LA COUR,

Vu la loi n° 48-1484 du 25 septembre 1948, modifiée et complétée par les lois n° 55-1069 du 6 août 1955 et 63-778 du 31 juillet 1963, tendant à sanctionner les fautes de gestion commises à l'égard de l'Etat et de diverses collectivités et portant création d'une Cour de discipline budgétaire et financière ;

Vu la lettre de M le Premier président de la Cour des comptes en date du 9 mai 1962 transmettant au Ministère public près la Cour de discipline budgétaire et financière la décision du 14 mars 1962 par laquelle la Cour des comptes a saisi la Cour de discipline budgétaire et financière d'irrégularités ayant affecté les opérations de dépenses exécutées pour le paiement des personnels rattachés à la mission universitaire et culturelle française en Tunisie ;

Vu le réquisitoire de M le Procureur général en date du 28 septembre 1962 transmettant le dossier au président de la Cour de discipline budgétaire et financière ;

Vu la décision du président de la Cour de discipline budgétaire et financière du 2 octobre 1962 désignant comme rapporteur M CHARRIER, conseiller référendaire à la Cour des comptes ;

Vu les accusés de réception des lettres adressées le 12 février 1964 à MM VUILLEMIN et TOURTEAU et le 28 février 1964 à M RICHARD les informant de l'ouverture d'une instruction et les avisant qu'ils étaient autorisés à se faire assister soit par un mandataire, soit par un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ;

Vu l'avis émis le 26 mars 1965 par le ministre des affaires étrangères ;

Vu l'avis émis le 22 juin 1965 par le ministre des finances et des affaires économiques ;

Vu l'avis émis les 12 avril et 8 mai 1967 par le Premier ministre ;

Vu les avis émis les 2 mai 1966, 2 novembre 1966 et 26 avril 1967 par les commissions administratives paritaires compétentes, sur communication du dossier faite aux dites commissions en application de l'article 19 de la loi du 25 septembre 1948 ;

Vu les conclusions de M le Procureur général en date du 21 juin 1967 renvoyant MM VUILLEMIN, TOURTEAU et RICHARD devant la Cour de discipline budgétaire et financière ;

Vu les accusés de réception des lettres recommandées en date du 22 juin 1967, avisant MM VUILLEMIN, TOURTEAU et RICHARD qu'ils pouvaient dans un délai de quinze jours prendre connaissance du dossier de l'affaire au secrétariat de la Cour, soit par eux-mêmes, soit par mandataire, soit par le ministère d'un avocat au Conseil d'Etat ou à la Cour de cassation ;

Vu le mémoire présenté le 7 août 1967 par M VUILLEMIN ;

Vu les accusés de réception des lettres recommandées des 23 octobre 1967 et 29 novembre 1967 invitant MM VUILLEMIN, TOURTEAU et RICHARD à comparaître ;

Vu les autres pièces du dossier et notamment les procès-verbaux d'interrogatoire ;

Ouï M CHARRIER, conseiller référendaire à la Cour des comptes, en son rapport ;

Ouï M le Procureur général de la République en ses conclusions ;

Ouï MM TOURTEAU et RICHARD en leurs explications ;

Ouï M DEVILLE, ancien trésorier général en Tunisie, cité comme témoin par M le Procureur général ;

Ouï M le Procureur général de la République en ses réquisitions ;

Ouï les observations de MM TOURTEAU et RICHARD, qui ont eu la parole les derniers ;

Vu la lettre en date du 28 octobre 1967 par laquelle M VUILLEMIN, cité à comparaître et qui ne s'est pas présenté, déclare s'en remettre au jugement de la Cour ;

Considérant qu'à dater du 1er janvier 1958 la mission universitaire et culturelle française en Tunisie (MUCF) avait été chargée, sous l'autorité de l'ambassadeur de France en Tunisie, d'assurer la gestion des personnels enseignants français et de procéder aux opérations d'engagement, de liquidation et de mandatement des traitements et indemnités dus audit personnel ; qu'à cette fin, l'ambassadeur de France avait, par arrêtés des 18 janvier 1958, 5 juin 1958 et 19 septembre 1958, délégué sa signature au chef de la MUCF et, en cas d'absence ou d'empêchement de celui-ci, à l'adjoint au chef de la MUCF, ainsi qu'à M VUILLEMIN, chef des services administratifs de la MUCF et à l'adjoint de ce dernier, M RICHARD, puis M TOURTEAU à compter du 1er juillet 1958 ; qu'en vertu de l'arrêté du 18 janvier 1958, délégation permanente était en outre donnée à DUCOS, agent supérieur à la MUCF, en cas d'absence ou d'empêchement des autres délégataires, à l'effet de signer les titres de paiement, les bordereaux d'émission, les certificats de liquidation et les bordereaux d'envoi des titres de paiement ;

