Vu la loi n° 48-1484 du 25 septembre 1948 modifiée tendant à sanctionner les fautes de gestion commises à l'égard de l'Etat et de diverses collectivités et portant création d'une Cour de discipline budgétaire et financière ;
Vu le réquisitoire en date du 11 juillet 1991 par lequel le Procureur général près la Cour des comptes, ministère public près la Cour de discipline budgétaire et financière, a saisi la Cour de discipline budgétaire et financière d'irrégularités relevées au service d'information et de relations publiques des armées (SIRPA) du ministère de la défense à l'occasion des opérations effectuées de 1987 à 1989 dans le cadre d'une tentative de record du monde de saut en parachute ;
Vu la décision du 19 juillet 1991 du Président de la Cour de discipline budgétaire et financière désignant M. Schwartz, maître des requêtes au Conseil d'Etat, comme rapporteur près la Cour de discipline budgétaire et financière ;
Vu les accusés de réception des lettres recommandées adressées par le Procureur général près la Cour des comptes, ministère public près la Cour de discipline budgétaire et financière, le 4 octobre 1991 à M. Jean-Bernard Pinatel et à Melle Marie-Christine Demortier, respectivement chef du SIRPA et administrateur civil au SIRPA à l'époque des faits et, le 19 novembre 1991, à M. René Neyret, ingénieur principal de l'armement, affecté à la direction générale de l'armement au moment des faits, les informant de l'ouverture d'une instruction et les avisant qu'ils pouvaient se faire assister soit par un mandataire, soit par un avocat, soit par un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de Cassation ;
Vu les avis émis le 17 avril 1992 par le ministre de la défense et le 23 avril 1992 par le ministre du budget ;
Vu les conclusions du Procureur général près la Cour des comptes, ministère public près la Cour de discipline budgétaire et financière en date du 19 décembre 1992 renvoyant M. Pinatel et Melle Demortier devant la Cour de discipline budgétaire et financière ;
Vu l'avis émis le 6 avril 1993 par la commission administrative paritaire du ministère de la défense et le 10 juin 1993 par la commission paritaire interministérielle concernant Melle Demortier, administrateur civil, ancien chef de la division Prospective-Promotion du SIRPA ;
Vu l'avis émis le 24 mai 1993 par le Conseil supérieur de l'armée de terre concernant M. Pinatel, général de brigade, ancien chef du SIRPA ;
Vu les accusés de réception des lettres recommandées adressées par le président de la Cour de discipline budgétaire et financière le 23 septembre 1993 à M. Pinatel et à Melle Demortier les avisant qu'ils pouvaient, dans un délai de quinze jours, prendre connaissance du dossier de l'affaire soit par eux-mêmes, soit par mandataire, soit par le ministère d'un avocat ou d'un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de Cassation ;
Vu les accusés de réception des lettres adressées par le Procureur général près la Cour des comptes, ministère public près la Cour de discipline budgétaire et financière, le 16 novembre 1993 à M. Pinatel et à Melle Demortier les citant à comparaître devant la Cour de discipline budgétaire et financière ;
Vu l'ensemble des pièces qui figurent au dossier et notamment les procès-verbaux d'audition de M. Pinatel et de Melle Demortier et le rapport d'instruction établi par M. Schwartz ;
Vu les mémoires en défense et productions présentés le 3 novembre 1993 par Melle Demortier et le 10 novembre 1993 par le général Pinatel ;
Le film vidéo présenté par le général Pinatel et dont la cassette a été jointe au dossier ayant été visionné au cours de l'audience du 15 décembre 1993 ;
Entendu M. Schwartz en son rapport ;
Entendu le Procureur général près la Cour des comptes, ministère public près la Cour de discipline budgétaire et financière, en ses conclusions ;
Entendu en leurs explications M. Pinatel et Melle Demortier qui ont pu reprendre la parole en dernier ;
Entendu le Procureur général près la Cour des comptes, ministère public près la Cour de discipline budgétaire et financière, en son réquisitoire ;
Entendu M. Pinatel et Melle Demortier en leurs observations, les intéressés ayant eu la parole les derniers ;
Considérant que, le 9 novembre 1987, M. André Giraud, ministre de la défense, a décidé d'engager son ministère dans un projet tendant à améliorer le record du monde de saut en parachute en le portant à 38.000 m.; que le ministre a confié la responsabilité générale de la préparation et de l'exécution de ce projet au service d'information et de relations publiques des armées (SIRPA) ; que le général Pinatel, alors colonel, devait, en tant que chef dudit service, assurer cette responsabilité ; que des irrégularités ont été commises au cours de la préparation de ce projet entre le 9 novembre 1987 et le 10 février 1989, date à laquelle le ministre de la défense a décidé d'abandonner la tentative ;Sur les irrégularités commises
