y faire figurer une estimation du prix des prestations attendues.

Le pouvoir adjudicateur apprécie si, compte tenu de la nature ou du montant des fournitures, des services ou des travaux en cause, une publication dans un journal spécialisé correspondant au secteur économique concerné est en outre nécessaire pour assurer une publicité conforme aux principes énoncés à l’article 1er. Cette publication doit alors être effectuée dans des conditions précisées par un arrêté du ministre chargé de l’économie.

2° Lorsque le montant estimé du besoin est égal ou supérieur aux seuils de procédure formalisée définis à l’article 26, le pouvoir adjudicateur est tenu de publier un avis d’appel public à la concurrence dans le Bulletin officiel des annonces des marchés publics et au Journal officiel de l’Union européenne, ainsi que sur son profil d’acheteur. Cet avis est établi conformément au modèle fixé par le règlement de la Commission européenne établissant les formulaires standard pour la publication d’avis en matière de marchés publics. » ;

38. Considérant, au vu des seuls mandats émis en 2009, que le seuil de 4 000 € HT avait été dépassé par le port dès le mois de janvier ; que les seuils de 90 000 € HT et 125 000 € HT l’avaient été dès le mois de mars ;

39. Considérant que, d’une façon générale, les marchés publics doivent respecter les principes de liberté d’accès à la commande publique, d’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures par la définition préalable des besoins de l’acheteur public ;

40. Considérant ainsi qu’en poursuivant après le 31 décembre 2008 ses commandes auprès de la société ONET sans avoir passé avec elle de marché formalisé, le port a enfreint le code des marchés publics et par voie de conséquence les règles relatives à l’exécution de ses dépenses ; que cette infraction n’est d’ailleurs pas sérieusement contestée ;

41. Considérant qu’il résulte des dispositions de l’article L. 313-4 du code des juridictions financières que « Toute personne visée à l’article L. 312-1 qui [...] aura enfreint les règles relatives à l’exécution des recettes et des dépenses […] des organismes mentionnés à ce même article [...] sera passible de l’amende prévue à l’article L. 313-1. » ;

42. Considérant qu’en continuant à traiter avec la société ONET, qui avait été classée troisième des huit candidats retenus à l’issue de l’appel d’offres d’avril 2007, puis cinquième des six candidats retenus à l’issue de l’appel d’offres de février 2009, un avantage injustifié a été attribué à cette société, nonobstant l’absence invoquée de contestation contentieuse de la part des autres candidats ; que le port, qui a ainsi été amené à payer à la société ONET des prestations à des conditions moins avantageuses que celles proposées par des candidats mieux classés qu’elle et dont l’un aurait dû être retenu à sa place, en a inévitablement subi un préjudice ;

43. Considérant qu’il résulte des dispositions de l’article L. 313-6 du code des juridictions financières que « Toute personne [...] qui, dans l’exercice de ses fonctions ou attributions, aura, en méconnaissance de ses obligations, procuré à autrui un avantage injustifié, pécuniaire [...], entrainant un préjudice pour [...] l’organisme intéressé [...] sera passible d’une amende dont le minimum ne pourra être inférieur à 300 euros et dont le maximum pourra atteindre le double du montant du traitement ou salaire brut annuel qui lui était alloué à la date de l’infraction. » ;

2) La gestion des engagements

44. Considérant qu’il résulte de l’instruction qu’aucune procédure d’engagement juridique préalable aux prestations, formelle et systématique n’a été mise en œuvre par le port ;

45. Considérant qu’aux termes de l’article 29 du décret du 29 décembre 1962 susvisé : « L’engagement est l’acte par lequel un organisme public crée ou constate à son encontre une obligation de laquelle résultera une charge. Il ne peut être pris que par le représentant qualifié de l’organisme public agissant en vertu de ses pouvoirs. » ;

46. Considérant que les factures émises par la société ONET sont pour la plupart antérieures aux bons de commande correspondants ; que, dans ce cas, ces derniers sont donc irréguliers ;

47. Considérant que 1’article L. 313-4 du code des juridictions financières dispose que « Toute personne visée à l’article L. 312-1 qui [...] aura enfreint les règles relatives à l’exécution des recettes et des dépenses […] des organismes mentionnés à ce même article [...] sera passible de l’amende prévue à l’article L. 313-1 » ;

