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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS,

LA COUR DE DISCIPLINE BUDGETAIRE ET FINANCIERE,
Siégeant à la Cour des comptes, en audience publique, a rendu l'arrêt suivant :

Vu la Constitution, notamment son article 74 ;

Vu la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française ;

Vu la loi n° 2007-1720 du 7 décembre 2007 tendant à renforcer la stabilité des institutions et la transparence de la vie politique en Polynésie française ;

Vu le code des juridictions financières, notamment le titre 1er du livre III, relatif à la Cour de discipline budgétaire et financière, et l’article LO 272-12 afférent aux missions de la chambre territoriale des comptes de Polynésie française ;

Vu le code des postes et télécommunications en Polynésie française, issu de la délibération n° 2003-85 APF du 12 juin 2003 de l’assemblée de la Polynésie française, modifiée ;

Vu les textes relatifs à l’organisation et aux règles de fonctionnement de l’office des postes et télécommunications de la Polynésie française ;

Vu l’arrêt n° 201-92 de la Cour d’appel de Papeete du 23 juin 2011 ;

Vu le jugement n° 3/2013 du Tribunal de première instance de Papeete statuant en correctionnelle du 15 janvier 2013 ;

Vu la lettre en date du 22 octobre 2008, enregistrée au parquet général le 23 octobre 2008, par laquelle le procureur financier près la chambre territoriale des comptes de la Polynésie française a informé le procureur général près la Cour des comptes, ministère public près la Cour de discipline budgétaire et financière, de faits constatés dans le cadre de l’examen de la gestion de l’office des postes et télécommunications de la Polynésie française au titre des années 1991 à 2007, ensemble les pièces à l’appui ;  

Vu le réquisitoire du 15 février 2010 par lequel le procureur général près la Cour des comptes, ministère public près la Cour de discipline budgétaire et financière, a saisi de cette affaire le Premier président de la Cour des comptes, président de la Cour de discipline budgétaire et financière, conformément aux dispositions de l’article L. 314-3 du code des juridictions financières ;

Vu la décision du 22 septembre 2010 par laquelle le président de la Cour de discipline budgétaire et financière a désigné M. Christophe Cantié, premier conseiller de tribunal administratif et de cour administrative d’appel, rapporteur de l’affaire, en application de l’article L. 314-3 du code des juridictions financières ;

Vu les lettres recommandées du 15 mars 2011 par lesquelles le procureur général a informé M. Alphonse Teriierooiterai, ayant exercé les fonctions de président du conseil d'administration de l’office des postes et télécommunications de la Polynésie française du 23 juin 2004 au 2 novembre 2004 puis du 9 mars 2005 au 23 mai 2006, et M. Patrick Delanne, agent comptable de l’établissement public à compter du 4 décembre 2000, puis chef de son service comptable à compter du 1er mai 2005, de l’ouverture d’une instruction dans les conditions prévues à l’article L. 314-4 du code des juridictions financières, ensemble les avis de réception de ces lettres ;

Vu la lettre du président de la Cour de discipline budgétaire et financière du 23 février 2012 transmettant au procureur général le dossier de l’affaire, après dépôt du rapport, en application de l’article L. 314-4 du code des juridictions financières ;

Vu la lettre du procureur général en date du 25 juillet 2012 informant le président de la Cour de discipline budgétaire et financière de sa décision, après communication du dossier de l’affaire, de poursuivre la procédure en application de l’article L. 314-4 du code des juridictions financières ;

Vu les lettres du 30 juillet 2012 du président de la Cour de discipline budgétaire et financière transmettant le dossier au ministre de l'économie et des finances et au ministre des Outre-mer, afin de recueillir leur avis en application de l'article L. 314-5 du code des juridictions financières, ensemble les avis de réception de ces lettres ;

Vu l’avis du ministre des Outre-mer en date du 25 septembre 2012 ;

