Au nom du peuple français,

La Cour de discipline budgétaire et financière, siégeant à la Cour des comptes, a rendu l'arrêt suivant :

LA COUR,

Vu la loi n° 48-1484 du 25 septembre 1948 modifiée tendant à sanctionner les fautes de gestion commises à l'égard de l'Etat et de diverses collectivités et portant création d'une Cour de discipline budgétaire et financière ;

Vu le réquisitoire du Procureur général de la République en date du 18 juin 1992, par lequel le ministère public a saisi la Cour d'irrégularités ayant affecté la gestion du centre hospitalier d'Albi ;

Vu la décision du 29 juin 1992 du Président de la Cour de discipline budgétaire et financière désignant pour instruire cette affaire, M. Bernicot, conseiller référendaire à la Cour des comptes, rapporteur à la Cour de discipline budgétaire et financière ;

Vu l'accusé de réception de la lettre recommandée adressée le 28 janvier 1993 à M. Plazanet, directeur du centre hospitalier d'Albi, l'informant de l'ouverture d'une instruction et l'avisant qu'il était autorisé à se faire assister soit par un mandataire, soit par un avocat, soit par un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ;

Vu le rapport établi par M. Bernicot en date du 13 août 1993 et l'ensemble des pièces qui figurent au dossier, notamment le procès- verbal d'audition de M. Plazanet ;

Vu les avis émis par le ministre délégué à la santé le 27 janvier 1994 et le ministre de l'Economie le 31 janvier 1994 ;

Vu la décision du Procureur général de la République en date du 28 février 1994 renvoyant M. Plazanet devant la Cour de discipline budgétaire et financière ;

Vu l'avis émis le 1er avril 1994 par le ministre du budget, porte- parole du Gouvernement ;

Vu l'avis émis par la commission administrative paritaire nationale des personnels de direction des établissements visés à l'article 2 de la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière, siégeant le 27 avril 1994 en formation disciplinaire ;

Vu l'accusé de réception de la lettre recommandée en date du 17 juin 1994 adressée par le secrétaire de la Cour de discipline budgétaire et financière à M. Plazanet l'avisant qu'il pouvait, dans un délai de quinze jours, prendre connaissance du dossier de l'affaire soit par lui-même, soit par mandataire, soit par le ministère d'un avocat, ou d'un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ;

Vu le mémoire en défense en date du 10 août 1994 enregistré au greffe le 1er septembre 1994, présenté pour M. Plazanet par Me Vier, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ;

Vu l'accusé de réception de la lettre recommandée adressée le 13 septembre 1994 à M. Plazanet, le citant à comparaître devant la Cour de discipline budgétaire et financière ;

Vu l'autorisation de citation à comparaître comme témoin du docteur Boyer, maire-adjoint d'Albi, accordée le 22 septembre 1994 par le Président de la Cour ;

Entendu M. Bernicot, conseiller référendaire à la Cour des comptes, en son rapport ;

Entendu Mme le procureur général de la République en ses observations ;

Entendu en ses explications M. Plazanet, assisté de Me Vier ;

Entendu le docteur Boyer en son témoignage ;

Entendu Mme le procureur général de la République en ses réquisitions ;

Entendu en sa plaidoirie Me Vier, et en ses observations M. Plazanet, l'intéressé et son conseil ayant la parole les derniers ;

Sur la compétence de la Cour :

Considérant que la loi n° 82-213 du 2 mars 1982, en créant les chambres régionale des comptes, s'est bornée à répartir les compétences antérieurement dévolues à la Cour des comptes entre cette dernière et les chambres régionales des comptes ; qu'elle n'a donc eu ni pour objet ni pour effet de modifier la compétence de la Cour de discipline budgétaire et financière à l'égard de tout représentant, administrateur ou agent des organismes dont les comptes, depuis son entrée en vigueur, sont ou peuvent être vérifiés par une chambre régionale des comptes ;

