LA COUR,

Vu la loi n° 48-1484 du 25 septembre 1948, modifiée et complétée par les lois n° 55-1069 du 6 août 1955, 63-778 du 31 juillet 1963 et 71-564 du 13 juillet 1971, tendant à sanctionner les fautes de gestion commises à l'égard de l'Etat et de diverses collectivités et portant création d'une Cour de discipline budgétaire et financière ;

Vu la lettre du 25 novembre 1970 par laquelle le ministre de l'éducation nationale a saisi la Cour de discipline budgétaire et financière des irrégularités relevées dans la gestion du lycée technique d'Etat d'Albi, et nommément déféré à cette juridiction MM Paul RIVIERE et Pierre LACOMBE, respectivement proviseur et intendant de cet établissement ;

Vu le réquisitoire du Procureur général de la République en date du 11 décembre 1970 transmettant le dossier à la Cour de discipline budgétaire et financière ;

Vu la décision du Président de la Cour de discipline budgétaire et financière du 19 janvier 1971 désignant comme rapporteur M THERRE, conseiller référendaire à la Cour des comptes ;

Vu les accusés de réception des lettres recommandées adressées le 10 mars 1971 à MM RIVIERE et LACOMBE les informant de l'ouverture d'une instruction et les avisant qu'ils étaient autorisés à se faire assister soit par un mandataire, soit par un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ;

Vu l'avis émis le 6 novembre 1972 par le ministre de l'économie et des finances ;

Vu l'avis émis le 30 janvier 1973 par le ministre de l'éducation nationale ;

Vu la décision du Procureur général de la République en date du 26 avril 1973 renvoyant MM RIVIERE et LACOMBE devant la Cour de discipline budgétaire et financière ;

Vu l'arrêté du ministère de l'éducation nationale en date du 5 février 1974 prononçant contre M LACOMBE la sanction de la mutation d'office, le dit arrêté visant l'avis émis par la commission administrative paritaire des intendants siégeant en formation disciplinaire le 13 décembre 1973 ;

Vu les accusés de réception des lettres recommandées adressées le 22 février 1974 à MM RIVIERE et LACOMBE, les avisant qu'ils pouvaient, dans un délai de 15 jours, prendre connaissance du dossier de l'affaire soit par eux-mêmes, soit par mandataire, avocat, avoué ou avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ;

Vu l'avis émis le 4 novembre 1974, par la commission consultative spéciale compétente à l'égard des fonctionnaires nommés dans les fonctions de proviseur, en ce qui concerne M RIVIERE ;

Vu le mémoire en défense présenté par M RIVIERE ;

Vu le mémoire en défense présenté pour M LACOMBE par maître DESACHE, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ;

Vu les accusés de réception des lettres recommandées adressées le 13 mars 1975 à MM RIVIERE et LACOMBE et les invitant à comparaître ;

Vu l'ensemble des pièces qui figurent au dossier et notamment les procès-verbaux d'interrogatoire ;

Ouï M THERRE, conseiller maître à la Cour des comptes, en son rapport ;

Ouï le Procureur général de la République en ses conclusions complémentaires à sa décision de renvoi du 26 avril 1973 ;

Ouï en leurs explications MM RIVIERE et LACOMBE et, en leur qualité de témoins, MM André CAMPA, inspecteur général de l'éducation nationale, et Eugène ALLOYER, proviseur du lycée Honoré de Balsac de Paris ;

Ouï le Procureur général de la République en ses réquisitions ;

Ouï en leurs plaidoiries, pour M RIVIERE, maître Laurent MATHIEU, avocat au barreau d'Albi, et, pour M LACOMBE, maître DESACHE, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, les intéressés et leurs conseils ayant eu la parole les derniers ;

Considérant que les faits constitutifs des charges ayant motivé le renvoi des intéressés devant la Cour ne sont pas au nombre de ceux que visent tant la loi du 30 juin 1969 que la loi du 16 juillet 1974, lesquelles ne s'appliquent pas aux infractions relevant de la Cour de discipline budgétaire et financière ; que, dès lors, les conclusions de M RIVIERE invoquant l'amnistie doivent être rejetées ;

