Vu la loi n° 48-1484 du 25 septembre 1948 modifiée, tendant à sanctionner les fautes de gestion commises à l'égard de l'Etat et de diverses collectivités et portant création d'une Cour de discipline budgétaire et financière ;
Vu la décision en date du 14 mars 1974, enregistrée au Parquet de la Cour de discipline budgétaire et financière le 29 mai suivant, par laquelle la Cour des comptes (Cinquième Chambre) a saisi la Cour de discipline budgétaire et financière des irrégularités constatées dans la gestion de la Caisse interprofessionnelle, commerciale et industrielle d'allocations vieillesse (CICIAV) de Béthune dont le conseil d'administration était présidé par M Gustave DELEAU ;
Vu le réquisitoire du Procureur général de la République en date du 4 juin 1974 transmettant le dossier à la Cour de discipline budgétaire et financière ;
Vu la décision du Président de la Cour, en date du 11 juin 1974, par laquelle M OLIVIER, maître des requêtes au Conseil d'Etat, a été nommé rapporteur ;
Vu l'avis de réception de la lettre adressée le 27 février 1975 à M Gustave DELEAU l'informant de l'ouverture d'une instruction et l'avisant qu'il était autorisé à se faire assister soit par un mandataire, soit par un avocat ou un avoué, soit par un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ;
Vu l'avis émis le 5 mars 1976 par le ministre du travail ;
Vu l'avis émis le 9 juin 1976 par le ministre de l'économie et des finances ;
Vu les conclusions du Procureur général de la République en date du 5 octobre 1976 renvoyant M DELEAU devant la Cour de discipline budgétaire et financière ;
Vu l'avis de réception de la lettre adressée le 5 octobre 1976 à M DELEAU en exécution des dispositions de l'article 22, alinéas 2 et 3, de la loi susvisée du 25 septembre 1948 ;
Vu le mémoire en défense en date du 23 novembre 1976 présenté pour M DELEAU par Me Philippe SPHYRAS, avocat à la Cour d'appel de Paris ;
Vu l'ensemble des pièces qui figurent au dossier et notamment le procès-verbal d'interrogatoire de M DELEAU ;
Ouï M OLIVIER, maître des requêtes au Conseil d'Etat en son rapport ;
Ouï le Procureur général de la République en ses conclusions ;
Ouï en ses explications M DELEAU, assisté de Me SPHYRAS ;
Ouï le Procureur général en ses réquisitions ;
Ouï en leurs observations Me SPHYRAS et M DELEAU, les intéressés ayant eu la parole les derniers ;
Sur la compétence de la CourConsidérant qu'aux termes de l'article 1er de la loi du 25 septembre 1948 modifiée par la loi n° 71-564 du 13 juillet 1971, "est justiciable de la cour de discipline budgétaire et financière... tout représentant, administrateur ou agent des organismes qui sont soumis... au contrôle de la Cour des comptes..." ; que l'avant-dernier alinéa du même article 1er exclut de la compétence de la Cour de discipline budgétaire et financière les administrateurs élus des organismes de sécurité sociale à la condition qu'ils n'exercent pas les fonctions de président, alors que M DELEAU était effectivement investi de celles-ci ; que la circonstance que le directeur d'une caisse relevant de l'organisation autonome d'allocation de vieillesse des professions industrielles et commerciales soit investi de compétences propres n'est pas de nature à faire échapper le président du conseil d'administration d'un tel organisme à la juridiction de la Cour ;
Sur la régularité de la procédure
Considérant, d'une part, qu'aucune disposition de la loi du 25 septembre 1948 ni aucun principe général de droit ne faisaient obligation au rapporteur de provoquer des confrontations entre les personnes qu'il avait entendues séparément ;
Considérant, d'autre part, que M DELEAU a eu communication de toutes les pièces du dossier ; qu'il n'est même pas allégué que certaines de ces pièces présentent à l'égard de l'intéressé un caractère injurieux ou diffamatoire qui eût, seul, été de nature à justifier leur distraction du dossier ;
Sur la responsabilité encourue par M DELEAU
En ce qui concerne les avantages d'ordre personnel :
