LA COUR,

Vu la loi n° 48-1484 du 25 septembre 1968 modifiée tendant à sanctionner les fautes de gestion commises à l'égard de l'Etat et de diverses collectivités et portant création d'une Cour de discipline budgétaire et financière ;

Vu la décision du 27 juin 1979, enregistrée au parquet de la Cour de discipline budgétaire et financière le 25 juillet 1979, par laquelle la Cour des comptes a déféré à la Cour de discipline budgétaire et financière les irrégularités qu'elle a relevées dans la gestion de l'Office national d'études et de recherches aérospatiales à l'encontre de MM. CONTENSOU, TRESARRIEU et DUMAUSE ;

Vu le réquisitoire du Procureur Général de la République en date du 31 juillet 1980, transmettant le dossier à la Cour de discipline budgétaire et financière ;

Vu la décision du Président de la Cour de discipline budgétaire et financière en date du 22 septembre 1980, par laquelle M. FOURRE, Maître des requêtes au Conseil d'Etat, a été nommé rapporteur ;

Vu les accusés de réception des lettres recommandées adressées le 5 novembre 1980 à MM. CONTENSOU, TRESARRIEU et DUMAUSE, les informant de l'ouverture d'une instruction et les avisant qu'ils étaient autorisés à se faire assister soit par un mandataire, soit par un avocat ou un avoué, soit par un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de Cassation ;

Vu l'avis émis le 22 janvier 1982 par le Ministre de la Défense ;

Vu l'avis émis le 9 mars 1982 par le Ministre délégué auprès du Ministre de l'Economie et des Finances, chargé du Budget ;

Vu les conclusions du Procureur Général de la République en date du 18 mai 1982 renvoyant MM. CONTENSOU, TRESARRIEU et DUMAUSE devant la Cour de discipline budgétaire et financière ;

Vu les mémoires en défense présentés respectivement par MM. CONTENSOU, TRESARRIEU et DUMAUSE ;

Vu l'ensemble des pièces qui figurent au dossier et notamment les procès-verbaux d'interrogatoire ;

Entendu M. FOURRE, Maître des requêtes au Conseil d'Etat en son rapport ;

Entendu le Procureur Général de la République en ses conclusions et réquisitions ;

Entendu en leurs observations MM. CONTENSOU, TRESARRIEU et DUMAUSE, les intéressés ayant eu la parole les derniers ;

Sur la rémunération de M. CONTENSOU

Considérant qu'en vertu de l'article 2 du décret n° 63-386 du 10 avril 1963 modifié, le traitement et les indemnités alloués au directeur général de l'Office national d'études et de recherches aérospatiales (ONERA) sont fixés par une décision conjointe des Ministres de la Défense et des Finances ; que, pour l'application de cette disposition à M. CONTENSOU en qualité de directeur général de l'ONERA à compter du 18 janvier 1973, une décision conjointe a été prise par échange de lettres entre les deux Ministres et noifiée par une lettre du Ministre des Armées en date du 26 juin 1973 ; qu'aux termes de cette lettre, la rémunération de M. CONTENSOU était, d'une part, fixée initialement à 170000 F et, d'autre part, définie comme brute et globale, entièrement soumise à l'impôt, revalorisable comme celle des dirigeants du secteur public et qu'enfin il était spécifié dans cette lettre que "bien entendu, si M. CONTENSOU prenait sa retraite pendant l'exercice de ses fonctions à l'ONERA, le niveau de sa rémunération serait réduit à due concurrence" ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction que, pour les années postérieures jusqu'à l'année 1979 incluse, une communication annuelle du contrôle d'Etat informait le directeur général de l'ONERA du coefficient de majoration autorisé pour l'exercice précédent et en déduisait le quantum en résultant ; que nonobstant l'admission de M. contensou dans la deuxième section du corps des ingénieurs généraux de l'armement à compter du 1er juin 1976, il n'a pas été procédé à la réduction de sa rémunération ; que celle-ci a, par suite, été liquidée, ordonnancée et versée par l'ONERA à compter de la même date en violation de la décision interministérielle susrappelée ;

