REPUBLIQUE FRANÇAISE
Au nom du peuple français,

La Cour de discipline budgEtaire et financiEre, siégeant à la Cour des comptes, en audience publique, a rendu l'arrêt suivant :

La Cour,

Vu le titre Ier du livre III du code des juridictions financières, relatif à la Cour de discipline budgétaire et financière ;

Vu la communication en date du 20 novembre 1996, enregistrée au Parquet le 21 novembre 1996, par laquelle le commissaire du gouvernement près la chambre régionale des comptes de Languedoc-Roussillon a informé le Procureur général près la Cour des comptes, ministère public près la Cour de discipline budgétaire et financière, d'irrégularités relevées dans la réalisation de travaux d'aménagement par l'association foncière urbaine autorisée (AFUA) de Sérignan  ;

Vu le réquisitoire du 14 avril 1997 par lequel le Procureur général a saisi la Cour des faits susmentionnés, conformément aux articles L. 314-1 et L. 314-3 du code des juridictions financières ;

Vu les décisions du Président de la Cour de discipline budgétaire et financière des 17 juin 1997 et 27 mai 2002 nommant successivement en qualité de rapporteur M. Vallernaud et Mme Lemmet, auditeurs à la Cour des comptes ;

Vu les lettres recommandées en date des 26 janvier et 5 mai 1998, par lesquelles le Procureur général a informé MM. Robert Dougados, président de l'AFUA de Sérignan depuis sa création jusqu'au 1er juillet 1995, Francis Bouchieu, président de l'AFUA à compter du 8 juillet 1995, Louis Boisset, Jacques Cavailler, Daniel Dunom, Jean-Louis Galy et René Sandonato, membres du conseil des syndics de l'AFUA, Bernard Gérard, Charles-Noël Hardy et Bernard Monginet, successivement préfet de l'Hérault, Charles Meunier, Michel Cadot et Francis Spitzer, successivement sous-préfet de Béziers, de l'ouverture d'une instruction dans les conditions prévues à l'article L. 314-4 du code précité, ensemble les accusés de réception de ces lettres ;

Vu la lettre du Procureur général au président de la Cour de discipline budgétaire et financière en date du 25 février 1999 l'informant de sa décision, après l'achèvement de l'instruction, de poursuivre la procédure, en application de l'article L. 314-4 précité ;

Vu la lettre du président de la Cour de discipline budgétaire et financière en date du 16 mars 1999 saisissant pour avis, le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie et le ministre de l'intérieur, dans les conditions prévues à l'article L. 314-5 du code des juridictions financières ;

Vu les avis du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie et du ministre de l'intérieur en date du 8 juin 1999 et du 29 septembre 1999 respectivement ;

Vu la décision du Procureur général en date du 21 septembre 2001 renvoyant M. Dougados devant la Cour de discipline budgétaire et financière, en application de l'article L. 314-6 du code précité et ne retenant pas la responsabilité de MM. Bouchieu, Boisset, Cavailler, Dunom, Galy, Sandonato, Gérard, Hardy, Monginet, Meunier, Cadot et Spitzer ;

Vu la lettre recommandée du 23 octobre 2001 du secrétaire général de la Cour de discipline budgétaire et financière avisant M. Dougados qu'il pouvait prendre connaissance du dossier suivant les modalités prévues par l'article L. 314-8 du code précité, ensemble l'accusé de réception de cette lettre ;

Vu le mémoire en défense déposé le 10 décembre 2001 par Me Martelli pour M. Dougados, enregistré au greffe de la Cour le même jour ;

Vu la lettre du 2 mai 2002 par laquelle le Procureur général a cité M. Dougados à comparaître devant la Cour de discipline budgétaire et financière, ensemble l'accusé de réception de cette lettre ;

Vu l'ensemble des pièces qui figurent au dossier, notamment les procès verbaux d'audition de MM. Dougados, Bouchieu, Boisset, Cavailler, Galy, Sandonato, Gérard, Hardy, Monginet, Meunier, Cadot et Spitzer, la déposition écrite de M. Dunom, ainsi que le rapport d'instruction de M. Vallernaud et l'arrêt du tribunal administratif de Montpellier du 10 décembre 1998 ;