Considérant que, dans les circonstances de l'affaire, et en raison de la faible importance des avantages en nature dont M DELEAU a indûment bénéficié, il n'y a pas lieu de retenir à la charge de celui- ci une infraction aux dispositions de l'article 5 de la loi du 25 septembre 1948 ;
En ce qui concerne les avantages procurés à la société mutualiste "Sécurité familiale des petites et moyennes entreprises du nord de la France" (Sé - Fa - PME) :
Considérant qu'aux termes de l'article 6 de la loi du 25 septembre 1948 modifiée par la loi n° 71-564 du 13 juillet 1971, "toute personne visée à l'article 1er ci-dessus qui, dans l'exercice de ses fonctions ou attributions, aura, en méconnaissance de ses obligations, procuré à autrui un avantage injustifié, pécuniaire ou en nature, entraînant un préjudice pour le Trésor, la collectivité ou l'organisme intéressé... sera passible d'une amende..." ;
Considérant qu'en 1969, M DELEAU a pris l'initiative de créer une société mutualiste dénommée "Sécurité familiale des petites et moyennes entreprises du nord de la France" (Sé - Fa - PME) qui, jusqu'à ce qu'elle cesse pratiquement toute activité à la fin de l'année 1972, a été liée par convention avec les caisses régionales d'Arras et de Lille pour la gestion du régime d'assurance maladie des professions indépendantes non agricoles institué par la loi n° 66-509 du 12 juillet 1966 ; que, pendant toute cette période, la Sé - Fa - PME a été installée dans des locaux loués à la caisse interprofessionnelle, commerciale et industrielle d'allocation-vieillesse de Béthune (CICIAV) contigus à ceux occupés par les services de cette dernière ; que la Sé - Fa - PME a retiré de cette cohabitation de nombreux avantages sans contre-partie résultant, d'une part de la prise en charge par la CICIAV des frais de chauffage et d'électricité et de la majeure partie des frais de téléphone ainsi que des frais d'entretien et de nettoyage des locaux et, d'autre part, de la mise à disposition de mobilier, de matériel de bureau, d'imprimés et de fournitures ; qu'en outre la Sé - Fa - PME, qui ne disposait d'aucun personnel d'encadrement, a largement bénéficié de la collaboration d'agents de la CICIAV ; que tel a d'abord été le cas pour le directeur et l'agent-comptable de la CICIAV dont le concours a été partiellement prêté pendant les heures d'ouverture des bureaux de la CICIAV, sans que celle-ci en soit dédommagée ; qu'une collaboration plus large que les précédentes a été apportée, sans autre compensation financière qu'un versement de 500 F par mois à la CICIAV, par la secrétaire de M DELEAU à laquelle délégation avait été donnée pour la gestion de la Sé - Fa - PME ; qu'enfin, pendant les années 1971 et 1972, trois autres agents de la CICIAV ont en fait travaillé exclusivement pour la Sé - Fa - PME, sans qu'il en coûte rien à celle- ci ; que, par son ampleur et sa durée, l'aide ainsi apportée sous diverses formes à la Sé - Fa - PME n'a pas revêtu le caractère d'une simple aide à la mise en place du nouveau régime d'assurance maladie des professions indépendantes non agricoles, que l'avantage injustifié procuré à une société mutualiste participant à la gestion d'une autre branche de la sécurité sociale et dont l'objet statutaire débordait, d'ailleurs, l'exercice d'une telle activité, a entraîné un préjudice important pour la CICIAV de Béthune ;
Considérant que M DELEAU qui, depuis la création de la CICIAV de Béthune, présidait son conseil d'administration, avait reçu, notamment par délibérations des 23 juillet 1949 et 21 octobre 1955, une très large délégation pour régler les problèmes matériels d'installation et de fonctionnement des services ainsi que toutes questions relatives au personnel ; qu'il résulte de l'instruction et en particulier des témoignages recueillis au cours de celle-ci que M DELEAU, faisant pleinement usage de ces pouvoirs, ne laissait au personnel d'encadrement de la caisse qu'une marge d'initiative très restreinte pour tout ce qui allait au-delà de la gestion quotidienne des affaires ; que, dans ces conditions, M DELEAU n'a pu manquer de