Vu la loi n° 48-1484 du 25 septembre 1948, modifiée et complétée par les lois n° 55-1069 du 6 août 1955, 63-778 du 31 juillet 1963 et 71- 564 du 13 juillet 1971, tendant à sanctionner les fautes de gestion commises à l'égard de l'Etat et de diverses collectivités et portant création d'une Cour de discipline budgétaire et financière ;
Vu la lettre du 30 mai 1973 par laquelle le Ministre de l'Economie et des finances a déféré à la Cour de discipline budgétaire et financière, en application de l'article 16 de la loi susvisée, les irrégularités constatées à l'occasion de la gestion du "groupe" constitué à La Rochelle, autour de la société de crédit immobilier "Les Prévoyants de l'avenir de la Charente-Maritime" et de la société anonyme d'HLM "Le Foyer de la Charente-Maritime", et placé sous la direction de M. Marcel BONNEAU ;
Vu le réquisitoire du Procureur Général de la République en date du 4 juillet 1973 transmettant le dossier à la Cour de discipline budgétaire et financière ;
Vu la décision du Président de la Cour de discipline budgétaire et financière, en date du 27 septembre 1973, désignant comme rapporteur M. COLLINET, Conseiller Référendaire à la Cour des Comptes ;
Vu l'accusé de réception de la lettre recommandée adressée le 8 octobre 1976 au sieur BONNEAU l'informant de l'ouverture d'une instruction et l'avisant qu'il était autorisé à se faire assister soit par un mandataire, soit par un avocat ou un avoué, soit par un avocat au Conseil d'Etat ou à la Cour de Cassation ;
Vu l'avis émis le 5 mai 1977 par le Ministre de l'Equipement ;
Vu l'avis émis le 6 juin 1977 par le Ministre de l'Economie et des Finances ;
Vu le jugement prononcé le 10 janvier 1978 par le tribunal de Grande instance de La Rochelle, déclarant M. Marcel BONNEAU coupable d'abus de biens sociaux, d'abus de confiance, de délit de présentation de publication de faux bilans et de faux en écritures de commerce, et le condamnant à trois ans d'emprisonnement sous le régime du sursis ;
Vu la décision du Procureur Général de la République en date du 26 avril 1978 renvoyant devant la Cour de Discipline budgétaire et financière M. Marcel BONNEAU ;
Vu l'avis de réception de la lettre recommandée adressée le 26 avril 1978 à M. Marcel BONNEAU, l'avisant qu'il pouvait, dans un délai de quinze jours, prendre connaissance du dossier de l'affaire soit par lui-même, soit par mandataire, soit par le ministère d'un avocat, d'un avoué, ou d'un avocat au Conseil d'Etat ou à la Cour de Cassation ;
Vu le mémoire en défense présenté par Me Charles DESSENS, avocat de M. Marcel BONNEAU, le 13 juin 1978 ;
Vu l'accusé de réception de la lettre recommandée adressée le 12 mai 1978 à M. Marcel BONNEAU et l'invitant à comparaître ;
Vu l'ensemble des pièces qui figurent au dossier et notamment les procès-verbaux d'interrogatoire ;
Ouï M. COLLINET, Conseiller Référendaire à la Cour des Comptes, en son rapport ;
Ouï le Procureur Général de la République en ses conclusions ;
Ouï Me DESSENS, avocat de M. BONNEAU, et M. BONNEAU lui-même, qui ont eu la parole en dernier, en leurs explications ;
Sur les faitsConsidérant que M. Marcel BONNEAU a assumé les fonctions de directeur de la société de crédit immobilier "Les Prévoyants de l'avenir de la Charente-Maritime", de 1959 à avril 1972 ; qu'il cumulait les dites fonctions avec celles de président de la société anonyme d'HLM "Le Foyer de la Charente Maritime" ; qu'entre 1960 et 1971, il a par ailleurs suscité la constitution de 35 sociétés civiles immobilières dont il assurait la gérance, par l'intermédiaire de la société Le Foyer ;
Considérant que, pour répondre à des besoins locaux d'autant plus urgents qu'une active politique de décentralisation industrielle était conduite dans la région de La Rochelle, M. BONNEAU, à la tête du groupe ainsi constitué, s'est engagé dans un important effort de construction, menant à leur terme la réalisation de nombreux programmes portant sur environ 3800 logements entre 1960 et 1972 ;
Considérant toutefois que cet effort, conduit plus dans l'esprit d'un promoteur immobilier que dans le cadre des activités spécifique d'organismes de construction à but social et à statut privilégié, s'est par ailleurs développé sans plan de financement rigoureux et que, dès 1966, un rapport de l'Inspection du trésor soulignait la fragilité du groupe et les pratiques dangereuses marquant ses activités ;