Considérant qu'à compter d'une date certainement antérieure au début de l'année 1968 un retard croissant s'était installé dans la tenue de la comptabilité du lycée d'Albi dont la charge incombait à l'intendant LACOMBE ; qu'au début de l'année 1969, à partir de laquelle la comptabilité devait passer du type "traditionnel" au type "plan comptable", il apparut lors d'une inspection du ministère de l'éducation nationale que rien n'était encore entrepris, la comptabilité traditionnelle pour l'année 1968 étant d'ailleurs dans un désordre tel que son redressement par l'intendant seul semblait improbable ;

Considérant que, dans le courant de l'année 1969, des tentatives de redressement conduites avec le concours d'intendants voisins, puis des vérifications des services de la trésorerie générale, enfin des contrôles de l'inspection générale de l'éducation nationale en octobre 1969, puis en février et en mars 1970, révélèrent à chaque fois une situation plus compromise et plus obérée ; qu'à la date du 19 mars 1970 l'intendant LACOMBE faisait l'objet d'un arrêté ministériel de suspension ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction qu'au long d'une période remontant au moins au milieu de l'année 1967 et qui s'est poursuivie jusqu'à la découverte des faits, l'intendant a fréquemment passé aux fournisseurs des commandes souvent par simple communication téléphonique, sans informer le proviseur, et que ces commandes se sont souvent trouvées sans rapport avec les besoins de l'établissement ;

Considérant qu'à l'arrivée des factures, l'intéressé en réglait certaines sans mandatement préalable, par simple émission de chèque, et sans que le proviseur fût davantage consulté ni informé ; que d'autres factures, non prises en charge ni réglées, étaient accumulées dans divers tiroirs ou classeurs où elles furent découvertes au cours des enquêtes ; que ces pratiques étaient poursuivies indépendamment de tout rapprochement comptable avec les crédits disponibles des exercices en cours ;

Considérant que ces errements ont provoqué d'une part d'importants dépassements de crédits, d'autre part des accumulations de denrées devenant impropres à la consommation, aboutissant ainsi à une perte importante pour l'établissement ;

Considérant qu'au terme des reconstitutions comptables auxquelles il a été procédé, les dépassements de crédits suivants ont été constatés :

- au titre de l'année 1968, 560 699 francs, dont 134 389 francs de factures impayées des exercices 1966 et 1967 irrégulièrement reportées, 269 392 francs sur le crédit de nourriture et 108 094 francs sur les crédits de chauffage et fournitures diverses ;

- au titre de l'exercice 1969, 240 122 francs, dont 65 717 francs sur la nourriture, 138 537 francs pour le chauffage, et 35 868 francs sur divers autres postes ;

Considérant que les accumulations de denrées, notamment alimentaires, commandées au-delà des besoins, ont conduit à leur détérioration partielle et imposé par là leur destruction ; qu'au terme d'un travail effectué avec le concours des services financiers du rectorat de Toulouse, un "état évaluatif des denrées alimentaires impropres à la consommation détruites entre le 1er mars 1967 et le 2 juin 1969" a été chiffré à 94 644 francs, à l'exclusion des denrées acquises au jour le jour et détruites dans la semaine d'acquisition, telles que viandes et poulets ;

Considérant que les agissements ci-dessus indiqués constituent des infractions aux règles concernant la tenue de la comptabilité, l'exécution des dépenses et la conservation des biens des lycées techniques d'Etat, établissements publics nationaux à caractère administratif, telles qu'elles résultent des dispositions de l'article 60 de la loi n° 63-156 du 23 février 1963, des articles 3 à 62 et 151 à 189 du décret du 29 décembre 1962 portant règlement général sur la comptabilité publique, des articles 14 à 25 du décret du 10 décembre 1953 et de l'instruction du 7 avril 1938 modifiée le 13 juin 1951 sur l'administration et la comptabilité des établissements de l'enseignement technique ;

Considérant qu'en passant des commandes hors de tout contrôle et en payant sans mandatement préalable, M LACOMBE s'est immiscé irrégulièrement dans les fonctions de l'ordonnateur ;

Considérant que ces infractions tombent sous le coup des dispositions de l'article 5 de la loi du 25 septembre 1948 modifiée ;

