Le présent rapport rend compte des décisions prises par la Cour de discipline budgétaire et financière en 1994, indique les décisions de classement prises par le procureur général, et dresse le bilan et les perspectives de la juridiction.
1° Décisions de la Cour en 1994
- Les arrêts rendus en 1994.
La Cour a statué en 1994 sur quatre affaires contre cinq en 1993. Trois d'entre elles ont été portées à sa connaissance par les chambres régionales des comptes.
La faiblesse du nombre des affaires jugées tient à deux causes principales.
Elle résulte d'abord de la loi elle même, qui exclut de la liste des justiciables divers ordonnateurs.
Tel est le cas des membres du gouvernement. Pour l'essentiel, tel est aussi le cas des élus locaux, dont la responsabilité ne peut être engagée que dans des cas très délimités : depuis la loi du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques, ils sont justiciables de la Cour soit lorsqu'ils n'exécutent pas une décision de justice, soit lorsqu'ils ont requis le comptable de procéder à un règlement qui accorde à autrui un avantage injustifié, au sens de l'article 6 de la loi du 25 septembre 1948 (1). Aucune affaire n'a été encore déférée à la Cour sur la base de ces dispositions.
Les ordonnateurs élus locaux ne sont justiciables de la Cour dans les conditions de droit commun qu'à raison des fonctions qui ne sont pas l'accessoire obligé de leur mandat électif. Deux arrêts ont été rendus en 1994 sur cette base.
Le petit nombre d'affaires déférées tient au champ de compétence limité que la loi donne à la Cour, notamment parce que la loi sanctionne des violations de dispositions législatives, règlementaires ou contractuelles et exclut, contrairement à ce que laissait supposer l'intitulé de la loi du 25 septembre 1948, les fautes de gestion en tant que telles.
Toutefois, l'accroissement relativement important des nouvelles affaires déférées en 1994 - cf. infra - laisse présager une augmentation significative du nombre des arrêts.
- Questions de compétence jugées en 1994.
En application de l'article 1°, 1° alinéa de la loi du 25 septembre 1948 (2), la compétence de la Cour s'exerce sur tous les agents des organismes contrôlés par les juridictions financières - Cour des comptes et chambres régionales des comptes -. Les personnes jugées par la Cour en 1994 appartenaient à des organismes très divers : société d'économie mixte, services déconcentrés d'un établissement public national à caractère administratif, établissement public local, association de la loi de 1901.
En 1994, la Cour a réaffirmé à trois reprises sa compétence pour juger les agents des organismes vérifiés, à compter de l'entrée en vigueur la loi n° 82-213 du 2 mars 1982, par les chambres régionales des comptes, bien que cette compétence n'ait été explicitement introduite dans la loi qu'en 1988.
Le Conseil d'Etat, statuant en cassation le 30 novembre 1994, a confirmé que la création des chambres régionales des comptes n'avait pas eu pour effet de soustraire à la juridiction de la Cour de discipline budgétaire et financière les agents qui relevaient antérieurement du contrôle de la Cour des comptes. Il a en conséquence rejeté le pourvoi introduit par un directeur d'hôpital contre un arrêt le condamnant à une amende de 30 000 F pour diverses irrégularités commises entre 1983 et 1985 (22 mai 1990, centre hospitalier spécialisé de Saint-Venant).
La Cour s'est prononcée sur les dispositions de l'article 1°, 4° alinéa de la loi du 25 septembre 1948 (3) qui définit les agents qui ne sont pas justiciables de la Cour à raison des actes accomplis dans l'exercice de leurs fonctions. Elle a jugé qu'était justiciable de la Cour le président du conseil d'administration d'une société d'économie mixte dont la fonction n'était pas l'accessoire obligé de la fonction d'adjoint au maire puisqu'aucune disposition législative ou règlementaire ne faisait obligation de choisir ce président parmi les représentants de la commune (23 février 1994, société d'économie mixte A).
Aux termes de l'article 1°, 3° alinéa de la loi (4), les présidents de conseil général et, quand ils agissent dans le cadre des dispositions de l'article 31 de la loi du 2 mars 1982 relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions, les vice-présidents et autres membres du conseil général ne sont pas justiciables de la Cour. Celle-ci a jugé que ces dispositions n'étaient pas applicables à un conseiller général, président-délégué d'un comité départemental du tourisme, lequel a été jugé pour les irrégularités commises en tant que président-délégué (7 décembre 1994, comité départemental du tourisme de la Gironde).