Considérant que le centre hospitalier d'Albi, établissement public local, est soumis, depuis le 1er janvier 1983, en application de l'article 87 (1er alinéa) de la loi n° 82-213 du 2 mars 1982, au contrôle de la chambre régionale des comptes de Midi-Pyrénées en premier ressort et à celui de la Cour des comptes par la voie de l'appel ; qu'en conséquence les représentants, administrateurs ou agents de cet établissement public local sont, en vertu de l'article 1er de la loi susvisée du 25 septembre 1948 modifiée, justiciables de la Cour de discipline budgétaire et financière ;

Considérant que la modification apportée par la loi n° 88-13 du 5 janvier 1988 a eu pour seule cause de rendre explicite la compétence de la Cour notamment à l'égard d'organismes publics créés postérieurement au 1er janvier 1983 ; qu'elle ne saurait donc être invoquée pour contester la compétence de la Cour de discipline budgétaire et financière à l'égard d'irrégularités commises dans la gestion du centre hospitalier antérieurement à l'entrée en vigueur de ladite loi ;

Qu'en conséquence, M. Plazanet, directeur du centre hospitalier d'Albi, est justiciable de la Cour de discipline budgétaire et financière ;

Considérant que les faits incriminés se sont produits postérieurement au 18 juin 1987 et ne sont donc pas couverts par la prescription de cinq ans instituée par l'article 30 de la loi du 25 septembre 1948 modifiée ;

Sur les droits de la défense :

Considérant que la défense allègue que M. Plazanet n'aurait pas été mis en mesure de consulter le dossier au cours de l'instruction et que la procédure serait irrégulière de ce chef ;

Considérant d'une part, que M. Plazanet a été avisé par lettre recommandée avec accusé de réception, le 28 janvier 1993, en application de l'article 18 de la loi du 25 septembre 1948, qu'avaient été relevées contre lui des faits de nature à donner lieu à renvoi devant la Cour ;

Considérant d'autre part, que M. Plazanet a été avisé le 17 juin 1994 par lettre recommandée avec accusé de réception, conformément aux dispositions de l'article 22 de la loi du 22 septembre 1948, qu'il pouvait prendre connaissance, au secrétariat de la Cour, du dossier complet de l'affaire, que Me Vier a d'ailleurs consulté le 29 juin 1994 en présence du greffier ;

Considérant que la circonstance qu'au début de la procédure d'instruction, M. Plazanet a été entendu par le rapporteur sans avoir connaissance du dossier ne saurait porter atteinte au principe du caractère contradictoire de la procédure ; qu'en effet, le dossier, dans son intégralité, lui a été communiqué dans les délais et dans la forme prescrits par la loi précitée ; que Me Vier a alors produit un mémoire écrit et qu'il ne ressort pas de l'examen du dossier, et n'est d'ailleurs pas allégué que, au cours de l'instruction, M. Plazanet n'aurait pas eu connaissance de pièces qui auraient figuré au dossier, dont l'ignorance aurait pu lui être préjudiciable ou que, ayant demandé la communication d'une pièce, celle-ci lui aurait été refusée ;

Considérant que le moyen tiré de ce que M. Plazanet n'aurait bénéficié ni d'une procédure contradictoire, ni d'un procès équitable, que les droits de la défense auraient été violés et, qu'en conséquence, les dispositions de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme relatives à ces principes auraient été méconnues, ne saurait en tout état de cause être accueilli ;

Sur le fond :

Considérant que, par délibération du 8 novembre 1984, le conseil d'administration de l'hôpital a notamment pris la décision de principe "d'aménager partiellement la ferme de la Renaudié pour un logement de direction" ; que toutefois aucun programme d'investissement pour la création de ce logement n'a été établi à l'époque ; que la liste, la nature et les montants des travaux effectués sur la ferme, au cours des exercices 1985, 1986 et 1987, par des entreprises travaillant habituellement pour l'hôpital et titulaires de marchés d'entretien et de réparation courante, montrent que le gestionnaire a entendu, dans un premier temps, préserver le bâtiment et que les frais d'aménagement, qui se sont élevés à 287 872,93 francs, répartis sur ces trois exercices, ont été faits au titre des dépenses de fonctionnement ;

