LA COUR,

Vu la loi n° 48-1484 du 25 septembre 1948 modifié tendant à sanctionner les fautes de gestion commises à l'égard de l'Etat et de diverses collectivités et portant création d'une Cour de discipline budgétaire et financière ;

Vu la lettre du 23 juin 1978, enregistrée au Parquet de la Cour le 26 juin 1978, par laquelle le ministre du Budget a saisi, en application de l'article 16 de la loi susvisée, la Cour de discipline budgétaire et financière d'irrégularités portant sur des opérations subventionnées effectuées par la direction départementale de l'Agriculture de l'Oise, irrégularités imputées à M. Alain BENEZIT, directeur de ce service ;

Vu le réquisitoire du Procureur général de la République en date du 2 août 1978 transmettant le dossier à la Cour de discipline budgétaire et financière ;

Vu la décision du Président de la Cour de discipline budgétaire et financière du 27 septembre 1978 désignant comme rapporteur M. BERGERAS, Conseiller maître à la Cour des Comptes ;

Vu l'accusé de réception de la lettre recommandée adressée le 18 octobre 1978 à M. BENEZIT l'informant de l'ouverture d'une instruction et l'avisant qu'il était autorisé à se faire assister soit par un mandataire, soit par un avocat ou un avoué, soit par un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de Cassation ;

Vu les accusés de réception des lettres recommandées du 30 janvier 1980 informant M. BALLEVRE, ancien sous-préfet de Compiègne, MM. COPPEAUX, LAVIEUVILLE, LE BIHAN, ingénieurs des travaux ruraux de la direction départementale de l'Agriculture de l'Oise, de leur mise en cause dans cette instruction et les avisant qu'ils étaient autorisés à se faire assister soit par un mandataire, soit par un avocat ou avoué, soit par un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de Cassation ;

Vu l'avis émis le 4 janvier 1982 par le ministre de l'Agriculture ;

Vu l'avis émis le 17 octobre 1982 par le ministre de l'Intérieur et de la décentralisation ;

Vu l'avis émis le 6 décembre 1982 par le ministre délégué chargé du Budget ;

Vu les conclusions du Procureur général de la République en date du 14 mars 1983 renvoyant MM. BENEZIT, BALLEVRE, COPPEAUX, LE BIHAN et LAVIEUVILLE devant la Cour de discipline budgétaire et financière ;

Vu le procès-verbal de la commission administrative paritaire du corps des ingénieurs du génie rural des eaux et des forêts ayant siégé en formation disciplinaire le 30 juin 1983 ;

Vu le procès-verbal de la commission administrative paritaire du corps des ingénieurs des travaux ruraux ayant siégé en formation disciplinaire le 1er juillet 1983 ;

Vu les accusés de réception des lettres recommandées adressées le 6 octobre 1983 respectivement à MM. BENEZIT, BALLEVRE, COPPEAUX, LE BIHAN et LAVIEUVILLE, les avisant qu'ils pouvaient, dans un délai de quinze jours, prendre connaissance du dossier de l'affaire, soir par eux- mêmes, soit par un mandataire, soit par le ministère d'un avocat, d'un avoué, ou d'un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de Cassation ;

Vu le mémoire en défense présenté le 24 octobre 1984 par Me HENNUYER, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de Cassation, assistant MM. BENEZIT, COPPEAUX, LAVIEUVILLE et LE BIHAN ;

Vu les accusés de réception des lettres recommandées adressées le 11 janvier 1985 à MM. BENEZIT, BALLEVRE, COPPEAUX, LE BIHAN et LAVIEUVILLE les invitant à comparaître ;

Vu l'ensemble des pièces qui figurent au dossier et notamment les procès-verbaux d'audition ;

M. BALLEVRE ayant été autorisé par le Président de la Cour à ne pas comparaître personnellement à l'audience en application du 3ème alinéa de l'article 23 de la loi susvisée du 25 septembre 1948 ;

Après avoir entendu M. BERGERAS en son rapport ;

Après avoir entendu le Procureur Général de la République en ses conclusions ;

Après avoir entendu en leurs explications MM. BENEZIT, COPPEAUX, LE BIHAN et LAVIEUVILLE, assistés de Me HENNUYER, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de Cassation ;

Après avoir entendu le Procureur Général de la République en ses réquisitions ;

Après avoir entendu en sa plaidoirie Me HENNUYER, et en leurs observations, MM. BENEZIT, COPPEAUX, LE BIHAN et LAVIEUVILLE, les intéressés et leur conseil ayant eu la parole les derniers.

