AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS,
LA COUR DE DISCIPLINE BUDGETAIRE ET FINANCIERE, siégeant à la Cour des comptes, en audience non-publique, a rendu l'arrêt suivant :
LA COUR,
Vu le titre Ier du livre III du code des juridictions financières, relatif à la Cour de discipline budgétaire et financière ;
Vu la loi n° 80-539 du 16 juillet 1980 modifiée relative aux astreintes prononcées en matière administrative et à l'exécution des jugements par les personnes morales de droit public ;
Vu la lettre du 10 août 1994, enregistrée au Parquet le 16 août, par laquelle la société civile professionnelle d'avocats Bérenger, Blanc et Burtez-Doucède demande au Procureur général près la Cour des comptes, ministère public près la Cour de discipline budgétaire et financière, au nom de son client, l'hoirie Olive, en application de l'article 1er de la loi du 16 juillet 1980 susvisée, de saisir la Cour de discipline budgétaire et financière de l'inexécution d'un arrêt de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence du 28 septembre 1993 fixant à 178 873 400 F l'indemnité d'expropriation due à l'hoirie Olive à la suite de l'expropriation du domaine de Montvallon à Vitrolles (Bouches-du-Rhône) ; ensemble les correspondances échangées en vue d'obtenir l'exécution de cet arrêt ;
Vu le réquisitoire du 4 mai 1995 par lequel le Procureur général a saisi la Cour de discipline budgétaire et financière et transmis le dossier au Premier président de la Cour des comptes, Président de la Cour de discipline budgétaire et financière ;
Vu la décision du Président de la Cour de discipline budgétaire et financière du 9 mai 1995 désignant comme rapporteur M. Quinqueton, Auditeur au Conseil d'Etat ;
Vu les lettres du 21 août 1996 par lesquelles le procureur général, ministère public près la Cour de discipline budgétaire et financière, a informé, M. Lucien Gallas, directeur général de l'Etablissement public d'aménagement des rives de l'étang de Berre (EPAREB) de mars 1979 à décembre 1994, son successeur M. Henry Chabert, et Mme Catherine Bersani, directeur de l'architecture et de l'urbanisme au ministère de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme, de l'ouverture d'une instruction et les a avisés qu'ils étaient autorisés à se faire assister soit par un mandataire soit par un avocat, soit par un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ; ensemble les accusés de réceptions de ces lettres ;
Vu la lettre du 24 janvier 1997 par laquelle le Président de la Cour a transmis au Procureur général le dossier de l'affaire, en application de l'article L. 314-4 du code, et la lettre du 13 février 1997 par laquelle le Procureur général a informé le Président de la Cour qu'il y avait lieu de poursuivre la procédure et, en conséquence de transmettre le dossier, pour avis, aux ministres concernés ;
Vu l'avis émis le 16 avril 1997 par le ministre délégué au budget, porte-parole du gouvernement, et l'avis émis le 9 mai 1997 par le ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme ;
Vu la décision du Procureur général, en date du 5 juin 1997, renvoyant MM. Gallas et Chabert devant la Cour de discipline budgétaire et financière, et disant qu'il n'y avait pas lieu de renvoyer Mme Bersani ;
Vu la lettre, en date du 26 juin 1997, du Président de la Cour de discipline budgétaire et financière au ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme, lui indiquant que l'article L. 314-8 du code des juridictions financières prévoit que le dossier est communiqué à la commission administrative paritaire compétente ; attendu qu'en l'absence d'avis de cette commission dans un délai d'un mois, la Cour de discipline budgétaire et financière peut statuer, en application de l'article L. 314-8 ;
Vu la décision du Président de la Cour de discipline budgétaire et financière du 4 septembre 1997 désignant comme rapporteur M. Japiot, auditeur au Conseil d'Etat, en remplacement de M. Quinqueton ;