Vu la décision du procureur général du 15 février 2013 renvoyant M. Teriierooiterai et M. Delanne devant la Cour de discipline budgétaire et financière, en application de l’article L. 314-6 du code des juridictions financières, ensemble les lettres informant les intéressés de cette décision ;

Vu les lettres recommandées adressées le 18 février 2013 par la greffière de la Cour de discipline budgétaire et financière à M. Teriierooiterai et à M. Delanne, les avisant qu'ils pouvaient prendre connaissance du dossier de l’affaire et produire un mémoire en défense dans les conditions prévues à l'article L. 314-8 du code des juridictions financières, et les citant à comparaître le 23 avril 2013 devant la Cour de discipline budgétaire et financière, ensemble les avis de réception de ces lettres ;

Vu la lettre du 8 mars 2013 enregistrée le 11 mars 2013 au greffe de la juridiction, par laquelle Maître Jourdainne, conseil de M. Teriierooiterai a sollicité un report de l'audience publique de la Cour de discipline budgétaire et financière pour des motifs d’ordre médical, ensemble les justificatifs joints à cette requête ;

Vu les lettres de la greffière de la Cour de discipline budgétaire et financière du 19 mars 2013 informant les personnes renvoyées du report au 21 juin 2013 de la date de l’audience publique, ensemble les avis de réception de ces lettres ;

Vu les lettres des 16 et 24 mai 2013 par lesquelles le président de la Cour de discipline budgétaire et financière a autorisé, sur leur demande, MM. Delanne et Teriierooiterai à ne pas comparaître personnellement à l’audience, en application de l'article L. 314-10 du code des juridictions financières ;

Vu le mémoire produit par Maître Jourdainne pour M. Teriierooiterai le 15 mai 2013, ensemble les pièces à l’appui ;

Vu le mémoire produit par M. Delanne le 21 mai 2013, ensemble les pièces à l’appui ;

Vu les autres pièces du dossier, notamment les procès-verbaux d’audition et le rapport d'instruction de M. Cantié ;

Entendu le rapporteur, M. Cantié, résumant le rapport écrit, en application des articles L. 314-12 et R. 314-1 du code des juridictions financières ;

Entendu le représentant du ministère public, résumant la décision de renvoi, en application des articles L. 314-12 et R. 314-1 du code des juridictions financières ;

Entendu le procureur général en ses conclusions, en application de l’article L.314-12 du code des juridictions financières ;

Entendu en sa plaidoirie Maître Jourdainne pour M. Teriierooiterai, la défense ayant eu la parole en dernier ;

Sur la compétence de la Cour 

Considérant que l’office des postes et télécommunications (OPT) de la Polynésie française constitue un établissement public soumis, en vertu de l’article LO 272-12 du code des juridictions financières, au contrôle de la chambre territoriale des comptes de la Polynésie française ; que ses représentants, administrateurs ou agents sont en conséquence justiciables de la Cour de discipline budgétaire et financière, en application des b et c du I de l’article L. 312-1 du code des juridictions financières ; 

Sur l’absence d’avis du ministre de l'économie et des finances

Considérant que l’absence de réponse du ministre de l'économie et des finances à la demande d’avis formulée le 30 juillet 2012 ne fait pas obstacle à la poursuite de la procédure en application de l’article L. 314-5 du code des juridictions financières ;

Sur le moyen tiré de la nullité de la procédure

Considérant que M. Teriierooiterai demande à la Cour de constater préalablement la nullité de la procédure au motif que la lettre du 15 mars 2011 par laquelle le procureur général l’a informé de l’ouverture d’une instruction mentionne un déféré de la chambre territoriale des comptes de Polynésie française en date du 22 octobre 2008, également citée au réquisitoire alors même que la chambre territoriale des comptes de Polynésie française n’a reçu compétence pour saisir la Cour de discipline budgétaire et financière que depuis l’entrée en vigueur de la loi n° 2007-1720 du 7 décembre 2007, soit postérieurement aux faits présumés irréguliers ; que M. Teriierooiterai indique que, de ce fait, les personnes renvoyées n’auraient pas été convenablement informées du mode de saisine de la Cour et que, dès lors, la procédure serait entachée de nullité ;

