REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS,

La Cour de discipline BUDGETAIRE et financiEre, siégeant à la Cour des comptes, en audience publique, a rendu l'arrêt suivant :

Vu le livre III du code des juridictions financières relatif à la Cour de discipline budgétaire et financière ;

Vu la lettre du 13 juillet 1999, enregistrée le même jour par le ministère public, par laquelle le président de la sixième chambre de la Cour des comptes a informé le Procureur général près la Cour des comptes, ministère public près la Cour de discipline budgétaire et financière, du déféré devant ladite Cour de faits présumés irréguliers survenus dans la gestion du centre régional de lutte contre le cancer Oscar Lambret de Lille ;

Vu le réquisitoire du 27 septembre 2000 par lequel le Procureur général a saisi de cette affaire le Premier président de la Cour des comptes, président de la Cour de discipline budgétaire et financière ;

Vu les décisions du Président de la Cour de discipline budgétaire et financière du 18 octobre 2001 et du 23 septembre 2005 désignant comme rapporteur M. Rainier d'Haussonville puis M. Emmanuel Giannesini, respectivement auditeur et conseiller référendaire à la Cour des comptes ;

Vu les lettres du Procureur général en date du 3 octobre 2003 par lesquelles ont été mis en cause M. Alain Demaille, directeur du centre Oscar Lambret jusqu'au 31 août 1996, M. Jacques Bonneterre, son successeur à compter du 1er septembre 1996 jusqu'au 31 octobre 2001, et M. René Lefebvre, comptable puis trésorier du centre pendant la même période ;

Vu la lettre du Président de la Cour de discipline budgétaire et financière en date du 2 février 2004 transmettant le dossier de l'affaire au Procureur général après dépôt du rapport d'instruction, conformément à l'article L. 314-4 du code précité ;

Vu la décision du Procureur général en date du 11 février 2005 de poursuivre la procédure en application de l'article L. 314-4 précité ;

Vu les lettres du Président de la Cour de discipline budgétaire et financière en date du 18 février 2005 par lesquelles le dossier a été communiqué pour avis aux ministres chargés de la santé et des finances en application de l'article L. 314-5 du code précité ;

Vu l'avis en date du 13 juin 2005 émis par le ministre de la santé et des solidarités, enregistré au greffe de la Cour le 17 juin 2005 ;

Vu la décision du Procureur général en date du 8 juillet 2005, par laquelle celui-ci a abandonné les poursuites contre M. Lefebvre et renvoyé devant la Cour MM. Demaille et Bonneterre en application de l'article L. 314-6 du code précité ;

Vu les lettres recommandées adressées le 26 août 2005 par la greffière de la Cour de discipline budgétaire et financière à MM. Demaille et Bonneterre les avisant qu'ils pouvaient, dans un délai de quinze jours, prendre connaissance du dossier de l'affaire dans les conditions prévues à l'article L. 314-8 du code des juridictions financières, ensemble leurs accusés de réception ;

Vu les lettres du 15 septembre 2005, ensemble leurs accusés de réception, par lesquelles la greffière de la Cour a informé les personnes mises en cause de leur convocation à l'audience publique du 28 octobre 2005 ;

Vu les pièces figurant au dossier, notamment les procès verbaux d'audition des personnes entendues dans le cadre de l'instruction, le rapport établi par M. d'Haussonville, les mémoires en défense produits pour M. Bonneterre par Me Dutat, enregistrés au greffe de la Cour le 6 octobre 2005, et le mémoire en défense produit pour M. Demaille par Me Thiriez, enregistré au greffe de la Cour le 14 octobre 2005 ;

Entendu M. Giannesini, résumant le rapport d'instruction ;

Entendu Monsieur le Procureur général en ses conclusions et réquisitions ;

Entendu en leurs plaidoiries Me Dutat en sa qualité de conseil de M. Bonneterre et Me Thiriez en sa qualité de conseil de M. Demaille, les intéressés et leurs conseils ayant eu la parole en dernier ;

