La Cour de discipline budgétaire et financière siégeant à la Cour des comptes a rendu l'arrêt suivant :
LA COUR,
Vu la loi n° 48-1484 du 25 septembre 1948 modifiée tendant à sanctionner les fautes de gestion commises à l'égard de l'Etat et de diverses collectivités et portant création d'une Cour de discipline budgétaire et financière ;
Vu la lettre du 9 août 1984, enregistrée au Parquet le même jour, par laquelle la Cour des comptes, sur déféré décidé par la deuxième chambre dans sa séance du 15 février 1984 et transmis par lettre du 13 juillet 1984 signée de son président, a saisi la Cour de discipline budgétaire et financière d'irrégularités constatées dans la conclusion de deux emprunts contractés par M. G..., Ambassadeur de France à ... pour financer la construction à ... (dans le pays de l'endroit) d'un centre culturel franco ... ;
Vu le réquisitoire du Procureur général près la Cour des comptes en date du 11 février 1987 transmettant le dossier à la Cour de discipline budgétaire et financière ;
Vu la décision du Président de la Cour de discipline budgétaire et financière du 9 mars 1987 désignant comme rapporteur M. PIERRE, Conseiller maître à la Cour des comptes ;
Vu l'accusé de réception de la lettre recommandée adressée par le Procureur général le 10 juin 1987 à M. G. ..., l'informant de l'ouverture d'une instruction et l'avisant qu'il était autorisé à se faire assister soit par un mandataire, soit par un avocat ou un avoué, soit par un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ;
Vu les avis émis le 13 avril 1988 par le ministre des Affaires étrangères, et le 4 novembre 1988 par le ministre délégué chargé du budget ;
Vu la décision du 15 novembre 1988 par laquelle le Procureur général renvoie M. G. ... devant la Cour de discipline budgétaire et financière ;
Vu l'avis émis le 25 janvier 1989 par la Commission administrative paritaire des conseillers et secrétaires des Affaires étrangères, laquelle avait, par lettre du 22 décembre 1988, informé M. G. ... qu'elle se réunirait à cette date ;
Vu l'accusé de réception de la lettre recommandée adressée le 7 février 1989 par le Président de la Cour de discipline budgétaire et financière à M. G. ... l'avisant qu'il pouvait, dans un délai de quinze jours, prendre connaissance du dossier de l'affaire, soit par lui-même, soit par mandataire, soit par le ministère d'un avocat, d'un avoué ou d'un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ;
Vu l'accusé de réception de la lettre recommandée adressée le 16 février 1989 par le Procureur général de la République à M. G. ... et le citant à comparaître devant la Cour de discipline budgétaire et financière ;
Vu la lettre du 27 février 1989 de Me DELVOLVE au Procureur général et la réponse de ce dernier en date du 6 mars 1989 ;
Vu le mémoire en défense présenté le 24 mars 1989 par Me DELVOVE, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, ainsi que les pièces complémentaires produites à l'appui ;
Vu la lettre du 13 avril 1989 par laquelle Me DELVOVE transmet au Président de la Cour de discipline budgétaire et financière des conclusions à fin de surseoir à statuer ainsi que deux pièces qui y sont jointes ;
Vu l'ensemble des pièces qui figurent au dossier et notamment le rapport établi par le rapporteur désigné ainsi que le procès-verbal d'audition ;
Entendu M. PIERRE en son rapport ;
Entendu le Procureur général en ses conclusions ;
Entendu les explications de M. G. ..., assisté de Me DELVOVE, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation et de Me VARAUT, avocat à la Cour de Paris ;
Entendu le Procureur général en ses réquisitions ;
Entendu en leurs plaidoiries Me DELVOVE et Me VARAUT et en ses observations M. G. ..., l'intéressé et ses conseils ayant eu la parole les derniers.