- Questions de fond jugées en 1994.
Les quatre affaires jugées en 1994 portaient sur des irrégularités commises dans l'exécution de dépenses ; deux d'entre elles concernaient des violations des dispositions relatives aux marchés publics.
Une première affaire, bien que les irrégularités aient été avérées, n'a toutefois pas donné lieu à condamnation, en raison des circonstances de l'espèce. Des agents d'un établissement public national à caractère administratif avaient adressé à des sociétés d'informatique des lettres d'intention de commande pour l'acquisition de logiciels et commencé avec ces entreprises les travaux correspondants. Ils avaient ainsi, de fait, irrégulièrement engagé l'établissement, puisque les marchés requis n'avaient pas été passés et que l'accord préalable et obligatoire de la commission de gestion et du ministère de tutelle n'avait pas été obtenu.
La Cour a constaté que cette pratique contrevenait aux articles 4 et 5 de la loi (5), relatifs à l'engagement et à l'exécution des dépenses publiques.
Toutefois, elle a noté que les logiciels irrégulièrement acquis auraient difficilement pu être achetés à d'autres sociétés que celles qui avaient été retenues, lesquelles avaient précédemment fourni à l'établissement les matériels informatiques ; que la procédure, quoique irrégulière, avait été approuvée par le comité de gestion du projet ; enfin, que l'urgence pouvait expliquer que les responsables aient engagé les travaux avec les entreprises. Compte tenu de ces circonstances, elle a relaxé les intéressés (18 mai 1994, Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés).
Les trois autres arrêts rendus par la Cour ont donné lieu à condamnations.
Dans le premier cas, la Cour a sanctionné les irrégularités commises lors de l'exécution de dépenses d'une société d'économie mixte, dont le capital était majoritairement détenu par une commune.
Cette société d'économie mixte avait tout d'abord effectué des paiements à une société de presse, qui ne correspondaient que pour partie à des prestations effectives. La Cour a jugé que cette pratique constituait une violation des règles d'exécution des dépenses, sanctionnée par l'article 5 de la loi (6), et accordait un avantage injustifié à autrui, sanctionné par l'article 6 (7). La responsabilité du directeur de la société d'économie mixte et du président a été engagée sur la base de ces deux articles.
Dans la même affaire, la Cour a jugé que le manque de rigueur dans la tenue des documents comptables était de nature à entraîner une méconnaissance des intérêts patrimoniaux de la société et constituait une violation des règles d'exécution des dépenses, au sens où l'entend l'article 5 de la loi (8). La responsabilité du directeur, qui n'avait pas exercé le devoir de surveillance qu'exigeaient ses fonctions, a été engagée.
La Cour a condamné le président et le directeur à une amende qui, compte tenu de la modicité des sommes en cause, a été fixée à 2 500 F, et décidé de publier l'arrêt en la forme anonyme (23 février 1994, société d'économie mixte A).
Dans la seconde affaire jugée, le directeur d'un hôpital avait fait effectuer des travaux de rénovation dont l'ampleur dépassait très largement la décision de principe du conseil d'administration de l'établissement. Les dépenses correspondantes, en l'absence de crédits d'investissement disponibles, avaient été imputées en section de fonctionnement. Enfin, les travaux avaient été effectués sans marchés, alors que leur montant dépassait le seuil au dessus duquel ils sont requis. La Cour a jugé que ces faits constituaient des infractions aux articles 3, 4 et 5 de la loi (9), relatifs aux imputations irrégulières dissimulant un dépassement de crédit, à l'engagement et à l'exécution des dépenses. La passivité du conseil d'administration face aux irrégularités d'une part, la probité du directeur d'autre part ont été reconnues comme des circonstances atténuantes. L'intéressé à été condamné à une amende de 5 000 F (28 septembre 1994, centre hospitalier d'Albi).
Dans la dernière affaire, le président-délégué et le directeur d'un comité départemental du tourisme, organisme relevant de la loi de 1901 sur les associations, avaient ordonné le paiement d'une dépense publicitaire en l'absence d'exécution des prestations. La Cour a jugé que ce paiement sans service fait, qui procurait à la société éditrice un avantage injustifié, constituait une infraction aux articles 5 et 6 de la loi (10).