Sur l'engagement et la mauvaise imputation des dépenses d'aménagement de la ferme de la Renaudié à partir de 1988 :

Considérant que le directeur de l'hôpital a déposé, le 26 juin 1987, une demande de permis de construire d'un logement de direction visant, selon les plans de l'architecte, à ajouter au logement de ferme existant, d'une surface hors d'oeuvre nette de 348 m2, une des deux ailes agricoles du bâtiment ;

Que ce permis a été accordé par l'adjoint au maire d'Albi le 4 septembre 1987 et qu'il était clair dès ce moment que le projet ne pouvait plus être considéré comme une opération d'entretien et de réparation courante, mais comme un investissement permettant d'apporter une importante plus-value au bien immobilisé ;

Considérant que les travaux d'aménagement effectués sur la ferme entraient dans la catégorie des immobilisations, telle qu'elle est définie au paragraphe 145 de l'instruction M 21 sur la comptabilité des établissements d'hospitalisation publics et ne pouvaient être considérés comme de simples travaux de réparation ainsi qu'il est allégué dans le mémoire en défense ; que, conformément aux dispositions du décret n° 83-744 du 11 août 1983 relatif à la gestion et au financement des établissements d'hospitalisation publics, lesdits travaux devaient être imputés à la section d'investissement ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier, des déclarations de M. Plazanet et des divers témoignages recueillis au cours de l'instruction ou présentés à l'audience qu'en raison du lancement en 1986 d'un important programme de plus de 100 millions de francs pour la modernisation du plateau technique de l'hôpital et de la construction, à partir de 1987, d'une nouvelle maison d'accueil de personnes âgées dépendantes sur les terrains de la ferme de la Renaudié, pour plus de 47 millions de francs, la section d'investissement du budget de l'établissement ne permettait de dégager aucune ressource ;

Considérant d'une part que l'exécution des travaux afférents au projet d'aménagement de la ferme de la Renaudié a donné lieu à des paiements de 339 788,07 francs en 1988, 355 504,14 francs en 1989 et 555 346,25 francs en 1990 ; que ces dépenses ont été imputées sur la section de fonctionnement parmi les dépenses d'entretien de l'hôpital ; que cette imputation irrégulière, motivée par l'absence de crédits disponibles en section d'investissement, et qu'une telle absence de crédits ne saurait en aucune manière justifier, est une infraction prévue par l'article 3 de la loi du 25 septembre 1948 ;

Considérant d'autre part que l'article 22-2° de la loi n° 70-1318 du 31 décembre 1970 portant réforme hospitalière prévoit qu'il appartient au conseil d'administration de délibérer sur les projets de constructions, grosses réparations et démolitions ; que l'article 13 du décret n° 83-744 susmentionné précise que le programme des travaux doit être annexé au budget soumis à l'approbation du conseil d'administration ;

Considérant que la délibération susmentionnée du 8 novembre 1984 du conseil d'administration n'autorisait, en l'absence de programme de travaux, que des réparations courantes pour remettre en état le logement existant resté longtemps inoccupé ; que la délibération prise par ledit conseil le 28 mai 1991, qui visait à régulariser la situation, s'appuyait sur le programme des travaux restant à effectuer pour terminer l'aménagement de la ferme de la Renaudié pour un montant supplémentaire prévisionnel de 1,6 millions de francs ; que, dès lors, le directeur a engagé entre 1988 et 1990 des dépenses d'investissement sans y avoir été régulièrement autorisé ; que cette infraction, distincte de la précédente même si l'origine est la même, l'expose aux sancctions prévues par l'article 4 de la loi du 25 septembre 1948 ;

