REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LA COUR DE DISCIPLINE BUDGETAIRE ET FINANCIERE, siégeant à la Cour des comptes, en audience publique, a rendu l'arrêt suivant :
LA COUR,
Vu le livre III du code des juridictions financières, relatif à la Cour de discipline budgétaire et financière ;
Vu la lettre du 1er août 1996 enregistrée au Parquet le même jour, par laquelle le président de la cinquième chambre de la Cour des comptes a informé le Procureur général près la Cour des comptes, ministère public près la Cour de discipline budgétaire et financière, de divers faits et irrégularités relevés dans la gestion de l'association l'Etape, sise à Charleville-Mézières ;
Vu le réquisitoire en date du 3 septembre 1997 par lequel le Procureur général a saisi la Cour de discipline budgétaire et financière des faits susmentionnés, conformément aux articles L. 314-1 et L. 314-3 du code précité ;
Vu la décision du Premier président de la Cour des comptes, président de la Cour de discipline budgétaire et financière en date du 15 octobre 1997 désignant comme rapporteur M. Jean Hernandez, conseiller maître à la Cour des comptes ;
Vu les lettres recommandées en date du 15 septembre 1998 par lesquelles le Procureur général a informé M. Michel Gustin et M. Alain Koskas, respectivement président et directeur général de l'Etape au moment des faits, de l'ouverture d'une instruction dans les conditions prévues à l'article L. 314-4 du code précité, ensemble les accusés de réception de ces lettres ;
Vu la lettre du président de la Cour de discipline budgétaire et financière en date du 27 mai 2002 transmettant au procureur général le dossier de l'affaire après dépôt du rapport d'instruction, conformément à l'article L. 314-4 du code précité ;
Vu la lettre du Procureur général au Président de la Cour de discipline budgétaire et financière en date du 24 décembre 2002 l'informant de sa décision de poursuivre la procédure, en application de l'article L. 314-4 du code précité ;
Vu les lettres du Président de la Cour de discipline budgétaire et financière en date du 16 janvier 2003 saisissant pour avis le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie et le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité, en application de l'article L. 314 -5 du code précité ;
Vu la réponse du directeur du budget en date du 7 avril 2003 ne faisant part d'aucune observation sur l'affaire ;
Vu la décision du Procureur général en date du 9 mai 2003 renvoyant MM. Gustin et Koskas devant la Cour de discipline budgétaire et financière, en application de l'article L. 314-6 du code précité ;
Vu la lettre du président de la Cour de discipline budgétaire et financière en date du 14 mai 2003 transmettant le dossier au ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité pour avis de la commission administrative paritaire compétente, en application de l'article L. 314-8 du code précité ;
Vu les lettres recommandées en date du 16 juin 2003 de la secrétaire générale de la Cour de discipline budgétaire et financière avisant MM. Gustin et Koskas qu'ils pouvaient prendre connaissance du dossier suivant les modalités prévues par l'article L. 314-8 du code précité, ensemble les accusés de réception de ces lettres ;
Vu les lettres recommandées en date du 4 juillet 2003 par lesquelles le procureur général a cité MM. Gustin et Koskas à comparaître devant la Cour de discipline budgétaire et financière, ensemble les accusés de réception de ces lettres ;
Vu le mémoire en défense déposé par M. Koskas et enregistré au greffe de la Cour de discipline budgétaire et financière le 21 juillet 2003 ainsi que le mémoire déposé par M. Gustin et enregistré le 3 septembre 2003 ;
Vu les convocations à témoin adressées le 25 juillet 2003 par le Président de la Cour de discipline budgétaire et financière à MM. Ferrando y Puig, Le Guillou, Arezki et Hirsch, ensemble les accusés de réception de ces lettres ;
Vu l'ensemble des pièces qui figurent au dossier, notamment les procès verbaux d'audition de MM. Gustin et Koskas, les témoignages recueillis ainsi que le rapport d'instruction de M. Hernandez ;
Entendu M. Hernandez en son rapport ;
Entendu le procureur général en ses conclusions et réquisitions ;
Entendus les témoins cités par M. Koskas ;
Entendu en sa plaidoirie Me Frémaux pour M. Koskas et, en leurs explications et observations, MM. Gustin et Koskas, les intéressés et le conseil de M. Koskas ayant eu la parole en dernier ;
Sur la compétence de la Cour
Considérant que MM. Gustin et Koskas étaient, lors des faits déférés à la Cour, respectivement président et directeur général de l'association l'Etape sise à Charleville-Mézières et mise en liquidation en 1995 ; qu'ils ont occupé ces fonctions, s'agissant de M. Gustin jusqu'au 19 octobre 1994 et, s'agissant de M. Koskas jusqu'au 13 janvier 1995 ;
