LA COUR,

Vu la loi n° 48-1484 du 25 septembre 1948 modifiée tendant à sanctionner les fautes de gestion commises à l'égard de l'Etat et de diverses collectivités et portant création d'une Cour de discipline budgétaire et financière ;

Vu la décision du 22 mars 1979, enregistrée au Parquet de la Cour de discipline budgétaire et financière le 26 avril 1979, par laquelle la Cour des comptes a déféré à ladite Cour les irrégularités commises par le docteur Paul MARTIN, médecin-conseil régional, chef du service du contrôle médical régional de Nancy, et par M Jean-Paul DEMOGET, secrétaire général dudit service ;

Vu le réquisitoire du procureur général de la République en date du 28 décembre 1979, transmettant le dossier à la Cour de discipline budgétaire et financière ;

Vu la décision du président de la Cour de discipline budgétaire et financière en date du 10 janvier 1980, par laquelle Mme LATOURNERIE, maître des requêtes au conseil d'Etat, a été nommée rapporteur ;

Vu les accusés de réception des lettres recommandées adressées le 25 mars 1980 à M le docteur MARTIN et à M DEMOGET, les informant de l'ouverture d'une instruction et les avisant qu'ils étaient autorisés à se faire assister soit par un mandataire, soit par un avocat ou un avoué, soit par un avocat au conseil d'Etat et à la Cour de cassation ;

Vu l'avis émis le 25 juin 1981 par le directeur de la caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés ;

Vu l'avis émis le 3 novembre 1981 par le ministre délégué chargé du budget ;

Vu l'avis émis le 20 novembre 1984 par le ministre des affaires sociales et de la solidarité nationale ;

Vu les conclusions du procureur général de la République en date du 24 décembre 1984 renvoyant M le docteur MARTIN et M DEMOGET devant la Cour de discipline budgétaire et financière ;

Vu les mémoires en défense présentés pour M DEMOGET et pour M le docteur MARTIN ;

Vu la décision du président de la Cour de discipline budgétaire et financière, en date du 4 juillet 1985, désignant M FOURRE, conseiller d'Etat, comme rapporteur ;

Vu l'ensemble des pièces figurant au dossier ;

Vu la loi n° 81-736 du 4 août 1981 portant amnistie ;

Vu le décret n° 67-1230 du 22 décembre 1967 portant application des dispositions de l'ordonnance n° 67-706 du 21 août 1967 relative à l'organisation de la sécurité sociale ;

Vu le décret n° 68-401 du 30 avril 1968 relatif au contrôle médical du régime général de la sécurité sociale ;

Vu le code des marchés publics ;

M DEMOGET ayant été autorisé par le président de la Cour à ne pas comparaître personnellement à l'audience, en application du 3ème alinéa de l'article 23 de la loi susvisée du 25 septembre 1948 ;

Entendu M FOURRE, conseiller d'Etat, en son rapport ;

Entendu M le Procureur général de la République en ses conclusions et réquisitions ;

Entendu en leurs observations Me MICHEL, avocat à la Cour d'appel de Nancy pour M DEMOGET, Me MOLINIE, avocat au conseil d'Etat et à la Cour de cassation pour M le docteur MARTIN, ainsi que M le docteur MARTIN, les intéressés et leurs Conseils ayant eu la parole les derniers ;

Sur la compétence de la Cour à l'égard de MM MARTIN et DEMOGET

Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la loi du 25 septembre 1948 susvisée, "est justiciable de la Cour de discipline budgétaire et financière... tout agent des organismes qui sont soumis au contrôle de la Cour des comptes" ; qu'aux termes de l'article 2 du décret du 30 avril 1968 susvisé, "le contrôle médical du régime général de la sécurité sociale constitue un service national organisé et dirigé" par la Caisse nationale de l'assurance maladie ; que la Caisse nationale de l'assurance maladie est soumise au contrôle de la Cour des comptes, en application de l'article 1er de la loi n° 67-483 du 22 juin 1967 modifiée relative à la Cour des comptes ; que dès lors le docteur MARTIN, chef du service du contrôle médical régional de Nancy, est, en cette qualité, justiciable de la Cour de discipline budgétaire et financière ; qu'il en va de même de M DEMOGET, secrétaire général dudit service, nonobstant la circonstance qu'il n'en était ni ordonnateur, ni comptable, et n'y a jamais disposé de délégation de signature ;

Sur l'amnistie

Considérant que les faits qui sont à l'origine du renvoi de M DEMOGET et du docteur MARTIN devant la Cour de discipline budgétaire et financière étaient susceptibles d'entraîner leur condamnation aux amendes infligées aux auteurs des infractions définies aux articles 2 à 8 de la loi susvisée du 25 septembre 1948, et que l'article 29 de la même loi assimile aux amendes prononcées par la Cour des comptes en cas de gestion de fait ; que ces amendes ne sont pas des sanctions disciplinaires ou professionnelles, au sens de la loi du 4 août 1981 portant amnistie, non plus que des sanctions de nature pénale ; que par suite est inopérant le moyen tiré par le Dr MARTIN de ce que l'article 28 de cette loi n'exclurait pas expressément du bénéfice de l'amnistie les infractions aux règles relatives à l'exécution des recettes et dépenses publiques ;

Au fond

Considérant qu'aux termes de l'article 5 de la loi susvisée du 25 septembre 1948 "toute personne visée à l'article 1er ... qui ... aura enfreint les règles relatives à l'exécution des ... dépenses ... des organismes visés à l'article 1er ... sera passible d'une amende dont le minimum ne pourra être inférieur à 100 francs ..." ;

