LA COUR,

Vu la loi n° 48-1484 du 25 septembre 1948, modifiée et complétée par les lois n° 55-1069 du 6 août 1955, 63-778 du 31 juillet 1963 et 71-564 du 13 juillet 1971, tendant à sanctionner les fautes de gestion commises à l'égard de l'Etat et de diverses collectivités et portant création d'une Cour de discipline budgétaire et financière ;

Vu la décision du 13 janvier 1972 par laquelle la Cour des comptes a saisi la Cour de discipline budgétaire et financière d'irrégularités constatées dans la gestion de la Caisse de mutualité sociale agricole de la Somme et nommément déféré à cette juridiction le sieur Jacques BOUCHE, ancien directeur de cet organisme ;

Vu le réquisitoire du Procureur général de la République en date du 23 février 1972 transmettant le dossier à la Cour de discipline budgétaire et financière ;

Vu la décision du président de la Cour de discipline budgétaire et financière du 7 avril 1972 désignant comme rapporteur M BERTHE, conseiller référendaire à la Cour des comptes ;

Vu l'accusé de réception de la lettre recommandée adressée le 14 juin 1972 au sieur BOUCHE l'informant de l'ouverture d'une instruction et l'avisant qu'il était autorisé à se faire assister soit par un mandataire, soit par un avocat ou un avoué, soit par un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ;

Vu l'avis émis le 30 novembre 1972 par le ministre de l'agriculture et du développement rural ;

Vu l'avis émis le 26 janvier 1973 par le ministre de l'économie et des finances ;

Vu les conclusions du Procureur général de la République en date du 21 mars 1973 renvoyant le sieur BOUCHE devant la Cour de discipline budgétaire et financière ;

Vu l'avis émis le 18 juin 1973 par la commission de discipline des agents de direction et des agents comptables des caisses de mutualité sociale agricole ;

Vu l'accusé de réception de la lettre recommandée adressée le 27 septembre 1973 au sieur BOUCHE l'avisant qu'il pouvait, dans un délai de quinze jours, prendre connaissance du dossier de l'affaire soit par lui-même, soit par mandataire soit par le ministère d'un avocat, d'un avoué, ou d'un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ;

Vu le mémoire en défense présenté par le sieur BOUCHE et ses pièces annexes ;

Vu l'accusé de réception de la lettre recommandée adressée le 10 décembre 1973 au sieur BOUCHE et l'invitant à comparaître ;

Vu l'ensemble des pièces qui figurent au dossier et notamment les procès-verbaux d'interrogatoire ;

Ouï M BERTHE, conseiller référendaire à la Cour des comptes, en son rapport ;

Ouï le Procureur général de la République en ses conclusions ;

Ouï maître SAVREUX, avocat du sieur BOUCHE, et le sieur BOUCHE lui- même en leurs explications ;

Ouï M BELHOTE, chef du bureau chargé du contrôle général des caisses de mutualité sociale agricole au ministère de l'agriculture, et M JULIEN, président de la caisse de mutualité sociale agricole de la Somme, cités comme témoins par le Procureur général ;

Ouï le Procureur Général de la République en ses réquisitions ;

Ouï en leurs observations le sieur BOUCHE et maître SAVREUX, l'intéressé et son conseil ayant eu la parole les derniers ;

Considérant que les faits reprochés au sieur BOUCHE se rapportent, d'une part aux conditions dans lesquelles la société JAMICA a fourni à la caisse de mutualité sociale agricole de la Somme un lot de vaisselle et de matériel destiné à l'aménagement d'un restaurant d'entreprise, d'autre part aux conditions dans lesquelles a été liquidé le traitement du directeur ;

Sur les commandes faites à la société JAMICA

Considérant qu'il n'est pas établi que le sieur BOUCHE se soit volontairement soustrait à l'autorité du conseil d'administration et au contrôle de l'autorité de tutelle en commandant à la société JAMICA des matériels, dont une partie a d'ailleurs été reprise par ladite société, le règlement du surplus ayant donné lieu à des abattements importants consentis par le fournisseur ; qu'il n'y a pas lieu, en conséquence, de retenir sur ce premier point la responsabilité du sieur BOUCHE ;

Sur le calcul du traitement du directeur

Considérant que le sieur BOUCHE, nommé directeur de la caisse de mutualité sociale agricole de la Somme par décision du conseil d'administration de cet organisme le 3 septembre 1966, a déterminé lui- même l'indice servant au calcul de son traitement en s'attribuant, ainsi que le montre une note de sa main au service de la paie datée du 21 mars 1967, 160 points de valeur professionnelle s'ajoutant à l'indice de base de 550 points ;