Considérant que l'association en cause gérait un centre d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS), un service d'orientation et de suite et un service de contrôle judiciaire, ainsi que diverses actions destinées à la réinsertion de personnes en difficulté ; qu'elle bénéficiait à ce titre de concours financiers de l'État ; qu'elle était ainsi soumise au contrôle de la Cour des comptes ; que ses dirigeants relèvent en conséquence de la compétence de la Cour de discipline budgétaire et financière en cette seule qualité ;
Sur la procédure
Sur la prescription
Considérant que l'ensemble des faits pour lesquels les intéressés sont renvoyés devant la Cour sont postérieurs au 1er août 1991 ; qu'ils ne sont donc pas couverts par la prescription édictée par l'article L. 314-2 du code des juridictions financières ;
Sur l'absence d'avis du ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité
Considérant que l'absence de réponse du ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité dans le délai de deux mois qui lui avait été imparti par la demande formulée le 16 janvier 2003 ne fait pas obstacle à la poursuite de la procédure en application de l'article L. 314-5 du code précité ;
Sur l'absence d'avis de la commission administrative paritaire
Considérant que l'absence d'avis d'une commission administrative paritaire compétente dans le délai d'un mois prévu à l'article L. 314-8 du code des juridictions financières ne fait pas obstacle à la poursuite de la procédure ; qu'en admettant même, comme le soutient M. Koskas, que des pièces de l'instruction transmises au ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité afin de recueillir cet avis, aient été communiquées par des agents de ce ministère à des personnes qui n'avaient pas qualité pour en connaître, ces circonstances, si regrettables soient-elles, sont sans influence sur la régularité de la procédure suivie devant la Cour ;
Sur les faits
Sur la tenue de la comptabilité et la présentation des comptes
Considérant que la comptabilité de l'Etape faisait la distinction entre plusieurs "services comptables" : d'une part, les trois services mentionnés plus haut, financés sur une dotation globale de financement (DGF) allouée par l'État, d'autre part les autres services retraçant les activités de l'Etape, parmi lesquels un service dit "solidarité" enregistrant les opérations afférentes à des chantiers de réinsertion destinés à des jeunes pris en charge par l'Etape dont certains poursuivis au Népal ;
Considérant que l'Etape, appartenant à la catégorie des organismes privés à but non lucratif gérant des établissements et services sanitaires, sociaux et médico-sociaux, était tenue de respecter les règles du plan comptable général en application de l'instruction comptable du ministre des affaires sociales et de l'emploi en date du 16 mars 1987 ;
Considérant que les services financés sur la dotation globale de financement étaient de surcroît soumis aux dispositions du décret n° 88-279 du 24 mars 1988 relatif à la gestion budgétaire et comptable et aux modalités de financement de certains établissements sociaux et médico-sociaux à la charge de l'État ou de l'assurance maladie, à celles de l'instruction M 21 du ministre des affaires sociales et de l'emploi et du ministre délégué chargé du budget sur la comptabilité des établissements d'hospitalisation publique ainsi qu'à celles de l'instruction comptable précitée ;
Considérant que d'importants désordres ont affecté l'organisation des services financiers de l'association, désordres relevés de façon concordante à l'occasion de l'audit entrepris à l'initiative du bureau de l'association en 1994, ainsi que par le commissaire aux comptes inscrit, dont l'association ne s'est dotée qu'en 1993 pour se conformer aux dispositions légales intervenues la même année, et par la mission d'enquête diligentée en 1994 par le préfet des Ardennes, désordres auxquels il n'a pas été remédié avant la fin de 1994, ce dont témoignent les retards constatés dans la présentation des comptes annuels de 1992 et 1993 ;
Considérant que la comptabilité de l'Etape présentait de graves irrégularités relevées tant à l'occasion des interventions précitées que par l'instruction, en particulier :
- le caractère défectueux de la tenue de cette comptabilité, notamment l'insuffisance des justifications, le défaut de classement des pièces justificatives, le retard dans l'enregistrement des opérations ;
- l'absence d'inventaire des immobilisations relevé par le commissaire aux comptes de l'association dans ses réserves sur les comptes de 1993 ;
- l'absence de comptabilisation des stocks ;