48. Considérant qu’il résulte de l’ensemble des éléments rappelés ci-dessus que le port n’a respecté, ni les règles qui président à l’engagement des dépenses, ni celles relatives à la commande publique ;

C. Les responsabilités

49. Considérant que M. Marendet était directeur général puis président du directoire du port du 1er mai 2004 au 24 mars 2009 ; que M. Gauthier a exercé 1’intérim de cette fonction du 25 mars 2009 au 2 février 2010, avant d’être remplacé par M. Chalus le 3 févier 2010 ; que M. Bertrand était secrétaire général du port sur toute la période correspondant aux faits déférés ; que M. Wildeman était chef du service AMG ; que M. Loreau était chef du pôle Affaires générales ;

S’agissant de M. Marendet, directeur général puis président du directoire du port du 1er mai 2004 au 24 mars 2009

50. Considérant que M. Marendet a décidé, par lettre du 3 octobre 2007, de ne pas donner suite à la procédure d’appel d’offres pour l’attribution des marchés de nettoyage ; qu’en conséquence le port a continué à traiter avec la société ONET en dehors de tout cadre contractuel ;

51. Considérant que toutes les commandes faites à la société ONET du 1er janvier 2009 au 24 mars 2009 l’ont été sous son autorité, en sa qualité d’ordonnateur jusqu’à cette dernière date ;

52. Considérant que, quelle qu’ait été la suite donnée à l’appel d’offres de 2007, l’exécution de prestations sans marché, ni bons de commande, et l’engagement de dépenses a posteriori constituent des infractions au code des marchés publics et aux règles d’exécution des dépenses de l’établissement ;

53. Considérant que l’argument avancé selon lequel le paramétrage informatique du progiciel de gestion n’aurait permis d’émettre des bons de commande qu’à titre de régularisation, n’est pas de nature à exonérer l’ordonnateur de sa responsabilité dans les irrégularités commises ; qu’il incombait à la direction générale de veiller à ce que ce progiciel soit conforme dans son paramétrage aux modalités prescrites par les dispositions rappelées ci-avant en matière de gestion comptable ;

54. Considérant, en outre, comme il résulte de l’instruction et comme il a été dit plus haut, que ces infractions ont conduit à accorder un avantage pécuniaire injustifié à la société ONET au préjudice du port ;

55. Considérant que la responsabilité de l’annulation de l’appel d’offres du 6 avril 2007, ainsi que, par voie de conséquence, de l’émission des bons de commande à l’entreprise ONET hors de tout support contractuel du 1er janvier 2009 au 24 mars 2009, incombe, au premier chef, à M. Marendet, en sa qualité d’ordonnateur de l’établissement au moment des faits ;

S’agissant de M. Gauthier, président du directoire du port par intérim du 25 mars 2009 au 2 février 2010

56. Considérant que M. Gauthier a décidé, par lettre du 27 octobre 2009, de ne pas donner suite à la deuxième procédure d’appel d’offres lancée pour l’attribution des marchés de nettoyage ; qu’en conséquence le port a continué à traiter avec la société ONET, en dehors de tout cadre contractuel ;

57. Considérant que, quelle qu’ait été la suite donnée à l’appel d’offres de 2009, l’exécution de prestations sans marché, ni bons de commande, et l’engagement de dépenses a posteriori constituent des infractions au code des marchés publics et aux règles d’exécution des dépenses de 1’établissement ;

58. Considérant que toutes les commandes faites à la société ONET du 25 mars 2009 au 2 février 2010 l’ont été sous l’autorité de M. Gauthier ;

59. Considérant, en outre, comme il résulte de l’instruction et comme il a été dit plus haut, que ces infractions ont conduit à accorder un avantage pécuniaire injustifié à la société ONET au préjudice du port ;

60. Considérant que la responsabilité de l’annulation de l’appel d’offres du 6 février 2009, ainsi que, par voie de conséquence, de l’émission des bons de commande à l’entreprise ONET hors de tout support contractuel du 25 mars 2009 au 2 février 2010, est imputable à M. Gauthier, en sa qualité d’ordonnateur de l’établissement pendant cette période ;

S’agissant de M. Chalus, président du directoire du port depuis le 3 février 2010

