AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS,

LA COUR DE DISCIPLINE BUDGETAIRE ET FINANCIERE, siégeant à la Cour des comptes en audience non publique, a rendu l'arrêt suivant:

LA COUR,

Vu le titre Ier du livre III du code des juridictions financières relatif à la Cour de discipline budgétaire et financière ;

Vu la lettre du 30 novembre 1994, enregistrée au parquet le 2 décembre 1994 par laquelle la Cour des comptes, sur déféré décidé par la cinquième chambre, a déféré à la Cour de discipline budgétaire et financière des irrégularités commises dans la gestion du Service central de protection contre les rayonnements ionisants (SCPRI) ;

Vu le réquisitoire du 23 janvier 1995 par lequel le procureur général près la Cour des comptes, ministère public près la Cour de discipline budgétaire et financière, a transmis le dossier au président de la Cour, conformément à l'article L 314-3 du code des juridictions financières ;

Vu la décision du 3 février 1995 du président de la Cour de discipline budgétaire et financière désignant comme rapporteur Mlle LAIGNEAU, auditeur au Conseil d'Etat ;

Vu la lettre recommandée adressée le 3 octobre 1995 par le procureur général mettant en cause M. Pierre PELLERIN, ancien chef du SCPRI, ensemble l'accusé de réception de cette lettre ;

Vu la décision du 26 septembre 1996 par laquelle le procureur général a fait connaître au président de la Cour de discipline budgétaire et financière qu'elle estimait, après la communication du dossier de l'affaire le 4 septembre 1996, qu'il y avait lieu de poursuivre la procédure ;

Vu les lettres du 3 octobre 1996 adressées par le président de la Cour de discipline budgétaire et financière au ministre de l'économie et des finances, au ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche et au ministre du travail et des affaires sociales, communiquant le dossier de l'affaire pour avis, conformément à l'article L 314-5 du code des juridictions financières ;

Vu l'avis émis le 19 décembre 1996 par le ministre délégué au budget, porte-parole du gouvernement ;

Vu l'avis du 9 juillet 1998 du ministre de l'emploi et de la solidarité ;

Vu la décision du 24 février 1997 du procureur général renvoyant devant la Cour, en application de l'article L 314-6 du code des juridictions financières, M. PELLERIN ;

Vu la décision du 25 février 1998 du président de la Cour de discipline budgétaire et financière désignant comme rapporteur M. HAYEZ, conseiller référendaire à la Cour des comptes en remplacement de Mlle LAIGNEAU ;

Vu la lettre du 30 mars 1988 du président de la Cour de discipline budgétaire et financière transmettant le dossier au ministre de l'emploi et de la solidarité pour communication aux commissions administratives paritaires, conformément à l'article L 314-8 du code des juridictions financières ;

Vu la lettre du 12 août 1998 par laquelle le secrétaire général de la Cour de discipline budgétaire et financière a avisé M. PELLERIN qu'il pouvait prendre connaissance dans un délai de quinze jours du dossier de l'affaire, ensemble l'accusé de réception de cette lettre ;

Vu la lettre du 31 août 1998 du procureur général citant M. PELLERIN à comparaître devant la Cour de discipline budgétaire et financière et lui précisant qu'en l'absence de demande contraire de sa part, l'audience de la Cour n'aurait pas de caractère public, ensemble l'accusé de réception de cette lettre ;

Vu le mémoire en défense transmis au greffe de la Cour le 30 septembre 1998 par Me BRIARD pour M. PELLERIN ;

Vu l'ensemble des pièces qui figurent au dossier, notamment le procès-verbal d'audition de M. PELLERIN et le rapport d'instruction de Mlle LAIGNEAU ;

Entendu M. HAYEZ en son rapport ;

Entendu le procureur général en ses conclusions et réquisitions ;

Entendu en sa plaidoirie Me BRIARD et en ses explications et observations M. PELLERIN, l'intéressé et son conseil ayant eu la parole en dernier ;

Sur la compétence de la Cour :

Considérant qu'aux termes de l'article L 312-1 du code des juridictions financières est justiciable de la Cour tout fonctionnaire ou agent civil ou militaire de l'Etat et de ses établissements publics, tout représentant, administrateur ou agent des autres organismes qui sont soumis, soit au contrôle de la Cour des comptes, soit au contrôle d'une chambre régionale des comptes ;

Considérant que le Service central de protection contre les rayonnements ionisants (SCPRI) est un service public créé par l'arrêté ministériel du 13 novembre 1956 qui l'a rattaché à l'Institut national d'hygiène (INH) devenu en 1964 l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), établissement public administratif ;