Considérant que M. CONTENSOU fait valoir que d'une part les Ministres de tutelle de l'ONERA se seraient réservé la possibilité de fixer chaque année la rémunération du directeur général de cet établissement selon une règle dérogeant à la possibilité de cumul des avantages de retraite et des rémunérations d'activité ; que d'autre part il allègue que la réduction de sa rémunération à concurrence du montant de sa solde de réserve aurait été inéquitable par rapport à la fois à la situation qui eût été la sienne s'il avait conservé dans l'établissement ses fonctions antérieures et à celle des dirigeants d'entreprises analogues ;

Considérant toutefois qu'il résulte clairement de la décision interministérielle notifiée par la lettre du 26 juin 1973 que, si l'autorité interministérielle compétente en vertu du décret du 10 avril 1963 susrappelé a fixé le quantum de la rémunération initiale du directeur général de l'ONERA, elle a légalement par la même décision, et quelle que fût la réglementation des cumuls en vigueur à l'époque, fixé des règles générales de liquidation de cette rémunération pour l'avenir ; que si, notifiant annuellement le coefficient de majoration applicable pour la régularisation de la rémunération de l'exercice antérieur, le contrôle d'Etat précisait le montant de la rémunération en résultant, son intervention n'avait pas, et ne pouvait légalement avoir pour effet de le substituer ni au Ministre de l'Economie et des Finances pour la décision de principe concernant la rémunération du directeur général de l'ONERA, ni à l'ordonnateur pour l'application de cette décision ; qu'il appartenait donc à M. CONTENSOU, en sa qualité de directeur général, de mettre en oeuvre les décisions ministérielles, notamment celle touchant à sa rémunération ;

Considérant, par ailleurs, que si la règle contenue dans la décision interministérielle notifiée le 26 juin 1973 n'a pas été rappelée par les autorités de tutelle lorsque M. CONTENSOU a été admis en deuxième section et si son application pouvait avoir des conséquences que l'intéressé tenait pour inéquitables, il incombait à ce dernier d'en demander la suspension ou la modification ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'en s'abstenant d'appliquer la décision notifiée le 26 juin 1973 M. CONTENSOU a engagé sa responsabilité ; que celle-ci est néanmoins atténuée par une certaine ambiguité dans le comportement du contrôle d'Etat ;

Considérant, en outre, qu'il revenait également au Secrétaire général de l'ONERA, destinataire des décisions ministérielles concernant la rémunération du directeur général de l'Office, de veiller à leur application ; qu'en ne faisant pas appliquer la décision de 1973, M. TRESARRIEU a engagé sa responsabilité ; que cependant il y a lieu de tenir compte de la situation délicate dans laquelle se serait trouvé ce subordonné s'il avait pris l'initiative de réduire la rémunération de son directeur général ;

Considérant enfin que M. DUMAUSE, en sa qualité de directeur du budget, du personnel, de l'administration et des moyens généraux de l'ONERA, a ordonnancé la rémunération de M. CONTENSOU, irrégulièrement liquidée au regard de la décision interministérielle applicable ; que toutefois les considérations valables pour M. TRESARRIEU peuvent également être retenues à l'endroit de M. DUMAUSE ;

Considérant que les faits reprochés à MM. CONTENSOU, TRESARRIEU et DUMAUSE tombent sous le coup de l'article 5 de la loi du 25 septembre 1948 modifiée et, en ce qui concerne MM. TRESARRIEU et DUMAUSE, sous le coup de l'article 6 de la même loi ;

Sur les allocations de fin de carrière de MM. LEGENDRE, LOPEZ, DUBOIS et CARRIERE

Considérant qu'aux termes de l'article 8 de la loi n° 40-895 du 3 mai 1946, dans sa rédaction issue du décret n° 63-385 du 10 avril 1963, "les magistrats, fonctionnaires et militaires appelés à servir à l'Office sont détachés dans les conditions prévues par la législation et la réglementation qui leur sont applicables" ; que si, en vertu de l'article 38 de l'ordonnance du 4 février 1959, les fonctionnaires détachés sont soumis à l'ensemble des règles régissant la fonction qu'ils exercent par l'effet de leur détachement, l'article 40 de la même ordonnance exclut l'acquisition par ces fonctionnaires de "droits quelconques à pension ou allocations sous peine de la suspension de la pension de l'Etat" ; que ce principe s'étend aux magistrats et aux militaires en application, respectivement, de l'article 68 de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 et l'article 56 de la loi n° 72-662 du 13 juillet 1972 ;