- l'inapplication du principe des droits constatés, comme en témoignent notamment la comptabilisation en 1992 des produits tirés de la vente d'un répertoire des CHRS publié par l'association ainsi que des subventions ;
- l'imputation directe en 1992 de charges, de produits et d'acquisitions d'immobilisations aux comptes de capitaux de l'association ayant eu pour effet de soustraire l'enregistrement de ces opérations au compte de résultat ou à l'actif de l'association ;
- la réintégration sur le même exercice de provisions directement au crédit de comptes de charges et non sous forme de reprises figurant en produits exceptionnels, réintégration ayant eu pour effet de minorer les charges correspondantes de l'exercice ;
- la qualification erronée en 1993 de certaines charges (rémunérations imputées en frais de déplacement) ;
- l'affectation de certaines charges à des services dont elles ne relevaient pas, ainsi l'imputation en 1992 d'une reconstitution de carrière de M. Koskas en qualité de directeur d'association autorisée par la tutelle et imputable aux services financés sur la DGF mais enregistrée au service solidarité qui retraçait les opérations relatives aux chantiers de réinsertion ;
- l'enregistrement en cours de gestion, la même année, de produits au crédit de comptes de charges et la contraction de produits et de charges ;
- les déficiences dans la tenue des caisses relevées par le commissaire aux comptes en 1993 ;
- l'enregistrement directement en comptes de charges en 1992 et 1993 de retraits bancaires ou d'achats de devises destinés au financement de diverses missions au Népal, sommes qui n'ont pas fait l'objet d'un suivi ultérieur dans la comptabilité de l'Etape et dont l'usage ne peut être justifié par des reçus souvent incomplets et sans valeur probante signés par les attributaires des fonds ; parmi ces sommes, l'achat et l'utilisation en 1992 de 40 000 dollars des États-unis ;
- l'utilisation extensive, en 1992, de comptes d'attente non soldés en fin d'exercice et de comptes de charges à payer et de produits à recevoir ; comptes qui ont contribué à minorer les résultats de l'exercice portés au bilan (virement à des comptes d'attente des résultats des services hors DGF), servi de contrepartie à des charges ou des produits sans consistance réelle (opérations du Fonds social européen), servi à doter des provisions en dehors du compte de résultat, porté atteinte à la séparation des exercices ; comptes également dont l'un d'entre eux, qui retraçait principalement des opérations relevant du centre d'hébergement, a été utilisé pour rééquilibrer le résultat du service solidarité et dont, pour l'ensemble, l'apurement opéré à partir de 1993, a altéré les résultats des exercices ultérieurs ;
Considérant que ces irrégularités ont contribué à dissimuler la situation véritable de l'association et les conditions dans lesquelles était réalisé l'équilibre financier de ses différents services et permis de présenter les résultats de l'Etape à la tutelle de façon favorable à l'ajustement de la dotation globale de financement ;
Considérant qu'ainsi, en 1992, outre le virement au service solidarité déjà mentionné de sommes figurant à un compte d'attente du foyer, des produits relevant du service de contrôle judiciaire financé sur la DGF ont été soustraits à ce service pour être réaffectés à l'un des services hors DGF ; qu'en 1993, des charges ont été forfaitairement transférées du foyer financé sur la DGF vers le service solidarité, des produits résultant d'enquêtes sociales effectuées à la demande des services judiciaires ont été réaffectés entre le service solidarité et celui du contrôle judiciaire et un résultat exceptionnel positif a été soustrait au compte administratif des services financés sur la DGF, ceci au-delà même de plus-values sur cession d'actif que l'Etape n'a pas comptabilisées selon les règles de l'instruction M 21 ; que certaines de ces opérations effectuées sur les comptes 1993 sont intervenues postérieurement à la certification des comptes et à leur approbation par l'assemblée générale, ce qui a motivé la saisine du Parquet de Charleville-Mézières par le commissaire aux comptes ;
Considérant que ces faits constituent une violation des règles d'exécution des recettes et des dépenses et tombent sous le coup de l'article L. 313-4 du code des juridictions financières ;
Sur la prise en charge de dépenses afférentes au déplacement au Népal de personnes n'appartenant pas à l'Etape
Considérant qu'au mois d'avril 1994, à l'occasion de l'inauguration de deux réalisations de l'Etape au Népal, des membres du bureau et du personnel de l'association, dont le président et le directeur général, se sont rendus sur place ;