Considérant que le décret du 18 juillet 1964 définissant le nouveau statut de l'Institut a maintenu les textes constitutifs du SCPRI et confirmé son rattachement à l'INSERM ;

Considérant que, même si ce rattachement n'est pas explicitement mentionné par le décret du 10 novembre 1983 abrogeant le décret du 18 juillet 1964 et transformant l'INSERM en établissement public à caractère scientifique et technologique, il convient de considérer, en l'absence de dispositions spécifiques propres au SCPRI et à son statut, que le rattachement de ce dernier à l'INSERM a implicitement continué après cette date et que le lien juridique entre les deux organismes a été maintenu ;

Considérant que M. PELLERIN, chef du SCPRI, a bénéficié de trois délégations successives pour ordonnancer les dépenses du service, la dernière en date, du 8 février 1982, étant signée par le directeur général de l'INSERM ;

Considérant que les infractions susceptibles d'être relevées portent d'une part, sur la violation des dispositions statutaires propres au chef du SCPRI, également professeur des universités, d'autre part sur la méconnaissance des obligations qu'il avait en tant que responsable administratif et financier du SCPRI, organisme public soumis aux règles de la comptabilité publique ; qu'ainsi dans les deux cas, elles sont susceptibles de mettre en cause la responsabilité de M. PELLERIN, chef du service et ordonnateur de ses dépenses ;

Considérant que M. PELLERIN, en sa qualité de chef du SCPRI, est justiciable de la Cour de discipline budgétaire et financière en vertu de l'article L 312-1-I-c du code des juridictions financières ;

Sur la procédure :

Considérant que l'absence de réponse du ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement et de la recherche et du ministre du travail et des affaires sociales dans le délai de deux mois imparti à la demande d'avis formulée le 3 octobre 1996 ne fait pas obstacle, en application de l'article L 314-5 du code susvisé, à la poursuite de la procédure ;

Considérant que M. PELLERIN n'a pas demandé que l'audience de la Cour soit publique ;

Sur les irrégularités :

I. Maintien irrégulier du chef du SCPRI dans ses fonctions au-delà de la limite d'âge

Considérant que M. PELLERIN, chef de service du SCPRI depuis novembre 1956, agrégé de physique médicale, nommé par arrêté du 9 septembre 1968 au CHU de Paris comme professeur sans chaire (physique médicale), biologiste des hôpitaux, a été reconduit dans son poste au sein de l'INSERM sur la base de décisions successives du directeur général de l'établissement public, la dernière étant datée du 8 février 1982, lui déléguant de façon permanente la préparation et l'exécution du budget du SCPRI et la gestion des personnels relevant de ce service ;

Considérant que ses fonctions se sont exercées, à partir du 12 juillet 1968, dans le cadre d'une convention tripartite entre la faculté de médecine de Paris, l'assistance publique de Paris et l'INSERM prévoyant notamment l'existence au profit du CHU de Paris d'un "poste de chef de service du SCPRI, en vue de l'affectation d'un professeur ou maître de conférence, agrégé de physique médicale" ;

Considérant que M. PELLERIN a poursuivi son activité et a continué d'assurer dans les faits, notamment en tant qu'ordonnateur, la direction du SCPRI jusqu'en octobre 1993, alors qu'ayant atteint l'âge de 65 ans en octobre 1988, il avait été admis à faire valoir ses droits à la retraite à compter du 16 octobre de la même année par arrêté du 24 octobre 1988, et maintenu en activité jusqu'au 30 septembre 1992 sur le fondement de la loi 1304 du 23 décembre 1986 relative à la limite d'âge et aux modalités de recrutement de certains fonctionnaires civils de l'Etat ;

Considérant que l'article 2 de cette loi dispose que "les professeurs de l'enseignement supérieur, lorsqu'ils atteignent la limite d'âge résultant de la loi du 13 septembre 1984 précitée sont, sur leur demande, maintenus en activité, en surnombre, jusqu'à la fin de l'année universitaire au cours de laquelle ils atteignent la limite d'âge en vigueur avant l'intervention de ladite loi" ;

Considérant que M. PELLERIN a donc bénéficié d'un maintien en surnombre jusqu'à 69 ans (soit 68 ans et l'année universitaire en cours) sous le statut de professeur d'université ;

Considérant que, dès lors, la régularité de son maintien à la tête du SCPRI doit être appréciée au regard des textes applicables aux professeurs des universités, praticiens hospitaliers ;