Considérant qu'aux termes de l'article 14 des statuts des caisses de mutualité sociale agricole approuvés par l'arrêté du 29 décembre 1962 du ministre de l'Agriculture, le conseil d'administration, qui nomme et révoque les agents de direction, "fixe leurs conditions de travail et de rémunération" ; que la délégation de pouvoirs consentie au sieur BOUCHE par la délibération précitée du 3 septembre 1966 l'autorisait, en conséquence, à fixer les attributions et les appointements des agents de la caisse "exception faite en ce qui concerne le personnel de direction" ;

Considérant que, par délibération du 14 septembre 1968, le conseil d'administration a décidé d'appliquer, à compter du 1er janvier de la même année, l'accord conclu le 19 avril 1967 entre la fédération nationale de la mutualité agricole et le syndicat national des directeurs, donnant le caractère d'une convention collective de travail au "statut" du 22 mars 1949 qui régissait les conditions de travail du personnel de direction des caisses de mutualité sociale agricole ; que ladite convention, approuvée le 30 mai 1968 par le ministre de l'agriculture, précise dans son article 17 qu'"en ce qui concerne les points supplémentaires correspondant à la qualité des services rendus, les conseils d'administration ou les administrateurs délégués à cet effet délibèrent, chaque année, sur la situation de leur personnel de direction" ; que, nonobstant ces dispositions, le sieur BOUCHE a continué à déterminer unilatéralement les éléments de sa rémunération ; qu'à la suite d'une tentative de modification de ces derniers faite par l'agent comptable, il a adressé le 24 mars 1969 une nouvelle note au service de la paie faisant connaître :

"En attendant que le problème soit examiné par le conseil compte- tenu des circulaires ministérielles récemment parues, je vous précise que le salaire du directeur reste fixé de la façon suivante : base 600, points personnels 160, total 760. Aucune modification d'aucune sorte ne devra intervenir que sur instruction formelle de la direction" ;

Considérant que les affirmations de l'intéressé selon lesquelles les bases de sa rémunération avaient fait l'objet d'une décision régulière du président du conseil d'administration ne peuvent être retenues, aucun document ne permettant d'établir la réalité d'une telle décision - qui au demeurant n'aurait pu dispenser d'une délibération régulière du conseil d'administration - et le président qui l'aurait prise le contestant d'une manière formelle ;

Considérant de même qu'il n'est possible de soutenir ni que cette situation irrégulière n'avait jamais donné lieu à une observation des autorités de contrôle ou de tutelle, puisqu'elle a été explicitement relevée dans le rapport présenté au comité départemental d'examen des comptes sur les écritures de la gestion 1967 et a donné lieu à une demande de justification dans la lettre de l'inspecteur divisionnaire des lois sociales en agriculture de Lille du 28 janvier 1969, ni qu'au cas où des dispositions réglementaires l'eussent exigé, une décision aurait été demandée au conseil d'administration, puisque de telles dispositions existaient et que ni le conseil ni son président n'ont jamais été saisis d'une demande en cette matière ;

Considérant en outre que le sieur BOUCHE, bien que nommé par le conseil d'administration, n'a jamais obtenu l'agrément du ministre de l'agriculture aux fonctions de directeur ; qu'une telle situation - assimilée à un intérim par la circulaire ministérielle du 13 janvier 1969 - était essentiellement précaire et aurait dû l'inciter à ne pas méconnaître, dans la fixation de sa rémunération, des prescriptions réglementaires qu'il ne pouvait ignorer ;

Considérant, dans ces conditions, qu'en fixant de sa propre autorité le montant de sa rémunération le sieur BOUCHE a commis une infraction aux règles relatives à l'exécution des dépenses de la caisse de mutualité sociale agricole de la Somme, au sens de l'article 5 de la loi du 25 septembre 1948 ; que cette infraction, qui a revêtu un caractère continu, s'est poursuivie jusqu'à ce qu'il soit mis fin aux fonctions du sieur BOUCHE en décembre 1969 et ne se trouve ainsi couverte par la prescription instituée par l'article 30 de ladite loi que pour les faits antérieurs au 13 janvier 1968 ;

Considérant qu'il sera fait une exacte appréciation de l'ensemble des circonstances et éléments ci-dessus rappelés en infligeant au sieur BOUCHE une amende de deux mille cinq cents francs ;

ARRETE :

Article 1er - Le sieur Jacques BOUCHE est condamné à une amende de deux mille cinq cents francs.

Article 2 - Le présent arrêt sera publié au Journal Officiel de la République Française.