Considérant, en premier lieu, que le général Pinatel, chargé par le ministre de la préparation et de l'exécution du projet d'amélioration du record du monde de saut en parachute, dit "projet S 38", a fait appel à des personnes et sociétés privées pour mener à bien ce projet en association avec les services du ministère de la défense ; que la participation de M. Prieur, cascadeur professionnel, et des entreprises Air liquide, Aérazur, Intertechnique et Tirtiaux a été retenue ; que, si des marchés ont été conclus avec ces entreprises et personnes sans mise en concurrence, en méconnaissance des dispositions du livre II du code des marchés publics, il résulte de l'instruction que c'est le ministre de la défense qui a retenu M. Prieur et la société Tirtiaux et qui, par courrier du 9 novembre 1987, a sollicité la participation des sociétés Air liquide, Aérazur et Intertechnique ; que les choix ainsi faits s'imposaient au général Pinatel et que, dès lors, l'irrégularité tenant à la méconnaissance des règles de mise en concurrence ne peut être imputée à celui-ci ; que, cependant, le général Pinatel, chargé de la réalisation du projet, n'était pas dispensé, dans le cadre de ses responsabilités propres, de donner une forme précise et régulière à ces engagements eu égard aux dispositions de l'article 39 du code des marchés publics en vertu duquel les marchés de l'Etat sont des contrats écrits dont les cahiers des charges visés au chapitre IV du titre I dudit code sont des éléments constitutifs ; que les courriers en date du 3 février 1988, par lesquels le général Pinatel demandait aux sociétés Air liquide, Aérazur et Intertechnique de confirmer leur engagement ne peuvent être regardés comme des contrats écrits au regard des règles posées par le code des marchés publics ; que, de plus, du fait de cette situation, ces personnes et sociétés ont exécuté des travaux et des prestations pour le compte de l'Etat avant toute signature de convention alors que les dispositions de l'article 39 susmentionné imposent que les marchés soient notifiés avant tout commencement d'exécution ; que, dans les limites ainsi précisées, l'instruction révèle une méconnaissance des dispositions de l'article 39 du code des marchés publics, ce qui est constitutif d'une infraction aux règles d'exécution des dépenses de l'Etat au sens de l'article 5 de la loi du 25 septembre 1948 susvisée ;
Considérant, en deuxième lieu, que l'Etat s'est trouvé engagé envers les personnes et sociétés susnommées en l'absence de tout crédit budgétaire affecté à l'opération projetée ; que, si des incertitudes pouvaient exister quant à l'imputation des dépenses correspondantes, il appartenait au général Pinatel, responsable de l'opération, de faire lever ces incertitudes en temps utile ; que son abstention a entraîné la méconnaissance des dispositions du troisième alinéa de l'article 29 du décret du 29 décembre 1962 aux termes desquelles l'engagement de l'Etat "doit rester dans la limite des autorisations budgétaires" ; que, de plus, ces engagements, en l'absence de visa du contrôleur financier, qui seul, d'ailleurs, aurait, pu, donner pouvoir au général Pinatel d'engager l'Etat au nom du ministre de la défense en application des arrêtés de délégation de signature des 25 mars 1986 et 15 février 1988, contreviennent aux règles fixées par le troisième alinéa de l'article 29 du décret du 29 décembre 1962 susmentionné et par les articles 4 et 5 de la loi du 11 août 1922 relative à l'organisation du contrôle des dépenses engagées ; que ces faits sont constitutifs d'infractions aux règles d'exécution des dépenses de l'Etat au sens des articles 2, 4 et 5 de la loi du 25 septembre 1948 ;
Considérant, en troisième lieu, que le général Pinatel a créé l'Association pour le développement de l'esprit d'aventure et de conquête (ADEAC), domiciliée à l'adresse de Melle Demortier, cofondatrice de l'association, administrateur civil et chef de la "Division Prospective-Promotion" du SIRPA ; qu'il résulte de l'instruction que cette association a été conçue comme structure devant servir de relais pour le financement du projet "S 38" dans l'attente de participations financières de sociétés de télévision intéressées par la réalisation du projet ; qu'il résulte de l'instruction que les entreprises impliquées dans le projet n'ont considéré l'ADEAC que comme une façade et que, à leurs yeux, seul l'Etat était engagé ; qu'en l'absence de ligne budgétaire pour financer l'opération, alors que les entreprises avaient, dès le premier trimestre 1988, adressé leurs premières factures, et dans l'attente d'éventuels financements de sociétés de télévision, le général Pinatel a recherché des fonds pour honorer ces factures ; qu'il a demandé à sa collaboratrice, Melle Demortier, de prendre contact avec un établissement de crédit, le Crédit Lyonnais, afin d'obtenir, sous couvert de l'ADEAC, une avance de trésorerie ; que, par lettre datée du 24 août 1988, à en-tête "Cabinet du Ministre - SIRPA", Melle Demortier a demandé au sous-directeur de la Direction centrale des agences de Paris et de la région parisienne du Crédit lyonnais de consentir une avance de trésorerie à l'ADEAC ; que la banque, consciente de traiter en fait avec les services de l'Etat, a avancé à l'ADEAC les fonds nécessaires aux premiers paiements des industriels impliqués dans le "projet S 38" pour un montant de 1 992 418 F; qu'ainsi, en méconnaissance des règles fondamentales applicables en matière de finances publiques, résultant notamment de l'article 15 de l'ordonnance 59-2 du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances et 124 du décret précité du 29 décembre 1962, le général Pinatel et Melle Demortier ont emprunté de l'argent au nom de l'Etat ; que ces faits sont constitutifs d'infractions aux règles d'exécution des recettes de l'Etat au sens de l'article 5 de la loi du 25 septembre 1948 ;
