REPUBLIQUE FRANCAISE AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

La Cour de discipline budgétaire et financière, siégeant à la Cour des comptes, a rendu l'arrêt suivant :

La COUR,

Vu la loi n° 48-1484 du 25 septembre 1948 modifiée tendant à sanctionner les fautes de gestion commises à l'égard de l'Etat et de diverses collectivités, et portant création de la Cour de discipline budgétaire et financière ;

Vu la communication en date du 17 juillet 1990, enregistrée au Parquet le même jour, par laquelle le président de la sixième chambre de la Cour des comptes l'informe de la décision prise par ladite Cour, dans sa séance du 22 juin 1990, de déférer à la Cour de discipline budgétaire et financière les irrégularités constatées dans la gestion de la société chimique des charbonnages (CdF Chimie SA) et de sa filiale CdF Chimie éthylène et plastique (CdF Chimie EP) ;

Vu le réquisitoire du procureur général de la République en date du 17 septembre 1990 transmettant le dossier à la Cour de discipline budgétaire et financière ;

Vu la décision du président de la Cour de discipline budgétaire et financière du 18 septembre 1990 désignant comme rapporteur M. CHABROL, alors conseiller référendaire à la Cour des comptes ;

Vu les accusés de réception des lettres recommandées adressées par le procureur général de la République le 7 février 1991 à MM. Michel HUG et François TAILLY, respectivement président du conseil d'administration et directeur général de CdF Chimie EP à l'époque des faits, les informant de l'ouverture d'une instruction et les avisant qu'ils pouvaient se faire assister soit par un mandataire, soit par un avoué ou un avocat, soit par un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ;

Vu les avis émis le 23 mars 1992 par le ministre d'Etat, ministre de l'économie, des finances et du budget et le 21 août 1992 par le ministre de l'industrie et du commerce extérieur ;

Vu les conclusions du procureur général de la République en date du 29 octobre 1992 renvoyant devant la Cour de discipline budgétaire et financière MM. HUG et TAILLY ;

Vu les accusés de réception des lettres recommandées adressées par le président de la Cour de discipline budgétaire et financière le 4 décembre 1992 à MM. HUG et TAILLY les avisant qu'ils pouvaient dans le délai de quinze jours prendre connaissance du dossier de l'affaire soit par eux-mêmes, soit par mandataire, soit par le ministère d'un avocat, d'un avoué ou d'un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ;

Vu les accusés de réception des lettres adressées par le procureur général de la République le 19 janvier 1993 et le 16 avril 1993 à MM. HUG et TAILLY, les citant à comparaître devant la Cour de discipline budgétaire et financière ;

Vu l'ensemble des pièces qui figurent au dossier, et notamment les procès-verbaux d'audition et le rapport d'instruction établi par M. CHABROL ;

Vu les mémoires en défense et productions présentés respectivement par Me de GUILLENCHMIDT, avocat à la Cour, pour M. HUG le 15 mars et le 26 avril 1993, et par Me VIER, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, pour M. TAILLY le 26 janvier 1993 ;

M. HUG, régulièrement convoqué, ne s'étant pas présenté à l'audience ;

Entendu M. CHABROL, conseiller maître à la Cour des comptes en son rapport ;

Entendu le premier avocat général en ses conclusions ;

Entendu en leurs explications, Me de GUILLENCHMIDT pour M. HUG absent, et M. TAILLY, assisté de Me VIER ;

Entendu le premier avocat général en ses réquisitions ;

Entendu en leurs plaidoiries Me de GUILLENCHMIDT et Me VIER et en ses observations M. TAILLY, celui-ci et les conseils des intéressés ayant eu la parole en dernier ;

Considérant qu'en leur qualité d'administrateur ou d'agent de sociétés soumises au contrôle de la Cour des comptes en application de la loi du 22 juin 1967 modifiée, MM. HUG et TAILLY sont justiciables de la Cour de discipline budgétaire et financière ;

Considérant que le 30 mai 1986 un "protocole d'accord concernant l'approvisionnement pour les matières premières pour les vapocraqueurs de CdF Chimie EP" a été conclu entre CdF Chimie EP et une société de négoce Cimic Petroleum Corporation (CPC) constituée avec la participation majoritaire de sociétés des groupes CdF et CdF Chimie ; que le protocole d'accord a été signé pour CdF Chimie EP par M. TAILLY, son directeur général, en exécution de directives données par M. HUG, président du directoire de CdF Chimie et président du conseil d'administration de CdF Chimie EP ;

Considérant que ce protocole comportait un article 10 intitulé "exclusivité" indiquant que l'approvisionnement en matières premières pour le vapocraquage de CdF Chimie EP était confié à CPC à titre exclusif mais que toutefois CdF Chimie EP reconnaissait dans ce texte avoir, préalablement à la signature de ce protocole, passé des contrats de fournitures ;

Considérant que le protocole indiquait également dans une phrase liminaire que la décision de confier cet approvisionnement à CPC avait été prise le 23 décembre 1985 par CdF Chimie SA et CdF Chimie EP ;