Considérant qu'il résulte des dispositions de l'article 20-2 de la loi du 31 décembre 1970 modifiée portant réforme hospitalière et du décret 667 du 6 mai 1988 pris pour son application que les professeurs des universités, praticiens hospitaliers, qui sollicitent une prolongation d'activité hospitalière, poursuivent leur activité hospitalière en tant que consultant et "continuent à exercer des activités d'enseignement, de soins et de recherche à l'exclusion des fonctions de chef de service, au sein du service où ils étaient affectés lorsqu'ils ont atteint la limite d'âge" ;

Considérant que le fait que M. PELLERIN exerçait des fonctions de chef d'un service, non pas hospitalier mais administratif, ne saurait écarter l'applicabilité du décret susvisé du 6 mai 1988 à son cas ;

Considérant que si l'origine des faits est couverte par la prescription instituée par l'article L 314-2, il n'en va pas de même de leur poursuite après le 30 novembre 1989 ;

Considérant que par lettre du 15 octobre 1992 émanant du directeur de cabinet du ministre de la santé, M. PELLERIN a été expressément invité à quitter ses fonctions dans les termes suivants : "Considérant les dispositions de droit commun régissant l'activité des personnels hospitalo-universitaires, il apparaît que vous atteignez l'âge de la retraite le 30 septembre 1992 et devez donc quitter vos fonctions à cette date. Je vous saurais gré de bien vouloir me faire part de votre point de vue sur votre succession à la tête du SCPRI" ;

Considérant que M. PELLERIN, qui admet avoir reçu cette lettre fin octobre 1992, n'en a pas moins continué d'assurer la direction du service et d'en être l'ordonnateur ;

Considérant qu'à la suite de l'intervention du contrôleur financier, le versement de la rémunération d'activité servie à M. PELLERIN jusqu'en janvier 1993 a été interrompu en février 1993 et que les traitements indûment perçus depuis octobre 1992 ont fait l'objet d'un ordre de reversement, conformément à la demande de l'agent comptable formulée le 5 août 1993 ;

Considérant que dès lors, en se maintenant à son poste à la tête du SCPRI et en continuant à ordonnancer les dépenses du service jusqu'en octobre 1993, sans en avoir le pouvoir et malgré l'ordre qui lui avait été donné, M. PELLERIN a commis l'infraction sanctionnée par l'article L 313-3 du code des juridictions financières ;

Considérant que de même sa responsabilité doit être recherchée sur le fondement de l'article L 313-4 du même code pour avoir enfreint les règles d'exécution des dépenses de l'organisme concerné en continuant à les ordonnancer ;

II. Recouvrement irrégulier de redevances par le SCPRI

Considérant que, peu après sa création, le SCPRI a soumis à redevance les analyses et mesures de dosimétrie qu'il effectue à l'occasion des contrôles prévus par les règlements sur la radioprotection ;

Considérant que les tarifs de ces contrôles ont été fixés par des instructions et notes d'information successives, internes au SCPRI, en l'absence de tout fondement réglementaire habilitant le service à percevoir ces recettes et en fixant le régime et le montant ;

Considérant qu'en effet, il n'existe aucun texte réglementaire autorisant le service à percevoir ces recettes et à en conserver le montant ;

Considérant que cette pratique est contraire aux principes fondamentaux de la comptabilité publique qui, s'agissant des recettes des organismes publics, prévoient à l'article 22 du décret 1587 du 29 décembre 1962 portant règlement général sur la comptabilité publique que ces recettes "comprennent les produits d'impôts, de taxes, de droits et les autres produits autorisés par les lois et règlements en vigueur ou résultant de décisions de justice ou de conventions" ;

Considérant que, s'agissant des opérations de recettes des établissements publics nationaux, l'article 161 du même décret dispose que "les recettes de l'établissement sont liquidées par l'ordonnateur sur les bases fixées par la loi, les règlements, les décisions de justice et les conventions" ;

Considérant que cette situation irrégulière, relevée par l'agent comptable de l'INSERM dans une lettre adressée le 18 juillet 1966 à M. PELLERIN, chef du SCPRI, et reconnue par ce dernier dans sa réponse du 29 juillet 1966, existait encore lors de la cessation des fonctions de l'intéressé ;

Considérant que, nonobstant l'approbation de ces redevances par le conseil d'administration de l'INSERM et les déclarations de M. PELLERIN selon lesquelles ces questions étaient traitées par les agents du SCPRI placés sous son autorité et par l'agent comptable, la responsabilité de cette irrégularité et de sa poursuite au-delà de la période non prescrite lui incombe bien en tant qu'ordonnateur délégué ayant mis en recouvrement lesdites recettes au profit du SCPRI ;