Considérant cependant et en tout état de cause que, comme le rappelle la décision de renvoi du Procureur général du 15 février 2013 qui seule lie le contentieux, la Cour de discipline budgétaire et financière a en fait été directement saisie par le réquisitoire du Procureur général conformément aux dispositions de l’article L. 314-1 du CJF ;

Considérant par suite que l’exception de nullité ne peut être accueillie ;

Sur la prescription

Considérant qu’aux termes de l’article L. 314-2 du code des juridictions financières : « la Cour ne peut être saisie après l’expiration d’un délai de cinq années révolues à compter du jour où aura été commis le fait de nature à donner lieu à l’application des sanctions prévues par le présent titre. » ;

Considérant que la date d'interruption de la prescription est, en cas de saisine directe par le procureur général, celle de la date du réquisitoire ; que la Cour ayant été saisie par réquisitoire du procureur général le 15 février 2010, les faits postérieurs au 15 février 2005, ne sont pas couverts par la prescription de cinq années susmentionnée ;

Sur les dépenses exposées notamment au bénéfice du vice-président de l’OPT

1 - Sur les faits

Considérant en premier lieu que l’office des postes et télécommunications de la Polynésie française a pris en charge, au cours des années 2005 et 2006, des frais de représentation, de mission et de transport au bénéfice de M. Emile Vernaudon qui exerçait alors les fonctions de ministre du territoire chargé des postes et télécommunications et occupait, concomitamment, le poste de vice-président du conseil d’administration de l’établissement public ;

Considérant que l’instruction a établi qu’une part importante des charges comptabilisées par l’organisme correspond en réalité à des dépenses personnelles de M. Vernaudon et de son entourage, tels des frais de restauration, des frais d’hôtellerie et des achats de vins et spiritueux, pour un montant total supérieur à 12 millions de francs CFP (soit environ 100 000 euros), et des frais de location d’avions d’un montant supérieur à 7,2 millions de francs CFP (soit environ 60 000 euros) ; que M. Teriierooiterai, en sa qualité de président du conseil d’administration de l’établissement public, a établi ou fait établir des ordres de mission, des certificats administratifs et des pièces justificatives aux fins de permettre le paiement de ces dépenses et de dissimuler leur véritable objet dans la comptabilité de l’établissement public ;

Considérant que l’OPT de la Polynésie française a mis à la disposition de M. Vernaudon et de certains de ses collaborateurs, à l’initiative de M. Teriierooiterai,  huit véhicules automobiles et les cartes de carburant y afférentes, deux scooters et ainsi que plusieurs téléphones dont un terminal satellitaire, en prenant en charge les abonnements et coûts de communication ;

Considérant que la délibération n°57-2004/OPT du 21 décembre 2004 du conseil d’administration de l’OPT de Polynésie française, qui constituait alors la seule base légale permettant d’accorder au vice-président certains avantages, avait seulement prévu l’attribution à l’intéressé d’un véhicule de fonction et la prise en charge de deux abonnements téléphoniques et d’un contingent de communications téléphoniques et électroniques ;

Considérant en second lieu que, de juillet 2005 à mars 2006, l’OPT a versé d’importantes subventions à des associations dans lesquelles M. Vernaudon avait indirectement ou directement des intérêts, soit en qualité de maire de la commune de Mahina, soit en tant que dirigeant du parti Ai’a api ;