61. Considérant que le port a continué à traiter, après le 2 février 2010, sous l’autorité de M. Chalus, avec la société ONET en dehors de tout cadre contractuel formalisé ; que les prestations de cette société ont fait l’objet de paiements ou de règlements après transaction, d’un montant de 278 387,82 € HT pour la période allant du 31 juillet 2010 au 30 novembre 2010, d’un montant de 201 914,95 € HT pour la période allant du 1er décembre 2010 au 31 mars 2011 et d’un montant de 116 600,58 € HT pour la période allant du 1er avril au 20 juin 2011 ;

62. Considérant que toutes les commandes faites à la société ONET du 3 février 2010 à mai 2011 l’ont été sous son autorité ;

63. Considérant que ces infractions ont conduit à accorder un avantage pécuniaire injustifié à la société ONET au préjudice du port ;

64. Considérant que la responsabilité de la poursuite des commandes irrégulières auprès de la société ONET incombe à M. Chalus, en sa qualité d’ordonnateur de l’établissement à partir du 3 février 2010 ;

S’agissant de M. Bertrand, secrétaire général du port depuis le 1er janvier 2007

65. Considérant que, par décision du 15 juin 2007, M. Bertrand a reçu délégation de signature pour les marchés autres que ceux d’études à hauteur de 300 000 HT ; que par décision du 20 avril 2009, ce montant a été porté à 500 000 HT ;

66. Considérant que 36 des bons de commande susmentionnés, émis en régularisation, portaient la signature électronique de M. Bertrand pour un total de 699 322.66 € HT ; que 34 d’entre eux avaient été émis postérieurement à la date de la facture, avec un délai allant de 8 à 114 jours ;

67. Considérant que M. Bertrand ne pouvait ignorer que la poursuite des prestations de la société ONET était effectuée, sans bon de commande préalablement émis et sans le support d’un marché ;

68. Considérant, au surplus, que 1’instruction a mis en évidence, alors même que les bons de commande étaient émis en régularisation de factures, que le contrôle du service fait comportait de sérieuses lacunes, M. Bertrand ayant déclaré que « pour les prestations de nettoyage, on en est au contrôle visuel » ; qu’il appartenait dans ce contexte à M. Bertrand, du fait de ses fonctions et en tant que seul membre permanent de l’équipe de direction sur l’ensemble de la période correspondant aux faits déférés de mettre en œuvre des dispositions permettant à ses agents de contrôler l’aspect quantitatif et qualitatif des prestations effectuées par ONET dès le début de leur exécution ;

69. Considérant, à titre subsidiaire, que les bons de commande émis en régularisation ne correspondent pas toujours exactement au montant facturé ;

70. Considérant que ces irrégularités ont conduit à accorder à la société ONET un avantage pécuniaire injustifié au préjudice du port ;

71. Considérant, dès lors, que M. Bertrand a pris une part active aux infractions constatées à la réglementation en matière de marchés publics et aux règles d’exécution des dépenses du port ;

S’agissant de M. Wildeman, chef du service AMG du port depuis 2006

72. Considérant que la quasi-totalité des factures ci-avant répertoriées ont été revêtues du « bon à payer » par M. Wildeman, chef du service AMG du port, placé sous l’autorité hiérarchique du secrétaire général ;

73. Considérant que ce « bon à payer » valait certification du service fait, avec les limites qui ont été rappelées tant par le secrétaire général que par M. Wildeman lui-même lors de l’instruction ;

74. Considérant, en tout état de cause, que M. Wildeman, chef du service AMG du port et membre et rapporteur de la commission d’appel d’offres du 6 février 2009, ne pouvait ignorer que les factures pour lesquelles il attestait du service fait se rapportaient à un marché caduc ; qu’au surplus la plupart de ces factures n’avaient, à la date de l’attestation donnée par lui, fait l’objet d’aucun engagement juridique ou comptable ;

75. Considérant que ces infractions ont conduit à accorder un avantage pécuniaire injustifié à la société ONET au préjudice du port ;

76. Considérant qu’en tant que chef du service AMG, M. Wildeman a ainsi pris part aux infractions constatées en matière de marchés publics et aux règles d’exécution des dépenses du port ;

S’agissant de M. Loreau, chef du pôle Affaires générales au sein du service AMG depuis 2006

77. Considérant que 35 des bons de commande susmentionnés, émis en régularisation des prestations effectuées par la société ONET, portaient la signature électronique de M. Loreau, pour un total de 61 775.28 € HT ; que 28 d’entre eux avaient été émis postérieurement à la date de la facture, avec un délai allant de 4 à 220 jours ;

