Vu la loi n° 48-1484 du 25 septembre 1948 modifiée tendant à sanctionner les fautes de gestion commises à l'égard de l'Etat et de diverses collectivités et portant création d'une Cour de discipline budgétaire et financière ;
Vu la décision en date du 17 octobre 1988, enregistrée au Parquet de la Cour de discipline budgétaire et financière le même jour, par laquelle la Cour des comptes a déféré à ladite Cour les irrégularités constatées dans la gestion du Centre de formation des personnels communaux (CFPC), imputables à MM. TABANOU, décédé le 12 juin 1989, CUVELIER et GONZALEZ, respectivement président, directeur et secrétaire général de cet établissement ;
Vu le réquisitoire du procureur général de la République en date du 23 décembre 1988, transmettant le dossier à la Cour de discipline budgétaire et financière ;
Vu la décision du président de la Cour de discipline budgétaire et financière en date du 20 janvier 1989, par laquelle M. LESCURE, conseiller maître à la Cour des comptes, a été nommé rapporteur ;
Vu la communication en date du 24 octobre 1989, enregistrée au Parquet de la Cour de discipline budgétaire et financière le même jour, par laquelle le ministre délégué au budget confirme sa demande formulée dans une correspondance du 28 juillet 1989, enregistrée au Parquet le 2 août 1989, de saisir la Cour de discipline budgétaire et financière de cinq catégories d'irrégularités relevées dans la gestion du CFPC par la Cour des comptes dans un référé qui lui avait été adressé le 20 décembre 1988 ;
Vu le réquisitoire complémentaire du procureur général de la République en date du 31 octobre 1989, saisissant la Cour de discipline budgétaire et financière, d'une de ces catégories d'irrégularités liée au régime indemnitaire du président, des vice-présidents, des administrateurs et des délégués régionaux et départementaux du centre, les autres catégories figurant déjà dans le réquisitoire du 23 décembre 1988, susvisé ;
Vu les accusés de réception des lettres recommandées adressées les 14 septembre 1989 et 7 mai 1990 à MM. CUVELIER et GONZALEZ, les informant de l'ouverture d'une instruction et les avisant qu'ils étaient autorisés à se faire assister soit par un mandataire, soit par un avocat ou un avoué, soit par un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ;
Vu l'avis formulé le 15 mars 1991 par le ministre de l'Intérieur ;
Vu l'avis formulé le 31 mai 1991 par le ministre délégué auprès du ministre d'Etat, ministre de l'économie, des finances et du budget, chargé du budget ;
Vu les accusés de réception des lettres recommandées adressées par le président de la Cour de discipline budgétaire et financière le 4 octobre 1991 à MM. CUVELIER et GONZALEZ les avisant qu'ils pouvaient, dans un délai de quinze jours, prendre connaissance du dossier de l'affaire, soit par eux-mêmes, soit par un mandataire, soit par le ministère d'un avoué ou avocat ou d'un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ;
Vu les accusés de réception des lettres adressées par le procureur général de la République le 21 novembre 1991 à MM. CUVELIER et GONZALEZ les citant à comparaître devant la Cour de discipline budgétaire et financière ;
Vu la décision du président de la Cour de discipline budgétaire et financière en date du 17 octobre 1991, par laquelle M. BERNICOT, conseiller référendaire à la Cour des comptes, a été nommé rapporteur ;
Vu le mémoire en défense en date du 31 octobre 1991 présenté par MM. CUVELIER et GONZALEZ et enregistré au greffe le 6 novembre 1991 ;
Vu le rapport établi par M. LESCURE en date du 24 juillet 1990 et l'ensemble des pièces qui figurent au dossier, notamment les procès-verbaux d'interrogatoire de MM. CUVELIER et GONZALEZ ;
Entendu M. BERNICOT, conseiller référendaire à la Cour des comptes en son rapport ;
Entendu M. le procureur général de la République en ses conclusions;
Entendu MM. CUVELIER et GONZALEZ en leurs explications ;
Entendu M. le procureur général de la République en ses réquisitions ;
Entendu MM. CUVELIER et GONZALEZ en leurs observations, les intéressés ayant eu la parole les derniers ;
