REPUBLIQUE FRANCAISE

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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LA COUR DE DISCIPLINE BUDGETAIRE ET FINANCIERE
Siégeant à la Cour des comptes en audience publique a rendu l’arrêt suivant :

Vu le titre Ier du livre III du code des juridictions financières relatif à la Cour de discipline budgétaire et financière ;

Vu les lois et règlements applicables aux établissements publics de santé ;

Vu le code des marchés publics dans sa rédaction applicable à l’époque des faits ;

Vu le déféré de la ministre de la santé et des sports en date du 3 août 2009, enregistré au parquet général le 26 août 2009, qui a porté à la connaissance du procureur général près la Cour des comptes, ministère public près la Cour de discipline budgétaire et financière, diverses irrégularités commises dans la gestion du centre hospitalier universitaire (CHU) de Caen durant les années 2007 et 2008 ;

Vu le déféré du procureur financier près la chambre régionale des comptes de Basse-Normandie en date du 15 février 2011, enregistré au parquet général le 11 mars 2011, qui a porté à la connaissance du procureur général près la Cour des comptes, ministère public près la Cour de discipline budgétaire et financière, diverses autres irrégularités également commises dans la gestion du CHU de Caen durant les années 2007 et 2008 ;

Vu les réquisitoires des 8 septembre 2010 et 28 avril 2011 par lesquels le procureur général a saisi la Cour des faits susmentionnés, conformément à l’article L. 314-1 du code des juridictions financières ;

Vu les décisions du président de la Cour de discipline budgétaire et financière des 7 octobre 2010 et 22 janvier 2013 nommant successivement en qualité de rapporteur M. Axel Urgin, conseiller maître à la Cour des comptes et M. Francis Cahuzac, conseiller maître à la Cour des comptes ;

Vu les lettres recommandées des 26 juin et 10 juillet 2013 par lesquelles le procureur général a informé M. Joël Martinez, directeur général du CHU de Caen, M. Marc-François Guimbard, directeur adjoint, et Mme Catherine Maze, directrice, de l’ouverture d’une instruction dans les conditions prévues à l’article L. 314-4 du code susvisé, ensemble les avis de réception de ces lettres ;

Vu la lettre du 13 novembre 2013 du président de la Cour de discipline budgétaire et financière transmettant au procureur général le dossier de l’affaire, après dépôt du rapport de M. Cahuzac, en application de l’article L. 314-4 du code des juridictions financières ;

Vu la lettre du procureur général au président de la Cour de discipline budgétaire et financière en date du 13 mars 2014 l’informant de sa décision, après communication du dossier de l’affaire, de poursuivre la procédure, en application de l’article L. 314-4 du même code ;

Vu les lettres du 18 mars 2014 par lesquelles, en application de l’article L. 314-5 du code des juridictions financières, le président de la Cour de discipline budgétaire et financière a transmis pour avis le dossier de l’affaire à la ministre des affaires sociales et de la santé et au ministre de 1’économie et des finances, ensemble les accusés de réception de ces lettres ;

Vu l’avis émis par la ministre des affaires sociales et de la santé le 18 avril 2014 ;

Vu la lettre du président de la Cour de discipline budgétaire et financière du 23 avril 2014 transmettant le dossier de l’affaire au procureur général, conformément à l’article L. 314-6 du code précité ;

Vu la décision de renvoi devant la Cour de discipline budgétaire et financière de MM. Martinez et Guimbard et de Mme Maze prise le 2 juin 2014 par le procureur général pour qu'il soit statué sur leur responsabilité et fait application à leur encontre des sanctions prévues aux articles L. 313-4 et L. 313-6 du code des juridictions financières ;

Vu les lettres recommandées, en date du 6 juin 2014, de la greffière de la Cour de discipline budgétaire et financière avisant MM. Martinez et Guimbard et Mme Maze qu’ils pouvaient prendre connaissance du dossier suivant les modalités prévues par l’article L. 314-8 du code précité, ensemble les accusés de réception de ces lettres ;

Vu les mémoires en défense produits par M. Martinez le 16 juillet 2014 et par Maître Jastrzeb, pour le compte de M. Guimbard et de Mme Maze, le 21 juillet 2014 ;

Vu les autres pièces du dossier, notamment les procès-verbaux d’audition et le rapport d’instruction de M. Cahuzac ;