Considérant en effet que les opérations réalisées par les SCI, dont le capital social avait été souscrit par les Prévoyants et le Foyer, étaient préfinancées au moyen d'avances consenties par les Prévoyants, avant même que les associés aient été trouvés et donc qu'ait été obtenue la garantie que le coût des travaux pourrait être couvert au moyen des emprunts obtenus par les futurs propriétaires, ainsi que par leurs apports personnels ;
- que des difficultés de commercialisation retardèrent ensuite la vente d'une partie des programmes achevés et qu'en l'absence de bilans définitifs permettant de déterminer avec exactitude l'ensemble des charges à répartir, il fut fréquemment omis de faire appel, à la clôture des chantiers, aux apports complémentaires des acquéreurs, qui auraient permis de couvrir intégralement les frais de ces opérations ;
- que les SCI, incapables de rembourser la totalité des avances dont elles avaient bénéficié, se trouvèrent ainsi débitrices envers les Prévoyants de sommes qui furent arrêtées à 7,7 millions de francs à la fin de 1973, alors que les Prévoyants et le Foyer continuaient, pour 16 d'entre elles, à détenir en outre leur capital libéré à concurrence de 2,6 millions de francs.
Considérant par ailleurs que la société anonyme d'HLM le Foyer, faisant elle-même appel aux ressources de trésorerie de la société les Prévoyants, ne réussit à mobiliser qu'une partie des fonds qui lui étaient nécessaires pour mener à bien ses programmes et que les insuffisances de financement qui en résultèrent atteignirent, à la fin de 1972, le montant cumulé de 23,5 millions de francs ; que la vente des immeubles réalisés en location-vente se solda en outre par des pertes de 3,2 millions de francs ;
Considérant de plus que divers prélèvements effectués sur les sociétés du groupe ont contribué à aggraver leurs difficultés financières ; qu'ainsi des charges et rémunérations injustifiées ont été imputées, à concurrence de 1 450 000 francs, sur les SCI au profit du Foyer, qui en assurait la gérance et qui, à l'inverse, a réglé sur ses fonds propres 836 650 francs de travaux dus par la SCI "Les Groies" dissoute depuis ; que, par ailleurs, diverses associations dont M. BONNEAU était le président, ont bénéficié, à concurrence de 284 000 francs, de subventions, accordées au moins pour partie dans des conditions irrégulières, provenant des sociétés le Foyer et les Prévoyants ; qu'enfin vingt chèques d'une valeur totale de 539 185,84 francs, émis à raison de 94 476 francs au profit de la société le Foyer par l'entreprise Bordier, et pour le solde par les SCI au nom de créanciers fictifs, ont été détournés au profit des associations présidées par M. BONNEAU qui, ayant d'ailleurs encaissé lui-même une partie des sommes en cause, n'a pu justifier de l'emploi de 255 584 francs, et a été, de ce fait, reconnu coupable d'abus de biens sociaux et d'abus de confiance par le tribunal de grande instance de La Rochelle ; qu'enfin M. BONNEAU a commis diverses indélicatesses, attribuant à sa fille un logement, dont le loyer qui s'élevait à 18 700 francs ne fut pas réclamé, et faisant installer sur sa propriété une construction légère à usage de bureau qui appartenait à la société les Prévoyants, cette dernière prenant en outre en charge les frais de transplantation qui s'élevèrent à 16 000 francs ;
Considérant que de cet ensemble de causes résulta, pour le groupe constitué par M. BONNEAU, un déficit d'exploitation et de financement qui atteignit 39 millions de francs à la fin de 1972 et entraîna, dès le mois d'avril 1972, une crise de trésorerie ; que cette crise imposa la suspension des conseils d'administration du Foyer et des Prévoyants et la désignation d'un administrateur provisoire, M. LUGUERN, ingénieur général des Ponts et Chaussées ; qu'à la suite de différentes expertises, il fut établi que la situation réelle des sociétés du groupe avait été dissimulée par des falsifications comptables et des manipulations financières que M. BONNEAU, quand il n'en était pas directement l'auteur, ne pouvait ignorer ;
Considérant en particulier qu'aux bilans des sociétés les Prévoyants et le Foyer des actifs avaient été surévalués, à raison de 5,5 millions de francs dans un cas et de 10,7 millions de francs dans l'autre, par une insuffisance des dotations aux provisions et à l'amortissement des immobilisations, ainsi que par l'imputation en recettes de pertes ou de créances fictives ;
