Vu la loi n° 48-1484 du 25 septembre 1948 modifiée tendant à sanctionner les fautes de gestion commises à l'égard de l'Etat et de diverses collectivités, et portant création d'une Cour de discipline budgétaire et financière ;
Vu la lettre du 21 février 1989 enregistrée au parquet de la Cour le 23 février 1989, par laquelle le ministre délégué auprès du ministre d'Etat, ministre de l'économie, des finances et du budget, chargé du budget, a saisi la Cour de discipline budgétaire et financière, en application de l'article 16 de la loi susvisée, d'irrégularités commises à l'occasion de la passation d'un marché par la délégation générale pour l'armement du ministère de la défense ;
Vu le réquisitoire du procureur général de la République en date du 10 mars 1989 transmettant le dossier à la Cour de discipline budgétaire et financière ;
Vu la décision du président de la Cour de discipline budgétaire et financière du 20 mars 1989 désignant comme rapporteur M. ROSSIGNOL, conseiller référendaire à la Cour des comptes ;
Vu les accusés de réception des lettres recommandées adressées par le procureur général de la République, le 21 novembre 1989 à M. Gilbert BONN, ingénieur général de l'armement, ancien chef du service technique des engins tactiques (STET) à la direction des engins, le 26 janvier 1990 à M. Nicolas du PRE de SAINT-MAUR, ingénieur général de l'armement, ancien adjoint au chef de ce même service, le 6 mars 1990 à M. Gérard SEGALOU, ingénieur en chef des études techniques de l'armement, ancien chef du groupe des engins en service du STET, et le 11 avril 1990 à M. Jacques BOUSQUET, ingénieur général de l'armement , directeur de la direction des engins, les informant de l'ouverture d'une instruction et les avisant qu'ils étaient autorisés à se faire assister soit par un mandataire dûment autorisé, soit par un avocat ou un avoué, soit par un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ;
Vu les avis émis le 26 octobre 1990 par le ministre délégué auprès du ministre d'Etat, ministre de l'économie, des finances et du budget, chargé du budget, et le 31 octobre 1990 par le ministre de la défense ;
Vu les conclusions du procureur général de la République en date du 24 mai 1991 renvoyant MM. BONN, du PRE de SAINT-MAUR, SEGALOU et BOUSQUET devant la Cour de discipline budgétaire et financière ;
Vu l'avis du 23 juillet 1991 du conseil supérieur de l'armement et la lettre de transmission du 25 juillet 1991 du ministre de la défense ;
Vu les accusés de réception des lettres recommandées adressées le 12 septembre 1991 par le président de la Cour de discipline budgétaire et financière à MM. BONN, du PRE de Saint-MAUR, SEGALOU et BOUSQUET les avisant qu'ils pouvaient dans un délai de quinze jours prendre connaissance du dossier de l'affaire soit pas eux-mêmes, soit par un mandataire, soit par le ministère d'un avocat, d'un avoué ou d'un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ;
Vu les accusés de réception des lettres recommandées adressées le 22 octobre 1991 par le procureur général de la République à MM. BONN, du PRE de SAINT-MAUR, SEGALOU et BOUSQUET, les citant à comparaître devant la Cour de discipline budgétaire et financière ;
Vu les mémoires en défense enregistrés au greffe de la Cour le 23 octobre 1991,présentés par M. BOUSQUET et par Me WAQUET, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, pour MM. BONN, du PRE de SAINT-MAUR et SEGALOU ;
Vu l'ensemble des pièces qui figurent au dossier et notamment les procès-verbaux d'audition de MM. BONN, du PRE de SAINT-MAUR, SEGALOU et BOUSQUET et le rapport d'instruction établi par M. ROSSIGNOL ;
Entendu M. ROSSIGNOL en son rapport ;
Entendu le procureur général de la République en ses conclusions ;
Entendu en leurs explications, MM. SEGALOU, du PRE de SAINT-MAUR et BONN assistés de Me WAQUET, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, ainsi que M. BOUSQUET ;
Entendu M. PLAYE, ingénieur général de l'armement, inspecteur général de l'armement, témoin cité à la requête de M. BOUSQUET ;
Entendu le procureur général de la République en son réquisitoire ;
Entendu en sa plaidoirie Me WAQUET et en leurs observations MM. SEGALOU, du PRE de SAINT-MAUR, BONN et BOUSQUET, les intéressés et leur conseil ayant eu la parole les derniers ;
Considérant que le ministre de la défense a conclu, pour le compte de l'Etat, avec la société MATRA, un marché n° 88-70-535 qui a eu pour objet l'exécution de fournitures, travaux et prestations destinés au maintien en conditions opérationnelles de trois systèmes d'armes air- air en service dans les forces armées françaises ; que ce marché a été réparti en cinq tranches annuelles allant du 1er janvier 1988 au 31 octobre 1992, dont les deux premières étaient fermes et les trois autres supplémentaires ;Considérant que ce marché a été soumis à la commission des marchés de l'aéronautique et d'engins spatiaux le 19 octobre 1988 qui l'a examiné dans sa séance du 10 novembre 1988 ; que le contrôleur financier, après avoir décidé le 23 novembre 1988, de différer son visa, n'a finalement visé ledit marché, à titre de régularisation et sur instruction du ministre délégué chargé du budget, que le 27 février 1989, afin d'éviter de pénaliser le fournisseur ; que le marché n'a été signé par le ministre de la défense que le 10 mars 1989 et notifié à la société MATRA que le 13 mars 1989 ;