Vu le document, transmis à la Cour au début de l’audience publique par M. Martinez, relatif au taux indicatif de référence pour une mission de base sans études d’exécution, extrait du guide la mission interministérielle pour la qualité des constructions publiques (MIQCP) ;

Entendu M. Cahuzac résumant son rapport écrit en application des articles L. 314-12 et R. 314-1 du code des juridictions financières ;

Entendu M. Prioleaud, commissaire du Gouvernement, résumant la décision de renvoi en application des articles L. 314-12 et R. 314-1 du code des juridictions financières ;

Entendu le procureur général en ses conclusions, en application de l’article L. 314-12 du code des juridictions financières ;

Entendu en sa plaidoirie Maître Jastrzeb pour M. Guimbard et Mme Maze, M. Fréchou, conseil de M. Martinez ; M. Martinez, M. Guimbard et Mme Maze ayant présenté leurs explications et observations, la défense ayant eu la parole en dernier ;

I - Sur l’absence d’avis du ministre de l’économie et des finances

Considérant que l’absence de réponse du ministre de l’économie et des finances à la demande d’avis formulée le 18 mars 2014 ne fait pas obstacle à la poursuite de la procédure en application de l’article L. 314-5 du code des juridictions financières ;

II - Sur la prescription

Considérant que, aux termes de l’article L. 314-2 du code des juridictions financières, le délai de saisine de la Cour est de cinq années révolues à compter du jour où a été commis le fait de nature à donner lieu à l’application des sanctions réprimées par la Cour ; que les dates d’interruption de la prescription sont, en l’espèce, celles de l’enregistrement des déférés au ministère public, les 26 août 2009 et 11 mars 2011 ; qu’en conséquence les faits de l’espèce, intervenus en 2007 et 2008, ne sont pas couverts par la prescription ;

III - Sur la compétence de la Cour

Considérant qu’en application du I de l’article L. 312-1 du code des juridictions financières, est notamment justiciable de la Cour de discipline budgétaire et financière tout fonctionnaire ou agent civil ou militaire de l’État, des collectivités territoriales, de leurs établissements publics ainsi que des groupements des collectivités territoriales ; qu’il résulte du texte précité que les fonctionnaires ou agents du CHU de Caen, qui est un établissement public, sont justiciables de la Cour ;

IV - Sur la commande publique

Considérant, en premier lieu, que le code des marchés publics, dans sa version applicable à compter du 1er septembre 2006, disposait en son article 2 que « Les pouvoirs adjudicateurs soumis au présent code sont : 1° L’Etat et ses établissements publics autres que ceux ayant un caractère industriel et commercial ; 2° Les collectivités territoriales et les établissements publics locaux […] » ;

Considérant, en second lieu, que l’article L. 6141-1 du code de la santé publique disposait, jusqu’à l’entrée en vigueur de l’ordonnance n° 2010-331 du 25 mars 2010, que « Les établissements publics de santé sont des personnes morales de droit public dotées de l’autonomie administrative et financière. Leur objet principal n’est ni industriel, ni commercial. Ils sont communaux, intercommunaux, départementaux, interdépartementaux ou nationaux. » ; que ces dispositions étaient applicables au moment des faits soit en 2007 et 2008 ;

Considérant qu’il résulte des textes précités que les dispositions du code des marchés publics s'appliquaient au moment des faits aux marchés passés par le CHU de Caen ;

IV – 1. Sur les marchés de maîtrise d’œuvre

Considérant que des travaux portant sur trois logements de fonction appartenant au CHU de Caen et sis respectivement 25, rue des frères Colin, 10, rue Antoine Cavelier et 10, avenue Clemenceau à Caen ont été commandés et payés au cours des années 2007 et 2008 ;

Considérant que, pour chacun des trois logements de fonction, l’établissement a passé des marchés de maîtrise d’œuvre, des marchés à bons de commande et réglé diverses factures ;

Sur le marché de maîtrise d’œuvre de l’opération située 25, rue des frères Colin

Considérant que le marché de maîtrise d’œuvre, d’un montant prévisionnel de 8 556 € HT, et le cahier des clauses administratives particulières (CCAP) de l’opération située 25, rue des frères Colin ont été signés par le maître d’œuvre le 30 juin 2008 ; que le marché a été signé par le directeur général le 9 juillet 2008 ;

