LA COUR,

Vu la loi n° 48-1484 du 25 septembre 1948, modifiée et complétée par les lois n° 55-1069 du 6 août 1955, 63-778 du 31 juillet 1963 et 71- 564 du 13 juillet 1971 tendant à sanctionner les fautes de gestion commises à l'égard de l'Etat et de diverses collectivités et portant création d'une Cour de discipline budgétaire et financière ;

Vu les décisions des 27 avril 1977, 9 novembre 1977 et 26 avril 1978 par lesquelles la Cour des Comptes a saisi la Cour de discipline budgétaire et financière d'irrégularités constatées dans l'emploi des subventions accordées à diverses fédérations et associations sportives le Secrétariat d'Etat à la Jeunesse et aux Sports et nommément déféré M. Marceau CRESPIN, ancien directeur de l'éducation physique et des sports ;

Vu le réquisitoire du Procureur Général de la République en date du 20 septembre 1977 transmettant le premier dossier du 27 avril 1977 à la Cour de discipline budgétaire et financière, ainsi que les communications des 13 février 1978 et 12 mai 1978 transmettant les déférés complémentaires des 9 novembre 1977 et 26 avril 1978 ;

Vu la décision du Président de la Cour de discipline budgétaire et financière du 30 septembre 1977 désignant comme rapporteur M CHEVAGNY, Conseiller référendaire à la Cour des Comptes ;

Vu l'accusé de réception de la lettre recommandée adressée le 18 octobre 1977 à M. CRESPIN, l'informant de l'ouverture d'une instruction et l'avisant qu'il était autorisé à se faire assister soit par un mandataire, soit par un avocat ou un avoué, soit par un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de Cassation ;

Vu l'avis émis le 12 octobre 1978 par le ministre de la Jeunesse, des Sports et des Loisirs ;

Vu l'avis émis le 18 janvier 1979 par le ministre du Budget ;

Vu les conclusions du Procureur Général de la République en date du 6 juin 1979 renvoyant M. CRESPIN devant la Cour de discipline budgétaire et financière ;

Vu l'accusé de réception de la lettre recommandée, adressée le 12 juin 1979 à M. CRESPIN, l'avisant qu'il pouvait dans un délai de quinze jours prendre connaissance du dossier de l'affaire soit par lui-même, soit par un mandataire, soit par le ministère d'un avocat, d'un avoué ou d'un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de Cassation ;

Vu le mémoire en défense présenté le 27 septembre 1979 et complété le 4 octobre 1979 pour M. CRESPIN par Maîtres VILLARD et ROLAND-LEVY, avocats à la Cour d'appel de Paris ;

Vu l'ensemble des pièces qui figurent au dossier et notamment le procès-verbal d'interrogatoire ;

Ouï M. CHEVAGNY, Conseiller Maître à la Cour des Comptes, en son rapport ;

Ouï le Procureur Général de la République en ses réquisitions ;

Ouï, en leurs observations, Maîtres VILLARD et M. CRESPIN, l'intéressé et son conseil ayant eu la parole les derniers ;

Sur les faits

Considérant que M. CRESPIN, directeur de l'éducation physique et des sports au secrétariat d'Etat à la jeunesse et aux sports jusqu'au 31 décembre 1974, a signé en cette qualité des décisions d'octroi de subventions, imputées sur les crédits budgétaires de ce département ministériel, à diverses fédérations et associations sportives ;

Considérant que, au cours de la période non couverte par la prescription édictée par l'article 30 de la loi modifiée du 25 septembre 1948, une partie seulement, parfois très faible de ces subventions, a été prise en charge dans la comptabilité sociale des bénéficiaires ; qu'ainsi, sur 5,8 millions mandatés en 1973 et 1974 au comité national olympique et 5,1 millions mandatés les mêmes années à la fédération française d'athlétisme, il n'apparaît dans la comptabilité de ces associations que respectivement 0,82 et 2,3 millions de francs ;

Considérant qu'au cours de l'instruction M. CRESPIN n'a pu qu'indiquer que les dites associations, et notamment la Comité national olympique, n'étaient pas en mesure de reconstituer la comptabilité des opérations non décrites ;