Sur les droits de la défenseConsidérant que M. G. ... et ses avocats ont demandé à la Cour d'ordonner un supplément d'information pour obtenir du ministère des Affaires étrangères divers renseignements et documents complémentaires et de la Cour des comptes la transmission des rapports à l'occasion desquels le déféré a été décidé ; qu'ils ont d'autre part déposé des conclusions demandant à la Cour de discipline budgétaire et financière de surseoir à statuer jusqu'à ce qu'il ait été statué définitivement sur la plainte contre X qu'ils ont déposée le 12 avril 1989 auprès du Procureur de la République près le tribunal de grande instance de Paris ;
Considérant que le dossier visé à l'article 17 de la loi du 25 septembre 1948 modifiée prend naissance d'une part avec le déféré établi par la Cour des comptes, d'autre part avec la décision du Ministère public de poursuivre la procédure ; qu'il comprend, outre les diverses pièces résultant du suivi de cette procédure, les documents qui y sont versés par le rapporteur au soutien de son rapport d'instruction ; que la loi ne comporte pas d'autres obligations concernant la composition dudit dossier ;
Considérant dès lors que les documents contenus dans le dossier d'instruction sont suffisants pour permettre à la Cour de statuer sans qu'il y ait lieu de réclamer d'autres pièces, ni d'attendre la suite donnée à la plainte susmentionnée ;
Sur l'amnistie
Considérant que les agissements qui ont motivé le renvoi de M. G. ... devant la Cour de discipline budgétaire et financière étaient susceptibles d'entraîner la condamnation de leur auteur aux amendes prévues aux articles 2 à 6 de la loi du 25 septembre 1948 modifiée susvisée que l'article 29 de ladite loi assimile aux amendes prononcées par la Cour des comptes en cas de gestion de fait ; que ces amendes ne sont ni des sanctions disciplinaires ni des sanctions professionnelles au sens de l'article 13 de la loi n° 81-736 du 4 août 1981 portant amnistie et de l'article 14 de la loi n° 88-828 du 20 juillet 1988 portant amnistie, qui sont ainsi sans effet sur le renvoi de M. G. ... devant la Cour de discipline budgétaire et financière ;
Au fond
Considérant que, sur un terrain donné à l'Etat français par ... (le pays de l'endroit) en échange d'un autre terrain sur lequel était implantée depuis 1974 une école française, l'association de droit local France ... (pays de l'endroit) a fait édifier un établissement scolaire dénommé aujourd'hui lycée Louis-Massignon, qui a été ouvert à compter de la rentrée scolaire 1981-1982, et devait prendre place dans un ensemble plus vaste appelé maison de la culture franco ... ;
Que les travaux correspondants ont été financés par deux emprunts à long terme contractés les 21 juin 1980 et 11 mai 1981, d'un montant de 15 millions de ... (environ 17 millions de francs français) chacun, au taux de 4 %, qui ont en fait été fusionnés pour constituer un prêt global de 30 millions de ..., d'une durée de 20 ans avec un différé d'amortissement de deux ans, remboursable en 18 annuités inégales entre 1982 et 1999 ; que les fonds ont été versés au compte bancaire de l'association France ... (pays de l'endroit) pour les relations culturelles ;
Considérant que les prêts ont été conclus entre le gouvernement de ... (du pays de l'endroit), et l'"ambassade de France" ; que les contrats ont été signés pour le gouvernement de ... par M. H. ..., responsable du département des Finances, et pour l'ambassade de France par l'ambassadeur, M. G. ... ;
Que celui-ci n'a pas agi en sa qualité de représentant de l'association France ... dont il était un membre dirigeant, cet organisme n'étant pas même mentionné dans les contrats et n'étant d'ailleurs pas alors régulièrement constitué ;
Que la personne morale désignée par l'expression "French Embassy" ne saurait être une personne privée, et que l'ambassadeur de France à ... apparaissait comme ayant signé les deux contrats en cette qualité ;
Considérant que ... (le pays de l'endroit) voulait dès 1979 reprendre le terrain donné en 1974 à l'Etat français sur lequel étaient édifiés les bâtiments de l'école française et de l'Alliance française et donner un autre terrain ;