Considérant qu'aux termes de l'article 6 de la même loi, "toute personne visée à l'article 1er qui, dans l'exercice de ses fonctions ou attributions, aura, en méconnaissance de ses attributions, procuré à autrui un avantage injustifié, pécuniaire ou en nature, entraînant un préjudice pour ... l'organisme intéressé ... sera passible d'une amende dont le minimum ne pourra être inférieur à 500 F" ;

Considérant qu'entre le mois de décembre 1972 et le mois d'avril 1975, le service du contrôle médical de Nancy a commandé quinze fichiers rotatifs ;

Considérant que les commandes de huit de ces quinze fichiers ont été passées après le 26 avril 1974, et ne sont donc pas atteintes par la prescription de cinq ans édictée par l'article 30 de la loi du 25 septembre 1948 modifiée ;

Considérant que ces commandes, en date du 1er août 1974, du 5 mars 1975 et du 23 avril 1975, ont été faites pour des montants respectifs de 292 915 Francs, 203368 francs et 206368 francs ; que l'engagement en était constitué par un simple "avis d'engagement" adressé au fournisseur, en réponse à l'envoi par celui-ci d'une facture dite "pro forma" valant devis, indiquant le coût total de la commande, et ne comportant ni délai de livraison, ni clause de révision ; qu'aucun marché n'a été établi ;

Considérant que cependant l'article 123 du code des marchés, applicable aux termes de l'article 64 du décret susvisé du 22 décembre 1967, à la caisse nationale de l'assurance maladie, dont le contrôle médical est un service, exigeait la passation d'un marché chaque fois que la commande portait sur une somme supérieure à 30000 francs, puis à 50000 francs après l'entrée en vigueur du décret du 30 janvier 1975 ; que les commandes en cause tombent donc sous le coup de l'article 5 susmentionné ;

Considérant qu'à la suite de ces trois "avis d'engagement", ont été versés des acomptes à la commande s'élevant à 39 % du montant du prix facturé pour le premier, et de 49 % pour chacun des deux autres, en violation de l'article 154 du code des marchés limitant à 5 % le montant des avances, et sans qu'aucune justification de débours puisse faire regarder ces avances comme des acomptes ; que sur les huit fichiers en cause, un seul a été livré par le fournisseur, trois ne l'ont jamais été, et quatre ne l'ont été que par la société venue aux droits du fournisseur après sa liquidation ; que le prix définitif payé pour la première des trois commandes en cause s'est largement écarté du prix à la commande, sans qu'aucune justification fût fournie ;

Considérant qu'au cours de la même période non prescrite, deux règlements définitifs de commandes antérieures, pour quatre fichiers, sont intervenus, pour des montants supérieurs aux prix initialement stipulés et sans aucune justification de cette augmentation ; que l'un de ces règlements, portant sur deux fichiers, a été effectué en l'absence de livraison du matériel ;

Considérant que, en juillet 1977, un certificat attestant faussement la livraison, non intervenue à cette date, de cinq fichiers, a été établi pour en justifier le paiement ;

Considérant que l'ensemble de ces faits tombent sous le coup de l'article 5 de la loi du 25 septembre 1948 modifiée ;

Considérant que le règlement des factures des cinq fichiers non livrés, pour une somme de 452938,18 F, a procuré au fournisseur un avantage injustifié qui tombe sous le coup des dispositions de l'article 6 de la même loi ;

Considérant que, en application de l'article 8 du décret susvisé du 30 avril 1968 et du règlement intérieur du 30 juin de la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés, les dépenses d'équipement des échelons régionaux du contrôle médical doivent respecter les termes d'un programme préalable arrêté par la Caisse nationale ; que le service de Nancy a sciemment enfreint ces dispositions dans la répartition qu'il a faite, à son gré, des fichiers rotatifs livrés ;

Considérant que cette infraction aux règles d'exécution de la dépense par le docteur MARTIN tombe sous le coup de l'article 5 susmentionné ;

Considérant que les commandes, et les ordres de paiement des acomptes et des règlements définitifs, ont été signés par le docteur MARTIN, qui doit être tenu pour responsable des irrégularités qui les entachaient et de l'acquittement de factures en l'absence de service fait ; qu'il doit être, toutefois, relevé une carence de M DEMOGET dans son devoir de conseil, en sa qualité de secrétaire général, chargé des questions administratives et financières et prenant part aux négociations avec le fournisseur ; qu'il y a lieu de tenir compte de la désorganisation du contrôle comptable local, ainsi que du défaut de rigueur dans l'organisation générale du contrôle médical et dans les directives adressées par la caisse nationale à ce service ; d'autre part, qu'en acceptant de signer la mensongère attestation de livraison susmentionnée, M DEMOGET a engagé sa responsabilité, quels que soient les motifs qui l'aient conduit, deux ans après les paiements irréguliers, à certifier l'existence de livraisons qui n'avaient pas eu lieu ;

Considérant qu'il sera fait une juste appréciation de l'ensemble des circonstances de l'affaire en infligeant au docteur MARTIN une amende de 5000 francs et à M DEMOGET une amende de 2 000 francs ;

ARRETE :

Article 1er : M le docteur Paul MARTIN est condamné à une amende de 5 000 F.

Article 2 : M Jean-Paul DEMOGET est condamné à une amende de 2000 F.

Article 3 : Le présent arrêt sera publié au Journal officiel de la République française.