Considérant que le marché comme le CCAP indiquent que le contrat a été conclu en vertu des articles 28 et 74 du code des marchés publics ; que l’article 28 prévoit notamment que : « Le pouvoir adjudicateur peut décider que le marché sera passé sans publicité ni mise en concurrence préalables si les circonstances le justifient, ou si son montant estimé est inférieur à 4 000 € HT, ou dans les situations décrites au II de l’article 35. » ;

Considérant qu'aux termes de l’article 35 dans sa version applicable en juillet 2008 : « II. - Peuvent être négociés sans publicité préalable et sans mise en concurrence : 1° Les marchés et les accords-cadres conclus pour faire face à une urgence impérieuse résultant de circonstances imprévisibles pour le pouvoir adjudicateur et n’étant pas de son fait, et dont les conditions de passation ne sont pas compatibles avec les délais exigés par les procédures d’appel d’offres ou de marchés négociés avec publicité et mise en concurrence préalable, et notamment les marchés conclus pour faire face à des situations d’urgence impérieuse liées à une catastrophe technologique ou naturelle. Peuvent également être conclus selon cette procédure les marchés rendus nécessaires pour l’exécution d’office, en urgence, des travaux réalisés par des pouvoirs adjudicateurs en application des articles L. 1311-4, L. 1331-24, L. 1331-26-1, L. 1331-28, L. 1331-29 et L. 1334-2 du code de la santé publique et des articles L. 123-3, L. 129-2, L. 129-3, L. 511-2 et L. 511-3 du code de la construction et de l’habitation. Ces marchés sont limités aux prestations strictement nécessaires pour faire face à la situation d’urgence. » ;

Considérant que l’opération de réaménagement et d’extension du pavillon situé 25, rue des frères Colin ne s’inscrivait pas, pour le CHU de Caen, dans une situation d’urgence impérieuse résultant de circonstances imprévisibles ; qu’il ne résulte pas des pièces au dossier que les circonstances de la passation du marché pouvaient justifier l’absence de publicité et de mise en concurrence ; que le montant estimé du marché était supérieur à 4 000 € HT ;

Considérant que le CHU de Caen, à qui il a été demandé d’apporter les preuves de la mise en concurrence de ce marché, a fait savoir, par courrier du 27 mai 2013, qu’il n’avait pas fait l’objet d’une mise en concurrence ni de mesures de publicité ;

Considérant qu’ainsi un marché de maîtrise d’œuvre a été conclu de manière irrégulière, sans publicité ni mise en concurrence ; qu’il est de plus indiqué de manière inexacte, aussi bien dans le marché que dans le CCAP, que le contrat a été conclu en vertu des articles 28 et 74 du code des marchés publics ;

Sur le marché de maîtrise d’œuvre de l’opération située 10, rue Antoine Cavelier

Considérant que le contrat de mission d’architecte d’intérieur, ayant pour objet la rénovation d’un pavillon de fonction sis 10, rue Antoine Cavelier, a été passé à la suite d’une commande du directeur général (lettre de l’architecte en date du 4 avril 2008) sans mise en concurrence ni publicité ; qu’il a été signé le 4 juin 2008 par l’architecte et cosigné du directeur général à une date illisible ;

Considérant que le montant du contrat précité était de 19 966,57 € TTC ; que ce montant doit être complété d’honoraires complémentaires ayant porté la totalité de la rémunération à 26 949 €, sans avenant au marché ;

Considérant que l’opération de réaménagement et d’extension du pavillon situé 10, rue Antoine Cavelier ne s’inscrivait pas dans une situation d’urgence impérieuse résultant de circonstances imprévisibles pour le CHU de Caen ; qu’il ne résulte pas des pièces au dossier que les circonstances de la passation du marché pouvaient justifier l’absence de publicité et de mise en concurrence ; que le montant estimé du marché était supérieur à 4 000 € HT ;

Considérant que le CHU de Caen, à qui il a été demandé d’apporter les preuves de la mise en concurrence de ce marché, a fait savoir, par courrier du 27 mai 2013, qu’il n’avait fait l’objet ni d’une mise en concurrence ni de mesures de publicité ;

Considérant qu’ainsi un marché de maîtrise d’œuvre a été conclu de manière irrégulière, sans publicité ni mise en concurrence ; que de plus il est indiqué, de manière inexacte, aussi bien dans le marché que dans le CCAP, que le contrat a été conclu en vertu des articles 28 et 74 du code des marchés publics ;