Sur la procédure :

Considérant que l'absence d'avis émis dans le délai fixé par l'article L. 314-5 du code des juridictions financières par le ministre en charge des finances ne saurait faire obstacle à la poursuite de la procédure ni empêcher la Cour de statuer sur les fins de la poursuite ;

Sur la compétence de la Cour :

Considérant qu'en application des articles L. 312 à L. 325 du code de la santé publique en vigueur à l'époque des faits et relatifs au statut et au fonctionnement des centres régionaux de lutte contre le cancer, ces derniers sont administrés par un conseil d'administration composé de douze membres ; que sept de ces membres sont des représentants de l'Etat ou de ses établissements publics ; que le directeur du centre, membre du conseil, est désigné par le ministre chargé de la santé ; qu'un neuvième membre siège en qualité de délégué des centres de sécurité sociale ; qu'ainsi, ces centres régionaux entrent dans la catégorie des organismes mentionnés à l'alinéa b) de l'article L. 133-2 du code des juridictions financières, qui fonde la compétence de la Cour des comptes pour assurer la vérification de leurs comptes et de leur gestion dès lors que leurs organes délibérants comportent une majorité de membres représentant l'Etat ou d'autres organismes soumis à son contrôle ;

Considérant que l'article L. 312-1 c) du code des juridictions financières dispose que sont justiciables de la Cour de discipline budgétaire et financière les représentants, administrateurs et agents des organismes soumis au contrôle de la Cour des comptes ; qu'en conséquence MM. Demaille et Bonneterre, directeurs du centre régional de lutte contre le cancer Oscar Lambret de Lille respectivement de 1971 au 30 août 1996 et du 1er septembre 1996 au 31 octobre 2001, sont justiciables de la Cour de discipline budgétaire et financière ;

Considérant que les faits antérieurs au 13 juillet 1994 sont couverts par la prescription de cinq ans prévue par l'article L. 314-2 du code des juridictions financières, l'enregistrement au ministère public de la lettre susvisée du président de la sixième chambre de la Cour des comptes ayant interrompu ladite prescription le 13 juillet 1999 ;

Sur les faits :

1 - Les recrutements effectués dans des conditions irrégulières

        a) Les recrutements aux fonctions de pharmacien gérant et pharmacien gérant adjoint :

            Considérant que, par deux arrêtés préfectoraux du 26 août 1994, pris sur proposition du centre Oscar Lambret, Mme X. et M. Y. ont été nommés respectivement pharmacien gérant et pharmacien gérant adjoint de la pharmacie du centre ; que la procédure de recrutement direct sans concours sur le fondement de laquelle ont été prononcées ces nominations était prévue par l'article 21 de l'arrêté du 5 juin 1989 relatif aux centres de lutte contre le cancer ; que, toutefois, ledit article réservait le bénéfice de cette procédure dérogatoire aux pharmaciens justifiant de cinq années d'exercice en centre de lutte contre le cancer ; qu'en application du même article, les nominations envisagées sur ce fondement devaient de surcroît recevoir un avis conforme du conseil d'administration du centre ;

Considérant qu'afin de lever tout obstacle quant à l'éligibilité de Mme X. et de M. Y. à la procédure dérogatoire susmentionnée, les deux contrats de travail des intéressés ont été réécrits et signés par M. Demaille à la date des faits, et fallacieusement antidatés du 5 juin 1973 et du 29 juillet 1987, dates de leurs recrutements respectifs ; que par ailleurs, aucune délibération formelle du conseil d'administration n'a pu être produite à l'appui de ces nominations ;