Considérant que MM. LEGENDRE, ingénieur de l'armement, LOPEZ et DUBOIS, fonctionnaire et magistrat, et CARRIERE, ingénieur général de l'armement, détachés auprès de l'ONERA, ont reçu en août et octobre 1976, juin 1977 et mai 1978 respectivement, des allocations de fin de carrière de cadre calculées en fonction de leur ancienneté dans l'établissement, telles qu'elles sont prévues à l'article 29 de la Convention collective des ingénieurs et cadres de la région parisienne en date du 30 décembre 1960, rendue applicable à l'Office par un accord collectif du 22 janvier 1965 ;

Considérant que de telles allocations, dont le bénéfice est acquis à raison des services accomplis à l'ONERA, sont de la nature de celles dont le versement au profit de fonctionnaires détachés est exclu par l'article 40 précité de l'ordonnance du 4 février 1959 ; que ces allocations ne peuvent d'ailleurs être versées, en application même de la convention collective susmentionnée, qu'aux ingénieurs et cadres prenant leur retraite à l'ONERA ; que, s'agissant d'agents de l'Etat détachés auprès de cet Office, la survenance de la limite d'âge prévue dans leur corps d'origine entraîne leur remise à la disposition de ce corps pour qu'ils y soient admis à faire valoir leurs droits à la retraite ; que tel était le cas, en l'espèce, de MM. LEGENDRE, LOPEZ et DUBOIS ; que s'agissant de M. CARRIERE, versé dans la deuxième section de son cadre avant la fin de ses services à l'ONERA, il ne pouvait se voir attribuer qu'une allocation calculée sur la période écoulée entre son entrée dans la deuxième section de son cadre d'origine et la fin de ses services à l'Office et non sur la durée totale de ceux-ci ; qu'au surplus, dans le cas de MM. LOPEZ, DUBOIS et CARRIERE, les versements ont été faits en méconnaissance de leurs contrats individuels, qui mentionnaient leur qualité de fonctionnaires détachés et dont les clauses étaient fixées en fonction de cette qualité ; que ces contrats excluaient expressément, conformement aux dispositions statutaires susrappelées régissant le détachement des agents de l'Etat, le droit à quelque indemnité que ce soit en cas de cessation du contrat intervenant en application du statut d'origine ou sur leur initiative ou celle de l'ONERA ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les allocations en cause ont été versées, pour leur totalité en ce qui concerne MM. LEGENDRE, LOPEZ et DUBOIS et partiellement en ce qui concerne M. CARRIERE, en violation des dispositions applicables aux agents de l'Etat et, au surplus, en méconnaissance à la fois de la convention collective applicable dans le cas des trois premiers dénommés, et des contrats de travail dans le cas des trois derniers dénommés ;

Considérant que M. CONTENSOU, en déterminant le mode de liquidation de l'allocation servie à M. LEGENDRE, et en refusant, par lettre du 15 mars 1978, d'émettre le titre de reversement à l'encontre de MM. LEGENDRE, DUBOIS et LOPEZ demandé par l'agent comptable de l'Office, puis en requérant l'agent comptable de payer l'allocation de M. CARRIERE a engagé sa responsabilité dans ces opérations ;

Considérant que M. DUMAUSE, en ordonnançant ces allocations irrégulièrement accordées, a également engagé sa responsabilité ;

Considérant que ces irrégularités imputables à MM. CONTENSOU et DUMAUSE constituent des violations des règles de dépenses de l'ONERA et tombent sous le coup de l'article 5 de la loi du 25 septembre 1948 modifiée ainsi que sous celui de l'article 6 de ladite loi en ce qu'elle ont procuré à leurs bénéiciaires des avantages irréguliers ;

Considérant que les faits ne sont pas couverts par la prescription édictée par l'article 30 de la loi du 25 septembre 1948 ;

Considérant qu'il sera fait une exacte appréciation de l'ensemble des circonstances de l'affaire en infligeant à M CONTENSOU une amende de trois mille francs et à MM TRESARRIEU et DUMAUSE une amende de mille francs ;

ARRETE :

Article 1er - M. Pierre CONTENSOU est condamné à une amende de trois mille francs ;

Article 2 - M. Henri TRESARRIEU est condamné à une amende de mille francs ;

Article 3 - M. Jean DUMAUSE est condamné à une amende de mille francs ;

Article 4 - Le présent arrêt sera publié au Journal Officiel de la République française ;