jouer un rôle essentiel dans l'instauration et la poursuite de pratiques profitables à la Sé - Fa - PME dont il était en même temps l'animateur ; que, s'il prétend qu'il n'a appris qu'après coup que d'autres agents que sa secrétaire, le directeur et l'agent-comptable de la CICIAV avaient prêté leur concours à la Sé - Fa - PME, cette assertion, que les fonctions mêmes assumées par l'intéressé à la tête des deux organismes en cause rendent peu vraisemblable, est contredite par les pièces du dossier et en particulier par une lettre en date du 3 juillet 1971 par laquelle le directeur de la CICIAV attirait son attention sur la nécessité de mettre fin aux confusions existant en matière de personnel entre la CICIAV et la Sé - Fa - PME ; qu'en agissant de la sorte, M DELEAU a méconnu les obligations lui incombant en vertu des statuts de la CICIAV et en particulier celle d'assurer la régularité du fonctionnement de la caisse ;
Considérant que les décrets n° 70-310 et 70-312 du 25 mars 1970 relatifs aux règles de fonctionnement et de gestion de l'organisation autonome d'allocation de vieillesse des professions industrielles et commerciales, s'ils ont visé à combler une lacune de cette réglementation en obligeant les caisses à avoir un directeur et un comptable et en déterminant l'étendue des tâches à assumer par ces agents sous le contrôle du conseil d'administration, n'ont pas eu pour objet et n'ont pu avoir pour effet d'exonérer le président de ce conseil des responsabilités qu'il tient des statuts de la caisse ; que, par sa délibération en date du 14 avril 1971, le conseil d'administration de la CICIAV de Béthune n'a fait que tirer les conséquences de l'entrée en vigueur des décrets précités en décidant de maintenir à son président toutes délégations non contraires aux nouvelles dispositions réglementaires ; que le procès-verbal du 1er juin 1971 dans lequel M DELEAU prétend trouver le constat d'un transfert de compétence du président au personnel de direction ne fait que relater l'installation du nouvel agent-comptable de la caisse ; que, si les décrets précités du 25 mars 1970 s'inscrivent dans la ligne d'une action entreprise par les pouvoirs publics pour délimiter plus clairement les compétences et responsabilités respectives du conseil d'administration d'une caisse et de son président, d'une part, et du personnel de direction, d'autre part, ces textes n'ont été accompagnés, dans l'immédiat, d'aucune mesure tendant à donner à ce personnel un minimum de garanties d'ordre statutaire ;
Considérant qu'au début de l'année 1970, M DELEAU a été victime d'un accident de santé et qu'il a dû subir en janvier 1971 une importante intervention chirurgicale ; que, si son état ne lui a plus permis de continuer à se rendre aussi souvent à Béthune, il résulte de l'instruction, d'une part, que l'intéressé est resté, par lettre ou par téléphone, en liaison étroite avec le personnel de direction qui n'a cessé de lui rendre compte des affaires et de recueillir ses directives et, d'autre part, que, pour les années 1971 et 1972, la seule réunion du conseil d'administration qu'il n'ait pas présidée a été celle du 14 avril 1971, cependant que la seule réunion du bureau qui se soit tenue en son absence a été celle du 8 juin 1971 ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que, pendant la période s'étendant de l'entrée en vigueur de la loi du 13 juillet 1971 à la fin de l'année 1972, M DELEAU a, en méconnaissance des obligations lui incombant comme président du conseil d'administration de la CICIAV de Béthune, procuré à la Sé - Fa - PME un avantage injustifié entraînant un préjudice pour la CICIAV ; que M DELEAU a ainsi contrevenu aux dispositions de l'article 6 de la loi du 25 septembre 1948 ; qu'il sera fait une juste appréciation des circonstances de l'affaire en infligeant à l'intéressé une amende de deux mille francs ;
DECIDE :
Article 1er - M DELEAU est condamné à une amende de deux mille francs.
Article 2 - Le présent arrêt sera publié au Journal Officiel de la République Française.