Considérant en outre que M. BONNEAU avait pu provisoirement pallier les difficultés financières de chacune des sociétés du groupe en constituant entre elles une véritable unité de caisse qui lui permettait de complexes opérations de crédits croisés entre les organismes dont il avait la responsabilité ; qu'en juin 1972, à l'égard de l'ensemble du groupe, la société des Prévoyants se trouvait ainsi débitrice pour 1,2 millions de francs et créditrice pour 18,7 millions de francs ; les SCI débitrices pour 10,5 millions de francs et créditrices pour 10,5 millions de francs ; enfin, la société Le Foyer débitrice pour 12,8 millions de francs et créditrice pour 1,4 millions de francs ;
Considérant, de plus, qu'un effort systématique était fait, afin de retarder le paiement des charges et de réunir les ressources par anticipation ou au vu de justifications fictives ; que, s'agissant par exemple de la SCI "Résidence de Laleu", un emprunt de 2 millions de francs a été accordé par la caisse d'épargne, sur production d'une liste de 40 personnes dont aucune n'était en réalité membre de cette SCI, l'octroi de prêts n'ayant été effectivement sollicité que dans cinq cas et au titre d'autres opérations ; qu'en ce qui concerne la société d'HLM le Foyer, les emprunts étaient fréquemment obtenus au moyen de la production d'états de travaux qui ne correspondaient pas à la réalité ; qu'ainsi pour un programme de 94 logements, il fut justifié, dès le 14 novembre 1969, de prestations payées pour un total de 800000 francs alors que le premier mémoire de l'entreprise ne fut présenté qu'en avril 1970 et réglé en novembre de la même année ; qu'en multipliant de semblables procédés, il avait été possible, entre 1968 et 1971, par l'intermédiaire de la société Les Prévoyants, de réunir 41 millions de francs de fonds d'emprunts qui n'avaient été ensuite affectés à des prêts qu'à concurrence de 29 millions de francs ;
Considérant que certains emprunts se sont, en outre, trouvés détournés de leur affectation, soit qu'ils n'aient pas été encaissés par l'organisme auquel ils étaient destinés, soit qu'ils aient été employés à d'autres fins que celles auxquelles ils étaient réservés ; qu'ainsi, à concurrence de 5,2 millions de francs, des prêts obtenus par les SCI ont été conservés par la société Le Foyer qui non seulement ne les a pas restitués comme elle en avait fait la promesse, mais en a imputé l'amortissement aux SCI qui ne les avaient pas encaissés ; que sur les emprunts bonifiés à taux réduit, provenant du concours de l'Etat, la société Les Prévoyants n'eût dû consentir que des prêts principaux hypothécaires ; que pourtant, au bilan de l'année 1970, le montant total de ces emprunts bonifiés atteignait 60,4 millions de francs alors que les prêts hypothécaires accordés n'excédaient pas 51 millions de francs ; qu'ainsi, à concurrence de 9,5 millions de francs, des ressources privilégiées qui ne pouvaient bénéficier, dans des conditions réglementaires très précises, qu'au financement principal de la construction sociale, avaient été affectées irrégulièrement à d'autres besoins du groupe ;
Considérant que la nature particulière des organismes placés sous la responsabilité de M. BONNEAU lui interdisait d'autant plus de se livrer à des opérations de promotion immobilière qu'en cas de difficulté la puissance publique serait contrainte de leur venir en aide ; que, pour permettre la dissolution des SCI d'une part, la reprise des activités tant de la société d'HLM le Foyer que de la société de crédit les Prévoyants d'autre part, l'Etat a dû accepter de supporter la charge financière résultant de la transformation des prêts du crédit foncier en prêts HLM, soit 27 860 338 francs ; qu'entre 1974 et 1976, le département de la Charente-Maritime a consenti à la société le Foyer des subventions d'un montant total de 5,7 millions de francs ; qu'enfin le Fonds de garantie des opérations de construction HLM a été amené à accorder un prêt exceptionnel de 6,6 millions de francs, amortissable en 25 ans au taux réduit de 5,75 %, à la société les Prévoyants, et deux avances, d'une valeur totale de 20,5 millions de francs, à la société le Foyer ;
