Vu la loi n° 48-1484 du 25 septembre 1948 modifiée tendant à sanctionner les fautes de gestion commises à l'égard de l'Etat et de diverses collectivités et portant création d'une Cour de discipline budgétaire et financière ;
Vu le réquisitoire du procureur général de la République en date du 6 septembre 1990, par lequel le ministère public a saisi la Cour d'irrégularités ayant affecté le lycée professionnel de Saint-Jean-de-la-Ruelle (Loiret), établissement d'appui du groupement d'établissements pour la formation continue (GRETA) d'Orléans-Ouest ;
Vu la décision du président de la Cour de discipline budgétaire et financière en date du 14 septembre 1990, par laquelle M. SCHWERER, conseiller référendaire à la Cour des comptes, a été nommé rapporteur ;
Vu les accusés de réception des lettres recommandées adressées le 14 février 1991 à MM. GERNEZ et ROMANEIX, respectivement proviseur et intendant du LEP de Saint-Jean-de-la-Ruelle, les informant de l'ouverture d'une instruction et les avisant qu'ils étaient autorisés à se faire assister soit par un mandataire, soit par un avocat, soit par un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ;
Vu le rapport établi par M. SCHWERER en date du 25 septembre 1991 et l'ensemble des pièces qui figurent au dossier, notamment les procès-verbaux d'interrogatoire de MM. GERNEZ et ROMANEIX ;
Vu l'avis formulé le 5 décembre 1991 par M. le ministre délégué chargé du budget ;
Vu l'avis formulé le 4 février 1992 par M. le ministre d'Etat, ministre de l'Education nationale et de la Culture ;
Vu la décision du président de la Cour de discipline budgétaire et financière en date du 11 février 1992, par laquelle M. BERNICOT, conseiller référendaire à la Cour des comptes, a été nommé rapporteur en remplacement de M. SCHWERER ;
Vu la décision du procureur général de la République en date du 26 février 1992 renvoyant MM. GERNEZ et ROMANEIX devant la Cour de discipline budgétaire et financière ;
Vu les accusés de réception des lettres recommandées en date du 9 juillet 1992 adressées par le président de la Cour de discipline budgétaire et financière respectivement à MM. GERNEZ et ROMANEIX les avisant qu'ils pouvaient dans un délai de quinze jours prendre connaissance du dossier de l'affaire soit par eux-mêmes, soit par mandataire, soit par le ministère d'un avocat, ou d'un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de Cassation ;
Vu la lettre du 22 septembre 1992 informant la Cour du décès, survenu le 30 août 1992, de M. ROMANEIX, contre lequel l'action publique se trouve en conséquence éteinte ;
Vu l'accusé de réception de la lettre recommandée adressée le 5 octobre 1992 à M. GERNEZ, le citant à comparaître devant la Cour de discipline budgétaire et financière ;
Vu l'avis émis par la commission administrative paritaire nationale des personnels de direction de 2ème catégorie du ministère de l'Education nationale siégeant le 20 mai 1992 en formation disciplinaire ;
Vu le mémoire en défense en date du 5 septembre 1992 enregistré au greffe le 9 septembre 1992, présenté par Maître STOVEN, avocat au barreau d'Orléans, assistant M. GERNEZ ;
Entendu M. BERNICOT, conseiller référendaire à la Cour des comptes en son rapport ;
Entendu M. le procureur général de la République en ses observations ;
Entendu M. GERNEZ en ses explications ;
Entendu M. le procureur général de la République en ses réquisitions ;
Entendu en sa plaidoirie Maître STOVEN, et en ses observations M. GERNEZ, l'intéressé et son conseil ayant eu la parole les derniers ;
Sur la compétence de la CourConsidérant qu'aux termes de l'article 1er de la loi du 25 septembre 1948 susvisée, "est justiciable de la Cour de discipline budgétaire et financière... tout agent des organismes qui sont soumis au contrôle de la Cour des comptes" ; que le lycée professionnel de Saint-Jean-de-la-Ruelle est, depuis le 1er janvier 1986, un établissement public local, soumis de ce fait, en application de l'article 87 de la loi n° 82-213 du 2 mars 1982 modifiée, au contrôle de la chambre régionale des comptes du Centre en premier ressort et à celui de la Cour des comptes par la voie de l'appel ;
Considérant que les diverses irrégularités relevées ont affecté la gestion du lycée professionnel et du Groupement d'établissements pour la formation continue (GRETA), intégré dans le lycée jusqu'au 31 décembre 1986, puis service à comptabilité distincte sans personnalité juridique rattaché au compte financier du lycée par un compte de liaison ; que ces irrégularités portent sur des indemnités de direction et de gestion perçues en 1986 et 1987 par le proviseur M. GERNEZ, et par l'intendant ; que les faits incriminés ne sont pas couverts par la prescription instituée par l'article 30 de la loi du 25 septembre 1948 modifiée ;