Considérant que, dans son mémoire en défense, M. Demaille fait valoir que les intéressés disposaient des compétences requises et des qualités attendues pour exercer les fonctions de pharmacien gérant et de pharmacien gérant adjoint du centre ; que, de surcroît, la pharmacie de l'établissement connaissait une situation de déshérence dénoncée par un rapport de l'inspection régionale de la pharmacie communiqué au centre le 16 juin 1994 ; que c'est au vu de cette situation qu'il aurait signé le 22 juin 1994 les deux contrats de gérance et d'adjoint au gérant, les intéressés ayant par ailleurs été rattachés à la pharmacie dès la fin de l'année 1993 ; que le conseil d'administration aurait approuvé ce rattachement par une délibération du 7 décembre 1993 ; que les contrats réécrits produits à l'appui des dossiers de nomination soumis au préfet du Nord n'auraient pas eu de caractère frauduleux dans la mesure où tant Mme X. que M. Y. disposaient en tout état de cause des titres et compétences susceptibles de justifier leur nomination en application de la procédure dérogatoire susmentionnée ;

Considérant que la délibération du 7 décembre 1993, qui évoque simplement le rattachement de Mme X. et de M. Y. à la pharmacie centrale du centre, ne peut tenir lieu d'avis conforme du conseil d'administration dans le cadre de la procédure dérogatoire prévue par l'article 21 de l'arrêté du 5 juin 1989 en vue de la nomination directe, sans concours, du pharmacien gérant et de son adjoint ; que, par ailleurs, il n'est pas établi que Mme X. et M. Y. disposaient des titres et de l'ancienneté requis pour bénéficier de cette procédure dérogatoire ; que la production de faux contrats à l'appui des dossiers de nomination soumis au préfet du Nord témoigne du fait que la direction du centre elle-même doutait de l'éligibilité des deux candidats à ladite procédure ;

Considérant qu'en recourant ainsi à une procédure dérogatoire sans que les conditions en soient réunies et sans recueillir l'avis conforme du conseil d'administration exigé par les textes, M. Demaille, signataire des contrats de gérance de la pharmacie et instigateur de la nomination de Mme X. et de M. Y., s'est affranchi des règles d'exécution des dépenses qui s'imposaient à l'établissement, commettant l'infraction réprimée par l'article L. 313-4 du code des juridictions financières ; que, toutefois, l'état de déshérence dans lequel se trouvait la pharmacie du fait de la maladie de la gérante titulaire et le rattachement antérieur de Mme Y. et de M. Y. à ladite pharmacie, approuvé par le conseil d'administration, sont de nature à atténuer sa responsabilité ;

        b) Le recrutement de Melle Z. en qualité de chef de projet :

Considérant que, par contrat en date du 7 juin 1995, Melle Z., médecin généraliste, a été recrutée par le Centre Oscar Lambret en qualité de chef de projet d'oncologie médicale, sa rémunération étant fixée selon les dispositions contractuelles au niveau de celle d'un chef de service à temps plein ; que le conseil d'administration n'a pas été appelé à délibérer sur le recrutement de Melle Z., pas plus que sur son titre et sa rémunération ;

Considérant que, dans son mémoire en défense en date du 14 octobre 2005, M. Demaille explique que l'intéressée ayant obtenu son titre de docteur en médecine en 1989 et disposant de plusieurs diplômes spécialisés, elle justifiait bien de l'expérience et de l'ancienneté dont elle a été créditée ; que, par ailleurs, l'article 13 de l'arrêté du 5 juin 1989 n'aurait pas été méconnu puisque celui-ci ne contenait aucune disposition relative à la rémunération des médecins exerçant dans les centres de lutte contre le cancer, lesquelles devaient être fixées par contrat ;

Considérant qu'en raison de leur caractère inédit, les fonctions et le titre attribués à Melle Z. ne correspondaient à aucune des fonctions énumérées par la grille indiciaire adoptée par le conseil d'administration en 1975, ni à aucune des fonctions mentionnées par la délibération de principe relative aux rappels d'ancienneté adoptée en 1977 ; que dès lors, le recrutement de l'intéressée ne pouvait se fonder sur aucune décision antérieure du conseil d'administration et exigeait une délibération spécifique ;