Sur la compétence de la CourConsidérant qu'aux termes de l'article 1er de la loi du 25 septembre 1948 susvisée : "est justiciable de la Cour de discipline budgétaire et financière ... tout agent des organismes qui sont soumis au contrôle de la Cour des comptes" ; que le Centre de formation des personnels communaux (CFPC) est un établissement public intercommunal qui relève du contrôle de ladite Cour en application de l'article 1er de la loi 67-413 du 22 juin 1967 ; que dès lors MM. CUVELIER et GONZALEZ exerçant respectivement les fonctions de directeur et secrétaire général du CFPC, sont, en cette qualité, justiciables de la Cour de discipline budgétaire et financière ;
Sur l'amnistie
Considérant que les faits qui sont à l'origine du renvoi de MM. CUVELIER et GONZALEZ devant la Cour de discipline budgétaire et financière étaient susceptibles d'entraîner leur condamnation aux amendes infligées aux auteurs des infractions définies par les articles 2 à 6 bis de la loi susvisée du 25 septembre 1948 et que l'article 29 de la même loi assimile aux amendes prononcées par la Cour des comptes en cas de gestion de fait ; que ces amendes ne sont pas des sanctions disciplinaires et professionnelles, au sens de la loi du 20 juillet 1988 portant amnistie, non plus que des sanctions pénales ; que par suite le moyen de MM. CUVELIER et GONZALEZ tiré de ce que les articles 29 et 30 de cette loi n'excluent pas expressément du bénéfice de l'amnistie des infractions aux règles relatives à l'exécution des recettes et des dépenses publiques, ce bénéfice leur serait acquis, est inopérant ;
Sur le fond
Sur les irrégularités concernant le régime indemnitaire des présidents, vice-présidents, administrateurs, délégués régionaux et départementaux du Centre et le régime indemnitaire des personnels de direction :
Considérant que le décès de M. TABANOU fait obstacle à l'exercice de poursuites à son égard et, qu'en ce qui concerne MM. CUVELIER et GONZALEZ, les faits concernant les régimes indemnitaires n'ont pas donné lieu à renvoi devant la Cour et n'ont donc pas été examinés par elle ;
Sur le non respect de certaines dispositions du code des marchés publics :
Considérant qu'en application de l'article R.412-84 du code des communes, les marchés du Centre de formation des personnels communaux sont passés dans les formes et conditions prescrites pour les marchés des communes de plus de 40 000 habitants ; qu'ils sont donc soumis aux règles fixées par le code des marchés publics ;
1° - violation de l'article 321
Considérant que l'article 321 du code des marchés publics prévoit qu'il "peut être traité... sur mémoires ou sur simple facture... par les communes... pour les travaux, fournitures ou services dont la dépense n'excède pas" un seuil, dont le montant, au moment des faits, était de 180 000 F pour la catégorie des communes à laquelle le CFPC était rattaché ;
Considérant, cependant, que le Centre a acquis, au cours des années 1985 et 1986, des micro-ordinateurs pour un total de 2,3 millions de francs ; qu'il a acheté notamment vingt-huit Macintosh, dont dix-huit ont été payés pour 697 980 francs, en 1985, et dix, pour 304 767 francs en 1986 ; que, sur les dix-huit Macintosh acquis en 1985, douze l'ont été auprès de la société Galilée Informatique contre le versement d'une somme de 388 896 francs ; que, bien que ces achats aient dépassé le seuil précité, ils n'ont fait l'objet d'aucun marché et ont été réglés sur simple facture ;
Que de même, des brochures intitulées "cahiers du CFPC" ont été imprimées par la société Fricotel ; que ces travaux, dont le coût a dépassé 259 000 francs en 1985, et 305 000 francs en 1986, n'ont pas fait l'objet d'un marché ;
Que si un marché de travaux d'imprimerie portant le n° 85-22 a bien été conclu, le 10 septembre 1985, par le Centre avec la société LY2 pour un montant de 321 000 F, des prestations importantes ont été exécutées par cette même société, en dehors du marché, soit avant sa conclusion, en 1985, soit, postérieurement, en 1985 et 1986 ; que le montant de ces travaux hors marché a dépassé 352 000 F en 1985 et 347 000F en 1986 ;
Considérant qu'il appartenait à l'ordonnateur de prendre les mesures nécessaires pour éviter de passer des commandes sans marché d'un montant supérieur à celui prévu par le code des marchés publics ; que, si dans le premier cas les commandes étaient effectivement passées par les délégués régionaux, sur lesquels ni le président ni le directeur et a fortiori le secrétaire général n'avaient autorité, en revanche les commandes de travaux dans les autres cas étaient faites au niveau central par les services du siège ;