Considérant qu'ont été associées à ce voyage diverses personnes, épouses de membres du bureau, personnalités locales, parents de volontaires du service national et, au nombre de 23, membres de l'association des anciens auditeurs de l'Institut des hautes études de sécurité intérieure (IHESI), dont M. Koskas a été vice-président ;
Considérant qu'il n'a été demandé aux membres de l'association des anciens auditeurs de l'IHESI qu'une participation forfaitaire de 762,25 € (5 000 F) par personne, montant inférieur au coût des seuls billets d'avion, l'Etape prenant la différence à sa charge ; que l'association a également supporté le coût de l'hébergement de ces personnes pendant six nuits dans un hôtel de Katmandou, ainsi que diverses autres dépenses ;
Considérant qu'ont également pris part à ce voyage, aux frais de l'Etape, trois personnes appartenant à une société de Charleville-Mézières ayant pour objet le conseil en communication et la réalisation de prestations audiovisuelles ; que ces personnes étaient censées réaliser plusieurs enregistrements vidéo en vertu d'un "contrat oral" qui aurait été passé en mars 1994 mais dont les termes n'ont été définis par écrit dans une lettre d'un des responsables de l'Etape que postérieurement à la mission d'enquête sur la situation de l'association diligentée par le préfet des Ardennes ; qu'il en est résulté un seul enregistrement vidéo intégralement consacré au voyage des anciens auditeurs de l'IHESI à caractère principalement touristique et dont seule une faible partie était consacrée aux inaugurations des réalisations de l'Etape ;
Considérant que, si le bureau de l'association a été informé d'un déplacement des anciens auditeurs de l'IHESI parallèle à celui des responsables de l'Etape, on ne trouve dans ses délibérations aucune décision relative à une prise en charge quelconque par l'association ni de ce voyage ni des prestations de la société précitée ni d'autres invitations individuelles ;
Considérant que la prise en charge de ces dépenses au profit de personnes étrangères à l'Etape constitue à la fois une infraction aux règles d'engagement et d'exécution des dépenses de l'association et un avantage injustifié procuré à ces personnes et tombe sous le coup des articles L. 313-3, L. 313-4 et L. 313-6 du code des juridictions financières ;
Sur les compléments de rémunération versés à un préposé de l'association
Considérant que M. Christian Milard, infirmier de secteur psychiatrique et agent du centre hospitalier spécialisé de Belair a été mis à la disposition de l'Etape à compter du 1er juillet 1988 par une convention signée le 20 juin 1988 par M. Koskas ;
Considérant qu'aux termes d'un "avenant" en date du 1er janvier 1991 conclu non pas avec le centre hospitalier précité, mais entre l'association et M. Milard, celui-ci a été promu adjoint de direction et s'est vu attribuer une indemnité mensuelle forfaitaire de 304,92 € (2 000 F), qualifiée de "participation mensuelle forfaitaire dans le cadre du logement", portée en 1994 à 335,42 € (2 200 F) ;
Considérant que M. Milard, directeur des missions internationales de l'Etape, n'entrait pas dans les catégories de personnels couvertes par la convention collective du 15 mars 1966 applicable aux personnels des établissements pour personnes inadaptées et handicapées et qui, aux termes de son article 43, n'impose d'obligation de logement qu'au bénéfice de personnels limitativement énumérés par ses annexes et parmi lesquels ne pouvait pas être rangé M. Milard (notamment, le remplaçant permanent du directeur dans un internat, les chefs de service éducatif en internat, les éducateurs spécialisés chargés des responsabilités de sécurité en internat mentionnés à l'annexe 3) ;
Considérant que, si l'article 10 du décret 88-976 du 13 octobre 1988 relatif à certaines positions des personnels hospitaliers interdit tout complément de rémunération de fonctionnaires mis à disposition, il admet l'indemnisation de frais et sujétions auxquels le fonctionnaire est exposé dans l'exercice de ses fonctions ; que les indemnités versées à M. Milard, contestées par l'autorité de tutelle, n'ont pas été justifiées par des sujétions particulières afférentes à son logement et apparues en 1991, celui-ci n'ayant pas changé de domicile pendant son séjour à l'Etape ; que l'association n'a pas fourni à la tutelle, en dépit de la demande de cette dernière, le détail des frais et sujétions qui auraient justifié une indemnisation ;
Considérant que le versement irrégulier de ces indemnités constitue une infraction aux règles d'engagement et d'exécution des dépenses de l'association et un avantage injustifié à autrui tombant sous le coup des articles L. 313-3, L. 313-4 et L. 313-6 du code des juridictions financières ;
Sur la mise en oeuvre de conventions passées avec le ministère des affaires étrangères
