La Cour,

Vu la loi n° 48-1484 du 25 septembre 1948, modifiée et complétée par les lois n° 55-1069 du 6 août 1955, 63-778 du 31 juillet 1963 et 71-564 du 13 juillet 1971, tendant à sanctionner les fautes de gestion commises à l'égard de l'Etat et de diverses collectivités locales et portant création d'une Cour de discipline budgétaire et financière ;

Vu la lettre du 23 juin 1978, enregistrée au Parquet de la Cour le 26 juin 1978, par laquelle M. le Ministre du Budget a saisi, en application de l'article 16 de la loi susvisée, la Cour de discipline budgétaire et financière d'irrégularités dans la gestion du Comité national de la pomme de terre (CNPT) imputées, en particulier, à M. Lucien LAMAIRE, ancien directeur du CNPT ;

Vu le réquisitoire du Procureur général de la République en date du 2 août 1978 transmettant le dossier à la Cour de discipline budgétaire et financière ;

Vu la décision du Président de la Cour de discipline budgétaire et financière du 18 septembre 1978 désignant comme rapporteur M. ZUBER, Conseiller référendaire à la Cour des Comptes ;

Vu les accusés de réception des lettres recommandées adressées le 8 mai 1979 à M. Lucien LAMAIRE, ancien directeur du CNPT et le 13 mai 1980 à M. Marc FERTE, administrateur et président de la Commission administrative et financière du CNPT, les informant de l'ouverture d'une instruction et les avisant qu'ils étaient autorisés à se faire assister soit par un mandataire, soit par un avocat ou un avoué, soit par un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de Cassation ;

Vu l'avis émis le 4 septembre 1981 par M. le Ministre délégué auprès de M le Ministre de l'Economie et des Finances, chargé du Budget ;

Vu l'avis émis le 22 septembre 1981 par M. le Ministre de l'Agriculture ;

Vu la décision du Procureur général de la République en date du 3 novembre 1981 renvoyant devant la Cour de discipline budgétaire et financière MM. Lucien LAMAIRE et Marc FERTE ;

Vu les accusés de réception des lettres recommandées adressées le 4 novembre 1981 à MM. Lucien LAMAIRE et Marc FERTE, les avisant qu'ils pouvaient dans un délai de quinze jours prendre connaissance du dossier de l'affaire soit par eux-mêmes, soit par un mandataire, soit par le ministère d'un avocat, d'un avoué ou d'un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de Cassation ;

Vu le mémoire en défense présente le 1er décembre 1981 par M. Marc FERTE ;

Vu le mémoire en défense présenté le 5 février 1982 par Me Nuri ALBALA, avocat de M. Lucien LAMAIRE, ainsi que les pièces annexées ;

Vu les accusés de réception des lettres recommandées adressées le 29 avril 1982 à MM. Lucien LAMAIRE et Marc FERTE et les invitant à comparaître ;

Vu l'ensemble des pièces qui figurent au dossier et notamment les procès-verbaux d'interrogatoire ;

Entendu M. ZUBER, Conseiller référendaire à la Cour des Comptes, en son rapport ;

Entendu M. le Procureur général de la République en ses conclusions ;

Entendu en leurs observations respectives Me ALBALA, avocat de M. LAMAIRE et Me FONTAINE, avocat de M. FERTE, et MM. LAMAIRE et FERTE eux-mêmes, qui ont eu la parole les derniers ;

Considérant que le Comité national de la pomme de terre, créé par le décret n° 73-31 du 4 janvier 1973 relatif à la commercialisation de la pomme de terre, est soumis en sa qualité d'établissement doté de la personnalité civile et de l'autonomie financière, alimenté par une taxe parafiscale, au contrôle de la Cour des Comptes en vertu de l'article 1er de la loi du 22 juin 1967 modifiée et de l'article 33 du décret n° 68-827 du 20 septembre 1968 modifié ; qu'en conséquence ses représentants, administrateurs ou agents sont justiciables de la Cour de discipline budgétaire et financière en application de l'article 1er de la loi du 25 septembre 1948 modifiée ;