Considérant que ces violations des dispositions de l'article 321 du code des marchés publics constituent des infractions aux règles d'exécution des dépenses du CFPC exposant leurs auteurs aux sanctions prévues par l'article 5 de la loi du 25 septembre 1948 modifiée ;
2° - violation de l'article 308
Considérant que l'article 308 qualifie de "négociés" les marchés pour lesquels les discussions sont engagées "sans formalité" et qui sont attribués librement au candidat retenu par l'autorité compétente ; que celle-ci est cependant "tenue de mettre en compétition, par une consultation écrite au moins sommaire, les candidats susceptibles d'exécuter un tel marché" ; qu'il ne peut être passé de tels marchés que dans les cas limitativement prévus par le code lui-même ;
Considérant que les trois conventions conclues en 1985 avec la société ISL Service en vue de l'animation de stages de formation n'ont pas été précédées de mise en compétition ; que la connaissance qu'aurait eu le CFPC de la qualité, de la compétitivité des prix et du savoir-faire de cette entreprise ne le dispensait pas de procéder à la consultation prévue par l'article 308 ;
Considérant que de même, le contrat conclu, le 22 décembre 1983, avec la société Europe Computer Service (ECS) pour la location d'équipements informatiques pour une durée initiale de 48 mois, moyennant un loyer mensuel de 24 000 francs HT, porté ensuite à 29 540 francs, n'a pas été précédé d'une mise en compétition ; que l'acceptation par cette société de clauses plus favorables que celles qui ont été accordées par IBM ne dispensait pas de cette mise en compétition ;
Considérant que ces faits constituent des violations de l'article 308 du code des marchés publics et donc des infractions aux règles d'exécution des dépenses du Centre exposant leurs auteurs aux sanctions prévues par l'article 5 de la loi du 25 septembre 1948 modifiée ;
3° - violation de l'article 250
Considérant que l'article 250 du code des marchés publics prévoit à son troisième alinéa que "les marchés doivent être conclus avant tout commencement d'exécution" ;
Considérant que les premières prestations visées par le marché négocié d'un montant de 885 955,05 francs pour l'impression de sujets de concours conclu le 3 juillet 1985 avec la société ISEF étaient afférentes à des concours ayant eu lieu en mai et juin 1985 et, donc, antérieurement à la conclusion dudit marché ; que cette violation de l'article 250 du code des marchés publics constitue une infraction aux règles d'exécution des dépenses du CFPC exposant ses auteurs aux sanctions prévues par l'article 5 de la loi du 25 septembre 1948 modifiée ;
Sur les responsabilités encourues :
Considérant que l'article R. 412-73 du code des communes dispose que le "président du conseil d'administration est ordonnateur des recettes et des dépenses et passe les marchés" ; que cet article prévoit que "le président peut confier une partie de ses pouvoirs au directeur du Centre, aux délégués interdépartementaux et aux délégués des départements d'outre-mer qui agissent alors en son nom et par délégation" ;
Qu'en application de ces dispositions, M. CUVELIER, directeur du CFPC, a reçu, par décision du président TABANOU en date du 28 novembre 1983, une très large délégation de pouvoirs, qui lui donne compétence en matière de marchés, notamment pour "signer les marchés" ; que, par décision du même jour, M. CUVELIER a accordé à M. GONZALEZ, secrétaire général du Centre, dans de nombreux domaines, subdélégation pour engager et ordonnancer les dépenses, sans qu'il soit cependant habilité à signer les marchés ; que, toutefois, dans les cas où M. GONZALEZ a signé des marchés, il agissait sur décision de M. TABANOU ;