Entendu Mme Lemmet en son rapport ;

Entendu Mme le Procureur général en ses conclusions et réquisitions ;

Entendu en sa plaidoirie Me Martelli et en ses explications et observations M. Dougados, l'intéressé et son conseil ayant eu la parole en dernier ;

Sur la compétence de la Cour

Considérant qu'aux termes de l'article L. 322-1 du code de l'urbanisme, l'association foncière d'urbanisme de Sérignan, association syndicale régie par la loi du 21 juin 1865 modifiée et créée par arrêté préfectoral du 2 décembre 1988 modifié le 27 décembre 1988, est un établissement public à caractère administratif ; que ses dirigeants et les autorités qui exercent la tutelle sur l'AFUA relèvent de la compétence  de la Cour de discipline budgétaire et financière au titre de l'article 312-1-I b) du code des juridictions financières ;

Sur l'engagement de travaux par l'association

Sur les faits

Considérant que l'association foncière urbaine autorisée des "jardins de Sérignan" (AFUA), qui regroupe 300 propriétaires, a pour objet le remembrement, l'aménagement et l'équipement d'une zone de 88 hectares sur la commune de Sérignan (Hérault) ;

Considérant qu'un appel d'offres pour une première tranche de travaux, relative notamment à la voirie, a été lancé selon la procédure d'urgence le 27 novembre 1991 ; que cinq des dix-sept entreprises soumissionnaires ont été admises à présenter une offre le 10 janvier 1992 ; que l'association leur a demandé, au cours de réunions tenues les 13, 14 et 15 janvier 1992, puis par lettres des 20 et 28 janvier 1992, d'étudier dans quelles conditions elles pourraient faciliter le préfinancement de l'opération, l'obtention préalable d'une avance de trésorerie étant apparue comme une condition nécessaire pour financer l'opération, suivant une note annexée au procès-verbal de la réunion du conseil des syndics de l'AFUA le 20 décembre 1991 ;

Considérant que le conseil des syndics de l'association foncière a choisi, le 20 mars 1992, le groupement CMR, composé des entreprises Compagnie moderne de routes (CMR) - Lyonnaise des Eaux - Dumez - Buesa - Sogetralec, seul groupement à avoir formulé une proposition financière ; que ce choix était assorti de la condition suspensive que soit mise en place une convention de financement satisfaisante ; que le 11 avril suivant, le président de l'AFUA a accepté l'acte d'engagement du groupement, valant marché de travaux, qui comportait la condition suspensive que "soit signée la convention de financement dont le groupement d'entreprises CMR bénéficiaire a annoncé la mise en place par lettre du 14 février 1992, engagement qui a déterminé le choix de celui-ci" ;

Considérant que, dès le 6 avril 1992, le conseil des syndics de l'AFUA avait décidé de faire commencer les travaux le 13 avril ; que le procès-verbal de cette réunion a été reçu à la sous-préfecture de Béziers le 9 avril 1992 ;

Considérant que, par une lettre du 10 avril 1992 comportant un ordre de service n° 1, le président de l'AFUA a notifié au groupement d'entreprises, "vu la condition suspensive mais considérant l'urgence des travaux", d'avoir à commencer les premiers travaux le 13 avril 1992 ; que, selon le certificat de paiement n° 1 établi par le maître d'oeuvre le 11 mai 1992, les premiers travaux ont bien été effectués au mois d'avril 1992 pour un total de 302 644,36 F TTC ;

Considérant qu'une convention conclue le 4 juillet 1992 entre l'AFUA et le groupement d'entreprises CMR, transmise à la préfecture le 6 juillet, a stipulé que "par dérogation (au marché du 11 avril 1992), il est demandé aux entreprises de commencer les travaux sans attendre la signature de la convention de financement avec les banques" ; que les travaux, interrompus le 30 avril 1992, ont recommencé le 15 juillet 1992 en exécution d'un ordre de service n° 4 ; que cet ordre de service a été reçu à la sous-préfecture le 26 octobre 1992 ;