Sur les marchés de maîtrise d’œuvre de l’opération située 10, avenue Clemenceau

Considérant que deux marchés de maîtrise d’œuvre n° 7000-6018 et n° 8000-6014 ont été conclus pour des travaux d’aménagement intérieurs et extérieurs d’un pavillon servant de logement de fonction situé 10, avenue Georges Clemenceau à Caen ; que le deuxième marché, signé le 29 juillet 2008, porte sur le même objet que le premier ; qu’il a été réglé 82 240 € au titre du marché n° 7000-6018 et 6 686 € au titre du marché 8000-6014 ;

Considérant en premier lieu que les marchés comme les CCAP indiquent que les contrats ont été conclus en vertu des articles 28 et 74 du code des marchés publics ; que, toutefois, le CHU, à qui il a été demandé d’apporter les preuves de la mise en concurrence, a fait savoir, par courrier du 27 mai 2013, qu’ils n’avaient fait l’objet ni d’une mise en concurrence ni de mesures de publicité ;

Considérant que l’opération de réhabilitation du pavillon ne s’inscrivait pas dans une situation d’urgence impérieuse résultant de circonstances imprévisibles pour le CHU de Caen ; qu'il ne ressort pas des pièces au dossier que les circonstances de la passation du marché aient pu justifier l’absence de publicité et de mise en concurrence ; que le montant estimé du marché était supérieur à 4 000 € HT ;

Considérant que la passation de ces marchés aurait dû être soumise à une procédure comprenant des formalités de publicité et de mise en concurrence ;

Considérant en deuxième lieu que l’article 20 du code des marchés publics dispose que : « Sauf sujétions techniques imprévues ne résultant pas du fait des parties, un avenant ou une décision de poursuivre ne peut bouleverser l’économie du marché ou de l’accord-cadre, ni en changer l’objet. » ;

Considérant que le premier marché de maîtrise d’œuvre, signé le 24 avril 2007 par Mme Maze, portant sur le réaménagement du logement sis, 10, avenue Georges Clemenceau à Caen, est d’un montant de 31 262 € HT ; que deux avenants ont porté ce marché à 68 763,21 € HT, l’estimation prévisionnelle des travaux passant de 284 200 € HT à 625 120,12 € HT, le premier avenant ayant été signé par M. Guimbard, directeur adjoint, et le second par Mme Maze ; que, du fait de l’extension de l’objet des travaux et de l’augmentation considérable de leur coût, ces avenants doivent être regardés comme ayant entraîné un bouleversement de 1'économie du marché, en violation des dispositions de 1'article 20 du code des marchés publics ; que l’absence de maîtrise du chantier par les responsables de l’établissement public a été favorisée par le recours à des marchés à bons de commande et des paiements sur factures ; qu’en outre, les avenants aux marchés de maîtrise d’œuvre n'ont pas été soumis à la commission d’appel d’offres de l’établissement public, en méconnaissance de l’obligation édictée par l’article 8 de la loi n° 95-127 du 8 février 1995 modifié par l’article 19 de la loi n° 2007-1787 du 20 décembre 2007 ;

Considérant en troisième lieu que, selon les termes mêmes du premier marché, la mission du maître d’œuvre portait notamment sur l’assistance aux contrats de travaux, la direction des travaux et la réception des travaux ; que la mission définie dans le deuxième marché, signé par M. Martinez, portait sur les éléments de projet suivants : esquisses, avant-projet sommaire, avant-projet détaillé, projet, dossier de consultation des entreprises, assistance aux contrats de travaux ;

Considérant qu’il résulte de l’instruction qu’une rémunération a été versée au titre du dossier de consultation des entreprises ainsi que de l’assistance aux contrats de travaux, alors même qu’aucun contrat spécifique de travaux n’a été conclu dans le cadre de cette opération ; que les paiements des travaux ont été faits, soit dans le cadre de factures, soit dans celui de marchés à bons de commande signés, pour la plupart, antérieurement au premier contrat de maîtrise d’œuvre, et pour tous, antérieurement au deuxième contrat de maîtrise d’œuvre ; que tous ces marchés avaient un autre objet que celui de l’opération ;

