Vu la loi n° 48-1484 du 25 septembre 1948 modifiée tendant à sanctionner les fautes de gestion commises à l'égard de l'Etat et de diverses collectivités et portant création d'une Cour de discipline budgétaire et financière ;
Vu la décision notifiée le 27 mai 1988 et enregistrée au Parquet le 30 mai 1988, par laquelle la Cour des comptes a saisi la Cour de discipline budgétaire et financière d'irrégularités constatées dans la gestion financière de l'Association pour la gestion de la Sécurité sociale des artistes auteurs (AGESSA) et imputables à l'agent comptable et à la directrice de cet organisme ;
Vu le réquisitoire du Procureur général de la République en date du 23 juin 1988 transmettant le dossier à la Cour de discipline budgétaire et financière ;
Vu la décision du Président de la Cour de discipline budgétaire et financière du 1er juillet 1988 désignant comme rapporteur M. Guy BERGER, Conseiller maître à la Cour des comptes ;
Vu les accusés de réception des lettres recommandées adressées par le Procureur général de la République le 21 juillet 1988 à M. Pierre BURLOT et à Mlle Annie ALLAIN, respectivement agent comptable et directrice de l'AGESSA, les informant de l'ouverture d'une instruction et les avisant qu'ils pouvaient se faire assister soit par un mandataire dûment autorisé, soit par un avocat ou un avoué, soit par un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ;
Vu les avis émis le 18 décembre 1989 par le ministre délégué chargé du Budget et le 16 mars 1990 par le ministre de la Solidarité, de la santé et de la protection sociale ;
Vu les conclusions du Procureur général de la République en date du 6 avril 1990 renvoyant M. BURLOT devant la Cour de discipline budgétaire et financière et prononçant un non-lieu en ce qui concerne Mlle ALLAIN ;
Vu l'avis de la Commission de contrôle des comptes de l'AGESSA réunie le 23 mai 1990, transmis à la Cour de discipline budgétaire et financière le 6 juin 1990 par M. Pascal PHILIPPON, Président du Conseil d'administration de l'AGESSA ;
Vu l'accusé de réception de la lettre recommandée adressée par le Président de la Cour de discipline budgétaire et financière, le 28 mai 1990, à M. BURLOT l'avisant qu'il pouvait dans un délai de quinze jours prendre connaissance du dossier de l'affaire soit par lui-même, soit par un mandataire, soit par le ministère d'un avocat, d'un avoué ou d'un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ;
Vu le mémoire en défense en date du 24 juillet 1990 présenté par M. BURLOT, assisté de Me François MANDERIEUX, avocat à la Cour d'appel de Paris, ensemble les pièces annexées ;
Vu l'accusé de réception de la lettre recommandée adressée le 9 novembre 1990 par le Procureur général de la République à M. BURLOT le citant à comparaître devant la Cour de discipline budgétaire et financière;
Vu l'ensemble des pièces qui figurent au dossier et notamment les procès-verbaux d'audition ;
Entendu M. BERGER, en son rapport ;
Entendu M. le Procureur général en ses conclusions ;
Entendu en ses explications M. BURLOT assisté de Me MANDERIEUX ;
Entendu M. le Procureur général de la République en ses réquisitions ;
Entendu en sa plaidoirie Me MANDERIEUX et en ses observations M. BURLOT, l'intéressé et son conseil ayant eu la parole les derniers ;
Sur la compétence de la CourConsidérant que l'AGESSA, association de la loi de 1901, organisme agréé conformément aux dispositions du décret n° 77-1195 du 25 octobre 1977, assure le recouvrement de cotisations et contributions d'assurances sociales et d'allocations familiales instituées par la loi n° 75-1348 du 31 décembre 1975 relative à la Sécurité sociale de diverses catégories d'artistes auteurs, modifiée par la loi n° 77-574 du 7 juin 1977 ; qu'elle est à ce titre soumise au contrôle de la Cour des comptes en application de l'article 7 de la loi n° 67-483 du 22 juin 1967 modifiée et qu'elle a effectivement été contrôlée par cette juridiction ; qu'en conséquence, ses représentants administrateurs et agents sont justiciables de la Cour de discipline budgétaire et financière en vertu de l'article 1er de la loi du 25 septembre 1948 modifiée susvisée ;
Sur le fond