Le président-délégué et le directeur ont été condamnés à une amende qui, compte tenu du faible montant du paiement irrégulier, a été fixée à 1 000 F (7 décembre 1994, comité départemental du tourisme de la Gironde).
Trois des arrêts rendus en 1994 ont donc donné lieu à amende. Celles-ci sont assimilées, en application de l'article 29 de la loi (11), aux amendes prononcées par la Cour des comptes en cas de gestion de fait. Elles ne constituent pas des sanctions disciplinaires ou professionnelles. La Cour a donc rejeté le moyen selon lequel elles seraient couvertes par la loi du 20 juillet 1988 portant amnistie (23 février 1994, société d'économie mixte A).
Dans les trois arrêts de condamnation prononcés en 1994, le montant des amendes qui ont été infligées, qui tient compte des circonstances atténuantes, peut para®tre modeste.
S'ajoute toutefois à cette sanction pécuniaire, dans les trois cas, la décision de publier l'arrêt au Journal officiel, décision que la Cour peut prendre en application de l'article 31, 2° alinéa de la loi (12). Cette publication a valeur d'enseignement puisqu'elle porte à la connaissance du public les irrégularités condamnées ; elle a aussi et surtout un rôle de sanction complémentaire, redoutée par les intéressés.
2° Décisions de classement du procureur général
Huit affaires ont été classées par le procureur général en 1994.
Six de ces décisions ont été prises avant instruction, sur la base de l'article 17 de la loi (13). Cinq d'entre elles concernaient des affaires de la loi de 1980, dont le classement est l'aboutissement normal lorsque l'exécution de la décision de justice a été obtenue par le procureur général.
Deux classements ont été décidés, sur la base de l'article 18 de la loi (14), après que l'instruction a révélé que les irrégularités n'étaient pas démontrées.
Aucun classement n'a été prononcé en 1994 sur la base de l'article 20 de la loi (15), après avis des ministres intéressés.
3° Bilan et perspectives de la juridiction
- La question des délais de la procédure.
Dans le rapport public établi sur son activité en 1993, la Cour avait souligné la nécessité de porter une attention accrue au strict respect des limites de temps fixées par la loi pour certaines étapes de la procédure.
C'est ce qu'elle a fait pour l'avis des ministres requis par l'article 19 de la loi (16), qui doit être donné dans un délai fixé par le président de la Cour, mais qui ne peut être inférieur à un mois. La pratique est d'accorder un délai de deux mois, proportionné à la nécessaire instruction de l'affaire par l'administration. Faute d'avis, la procédure est poursuivie, comme la loi le permet.
Sont aussi respectés strictement le délai de quinze jours dont dispose le procureur général, après avis des ministres, pour renvoyer l'affaire devant la Cour, les délais de quinze jours et d'un mois accordés aux parties pour d'une part consulter le dossier de l'affaire après la décision de renvoi devant la Cour, d'autre part déposer un mémoire en défense.
Les commissions administratives paritaires dont relèvent les intéressés doivent rendre, en application de l'article 22 de la loi (17), un avis dans le délai d'un mois. Bien que ce délai soit bref pour la réunion de telles commissions consultatives, la Cour veille à ce qu'il soit respecté, la loi lui permettant de statuer si cet avis n'est pas rendu en temps utile.
Le principal obstacle au raccourcissement des délais reste toutefois la durée de l'instruction.
Cette lenteur peut découler de la nature de l'affaire. Il n'est pas rare que l'instruction nécessite l'audition d'une dizaine ou d'une quinzaine de personnes mises en cause ou de témoins.
Mais la lenteur de l'instruction résulte aussi de la charge de travail des rapporteurs : ceux-ci nommés par décret et choisis, en application de l'article 13 de la loi (18), parmi les membres de la Cour des comptes et du Conseil d'Etat, désignés par le président de la Cour, instruisent en effet les affaires tout en exerèant simultanément les fonctions que leur confient leurs juridictions d'origine.
Quatorze nouveaux rapporteurs ont été nommés par décret du 29 novembre 1994. Pour répondre à l'accroissement du nombre des affaires déférées, constaté en 1994, de nouveaux recrutements sont envisagés.
- Perspectives d'activité.
L'année 1994 est en effet marquée par l'augmentation des affaires nouvelles : le procureur général a été destinataire, à fin de saisine de la Cour, de vingt-et-une affaires contre dix en 1993. Cette tendance se poursuit pour les premiers mois de 1995, vingt-trois affaires ayant été transmises au procureur général à la date du présent rapport.