Vu les lettres recommandées, en date du 18 septembre 1997, du secrétaire général de la Cour de discipline budgétaire et financière avisant MM. Gallas et Chabert qu'ils pouvaient prendre communication du dossier, dans un délai de quinze jours ; ensemble les accusés de réception de ces lettres ;
Vu les mémoires en défense présentés pour MM. Gallas et Chabert, enregistrés au greffe de la Cour le 12 novembre 1997 ;
Vu les lettres du Procureur général en date du 23 décembre 1997, citant MM. Gallas et Chabert à comparaître devant la Cour de discipline budgétaire et financière, leur précisant qu'en l'absence de demande contraire de leur part, l'audience de la Cour n'aurait pas de caractère public ; ensemble les accusés de réception de ces lettres ;
Vu l'ensemble des pièces qui figurent au dossier, et notamment les procès-verbaux d'audition de MM. Gallas et Chabert et le rapport d'instruction établi par M. Quinqueton ;
Entendu M. Japiot en son rapport ;
Entendu le Procureur général en ses conclusions et réquisitions ;
Entendu en sa plaidoirie Me Dal Farra, et en leurs explications MM. Gallas et Chabert, les intéressés et leur conseil ayant eu la parole les derniers ;
Sur la saisine de la Cour :1 - Considérant qu'aux termes du paragraphe II de l'article 1er de la loi du 16 juillet 1980 susvisée :
"Lorsqu'une décision juridictionnelle passée en force de chose jugée a condamné une collectivité locale ou un établissement public au paiement d'une somme d'argent dont le montant est fixé par la décision elle-même, cette somme doit être mandatée ou ordonnancée dans un délai de quatre mois à compter de la notification de la décision de justice. A défaut de mandatement ou d'ordonnancement dans ce délai le représentant de l'Etat dans le département ou l'autorité de tutelle procède au mandatement d'office ;
En cas d'insuffisance de crédits, le représentant de l'Etat dans le département ou l'autorité de tutelle adresse à la collectivité ou à l'établissement une mise en demeure de créer les ressources nécessaires : si l'organe délibérant de la collectivité ou de l'établissement n'a pas dégagé ou créé ces ressources, le représentant de l'Etat dans le département ou l'autorité de tutelle y pourvoit et procède, s'il y a lieu, au mandatement d'office" ;
qu'aux termes de l'article L. 313-12 du code des juridictions financières : "En cas de manquement aux dispositions de l'article 1er, paragraphes 1 et 2, de la loi n° 80-539 du 16 juillet 1980 relative aux astreintes prononcées en matière administrative et à l'exécution des jugements par les personnes morales de droit public, les personnes visées à l'article M. 312-1 sont passibles de l'amende prévue à l'article L. 313-1" ;
2 - Considérant, en premier lieu, qu'en application des dispositions susrappelées, le Procureur général près la Cour des comptes, ministère public près la Cour de discipline budgétaire et financière, à la suite d'une lettre que lui a adressée l'avocat de l'hoirie Olive, a décidé, par un réquisitoire en date du 4 mai 1995, de saisir la Cour de discipline budgétaire et financière de l'inexécution d'un arrêt de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence du 28 septembre 1993 fixant à 178 873 400 F l'indemnité d'expropriation due à l'hoirie Olive à la suite de l'expropriation du domaine de Montvallon à Vitrolles (Bouches-du-Rhône) ; qu'ainsi, à supposer même que l'hoirie Olive puisse être regardée comme s'étant désistée de son action contre l'Etablissement public d'aménagement des rives de l'étang de Berre (EPAREB) à la suite du protocole transactionnel qu'elle a conclu avec l'Etat, le 18 novembre 1996, la Cour demeure saisie par le réquisitoire du ministère public ;
3 - Considérant, en second lieu, qu'à l'issue de l'instruction, le Procureur général a pris des conclusions, en date du 5 juin 1997, renvoyant MM. Gallas et Chabert devant la Cour de discipline budgétaire et financière ; que ces conclusions sont motivées, comme l'impose l'article L. 314-6 du code des juridictions financières ; qu'ainsi, la Cour a été régulièrement saisie ;
Sur la compétence de la Cour :