Qu'en conséquence, M. GERNEZ, proviseur du lycée professionnel, est justiciable de la Cour de discipline budgétaire et financière ;
Sur le fond
Considérant que les personnels de direction et de gestion des établissements accueillant des actions de formation continue ont droit à des indemnités calculées en fonction des heures effectives d'enseignement en application du décret susvisé n° 68-356 du 23 mai 1968 modifié ;
Que ces indemnités étaient calculées, en application de la circulaire du ministre de l'Education nationale n° 77-108 du 12 janvier 1977, selon la méthode dite de la "double globalisation" des actions financées sur fonds publics et des autres actions pour le compte d'entreprises ; que la circulaire n° 86-117 du 13 mars 1986 a supprimé ce système et prescrit de faire masse de toutes les actions de formation de sorte que, le barème étant dégressif, le nouveau mode de calcul des indemnités était moins avantageux que le précédent pour ses bénéficiaires ; que l'annulation implicite de la double globalisation résultait de l'abrogation de la circulaire du 12 janvier 1977 ; que le 20 juin 1986, une lettre du ministre de l'Education nationale annulait explicitement la double globalisation et publiait un nouveau barème pour 1986 ; que le 23 mars 1987, une note de service diffusait un nouveau barème applicable à compter du 20 mars 1986 ;
Sur le double paiement des indemnités pour 1986
Considérant que M. GERNEZ et l'intendant ont perçu, par six mandats de paiement, pour les mois de janvier à juin 1986, des avances forfaitaires sur leurs indemnités de direction et de gestion d'un total net de 45 144 F, le calcul étant fait selon la méthode de la double globalisation ; que le 10 juillet 1986 a été mandaté à leur profit une somme de 41 284,92 F nets représentant les indemnités de direction et de gestion liquidées sur la base de 7 088 heures d'enseignement effectuées de janvier à juin 1986 au lycée professionnel, sans application de la double globalisation et sur la base du barème annexé à la lettre du 20 juin 1986 ;
Qu'ainsi les indemnités de M. GERNEZ et de l'intendant pour le premier semestre 1986 leur ont été payées deux fois ; qu'un ordre de reversement des avances forfaitaires a bien été émis le 15 février 1987, mais que les intéressés n'ont rien reversé ; que cet ordre de reversement a été annulé le 22 juillet 1988 par un mandat établi pour un montant de 55 139,58 F incluant l'avance de 45 144 F, mais dépourvu de la justification réglementaire prévue par l'annexe du décret n° 83-16 du 13 janvier 1983, paragraphe 142, c'est-à-dire un état indiquant le motif de l'erreur commise ;
Considérant que M. GERNEZ reconnaît que ledit ordre de reversement porte effectivement sa signature, mais n'a pas été exécuté à l'époque du fait que l'intéressé espérait une révision du mode de calcul des indemnités ;
Considérant que M. GERNEZ, bien qu'il admette que l'annulation en date du 22 juillet dudit ordre de reversement porte sa signature, soutient qu'il n'a pu apposer celle-ci en parfaite connaissance de cause ; que, la date de ce document étant postérieure à celle de son départ de l'établissement, cette pièce a dû être soumise à sa signature parmi d'autres par l'intendant avec lequel il avait travaillé en toute confiance pendant 19 ans ;
Considérant que, dès lors que l'intendant n'est plus en mesure de confirmer ou d'infirmer les déclarations du proviseur, il convient de faire bénéficier M. GERNEZ du bénéfice du doute sur son intention d'annuler l'ordre de reversement ; que toutefois, en n'exécutant pas ledit ordre de reversement, dont il pensait donc qu'il était toujours applicable, il a, en tant que personne physique, fait obstacle à un ordre qu'il donnait en tant que proviseur, rendant ainsi impossible la régularisation des doubles paiements dont il était le principal bénéficiaire ; qu'il n'a pas davantage pris les mesures nécessaires pour obtenir le reversement des sommes payées à tort à l'intendant ;
Considérant que le deuxième paiement des indemnités du premier semestre 1986 sans déduction des acomptes déjà versés est, au stade de la liquidation et du mandatement, une violation des règles d'exécution des dépenses du lycée ; que cette irrégularité constitue une infraction passible des sanctions prévues à l'article 5 de la loi du 25 septembre 1948 modifiée et, puisqu'elle a procuré à autrui un avantage pécuniaire injustifié, des sanctions prévues à l'article 6 de ladite loi ;