Considérant que l'Etape organisait des chantiers de réentraînement à l'effort au Népal pour les jeunes en difficulté dont elle avait la charge ; qu'afin d'en assurer l'encadrement, elle a conclu avec le ministère des affaires étrangères, dans le cadre d'un programme intitulé "Globus", deux conventions en date des 15 et 28 décembre 1992, l'une générale, l'autre au titre de l'année 1992 ayant permis l'ordonnancement d'une subvention ; que la seconde de ces conventions prévoyait la mise à la disposition de l'Etape, qui a été l'un des principaux bénéficiaires de ce programme, de 20 coopérants du service national pour différentes tâches et différents chantiers spécifiés dans les conventions moyennant une subvention de 366 824,21 € (2 406 000 F) versée en une seule fois au début de l'opération ;
Considérant que ce dispositif était largement surdimensionné et que l'Etape a dû, pour assurer l'emploi des personnels mis à sa disposition, les affecter à des travaux ou à des chantiers non prévus dans les conventions précitées et qui n'avaient pas de caractère humanitaire ; qu'un local vidéo a été ainsi édifié pour l'Alliance française locale en 1994, à la construction duquel ont été affectés gratuitement jusqu'à sept coopérants, l'Alliance française ne couvrant que les dépenses de matériel, matériaux et main d'oeuvre locale ;
Considérant que ces faits constituent une infraction à l'exécution des dépenses de l'association tombant sous le coup de l'article L. 313-4 du code des juridictions financières ;
Considérant par ailleurs que, contrairement aux dispositions de la convention du 28 décembre 1992, l'Etape n'a pas placé les sommes non utilisées résultant de la subvention allouée sur un compte au Trésor public mais sur deux comptes ouverts dans des établissements bancaires ; que ce fait constitue une infraction à l'exécution des dépenses de l'association et tombe sous le coup de l'article L. 313-4 du code des juridictions financières ;
Sur des avantages personnels alloués à M. Koskas
Considérant que diverses dépenses relevant du directeur général de l'association ont été prises en charge par l'Etape ; qu'il en a été ainsi :
- de la taxe d'habitation de M. Koskas en 1992 et1993,
- de plusieurs contraventions au code de la route en matière de stationnement de 1992 à 1994, tant du fait du véhicule de fonction mis à sa disposition jusqu'en juin 1994 que de son véhicule personnel,
- de l'intégralité des communications téléphoniques facturées à son logement de fonction,
- de plusieurs dépenses liées aux activités de l'association des anciens auditeurs de l'IHESI, dont M. Koskas a été vice-président (cotisation à l'association en 1992, déplacements de Charleville-Mézières à Paris, dîner-débat, participation à des déplacements à l'extérieur du territoire métropolitain) et qui étaient sans rapport avec les activités de l'Etape ;
Considérant que le contrat de travail de M. Koskas en date du 1er mars 1986 ne prévoyait la prise en charge ni de la taxe d'habitation du directeur général ni de l'intégralité des communications téléphoniques à son domicile ;
Considérant que ce même contrat de travail excluait expressément, pour le véhicule de fonction dont il a disposé jusqu'en juin 1994, la prise en charge par l'association des frais résultant des infractions au code de la route et ne couvrait pas, à plus forte raison, celles qui étaient liées à l'usage de son véhicule personnel ;
Considérant que M. Koskas a remboursé en 1994 ses taxes d'habitation de 1992 et 1993, ainsi que les amendes de la circulation enregistrées dans la comptabilité de l'Etape en 1993 ; qu'il a offert par lettre en date du 16 juin 1998 au mandataire liquidateur de l'association, qui, selon lui, ne lui a pas répondu, d'effectuer un versement complémentaire de 1 173,96 € (7 700 F) correspondant à des frais de communications téléphoniques et des amendes de stationnement ; mais que l'Etape n'en aura pas moins supporté temporairement les charges correspondantes ;
Considérant que les dépenses supportées par l'Etape au titre des activités de M. Koskas dans le cadre de l'association des anciens auditeurs de l'IHESI ne relèvent que de ses activités personnelles ;
Considérant en conséquence que l'association a supporté indûment les charges précitées et qu'il en résulte une infraction aux règles d'exécution de ses dépenses tombant sous le coup de l'article L. 313-4 du code des juridictions financières ;
Sur les responsabilités
M. Koskas
Considérant, en premier lieu, s'agissant de la tenue de la comptabilité et de la présentation des comptes de l'association que M. Koskas, avait aux termes des statuts la responsabilité de l'administration générale de l'association ; que celle-ci comportait nécessairement la tenue et la présentation de ses comptes ;