Considérant qu'en l'absence de toute délibération du conseil d'administration, M. Demaille, signataire du contrat recrutant Melle Z., a engagé les dépenses correspondantes sans en avoir eu le pouvoir ni avoir reçu délégation à cet effet, commettant de ce fait les infractions réprimées par les articles L. 313-3 et L. 313-4 du code des juridictions financières ; que, toutefois, sa responsabilité se trouve atténuée par le fait que ce recrutement avait reçu un avis favorable du principal chef de service intéressé, à savoir M. Bonneterre ;

2 - Le versement de diverses rémunérations dans des conditions irrégulières

        a) Les rémunérations servies aux médecins du centre :

Considérant que par une délibération du 3 juin 1975, le conseil d'administration a adopté une grille des rémunérations destinées à être versées aux agents du centre au regard de leurs grades et fonctions, comprenant, outre les salaires de base, une prime de technicité représentant 10 % dudit salaire ainsi qu'une prime spécifique de 20 % du même salaire destinée à compenser l'interdiction faite aux médecins du centre d'exercer par ailleurs une activité libérale ; que les rémunérations effectivement servies aux médecins se sont éloignées des prescriptions de cette grille et des indications de la circulaire du 3 janvier 1990 prise pour l'application de l'arrêté du 5 juin 1989 relatif aux centres de lutte contre le cancer, sans que le conseil d'administration ait été appelé à connaître de cette situation et notamment à approuver une ou plusieurs nouvelles grilles ;

Considérant que dans son mémoire en défense en date du 14 octobre 2005, M. Demaille indique que la grille de rémunération adoptée à son initiative en 1975 par le conseil d'administration était conforme aux prescriptions de l'arrêté du 4 juillet 1955 alors en vigueur, selon lequel les rémunérations servies aux médecins exerçant en centre de lutte contre le cancer devaient être fixées par référence à celles bénéficiant aux médecins des centres hospitaliers publics ; que selon lui, il n'est pas démontré que les rémunérations effectivement servies par le centre ont méconnu ces prescriptions dans la mesure où la comparaison versée au dossier serait entachée de différentes erreurs liées notamment à la non actualisation de la grille ayant servi de référence dans le cas des médecins hospitaliers ; que d'autre part, la délibération du 3 juin 1975 prévoyait que les rémunérations seraient indexées sur l'évolution générale des traitements de la fonction publique, et non pas seulement sur celle des traitements des praticiens hospitaliers ; qu'ainsi, sans qu'il ait été nécessaire de faire délibérer de nouveau le conseil d'administration, les rémunérations auraient évolué conformément aux différents mécanismes d'actualisation adoptés en 1975 ;

Considérant que l'arrêté du 5 juin 1989, qui a abrogé l'arrêté du 4 juillet 1955, a supprimé toute référence réglementaire entre les rémunérations servies par les centres de lutte contre le cancer, dorénavant fixées par contrat, et les traitements servis par les centres hospitaliers publics ; qu'à la date des faits déférés devant la Cour, le lien entre les unes et les autres n'était plus établi que par la circulaire du 3 janvier 1990 prise pour l'application de l'arrêté susmentionné du 5 juillet 1989, laquelle ne saurait être opposée au centre ; que, par ailleurs, il n'est pas démontré que les grilles effectivement appliquées par le centre ne procédaient pas de la grille unique adoptée en 1975 après application des mécanismes d'indexation approuvés par le conseil d'administration ; qu'ainsi, le caractère excessif des rémunérations servies aux médecins du centre ne peut être établi, ni par référence à celles des médecins hospitaliers, ni par référence à la grille de 1975 dont la non application n'est pas démontrée ;

Considérant, en conséquence, que les infractions mentionnées par le code des juridictions financières ne sont pas constituées s'agissant des rémunérations générales servies aux médecins du centre ;

        b) Le versement de vacations au titre des consultations avancées de cancérologie :