4 - Considérant qu'il est reproché à MM. Gallas et Chabert de n'avoir pas exécuté l'arrêt de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence du 28 septembre 1993 fixant le montant de l'indemnité d'expropriation due par l'EPAREB à l'hoirie Olive ; que cet arrêt, nonobstant la circonstance qu'il soit frappé d'un pourvoi en cassation, lequel n'a pas d'effet suspensif, constitue une "décision juridictionnelle passée en force de chose jugée" au sens des dispositions susrappelées de la loi du 16 juillet 1980 ; que l'ordonnance d'expropriation opérant le transfert de propriété a été rendue par le juge d'expropriation le 28 décembre 1982 ; que, par suite, l'EPAREB, qui ne pouvait plus renoncer de son seul fait à poursuivre l'expropriation hors les procédures de cession et de rétrocession prévues par le code de l'expropriation, était tenu de payer l'indemnité fixée par la Cour d'appel d'Aix-en-Provence ou, à tout le moins, s'il y avait obstacle au paiement, de la consigner dans les conditions prévues aux articles R. 13-65 et suivants du code de l'expropriation ; que dès lors, l'arrêt de cette cour, dont l'hoirie Olive demandait l'exécution, doit être regardé comme une décision juridictionnelle qui a "condamné [...] un établissement public au paiement d'une somme d'argent" au sens de la loi du 16 juillet 1980 ; qu'il suit de là que la Cour de discipline budgétaire et financière est compétente pour statuer sur les conclusions du ministère public renvoyant MM. Gallas et Chabert devant elle ; que MM. Gallas et Chabert, en leur qualité de directeurs généraux successifs de l'EPAREB, sont justiciables de la Cour de discipline budgétaire et financière ;
Sur les responsabilités :
5 - Considérant qu'il résulte des dispositions du décret n° 73-240 du 6 mars 1973 portant création de l'EPAREB et des stipulations des conventions conclues entre celui-ci et l'Etat les 17 mai 1974 et 19 mai 1978, ainsi que des pièces du dossier, que cet établissement public a procédé à l'expropriation du terrain appartenant à l'hoirie Olive au nom et pour le compte de l'Etat ; qu'ainsi, le directeur général de l'EPAREB était seulement tenu de demander à l'Etat de mettre à sa disposition les crédits nécessaires au paiement de l'indemnité d'expropriation fixée par la Cour d'appel d'Aix-en-Provence ; qu'il résulte de l'instruction que M. Gallas, directeur général de l'EPAREB jusqu'en décembre 1994, a accompli les diligences normales à cet effet et que l'absence de délégation des crédits nécessaires au paiement de l'indemnité est imputable à l'administration centrale du ministère de l'équipement et du ministère du budget ; que M. Gallas et plus encore son successeur, M. Chabert, n'étaient pas en mesure, compte tenu de leurs pouvoirs et de leurs moyens, de remédier à cette situation ; que M. Chabert a procédé, en juillet 1996, au mandatement de l'indemnité due à l'hoirie Olive dès qu'il a reçu les crédits mis à sa disposition à cette fin par l'Etat ;
6 - Considérant qu'il sera fait une juste appréciation des circonstances de l'affaire en prononçant la relaxe de MM. Gallas et Chabert et qu'en application de l'article L. 314-20 du code des juridictions financières il n'y a pas lieu à publication.
ARRETE :
Article 1er et unique : MM. Lucien Gallas et Henri Chabert sont relaxés des fins de la poursuite.
Fait et jugé en la Cour de discipline budgétaire et financière le onze février mil neuf cent quatre-vingt-dix-huit.
Présents : M. Massot, Président de la section des finances du Conseil d'Etat, président ; MM. Galmot et Fouquet, conseillers d'Etat, MM. Gastinel et Capdeboscq, conseillers maîtres à la Cour des comptes, membres de la Cour de discipline budgétaire et financière ; M. Japiot, auditeur au Conseil d'Etat, rapporteur.
En conséquence, La République mande et ordonne à tous huissiers de justice sur ce requis de mettre ledit arrêt à exécution, aux procureurs généraux et aux procureurs de la République près les tribunaux de grande instance d'y tenir la main, à tous commandants et officiers de la force publique de prêter main-forte lorsqu'ils en seront légalement requis.
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le Président de la Cour et le Greffier suppléant.
Le Président, Le Greffier suppléant,