Considérant ainsi que l’association « les dauphins bleus » a bénéficié de mars 2005 à mai 2006 d’une subvention de 8 millions de francs CFP (67 040 euros) ; que l’association pour la promotion de l’identité polynésienne, gestionnaire de « Radio bleue », organe de la commune de Mahina, a perçu au cours de la même période un financement de 5 millions de francs CFP (41 900 euros) ; que l’association sportive Vénus, présidée par M. Vernaudon, a perçu une aide de 13 millions de francs CFP (108 940 euros) ; qu’enfin l’OPT a acheté en 2005 et 2006 des encarts publicitaires du bulletin municipal de la commune de Mahina pour 11,2 millions de francs CFP (93 931 euros) ;

Considérant en troisième lieu que, par une convention signée par M. Teriierooiterai le 3 mai 2005, M. Yves Conroy, ancien salarié de l’office, a été chargé par l’OPT de la Polynésie française d’une mission d’assistance, de conseil, de suivi et d’animation dans les domaines des nouvelles technologies, des télécommunications et de l’analyse économique et financière de dossiers et de projets spécifiques ; que l’instruction a établi que le prestataire, qui a perçu en 2005 et 2006 une rémunération totale de 18,48 millions de francs CFP (soit près de 155 000 euros) en exécution de ladite convention, s’est borné à produire des rapports reprenant, pour l’essentiel, des données qui lui avaient été fournies par les services de l’établissement public, sans retraitement ni réelle analyse de sa part ; que, par courrier du 10 octobre 2006, le nouveau président du conseil d'administration de l’établissement public a exigé de M. Conroy le remboursement des sommes perçues ;

Considérant en outre que, M. Teriierooiterai a fait mettre à la disposition de M. Conroy un véhicule appartenant à l’OPT alors que la convention du 3 mai 2005 ne prévoyait pas l’octroi de cet avantage ;

2 – Sur la qualification et les responsabilités

Considérant qu’aux termes de l’article L. 313-4 du code des juridictions financières : « Toute personne visée à l'article L. 312-1 qui, en dehors des cas prévus aux articles précédents, aura enfreint les règles relatives à l'exécution des recettes et des dépenses de l'État ou des collectivités, établissements et organismes mentionnés à ce même article ou à la gestion des biens leur appartenant ou qui, chargée de la tutelle desdites collectivités, desdits établissements ou organismes, aura donné son approbation aux décisions incriminées sera passible de l'amende prévue à l'article L. 313-1 » ;

Considérant qu’aux termes des dispositions de l’article L. 313-6 du code des juridictions financières que « Toute personne visée à l'article L. 312-1 qui, dans l'exercice de ses fonctions ou attributions, aura, en méconnaissance de ses obligations, procuré à autrui un avantage injustifié, pécuniaire ou en nature, entraînant un préjudice pour le Trésor, la collectivité ou l'organisme intéressé, ou aura tenté de procurer un tel avantage sera passible d'une amende dont le minimum ne pourra être inférieur à 300 euros et dont le maximum pourra atteindre le double du montant du traitement ou salaire brut annuel qui lui était alloué à la date de l'infraction » ;

Considérant que l’établissement de pièces justificatives de complaisance pour permettre la prise en charge par l’OPT de la Polynésie française de dépenses de nature privée, l’octroi d’avantages au vice-président du conseil d’administration sans délibération de cette instance, le paiement de prestations à un cocontractant à défaut de contrepartie effective, la mise à la disposition du prestataire, sans justification, d’un véhicule appartenant à l’organisme, et le versement de subventions à des associations dans lesquelles le vice- président de l’OPT avait indirectement ou directement des intérêts constituent une infraction aux règles d’exécution des dépenses de l’établissement public sanctionnée par l’article L. 313-4 du code des juridictions financières ;

Considérant, par ailleurs, que l’ensemble des faits susmentionnés caractérise l’octroi à des tiers, personnes physiques et morales, d’avantages injustifiés entraînant un préjudice pour l’établissement au sens de l’article L. 313-6 du code des juridictions financières ;