Considérant qu'à l'occasion d'opérations d'équipement effectuées par des collectivités locales et subventionnées par l'Etat, des fonctionnaires de la direction départementale de l'Agriculture de l'Oise et le sous-préfet de Compiègne ont enfreint certaines dispositions réglementaires ;

Considérant qu'aux termes de l'article 10 du décret n° 72-196 du 10 mars 1972 : "sauf dérogations prévues par décret ou arrêté contresigné par le ministre de l'Economie et des Finances, la décision attributive de subventions doit être préalable au commencement d'exécution de l'opération à subventionner" ;

Considérant que M. BENEZIT, directeur départemental de l'Agriculture de l'Oise, a contrevenu aux dispositions de ce texte réglementaire en proposant au préfet de l'Oise l'attribution d'une subvention au syndicat intercommunal de la Belle Anne pour des travaux d'adduction d'eau dont l'exécution était terminée, et dont au surplus le maître d'ouvrage n'était pas ce syndicat, mais une commune qui n'était pas adhérente de ce groupement ;

Considérant que l'article 12 du même décret édicte que "la décision attributive (de subvention) doit comporter la désignation de l'opération, ses caractéristiques, ainsi que les éléments de liquidation et le montant de la subvention" ;

Considérant que, sur proposition de M. BENEZIT, le préfet de l'Oise, par arrêté du 28 décembre 1976, a attribué au syndicat intercommunal du Plessis - Belleville et de Lagny-le-Sec une subvention de 24000 F pour la sixième tranche d'une opération d'équipement sans que l'objet de cette tranche ait été précisé dans cette décision ;

Considérant qu'aux termes de l'article 23 du décret susvisé : "le versement des subventions spécifiques est effectué sur justification de la réalisation de l'équipement et de la conformité de ses caractéristiques avec celles qui sont visées par la décision d'attribution ; des acomptes sur subvention peuvent être versés dans la limite des crédits disponibles au fur et à mesure de l'avancement des travaux ou de l'exécution des fournitures" ;

Considérant qu'en sa qualité d'ordonnateur secondaire M. BENEZIT a mandaté des acomptes sur subvention au-delà de ce que lui permettait l'avancement réel des travaux ;

Considérant que ce mandatement irrégulier a été effectué par le directeur départemental de l'Agriculture au vu de certificats établis par les ingénieurs des travaux ruraux qui affirmaient un état d'avancement des travaux non conforme à la réalité ;

Considérant que M. COPPEAUX a certifié un avancement à 58 % des travaux d'une opération d'équipement de la commune de Tracy-le-Mont le jour même du commencement des travaux ; que M. LAVIEUVILLE a attesté que les travaux des quatrième et cinquième tranches d'une opération conduite par le syndicat communal du Plessis-Belleville étaient réalisés respectivement à 13,33 et 25 % alors que les marchés correspondant à ces tranches n'étaient pas encore signés ;

Considérant que M. LE BIHAN a fait mandater par M. BENEZIT deux subventions concernant des tranches distinctes d'une opération de drainage dont l'association foncière de la commune de BAILLY était maître d'ouvrage, alors que les marchés n'ont été conclus que plus de deux ans après le certificat attestant un avancement des travaux de 65 % pour la première tranche et de 75 % pour la seconde ;

Considérant que M. COPPEAUX a faussement certifié l'achèvement d'une tranche de travaux d'assainissement réalisée par la commune de Pierrefonds pour laquelle une subvention avait été accordée, alors qu'à la suite d'une interversion dans le déroulement de l'opération les travaux effectivement réalisés correspondaient à une deuxième tranche ; que c'est au vu de cette attestation que M. BENEZIT a liquidé intégralement une subvention qui n'avait pas été attribuée à cette tranche de l'opération ;

Considérant que M. BENEZIT a procédé au paiement d'une aide de l'Etat à la commune de TRACY, sur le fondement d'un certificat de M. LAVIEUVILLE attestant le service fait bien que la subvention n'ait pas concerné une opération déterminée mais ait constitué une aide complémentaire pour une opération déjà exécutée ;

Considérant que le directeur départemental de l'Agriculture de l'Oise a mandaté une subvention au syndicat intercommunal de la Belle Anne, sur la foi d'un certificat d'achèvement de travaux par cette collectivité, M. COPPEAUX l'auteur de cette attestation, n'ignorant pas, et M. BENEZIT pas davantage, que cette opération avait été conduite jusqu'à son terme non par le syndicat mais par la commune de Chiry- Ourscamp ;

Considérant qu'aux termes de l'article 250 du code des marchés les marchés passés au nom des collectivités locales et de leurs établissements publics "doivent être conclus avant tout commencement des travaux" ;

Considérant que M. BALLEVRE, sachant que les travaux avaient été réalisés auparavant, a approuvé le marché conclu par le syndicat rural de la Belle Anne, marché qui d'ailleurs n'avait pas d'autre objet que de servir irrégulièrement de support à l'attribution d'une subvention d'Etat aux communes adhérant à ce groupement ;

Considérant que, chargé de la surveillance des travaux de construction d'un puits pour la commune de Tracy-le-Mont, M. COPPEAUX a fait commencer les travaux avant la signature du marché et, dans le but de cacher l'irrégularité, a donné à l'ordre de service une date postérieure à ce contrat ;

Considérant que ces différentes violations de la réglementation constituent des infractions aux règles d'exécution des dépenses dont les auteurs tombent sous le coup des dispositions de l'article 5 de la loi n° 48-1484 du 25 septembre 1948 ;