Que les conséquences des incohérences et des irrégularités qui ont caractérisé la gestion de M. BONNEAU ont donc été en définitive supportées par la puissance publique et par les organismes de solidarité du secteur de la construction sociale ;
Sur la compétence
Considérant que, dans le mémoire en défense qu'il a déposé, Me Charles DESSENS, avocat de M. BONNEAU a soulevé l'exception d'incompétence de la Cour de discipline budgétaire et financière ; qu'à cet effet, il a cru devoir se fonder sur les articles 233 à 239 du code de l'urbanisme et de l'habitation qui ne soumettraient pas les organismes d'HLM au contrôle de la Cour des Comptes ; qu'il a par ailleurs fait valoir qu'avant la promulgation de la loi du 13 juillet 1971, la Cour de discipline budgétaire et financière "n'avait juridiction que sur les fonctionnaires civils et militaires, les agents du Gouvernement, les membres du cabinet des Ministres, Secrétaires d'Etat et sous-secrétaires d'Etat, à l'exclusion de toute autre personne" ; qu'en conséquence l'étendue de cette juridiction ne pouvait avoir été modifiée par les dispositions de l'article 33 du décret du 20 septembre 1968 qui stipulent que "les organismes dont la gestion n'est pas assujettie aux règles de la comptabilité publique et qui bénéficient d'un concours financier, qu'elle qu'en soit la forme, de la part de l'Etat, d'une collectivité publique locale, d'un établissement public ou de toute autres personne publique, peuvent faire l'objet d'un contrôle de la Cour des Comptes ; qu'il en résulterait que M. BONNEAU n'aurait pas été justiciable de la Cour de discipline budgétaire et financière avant l'entrée en vigueur de la loi susvisée du 13 juillet 1971 ; que Me DESSENS a soutenu en outre que M. BONNEAU n'était pas plus justiciable de la Cour après l'entrée en vigueur de ladite loi dont l'article 2 précise: "est justiciable de la Cour de discipline budgétaire et financière .... tout représentant administrateur ou agent des organismes qui sont soumis au contrôle de la Cour des Comptes ... ou qui peuvent être légalement soumis à ces contrôles par arrêté ministériel ; que le terme "légalement", signifierait que seules les dispositions législatives et non les dispositions réglementaires définissant le champ de compétence de la Cour des Comptes seraient à retenir pour déterminer le champ de compétence de la Cour de discipline budgétaire et financière ; qu'en conséquence, d'une part le décret du 20 septembre 1968 ne pourrait être pris en considération, d'autre part en l'absence de toute règle législative spécifique aux organismes dont il a assumé la direction, M. BONNEAU continuerait après le 13 juillet 1971 à ne pas être justiciable de la Cour de discipline budgétaire et financière ;
Considérant que cette argumentation juridique ne saurait être retenue ; que, si une distinction doit être opérée entre l'état du droit antérieurement et postérieurement à la loi du 13 juillet 1971, elle ne permet pas de fonder l'exception d'incompétence soulevée par Me DESSENS, au nom de M. BONNEAU ; que, contrairement à ce qui a été avancé par la défense, l'article 5 de la loi du 25 septembre 1948 ne limitait pas la juridiction de la Cour de discipline budgétaire et financière aux seuls fonctionnaires civils et militaires, aux agents du gouvernement et aux membres des cabinets ministériels mais précisait qu'en relevaient plus "généralement (les agents) de tout organisme bénéficiant du concours financier de l'Etat" ; que, sous réserve de quelques aménagements de forme, cette disposition fut reprise par l'article 4 de la loi n° 63-778 du 31 juillet 1963 portant loi de finances rectificative pour l'exercice 1963 ; qu'ainsi sur le fondement de la loi du 25 septembre 1948 et indépendamment du décret du 20 septembre 1968, la compétence de la Cour de discipline budgétaire et financière sur M. BONNEAU est clairement établie ;