Considérant que l'article 6 du décret n° 65-13 du 6 janvier 1965 applicable à l'époque des faits disposait que figureraient parmi les dépenses prises en charge par les départements au titre de la lutte contre le cancer « le remboursement au centre de lutte contre le cancer intéressé d'une quote-part de la rémunération des médecins à temps plein de ce centre assurant les consultations départementales, calculées au prorata du temps qu'ils consacrent auxdites consultations » ; que ces dispositions ne créaient par elles-mêmes aucune rémunération supplémentaire au profit des médecins, les remboursements des départements prévus par l'article précité constituant de leur côté des recettes inscrites au budget général de l'établissement ;

Considérant que le Centre Oscar Lambret a rémunéré directement ses médecins sous forme de vacations à l'occasion des consultations avancées de cancérologie, et a facturé ces vacations aux départements liés avec lui par convention ; qu'il en est résulté une rémunération supplémentaire pour les médecins ; que le conseil d'administration n'a pas été appelé à approuver ce dispositif et les rémunérations complémentaires ainsi procurées aux médecins du centre, lesquelles n'étaient pas non plus prévues par les contrats de travail des intéressés ;

Considérant que M. Demaille indique, dans son mémoire en défense, que les sommes en cause sont demeurées modiques, puisqu'elles peuvent être estimées, après la revalorisation réglementaire intervenue en décembre 1978, à environ 400 francs par mois ; que de surcroît, ces vacations correspondaient bien à une charge de travail supplémentaire pour les médecins effectuant ces consultations, tous n'étant d'ailleurs pas volontaires pour y participer ;

Considérant qu'en application des articles L. 323 et L. 324 du code de la santé publique en vigueur à l'époque des faits, il appartenait au conseil d'administration de se prononcer sur les éléments de rémunération des médecins ; qu'à défaut, M. Demaille a engagé les dépenses correspondantes sans en avoir eu le pouvoir ni avoir reçu délégation à cet effet, commettant de ce fait l'infraction réprimée par l'article L. 313-3 du code des juridictions financières ; que de surcroît, la non application des dispositions précitées du décret du 6 janvier 1965 constitue une infraction aux règles d'exécution des dépenses qui s'imposaient à l'établissement au sens de l'article L. 313-4 du code des juridictions financières ;

Considérant que M. Demaille, en sa qualité de directeur du centre de 1971 à 1996, a entériné cette pratique et ainsi engagé sa  responsabilité ; que, toutefois, la modicité de ceux des versements non prescrits constitue une circonstance atténuante de sa responsabilité ;

        c) Le versement de primes exceptionnelles à certains agents du centre :

Considérant qu'en 1995 et 1996, des primes exceptionnelles d'un montant total de 815 112 francs brut ont été versées à sept agents du centre ; que leurs montants unitaires se sont échelonnés de 43 370 francs pour le plus faible à 102 645 francs pour le plus élevé ; que ces versements n'ont pas fait l'objet de délibérations du conseil d'administration ; que ces primes n'étaient pas prévues par la grille des salaires adoptée en 1975, laquelle précisait au contraire que les rémunérations versées étaient globales et exclusives de tout autre avantage ;

Considérant que M. Demaille, signataire des décisions attribuant ces primes, les justifie par la charge de travail importante des intéressés et par l'excellence de leurs travaux ; que, d'après lui, les dispositions des articles L. 323 et L. 324 du code de la santé publique en vigueur à l'époque des faits selon lesquelles il appartenait au conseil d'administration de se prononcer sur les éléments de rémunération des agents du centre ne visaient que les mesures de portée générale et impersonnelle, et n'empêchaient donc pas le versement de primes individuelles ponctuelles, rendu possible par la situation financière excédentaire de l'établissement ;

Considérant que les primes en cause ne reposaient ni sur une délibération générale du conseil d'administration autorisant leur versement sous la responsabilité du directeur ni sur une délibération spécifique au cas d'espèce ; que leur montant élevé au regard des rémunérations habituelles de ceux qui en ont bénéficié rendait d'autant plus indispensable l'approbation formelle du conseil d'administration, lequel avait adopté en 1975 le principe d'une grille exclusive de toute rémunération exceptionnelle ;