Considérant que, de surcroît, lors d'un contrôle effectué en 1987, la Cour des comptes avait formulé des avertissements, tant auprès du comptable que du directeur général de l'INSERM, afin que l'encaissement des recettes constituées par le produit des redevances de dosimétrie soit précédé de l'émission de titres de recettes ;

Considérant que ces avertissements ont été portés à la connaissance du chef du SCPRI notamment par l'agent comptable par une lettre du 29 avril 1988 ;

Considérant qu'en dépit de la demande adressée dans cette lettre au chef du service de bien vouloir émettre des titres de recettes sur l'exercice 1988, aucune suite n'a été donnée aux remarques formulées par la Cour des comptes ;

Considérant que l'ordonnateur délégué n'a pas davantage réagi aux lettres ultérieures de l'agent comptable, notamment à celle du 11 août 1993 l'informant de la nécessité de remédier aux problèmes des impayés et lui demandant de faire connaître les mesures préconisées pour faire face à cette situation ;

Considérant qu'en n'émettant pas de titres de recettes réguliers pour les redevances de dosimétrie facturées par son service, M. PELLERIN a méconnu les dispositions de l'article 23 du décret susmentionné du 29 décembre 1962 qui précisent notamment que "dans les conditions prévues pour chacune d'elles, les recettes sont liquidées avant d'être recouvrées. La liquidation a pour objet de déterminer le montant de la dette des redevables. Toute créance liquidée fait l'objet d'un ordre de recette" ;

Considérant que la liquidation de recettes sans habilitation réglementaire ainsi que l'absence d'émission de titres de recettes préalablement à leur recouvrement constituent des infractions aux règles d'exécution des recettes de l'organisme public qui exposent leur auteur aux sanctions prévues à l'article L 313-4 du code des juridictions financières ;

Sur les responsabilités :

Considérant que M. PELLERIN porte une responsabilité dans les infractions commises tant en ce qui concerne son maintien irrégulier à la tête du SCPRI que le non respect des règles relatives à la mise en recouvrement des recettes de l'organisme ;

Considérant toutefois que la direction de l'INSERM, interrogée par l'intéressé à plusieurs reprises sur la situation du service, a laissé faire, sans prendre position ; que notamment elle n'a pas retiré la délégation dont il bénéficiait ;

Considérant que la faiblesse et le manque de cohérence des contrôles exercés sur l'action de l'intéressé traduisent une carence des ministères chargés respectivement de la santé et de la recherche, autorités de tutelle du service ;

Considérant que l'agent comptable n'a à aucun moment mis en cause sa qualité d'ordonnateur, ni le versement de sa rémunération notamment au-delà du 30 septembre 1992 ;

Considérant que l'oeuvre accomplie à la tête du SCPRI depuis l'origine et le sentiment, conforté par le rapport de l'IGAS en date de juillet 1992, qu'il pouvait avoir du caractère indispensable de sa présence au moment où l'organisme qu'il dirigeait s'apprêtait à subir une réforme, ainsi que la passivité de la tutelle, ont pu conduire M. PELLERIN à estimer qu'il n'y avait pas d'inconvénient à s'affranchir des règles de droit concernant l'âge de la retraite ;

Considérant que l'ensemble de ces circonstances est de nature à exonérer M. PELLERIN de sa responsabilité quant aux infractions précitées ;

ARRETE :

Article 1er. et unique : M. Pierre PELLERIN est relaxé des fins de la poursuite.

Fait et jugé en la Cour de discipline budgétaire et financière le quatorze octobre mil neuf cent quatre-vingt-dix-huit.

Présents : M. Joxe, Premier président de la Cour des comptes, président ; M. Massot, président de la section des finances du Conseil d'Etat, vice-président ; MM. Galmot et Fouquet, conseillers d'Etat, membres de la Cour de discipline budgétaire et financière ; M. Hayez, conseiller référendaire à la Cour des comptes, rapporteur.

En conséquence, la république mande et ordonne à tous huissiers de justice sur ce requis de mettre ledit arrêt à exécution, aux procureurs généraux et aux procureurs de la République près les tribunaux de grande instance d'y tenir la main, à tous les commandants et officiers de la force publique de prêter main-forte lorsqu'ils en seront légalement requis.

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président de la Cour et le greffier.

Le président, le greffier,