LA COUR,

Vu la loi n° 48-1484 du 25 septembre 1948 modifiée, tendant à sanctionner les fautes de gestion commises à l'égard de l'Etat et de diverses collectivités et portant création de la Cour de discipline budgétaire et financière ;

Vu la décision prise par la Cour des comptes (Première Chambre) à sa séance du 19 mars 1970 de saisir la Cour de discipline budgétaire et financière des irrégularités reprochées à MM MASSIP, inspecteur général de l'administration de l'éducation nationale, Directeur de l'Union des Groupements d'achats publics (UGAP), de ROCQUIGNY et BERTHOME, agents contractuels de ce service administratif, irrégularités qui ont affecté le fonctionnement dudit service et rendu possible un préjudice dont l'Etat a dû supporter la réparation ;

Vu le réquisitoire du Procureur général de la République en date du 18 décembre 1970 transmettant le dossier à la Cour de discipline budgétaire et financière ;

Vu la décision du 26 mars 1971 par laquelle M DUPUCH, maître des requêtes au Conseil d'Etat, a été nommé rapporteur ;

Vu les accusés de réception des lettres n° 524, 525 et 526 adressées le 1er juin 1971 respectivement à MM de ROCQUIGNY, BERTHOME et MASSIP les informant de l'ouverture d'une instruction et les avisant qu'ils étaient autorisés à se faire assister soit par un mandataire, soit par un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ;

Vu l'avis émis par le ministre de l'éducation nationale en date du 20 avril 1972 ;

Vu l'avis émis par le ministre de l'économie et des finances le 3 mai 1972 ;

Vu le procès-verbal de la réunion en date du 18 octobre 1972 de la Commission paritaire de l'inspection générale de l'administration de l'éducation nationale ;

Vu les accusés de réception des lettres n° 3011, 3012 et 3013 en date du 10 novembre 1972, adressées respectivement à MM MASSIP, de ROCQUIGNY et BERTHOME, les avisant qu'ils pouvaient, dans un délai de 15 jours, prendre connaissance du dossier de l'affaire ;

Vu l'accusé de réception de la lettre n° 3068 en date du 4 juin 1973 avisant M MASSIP qu'il pouvait, dans un délai de 15 jours, prendre connaissance du dossier de l'affaire ;

Vu le mémoire en défense en date du 7 décembre 1972, présenté par M de ROCQUIGNY ;

Vu le mémoire en défense en date du 20 décembre 1972, présenté par M BERTHOME ;

Vu le mémoire en défense en date du 13 juin 1973, présenté par M MASSIP ;

Vu les conclusions du Procureur général de la République en date du 4 juillet 1972, renvoyant MM MASSIP, de ROCQUIGNY et BERTHOME devant la Cour de discipline budgétaire et financière ;

Vu la lettre en date du 30 octobre 1973 de M le Premier président de la Cour des comptes, président de la Cour de discipline budgétaire et financière, autorisant M de ROCQUIGNY à ne pas comparaître personnellement à l'audience, et lui indiquant qu'il peut se faire représenter, faculté dont l'intéressé n'a pas fait usage ;

Vu le code des marchés publics ;

Vu le décret n° 68-54 du 17 janvier 1968 ;

Vu la loi n° 69-700 du 30 juin 1969 ;

Vu l'ensemble des pièces qui figurent au dossier et notamment les procès-verbaux d'interrogatoire de MM MASSIP, de ROCQUIGNY et BERTHOME ;

Ouï M DUPUCH, maître des requêtes au Conseil d'Etat, en son rapport ;

Ouï M le Procureur général de la République en ses conclusions ;

Ouï en leurs explications MM MASSIP et BERTHOME ;

Ouï M le Procureur général de la République en ses réquisitions ;

Ouï en leurs observations MM MASSIP et BERTHOME, les intéressés ayant eu la parole les derniers ;

Considérant qu'à titre expérimental et dans le but de préparer la création d'une Union des groupements d'achats publics (UGAP), une circulaire interministérielle du 22 février 1966 a prescrit le regroupement, sous l'égide du secrétariat général de la commission centrale des marchés, d'une partie du service des domaines du ministère de l'économie et des finances, et du service des groupements d'achats de matériels (SGAM) du ministère de l'éducation nationale, étant précisé qu'en attendant la définition des modalités particulières de gestion de l'UGAP, aucune modification ne serait apportée aux règles de fonctionnement des services administratifs concernés ;