Considérant que l'article 3 du décret du 4 janvier 1973 prévoyait que le Comité était administré par un Conseil de quatorze membres, appelé à proposer un président et un vice-président nommés par le Ministre de l'Agriculture ; que le directeur du Comité, nommé par le Conseil et agréé par le Ministre de l'Agriculture, était chargé, sous l'autorité du Conseil, de la gestion du Comité ; qu'un règlement intérieur devait déterminer les conditions de fonctionnement du Comité ;

Considérant que le Conseil d'administration du Comité a été constitué par arrêté ministériel du 24 mai 1973 et que MM. BLAS et CHARLET ont été désignés respectivement comme président et vice-président ; que M. LAMAIRE a été nommé directeur général en juin 1973 pour une période initiale d'un an et confirmé dans ses fonctions en mars 1974 ; que le règlement intérieur du Comité, soumis au Conseil d'administration en juillet 1973, a été approuvé le 3 avril 1974 ; que ledit règlement intérieur réservait expressément au Conseil d'administration le pouvoir d'établir, chaque année, le budget du Comité, d'approuver le bilan et le résultat financier de l'exercice clos présentés par le directeur général, et qu'en outre il devait décider des affectations budgétaires de fonctionnement et d'investissement ; qu'au surplus, il était précisé que les délégations d'attributions consenties au président et au vice- président devaient être limitées aux objets intéressant la vie courante du Comité ; qu'enfin, si le directeur pouvait se voir déléguer tous les pouvoirs permettant d'assurer le fonctionnement du Comité, il lui appartenait de rendre compte de façon permanente au président et au bureau et d'informer le conseil ;

Considérant que, conformément au règlement intérieur, le Conseil d'administration a créé en son sein, en septembre 1973, une Commission administrative et financière dont la présidence a été confiée à M. Marc FERTE, administrateur, mais qui, comme l'ensemble des commissions que le Conseil d'administration avait la possibilité de constituer, ne disposait d'aucun pouvoir de décision ;

Considérant que durant la période préliminaire de fonctionnement du CNPT allant jusqu'au 31 juillet 1974, et pour la première campagne - du 1er août 1974 au 31 juillet 1975 - aucun véritable budget n'a été établi ; que si des estimations ou "esquisses" successives ont bien été dressées, leur contenu a été variable, et surtout elles n'ont été soumises qu'à la commission administrative et financière qui n'avait pas compétence pour arrêter le budget ; qu'au surplus, ni le montant global ni la répartition de ces "esquisses" n'ont été respectés par le directeur ; que, pour la période 1975-1976, un projet de budget a été présenté tardivement à la Commission administrative et financière le 7 octobre 1975, alors que la campagne avait commencé dès le 1er août ; que ce projet, qui avait fait l'objet de réserves, n'a été soumis qu'en janvier 1976 au Conseil, et que celui-ci, au cours d'une séance ultérieure tenue le 25 février 1976, a demandé qu'un nouveau projet fût élaboré ; que, M. LAMAIRE ayant refusé de maintenir le budget dans les limites définies par le Conseil, ce dernier devait en définitive prononcer, le 16 mars 1976, sa révocation pour fautes graves de gestion ; que c'est uniquement un contrôle comptable approfondi, réalisé après cette révocation, qui a pu déterminer l'importance du déficit enregistré par le CNPT depuis l'origine jusqu'à l'achèvement de la campagne 1975-1976 (31 juillet 1976), ce déficit s'établissant à 6 415 460 F ;

Considérant qu'il appartenait à M. BLAS, président du Comité, d'agir en sorte que le Conseil puisse examiner et arrêter pour chaque campagne un budget élaboré en temps utile ; que M. LAMAIRE, directeur du Comité, qui avait pour obligation d'assurer l'information des membres du Conseil, n'a fourni, à aucun moment, des renseignements suffisants sur la situation financière de l'établissement et les prévisions des recettes et des dépenses ;

Considérant que MM. BLAS et LAMAIRE ont ainsi enfreint les règles relatives à l'exécution des recettes et des dépenses du CNPT et tombent sous le coup des dispositions de l'article 5 de la loi du 25 septembre 1948 modifiée ;