Considérant qu'un communiqué de presse du 1er juin 1986 rédigé par la société-mère, CdF Chimie SA, soulignait l'importance de cet accord en faisant mention de la fourniture d'un million de tonnes par an de naphta, gas-oil et de gaz de pétrole liquéfié pour une valeur d'environ un milliard de francs ;

Qu'ainsi il n'est pas contestable que ledit protocole constituait une décision stratégique majeure intéressant l'ensemble du groupe CdF Chimie ;

Considérant qu'une charte du groupe CdF Chimie, approuvée par le conseil de surveillance de cette société le 20 décembre 1979, avait défini le rôle et la mission de CdF Chimie SA, précisé les domaines dans lesquels elle pouvait et devait intervenir et fixé les relations entre elle et ses filiales ;

Que cette charte, qui donne un rôle dirigeant à CdF Chimie SA à l'égard de ses filiales, confie à la société-mère la définition d'une politique du groupe et prévoit que sont soumises préalablement à CdF Chimie SA 19 catégories de décisions prises statutairement par les filiales, dont les principaux accords avec les tiers et entre les filiales, tant par leur durée que par leur montant ;

Considérant que tant le directoire que le conseil de surveillance de CdF Chimie SA avaient été informés, respectivement le 5 septembre 1984 et le 20 septembre 1984, du projet de constitution d'une société de négoce qui offrirait à CdF Chimie EP la possibilité de s'approvisionner en produits pétroliers dans certaines limites et sous certaines conditions de préférence, différentes de celles qui ont été finalement retenues ; que, notamment, le compte-rendu de la réunion du conseil de surveillance, approuvé lors de la réunion suivante, indique que CdF Chimie n'accorderait aucune exclusivité à un fournisseur ;

Considérant que jusqu'à la conclusion du protocole d'accord du 30 mai 1986, ni le directoire ni le conseil de surveillance de CdF Chimie SA n'ont plus été officiellement saisis de cette affaire et n'ont pas été mis en mesure d'en délibérer collégialement ; qu'au contraire, l'instruction a montré que, si le texte du protocole a bien été communiqué par le directeur général de CdF Chimie EP, M. TAILLY, aux membres du directoire de CdF Chimie SA le 26 mai 1986 en leur précisant que la signature aurait lieu le 9 juin suivant, et alors qu'une réunion du directoire était convoquée pour le 4 juin, le président du directoire de CdF Chimie SA, président du conseil d'administration de CdF Chimie EP, M. HUG, a avancé la date de la signature au 30 mai et introduit une clause d'exclusivité qui ne figurait pas dans le texte précédemment diffusé ; qu'ainsi M. HUG n'a pas saisi le directoire de CdF Chimie SA du projet de protocole d'accord avec CPC, d'une manière qui apparaît délibérée ;

Considérant toutefois que la notion de groupe n'est pas reconnue par le droit des sociétés ; que, dans ces conditions, la seule référence à une charte non opposable aux tiers et au demeurant tombée en désuétude en tant que réglementation interne, ne saurait prévaloir sur le principe de la séparation juridique des sociétés pour imposer l'examen préalable par la société-mère de décisions prises statutairement par les filiales ;

Considérant à cet égard que le conseil d'administration de CdF Chimie EP n'a été informé de la signature du protocole que le 9 juin 1986, à la demande d'un administrateur qui s'étonnait de l'absence de renseignements sur cette affaire ;

Considérant toutefois que, nonobstant son caractère d'orientation stratégique pour le groupe et de décision majeure pour la société, le protocole d'accord constituait un contrat d'approvisionnement, présenté d'ailleurs comme tel par l'exposé liminaire et l'article 1 du document signé par les parties ; que, s'agissant d'un acte de gestion, son accomplissement n'a pas méconnu les pouvoirs expressément réservés par la loi au conseil d'administration ;

Considérant en outre que les pouvoirs du président et du directeur général de CdF Chimie EP n'ont été limités ni par les statuts de la société ni par des décisions du conseil d'administration ; qu'ils ont au contraire été fixés dans leur acception la plus étendue par le conseil d'administration dans une délibération du 18 décembre 1985 renvoyant aux conditions prévues par la loi du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales, notamment dans son article 113 ;

Considérant qu'au regard de l'obligation d'information du conseil d'administration, M. HUG a satisfait à la demande présentée par l'un de ses membres lors de la séance du 9 juin 1986, après la signature du protocole ;

Considérant, dès lors, qu'eu égard à l'ensemble des circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'engager la responsabilité de MM. HUG et TAILLY au regard des dispositions de la loi du 25 septembre 1948 modifiée ;

ARRETE :

Article unique - MM. HUG et TAILLY sont relaxés des fins de la poursuite.

Fait et jugé en la Cour de discipline budgétaire et financière.

Présents : M. JOXE, Premier Président de la Cour des comptes, président ; Mme BAUCHET, M. FOUQUET, conseillers d'Etat, MM. ISNARD et CAMPET, conseiller maîtres à la Cour des comptes, membres de la Cour de discipline budgétaire et financière ; M. CHABROL, conseiller maître à la Cour des comptes, rapporteur.

Le six mai mil neuf cent quatre-vingt-treize.

Le Président, Le Greffier,