Considérant que M. Martinez fait valoir, dans son mémoire en défense, que les taux de rémunération consentis au maître d’œuvre auraient été réduits en comparaison des taux indicatifs publiés dans le guide de la MIQCP pour tenir compte de la réduction des prestations qu’il devait fournir en fait ; que toutefois le montant des honoraires du maître d’œuvre a été fixé par le contrat à 11 % du montant des travaux HT, taux peu éloigné des références produites par M. Martinez dans son mémoire en défense (taux indicatif de 11,70 % pour un montant HT de travaux de 760 000 €, valeur 1994) alors que les missions du maître d’œuvre étaient très sensiblement réduites ;

Sur la qualification et les responsabilités

Considérant qu’en vertu de l’article L. 313-4 du code des juridictions financières : « Toute personne visée à l’article L. 312-1 qui, en dehors des cas prévus aux articles précédents, aura enfreint les règles relatives à l’exécution des recettes et des dépenses de l’Etat ou des collectivités, établissements et organismes mentionnés à ce même article ou à la gestion des biens leur appartenant ou qui, chargée de la tutelle desdites collectivités, desdits établissements ou organismes, aura donné son approbation aux décisions incriminées sera passible de l’amende prévue à l’article L. 313-1. » ;

Considérant que les passations des marchés de maîtrise d’œuvre et de leurs avenants ont méconnu les dispositions du code des marchés publics ; que cette méconnaissance constitue une infraction prévue et réprimée par 1'article L. 313-4 du code des juridictions financières ;

Considérant qu’en vertu de l’article L. 313-6 du code des juridictions financières : « Toute personne visée à l’article L. 312-1 qui, dans l’exercice de ses fonctions ou attributions, aura, en méconnaissance de ses obligations, procuré à autrui un avantage injustifié, pécuniaire ou en nature, entraînant un préjudice pour le Trésor, la collectivité ou l’organisme intéressé, ou aura tenté de procurer un tel avantage sera passible d’une amende dont le minimum ne pourra être inférieur à 300 euros et dont le maximum pourra atteindre le double du montant du traitement ou salaire brut annuel qui lui était alloué à la date de l’infraction. » ;

Considérant que le respect des règles du code des marchés publics s’impose aux agents publics et que le fait de s’exonérer du respect de ces règles doit être considéré comme une méconnaissance de leurs obligations ; qu’il appartient aux responsables d’un établissement public de veiller à la mise en place d’une organisation et de procédures garantissant le respect de ces règles ;

Considérant que, s’agissant de l’opération du 10, avenue Clemenceau, la rémunération de l’architecte pour des éléments de mission non réalisés a constitué un avantage injustifié à autrui ; qu’en outre, elle a créé un préjudice à l’hôpital ; qu’ainsi elle constitue une infraction prévue et réprimée par l’article L. 313-6 du code des juridictions financières ;

Considérant que M. Martinez, directeur général, était dans l’obligation, pour l’exercice de ses fonctions de directeur général du CHU, d’être au fait des règles de la commande publique ; qu’il a souhaité suivre personnellement le déroulement de l’opération du 10, avenue Clemenceau, la direction du patrimoine et des infrastructures n’ayant, sur sa demande, pas désigné de conducteur de travaux pour suivre cette opération comme elle le fait habituellement ; qu’il a été signataire des nombreuses pièces des marchés de maîtrise d’œuvre ; qu’il porte ainsi la principale responsabilité en cette matière ;

Considérant que Mme Maze, directrice à la direction du patrimoine et des infrastructures, était chargée à ce titre d’assurer la surveillance de la passation des marchés ; qu’elle a signé le premier marché, le 24 avril 2007, portant sur le réaménagement du logement sis 10, avenue Georges Clemenceau à Caen, ainsi que le second avenant à ce marché ; qu’en conséquence elle porte une responsabilité dans les irrégularités constatées ;

Considérant que M. Guimbard, directeur adjoint à la direction du patrimoine et des travaux, participait à la mission de surveillance de la passation des marchés ; qu’il a signé le premier avenant au premier marché de maîtrise d’œuvre portant sur le réaménagement du logement situé 10, avenue Georges Clemenceau ; qu’il porte ainsi une responsabilité dans les irrégularités constatées ;

IV – 2. Sur les missions confiées à la société KPMG

Considérant que deux missions d’audit des comptes du CHU de Caen ont été confiées au cours des années 2007 et 2008 à la société KPMG ; que les contrats étaient d’un montant respectif de 86 800 € TTC et de 56 000 € TTC ;