Considérant que par décret n° 68-54 en date du 17 janvier 1968 "l'Union des groupements d'achats publics" (UGAP) a été constituée sous la forme d'un service administratif à vocation interministérielle, dépendant du ministre de l'économie et des finances ; qu'en application de l'article 4 dudit décret, le service est placé sous l'autorité d'un directeur nommé par décret et ayant pour mission d'en définir l'organisation interne et de répartir les agents entre les diverses fonctions à remplir ; que ce directeur est désigné comme "personne responsable" des marchés passés par le service, au sens de l'article 44 du code des marchés publics, et institué ordonnateur du compte spécial de commerce créé par l'article 82 de la loi de finances pour l'exercice 1968 ; que le directeur de l'UGAP est autorisé, en cas d'absence ou d'empêchement, et sous sa responsabilité, à déléguer sa signature à l'un de ses adjoints ;

Considérant que M MASSIP, Inspecteur général de l'administration de l'éducation nationale, placé depuis 1955 à la tête du service de groupement d'achats des matériels de l'éducation nationale, maintenu à ce poste pendant la période expérimentale de fonctionnement, consécutive à la circulaire inter-ministérielle précitée en date du 22 février 1966, a été chargé de mettre en place le nouveau service dont il a été nommé directeur par décret du 17 janvier 1968 ;

Considérant que, pour satisfaire aux demandes des administrations et collectivités ayant recours à son intermédiaire, l'UGAP, soumise aux dispositions du code des marchés publics en tant que service administratif, a utilisé la procédure des marchés à commandes et des marchés de clientèle prévue à l'article 76 dudit code ; qu'elle a ainsi, de 1966 à 1968, conclu avec les établissements DUBOIS, fabricants de rayonnages et d'équipements de bureau, plusieurs marchés à commandes et un marché de clientèle ;

Considérant qu'en vertu de l'article 192 du code des marchés publics "les titulaires des marchés, ainsi que les bénéficiaires des nantissements... peuvent, au cours de l'exécution dudit marché, requérir de l'administration compétente soit un état sommaire des travaux et fournitures effectuées, appuyé d'une évaluation qui n'engage pas l'administration, soit le décompte des droits constatés au profit de l'entrepreneur ou du fournisseur. Le fonctionnaire chargé de fournir ces divers renseignements est désigné dans le marché" ;

Considérant que les établissements DUBOIS, usant de la faculté ouverte par l'article 192 précité du code des marchés publics, ont remis les marchés passés avec l'UGAP en nantissement à la banque BORGEAUD, en garantie des avances que cet établissement de crédit leur consentait au vu des attestations de décompte de droits constatés dont la délivrance était requise de l'UGAP par ce fournisseur ;

Considérant que, sur autorisation donnée par M MASSIP, lesdites attestations de décompte de droits constatés ont été signées par M de ROCQUIGNY, agent contractuel qui exerça les fonctions de chef de bureau de l'ordonnancement de l'UGAP jusqu'au 12 février 1968, date de sa mise à la retraite, et par M BERTHOME, également agent contractuel, adjoint au précédent, qui signa plusieurs attestations concurremment avec lui et devint, après le 12 janvier 1968, son successeur ;

Considérant qu'entre le 8 juin et le 15 juillet 1968, MM de ROCQUIGNY et BERTHOME ont ainsi délivré sous leur signature au profit des établissements DUBOIS, de nombreuses attestations de décompte de droits constatés, qu'ils certifièrent correspondre au montant des fournitures livrées à l'UGAP en exécution des marchés signés avec ces fournisseurs, et au montant de la créance censée être détenue en conséquence par les établissements DUBOIS ;

Considérant que ces attestations ont été établies dans des conditions critiquables et qui ne présentaient aucune garantie d'exactitude ; qu'elles étaient délivrées sur la foi de simples déclarations du fournisseur et sans qu'aucune précaution même élémentaire fût prise pour s'assurer de leur véracité ; que, dans de telles conditions, le montant cumulé desdites attestations, dont le service ne conservait d'ailleurs aucune trace dans ses archives, a rapidement dépassé les droits véritables du fournisseur ; qu'il n'est pas contesté que la différence entre lesdits droits et les sommes effectivement avancées par la banque BORGEAUD aux établissements DUBOIS s'est élevée à 1 344 260,32 francs ;

Considérant que l'UGAP ne découvrit que tardivement de telles pratiques, après que la banque BORGEAUD, inquiète de l'écart croissant qu'elle constatait entre les sommes avancées par elle aux établissements DUBOIS sur la foi desdites attestations et les paiements qu'elle recevait de l'UGAP en vertu de sa subrogation après nantissement aux droits des établissements DUBOIS, eût recherché les causes de tels retards ; qu'il est constant que lesdites pratiques ont causé un préjudice à la banque dont il s'agit, que l'Etat, à la suite de la défaillance des établissements DUBOIS, a dû indemniser, après transaction à concurrence d'une somme de 624 566,45 francs en principal, à laquelle se sont ajoutés les intérêts de retard ;