Que, pour les faits postérieurs à sa publication, la loi du 13 juillet 1971, modifiant l'article 1er de la loi du 25 septembre 1948, a précisé qu'était justiciable de la Cour de discipline budgétaire et financière "tout représentant, administrateur ou agent des organismes qui sont soumis soit au contrôle de la Cour des Comptes, soit au contrôle de la commission de vérification des comptes des entreprises publiques ou qui peuvent être légalement soumis à ces contrôles par arrêté ministériel" ; que le seul rapprochement des termes légalement et arrêté ministériel suffit à prouver le caractère erroné de l'interprétation que Me DESSENS a donné à l'expression "légalement" ; qu'on ne saurait soutenir que l'intervention d'une loi est nécessaire pour soumettre à la compétence de la Cour de discipline budgétaire et financière les responsables d'organismes qui relèvent légalement du contrôle de la Cour des Comptes mais ne sont effectivement soumis aux vérifications de cette juridiction qu'avec l'accord du ministre des Finances ; que dès lors que la loi a défini le champ de compétence de la Cour des Comptes, elle détermine par là même le champ de compétence de la Cour de discipline budgétaire et financière ; qu'en l'espèce la compétence de la Cour des Comptes trouvait son fondement dans le texte de la loi du 22 juin 1967 ; que l'article 1er de la loi susvisée spécifiait que la Cour des Comptes "peut exercer, dans des conditions fixées par décret, un contrôle sur les organismes qui bénéficient du concours financier de l'Etat ou d'une autre personne morale de droit public" ; que le décret du 20 septembre 1968, qui ne constituait qu'une mesure d'application de ladite loi, précisait in fine que "lorsque le concours financiers ne revêt pas la forme d'une subvention ou d'une taxe parafiscale, ce contrôle s'exerce avec l'accord du ministre de l'économie et des finances" ; que les sociétés dirigées par M. BONNEAU répondaient bien à ces caractéristiques et qu'en conséquence l'exception d'incompétence soulevée par Me DESSENS doit être rejetée ;
Sur le fond
Considérant que, dans la direction du groupe constitué par les sociétés le Foyer et les Prévoyants ainsi que par les 35 SCI créées à son initiative, M. BONNEAU ne s'est pas rendu seulement coupable d'abus de biens sociaux, de présentation de faux bilans et de faux en écritures de commerce, délits qui ont été reconnus et sanctionnés par le tribunal de grande instance de La Rochelle, dans son jugement du 10 janvier 1978 ; que sa gestion s'est en outre accompagnée d'infractions à la législation relative aux organismes à statuts particuliers placés sous sa responsabilité, ainsi, qu'à l'emploi des emprunts bonifiés contractés avec le concours de l'Etat et la garantie de collectivités publiques ;
Considérant qu'à l'époque des faits relevés, les sociétés dirigées par M. BONNEAU étaient notamment régies par les règles que fixent les articles 172 et 191 du Code de l'Urbanisme et de l'habitation, ainsi que par divers textes réglementaires, en particulier les décrets n° 59- 700 du 6 juin 1959 relatif aux sociétés anonymes de crédit immobilier, n° 68-271 du 20 mars 1968 fixant les nouveaux statuts des sociétés anonymes d'HLM, n° 68-272 du 20 mars 1968 fixant les nouveaux statuts types des sociétés anonymes de crédit immobilier, n° 51-1161 du 4 octobre 1951 portant réglement de comptabilité pour les sociétés d'HLM et de crédit immobilier ;
En ce qui concerne les interventions irrégulières des sociétés dirigées par M. BONNEAU
Considérant qu'il résulte de l'ensemble des dispositions susvisées que l'activité de ces organismes doit exclure tout caractère spéculatif et qu'elle ne saurait en particulier s'apparenter à des opérations de promotion immobilière commerciale, dans lequelles un entrepreneur conçoit et édifie, sous sa responsabilité, un programme de construction, et recherche des acquéreurs auxquels il vend des logements en réalisant un bénéfice ou, à l'inverse, en supportant les conséquences de la mévente d'une partie des immeubles offerts ;
Qu'en vertu de ce principe général, l'intervention des sociétés de crédit immobilier prend essentiellement la forme de prêts hypothécaires individuels, consentis personnellement aux constructeurs, qui se sont préalablement groupés, le cas échéant, dans une société civile immobilière, ou de prêts aux sociétés anonymes d'HLM auxquelles ils ont confié la réalisation ou la surveillance des travaux ;
Que ce n'est qu'à titre exceptionnel que les sociétés de crédit immobilier peuvent consentir des avances aux sociétés civiles immobilières elles-mêmes, et ce, dans les conditions restrictives fixées par l'article 1er du décret du 6 juin 1959 ; que les avances dont il s'agit sont limitées à la seule acquisition des terrains ; qu'elles ne peuvent, au demeurant, intervenir qu'à la double condition que les SCI confient la réalisation des travaux à une société anonyme d'HLM, et qu'elles soient elles-mêmes dissoutes avant la consolidation de l'avance initiale consentie par le sous-comptoir des entrepreneurs ;