Que M. G. ..., ambassadeur de France à ... de décembre 1977 à mars 1982, en demandant par une lettre du 26 mai 1980 au ministère des Affaires étrangères, direction des immeubles et des affaires générales, que fût accepté l'échange de l'ancien terrain contre le nouveau, dont la remise avait d'ailleurs eu lieu dès le 22 mai, faisait mention du projet de construction sur ce nouveau terrain non seulement d'une école française mais aussi d'un centre culturel, d'un centre de loisirs et d'une Alliance française, projet qu'il avait déjà évoqué dans un dossier élaboré en février 1980 en vue de la visite du Président de la République, dans une lettre du 23 mars 1980 au ministre des Affaires étrangères et dans une lettre du 31 mars 1980 à un membre du cabinet de celui-ci ; que l'ambassadeur ne demandait cependant dans ses correspondances ni avis, ni instructions sur ce vaste projet et son financement ;
Que la réponse du Département sur l'échange de terrains ne sera donnée que le 4 décembre 1980 par le chef du service des immeubles et des affaires générales, ouvrant une procédure qui aboutira à l'acceptation du don du nouveau terrain ;
Que la teneur du projet, son financement et les problèmes juridiques que posait sa mise en oeuvre n'ont été présentés avec une relative précision au Département par l'ambassadeur que dans une dépêche adressée le 22 novembre 1980, soit cinq mois après la conclusion du premier emprunt, au directeur général des relations culturelles, scientifiques et techniques et complétée par l'envoi du dossier technique de construction au service des immeubles le 29 décembre suivant ; que la direction générale, saisie pour la première fois d'une opération qui relève de sa compétence, a en réponse, par une dépêche du 22 décembre 1980, fait connaître ses réserves sur le projet, réserves confirmées dans un télégramme du directeur général du 26 février 1981 demandant à l'ambassadeur de surseoir à toute initiative à ce sujet jusqu'à nouvel ordre ;
Que l'ambassadeur a exposé, pour la première fois de manière précise, dans sa lettre du 4 mars 1981 au directeur de cabinet du ministre des Affaires étrangères, le mode de financement qu'il avait retenu, à savoir des prêts ... (du pays de l'endroit) à hauteur de 30 millions de ... (monnaie locale) - dont 15 avaient fait l'objet du contrat de juin 1980 et une seconde tranche de 15 était en cours de négociation - pour un coût de l'ensemble du projet de l'ordre de 23 millions de ... (monnaie locale), le placement de l'excédent de financement, complété par des contributions très limitées des sociétés françaises opérant à ... (dans le pays de l'endroit), assurant le remboursement des prêts ;
Considérant que les instructions données par le directeur général des relations culturelles, scientifiques et techniques à l'ambassadeur dans un télégramme du 6 mars 1981 excluaient toute participation du département, autre que symbolique, à la construction du Centre culturel ; que le Secrétaire général du ministère, dans sa dépêche du 31 mars 1981, indiquait explicitement que l'ambassadeur avait pris des décisions engageant le département sans avoir préalablement recueilli son accord et envisageait que le financement soit assuré, pour l'essentiel, par un emprunt que l'association de parents d'élèves de l'école de ... (dans le pays de l'endroit) contracterait par l'intermédiaire de l'association nationale des écoles françaises à l'étranger (ANEFE) ;
Que, dans sa réponse du 8 avril 1981, l'ambassadeur indiquait que ... (le dit pays) allait verser à l'association "France ... (pays de l'endroit) pour les relations culturelles" le nouveau prêt de 15 millions de ... (monnaie locale), que le financement de tout le projet de ... (du centre culturel en cause) serait donc assuré sans que le département n'ait à financer quoi que ce soit et qu'il prenait bonne note de la décision du Département de demander à l'association de parents d'élèves gestionnaire de l'école de ... (dans ledit pays) de contracter un emprunt auprès de l'ANEFE ;