Considérant que le « bon pour accord » au premier contrat a été signé le 28 février 2007 par le directeur général, M. Martinez ; que le « bon pour accord » à la deuxième mission a également été signé par le directeur général de l’établissement à une date non précisée sur le document, la proposition de mission de KPMG étant cependant datée du 7 avril 2008 ;

Considérant qu'aux termes de l’article 28 du code des marchés publics dans sa version applicable au moment de la signature des contrats en cause : « Le pouvoir adjudicateur peut décider que le marché sera passé sans publicité ni mise en concurrence préalables si les circonstances le justifient, ou si son montant estimé est inférieur à 4 000HT ou dans les situations décrites au II de l’article 35. » ;

Sur la qualification et les responsabilités

Considérant que les circonstances ne justifiaient pas la signature de contrats sans publicité ni mise en concurrence ; que leurs montants étaient supérieurs à 4 000 € HT et que les conditions prévues à l’article 35 précité et relatives à des situations d’urgence ne leur étaient pas applicables ;

Considérant en effet que, même si la situation financière très dégradée de l’établissement a conduit les autorités de tutelle à demander au nouveau directeur général la production d’un plan de retour à l’équilibre, cette demande ne justifiait pas qu’il puisse s’affranchir des règles de la commande publique ;

Considérant qu’il ressort de l’instruction et des pièces du dossier que ces contrats n’ont donné lieu ni à publicité ni à mise en concurrence ; que ces irrégularités constituent une infraction prévue et réprimée par l’article L. 313-4 du code des juridictions financières ;

Considérant que M. Martinez, qui a signé les commandes des missions de la société KPMG, porte la responsabilité de ces irrégularités ;

V - Sur le recrutement d’un ingénieur hospitalier

Considérant que Mme Martinez, épouse du directeur général du CHU de Caen, a été recrutée le 10 août 2007, en qualité d’ingénieur hospitalier contractuel, sur un contrat à durée indéterminée ; que ce contrat prévoyait que Mme Martinez serait rémunérée à l’indice afférent au 6ème échelon du grade d’ingénieur en chef et bénéficierait d’une prime de technicité d’un montant égal à 30 % de son traitement brut mensuel ; qu’à compter du 1er septembre 2007 Mme Martinez a été mise à la disposition du groupement d’intérêt public (GIP) dénommé « Cyceron » auquel participait le CHU de Caen ;

Sur les stipulations du contrat

Considérant qu’aux termes de l’article 4 du décret n° 91-l55 du 6 février 1991 : « Les agents sont recrutés par contrat écrit. Celui-ci doit préciser l’article de la loi du 9 janvier 1986 et, le cas échéant, l’alinéa en vertu duquel il est établi. Outre sa date d’effet et la définition des fonctions occupées, le contrat détermine les conditions d’emploi de l’agent et notamment les modalités de sa rémunération. [...] » ;

Considérant que le contrat à durée indéterminée de Mme Martinez se borne à indiquer qu’elle est recrutée en qualité d’ingénieur hospitalier contractuel sans autre précision sur la nature de sa mission qui, comme l’a confirmé M. Martinez lors de l’audience, devait être temporaire ;

Considérant que M. Martinez, dans une lettre adressée le 4 novembre 2010 au président de la chambre régionale des comptes de Basse-Normandie, écrit que « […] le profil de poste avait été rédigé par le directeur du GIP Cyceron lui-même. » ; que le directeur du GIP, dans le courrier du 4 septembre 2007 qu’il adresse au directeur du CHU de Caen, précise que Mme Martinez sera accueillie en qualité de chargée de mission auprès de la direction du GIP ; qu’il définit précisément les tâches qui seront les siennes : « Dans ses fonctions, Madame RIDON [nom de jeune fille de Mme Martinez] sera chargée de : 1. L’analyse et la mise en œuvre d’une procédure visant à obtenir la certification ISO des examens d’imagerie chez l’homme, 2. L’étude et l’analyse économique des prestations de services de la plate-forme d’imagerie in vivo de Cyceron. » ;

Considérant que si M. Martinez estime que le directeur du GIP auprès duquel Mme Martinez a été mise à disposition a défini précisément les fonctions de celle-ci auprès de son établissement, ceci ne saurait pallier l’absence de toute définition des missions dans le contrat signé entre l’hôpital et Mme Martinez ;