Considérant que des irrégularités ont affecté la gestion des fonds recouvrés par l'AGESSA dans des circonstances de nature à aggraver ou à atténuer les responsabilités encourues dans cette gestion par l'agent comptable ;
a) Sur les irrégularités ayant affecté la gestion des fonds recouvrés
Considérant que l'AGESSA, en tant qu'organisme agréé compétent pour recouvrer les cotisations et contributions afférentes au régime d'assurances sociales des artistes auteurs, est soumise aux dispositions de l'article 9 du décret n° 77-221 du 8 mars 1977 reprises à l'article R 382-29 du code de la Sécurité sociale qui précisent que "le produit des contributions et cotisations est adressé à l'agence centrale des organismes de Sécurité sociale (ACOSS) selon des modalités fixées par convention entre cet organisme et l'organisme agréé" ;
Considérant qu'en application de ces dispositions une convention a bien été passée entre l'ACOSS et l'AGESSA le 1er septembre 1978 et que cette convention a été approuvée le 14 janvier 1981 par le Ministre chargé de la Sécurité sociale ;
Considérant qu'en son article 6, cette convention dispose : "l'organisme ouvre des comptes spéciaux d'encaissement des cotisations, soit un compte courant postal et un ou plusieurs comptes bancaires, parmi les banques agréées par le ministre chargé de la Sécurité sociale. Les chèques postaux et bancaires reçus par l'organisme en règlement des cotisations et contributions sont remis le jour même à l'encaissement auprès du Centre de chèques postaux et de la ou des banques. Ces chèques sont portés par les organismes financiers au crédit des comptes spéciaux d'encaissement précités. Les soldes de ces comptes sont virés automatiquement tous les jours au crédit du compte unique de disponibilités courantes de l'ACOSS tenu dans les écritures du siège de la Caisse des dépôts et consignations" ;
Considérant que postérieurement à l'entrée en vigueur de cette convention, M. BURLOT décida de transférer les comptes de l'AGESSA de la Banque La Hénin à la Banque générale du commerce (BGC) ; qu'à cette occasion les conditions de fonctionnement de ces comptes bancaires firent, en octobre 1981, l'objet d'un accord entre l'agent comptable et les responsables de la BGC ; que cet accord verbal, qui ne fut matérialisé par aucun échange de lettres, comportait des clauses résumées dans une note de service interne de la BGC en date du 16 novembre 1981 et dans une note en date du 20 janvier 1988 remise par M. BURLOT en réponse à une question du rapporteur de la Cour des comptes, chargé du contrôle des comptes de l'AGESSA ; que ces clauses prévoyaient selon l'agent comptable que la "banque effectuerait des virements automatiques à l'ACOSS tous les dix jours et conserverait sur les comptes : diffuseurs 350 000 F, cotisants 50 000 F" ; que ces modalités de gestion des comptes sont explicitement confirmées par la note susmentionnée de la BGC en date du 16 novembre 1981 qui stipule "les comptes 45106 W AGESSA diffuseurs et 45 108 Y AGESSA cotisants, sont vidés, sous réserve d'un solde de 400 000 F, par virement au compte n° 9175-97 U Paris de ACOSS c/° Caisse des dépôts et consignations, et ce tous les dix jours" ;
Considérant que, dès lors, les conditions de fonctionnement des comptes bancaires de l'AGESSA étaient en contradiction avec le mécanisme exigé dans l'intérêt de l'ACOSS par l'article 6 de la convention susvisée du 1er septembre 1978, approuvée le 14 janvier 1981, et constituaient ainsi une infraction tombant sous le coup des dispositions de l'article 5 de la loi du 25 septembre 1948 modifiée ;
Considérant que s'il n'est pas contestable que, nonobstant les divers services rendus par la BGC à l'AGESSA et notamment la gratuité du traitement des chèques, cet établissement tirait profit des clauses de l'accord verbal susmentionné régissant le fonctionnement des comptes de l'AGESSA, il ne résulte pas non plus des faits connus de la Cour que la BGC ait ainsi obtenu un avantage injustifié, dépassant très sensiblement le rendement que tout banquier est en droit d'attendre de ses relations commerciales avec un client et entraînant en conséquence un préjudice pour le Trésor ou l'AGESSA au sens de l'article 6 de la loi du 25 septembre 1948 modifiée ;