Considérant que, par inobservation de l'article 5 du décret n° 70- 1049 du 13 novembre 1970 relatif à la déconcentration du contrôle financier, selon lequel "le contrôle financier reçoit communication des pièces justificatives nécessaires à l'exercice de son contrôle", M. BENEZIT a soumis au trésorier-payeur général de l'Oise une affectation d'autorisation de programme au syndicat rural de la Belle Anne, alors que le maître d'ouvrage avait été, pour l'exécution de cette opération, la commune de Chiry-Ourscamp, et que les travaux étaient déjà réalisés par cette dernière ;

Considérant qu'en application de l'article 2 de la loi n° 48-1484 du 25 septembre 1948 les personnes justiciables de la Cour qui ont engagé une dépense "sans respecter les règles applicables en matière de contrôle financier portant sur l'engagement des dépenses" sont passibles d'une amende ;

Considérant que M. BALLEVRE a pris une responsabilité importante dans le déroulement irrégulier de la procédure d'attribution de la subvention au syndicat rural de la Belle Anne ;

Considérant que sans attendre que le ministre de l'Economie et des finances se soit prononcé sur la demande d'autorisation du préfinancement de l'opération par la commune de CHIRY-OURSCAMP, il a approuvé le marché signé par cette commune, en sorte que les travaux ont commencé sans que la décision attributive de la subvention soit intervenue au préalable ;

Considérant que M. BALLEVRE a été certes animé par le souci d'assurer à la ville de CHIRY le renforcement de son réseau d'eau potable avant l'arrivée de l'été, mais qu'il a méconnu les prescriptions impératives du ministre des Finances qui, par une circulaire du 30 mai 1973, avait mis en garde les préfets et sous-préfets qui auraient la tentation de contrevenir aux dispositions de l'article 10 du décret du 10 mars 1972, et précisé qu'il n'hésiterait pas à les déférer devant la Cour ;

Considérant que M. BENEZIT assume la responsabilité de diverses irrégularités qui vont de la décision d'attribution de l'aide de l'Etat au syndicat rural de la Belle Anne jusqu'à son paiement ;

Considérant toutefois qu'en atténuation de sa responsabilité, on peut relever qu'il a recherché au début de cette opération le moyen de la réaliser en toute régularité, et qu'à cet effet il a demandé au trésorier-payeur général l'autorisation de la faire préfinancer par la commune de CHIRY-OURSCAMP, celle-ci refusant d'entrer dans un syndicat intercommunal mais acceptant de faire l'avance financière des travaux à accomplir sur son territoire ;

Considérant que M. BALLEVRE ayant insisté pour que les travaux soient commencés avant que le ministre des Finances, saisi de l'affaire par le trésorier-payeur général, ait répondu sur la demande de préfinancement, M. BENEZIT n'a pas su résister aux démarches conjointes du sous-préfet et du maire de CHIRY, en sorte que lorsque fut connue la réponse négative du ministre des Finances, le directeur départemental de l'Agriculture, fit attribuer les subventions à un syndicat intercommunal apparaissant comme le maître d'ouvrage, seul moyen pour les communes de ne pas perdre le bénéfice des aides de l'Etat ;

Considérant que M. BENEZIT n'est intervenu dans les autres affaires que pour établir les mandats de paiement des aides de l'Etat ; qu'il n'a sans doute pas été tenu informé par ses ingénieurs des habitudes prises avant son entrée en fonctions, mais qu'il peut lui être reproché d'avoir établi les mandats sans vérifier la concordance des certificats d'avancement des travaux avec les pièces des marchés qui auraient fait apparaître le caractère mensonger des attestations ;

Considérant qu'en établissant de faux certificats d'avancement des travaux pour permettre aux collectivités locales de faire face à leurs besoins de trésorerie, les ingénieurs des travaux ruraux, MM. COPPEAUX, LAVIEUVILLE et LE BIHAN, agissaient comme le leur avait prescrit le prédécesseur de M. BENEZIT à la direction de l'Agriculture de l'Oise ;

Considérant cependant que de telles irrégularités présentent une gravité certaine en raison de leur répétition, voire de leur caractère systématique ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'il sera fait une juste appréciation des circonstances de l'affaire en infligeant à M. BENEZIT une amende de 5000 F, à M. BALLEVRE une amende de 5000 F à M. COPPEAUX une amende de 2000 F, à M. LAVIEUVILLE une amende de 2000 F et à M. LE BIHAN une amende de 2000 F ;

ARRETE :

Article 1er - M. BENEZIT, ancien directeur départemental de l'Agriculture de l'Oise, est condamné à une amende de cinq mille francs (5000 F).

Article 2 - M. BALLEVRE, ancien sous-préfet de Compiègne, est condamné à une amende de cinq mille francs (5000 F).

Article 3 - M. COPPEAUX est condamné à une amende de deux mille francs (2000 F).

Article 4 - M. LAVIEUVILLE est condamné à une amende de deux mille francs (2000 F).

Article 5 - M. LE BIHAN est condamné à une amende de deux mille francs (2000 F).

Article 6 - Le présent arrêt sera publié au Journal Officiel de la République française.