Considérant que M. Martinez fait valoir, de surcroît, dans son mémoire en réponse que les dispositions de l’article 4 du décret précité n’imposent aucun cadre précis quant à la définition des fonctions proposées et que le contrat de Mme Martinez fait bien référence à la nature des fonctions qui lui sont confiées dans son article 1er « en qualité d’ingénieur hospitalier principal » et non « dans le grade de » puisqu’en tant qu’agent contractuel, elle n’était pas titulaire de son grade ;

Considérant toutefois que la notion d’ingénieur hospitalier principal qui désigne un grade ne suffit pas à définir la mission qui devait être confiée à Mme Martinez ; que Mme Martinez a été chargée d’une mission auprès de la direction du GIP sans que cette mission ne soit mentionnée dans son contrat de recrutement ; qu’au demeurant, un contrat à durée indéterminée n’est pas un support juridique adapté à une mission temporaire ;

Considérant dès lors, que le contrat de travail de Mme Martinez est irrégulier en ce qu'il est dépourvu de toute définition des missions réelles confiées à l’agent recruté ;

Sur la mise à disposition de Mme Martinez auprès du GIP « Cyceron »

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que Mme Martinez, recrutée comme agent contractuel du CHU le 10 août 2007, a été, dès le 1er septembre 2007, mise à disposition du GIP « Cyceron » tout en continuant à être rémunérée par le CHU ;

Considérant que le GIP « Cyceron », centre d’imagerie cérébrale et de recherche en neurosciences, est une personne morale de droit public doté de l’autonomie administrative et financière ; qu’il est une structure de coopération distincte des personnes morales qui la constituent ;

Considérant qu’aux termes de l’article 21 de la loi n° 82-610 du 15 juillet 1982 d’orientation et de programmation pour la recherche et le développement technologique de la France, dont les dispositions sont reprises dans l’article L. 341-4 du code de la recherche, en vigueur au moment des faits, « La convention par laquelle est constitué le groupement [d’intérêt public] […] détermine les modalités de participation des membres et les conditions dans lesquelles ils sont tenus des dettes du groupement. Elle indique les conditions dans lesquelles ceux-ci mettent à disposition du groupement des personnels rémunérés par eux. » ;

Considérant que ces dispositions législatives s’appliquent au GIP « Cyceron », eu égard à la nature de ses activités ; que la convention constitutive de ce GIP précise que le GIP peut accueillir des agents publics par voie de mise à disposition et en fixe les modalités ; que, dès lors, la mise à disposition de l’un de ses agents par le CHU de Caen auprès du GIP « Cyceron » et la prise en charge par l’établissement public hospitalier de la rémunération de cet agent ne constituent pas par elles-mêmes des irrégularités et, par suite, ne peuvent être regardées comme un avantage injustifié accordé à autrui au préjudice du CHU de Caen ;

Sur l’absence de convention encadrant la mise à disposition

Considérant que l’article 9-l de la convention constitutive du GIP stipule que : « Le GIP peut accueillir par voie de mise à disposition des agents de l’Etat, des collectivités territoriales ou des établissements publics conformément à leurs statuts et aux règles de la fonction publique. Ces mises à disposition font l’objet de conventions précisant le nom et la qualification des agents concernés ainsi que la durée et les conditions de mise à disposition. » ;

Considérant que la mise à disposition de Mme Martinez a été faite de manière irrégulière en raison de l’absence de convention signée entre le GIP « Cyceron » et le CHU de Caen ;

Sur la qualification et les responsabilités

Considérant que les irrégularités commises dans la signature du contrat de Mme Martinez ainsi que l’absence de convention de mise à disposition entre le CHU de Caen et le GIP « Cyceron », constituent une infraction prévue et réprimée par l’article L. 313-4 du code des juridictions financières ;

Considérant que la responsabilité de M. Martinez, au vu notamment de la lettre du directeur du GIP « Cyceron » à son intention lui détaillant les missions de Mme Martinez est entière en raison d’une part, de l’absence de définition contractuelle de ces missions et d’autre part, de l’absence de passation d’une convention de mise à disposition ;

VI - Sur les circonstances

Considérant que M. Martinez, directeur général, était dans l’obligation, pour l’exercice de ses fonctions de directeur général du CHU, d’être au fait des règles de la commande publique ; qu’il a été signataire de nombreuses pièces des marchés de maîtrise d’œuvre des opérations de réhabilitation des logements de fonction ; qu’il a eu la connaissance complète des procédures suivies en l’espèce ; qu’il a souhaité suivre personnellement les opérations concernant les réaménagements des logements de fonction ; qu’il porte en conséquence la principale responsabilité en cette matière ;