Qu'avant l'interruption définitive des travaux par un nouvel ordre de service, le 31 décembre 1992, huit situations de travaux ont été présentées par les entreprises pour un montant de 6 063 279 F TTC ; que l'AFUA n'a réglé que 1 033 257 F ;

Considérant que l'ensemble de ces faits, tous postérieurs au 21 novembre 1991, ne sont pas couverts par la prescription instituée par l'article L. 314-2 du code des juridictions financières ;

Sur l'engagement de travaux en l'absence de financement

Considérant qu'en vertu de l'article 39 du code des marchés publics dans sa rédaction alors en vigueur, les marchés doivent être notifiés avant tout commencement d'exécution ; qu'en l'espèce, la décision d'engager les travaux prise par l'association le 6 avril 1992 et notifiée le 13 avril 1992 sans que soit satisfaite la condition suspensive d'exécution du marché conclu le 11 avril 1992, et relative à la passation d'une convention de financement, constitue une infraction sanctionnée par l'article L. 313-4 du code des juridictions financières ; que la circonstance que le coût des travaux réalisés en avril 1992 aurait pu être couvert par la capacité de financement propre de l'AFUA et que l'ordre de service lançant les travaux ait précisé que leur poursuite était subordonnée à la réalisation de la condition suspensive, est sans effet sur ce point ;  

Considérant que la reprise des travaux, décidée par le conseil syndical le 4 juillet 1992, a été accompagnée, le même jour, par la signature d'une convention avec le groupement CMR, demandant aux entreprises de commencer les travaux sans attendre la signature de la convention de financement avec les banques ; que cette décision est à l'origine de la dette que l'AFUA n'a pas remboursée et que le tribunal administratif de Montpellier a mise à la charge de l'Etat par son jugement du 10 décembre 1998 susvisé ;

Considérant que la double décision de renoncer à la clause de financement et de reprendre des travaux d'un coût élevé, alors même que leur financement n'était pas assuré, est contraire aux règles de prudence élémentaire qui s'imposent à une association syndicale de copropriétaires ; que cette méconnaissance des règles de gestion constitue une infraction sanctionnée par l'article L. 313-4 précité ;

Sur l'engagement des travaux sans autorisation du représentant de l'Etat

Considérant que les travaux engagés relevaient de catégories mentionnées à l'article 1er de la loi du 21 juin 1865 relative aux associations syndicales, catégories que l'article 47 du décret du 18 décembre 1927 portant règlement d'administration publique pour l'exécution de ladite loi soumet à un régime d'autorisation spéciale préalable par le préfet, qui peut les suspendre s'ils ont été entrepris avant son autorisation ; que ces autorisations doivent être expresses  ; que les lois de décentralisation n'ont pas modifié le régime des associations syndicales ;

Considérant que la décision d'engager les travaux en avril 1992 et celle de les reprendre en juillet 1992 ont été communiqués à la sous-préfecture ; qu'aucune autorisation explicite n'a pu être produite, alors même que les tampons attestant la date d'arrivée des documents à la sous-préfecture ne pouvaient valoir autorisation ; que la décision d'engagement en date du 6 avril 1992 et la convention du 4 juillet 1992 valant ordre de reprise des travaux, intervenues en l'absence d'autorisation préfectorale, en méconnaissance des dispositions du décret de 1927 susvisé, constituent des infractions tombant sous le coup de l'article L. 313-3 du code des juridictions financières ;