Sur le montant des indemnités perçues en 1986 et 1987
Considérant que M. GERNEZ et l'intendant ont perçu, au titre de l'année 1987, des indemnités calculées sur la base de 9 000 heures d'enseignement dispensées dans l'établissement d'appui ; que ce nombre correspondait aux heures prévues et non aux heures effectives qui, selon le seul état justificatif disponible, étaient de 7 491 heures ; que l'écart d'environ 31 000 F n'a pas été reversé ;
Considérant d'autre part que M. GERNEZ et l'intendant ont perçu, par mandat n° 189 du 21 janvier 1988, 52 893,18 F au titre de 1986 et 1987 sur la base d'"heures restant à liquider" pour certains établissements adhérents au GRETA autres que l'établissement d'appui ; que de l'aveu même des intéressés, ces heures n'ont jamais été effectuées ; qu'en conséquence les indemnités ainsi perçues ne leurs étaient pas dues ; que ces sommes n'ont pas été reversées ;
Considérant qu'il n'y a pas lieu de retenir l'argument selon lequel le paiement de ces indemnités avait été autorisé par le conseil du GRETA, dont les dirigeants n'avaient pas autorité pour attribuer des compléments de rémunération pour des heures d'enseignement non effectuées ; que le fait que les sommes payées en excès auraient été payées par les entreprises bénéficiaires des actions de formation est également sans objet puisque le mode de calcul des contributions réclamées auxdites entreprises est sans lien direct avec le régime indemnitaire des personnels de direction et de gestion ;
Considérant que la liquidation et le mandatement d'indemnités de direction et de gestion sur la base d'heures d'enseignement non effectuées sont des violations des règles d'exécution des dépenses du GRETA ; que ces irrégularités constituent des infractions passibles des sanctions prévues à l'article 5 de la loi du 25 septembre 1948 modifiée et, puisqu'elles ont procuré à autrui un avantage pécuniaire injustifié, des sanctions prévues à l'article 6 de ladite loi ;
Sur les responsabilités encourues
Considérant que M. GERNEZ en tant qu'ordonnateur s'est irrégulièrement attribué à lui-même, et a également attribué à l'intendant, agent-comptable du lycée qui payait les mandats, des indemnités de direction et de gestion à hauteur de plus de 100 000 F aux titres des exercices 1986 et 1987 ; que ce système permettant d'attribuer des compléments de rémunération irréguliers a été organisé à leur profit personnel et exécuté par eux seuls ;
Que la responsabilité de M. GERNEZ est directement et pleinement engagée dans les infractions commises ;
Considérant cependant que le retard et les ambiguïtés qui ont marqué l'abandon, dans le mode de calcul des indemnités de direction et de gestion, du système de la "double globalisation" pour un système moins rémunérateur peuvent constituer des circonstances atténuantes ;
Que d'autre part le surcroît d'activité lié aux transformations du lycée et les graves problèmes de santé rencontrés par M. GERNEZ ont pu avoir une influence sur l'attitude de l'ordonnateur ;
Considérant qu'il sera fait une juste appréciation de l'ensemble des circonstances de l'affaire en infligeant à M. GERNEZ une amende de 50 000 F ;
ARRETE :
Article 1er : M. GERNEZ est condamné à une amende de cinquante mille francs (50 000 F).
Article 2 : La présente décision sera publiée au journal officiel de la République française.
Fait et jugé en la Cour de discipline budgétaire et financière.
Présents : M. ARPAILLANGE, Premier Président de la Cour des comptes, président ; Mme BAUCHET et M. FOUQUET, conseillers d'Etat, MM. ISNARD et CAMPET, conseillers-maîtres à la Cour des comptes, membres de la Cour de discipline budgétaire et financière ; M. BERNICOT, conseiller référendaire à la Cour des comptes, rapporteur.
Le huit décembre mil neuf cent quatre vingt douze.
Le Président, Le Greffier,
En conséquence, la République mande et ordonne à tous huissiers de justice sur ce requis de mettre ledit arrêt à exécution, aux procureurs généraux et aux procureurs de la République près les tribunaux de grande instance d'y tenir la main, à tous les commandants et officiers de la force publique de prêter main-forte lorsqu'ils en seront légalement requis.
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le Président de la Cour et le Greffier.
Le Président, Le Greffier,