Considérant d'autre part qu'au cours des mêmes années 1973 et 1974 M. CRESPIN s'était constitué auprès de diverses fédérations et associations sportives, dont le Comité national olympique et sportif français, la fédération française de parachutisme et la fédération française d'athlétisme, des réserves de crédits alimentées par des subventions non affectées qu'il leur attribuait ; que les fonds ainsi réservés étaient à sa disposition exclusive, et qu'il les employait à régler des dépenses qui n'entraient pas dans la vocation normale de ces associations ; qu'en l'absence de toute comptabilité probante, l'existence de ces opérations n'est connue, de façon très partielle, que par des échanges de lettres personnelles entre M. CRESPIN et les dirigeants desdites associations, avec lesquels s'élevaient parfois des contestations sur le solde net des crédits réservés ; que les fonds de l'espèce ont atteint plus de 213 000 francs en juillet 1973 au Comité national olympique, et plus de 97 000 francs en avril 1974 à la fédération française d'athlétisme ;

Considérant que, sur ces fonds réservés, M. CRESPIN a prescrit le règlement de dépenses de personnels et de matériels du secrétariat d'Etat ; que des fonctionnaires et des agents contractuels ont perçu, occasionnellement ou périodiquement, des primes ou indemnités allouées en violation du statut ou des contrats des bénéficiaires ; que certains fonctionnaires, collaborateurs du directeur des sports, ont perçu des avances sur frais de mission renouvelées avant toute liquidation de la ou des missions antérieures ; qu'ils bénéficiaient ainsi d'avances de trésorerie parfois importantes ; qu'au surplus leurs notes de frais, acceptées par M. CRESPIN, comportaient des taux journaliers supérieurs aux taux réglementaires et des calculs parfois fantaisistes, et faisaient à l'occasion état de déplacements peu vraisemblables ;

Considérant que M. CRESPIN n'a pas pu toujours justifier de façon convenable les frais de représentation qu'il se faisait rembourser à lui-même ;

Considérant que, en 1965, le secrétariat d'Etat s'était assuré la disposition d'un avion qu'il avait d'abord fait acquérir par l'aéroclub de France grâce à des subventions de l'Etat, avec l'accord personnel du ministre alors en fonction, et qu'il avait ensuite pris en location auprès de l'aéroclub aux termes d'un contrat signé le 22 septembre 1965 par M. CRESPIN en sa qualité de directeur des sports ; que le dit avion était entretenu sur les crédits réservés alloués à la fédération française de parachutisme ;

Considérant que M. CRESPIN a reconnu avoir parfois utilisé cet avion à des fins personnelles, notamment au cours des années non prescrites 1973 et 1974 ; que cependant, alors qu'il avait, lui-même et sous sa signature personnelle, donné dès le 22 septembre 1965 des instructions écrites explicites pour que lui soit adressé "un relevé trimestriel des heures de vol et des dépenses afférent à chacune de ces périodes", il n'a pu produire aucun de ces relevés, non plus que le carnet de bord de l'appareil, dont le contrat de location a été dénoncé dès mars 1975 sur l'ordre personnel du secrétaire d'Etat alors en fonctions ;

Considérant que M. CRESPIN a fait rembourser en 1973 et 1974, toujours sur fonds réservés, des factures d'essence d'un montant supérieur à 30000 francs, et qu'il n'a pu donner sur cette procédure et ses bénéficiaires que des explications successives, contradictoires et inévitables ;

Sur les qualifications

Considérant que tout bénéficiaire de subventions assorties d'une affectation doit pouvoir justifier de leur utilisation ; que l'autorité qui accorde la subvention doit porter attention à la bonne tenue, par le bénéficiaire, de documents comptables sincères et complets ;

Considérant qu'en application de l'article 14 du décret du 2 mai 1938, toute association, société ou collectivité privée qui reçoit une subvention de l'Etat est tenue de fournir ses budgets et comptes au ministre intéressé, tout refus de communication pouvant entraîner la suppression de la subvention ; qu'il incombe le cas échéant à l'autorité administrative d'exiger ces comptes avant tout versement d'une subvention ultérieure ;

Considérant dès lors que M. CRESPIN, qui en tant que directeur des sports a alloué des subventions importantes sans obtenir ni réclamer de comptes, et sans s'assurer que les recettes et les dépenses étaient bien décrites intégralement dans la comptabilité des bénéficiaires, a enfreint les règles relatives à l'exécution des dépenses de l'Etat, et commis de ce fait une infraction prévue par l'article 5 de la loi du 25 septembre 1948 ;

Considérant qu'en allouant à des associations, en sus de subventions de fonctionnement ou de subventions affectées à un objet déterminé, d'autres subventions sans affectation, mais avec obligation de les mettre ultérieurement et exclusivement à la libre disposition de l'ordonnateur, celui-ci commet un détournement de procédure ;