Sur la responsabilité de M. Dougados

Considérant, en premier lieu, que M Dougados, en sa qualité de président de l'AFUA, a pris la décision d'engager les travaux alors que l'une des conditions posées pour l'exécution du marché n'était pas remplie et que le financement n'était pas assuré ; qu'il a ultérieurement donné l'ordre de poursuivre les travaux sans avoir davantage obtenu leur financement ; qu'il soutient qu'il aurait mis tout en oeuvre pour tenter de trouver un financement indispensable à la survie de l'AFUA, mais que ces démarches ne sauraient dégager sa responsabilité sur ce point ; qu'en outre, les dépenses de fonctionnement engagées par l'association à cette occasion ont bénéficié, pour les deux tiers, au titre d'un contrat d'assistance administrative, à une entreprise dirigée par l'épouse de M. Dougados, et employeur de ce dernier comme responsable administratif de mai 1989 à novembre 1992 ;  que M. Dougados avait dans ces conditions un intérêt personnel à l'engagement rapide des travaux ;

Considérant que ne peut pas être considérée comme une circonstance atténuante la clause de la convention conclue entre la commune de Sérignan et l'AFUA et désignant celle-ci comme aménageur de la ZAC, stipulant que le commencement des travaux de cette dernière devrait intervenir "dans un délai de 6 mois à compter de l'arrêté de ZAC sous peine de la résiliation de la présente convention" ; que, de même, la circonstance qu'une procédure contentieuse devant le tribunal administratif de Montpellier tendait à faire annuler la décision de création de la ZAC ne saurait avoir justifié l'engagement des travaux en urgence, engagement qui conduisait à placer le tribunal devant le fait accompli ;

Considérant, en second lieu, que M. Dougados, en sa qualité de président de l'AFUA, a pris la décision d'engager les travaux sans autorisation du représentant de l'Etat ; que M. Dougados a pu toutefois croire de bonne foi que le régime d'approbation des travaux relevait du contrôle de légalité des collectivités territoriales et que le silence gardé par le représentant de l'Etat valait approbation des travaux ;

Considérant que les autorités préfectorales, dont l'instruction a montré qu'elles connaissaient mal leurs attributions en matière de travaux réalisés par une association syndicale, notamment le caractère obligatoire de leur autorisation préalable expresse, ne sont à aucun moment intervenues pour préciser à l'intéressé le régime juridique applicable aux actes de l'association ; que toutefois, M. Dougados a engagé les travaux sans même attendre le délai qui aurait été ouvert pour l'exercice du contrôle de légalité par le préfet ;

Considérant enfin que la circonstance que les autorités préfectorales, pleinement informées de l'avancement des travaux, ne sont pas intervenues, alors qu'elles avaient, en vertu de l'article 47 du décret du 18 décembre 1927 susvisé, le pouvoir de suspendre l'exécution des travaux dont les plans et devis n'avaient pas été soumis à leur approbation, ne saurait non plus dégager la responsabilité de M. Dougados ;

Sur le montant de l'amende

Considérant qu'il sera fait une juste appréciation des circonstances de l'affaire en infligeant à M. Dougados, qui a fait par ailleurs l'objet de sanctions pénales, une amende de deux mille cinq cents euros ;  

Sur la publication 

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de publier le présent arrêt au Journal officiel de la République française.

ArrEte :

Article 1er: M. Robert Dougados est condamné à une amende de deux mille cinq cents euros (2 500 €).

Article 2 : Le présent arrêt sera publié au Journal officiel de la République française.

Délibéré par la Cour de discipline budgétaire et financière, le dix-neuf juin deux mil deux par M. LOGEROT, premier président de la Cour des comptes, président, M. FOUQUET, président de la section des finances du Conseil d'Etat, M. MASSOT, président de section au Conseil d'Etat, M. MARTIN conseiller d'Etat, MM. CAPDEBOSCQ et LEFOULON, conseillers maîtres à la Cour des comptes.

Lu en séance publique le dix-huit septembre deux mil deux.

En conséquence, la République mande et ordonne à tous huissiers de justice sur ce requis de mettre ledit arrêt à exécution, aux procureurs généraux et aux procureurs de la République près les tribunaux de grande instance d'y tenir la main, à tous commandants et officiers de la force publique de prêter main-forte lorsqu'ils en seront légalement requis.

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le Président de la Cour et le greffier.

 



Le président,

François Logerot

La greffière,

Maryse Le Gall