Considérant qu'en l'absence de délibération du conseil d'administration, M. Demaille, signataire des décisions d'attribution, a engagé les dépenses correspondantes sans en avoir eu le pouvoir ni avoir reçu délégation à cet effet, commettant de ce fait l'infraction réprimée par l'article L. 313-3 du code des juridictions financières ; que cette absence de délibération préalable du conseil d'administration, s'agissant d'éléments de rémunération prohibés par la grille adoptée en 1975, constitue de surcroît une infraction aux règles d'exécution des dépenses qui s'imposaient à l'établissement sanctionnée par l'article L. 313-4 du code des juridictions financières ; que cette infraction a eu en outre pour effet de procurer à chacun des bénéficiaires  un avantage  injustifié  au  préjudice  de l'établissement,  au  sens  de  l'article L. 313-6 du code précité ; que la responsabilité de M. Demaille se trouve de ce fait engagée ;

3 - Le versement d'une indemnité de départ à la retraite à M. Demaille et la prise en charge par le centre de cotisations au titre de régimes de prévoyance facultatifs

        a) L'indemnité de départ à la retraite versée à M. Demaille :

Considérant que, par une délibération en date du 16 avril 1996, le conseil d'administration a attribué à M. Demaille une indemnité dite « de fin de carrière de chef de service et de département », dont le montant, qui n'était pas précisé par la délibération, s'est finalement élevé à 526 992 francs, représentant six mois de salaire brut ; qu'il ressort du bulletin de salaire de M. Demaille pour le mois d'août 1996 que ce montant lui a été versé intégralement, sans que soit décomptée aucune charge sociale patronale ou salariale ; qu'en vertu de l'article L. 122-14-13 du code du travail, l'indemnité de départ à la retraite obéit au même régime fiscal et social que l'indemnité de licenciement ; qu'ainsi, cette indemnité est assujettie aux cotisations sociales de droit commun, sauf si le départ à la retraite en cause intervient à l'initiative exclusive de l'employeur ;

Considérant que l'instruction a suffisamment établi que le départ à la retraite de M. Demaille résultait de sa propre initiative, dont le conseil d'administration s'est contenté de prendre acte ; qu'en conséquence, l'indemnité de départ qui lui a été consentie devait être assujettie aux cotisations sociales de droit commun ; que le défaut d'assujettissement a été constaté par l'URSSAF de Lille à l'occasion d'un contrôle et a donné lieu à un redressement qui n'a pas été contesté devant la juridiction compétente ; que ce redressement a été pris en charge intégralement par le Centre Oscar Lambret, sans que celui-ci engage d'action récursoire envers M. Demaille ;

Considérant que par une lettre du 17 avril 1996 adressée à lui-même, M. Demaille, en sa qualité de directeur du centre, a indiqué à tort que l'indemnité attribuée par le conseil d'administration n'était pas imposable ; que, plus généralement, il appartient à l'employeur de décompter des salaires et autres indemnités imposables les prélèvements sociaux qui y sont réglementairement attachés ; que le non respect des prescriptions légales en la matière est constitutif d'une infraction aux règles d'exécution des dépenses qui s'imposaient au centre, au sens de l'article L. 313-4 du code des juridictions financières ; que toutefois, la circonstance que les indemnités versées aux personnels du centre étaient par habitude considérées comme dispensées de cotisations est de nature à atténuer la responsabilité de M. Demaille ;

        b) La prise en charge par le centre de cotisations de retraite complémentaire auprès de régimes de prévoyance facultatifs :

Considérant que le Centre Oscar Lambret a pris en charge au profit de M. Demaille, à hauteur des cinq neuvièmes du total, le paiement de cotisations versées auprès de différents régimes de prévoyance facultatifs ;

Considérant que M. Demaille fait valoir que cette prise en charge par l'établissement des cotisations attachées aux régimes de prévoyance individuels souscrits par les médecins constituait une pratique déjà ancienne au sein du centre et était en tout état de cause antérieure à sa prise de fonctions en qualité de directeur ;