Qu'en exécutant lui-même matériellement et juridiquement des opérations sans rapport avec l'activité normale de l'attributaire de la subvention, et en transmettant à ce dernier, aux fins de paiement, des factures qu'il a lui-même arrêtées et certifiées quant au service fait, l'ordonnateur transforme l'organisme subventionné en un simple caissier ;

Considérant que M. CRESPIN a utilisé cette procédure détournée pour régler des dépenses de fonctionnement non seulement de la direction des sports, mais encore de certains organismes annexes de caractère officieux ;

Que de telles pratiques ont pour objet et pour effet de soustraire ces dépenses à la réglementation applicable aux dépenses publiques et plus spécialement au double contrôle du contrôleur financier et des comptables publics ; qu'elles constituent en conséquence des infractions prévues par les articles 2 et 5 de la loi du 25 septembre 1948 ;

Considérant que la plus grande partie des dépenses réglées sur fonds réservés revêtent un caractère irrégulier au regard des textes réglementaires concernant la rémunération des personnels ou le remboursement de leurs frais ;

Considérant que, si M. CRESPIN a pu exciper d'un ordre écrit de son ministre pour les indemnités mensuelles versées aux cadres techniques du sport français, il n'en va pas de même pour les autres avantages dont ont bénéficié certains agents ;

Considérant qu'il n'appartenait pas à M. CRESPIN de relever les taux journaliers réglementaires de frais de mission qu'il jugeait trop bas, ou d'abonder la rémunération de ses collaborateurs en alléguant des motifs d'équité ou d'efficacité, ni enfin de compléter, par une voie détournée, des dotations budgétaires qu'il estimait insuffisantes ;

Considérant que M. CRESPIN n'était pas fondé à utiliser à des fins personnelles des moyens matériels de transport mis à la disposition du service par une association sportive ;

Considérant que ces pratiques constituent des infractions prévues par l'article 5 de la loi du 25 septembre 1948 ;

Sur la responsabilité

Considérant que l'ensemble des irrégularités relevées ont constitué un tout indissociable ; que les lacunes dans la comptabilisation des subventions par les associations ont facilité la constitution de réserves occultes de fonds ; que ces dernières ont à leur tour permis le paiement de dépenses en elles-mêmes irrégulières ; que l'absence de toute exigence de justifications ne permet plus de lever les doutes qui subsistent sur la matérialité et les bénéficiaires de certains des paiements ;

Considérant que certaines de ces pratiques, poursuivies pendant plusieurs années à l'insu des autres autorités administratives, mais nécessairement bien connues des nombreux dirigeants sportifs dont elles supposaient la complicité tacite, ont été de nature à peser fâcheusement sur l'opinion de ceux-ci sur les modalités et la rectitude de l'action de l'Etat ;

Considérant cependant qu'il y a lieu de tenir compte des états de services civiques et militaires de M. CRESPIN;

Que celui-ci a fait preuve à la Direction des Sports de qualités incontestables de dynamisme et d'efficacité ;

Qu'en revanche il n'était pas préparé, par ses activités antérieures, à diriger la gestion administrative et financière d'un grand service public dans lequel il n'a d'ailleurs trouvé ni structures, ni traditions de nature à faciliter sa tâche ; Considérant qu'en décembre 1971 le ministre des Finances avait donné au secrétaire d'Etat à la jeunesse et aux sports son accord écrit pour le versement au Comité national olympique et sportif français de subventions destinées à permettre à ce dernier de régler les dépenses de préparation olympique et de participation aux jeux, sous la condition que le contrôleur financier auprès du secrétariat d'Etat exercerait "un contrôle très strict sur les dépenses du comité olympique tant au moment des prévisions budgétaires et des engagements de dépenses que lors de leur exécution" ;

Considérant qu'une telle procédure, largement dérogatoire au droit commun financier, recelait en elle-même de graves dangers, que les conditions effectives d'exercice du contrôle financier n'ont pas permis d'écarter ;

Considérant qu'aucune autorité administrative n'est intervenue au cours des années pour attirer l'attention du directeur des Sports sur la dégradation de la situation et sur la gravité des irrégularités qu'il commettait ;

Considérant, dans ces conditions, que l'intéressé doit bénéficier de larges circonstances atténuantes, et qu'il sera fait une équitable appréciation de l'ensemble des circonstances en lui infligeant une amende de deux mille francs ;

ARRETE :

Article 1er.- M. CRESPIN est condamné à une amende de deux mille francs.

Article 2.- Le présent arrêt sera publié au journal officiel de la République Française, le nom de l'intéressé y figurant par l'initiale X.