Considérant que la convention collective du 15 mars 1966 relative aux personnels des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées, notamment son annexe 2 relative aux personnels de direction, d'administration et de gestion (article 3), dispose, dans la rédaction en vigueur à l'époque des faits, que "le directeur d'association ou d'organisme doit posséder un niveau de compétence lui permettant d'assumer des responsabilités en matière d'animation, d'éducation, de techniques professionnelles, d'administration et de gestion" ; que M. Koskas ne peut donc pas exciper d'une absence de formation pour s'affranchir de ses responsabilités de directeur ni se retrancher derrière les insuffisances réelles ou supposées de certains de ses collaborateurs ;
Considérant qu'il ressort au demeurant de l'ensemble des faits comme des éléments du dossier que M. Koskas prenait une part active à la gestion financière de l'association et aux actes qu'impliquait celle-ci, négociation de subventions, gestion de comptes bancaires, négociation des budgets et justification des comptes auprès de l'autorité de tutelle notamment ; qu'il exerçait une surveillance sur les services comptables de l'association ; que les aménagements apportés à la présentation des résultats de l'Etape en 1992 et 1993 n'ont pu se faire qu'à son initiative ;
Considérant que M. Koskas invoque à sa décharge des insuffisances dans les travaux de révision comptable confiés à un cabinet d'expertise comptable rémunéré par l'association ; que le président de l'Etape a, sur la proposition même du directeur général selon son mémoire en défense, attiré l'attention de ce cabinet en juin 1993 sur les désordres affectant la gestion de l'Etape en demandant un "rapport-état des lieux" qui n'aurait pas été établi ; que le directeur général de l'Etape ne pouvait pas constater la persistance des désordres comptables de l'association sans s'interroger sur les conditions d'exercice et la portée des contrôles confiés au cabinet précité, qui, du reste, aurait, selon la réponse faite en 1994 à la décision du président et du bureau de mettre un terme à ses services et produite par M. Koskas à l'appui de son mémoire en défense, attiré à plusieurs reprises l'attention du directeur général sur les dysfonctionnements à l'origine des retards importants apportés à l'établissement des comptes ; que, pour les mêmes raisons, il ne peut pas s'abriter derrière un rapport sur les comptes de 1992 établi par ce cabinet pour l'assemblée générale de septembre 1993 et figurant au dossier ;
Considérant que, si le contrôle des autorités de tutelle s'est limité, jusqu'à la mission d'enquête diligentée en septembre 1994 par le préfet des Ardennes, aux budgets et aux comptes administratifs relatifs aux trois services financés sur la dotation globale de financement tels qu'ils étaient présentés par l'Etape, cette lacune ne peut qu'atténuer la responsabilité de M. Koskas, auquel les problèmes comptables de l'association n'échappaient pas, sans l'exonérer ;
Considérant que, pour se justifier, M. Koskas fait aussi valoir que les résultats courants de l'Etape en 1993 et 1994 n'auraient pas été défavorables si, au-delà des versements obtenus à la suite des contentieux gagnés par l'association et les autres centres d'hébergement du département et relatifs au montant des dotations globales de financement de 1992 et 1993, le calcul des dotations globales de financement des années suivantes avait pris pour base la DGF résultant des décisions de justice intervenues ; que, outre le fait qu'il n'est pas démontré que la situation de l'Etape en eût été rétablie, l'attitude ainsi reprochée à la tutelle ne saurait justifier la tenue et la présentation irrégulières des comptes ;
Considérant, pour ces raisons, que M. Koskas doit être tenu pour principalement responsable des irrégularités relevées en matière comptable ;
Considérant, en deuxième lieu, s'agissant du déplacement des anciens élèves de l'IHESI au Népal, que M. Koskas en a pris seul l'initiative ; que si le bureau a été informé de ce déplacement, parallèle à celui de certains de ses membres, il ne l'a jamais été de sa prise en charge partielle par l'association ; qu'il n'en est résulté aucun avantage pour l'Etape ;
Considérant que le recours à une société de prestations audiovisuelles et la prise en charge par l'Etape du voyage de trois personnes liées à cette société, n'a pas fait l'objet non plus d'une information et d'une autorisation du bureau ; que la prestation qui en est résulté, qui, ne correspondant pas d'ailleurs au "contrat oral" postérieurement invoqué, n'a été d'aucun profit pour l'association ; que la présentation de ce voyage par M. Koskas comme la contrepartie de services antérieurs consentis "gracieusement" par la société concernée ne peut pas non plus être retenue ;
