LA COUR,

Vu la loi n° 48-1484 du 25 septembre 1948 modifiée et complétée par les lois n° 55-1069 du 6 août 1955 et 63-778 du 31 juillet 1963 tendant à sanctionner les fautes de gestion commises à l'égard de l'Etat et de diverses collectivités et portant création d'une Cour de discipline budgétaire et financière ;

Vu la lettre en date du 31 août 1966 enregistrée au Parquet de la Cour le 5 septembre 1966 par laquelle la Commission de Vérification des comptes des entreprises publiques a, en application de l'article 16 de la loi du 25 septembre 1948, saisi la Cour de discipline budgétaire et financière de divers faits se rapportant à la gestion de la Compagnie d'assurances générales contre l'incendie, société nationalisée, et à celle de la France Maritime et Continentale, société d'assurance contrôlée par la précédente ;

Vu le réquisitoire de M le Procureur général en date du 7 avril 1967 transmettant le dossier au président de la Cour de discipline budgétaire et financière ;

Vu la décision du président de la Cour de discipline budgétaire et financière du 24 avril 1967 désignant comme rapporteur M WATINE, financière des requêtes au Conseil d'Etat ;

Vu les accusés de réception des lettres recommandées adressées le 10 novembre 1967 à MM DUCHEZ et LELU. et le 12 mai 1969 à M ASTESAN les informant de l'ouverture d'une instruction et les avisant qu'ils étaient autorisés à se faire assister soit par un mandataire, soit par un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ;

Vu l'avis émis le 13 mars 1970 par le ministre de l'économie et des finances ;

Vu les conclusions du Procureur général de la République en date du 11 mai 1970 renvoyant MM ASTESAN, DUCHEZ et LELU devant la Cour de discipline budgétaire et financière ;

Vu les accusés de réception des lettres recommandées en date du 14 mai 1970 avisant MM ASTESAN, DUCHEZ et LELU qu'ils pouvaient, dans un délai de quinze jours, prendre connaissance du dossier de l'affaire au secrétariat de la Cour soit par eux-mêmes, soit par un mandataire, soit par un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ;

Vu les mémoires en défense présentés le 19 juin 1970 par MM ASTESAN et LELU et le 24 juin 1970 par M DUCHEZ ;

Vu les accusés de réception des lettres recommandées en date du 24 mai 1971 invitant MM ASTESAN, DUCHEZ et LELU à comparaître ;

Vu l'ensemble des autres pièces figurant au dossier et notamment les procès-verbaux d'interrogatoire ;

Ouï M WATINE, conseiller d'Etat, en son rapport ;

Ouï M le Procureur général de la République en ses conclusions ;

Ouï MM ASTESAN, DUCHEZ et LELU en leurs explications ;

Ouï M le Procureur général de la République en ses réquisitions ;

Ouï MM ASTESAN, DUCHEZ et LELU en leurs observations, ceux-ci ayant eu la parole les derniers ;

Considérant qu'en application d'une convention du 10 août 1955, la compagnie d'assurances "La France Maritime et Continentale" est passée sous la tutelle de la compagnie d'assurances générales contre l'incendie, société d'assurances nationalisée par la loi du 25 avril 1946 ; que les bilans de la compagnie la France Maritime et Continentale ont présenté respectivement en 1961 une perte de 95 591 francs, en 1962 un bénéfice de 1033 francs et en 1963 une perte de 1 413 961 francs ; que de tels résultats n'ont pu être obtenus que grâce au soutien financier apporté à cette société par la compagnie d'assurances générales contre l'incendie en exécution de traités de réassurance intervenus entre cette dernière société et la France Maritime et Continentale, sa filiale dont elle détenait la quasi- totalité des actions ; que ce soutien a dû être accru de manière très importante à partir de 1963 pour éviter la liquidation de la la France Maritime et Continentale en conséquence d'une gestion dont le caractère largement déficitaire avait été dissimulé par une minoration des prévisions du coût des sinistres, notamment dans la chambre automobile ; que, pour éviter que les opérations de l'exercice 1963 ne présentent une perte supérieure à la moitié du capital social, ce qui en vertu des dispositions de l'article 37 de la loi du 24 juillet 1867 et de l'article 12 du décret du 30 décembre 1938 aurait dû entraîner la réunion d'une assemblée générale extraordinaire des actionnaires pour délibérer sur une éventuelle dissolution de la société, un soutien spécial a été accordé à la la France Maritime et Continentale par la compagnie d'assurances générales contre l'incendie par le jeu d'un nouveau traité de réassurance mis au point et signé entre le 23 août et le 2 septembre 1964 par M DUCHEZ, directeur général de la France Maritime et Continentale, et par M ASTESAN, directeur à la compagnie d'assurances générales contre l'incendie, ce dernier étant sous l'autorité directe de M LELU qui exerçait à l'époque les fonctions de directeur général de la compagnie d'assurances générales contre l'incendie ; qu'il résulte des pièces du dossier que ledit traité de réassurance a été antidaté du 20 décembre 1963 et n'a pas été porté à la connaissance du conseil d'administration de ladite société ;

Considérant que les minorations des prévisions ont été largement démontrées par les calculs effectués à partir de 1965 ; que lorsque les résultats réels ont été dégagés, les déficits de la France Maritime et Continentale sont apparus dans toute leur étendue ; mais que ces minorations, en tant qu'elles affectaient les comptes de la France Maritime et Continentale, société privée non comprise parmi les organismes visés à l'article 5 de la loi n 48-24 du 6 janvier 1948, échappent à l'examen de la Cour de discipline budgétaire et financière, telle que sa compétence est définie par l'article 5 de la loi du 25 septembre 1948 ; que par suite les dirigeants de la France Maritime et Continentale, en particulier M BOUY, vice-président directeur général de cette société, et ses collaborateurs, ne sauraient être sanctionnés pour les irrégularités qu'ils ont pu commettre à ce titre ;

Considérant d'autre part, que les déficits de la France Maritime et Continentale ont entraîné depuis 1963 une charge considérable pour la compagnie d'assurances générales contre l'incendie - soit près de 46 millions de francs - à raison des traités de réassurance souscrits par ces dernières ; qu'une fraction de cette charge provient du traité passé, comme il a été indiqué ci-dessus, entre le 23 août et le 2 septembre 1964, mais antidaté du 20 décembre 1963 en vue de pouvoir rétroagir à l'exercice 1963, ce qui constituait une infraction aux règles prescrites aux compagnies d'assurances en ce qui concerne l'enregistrement de ce genre d'engagements ;

Considérant, il est vrai, que, de toute manière, la compagnie d'assurances générales contre l'incendie, en sa qualité d'actionnaire quasi-unique de la France Maritime et Continentale, ne pouvait se soustraire aux conséquences financières particulièrement onéreuses de la gestion de cette dernière société, qu'il eût ou non transfert de charge opéré par le jeu d'un traité de réassurance ; que, dans ces conditions, l'irrégularité commise, si critiquable qu'elle soit, peut, compte tenu de ces circonstances, ne pas donner lieu à l'application d'une des sanctions prévues par la loi du 25 septembre 1948 à l'encontre de MM LELU, directeur général de la compagnie d'assurances générales contre l'incendie, ASTESAN, directeur à la même société, et DUCHEZ, lequel représentait la compagnie d'assurances générales contre l'incendie au conseil d'administration de la France Maritime et Continentale.

ARRETE :

MM ASTESAN, DUCHEZ et LELU sont relaxés des fins de la poursuite.