Considérant que, dans le cadre de ces délégations, les opérations administratives tendant au paiement des traitement et indemnités des agents de la MUCF étaient de la compétence de M VUILLEMIN, chef des services administratifs, et de son adjoint ; que ceux-ci avaient sous leur autorité directe le service des mandatements chargé, sous la direction de DUCOS, de préparer et de comptabiliser les titres de paiement concernant lesdits traitements et indemnités ; que les mandats étaient en règle générale signés par l'adjoint de M VUILLEMIN, et les bordereaux récapitulant les mandats par M VUILLEMIN lui-même ;

Considérant qu'au cours de l'année 1958 DUCOS a détourné des sommes importantes en encaissant auprès de la trésorerie générale de France en Tunisie, par le moyen de faux endos, des chèques sur le Trésor public établis au nom d'agents de la MUCF ; que, pour ces détournements découverts en 1960, DUCOS a été condamné en 1964 à 5 ans de prison avec sursis et à 2000 francs d'amende des chefs d'escroquerie, contrefaçon et falsification de chèques, le Trésor public obtenant la restitution de la somme de 105 437,42 francs ; que, dès 1959, DUCOS avait été licencié à la suite de tentatives de détournements commises en juin et juillet 1959 ;

Considérant que ces malversations ont été rendues possibles par les lacunes de la surveillance qu'exerçaient sur DUCOS ses supérieurs hiérarchiques ; qu'en particulier ces derniers n'assuraient personnellement aucun contrôle sur les chèques renvoyés par la trésorerie générale après visa, ledit contrôle étant confié à DUCOS ; que ces faits, qui pourraient être de nature à engager la responsabilité de MM VUILLEMIN, RICHARD et TOURTEAU, s'expliquent toutefois, dans une large mesure, par la lourdeur des missions qu'assuraient ces administrateurs, par l'ampleur et l'urgence des opérations de mandatement et par l'organisation même des services, qui concentrait entre les mains de DUCOS des tâches importantes d'exécution et de contrôle ; qu'en outre DUCOS a abusé de la confiance de ses supérieurs, confiance qui se manifestait notamment dans la délégation de signature dont il était bénéficiaire et qu'il a utilisée frauduleusement pour opérer certains détournements ; qu'en particulier DUCOS a mis à profit la circonstance que la signature des chèques sur le Trésor public lui était abandonnée ; que, dans ces conditions, les défauts de surveillance qui sont à l'origine des malversations commises par DUCOS ne justifient pas, à eux seuls, l'application à MM VUILLEMIN, RICHARD et TOURTEAU des sanctions prévues à l'article 5 de la loi du 25 septembre 1948 ;

Considérant que les manoeuvres frauduleuses de DUCOS ont conduit M VUILLEMIN à signer des pièces fictives, tendant notamment au mandatement par chèques sur le Trésor public de traitement déjà ordonnancés par virement à des comptes bancaires ou postaux ; qu'il en a été ainsi, en particulier, du mandat n° 4320 et du bordereau n° 1586 émis le 21 juillet 1958, pour un montant de 2 128 691 anciens francs et du bordereau n° 1660, émis le 23 juin 1959, pour un montant de plus d'un million d'anciens francs et annulé deux jours plus tard par un certificat administratif de M TOURTEAU ; que la signature de fausses pièces constitue une violation formelle des règles relatives à l'exécution des dépenses publiques ; qu'il convient cependant de tenir compte de la bonne foi de M VUILLEMIN et des circonstances de fait, déjà mentionnées, qui peuvent être retenues en sa faveur ;

Considérant qu'à la suite de la découverte des tentatives de détournement de juin et juillet 1959 et de l'enquête à laquelle il avait procédé, M VUILLEMIN avait estimé que les intérêts de l'Etat se trouvaient sauvegardés, et s'était borné à provoquer le licenciement de DUCOS ; qu'il ressort, tant des pièces du dossier que des déclarations de M DEVILLE, ancien trésorier général en Tunisie, que les détournements commis par DUCOS en 1958 n'ont été révélés qu'à l'occasion de recherches entreprises en février 1960 à l'initiative de la Trésorerie générale ; qu'en s'abstenant d'aviser, dès juillet 1959, la Trésorerie générale des tentatives de détournement de DUCOS, dont il avait alors connaissance, M VUILLEMIN a, en fait, retardé le moment où les détournements ont été découverts et où leur auteur a pu être poursuivi ; que cette attitude doit, malgré la bonne foi de M VUILLEMIN, être retenue à sa charge ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'il ne peut être retenu à l'encontre de MM RICHARD et TOURTEAU de faute justifiant une sanction au titre de la loi du 25 septembre 1948, et qu'il sera fait une juste appréciation des circonstances de l'affaire en infligeant à M VUILLEMIN une amende de mille francs ;

ARRETE :

MM RICHARD et TOURTEAU sont relaxés des fins de la poursuite ;

M VUILLEMIN est condamné à une amende de 1000 francs (mille francs).