Considérant que M. Koskas doit en conséquence être tenu pour responsable de ces irrégularités ;
Considérant, en troisième lieu, s'agissant de l'indemnité accordée à M. Milard, que cet avantage résulte d'un acte passé entre ce dernier et M. Koskas, agissant dans le cadre des fonctions du directeur général définies par l'article 12 des statuts de l'association et qui lui confient "l'élaboration et le suivi des conventions multipartenariales, notamment celles consistant à accueillir du personnel de la fonction publique en détachement et en mise à disposition" ;
Considérant que la tutelle avait attiré l'attention de l'Etape sur l'irrégularité de cette indemnité ; que M. Koskas ne lui a pas fait connaître, alors qu'elle le demandait, la nature des frais et sujétions qu'il entendait compenser ; que la demande de renseignements formulée par la tutelle ne peut pas être tenue pour une approbation qui aurait justifié le maintien de l'indemnité de M. Milard jusqu'à son départ ;
Considérant en conséquence que M. Koskas doit être tenu pour responsable de l'octroi et du maintien de l'indemnité en cause ;
Considérant, en quatrième lieu, pour ce qui est de la mise en oeuvre des conventions conclues avec le ministère des affaires étrangères dans le cadre du programme Globus, que M. Koskas, signataire de ces conventions n'ignorait pas le contenu des engagements pris par l'Etape et le caractère irrégulier de l'affectation des coopérants du service national à d'autres chantiers que ceux prévus dans ces conventions, sans qu'elles aient fait l'objet d'un avenant ; que toutefois l'accord de l'ambassade de France au Népal sur ces chantiers, qu'elle a peut-être même suscités, atténue substantiellement la responsabilité de M. Koskas ;
Considérant, pour ce qui est du placement au Trésor des fonds inemployés sur la convention, que ce placement n'aurait pas empêché l'utilisation de circuits bancaires adéquats pour la gestion des opérations au Népal ; qu'en tout état de cause l'Etape aurait dû, si elle l'avait estimé nécessaire, solliciter un avenant du ministère des affaires étrangères ; que sur ce point la responsabilité de M. Koskas est entière ;
Considérant enfin, pour ce qui est des avantages personnels du directeur général pris en charge par l'Etape, que ceux-ci l'ont été exclusivement à son initiative et qu'il en porte la responsabilité malgré les remboursements effectués ultérieurement ;
M. Gustin
Considérant que la présidence d'une association, même assurée à titre bénévole, comporte en elle-même un devoir de surveillance, notamment en matière budgétaire et financière, à raison duquel la responsabilité du président peut être engagée devant la Cour à propos d'infractions relevant de sa compétence ;
Considérant, plus précisément, pour ce qui est des irrégularités constatées dans la tenue et la présentation des comptes de l'Etape, que le président de l'association n'a pas cherché à définir un partage clair des responsabilités entre le président et le directeur général de l'association ; qu'en particulier le règlement intérieur prévu par les statuts de l'association n'a pas été pris ; que la qualité d'ordonnateur qu'il tenait de ces statuts (article 9) l'obligeait à exercer une surveillance sur les conditions générales dans lesquelles fonctionnaient les services comptables et étaient établis les comptes de l'association ; qu'il ne peut être à ce titre déchargé de toute responsabilité relative à la tenue et à la présentation des comptes de l'association ;
Considérant néanmoins que le bureau n'était qu'imparfaitement informé par M. Koskas ; que M. Gustin, conscient des désordres existants, a pris l'initiative de procéder à des consultations extérieures, notamment en juin 1993 auprès du cabinet qui assurait la révision des comptes de l'Etape, puis en commandant en mars 1994 de façon indépendante du directeur général, après consultation du bureau de l'association, un audit auprès d'un cabinet extérieur à Charleville-Mézières ; qu'il a mis un terme à la fin du mois de juillet 1994, également après consultation du bureau et indépendamment du directeur général, qui a indiqué ne pas avoir pris part à cette démarche, aux services du cabinet chargé de la révision des comptes ; qu'il a pris l'initiative, avec l'approbation du bureau, d'embaucher en septembre 1994 une personne qualifiée pour reprendre totalement, à partir d'une information souvent lacunaire ou inorganisée, la comptabilité de 1993 et établir les comptes afférents à cet exercice qui montrent un important redressement par rapport aux pratiques antérieures ; que l'on doit considérer en conséquence qu'il n'est pas resté inactif jusqu'à son éviction intervenue, avec celle des autres membres du bureau, en octobre 1994 et organisée par M. Koskas ;