78. Considérant que M. Loreau, membre de la commission d’appel d’offres, présent lors de la réunion du 6 février 2009, ne pouvait ignorer que la poursuite des prestations de la société ONET était effectuée sans bons de commande et sans le support d’un marché ;

79. Considérant que ces infractions ont conduit à accorder un avantage pécuniaire injustifié à la société ONET au préjudice du port ;

80. Considérant que M. Loreau a ainsi pris part aux infractions constatées en matière de marchés publics et par conséquence aux règles d’exécution des dépenses du port ;

Sur les circonstances

81. Considérant que, pour l’appréciation des responsabilités, certains faits doivent être pris en considération ; qu’il en va ainsi du contexte particulièrement tendu de la réforme portuaire, marqué par de graves conflits sociaux, un climat de violence, des menaces faites à des dirigeants et à des cadres du port ; qu’en outre ces dirigeants et cadres du port ont pu prendre des décisions irrégulières en raison de la crainte qu’ils éprouvaient d’une rupture de la continuité du service public portuaire ; que ces faits sont de nature à constituer des circonstances atténuantes dont peuvent bénéficier les six personnes renvoyées, à hauteur de leurs responsabilités respectives et de la durée d’exercice de leurs fonctions ;

82. Considérant que M. Chalus a entamé le processus de régularisation des relations avec le prestataire ONET, en veillant à suspendre les paiements à compter du 31 juillet 2010, soit très rapidement après avoir été informé de la situation, puis à régulariser cette situation par la voie de trois protocoles transactionnels ; qu’il a lancé une troisième procédure de mise en concurrence qui a abouti au renouvellement du prestataire et à la régularisation de la situation du port dans le domaine des prestations de nettoyage ; que ces faits sont de nature à constituer des circonstances absolutoires de responsabilité ;

83. Considérant que M. Gauthier n’a exercé ses fonctions que sur une durée de moins d’un an, et dans le cadre d’un intérim avec pour mission essentielle de renouer le dialogue avec les représentants du personnel ;

84. Considérant que MM. Wildeman et Loreau étaient subordonnés au directeur général puis présidents du directoire successifs et au secrétaire général du port ; qu’au cas d’espèce, ils ne disposaient d’aucune marge de manœuvre en matière d’engagement et de contrôle des dépenses dans le domaine des prestations de nettoyage ; que ces faits sont de nature à constituer des circonstances absolutoires de responsabilité ;

Sur l’amende

85. Considérant qu’il sera fait une juste appréciation des irrégularités commises et des circonstances de l’espèce en infligeant à M. Marendet une amende de 1 000 €, à M. Gauthier une amende de 500 € et à M. Bertrand une amende de 1 000 € ;

Sur la publication au Journal officiel de la République française

86. Considérant qu’il y a lieu, compte tenu des circonstances de l’espèce, de publier le présent arrêt au Journal officiel de la République française en application de l’article L. 314-20 du code des juridictions financières.

ARRÊTE :

Article 1er : M. Marendet est condamné à une amende de 1 000 € (mille euros) ;

Article 2 : M. Gauthier est condamné à une amende de 500 € (cinq cents euros) ;

Article 3 : M. Bertrand est condamné à une amende de 1 000 € (mille euros) ;

Article 4 : MM. Chalus, Wildeman et Loreau sont relaxés des fins de la poursuite ;

Article 5 : Le présent arrêt sera publié au Journal officiel de la République française.

Délibéré par la Cour de discipline budgétaire et financière, deuxième section, le 26 mai deux mille quinze par M. Toutée, président de la section des finances du Conseil d’État, président ; M. Prieur, conseiller d’État ; MM. Geoffroy et Maistre, conseillers maîtres à la Cour des comptes.

Lu en séance publique le 16 juin 2015.

En conséquence, la République mande et ordonne à tous huissiers de justice sur ce requis de mettre ledit arrêt à exécution, aux procureurs généraux et aux procureurs de la République près les tribunaux de grande instance d’y tenir la main, à tous les commandants et officiers de la force publique de prêter main-forte lorsqu’ils en seront légalement requis.

En foi de quoi, le présent arrêt a été signé par le président de la Cour et la greffière.

Le président,
Henri TOUTÉE

La greffière,
Isabelle REYT