Considérant qu’il incombait à M. Teriierooiterai, en sa qualité de président du conseil d'administration de l’OPT de la Polynésie française, de veiller à la préservation des intérêts de cet organisme public ; qu’il a personnellement établi ou fait établir des ordres de mission, des certificats administratifs et des pièces justificatives en vue du paiement des dépenses irrégulières précitées et a signé la convention susmentionnée du 3 mai 2005 ; que, par suite, sa responsabilité est engagée sur le fondement des articles L. 313-4 et L. 313-6 du code des juridictions financières ;

Sur les contrats relatifs à la régie publicitaire de l’annuaire officiel du territoire

1 - Sur les faits

Considérant qu’en application des dispositions du code des postes et télécommunications en Polynésie française, il incombait à l’OPT de la Polynésie française d’assurer la parution et la diffusion de l’annuaire officiel des abonnés du territoire au téléphone fixe ; qu’au cours des années 1998 à 2007, l’établissement public a confié à un prestataire extérieur l’impression de cet annuaire qui a été complété, à compter de l’année 2003, par un annuaire touristique, dit « Phone Book » ; que ce prestataire était également en charge de la régie publicitaire, c’est à dire de la gestion commerciale des espaces publicitaires inclus dans ces annuaires ;

Considérant que la régie publicitaire des éditions 1998 à 2002 de l’annuaire officiel a été confiée à la société Publi-Pacific dirigée par M. Hubert Haddad ; que, par un marché signé le 16 juillet 2002, la société Yellow on Line, également dirigée par M. Haddad, a été chargée d’assurer la régie publicitaire de l’annuaire officiel et de l’annuaire touristique pour les années 2003 à 2007 ; qu’aux termes des articles 9, 12 et 13 du cahier des clauses administratives générales du marché, il incombait au régisseur d’encaisser en son nom propre l’intégralité des recettes provenant de la publicité et d’en assurer le reversement à l’OPT de la Polynésie française à raison de 20 millions de francs CFP le 1er de chaque mois, de janvier à avril, et le solde deux mois après la date de parution de l’annuaire officiel ; qu’il résulte des mêmes stipulations que le régisseur, rémunéré par une commission représentant un pourcentage des recettes perçues, s’engageait à reverser à l’établissement public un montant minimum de recettes fixé à 180 millions de francs CFP, soit environ 1,5 millions d’euros ;  qu’en vertu d’un avenant signé par les parties le 9 juin 2004, entré en vigueur le 1er janvier 2005, cette garantie de recettes a été réduite à 153 millions de francs CFP, soit environ 1,3 millions d’euros et que le reversement opéré par le régisseur devait intervenir un mois après la date de parution de l’annuaire officiel ;

Considérant que la société Yellow on Line s’est abstenue, dès le mois de janvier 2003, de reverser à l’OPT de la Polynésie française la quasi-totalité des recettes prévues par le contrat ; que M. Delanne, agent comptable de l’établissement public puis, à compter du 1er mai 2005, chef de son service comptable, a obtenu du débiteur des paiements partiels et lui a octroyé des délais de paiement ; que, toutefois, aucune mesure de recouvrement amiable ou forcé n’a été diligentée par l’organisme avant la résiliation du marché prononcée par M. Teriierooiterai le 7 septembre 2005 ; qu’en l’absence de reversement dans les délais accordés, il n’a cependant pas engagé les procédures permettant de constituer des garanties pour le recouvrement des créances exigibles ;