Considérant que M. CUVELIER qui a certifié le service fait pour l'achat des ordinateurs Macintosh, visé certaines pièces de dépenses pour les travaux d'imprimerie exécutés par la société LY2 et signé par les trois marchés concernant l'animation de stages de formation par la société ISL Service et M. GONZALEZ qui a signé les mandats de paiement relatifs à l'achat des ordinateurs Macintosh, signé les commandes et les mandats pour l'impression des brochures intitulées "les cahiers du CFPC", visé certaines pièces de dépenses correspondant aux travaux d'imprimerie exécutés par la société LY2, et signé les marchés avec les sociétés ECS et ISEF, ont commis, chacun en ce qui le concerne, les violations aux dispositions du code des marchés publics et sont ainsi passibles des sanctions prévues par l'article 5 de la loi du 25 septembre 1948 modifiée ;
Considérant que ladite loi tendant à sanctionner les fautes de gestion à l'égard de l'Etat et de diverses collectivités ne fait aucune distinction suivant que les auteurs des infractions ont agi en vertu d'une délégation ou à un autre titre, et qu'à cet égard le moyen invoqué par M. CUVELIER et GONZALEZ selon lequel la responsabilité qu'ils auraient encourue serait exclusivement professionnelle et ne pourrait être mise en jeu que par l'autorité qui leur a donné la délégation de signature, est dépourvu de fondement ;
Considérant toutefois, qu'il doit être tenu compte, dans l'appréciation de la responsabilité de MM. CUVELIER et GONZALEZ, de l'imprécision dans la répartition des tâches au sein de l'établissement et surtout de l'existence de nombreuses instructions du président TABANOU qui, même si elles ne dégagent pas dans chaque cas les intéressés de leur responsabilité propre, constituent, à raison même de leur fréquence, une circonstance atténuante ;
Considérant également que, bien que la loi du 13 juillet 1972 ait institué le CFPC en un établissement unique, celui-ci fonctionnait en fait d'une manière très déconcentrée ; que les délégués régionaux, élus locaux désignés directement par le conseil d'administration du CFPC, exerçaient leurs fonctions localement d'une manière autonome ; que cette orientation avait été confirmée par les dispositions de la loi du 12 juillet 1984 qui avait transformée ces délégations régionales en vingt-sept établissements autonomes ; que, bien que les lois 85-1221 du 22 novembre 1985 et 86-972 du 19 août 1986 aient suspendu l'application de cette réforme, ce n'est qu'en 1987, avec la suppression du CFPC et son remplacement par le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT), par la loi 87-529 du 13 juillet 1987, qu'il est apparu que la nouvelle organisation déconcentrée ne serait jamais mise en place ; que, pendant cette période transitoire, ni le président ni les responsables administratifs du centre n'avaient de véritables moyens d'action sur les délégations départementales et régionales ; que, dans cette situation d'instabilité institutionnelle qui a duré quatre années, leur qualité d'agents territoriaux ne laissait au directeur et au secrétaire général que peu de pouvoir vis-à-vis d'élus locaux ; que l'ensemble de ces faits sont de nature à atténuer très largement la responsabilité de MM. CUVELIER et GONZALEZ ;
Considérant qu'il sera fait une juste appréciation de l'ensemble des circonstances de l'affaire en infligeant à MM. CUVELIER et GONZALEZ une amende de 5 000 F chacun.
ARRETE
Article 1er : M. CUVELIER est condamné à une amende de cinq mille francs (5 000 F).
Article 2 : M. GONZALEZ est condamné à une amende de cinq mille francs (5 000 F).
Article 3 : La présente décision sera publiée au journal officiel de la République française.
Fait et jugé en la Cour de discipline budgétaire et financière.
Présents : MM. ARPAILLANGE, Premier Président de la Cour des comptes, président ; M. DUCAMIN, président de section au Conseil d'Etat ; Mme BAUCHET, conseiller d'Etat, MM. ISNARD et CAMPET, conseiller maîtres à la Cour des comptes, membres de la Cour de discipline budgétaire et financière ; M. BERNICOT, conseiller référendaire à la Cour des comptes, rapporteur.
Le vingt-deux janvier mil neuf cent quatre vingt douze.
Le Président, Le Greffier,
En conséquence, la République mande et ordonne à tous huissiers de justice sur ce requis de mettre ledit arrêt à exécution, aux procureurs généraux et aux procureurs de la République près les tribunaux de grande instance d'y tenir la main, à tous les commandants et officiers de la force publique de prêter main-forte lorsqu'ils en seront légalement requis.
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le Président de la Cour et le Greffier.
Le Président, Le Greffier,