Considérant que la constitution et la prise en charge par les sociétés que dirigeait M. BONNEAU, de sociétés civiles immobilières dont elles détenaient à l'origine la totalité du capital social et la réalisation, par leur intermédiaire, de programmes de construction de logements entièrement financés par "les Prévoyants" et "le Foyer" et offerts à d'éventuels acquéreurs, s'apparentent aux techniques de la promotion immobilière commerciale, même si, en l'espèce, M. BONNEAU ne recherchait pas un profit pour les sociétés qu'il dirigeait ;
Qu'on ne saurait, à cet égard, retenir l'argument de M. BONNEAU fondé sur l'intérêt que ces réalisations présentaient pour les communes intéressées ; qu'en effet l'article 192 du CUH donne à celles-ci la possibilité d'assumer elles-mêmes la responsabilité de telles opérations en recourant, le cas échéant, au concours d'une société anonyme d'HLM, mais qu'en l'occurrence, il n'a pas été fait appel à ces procédures ;
Considérant, en définitive, qu'à l'instigation de M. BONNEAU, et jusqu'en 1972, les limitations que la réglementation en vigueur impose aux sociétés de crédit immobilier, en ce qui concerne le financement des sociétés civiles immobilières, ont été méconnues, et que, sur ce point, les dispositions de l'article 1er du décret du 6 juin 1959, qui réglemente leur fonctionnement, ont été violées ;
Considérant que ces agissements tombent sous le coup des dispositions de l'article 5 de la loi du 25 septembre 1948 modifiée qui sanctionne les infractions relatives aux règles d'exécution des recettes et des dépenses des organismes relevant de la compétence de la Cour de discipline budgétaire et financière ;
Irrégularités affectant la gestion financière des "Prévoyants de l'avenir" et du "Foyer"
Considérant que, pour pallier les difficultés financières rencontrées par les sociétés et associations en cause, M. BONNEAU a usé de procédés qui méconnaissaient gravement les règles de gestion propres à ces organismes ;
Qu'il a notamment multiplié les opérations de prêts et avances "croisés", dont la charge était en définitive reportée directement ou indirectement sur la société de crédit immobilier, à concurrence de plus de 18 millions de francs au 1er juin 1972 ;
Que ces opérations, qui, ainsi qu'il a déjà été exposé, excédaient le rôle réglementaire de ces sociétés, ont en outre été exécutées le plus souvent sur la seule décision écrite ou verbale de M. BONNEAU, et sans l'autorisation préalable des conseils d'administration compétents ;
Que, suivant des procédés analogues, des subventions ont été irrégulièrement attribuées aux associations dirigées par l'intéressé, le plus souvent sans l'autorisation préalable des conseils d'administration ; que parfois même les versements dont il s'agit ont été imputés parmi les charges d'exploitation de la société de crédit immobilier ;
Considérant par ailleurs que M. BONNEAU afin d'accroître les moyens de financement dont il disposait, a fait délivrer, apparemment au bénéfice des "Prévoyants" et du "Foyer", des prêts affectés, dans des conditions incompatibles avec celles mises à leur octroi par la réglementation en vigueur ;
Qu'en outre, l'intéressé a opéré diverses falsifications en vue d'obtenir des fonds de divers établissements de crédit ; Qu'il a fait établir et produire par "les Prévoyants" et "le Foyer" des situations attestant faussement l'état d'avancement de travaux qui n'étaient pas, en réalité, entrepris ou effectués ; qu'il a fait dresser des listes comportant une énumération fictive de prétendus emprunteurs, dont certains ne participaient pas aux opérations immobilières dont il s'agissait ;
Qu'il a ainsi fait verser, en particulier par la "Caisse de prêts aux organismes d'HLM", des fonds auxquels ne pouvaient prétendre les sociétés dont il assumait la direction ;
Qu'au demeurant, lesdits fonds ont été détournés de leur objet réglementaire ; que le produit d'emprunts à taux réduit, destinés à l'octroi de prêts principaux hypothécaires, a été utilisé pour financer des opérations de locations-vente entreprises par "le Foyer", et pour consentir des prêts complémentaires destinés à faciliter la vente des logements construits, en violation des dispositions de l'article 175 du Code de l'urbanisme et de l'habitation ;