Que par télégramme du 29 avril 1981, le directeur général des relations culturelles, scientifiques et techniques, estimant que les modalités que l'ambassadeur préconisait pour la construction, la gestion et le fonctionnement de la nouvelle école s'écartaient sensiblement des critères sur lesquels le département fonde ses relations avec les écoles françaises à l'étranger, prenait acte de la situation et annonçait que la direction générale s'abstiendrait désormais d'intervenir dans ce domaine tout en apportant son aide pour assurer aux enfants des ressortissants expatriés une scolarité selon les normes françaises ;
Considérant que la conclusion du second contrat de prêt le 11 mai 1981 ne répond pas aux instructions reçues ;
Qu'ainsi M. G. ... a signé successivement deux contrats de prêt en tant qu'ambassadeur de France sans avoir préalablement reçu d'instruction à cet effet du ministère des Affaires étrangères ; qu'au demeurant il n'avait aucune compétence pour ce faire, seul le ministre des finances étant habilité, aux termes de l'ordonnance du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances à exécuter les opérations d'emprunt conformément aux autorisations générales données chaque année par les lois de finances ; mais qu'agissant apparemment dans le cadre de ses attributions, l'ambassadeur, par l'engagement qu'il avait contracté, imposait à l'Etat français le risque d'avoir à en supporter les éventuelles conséquences dommageables ;
Considérant que M. G. ... a ainsi enfreint les règles relatives à l'exécution des recettes de l'Etat et qu'il tombe sous le coup des sanctions prévues par l'article 5 de la loi du 25 septembre 1948 modifiée ;
Sur les responsabilités
Considérant que le montage financier imaginé par M. G. ... et décrit par lui dans une note du 4 mars 1981 consistait à obtenir de ... (pays de l'endroit) des prêts à faible taux d'intérêt d'un montant sensiblement supérieur au coût de la construction des différentes composantes de ... (ladite) maison de la culture et à financer le remboursement des prêts grâce au produit des intérêts provenant du placement au taux du marché de l'excédent de fonds ; qu'en effet, le taux d'intérêt créditeur attendu était de 14 % applicable à l'excédent de 7 à 10 millions de ... (monnaie locale) alors que le taux contractuel dû ... (au pays de l'endroit) n'était que de 4 % ;
Que ce montage financier avantageux mais peu orthodoxe n'était pas exempt de risques ; qu'il supposait en effet que tout au long de la période d'amortissement des emprunts (1982 à 1999), les revenus des fonds placés, les droits de scolarité et loyers du centre soient suffisants pour permettre de rembourser les annuités en capital qui varient entre un et trois millions de ... (monnaie locale) et de payer les intérêts ; que les risques étaient notamment une baisse du taux d'intérêt du marché et une réduction de l'activité de la Maison de la culture, en particulier du lycée Louis Massignon ;
Considérant cependant que M. G. ... a dû faire face avec urgence à la situation créée par la volonté de la municipalité et de ... (pays de l'endroit) de reprendre le terrain sur lequel était édifiée l'école française dont au demeurant les capacités d'accueil étaient reconnues insuffisantes ; que les initiatives de l'ambassadeur ont permis dans de bonnes conditions l'ouverture du lycée Massignon à la rentrée scolaire de septembre 1981 ; que jusqu'à présent les échéances contractuelles des emprunts ont été respectées ; que l'administration centrale du ministère des Affaires étrangères, incomplètement et tardivement informée des projets de l'ambassadeur, n'a réagi qu'avec lenteur à ses correspondances et sans que ses différents services agissent de façon coordonnée ; que ces circonstances peuvent être considérées comme atténuant la responsabilité de M. G. ... ; qu'elles ne sauraient cependant suffire à dégager cette responsabilité dont il sera fait une équitable appréciation en condamnant celui-ci à une amende de 2 000 francs ;
ARRETE
Article unique - M. Jean-Claude G... est condamné à une amende de deux mille francs (2 000 F).
Fait et jugé en la Cour de discipline budgétaire et financière. Présents : M. CHANDERNAGOR, Premier Président de la Cour des comptes, Président ; M. RICHER et Mme BAUCHET, Conseillers d'Etat ; MM. MAY ET ISNARD, Conseillers maîtres à la Cour des comptes, membres de la Cour de discipline budgétaire et financière ; M. PIERRE, Conseiller maître à la cour des comptes, rapporteur.
Le dix sept avril mil neuf cent quatre vingt neuf.