Considérant qu'au surplus M. LAMAIRE, outrepassant ses attributions, a engagé et fait régler diverses dépenses irrégulières ; qu'ainsi, au cours de la période allant du mois d'octobre 1973 au mois de février 1976, M. LAMAIRE s'est fait rembourser ou a fait régler directement par le CNPT plus de 117000 francs de dépenses engagées par lui et correspondant pour l'essentiel à des frais de restaurant ; que si les conditions d'emploi de M. LAMAIRE prévoyaient bien le remboursement des frais qu'il pouvait être conduit à exposer dans l'exercice de ses fonctions, l'intéressé a admis au cours de l'enquête que les remboursements en cause correspondaient, pour une grande partie, à un complément de rémunération ; qu'en second lieu, entre juin 1974 et novembre 1975, M. LAMAIRE a embauché Melle BRANGLIDOR, journaliste, à titre de collaboratrice chargée de rédiger le bulletin de liaison du Comité ; que l'intéressé a perçu une somme de l'ordre de 34000 F qui lui a été versée sous forme de remboursement de frais, au vu de notes de restaurant ou d'achats divers fictifs ne correspondant pas à des dépenses engagées pour le compte de l'établissement, mais qui n'étaient établies que pour faire échapper les sommes versées à l'imposition sur le revenu ; qu'en troisième lieu, entre le 1er octobre 1975 et le 1er janvier 1976, et après que le Conseil, dans sa séance du 24 juin 1975, ait manifesté sa volonté de réduire les dépenses du CNPT, M. LAMAIRE a procédé au recrutement de cinq agents supplémentaires ; qu'enfin M. LAMAIRE a pris des engagements financiers se traduisant soit par des dépenses, soit par des règlements en suspens lors de sa révocation, pour la fabrication d'un produit composé de pommes de terre déshydratées enrichies de protéines et présentées sous forme compressée, le PRODESPROT, alors que les opérations en cause excédaient manifestement l'objet assigné au CNPT ;

Considérant qu'ainsi M. LAMAIRE a enfreint les règles applicables aux recettes et aux dépenses du CNPT et tombe sous le coup des dispositions de l'article 5 de la loi du 25 septembre 1948 modifiée ; qu'en ce qui concerne les notes fictives réglées à Melle BRANGLIDOR, l'irrégularité ayant eu pour objet d'éluder les dispositions concernant l'impôt sur le revenu, M. LAMAIRE doit être considéré comme ayant sciemment omis de souscrire la déclaration obligatoire d'un paiement dont il savait qu'il constituait un revenu, et qu'il tombe de ce fait sous le coup de l'article 5 bis de la loi du 25 septembre 1948 modifiée ;

Considérant que, si l'article 20 du règlement intérieur prévoit bien la possibilité pour le président et le vice-président de percevoir une indemnité forfaitaire, la fixation du montant de cette indemnité ne peut être considérée comme figurant parmi les opérations de gestion courante du Comité pour lesquelles M. BLAS, président, avait délégation ; que, ce nonobstant, M. BLAS décida du montant desdites indemnités aux lieu et place du Conseil et en arrêta le montant à des taux excédant ceux généralement admis pour de telles fonctions (4 000 F par mois en 1973, 5 000 F par mois en 1974 et 6 000 F par mois en 1975 pour le président et 2 000 F par mois pour le vice-président, montant inchangé durant la période) ; qu'au surplus, M. BLAS, qui pour la période du 1er juin 1973 au 30 août 1975 aurait eu droit à 132 000 F, a perçu l'intégralité de cette somme entre le 1er janvier 1974 et le 28 juin 1974, bénéficiant ainsi de versements anticipés auxquels il appartenait à M. LAMAIRE de s'opposer ;

Considérant qu'une décision revêtue le 9 avril 1975 de la signature de M. BLAS avait admis que M. LAMAIRE percevrait une avance de 180000 F, non productive d'intérêts ; que cette avance, qui aurait eu pour objet l'acquisition d'un appartement personnel, n'a été perçue par M. LAMAIRE qu'en septembre 1975, postérieurement au décès de M. BLAS ; que l'octroi d'une telle avance, dont l'objet allégué était étranger à celui du Comité, n'entrait pas, à l'évidence dans la catégorie des opérations intéressant la vie courante de l'établissement pour lesquelles M. BLAS avait reçu délégation du conseil, qu'au surplus, alors que M. LAMAIRE s'était engagé à rembourser cette somme à la demande du comité, il l'a conservée, pour un usage ignoré, après sa révocation ;