Considérant que la procédure de délivrance des attestations de décompte de droits constatés au profit du titulaire d'un marché nanti, doit être conforme aux dispositions de l'article 192 précité du code des marchés publics ; que lesdites attestations constituent un élément de la procédure édictée au titre III du code des marchés publics pour le financement des marchés, lequel fixe l'ensemble des règles de toute nature régissant l'exécution des dépenses de l'Etat afférentes aux marchés de travaux et de fournitures ;

Considérant, en effet, que les attestations de décompte de droits constatés ont pour objet, non de donner au tiers prêteur une information d'ordre général et évaluatif sur l'état d'une créance présumée, mais bien de certifier qu'à cette phase de l'exécution de la dépense publique, l'administration reconnaît l'existence d'un service ouvrant droit à paiement, pour un montant dont elle atteste l'exactitude et la conformité avec les éléments comptables qui servent de base à la liquidation et au mandatement, opérations que l'ordonnateur est chargé d'effectuer selon les modalités prévues au décret du 29 décembre 1962 portant règlement général sur la comptabilité publique ; qu'ainsi la délivrance des attestations de décompte de droits constatés est partie intégrante d'une procédure de règlement de la dépense publique, laquelle, en application de l'article 190 du code des marchés publics, a pour objet de conférer au bénéficiaire du nantissement le droit de recevoir directement, à concurrence du montant de ses avances, les sommes que l'organisme public doit à son fournisseur ;

Considérant que de tout ce qui précède il résulte que l'inobservation des règles prescrites en matière de délivrance des attestations de décompte de droits constatés, laquelle, comme toute certification, engage la responsabilité de l'ordonnateur ou de son délégué en vertu de l'article 7 du décret du 29 décembre 1962 ci-dessus mentionné, constitue une infraction aux règles d'exécution des dépenses de l'Etat au sens de l'article 5 de la loi du 25 septembre 1948, alors même que les paiements qui sont ultérieurement intervenus au titre des marchés en cause ont bien été fondés sur des constatations conformes aux droits réels du fournisseur ;

Considérant que la délivrance par l'UGAP, dans les conditions ci- dessus décrites, de documents faisant apparaître une liquidation arronée de la dépense, avec les conséquences gravement dommageables qu'elle a eues pour le Trésor, était d'autant plus repréhensible que l'article 192 précité du code des marchés publics permettait à l'organisme de ne délivrer qu'un état sommaire des travaux et fournitures effectués, appuyé d'une évaluation qui n'engage pas l'administration ; qu'en négligeant cette faculté, alors qu'ils ne pouvaient ignorer le caractère précaire des renseignements dont ils disposaient, les fonctionnaires responsables ont témoigné de légèreté et ont accordé à leurs fournisseurs une excessive confiance dont, en l'espèce, l'un d'eux a largement abusé ;

Considérant que les infractions relevées doivent être imputées à M de ROCQUIGNY et à M BERTHOME, signataires des documents en cause ; que, nonobstant leur situation subordonnée vis-à-vis de M MASSIP, leur responsabilité propre se trouve engagée du fait même de leurs attributions ; qu'étant habilités à signer les attestations de décompte de droits constatés, il appartenait à ces deux agents d'utiliser les moyens dont ils disposaient, pour imparfaits qu'ils fussent, en vue d'assurer le contrôle de la situation qu'ils certifiaient ;

Considérant que M MASSIP doit personnellement répondre des actes effectués par des agents qui étaient autorisés par lui à signer en son nom, et sous sa responsabilité, les attestations de décompte de droits constatés ; qu'étant le chef du service, il lui incombait en effet de déterminer l'organisation interne de celui-ci, de répartir les tâches entre les agents placés sous ses ordres et de définir les règles applicables aux diverses activités ; que les infractions commises n'ont été rendues possibles qu'en raison de cette organisation défectueuse ; que, par suite, M MASSIP est responsable des infractions commises par ses subordonnés a gissant en son nom ; qu'à ce titre, il a lui-même enfreint les règles d'exécution des dépenses de l'Etat et doit être réputé passible des sanctions prévues à l'article 5 de la loi du 25 septembre 1948 ;

Considérant qu'il sera fait une juste appréciation des circonstances de l'affaire en infligeant à M MASSIP une amende de 2000 F et à M de ROCQUIGNY une amende de 200 F ;

Considérant que, pour les faits ci-dessus relatés, M BERTHOME a déjà subi une sanction administrative de la part de son chef de service ; qu'il sera fait, dès lors, une suffisante appréciation des responsabilités qu'il encourt en lui inligeant une amende de 1 F.

ARRETE :

Article 1er - M MASSIP est condamné à une amende de deux mille francs.

Article 2 - M de ROCQUIGNY est condamné à une amende de deux cents francs.

Article 3 - M BERTHOME est condamné à une amende d'un franc.