REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS,

LA COUR DE DISCIPLINE BUDGETAIRE ET FINANCIERE, siégeant à la Cour des comptes, en audience publique, a rendu l'arrêt suivant :

LA COUR,

Vu le titre 1er du livre III du code des juridictions financières relatif à la Cour de discipline budgétaire et financière ;

Vu la loi n° 48-1484 du 25 septembre 1948 modifiée tendant à sanctionner les fautes de gestion commises à l'égard de l'Etat et de diverses collectivités et portant création d'une Cour de discipline budgétaire et financière ;

Vu la décision notifiée le 13 novembre 1989 et enregistrée au Parquet le même jour par laquelle la Cour des comptes a saisi la Cour de discipline budgétaire et financière d'irrégularités constatées dans la gestion du Carrefour international de la communication (CICOM), établissement public créé par la loi n° 84-409 du 1er juin 1984 et dissous par la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 ;

Vu le réquisitoire du Procureur général près la Cour des comptes, ministère public près la Cour de discipline budgétaire et financière, en date du 22 janvier 1990, saisissant le Président de la Cour de discipline budgétaire et financière des irrégularités susvisées pour la période non prescrite ;

Vu la décision du Président de la Cour de discipline budgétaire et financière du 24 janvier 1990 désignant comme rapporteur M. Guy BERGER, conseiller maître à la Cour des comptes ;

Vu la lettre recommandée adressée par le Procureur général le 30 mars 1990 à M. Jean-Hervé Lorenzi ancien directeur général du CICOM, l'informant de l'ouverture d'une instruction, ensemble l'accusé de réception de cette lettre ;

Vu la décision du 6 juillet 1992 par laquelle le Procureur général a fait connaître au Président de la Cour de discipline budgétaire et financière qu'il estimait, après communication du dossier le 16 octobre 1991, qu'il y avait lieu de poursuivre la procédure ;

Vu les avis émis le 18 août 1992 par le secrétaire d'Etat à la communication et le 30 septembre 1992 par le ministre du budget ;

Vu la décision de renvoi du Procureur général en date du 21 décembre 1992 renvoyant M. Lorenzi devant la Cour de discipline budgétaire et financière en application des dispositions de l'article L. 314-6 du code des juridictions financières ;

Vu la lettre recommandée adressée par le Président de la Cour de discipline budgétaire et financière, le 27 avril 1993, à M. Lorenzi, l'avisant qu'il pouvait dans un délai de quinze jours prendre connaissance du dossier de l'affaire soit par lui-même, soit par le ministère d'un avocat ou d'un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, ensemble l'accusé de réception ;

Vu les mémoires en défense enregistrés au greffe de la Cour de discipline budgétaire et financière le 11 juin 1993, le 14 juin 1993 et le 8 octobre 1993 présentés par M. Lorenzi, assisté de Maître Alain Monod, avocat associé au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation (SCP Lemaître-Monod), ensemble les pièces annexées ;

Vu la lettre recommandée adressée le 30 août 1993 par le Procureur général à M. Lorenzi, le citant à comparaître devant la Cour de discipline budgétaire et financière, ensemble l'accusé de réception ;

Vu l'ensemble des pièces qui figurent au dossier et notamment les procès-verbaux d'audition ;

Vu l'arrêt de la Cour de discipline budgétaire et financière en date du 13 octobre 1993 condamnant M. Lorenzi à une amende de 1 000 F et prévoyant la publication de l'arrêt au journal officiel de la République française ;

Vu la décision du Conseil d'Etat en date du 30 octobre 1998 annulant l'arrêt de la Cour de discipline budgétaire et financière en tant qu'il concerne M. Lorenzi et renvoyant l'affaire devant elle ;

Vu la décision du Président de la Cour de discipline budgétaire et financière du 2 février 1999 désignant comme rapporteur Mme Claire Bazy Malaurie, conseiller maître à la Cour des comptes ;

Vu la lettre recommandée en date du 3 février 1999 du secrétaire général de la Cour de discipline budgétaire et financière avisant M. Lorenzi qu'il pouvait prendre connaissance du dossier suivant les modalités prévues à l'article L. 314-8 du code des juridictions financières, ensemble l'accusé de réception ;

Vu la lettre recommandée du Procureur général en date du 18 février 1999 citant M. Lorenzi à comparaître devant la Cour de discipline budgétaire et financière le 31 mars 1999, ensemble l'accusé de réception ;