Considérant que l'intendant LACOMBE n'a jamais, depuis leur découverte, contesté la matérialité des faits ci-dessus rappelés ; qu'il n'a jamais donné d'autres explications ni invoqué d'autres excuses que les conséquences psychiques d'un état de santé compromis, qui lui aurait laissé la conscience mais ôté la maîtrise de son comportement ; qu'il se serait dès lors trouvé incapable de faire face aux difficultés de gestion d'un lycée en pleine évolution et en pleine croissance, aux prises avec les problèmes matériels d'une réinstallation progressive dans des bâtiments dont la construction s'est échelonnée sur plusieurs années ;

Considérant cepedant que tous les témoignages recueillis concordent pour affirmer que le comportement extérieur de l'intendant, fût-ce aux yeux des observateurs les plus proches, ne permettait en rien de soupçonner qu'il accumulât les négligences et les irrégularités ;

Considérant qu'au contraire, lors de l'établissement et de la production des comptes financiers de 1966, signés par lui et le proviseur le 10 avril 1967, et de 1967, signés le 30 avril 1968, l'intendant substitua à certains documents annexes, initialement établis en présence et sous le contrôle du proviseur, d'autres documents portant des chiffres différents ;

Considérant d'autre part que l'intendant ne laissa pas de donner au proviseur, sur la demande de celui-ci, des assurances, explicites et claires, mais mensongères, sur la situation des crédits, et notamment encore le 31 mars 1969 sur "le règlement des dépenses et le magasin des cuisines", quelques jours avant la découverte, dans un bureau de l'intendance, d'environ 200 factures en souffrance ;

Considérant qu'un tel comportement, constitutif de dissimulations organisées, exclut l'irresponsabilité de l'intéressé ; qu'en revanche l'état de santé de M LACOMBE au moment des faits permet d'admettre en sa faveur des circonstances atténuantes ;

Considérant qu'il sera fait une juste appréciation de la responsabilité de M LACOMBE et le condamnant à une amende de 2000 francs ;

Considérant qu'il résulte du dossier de l'instruction, des observations et justifications produites en défense et des débats devant la Cour que le proviseur RIVIERE a, dès 1968, renouvelé les interrogations, recommandations et mises en garde auprès de l'intendant au sujet des incertitudes et des retards dont il avait conscience ;

Considérant par ailleurs que le proviseur est intervenu, à de nombreuses reprises tant auprès de l'inspecteur d'académie, dont il n'a guère reçu que des conseils de patience et des assurances apaisantes, qu'auprès de l'administration centrale pour obtenir des renforcements d'effectifs, ou tout au moins prévenir des réductions, qu'il n'a pu cependant éviter ;

Considérant qu'il pourrait sans doute être allégué à son encontre que s'il n'a pas lui-même découvert plus tôt les commandes excessives et irrégulières en la forme passées par l'intendant, ainsi que les paiements sans mandatements effectués par celui-ci, se serait en raison d'un défaut de surveillance et d'une méconnaissance des recommandations renouvelées en la matière par la circulaire du ministre de l'éducation nationale aux recteurs en date du 10 juillet 1968 ;

Mais considérant qu'il y a lieu d'admettre que la vigilance de M RIVIERE au cours de la période en cause eût été suffisante n'était l'esprit de dissimulation qu'il n'a pas soupçonné chez l'intendant, qu'en faisant normalement confiance à celui-ci qui était en effet un collaborateur de longue date dont il n'avait jamais été amené à mettre en doute la bonne foi, ni le dévouement qui lui était apparu entier dans des circonstances difficiles, le proviseur RIVIERE n'a pas manqué à ses obligations dans des conditions qui seraient constitutives d'infractions aux règles de gestion de l'établissement qu'il dirigeait ; qu'ainsi, et compte tenu au surplus des circonstances particulièrement difficiles dans lesquelles cette direction a été exercée au cours des années 1968 et 1969, il n'y a lieu de retenir à l'encontre de M RIVIERE aucune des infractions visées par la loi du 25 septembre 1948 ; que, dès lors, il doit être relaxé des fins de la poursuite ;

ARRETE :

Article 1 - M Pierre LACOMBE est condamné à une amende de deux mille francs.

Article 2 - M Paul RIVIERE est relaxé des fins de la poursuite.

Article 3 - Le présent arrêt sera publié au Journal Officiel de la République Française.