Considérant, s'agissant du déplacement des anciens auditeurs de l'IHESI au Népal parallèle à celui de membres du bureau de l'Etape, que s'il en a été informé comme le bureau de l'association, il en a très probablement ignoré, comme le laissent supposer les comptes-rendus des réunions du bureau, qui n'en portent pas de trace, la prise en charge partielle par l'Etape sur le plan financier ; qu'ayant acquitté, outre une participation financière personnelle fixée par le bureau, le coût du déplacement de son épouse d'un montant supérieur à la participation demandée aux anciens auditeurs de l'IHESI, n'ayant pas voyagé aux mêmes dates, ayant séjourné sur place à moindres frais dans les locaux de l'Etape et ne s'étant pas apparemment associé aux déplacements propres aux anciens auditeurs de l'IHESI, sa bonne foi peut difficilement être mise en doute ; qu'il n'a pas non plus été prévenu de l'association à ce voyage de membres de la société de prestations audiovisuelles précitée ; qu'il ne peut donc pas être tenu pour responsable de ces irrégularités ;
Considérant, s'agissant de l'indemnité accordée à M. Milard, que M. Gustin n'est pas renvoyé devant la Cour de ce chef ;
Considérant, s'agissant des chantiers au Népal non autorisés par la convention de décembre 1992 avec le ministère des affaires étrangères que, d'après les comptes-rendus du bureau, celui-ci, sans l'avis duquel le président de l'Etape ne prenait pas de décision importante, ne parait pas en avoir été préalablement informé ; qu'il ressort par ailleurs des pièces figurant au dossier que la négociation sur le placement des fonds disponibles sur la subvention allouée dans le cadre du programme Globus a été exclusivement menée par M. Koskas en 1993 ; qu'en particulier la lettre de M. Gustin du 1er octobre 1992 produite par M. Koskas à l'appui de son mémoire en défense et qui figure d'ailleurs au dossier, lettre demandant seulement à la succursale népalaise de l'un des établissements concernés l'ouverture d'un compte bancaire, a largement précédé la participation de l'Etape au programme Globus et doit être considérée comme un acte de gestion normal se rapportant à des missions antérieures ;
Considérant, pour ce qui est des avantages personnels de M. Koskas mis indûment à la charge de l'association, que, si M. Gustin a eu connaissance de la prise en charge de la taxe d'habitation de M. Koskas, à l'occasion d'une réunion à la préfecture des Ardennes en novembre 1993 sur la situation de l'Etape, cette prise en charge a cessé postérieurement à cette date si l'on se réfère aux comptes 1994 de l'association ; que, pour ce qui est des autres avantages rien n'indique d'une façon générale qu'il en ait été informé ; et, plus précisément, pour les amendes incombant à M. Koskas, qu'il en ait eu connaissance avant que celui-ci ne s'offre à les rembourser à la suite d'observations du commissaire aux comptes ;
Considérant d'une façon générale qu'il convient de prendre en compte le dévouement de M. Gustin à l'association pendant de nombreuses années et son désintéressement ;
Considérant que l'ensemble des constatations qui précèdent conduit à ne pas retenir à son encontre de responsabilité dans les infractions commises ;
Sur les sanctions
Considérant qu'il sera fait une juste appréciation des circonstances de l'affaire en infligeant une amende de deux mille cinq cents euros à M. Koskas et en prononçant la relaxe de M. Gustin ;
Sur la publication
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de publier le présent arrêt au journal officiel de la République française ;
ARRETE
Article 1er : M. Koskas est condamné à une amende de 2 500 € (deux mille cinq cents euros).
Article 2 : M. Gustin est relaxé.
Article 3 : Le présent arrêt sera publié au journal officiel de la République française.
Délibéré par la Cour de discipline budgétaire et financière, les douze et dix-neuf septembre deux mil trois, par M. Logerot, Premier président de la Cour des comptes, président, M. Fouquet, président de la section des finances au Conseil d'État, vice-président, M. Massot, président de section au Conseil d'Etat maintenu en activité, M. Martin, conseiller d'État, M. Lefoulon, conseiller maître à la Cour des comptes.
Lu en séance publique le sept novembre deux mil trois.
En conséquence, la République mande et ordonne à tous huissiers de justice sur ce requis de mettre ledit arrêt à exécution, aux procureurs généraux et aux procureurs de la République près les tribunaux de grande instance d'y tenir la main, à tous commandants et officiers de la force publique de prêter main-forte lorsqu'ils en seront légalement requis.
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le Président de la Cour et le greffier.
Le Président, François Logerot |
La greffière, |