Considérant qu'il ressort de ce qui précède qu'une partie des prestations correspondant à la première tranche ferme de ce marché a été exécutée au cours de l'année 1988 et, par conséquent, avant la signature de celui-ci, en violation des dispositions de l'article 39 du code des marchés publics, aux termes duquel : "les marchés doivent être notifiés avant tout commencement d'exécution" ;
Considérant que l'élaboration et le suivi du marché en cause relevaient, au sein de la délégation générale pour l'armement, de la direction des engins, dirigée par M. BOUSQUET et, à l'intérieur de cette direction, du service technique des engins tactiques (STET) dont le chef, M. BONN, avait pour adjoint, à l'époque des faits, M. du PRE de SAINT-MAUR, principalement chargé de la coordination des programmes de missiles dans leur phase terminale ; que la préparation en incombait plus précisément au groupe des engins en service dirigé par M. SEGALOU ;
Considérant que le marché n° 88-70-535 faisait suite à un contrat précédent, conclu également avec la société MATRA, qui couvrait la période allant du 1er janvier 1983 au 31 décembre 1987 et qui donnait lieu, chaque année, à la signature d'un avenant, le dernier en date ayant été notifié le 2 décembre 1987 ; que cet avenant ne se limitait pas à la reconduction pure et simple du précédent contrat mais avait aussi pour objet, dans un souci d'amélioration de la gestion et de réduction des coûts, la prise en compte globale par le titulaire, pour une période de cinq ans, de l'ensemble de l'assistance technique relative aux trois systèmes d'armes concernés, afin d'éviter le renouvellement de négociations annuelles ;
Considérant qu'il est constant que, seule, la société MATRA était en mesure de fournir les prestations requises ; que, dans la continuité des relations entretenues avec cette société, les discussions préliminaires relatives au nouveau marché ont été entamées, à l'initiative du STET, dès le début de 1987 ; que, toutefois, les livraisons de l'un des trois systèmes d'armes, le missile Magic 2 récemment développé, venaient de débuter, circonstance qui rendait encore incertaine et donc délicate, l'évaluation des fournitures, travaux et prestations destinés à son maintien en conditions opérationnelles ; que, compte tenu de cette situation particulière, le STET était fondé à ne pas envoyer, prématurément, à la société MATRA sa demande de proposition de prix ; que la signature de cette demande, le 6 août 1987, laissait un délai voisin de six mois, généralement considéré comme suffisant dans le cas de tels marchés pour mener le dossier à son terme avant le 31 décembre 1987 ;
Considérant que la société MATRA n'a adressé une première réponse que le 19 janvier 1988 c'est-à-dire à une date où le précédent marché était expiré ; que cette réponse était incomplète et, au surplus, insuffisante sur le plan technique ; qu'il a donc été nécessaire de poursuivre les négociations pour obtenir de ladite société une réponse mieux adaptée qui n'est parvenue que le 20 mai 1988 ; que le titulaire du marché est ainsi, au moins pour partie, à l'origine des difficultés qui ont contribué à provoquer le retard constaté ;
Considérant que le groupe des engins en service du STET a mis à profit la durée des négociations pour obtenir de la société MATRA une réduction notable du montant de sa proposition initiale ; qu'en effet, alors que celle-ci était de 57 797 890 francs hors taxe, le marché a été finalement conclu pour une somme de 45 496 138 francs, ce rabais de 21,3 % procurant à l'Etat une économie supérieure à 12 millions de francs ;
Considérant que ce montant était relativement modique, non seulement pour la direction des engins et même pour le service chargé de la négociation, mais également pour la société MATRA ;
Considérant qu'une partie des missiles visés par le marché était utilisée par l'armée de l'air et par l'aéronautique navale, alors en opérations au Tchad et dans l'Océan indien ; que le maintien de ces engins en conditions d'emploi revêtait une importance stratégique ; que l'interruption de leur entretien aurait pu avoir de graves conséquences sur la continuité du service public par le maintien des prestations assurées par la société MATRA au-delà du 1er janvier 1988, alors même que le nouveau marché les concernant n'était pas encore notifié, constituait une priorité qui s'imposait aux agents de la direction des engins ;
Considérant, dès lors, qu'eu égard à l'ensemble des circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'engager la responsabilité de MM. BONN, BOUSQUET, du PRE de SAINT-MAUR et SEGALOU en regard des dispositions de la loi du 25 septembre 1948 modifiée.
ARRETE
Article unique : MM. BONN, BOUSQUET, du PRE de SAINT-MAUR et SEGALOU sont relaxés des fins de la poursuite.
Fait et jugé en la Cour de discipline budgétaire et financière. Présents : M. ARPAILLANGE, Premier président de la Cour des comptes, président ; M. DUCAMIN, président de section au Conseil d'Etat, vice- président ; Mme BAUCHET et M. FOUQUET, Conseillers d'Etat, MM. ISNARD et CAMPET, Conseillers maîtres, membres de la Cour de discipline budgétaire et financière ; M. ROSSIGNOL, conseiller référendaire à la Cour des comptes, rapporteur.
Le vingt-sept novembre mil neuf cent quatre vingt onze.
Le Président, Le Greffier,