Vu le mémoire en défense enregistré au greffe le 18 mars 1999 présenté pour M. Lorenzi par Maître Monod, avocat associé au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation (SCP Monod-Colin), ensemble les productions annexées ;

Vu l'ensemble des pièces figurant au dossier ;

Entendu Mme Bazy Malaurie en son rapport ;

Entendu Mme le Procureur général en ses conclusions ;

Entendu en ses explications M. Lorenzi, assisté de Me Monod ;

Entendu en leur témoignage M. Yves Dauge, inspecteur général de l'équipement, ancien président de la mission des grands projets, et Mme Kuhn, ancien responsable du service intérieur et des affaires financières puis secrétaire général adjoint du CICOM ;

Entendu Mme le Procureur général en ses réquisitions ;

Entendu en sa plaidoirie Me Monod et en ses observations M. Lorenzi, l'intéressé et son conseil ayant eu la parole les derniers ;

Sur la compétence de la Cour

Considérant que le CICOM, établissement public de l'Etat à caractère industriel et commercial, a été créé par la loi n° 84-409 du 1er juin 1984, complétée par le décret d'application n° 84-838 du 12 septembre 1984, puis supprimé par l'article 109 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 qui abrogeait la loi susvisée du 1er juin 1984 à compter du 1er octobre 1986 et organisait la dévolution des biens ; que cet établissement était, à ce titre, soumis au contrôle de la Cour des comptes en application de l'article 6 bis A de la loi n° 67-483 du 22 juin 1967 modifiée ; que ses comptes et sa gestion ont effectivement été contrôlés par cette juridiction ; qu'en conséquence ses représentants, administrateurs et agents étaient justiciables de la Cour de discipline budgétaire et financière en vertu de l'article 1er de la loi du 25 septembre 1948 susvisée codifié à l'article L. 312-1 du code des juridictions financières ;

Sur le fond

1 - sur les irrégularités ayant affecté l'exécution des dépenses :

Considérant qu'une facture de 48 998,77 F, en date du 14 mars 1986, a été établie par la société Electricité-sonorisation-vidéo- aménagements pour la fourniture de matériels, revêtue d'un certificat de service fait du chef des services techniques du CICOM, puis visée pour bon à payer par M. Lorenzi ; que cette facture a donné lieu à l'émission de deux mandats de paiement le 21 août 1986 ; que le virement fut rejeté à la suite de la clôture du compte bancaire du fournisseur ; qu'il ne résulte pas des correspondances entre le fournisseur et le CICOM en date du 22 septembre et du 21 octobre 1986 que les matériels ne furent pas livrés ou furent aussitôt repris pour non-conformité et que les certificats de service fait et les visas pour bon à payer auraient constitué des faux ; qu'en conséquence il n'y a pas lieu de considérer qu'une irrégularité qui devrait être sanctionnée en application des dispositions des articles 5 et 6 de la loi du 25 septembre 1948 modifiée a été commise ;

Considérant que le marché n° 85-343 relatif à la réalisation de travaux de photocomposition pour cinq brochures a été conclu le 14 novembre 1985 avec la SA Imprimerie Union pour un montant de 156 552 F ; qu'il a donné lieu à l'émission d'une facture de ce montant datée du 9 janvier 1986 qui fut revêtue d'une certification de service fait signée du secrétaire général avec mention de la date du 30 décembre 1985 et d'un visa pour bon à payer signé de M. Lorenzi le 22 janvier 1986 ; que cette facture, rejetée par l'agent comptable par deux fois, a fait l'objet d'une demande d'explications à la liquidation de l'établissement ; que dans une lettre datée du 6 novembre 1986, la SA Imprimerie Union a écrit : "les changements intervenus au CICOM depuis l'engagement du contrat ayant modifié vos projets et vos travaux ne nous ayant pas été confiés, nous considérons ce dossier comme clos" ;

Considérant que le marché n° 85-340 relatif à l'impression de cinq brochures a été conclu le 14 novembre 1985 avec la SA Imprimeries Watelet-Arbelot pour un montant de 178 493 F ; qu'il a donné lieu à l'émission d'une facture de ce montant datée du 8 janvier 1986 qui fut revêtue d'une certification de service fait signée du secrétaire général avec mention de la date du 31 décembre 1985 et d'un visa pour bon à payer signé de M. Lorenzi le 22 janvier 1986 ; que cette facture rejetée par l'agent comptable par deux fois a fait l'objet d'une demande d'explications lors de la liquidation de l'établissement ; que dans la lettre du 17 novembre 1986, les Imprimeries Watelet-Arbelot demandèrent à l'agent comptable de considérer comme nul le contrat dont elles étaient titulaires mais pour lequel "elles n'avaient engagé aucun travail", ajoutant : "devant les retards et changements effectués par vos services dans l'objet même de ce contrat, il avait été décidé que ces travaux dans leur nouvelle définition seraient confiés à vos fournisseurs habituels" ;