Sur l'exécution des dépenses à partir de 1988 :

Considérant qu'il résulte du Code des marchés publics et notamment des dispositions des articles 279 et 309 qu'à l'époque des faits, le recours à la procédure d'appel d'offres pour choisir les entreprises était obligatoire au dessus d'un seuil de 350 000 francs de travaux ;

Que les travaux effectués à la ferme de la Renaudié de 1988 à 1990, bien que dépassant largement ce seuil, comme l'aurait fait apparaître une évaluation prévisionnelle de l'opération, n'ont fait l'objet que de factures ou devis établis par les entreprises titulaires des marchés d'entretien courant de l'hôpital et ont été réglées en même temps que des travaux effectués dans d'autres bâtiments de l'établissement ;

Considérant que l'article 309 dudit code prévoit que le franchissement de ce seuil doit s'apprécier en prenant en considération le montant total de l'opération même si la réalisation des travaux a été répartie sur plusieurs exercices ; que dès lors l'argument selon lequel aucun des lots n'excède le seuil au delà duquel une mise en concurrence est nécessaire ne peut être accueilli ;

Qu'en conséquence, l'opération a été exécutée jusqu'en 1991 en violation du Code des marchés publics, ce qui constitue une infraction sanctionnée par l'article 5 de la loi du 25 septembre 1948 modifiée ;

Sur les responsabilités encourues :

Considérant que, dans les établissements hospitaliers, les fonctions d'ordonnateur sont assurées par le directeur qui, conformément aux principes généraux de la comptabilité publique et aux dispositions de la loi du 31 décembre 1970 portant réforme hospitalière, est responsable de l'engagement, de la liquidation et du mandatement des dépenses, de la passation des contrats, des conventions et marchés publics et de la tenue de la comptabilité administrative ;

Considérant que M. Plazanet ne conteste pas avoir signé les pièces administratives et comptables figurant au dossier ; que, dès lors, il a engagé sa responsabilité au titre des articles 3, 4 et 5 de la loi du 25 septembre 1948 modifiée ;

Considérant que ses qualités reconnues de gestionnaire, qui ont permis la mise en oeuvre de l'important programme de modernisation et de développement des installations du centre hospitalier d'Albi, ne sauraient effacer les fautes ainsi commises dans l'aménagement de la ferme de la Renaudié ;

Considérant cependant que peuvent être retenus à sa décharge l'attitude passive, dans cette affaire, du conseil d'administration, dont les membres, selon les témoignages figurant au dossier, "étaient parfaitement au courant des opérations conduites" pendant quatre ans, et le soutien constant du président de cette instance ;

Que, par ailleurs, les conséquences sur la carrière de M. Plazanet résultant de l'avis de la commission administratif paritaire, ainsi que les sanctions administratives évoquées par le mémoire en défense doivent être prises en considération pour fixer la sanction de telles infractions ;

Considérant, qu'aucune des irrégularités relevées ne permet de mettre en doute la probité de M. Plazanet ;

Considérant qu'il sera fait une juste appréciation de l'ensemble des circonstances de l'affaire en infligeant à M. Plazanet une amende de 5 000 F. ;

ARRETE :

Article 1er : M. Plazanet est condamné à une amende de 5 000 F.

Article 2 : La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.

Fait et jugé en la Cour de discipline budgétaire et financière.

Présents : M. Joxe, premier président de la Cour des comptes, président ; M. Galmot, président de section au Conseil d'Etat, vice- président ; Mme Bauchet et M. Fouquet, conseillers d'Etat ; MM. Isnard et Campet, conseillers maîtres à la Cour des comptes, membres de la Cour de discipline budgétaire et financière ; M. Bernicot, conseiller référendaire à la Cour des comptes, rapporteur.

Le 28 septembre 1994.

Le président,

Pierre Joxe

Le greffier

J. Depasse