Sur les responsabilités
Sur la responsabilité du général Pinatel
Considérant que la responsabilité de ces infractions incombe au général Pinatel, qui était ès qualités chargé de la mise en oeuvre de l'opération "S 38" ;
Considérant, toutefois, que des circonstances atténuantes peuvent être retenues ; qu'en premier lieu le général Pinatel était l'exécutant d'une volonté du ministre, expresse et réitérée à plusieurs reprises, alors que les crédits nécessaires pour financer le projet n'avaient pas été dégagés lors des premières phases de l'opération ; que le ministre de la défense souhaitait personnellement la réalisation du projet "S 38" dont il suivait attentivement le cours et dont il pressait la réalisation ; que, si le général Pinatel ne peut valablement se prévaloir des dispositions de l'article 8 de la loi du 25 septembre 1948 susvisée aux termes desquelles les auteurs des infractions réprimées par ce texte "ne sont passibles d'aucune sanction s'ils peuvent exciper d'un ordre écrit, préalablement donné à la suite d'un rapport particulier à chaque affaire (...) par leur ministre", il y a lieu de tenir compte de ce qu'il a appelé, à plusieurs reprises, l'attention du ministre sur les difficultés rencontrées ; qu'en second lieu il y a lieu de tenir compte de ce que, si la responsabilité de l'opération a été confiée au SIRPA, ce service ne pouvait par lui-même en traiter les aspects techniques qui relevaient essentiellement de la délégation générale pour l'armement, ce qui entraînait inéluctablement des incertitudes quant au rôle respectif de chacun des intervenants ; qu'en troisième lieu doit être retenu le fait que, le projet comportant des risques pour l'exécutant du saut en parachute, les problèmes de sécurité, compte tenu du calendrier prévu pour la réalisation, ont été traités de manière prioritaire, ce qui a contribué à occulter les aspects financiers et administratifs de l'affaire ; qu'il y a lieu, enfin, de tenir compte des états de services exemplaires de l'intéressé au sein de l'armée française et du fait qu'il a toujours tenu à revendiquer la responsabilité des négligences qui, du point de vue de la régularité budgétaire et financière de l'opération, peuvent lui être imputées ; que, dès lors, il sera fait une juste appréciation de l'ensemble des circonstances de l'affaire en infligeant au général Pinatel une amende de 10 000 F ;
Sur la responsabilité de Melle Demortier
Considérant que Melle Demortier n'avait pas de responsabilité directe dans la mise en oeuvre du projet "S 38" ; que, si elle s'est engagée dans la création de l'ADEAC, il résulte de l'instuction que c'est uniquement sur instruction de son supérieur hiérarchique, le général Pinatel ; que ce dernier a reconnu avoir été alerté par l'intéressée sur les irrégularités affectant la mise en oeuvre de l'opération "S 38" ; que, cependant, Melle Demortier, administrateur civil, ne pouvait pas ne pas mesurer l'irrégularité qu'elle commettait en sollicitant d'un établissement de crédit, sur papier à en-tête du cabinet du ministre de la défense, un découvert de trésorerie au profit d'une association, l'ADEAC, dont elle savait qu'elle n'était et ne pouvait être qu'une façade ; qu'à ce titre Melle Demortier a engagé sa responsabilité en ce qui concerne l'infraction ci-dessus rappelée ; qu'il sera fait une juste appréciation des circonstances de l'affaire et notamment de l'élément de contrainte morale qui pesait sur l'intéressée en condamnant Melle Demortier, de ce chef, au paiement d'une amende de 500 F ;
ARRETE :
Article 1er : Le général PINATEL est condamné au paiement d'une amende de dix mille francs (10 000 F) ;
Article 2 : Melle DEMORTIER est condamnée au paiement d'une amende de cinq cents francs (500 F) ;
Article 3 : La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française en la forme anonyme.
Fait et jugé en la Cour de discipline budgétaire et financière.
Présents : M. DUCAMIN, président de section au Conseil d'Etat, Vice-président de la Cour de discipline budgétaire et financière, président ; Mme BAUCHET, conseiller d'Etat, MM. ISNARD et CAMPET, conseillers maîtres à la Cour des comptes, membres de la Cour de discipline budgétaire et financière ; M. SCHWARTZ, maître des requêtes au Conseil d'Etat, rapporteur.
Le quinze décembre mil neuf cent quatre vingt treize.
Le Président, Le Greffier,
En conséquence, la République mande et ordonne à tous huissiers de justice sur ce requis de mettre ledit arrêt à exécution, aux procureurs généraux et aux procureurs de la République près les tribunaux de grande instance d'y tenir la main, à tous commandants et officiers de la force publique de prêter main-forte lorsqu'ils en seront légalement requis.
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le Président de la Cour et le Greffier.
Le Président, Le Greffier,