Considérant que la résiliation du marché prononcée le 7 septembre 2005 n’a pas été suivie de mesures de recouvrement ou de l’introduction d’un recours contentieux de la part de l’établissement public ; que, sans solliciter l’habilitation du conseil d’administration qui était seul compétent pour en décider en vertu des articles 5.3 et 5.4 de l’arrêté n°1731 CM du 19 novembre 2003, M. Teriierooiterai a signé, le 6 mars 2006, un contrat de transaction avec M. Hubert Haddad représentant la société Yellow on Line, aux termes duquel cette société se reconnaissait débitrice d’une somme de 492,82 millions de francs CFP, soit près de 4,13 millions d’euros, au titre des éditions 2003 à 2005 des annuaires et s’engageait à verser cette somme à l’office en 18 mensualités, à partir du 15 juillet 2006 ; que, par la suite, la société a refusé d’exécuter ses engagements financiers en alléguant l’absence de désignation par l’office d’un des arbitres du collège d’arbitres qui, aux termes de la transaction, devait fixer le montant des indemnités dues par l’établissement au titre de la rupture du contrat et de la reprise de clientèle ; que l’établissement n’a diligenté aucune action précontentieuse ou contentieuse à l’encontre de la société jusqu’à ce que le nouveau président du conseil d’administration lui adresse une mise en demeure d’honorer ses engagements par courrier du 23 novembre 2006 ;

Considérant que, par une délibération du 4 décembre 2006, le conseil d’administration de l’établissement public a autorisé son président à engager une action pour abus de confiance à l’encontre des dirigeants de la société Yellow on Line et à mettre en œuvre les voies d’exécution judiciaires en vue de recouvrer les sommes dues ; qu’il ressort de l’annexe 2 au rapport n° 46-2007/OPT du 30 octobre 2007 présenté au conseil d’administration que la société Yellow on Line restait redevable, au 30 juin 2007, de la somme de 436,63 millions de francs CFP, soit près de 3,66 millions d’euros ;

Considérant, par ailleurs, que la résiliation du marché conclu avec la société Yellow on Line a conduit l’OPT de la Polynésie française à décider de la perception directe des recettes de la régie publicitaire des annuaires du territoire ; que, par délibération n°55-2005/OPT du 7 décembre 2005, le conseil d’administration de l’organisme a autorisé son président à organiser une procédure d’appel d’offres afin de confier à un prestataire de services les prestations de « commercialisation et de montage électronique de toutes les sections de l’annuaire comportant des publicités » ;

Considérant, cependant, qu’il ressort du rapport n° 55-2005/OPT du 7 décembre 2005 présenté au conseil d’administration par son président au cours de la séance du même jour que la société Club Editions Polynésie a été présentée comme le « prestataire proposé » pour reprendre la régie publicitaire de l’annuaire officiel, la « convention à signer avec cette société (étant) présentée en annexe » ; qu’il résulte d’un échange de courriels datés du 25 novembre 2005 entre certains dirigeants de l’Office et M. Haddad que le projet de contrat avec la société Club Editions Polynésie, qui ne présentait pas de liens apparents avec les entreprises détenues par M. Haddad, avait été en réalité négocié avec ce dernier ; que M. Teriierooiterai a reconnu que M. Haddad et l’un de ses proches lui avaient remis, au cours de deux entrevues ayant eu lieu à la fin de l’année 2005 et au début de l’année 2006, des sommes en espèces pour un montant total de 7 millions de francs CFP, soit 58 660 euros, en échange de l’obtention de ce marché ; que M. Teriierooiterai a également a admis avoir conservé 2 millions de francs CFP, soit 16 760 euros, et remis les espèces restantes à M. Vernaudon ;

Considérant que ce marché a été signé le 28 février 2006 par M. Matahi Brothers, directeur général de l’Office avec le représentant de la société Club Editions Polynésie, alors même que celui-ci avait déclaré s’appuyer sur les éléments humains et matériels du précédent régisseur ;

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier, que la procédure d’appel d’offres préalablement mise en œuvre a été menée dans le but exclusif de fournir des apparences de mise en concurrence ;

Considérant qu’il suit de là que le marché a été conclu en méconnaissance des dispositions de l’article D. 311-5 du code des postes et télécommunications en Polynésie française, dans sa rédaction alors applicable, en vertu desquelles les marchés passés par l’OPT de la Polynésie française « respectent les principes d’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures » et « l’efficacité de la commande et la bonne utilisation des budgets alloués en ce domaine sont assurées par la définition préalable des besoins, la mise en concurrence, ainsi que par le choix de l’offre économiquement la plus avantageuse compte tenu de la qualité des prestations proposées » ;