Sur les vingt-et-une affaires nouvelles de 1994, huit ont été déférées sur la base de la loi du 16 juillet 1980 relative à l'inexécution ou à l'exécution tardive des décisions de justice.
Parmi elles, une seule a donné lieu à l'ouverture d'une instruction ; cinq ont été classées par le procureur général après que les collectivités publiques débitrices se sont exécutées et donc que satisfaction a été obtenue ; deux sont en instance.
Les treize autres déférés dénoncent diverses irrégularités sanctionnées par la loi du 25 septembre 1948.
Douze d'entre elles ont été adressées par la Cour des comptes, une affaire étant déférée à la fois par cette juridiction et le ministre concerné. La Cour des comptes reste donc à l'origine de la plupart des affaires.
Deux des affaires déférées à la Cour en 1994 ont été parallèlement portées à la connaissance du juge judiciaire : en effet, en application de la loi, les poursuites devant la Cour ne font pas obstacle à l'exercice de l'action pénale, ni d'ailleurs de l'action disciplinaire.
Le nombre d'affaires en instance était de vingt-quatre à la fin de 1993. Compte tenu des vingt-et un déférés enregistrés en 1994, des quatre arrêts rendus et des huit classements décidés par le procureur général, le nombre d'affaires en instance est passé à trente-trois au 31 décembre 1994.
La codification adoptée par la loi n° 95-851 du 24 juillet 1995 relative à la partie législative du livre III du code des juridictions financières a apporté quelques modifications aux dispositions antérieurement applicables à la Cour de discipline budgétaire et financière.
Cette codification n'a toutefois pas résolu - tel n'était d'ailleurs pas son objet - les problèmes de fond posés par la loi, que ce soit sur la nature de la Cour, sur la définition des irrégularités qu'elle sanctionne, sur ses justiciables, ou sur ses procédures. Le constat qui avait été fait par le premier rapport public de la juridiction, il y a exactement quarante ans, peut être encore aujourd'hui repris : "la loi du 25 septembre 1948 a institué un mécanisme à la fois délicat et lourd à manier dont la complexité nuit au rendement" de la juridiction.
L'accroissement récent du nombre d'affaires déférées semble indiquer qu'une contribution plus efficace de la Cour au contrôle des ordonnateurs est souhaitée. Il convient en conséquence, comme cela a été souligné lors du débat parlementaire consacré à la codification, que soient réexaminés le rôle et les procédures de la juridiction, ce que la Cour va entreprendre dans les prochains mois.
Le présent rapport a été arrêté par la Cour le 20 septembre 1995.
Ont délibéré : M. Joxe, premier président de la Cour des comptes, président ; M. Galmot, président de la section des finances du Conseil d'Etat, vice-président ; Mme Bauchet et M. Fouquet, conseillers d'Etat ; MM. Isnard et Campet, conseillers maîtres.
Etait présente et a participé aux débats : Mme Gisserot, procureur général de la République, assistée de M. Beaud de Brive, premier avocat général.
Fait à la Cour des comptes, le 20 septembre 1995.
Pierre Joxe
(1) Devenu, depuis la loi du 24 juillet 1995, l'article L-313-6 du code des juridictions financières.
(2) Article L 312-1-I-c du code des juridictions financières.
(3) Article L-312-1-II du code des juridictions financières.
(4) Article L 312-1-I-d du code des juridictions financières.
(5) Articles L 313-3 et L-313-4 du code des juridictions financières.
(6) Article L 313-4 du code des juridictions financières.
(7) Article L 313-6 du code des juridictions financières.
(8) Article L 313-4 du code des juridictions financières.
(9) Articles L 313-2, L 313-3 et L 313-4 du code des juridictions financières.
(10) Articles L 313-4 et L 313-6 du code des juridictions financières.
(11) Article L 313-14 du code des juridictions financières.
(12) Article L 314-20 du code des juridictions financières.
(13) Article L 314-3 du code des juridictions financières.
(14) Article L 314-4 du code des juridictions financières.
(15) Article L 314-6 du code des juridictions financières.
(16) Article L 314-5 du code des juridictions financières.
(17) Article L 314-18 du code des juridictions financières.
(18) Article L 311-5 du code des juridictions financières.