Considérant que M. Martinez a par ailleurs signé les commandes des missions de la société KPMG et qu’il porte la responsabilité de ces irrégularités ;

Considérant que M. Martinez était, en tant que directeur général de l’établissement, l’autorité chargée du recrutement des personnels, hormis les personnels de direction ; qu’au vu notamment de la lettre du directeur du GIP « Cyceron », il a eu une connaissance complète de la procédure de recrutement de Mme Martinez ;

Considérant que la répétition des infractions constitue une circonstance aggravante ;

Considérant que Mme Maze, directrice à la direction du patrimoine et des infrastructures, était chargée à ce titre d’assurer la surveillance de la passation des marchés ; qu’elle a signé le premier marché, le 24 avril 2007, portant sur le réaménagement du logement sis 10, avenue Georges Clemenceau à Caen, ainsi que le second avenant à ce marché ; que, de ce fait, elle porte, comme il a été dit plus haut, une responsabilité dans les irrégularités commises ;

Considérant que, même si les conditions particulières dans lesquelles les opérations de réaménagement des logements de fonction ont été menées, sous le contrôle direct de M. Martinez, peuvent constituer des circonstances atténuantes pour Mme Maze, celle-ci, de par la nature de ses fonctions, aurait dû à tout le moins alerter par écrit le directeur général du CHU sur les irrégularités que faisaient apparaître les documents contractuels soumis à sa signature ;

Considérant que M. Guimbard, directeur adjoint à la direction du patrimoine et des infrastructures, participait à la mission de surveillance de la passation des marchés ; qu’il a signé le premier avenant au premier marché de maîtrise d’œuvre portant sur le réaménagement du logement sis 10, avenue Georges Clemenceau; qu’il porte ainsi, comme il a été dit plus haut, une responsabilité dans les irrégularités commises ;

Considérant que si d’une part, la courte période pendant laquelle M. Guimbard a assuré l’intérim de la direction du patrimoine et des infrastructures et d’autre part, les conditions particulières dans lesquelles les opérations de réaménagement des logements de fonction ont été menées, sous le contrôle direct de M. Martinez, peuvent constituer des circonstances atténuantes pour M. Guimbard, il n’en demeure pas moins que celui-ci, compte tenu de la nature de ses fonctions, aurait dû alerter par écrit ses supérieurs hiérarchiques sur les irrégularités que faisait apparaître l’avenant soumis à sa signature ;

VII - Sur l’amende

Considérant qu’il sera fait une juste appréciation des irrégularités commises et des circonstances de l’espèce en infligeant à M. Martinez une amende de 6 000 €, à Mme Maze une amende de 1 000 € et à M. Guimbard une amende de 300 €.

VIII - Sur la publication au Journal officiel de la République française

Considérant qu’il y a lieu, compte tenu des circonstances de l’espèce, de publier le présent arrêt au Journal officiel de la République française en application de l’article L. 314-20 du code des juridictions financières ;

ARRÊTE :

Article 1er - M. Martinez est condamné à une amende de 6 000 € (six mille euros).

Article 2 - Mme Maze est condamnée à une amende de 1 000 € (mille euros).

Article 3 - M. Guimbard est condamné à une amende de 300 € (trois cents euros).

Article 4 - Le présent arrêt sera publié au Journal officiel de la République française.

Délibéré par la Cour de discipline budgétaire et financière, le 12 septembre deux mille quatorze par M. Migaud, Premier président de la Cour des comptes, président ; M. Loloum, conseiller d’Etat ; Mme Fradin, conseiller maître à la Cour des comptes ; M. Bouchez, conseiller d’État ; M. Maistre, conseiller maître à la Cour des comptes ;

Lu en séance publique le six octobre 2014.

En conséquence, la République mande et ordonne à tous huissiers de justice sur ce requis de mettre ledit arrêt à exécution, aux procureurs généraux et aux procureurs de la République près les tribunaux de grande instance d’y tenir la main, à tous les commandants et officiers de la force publique de prêter main-forte lorsqu’ils en seront légalement requis.

En foi de quoi, le présent arrêt a été signé par le président et la greffière.

Le président,
Didier MIGAUD

La greffière,
Isabelle REYT