Considérant que les cotisations prises en charge pour le compte de M. Demaille, seules déférées devant la Cour, doivent être regardées comme des compléments de rémunération ou comme des libéralités de la part de l'établissement, puisque le seul régime de retraite obligatoire auquel était affilié M. Demaille relevait du régime des pensions civiles de l'Etat du fait de son statut de professeur des universités ; que, dès lors, cette prise en charge aurait dû faire l'objet d'une délibération du conseil d'administration en vertu des articles L. 323 et L. 324 du code de la santé publique en vigueur à l'époque des faits selon lesquelles il appartenait audit conseil de se prononcer sur les éléments de rémunération des agents du centre ; que, par ailleurs, cette pratique n'était fondée sur aucune convention nationale ni aucun autre texte ; qu'ainsi, l'usage consistant pour le centre à prendre en charge ces cotisations au profit des médecins était dépourvu de base légale ;

Considérant qu'en l'absence de délibération du conseil d'administration, M. Demaille, en sa qualité de directeur du centre, a engagé les dépenses correspondantes sans en avoir eu le pouvoir ni avoir reçu délégation à cet effet, commettant de ce fait les infractions réprimées par les articles L. 313-3 et L. 313-4 du code des juridictions financières ; que toutefois, la circonstance que cette pratique avait été instituée antérieurement à sa nomination à la direction du centre au bénéfice de l'ensemble des médecins et qu'elle avait été adoptée par d'autres centres de lutte contre le cancer atténue sa responsabilité ;

Considérant que si M. Bonneterre a poursuivi, après qu'il eut succédé à M. Demaille, la pratique consistant à prendre en charge une partie des cotisations aux régimes de prévoyance facultatifs susmentionnés, il est établi qu'il s'est attaché à mettre fin à certains des errements constatés dans la gestion du centre et qu'il a notamment obtenu le reversement par leurs bénéficiaires de rémunérations accessoires irrégulières versées avant son entrée en fonctions ; qu'au vu de ces circonstances, il n'y a pas lieu d'engager sa responsabilité ;

Sur les responsabilités de MM. Demaille et Bonneterre :

Considérant que la responsabilité de M. Demaille est engagée au titre des infractions réprimées par les articles L. 313-3, L. 313-4 et L. 313-6 du code des juridictions financières ; qu'au vu des circonstances atténuantes attachées à certains des faits pour lesquels sa responsabilité est engagée, il sera fait une juste appréciation de l'espèce en le condamnant au paiement d'une amende de deux mille euros ;

Considérant qu'il y a lieu de relaxer M. Bonneterre  des fins de la poursuite ;

Sur la publication :

Considérant qu'il y a lieu, en application de l'article L. 314-20 du code des juridictions financières, de publier le présent arrêt au Journal officiel de la République française ;

ArrEte :

Article premier : M. Demaille est condamné au paiement d'une amende de 2 000 € (deux mille euros) ;

Article 2 : M. Bonneterre est relaxé des fins de la poursuite ;

Article 3 : Le présent arrêt sera publié au Journal officiel de la République française.

Délibéré par la Cour de discipline budgétaire et financière siégeant en formation plénière, le vingt-huit octobre deux mil cinq par M. Séguin, Premier président de la Cour des comptes, président, M. Fouquet, président de la section des finances du Conseil d'État, vice-président, MM. Capdeboscq et Lefoulon, conseillers maîtres à la Cour des comptes et MM. Martin et Ménéménis, conseillers d'État ;

Lu en séance publique le treize janvier deux mil six.

En conséquence, la République mande et ordonne à tous huissiers de justice sur ce requis de mettre ledit arrêt à exécution, aux procureurs généraux et aux procureurs de la République près les tribunaux de grande instance d'y tenir la main, à tous les commandants et officiers de la force publique de prêter main-forte lorsqu'ils en seront légalement requis.

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président de la Cour et la greffière.



Le Président,

Philippe SÉGUIN

La greffière,

Maryse LE GALL