Considérant qu'ainsi MM. BLAS et LAMAIRE ont enfreint les règles relatives à l'exécution des dépenses du Comité, infraction visée par l'article 5 de la loi du 25 septembre 1948 modifiée ; qu'en acceptant le paiement anticipé à M. BLAS de son indemnité, M. LAMAIRE a procuré à celui-ci un avantage injustifié entraînant un préjudice pour le CNPT, au sens de l'article 6 de la loi du 25 septembre 1948 modifiée ;

Considérant enfin que, postérieurement au décès de M. BLAS, survenu en septembre 1975, M. LAMAIRE a trompé la vigilance de M. FERTE, administrateur, Président de la Commission administrative et financière, et abusé de la confiance que celui-ci pouvait lui porter en obtenant qu'il avalise diverses décisions présentées par M. LAMAIRE comme ayant été prises ou promises par le Président disparu ; qu'en premier lieu M. FERTE a pris conjointement avec M. LAMAIRE, la décision de consentir un avancement exceptionnel à Melle DURAND, secrétaire, qui, recrutée le 1er mai 1974 au salaire mensuel de 1 832 F, a bénéficié à compter du 1er octobre 1975 d'une rémunération de 5 469 F ; qu'une telle décision, dès lors qu'elle dérogeait aux règles applicables au personnel du CNPT, devait être prise soit par le conseil soit par son président ; que ni M FERTE en sa qualité de président de la commission administrative et financière, ni M. LAMAIRE en tant que directeur, n'étaient habilités à prendre une telle initiative ; qu'en second lieu, si les conditions de recrutement de M. LAMAIRE prévoyaient bien la possibilité d'une promotion, la décision appartenait, en commun, au Président du Conseil et à celui de la commission administrative et financière ; que, malgré ces dispositions, M. FERTE consentit seul en octobre 1975 une augmentation de 2 000 F au profit de M. LAMAIRE qui, de ce fait, a bénéficié d'un supplément de rémunération de l'ordre de 4 000 F ;

Considérant que sur le premier point MM. FERTE et LAMAIRE, en usurpant les pouvoirs du président, ont enfreint les règles applicables en matière de dépenses du CNPT ; qu'ils tombent donc sous le coup de l'article 5 de la loi du 25 septembre 1948 modifiée ;

Considérant que, sur le second point, l'augmentation de salaire accordée à M. LAMAIRE en octobre 1975 par M. FERTE relevait en la forme de la compétence conjointe de ce dernier et du président du conseil d'administration ; que M. FERTE a ainsi enfreint les règles applicables aux dépenses du CNPT ; qu'il tombe donc sous le coup de l'article 5 de la loi du 25 septembre 1948 modifiée ;

Considérant que le décès de M. BLAS fait obstacle à l'exercice des poursuites à son égard ;

Considérant que les multiples infractions relevées à l'encontre de M LAMAIRE doivent être appréciées d'autant plus sévèrement que, si elles traduisent d'abord une méconnaissance prolongée et systématique des règles juridiques applicables au fonctionnement de l'organisme dont l'intéressé était le directeur général, elles ont également comporté des pratiques, sans lien nécessaire avec ce fonctionnement, motivées par la seule satisfaction des intérêts pécuniaires personnels de M. LAMAIRE ;

Considérant que M. FERTE n'a tiré aucun avantage personnel des décisions irrégulières auxquelles il a souscrit et qui lui étaient présentées comme ayant déjà été arrêtées dans leur principe par M. BLAS avant son décès ;

Considérant toutefois que ces circonstances ne sauraient conduire à dégager entièrement la responsabilité de l'intéressé, qui est dans son principe la contrepartie de la part faite aux représentants de la profession dans un organisme les intéressant au premier chef ; qu'il convient donc de prononcer à l'encontre de M. FERTE une condamnation dont le montant souligne le caractère de principe ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'il sera fait une juste appréciation de l'ensemble des circonstances de l'affaire en infligeant à M. LAMAIRE une amende de quarante mille francs et à M. FERTE une amende de cent francs ;

ARRETE :

Article 1er.- M. Lucien LAMAIRE est condamné à une amende de quarante mille francs ;

Article 2.- M. Marc FERTE est condamné à une amende de cent francs ;

Article 3.- Le présent arrêt sera publié au Journal Officiel de la République Française ;