Considérant qu’il ressort des stipulations de ce marché que la société Club Editions Polynésie a été chargée, pour l’édition 2006 des annuaires, de missions analogues à celles assurées par le précédent régisseur ; qu’aux termes des articles 12 et 13 du contrat, la société s’engageait à réaliser un minimum de recettes de 155 millions de francs CFP, sa commission étant fixée à 26 % des recettes ; que selon l’article 11 du contrat, le régisseur assurait le recouvrement des recettes au nom de l’OPT de la Polynésie française en s’engageant à transmettre les moyens de paiement à l’établissement public dans les 90 jours suivant la parution de l’annuaire officiel ; qu’un avenant au contrat, signé le 27 mars 2006 par M. Teriierooiterai au nom de l’OPT de la Polynésie française, a prolongé la durée de ce contrat de trois ans, en chargeant la société Club Editions Polynésie de la régie publicitaire pour les éditions 2007, 2008 et 2009 des annuaires ; que son montant estimé était de 150 millions de francs CFP (1 257 000 euros) ;

Considérant qu’ayant bouleversé l’économie du contrat initial, la conclusion de cet avenant caractérise une atteinte au principe d’égal accès à la commande publique rappelé par l’article D. 311-5 du code des postes et télécommunications en Polynésie française ; que, de plus, cet acte n’a pas été précédé d’une délibération du conseil d’administration de l’organisme qui devait en autoriser la signature en application de l’article 5.4 de l’arrêté du 19 novembre 2003 précité, dès lors qu’il portait sur des engagements cumulés dépassant la somme de 100 millions de francs CFP (838 000 euros) ;

Considérant enfin que, par délibération n° 17-2006/OPT du 4 décembre 2006, le conseil d’administration de l’Office a autorisé son président à engager les procédures visant à « faire annuler » le contrat conclu avec la société Club Editions Polynésie ; que, selon la déclaration faite par l’établissement public au représentant des créanciers de cette société, alors placée en liquidation judiciaire, le total des sommes non recouvrées par l’OPT de la Polynésie française du fait de cette société s’établit à 47 718 230 francs CFP (399 878 euros) ;

2 – Sur la qualification et les responsabilités

Considérant qu’aux termes de l’article L. 313-3 du code des juridictions financières : « Toute personne visée à l'article L. 312-1 qui aura engagé des dépenses sans en avoir le pouvoir ou sans avoir reçu délégation de signature à cet effet sera passible de l'amende prévue à l'article L. 313-1 » ;

Considérant que la signature du contrat de transaction par lequel l’OPT de la Polynésie française s’est reconnu redevable d’indemnités vis-à-vis de la société Yellow on Line et celle de l’avenant, signé le 27 mars 2006, qui a prolongé de trois ans la durée du contrat conclu avec la société Club Editions Polynésie, caractérisent un engagement de dépenses sans habilitation du conseil d’administration, en méconnaissance des articles 5.3 et 5.4 de l’arrêté n°1731 CM du 19 novembre 2003 relatif à l’organisation et aux règles de fonctionnement de l’ Office des postes et des télécommunications ; que l’information délivrée le 7 décembre 2005 au conseil d’administration ne saurait tenir lieu d’habilitation ; que ces actes sont constitutifs des infractions réprimées par les articles L. 313-3 et L. 313-4 du code des juridictions financières ;

Considérant que la responsabilité de M. Teriierooiterai, qui a ainsi procédé à des dépenses de l’établissement public sans habilitation préalable du conseil d’administration, est engagée sur le fondement des articles L. 313-3 et L. 313-4 du code des juridictions financières ;