Considérant qu'il est ainsi démontré que pour deux des contrats signés le 14 novembre 1985, des assertions et certifications fallacieuses ont été apposées sur des pièces de dépenses ; qu'elles constituent des infractions aux règles d'exécution des dépenses de l'établissement public tombant sous le coup des dispositions de l'article 5 de la loi du 25 septembre 1948 modifiée, même si en définitive les paiements n'ont pas été effectués grâce à la vigilance de l'agent comptable ;

Considérant toutefois qu'il ne résulte pas de l'instruction que le directeur général ait, ce faisant, tenté en méconnaissance de ses obligations de procurer aux entreprises concernées des avantages injustifiés de nature pécuniaire entraînant un préjudice pour le CICOM et commis ainsi une infraction aux dispositions de l'article 6 de la loi du 25 septembre 1948 modifiée ;

2 - Sur les infractions aux règles de passation des marchés

Considérant que le CICOM n'était pas soumis aux règles du code des marchés publics ; que cependant, par deux délibérations du 19 décembre 1984 et du 12 décembre 1985, il avait décidé d'adopter une procédure identique à celle des marchés publics pour la passation des contrats de l'établissement et de soumettre à une commission les marchés d'un montant supérieur à un seuil fixé par la première délibération à 450 000 F et par la seconde à 540 000 F ;

Considérant qu'il ne résulte pas des pièces du dossier que certains marchés aient été systématiquement fractionnés pour rester en dessous des seuils fixés par les règles que le CICOM avait décidé de se rendre applicables ou passés sans appel à la concurrence en contravention avec ces mêmes règles ; que ces griefs ne peuvent donc être retenus comme révélant une infraction tombant sous le coup des dispositions de l'article 5 de la loi du 25 septembre 1948 modifiée ;

3 - Sur les infractions aux règles de tenue des inventaires

Considérant que le CICOM ne disposait pas d'un inventaire exhaustif et fiable de ses immobilisations corporelles contrairement aux prescriptions de l'article 217 du décret n° 62-1587 du 29 décembre 1962 portant règlement général sur la comptabilité publique, auquel l'établissement était soumis en application du décret n° 84-838 du 12 septembre 1984 ;

Considérant toutefois que des efforts réels ont été faits par les différents responsables pour remédier à ces difficultés ; que ce grief ne peut dès lors être regardé comme constitutif d'une infraction tombant sous le coup des dispositions de l'article 5 de la loi du 25 septembre 1948 modifiée ;

4 - Sur les responsabilités encourues

Considérant que la responsabilité de M. Lorenzi dans l'établissement de bons à payer pour des prestations n'ayant pas été exécutées sur les factures de la SA Imprimerie Union et de la SA Imprimeries Watelet-Arbelot résulte de l'apposition par lui de sa signature sur les documents dont il s'agit ;

Considérant toutefois, d'une part, que les visas pour bon à payer ont été apposés par M. Lorenzi au vu de la certification du service fait par l'autorité compétente, d'autre part, que l'instruction a fait apparaître les conditions difficiles dans lesquelles M. Lorenzi a exercé sa mission durant la brève existence du CICOM du fait notamment de l'incertitude sur les missions de l'établissement public et des désaccords persistants entre les dirigeants de l'établissement ; que ces éléments constituent des circonstances de nature à exonérer M. Lorenzi de sa responsabilité ;

ARRETE :

Article unique : M. Lorenzi est relaxé des fins de la poursuite.

Délibéré par la Cour de discipline budgétaire et financière , le 31 mars mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf.

Présents : M. JOXE, Premier président de la Cour des comptes, président ; M. Massot, président de la section des finances du Conseil d'Etat, vice-président ; MM. Fouquet, conseiller d'Etat, Gastinel et Capdeboscq, conseillers maîtres à la Cour des comptes, membres de la Cour de discipline budgétaire et financière ; Mme Bazy-Malaurie conseiller maître à la Cour des comptes, rapporteur, ayant voix consultative.

Lu en séance publique le seize juin mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf

En foi de quoi, le présent arrêt a été signé par le Président de la Cour et le greffier.

Le président, le greffier,