REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS,

LA COUR DE DISCIPLINE BUDGETAIRE ET FINANCIERE, siégeant à la Cour des comptes, en audience non publique, a rendu l'arrêt suivant :

LA COUR,

Vu le titre Ier du livre III du code des juridictions financières, relatif à la Cour de discipline budgétaire et financière ;

Vu la lettre du 23 mars 1994, enregistrée au Parquet le même jour, par laquelle la Cour des comptes, sur déféré décidé par la sixième chambre dans sa séance du 10 janvier 1994 et transmis par lettre signée de son président, a saisi la Cour de discipline budgétaire et financière d'irrégularités constatées dans la gestion de l'établissement public A. ;

Vu le réquisitoire en date du 11 mai 1994 par lequel le Procureur général près la Cour des comptes, ministère public près la Cour de discipline budgétaire et financière, a transmis le dossier à la Cour de discipline budgétaire et financière ;

Vu la décision du Président de la Cour de discipline budgétaire et financière du 16 mai 1994 désignant comme rapporteur M. Lasvignes, maître des requêtes au Conseil d'Etat ;

Vu l'accusé de réception de la lettre recommandée du 18 novembre 1994 par laquelle le Procureur général a informé M. X., ancien président ou "directeur général", de l'établissement public A. et président-directeur général de la société A. SA, de l'ouverture d'une instruction et l'a avisé qu'il était autorisé à se faire assister soit par un mandataire, soit par un avocat ou un avoué, soit par un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ;

Vu l'avis émis le 1er mars 1996 par le ministre délégué au budget, porte-parole du Gouvernement ;

Vu les conclusions du Procureur général, en date du 20 juin 1996, renvoyant M. X. devant la Cour de discipline budgétaire et financière ;

Vu la lettre, en date du 4 septembre 1996, du Président de la Cour de discipline budgétaire et financière au ministre de l'industrie, de la poste et des télécommunications, lui indiquant qu'aux termes de l'article L. 314-8 du code des juridictions financières, le dossier est communiqué à la commission administrative paritaire compétente ; attendu qu'en l'absence d'avis de la commission administrative paritaire dans un délai d'un mois, la Cour de discipline budgétaire et financière peut statuer, en application de l'article L. 314-8 du code des juridictions financières ;

Vu l'avis émis le 15 octobre 1996 par le ministre de l'industrie, de la poste et des télécommunications ;

Vu la décision du Président de la Cour de discipline budgétaire et financière du 16 octobre 1996 désignant comme rapporteur M. Japiot, auditeur au Conseil d'Etat, en remplacement de M. Lasvignes ;

Vu l'accusé de réception de la lettre recommandée en date du 23 octobre 1996, du secrétaire général de la Cour de discipline budgétaire et financière avisant M. X. qu'il pouvait prendre connaissance du dossier, dans un délai de quinze jours, soit par lui-même, soit par un mandataire, soit par un avocat ou un avoué, soit par un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ;

Vu les accusés de réception des lettres du Procureur général en dates des 4 décembre 1996 et 9 janvier 1997 citant M. X. à comparaître devant la Cour de discipline budgétaire et financière, lui précisant qu'en l'absence de demande contraire de sa part, l'audience de la Cour n'aurait pas de caractère public ;

Vu le mémoire en défense et le mémoire de production de pièces complémentaires présentés pour M. X., enregistrés au greffe de la Cour les 20 et 24 janvier 1997 ;

Vu l'ensemble des pièces qui figurent au dossier, et notamment le procès-verbal d'audition et le rapport d'instruction établi par M. Lasvignes ;

Entendu M. Japiot en son rapport ;

Entendu le Procureur général en ses conclusions et réquisitions ;

Entendu en leurs plaidoiries Me Piwnica et Me Vidal-Naquet, et en ses explications et observations M. X., l'intéressé et ses conseils ayant eu la parole les derniers ;

Sur les irrégularités :

Considérant que les irrégularités ayant affecté la gestion de l'établissement public A. ont trait au versement d'une indemnité compensatrice de préavis aux agents de cet établissement public à caractère administratif lors de la transformation de ce dernier en société anonyme A. ; que cette transformation a été effectuée le 1er novembre 1989, en application du décret du 19 avril 1989 ;

Considérant que, dans le cadre de cette opération, les conditions de transfert des personnels de l'établissement public à la nouvelle société ont été précisées, à la demande du ministre de l'industrie et de l'aménagement du territoire, par une lettre du ministre d'Etat, ministre de la fonction publique et des réformes administratives en date du 12 mai 1989 ; qu'il a ainsi été prévu que les agents de l'établissement qui accepteraient d'être recrutés par la société A. par un contrat de droit privé à durée indéterminée, ne pourraient pas percevoir d'indemnité de licenciement dès lors que leur nouvelle rémunération serait au moins égale à celle qu'ils percevaient antérieurement ; que les agents qui refuseraient une telle proposition de recrutement seraient considérés comme démissionnaires ; qu'enfin, les agents auxquels la société A. ne proposerait pas un recrutement seraient regardés comme licenciés par l'établissement public dans des conditions leur ouvrant droit à une indemnité de licenciement conformément aux dispositions des articles 50 et suivants du décret n° 86-83 du 17 janvier 1986 modifié relatif aux dispositions générales applicables aux agents non titulaires de l'Etat ;