Considérant par ailleurs que M. Teriierooiterai n’a entrepris aucune diligence afin de contraindre la société Yellow on Line à respecter ses engagements, et a tardé à prononcer la résiliation du contrat, alors qu’il connaissait les difficultés rencontrées dans son exécution financière ; que M. Teriierooiterai a signé avec le représentant de cette société un contrat de transaction qui reconnaît à l’entreprise un droit à indemnité ne reposant sur aucune justification objective et portant par là-même atteinte aux intérêts de l’office ; qu’il est à l’initiative de l’attribution irrégulière du marché conclu avec la société Club Editions Polynésie ; qu’il résulte de ces actes une infraction aux règles relatives à l'exécution des dépenses de l’établissement public ainsi que l’octroi d’avantages injustifiés à ces deux sociétés entrainant un préjudice pour l’établissement public au sens des dispositions respectives des articles L. 313-4 et L.  313-6 du code des juridictions financières ;

Considérant ainsi que la responsabilité de M. Teriierooiterai est engagée sur le fondement des articles L. 313-4 et L. 313-6 du code des juridictions financières ;

Considérant que M. Delanne, agent comptable de l’OPT de la Polynésie française, puis chef de son service comptable à compter du 1er mai 2005, n’a pas accompli toutes les diligences nécessaires au recouvrement de l’ensemble des sommes dues à l’établissement public ; que toutefois, au cours de la période non prescrite, M. Delanne a accompli certaines de ces diligences et a obtenu du débiteur qu’il procède à des reversements partiels ; que, dès lors, les défaillances mises au jour ne sont pas d’une gravité suffisante pour engager la responsabilité de M. Delanne sur le fondement des articles L. 313-4 et L. 313-6 du code des juridictions financières ;

Sur les circonstances

Considérant que les pressions morales invoquées par M. Teriierooiterai ne peuvent, en l’espèce, atténuer la responsabilité de ce dernier auquel il appartenait de ne pas y céder ou de quitter ses fonctions ;

Considérant en revanche que le profit personnel tiré par M. Teriierooiterai de la commission des irrégularités relevées à l’occasion de l’attribution du marché susmentionné à la société Club Editions Polynésie est de nature à aggraver sa responsabilité ;

Sur l’amende

Considérant qu’il sera fait une juste appréciation des irrégularités commises et des circonstances de l’espèce, compte tenu des sanctions pécuniaires déjà infligées par le juge pénal, en infligeant à M. Teriierooiterai une amende de 20 000 € ;

Sur la publication au Journal officiel de la République française

Considérant qu’il y a lieu, au vu des circonstances de l'espèce, de publier le présent arrêt au Journal officiel de la République française en application de l’article L. 314-20 du code des juridictions financières ;

ARRÊTE :

Article 1er : M. Alphonse Teriierooiterai est condamné à une amende de 20 000 € (vingt mille euros) ;

Article 2 : M. Patrick Delanne est relaxé des fins de la poursuite ;

Article 3 : Le présent arrêt sera publié au Journal officiel de la République française.

Délibéré par la Cour de discipline budgétaire et financière, seconde section, le 21 juin deux mil treize par M. Toutée, président de la section des finances du Conseil d’Etat, président ; M. Duchadeuil et Mme Vergnet, conseillers maîtres à la Cour des comptes, M. Prieur, conseiller d'État, et M. Geoffroy, conseiller maître à la Cour des comptes.

Lu en séance publique le 15 juillet 2013.

En foi de quoi, le présent arrêt a été signé par le vice-président de la Cour et la greffière.

En conséquence, la République mande et ordonne à tous huissiers de justice sur ce requis de mettre ledit arrêt à exécution, aux procureurs généraux et aux procureurs de la République près les tribunaux de grande instance d’y tenir la main, à tous les commandants et officiers de la force publique de prêter main-forte lorsqu’ils en seront légalement requis.

Le président,
Henri TOUTEE

La greffière,
Isabelle REYT