b) Sur les responsabilités encourues
Considérant qu'en acceptant les clauses irrégulières susmentionnées et en poursuivant l'application au-delà du 27 mai 1983, date de début de la période non prescrite jusqu'aux constatations effectuées par la Cour des comptes en 1988, M. BURLOT porte la responsabilité des infractions ainsi commises ;
Que les circonstances ayant conduit en 1981 au transfert des comptes de l'AGESSA de la Banque La Hénin à la BGC et les répercussions de ce changement d'établissement sur les relations personnelles nouées successivement avec ces deux banques par M. BURLOT confirment que les infractions commises sont imputables au seul M. BURLOT ;
Considérant que si, comme il le fait valoir, M. BURLOT estimait que la convention susvisée du 1er septembre 1978, approuvée le 14 janvier 1981, comportait des difficultés d'application, il aurait dû faire connaître ces difficultés à l'ACOSS, ce qu'il ne fit pas ;
Qu'en outre il ne donna à ses collaborateurs aucune instruction pour la surveillance des comptes ouverts chez la BGC ni même aucune information sur le contenu de l'accord verbal passé avec cette banque ; qu'en conséquence, au moins à deux occasions, la BGC put conserver des sommes importantes pendant des périodes excédant largement les durées prévues dans l'accord sans que l'AGESSA le perçoive et réagisse ;
Considérant que M. BURLOT peut faire valoir à sa décharge que jamais les services de l'ACOSS ne s'inquiétèrent de leur côté de l'application de la convention qui liait cet organisme à l'AGESSA et ne demandèrent à cette dernière la moindre explication sur le rythme des versements qu'elle effectuait ; qu'ainsi l'agent comptable a pu estimer cette question comme étant d'importance secondaire ;
Qu'en revanche, ne peut être considérée par la Cour que comme une circonstance aggravante des responsabilités encourues par M. BURLOT le fait qu'il ait négocié avec la BGC, au moment même où il organisait le transfert des comptes de l'AGESSA chez cette banque, la reprise par cet établissement d'un prêt personnel de 600 000 F qui lui avait été consenti par la Banque La Hénin au taux de 6 % ; que le lien entre ce prêt personnel à taux préférentiel et le fait que M. BURLOT a apporté à la BGC les comptes de l'AGESSA résulte des termes mêmes du contrat de prêt en date du 20 novembre 1981 qui stipule : "le taux d'intérêt de 6 % l'an est consenti par le prêteur à l'emprunteur compte tenu des relations d'affaires existant entre M. BURLOT et la BGC et des comptes dont l'emprunteur est titulaire dans les livres de la Banque. Il est expressément convenu que dans le cas où ces relations et ces comptes cesseraient d'exister ou subiraient une diminution importante, le taux d'intérêt de 6 % l'an ci-dessus fixé serait porté au taux pratiqué par la Banque vis-à-vis de la clientèle courante" ; que M. BURLOT, s'il avait fait connaître au Président du Conseil d'administration de l'AGESSA, le 19 octobre 1979, le prêt personnel à taux préférentiel que lui avait déjà consenti la Banque La Hénin en mars 1979, ne jugea pas utile de signaler à celui-ci ou à son successeur la reprise de ce concours par la BGC ni le fait que cet établissement transforma ensuite ce prêt remboursable par annuités en un concours permanent ; qu'en se plaçant ainsi dans une position où il mêlait ses intérêts personnels ou professionnels propres et ceux de l'AGESSA, et où de ce fait son indépendance à l'égard du banquier de l'AGESSA se trouvait inévitablement affectée, M. BURLOT a manqué à la délicatesse et à la prudence que l'on peut exiger d'un agent maniant des fonds d'un organisme de Sécurité sociale ;
Considérant que les faits incriminés qui se sont produits et poursuivis postérieurement au 27 mai 1983 ne sont pas couverts par la prescription de cinq ans instituée par l'article 30 de la loi du 25 septembre 1948 modifiée ;
Considérant qu'il sera fait une juste appréciation des circonstances de l'affaire en condamnant M. BURLOT à une amende de 15 000 francs ;
ARRETE :
Article 1er : M. Pierre BURLOT est condamné à une amende de quinze mille francs (15 000 F).
Article 2 : Le présent arrêt sera publié au Journal officiel de la République française.