Considérant que trente des quarante-trois agents de l'établissement public ont accepté le contrat de travail qui leur a été proposé par la société A. ; que d'autres agents ont refusé de signer un contrat de travail à durée indéterminée avec cette société, mais ont néanmoins accepté de conclure un contrat à durée déterminée, afin de terminer les travaux en cours ; que le licenciement de l'ensemble des agents contractuels de l'établissement public est intervenu le 30 octobre 1989 ; que tous les contrats de travail conclus avec la société anonyme A. ont pris effet le 1er novembre 1989 ;

Considérant que les agents de l'établissement public A. étaient des agents non titulaires de droit public, régis par les dispositions du 3e alinéa de l'article 3 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat ; que l'établissement A. était, avant sa dissolution, un établissement public à caractère administratif inscrit sur la liste annexée au décret n° 84-38 du 18 janvier 1984 ; qu'ainsi, il était autorisé à recruter des agents non titulaires pour pourvoir les emplois permanents ; que le décret n° 81-897 du 2 octobre 1981 créant l'établissement public A. a donné compétence au conseil d'administration de cet établissement pour arrêter les modalités de recrutement, de rémunération et d'emploi du personnel ; qu'un règlement du personnel a été adopté par le conseil d'administration de l'établissement public A. en avril 1983 et approuvé par les autorités de tutelle ;

Considérant qu'aux termes de l'article 1er du décret du 17 janvier 1986 précité : "Les dispositions du présent décret s'appliquent aux agents non titulaires de droit public de l'Etat et ses établissements publics à caractère administratif [...] recrutés ou employés dans les conditions définies aux articles 3 (2e, 3e et 6e alinéa) [...] de la loi du 11 janvier 1984 susvisée [...]. Les dispositions réglementaires en vigueur à la date de publication du présent décret continuent à s'appliquer au personnel qu'elles régissent si elles sont plus favorables" ; qu'il résulte de ces dispositions qu'à la date de leur licenciement, le 30 octobre 1989, les agents de l'établissement public A. étaient régis, d'une part, par le décret du 17 janvier 1986 et, d'autre part, par le règlement du personnel susmentionné d'avril 1983, lorsque ses dispositions étaient plus favorables que celles du décret du 17 janvier 1986 ;

Considérant que les agents de l'établissement public étaient fondés à exiger le respect des délais de préavis prévus par les dispositions de l'article 46 du décret précité du 17 janvier 1986, variant de huit jours à deux mois selon l'ancienneté des agents concernés ; que le règlement du personnel de l'établissement prévoyait, dans son article 28, un délai de préavis de trois mois pour certaines catégories d'agents ; qu'il résulte de l'instruction qu'aucun agent de l'établissement n'a bénéficié de ces délais de préavis prévus par la réglementation en vigueur ;

Considérant que si les dispositions de l'article L. 122-8 du code du travail prévoient que l'inobservation du délai de préavis ouvre droit à une indemnité compensatrice, ces dispositions ne sont cependant pas applicables aux agents non titulaires de droit public ; qu'en outre, aucune disposition du décret du 17 janvier 1986 précité ou du règlement du personnel de l'établissement public A., ni aucune autre disposition réglementaire ou législative, ni aucun principe général du droit, ne prévoyaient le versement d'une indemnité compensatrice de préavis au profit des agents de l'établissement public A. recrutés par la société A. ; que, dès lors, l'inobservation par l'établissement public du délai de préavis ne pouvait engager la responsabilité pécuniaire de cet établissement que dans les conditions du droit commun de la responsabilité administrative ; qu'ainsi, le montant de l'indemnité devait être fixé au regard de la situation individuelle de chaque agent, compte tenu du préjudice réellement subi par celui-ci du fait du non-respect du délai de préavis ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction qu'à la suite d'une action de revendication des agents concernés, M. X. a, par une note du 2 novembre 1989, étendu aux trente agents recrutés par la société anonyme A. le bénéfice de l'indemnité compensatrice de préavis qu'il n'avait accordée le 18 octobre 1989 qu'aux agents ayant refusé le contrat de travail à durée indéterminée proposé par la nouvelle société et ayant accepté seulement un contrat à durée déterminée ; que cette indemnité a été calculée forfaitairement pour tous les agents sur la base d'une durée de préavis de trois mois sans examen du préjudice réellement subi par chacun des agents ; qu'en particulier, cette indemnité forfaitaire a été versée aux trente agents, soit les trois-quarts de l'effectif de l'établissement, qui ont été recrutés immédiatement après leur licenciement par la société A. et n'ont donc subi aucun préjudice résultant de l'inobservation du délai de préavis par l'établissement ; qu'au total, le versement de cette indemnité à l'ensemble des agents de l'établissement a représenté une dépense de 1,9 million de francs, qui a dû être financée par une subvention de l'Etat accordée par une décision du ministre de l'industrie en date du 8 décembre 1989, prélevée sur les crédits ouverts au chapitre 64-96 du budget du ministère ;