Que M. BONNEAU a de la même façon détourné, au profit des associations qu'il dirigeait, une partie des fonds recueillis par "les Prévoyants" et "le Foyer" au titre de la participation de 1 % versée par les employeurs pour le logement des salariés, instituée par les articles 272 et suivants du CUH et par le décret n° 66-827 du 7 novembre 1966 ;
Que, par ailleurs, dans l'intention de masquer la situation financière critique des sociétés qu'il administrait, et pour améliorer artificiellement leur situation de trésorerie, M. BONNEAU a commis de multiples irrégularités comptables qui ont gravement altéré la sincérité des comptes, et qui ont été qualifiées par le juge pénal de "faux en écriture privée de commerce" et "d'établissement et publication de faux bilans" ;
Que ces faits constituent autant de violations des règles d'exécution des recettes et des dépenses des sociétés "les Prévoyants de l'avenir" et "le Foyer", et qu'ils tombent en conséquence sous le coup des dispositions de l'article 5 de la loi du 25 septembre 1948 modifiée ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les irrégularités relevées à l'encontre de M. BONNEAU tombent sous le coup des sanctions prévues par les articles 5 et 6 de la loi précitée du 25 septembre 1948 ; que les pratiques irrégulières ainsi constatées se sont poursuivies jusqu'au 5 juin 1972, date à laquelle les conseils d'administration de la société de crédit immobilier "les Prévoyants de l'avenir et de la société anonyme d'HLM "Le Foyer", ont été suspendus, et un administrateur provisoire nommé ; qu'elles se sont donc pas couvertes par la prescription de quatre années édictée par l'article 30 de la loi du 25 septembre 1948, dans sa rédaction antérieure à la publication de la loi du 13 juillet 1971 ;
Sur les circonstances atténuantes
Considérant que les délits d'abus de biens sociaux, d'abus de confiance, de présentation de faux bilans et de faux en écritures de commerce, susceptibles de tomber sous le coup des sanctions prévues par les articles 5 et 6 de la loi précitée du 25 novembre 1948 ont déjà été sanctionnés par le juge pénal ; qu'une constitution de partie civile a par ailleurs été reçue par le tribunal de grande instance de La Rochelle dans son jugement du 10 janvier 1978 qui a condamné M. BONNEAU à verser, à titre de provisions à valoir sur des réclamations d'un montant total de 2512130,21 francs, 20 000 francs à la Société le Foyer de la Charente-Maritime, 30 000 francs à la Société les Prévoyants de l'avenir et 100 000 francs à l'association le logement social ;
Considérant d'autre part que, dès mai 1966, les vérifications de l'inspection du trésor effectuées sur les comptabilités des sociétés le Foyer et les Prévoyants avaient conduit à relever le caractère irrégulier des mouvements de trésorerie ; qu'en dépit des graves critiques déjà formulées l'autorité préfectorale estima que le dynamisme manifesté par ces organismes justifiait qu'ont fît preuve à leur égard d'une bienveillance particulière ; qu'un second rapport plus alarmant établi au début de l'année 1970 dans lequel le vérificateur notait "il est évident que pour "camoufler" une situation financière très grave on n'hésite pas à utiliser tous les procédés, même les plus discutables", ne donna pas lieu de la part des autorités administratives aux mesures de redressement et aux sanctions qui s'imposaient dès cette époque ; que sans doute les dissimulations auxquelles M. BONNEAU s'était livré, et les explications lénifiantes qu'il fournit dans un rapport daté du 30 juin 1970, contribuèrent à masquer les graves errements qui caractérisaient sa gestion mais qu'à l'inverse ces errements n'auraient sans doute pas pris le développement qu'ils ont connu ni les autorités de tutelle s'étaient montrées plus vigilantes ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la responsabilité du sieur BONNEAU, déjà sanctionnée sur le plan général et engagée au civil, est assortie de circonstances atténuantes et qu'il sera fait une juste appréciation de cette responsabilité en condamnant M. BONNEAU à une amende de 5 000 francs ;
ARRETE :
Article 1er - M. BONNEAU, ancien Président de la société d'HLM le Foyer et ancien directeur de la société de crédit immobilier les Prévoyants, est condamné à une amende de cinq mille francs ;
Article 2 - Le présent arrêté sera publié au journal officiel de la république française.