Considérant que si M. X. soutient que le versement de ces indemnités compensatrices de préavis a évité un contentieux qui aurait pu conduire le juge administratif à condamner l'établissement à verser les indemnités de licenciement prévues par l'article 28 du règlement du personnel de l'établissement public A., plus favorable sur ce point que le décret précité du 17 janvier 1986, une telle circonstance, même à la supposer établie, serait sans incidence sur le caractère irrégulier du versement des indemnités compensatrices de préavis ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la décision d'étendre aux trente agents recrutés par la société A. le bénéfice de l'indemnité compensatrice de préavis constitue une infraction aux règles relatives à l'exécution des dépenses au sens de l'article L. 313-4 du code des juridictions financières ; qu'en outre, cette décision a procuré aux agents concernés un avantage injustifié, entraînant un préjudice tant pour l'organisme que pour le Trésor qui a en définitive supporté la dépense ; qu'ainsi, elle tombe également sous le coup des dispositions de l'article L. 313-6 du code des juridictions financières ;

Sur les responsabilités :

Considérant qu'il résulte de l'instruction que la décision d'étendre le bénéfice de l'indemnité compensatrice de préavis aux trente agents recrutés par la société A. sur des contrats de travail à durée indéterminée a été prise par M. X., et non par le conseil d'administration de l'établissement public ; que la circonstance que M. X. aurait obtenu un accord verbal d'un membre du cabinet du ministre de l'industrie est sans incidence sur sa propre responsabilité ;

Considérant qu'il y a lieu toutefois d'examiner s'il existe des circonstances de nature à atténuer la responsabilité de M. X. ;

Considérant, en premier lieu, qu'à l'époque des faits reprochés à M. X., la transformation d'un établissement public administratif en société anonyme soulevait des questions juridiques nouvelles et délicates ; que cette circonstance explique qu'il ait pu estimer que le versement d'indemnités compensatrices de préavis n'était pas illégal ;

Considérant, en second lieu, que le versement des indemnités compensatrices, dont M. X. lui-même n'a pas bénéficié, en enrayant la dégradation du climat social de l'établissement, a pu contribuer à faciliter les opérations de transformation de l'établissement public A. en société anonyme ;

Considérant, en dernier lieu, que postérieurement à la décision prise par M. X. le 2 novembre 1989 de verser l'indemnité compensatrice de préavis à tous les agents de l'établissement public A., le ministre de l'industrie, des postes et télécommunications et le ministre délégué au budget ont rapidement accepté d'allouer une subvention à la société A. afin de financer le versement des indemnités irrégulières ; qu'en outre, ils ont demandé à la Cour de reconnaître des circonstances atténuantes au bénéfice de M. X. ;

Considérant que l'ensemble de ces circonstances sont de nature à atténuer la responsabilité de M. X. ; qu'ainsi, il sera fait une juste appréciation des irrégularités imputables à M. X. en condamnant celui-ci au paiement d'une amende de 2 000 F ;

Considérant qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de publier le présent arrêt au Journal officiel de la République française ;

ARRETE :

Article 1er : M. X. est condamné à une amende de 2 000 F.

Article 2 : Le présent arrêt ne sera pas publié au Journal officiel de la République française.

Fait et jugé en la Cour de discipline budgétaire et financière le vingt-neuf janvier mil neuf cent quatre-vingt-dix-sept.

Présents : M. Joxe, Premier président de la Cour des comptes, président ; M. Massot, Président de la section des finances du Conseil d'Etat, vice-président ; MM. Galmot et Fouquet, conseillers d'Etat, MM. Gastinel et Capdeboscq, conseillers maîtres à la Cour des comptes, membres de la Cour de discipline budgétaire et financière ; M. Japiot, auditeur au Conseil d'Etat, rapporteur.

En conséquence, la République mande et ordonne à tous huissiers de justice sur ce requis de mettre ledit arrêt à exécution, aux procureurs généraux et aux procureurs de la République près les tribunaux de grande instance d'y tenir la main, à tous commandants et officiers de la force publique de prêter main-forte lorsqu'ils en seront légalement requis.

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le Président de la Cour et le Greffier.

Le Président, Le Greffier,