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QUATRIEME CHAMBRE

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Première section

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Arrêt S 2016-0105

 

Audience publique du 3 décembre 2015

 

Prononcé du 14 janvier 2016

 

ETABLISSEMENT HOSPITALIER POUR

PERSONNES AGéES DéPENDANTES

(EHPAD) JEAN MONNET à VILLAGE-NEUF

(HAUT-RHIN)

 

Appel d’un jugement de la Chambre régionale des comptes d’Alsace

 

Rapport n° 2015-280-0

 

 

 

République Française,

Au nom du peuple français,

 

La Cour,

 

 

Vu la requête, enregistrée le 1er décembre 2014 au greffe de la chambre régionale des comptes d’Alsace, par laquelle M. Frédéric GUTHMANN, procureur financier près cette juridiction, a relevé appel du jugement 2014-012 du 13 novembre 2014 par lequel ladite chambre régionale a mis à la charge de Mme X, comptable de l’EHPAD Jean Monnet à Village-Neuf, une somme irrémissible de 264 € pour avoir payé en 2011 diverses primes et indemnités à des agents contractuels alors que ces rémunérations n’étaient pas prévues dans leur contrat de travail, au motif que ce manquement n'aurait pas causé de préjudice financier à l'établissement ;

Vu le mémoire en défense de Mme X, enregistré le 7 janvier 2015 au greffe de la chambre régionale des comptes d’Alsace ;

Vu le réquisitoire du Procureur général près la Cour des comptes n° 2015-23 du 19 mars 2015 transmettant à la Cour la requête précitée ;

Vu le réquisitoire du 10 juillet 2014 par lequel le procureur financier près la chambre régionale des comptes d’Alsace a saisi cette même chambre à fin d’instruction d’une présomption de charge concernant la gestion de Mme X ;

Vu les pièces de la procédure suivie en première instance ;

Vu le code des juridictions financières ;

Vu le code général des collectivités territoriales ;

Vu l’article 60 de la loi de finances n° 63-156 du 23 février 1963, dans sa rédaction issue de l’article 90 de la loi n° 2011-1978 du 28 décembre 2011 de finances rectificative pour 2011 ;

Vu le décret n° 62-1587 du 29 décembre 1962 modifié portant règlement général sur la comptabilité publique, applicable au moment des faits ;

Vu le rapport de M. Yves ROLLAND, conseiller maître ;

Vu les conclusions du Procureur général n° 766 du 23 novembre 2015 ;

Entendu, lors de l’audience publique de ce jour, M. ROLLAND, en son rapport, M. MICHAUT, avocat général, en les conclusions du ministère public, l’appelant, informé de l’audience, n’étant ni présent ni représenté ;

Entendu, en délibéré, Mme LATOURNARIE-WILLEMS, conseillère maître, en ses observations ;

Attendu que, par le jugement entrepris, rendu sur conclusions contraires du ministère public, la chambre régionale des comptes d’Alsace a jugé, d’une part, qu’il n’y avait pas lieu de mettre en jeu la responsabilité personnelle et pécuniaire de Mme X, comptable de l’EHPAD Jean Monnet à Village-Neuf, pour avoir payé en 2011 à dix-sept agents contractuels de cet établissement l’indemnité de sujétions spéciales pour un montant de 10 634,94 €, au motif que cette indemnité est due, à partir du moment où il y a eu rémunération, à tous les personnels de l’établissement, titulaires et contractuels sauf les personnels de direction et pharmacien ; que, d’autre part, elle a jugé que la comptable avait engagé sa responsabilité personnelle et pécuniaire en payant à ces mêmes agents d’autres catégories de primes ou indemnités pour un montant de 11 165,24 €, alors que ces rémunérations n’étaient pas prévues dans leur contrat de travail ; que la chambre régionale a cependant considéré que ce manquement n’avait pas causé de préjudice financier à l’établissement et a mis à la charge de la comptable une somme irrémissible de 264  ;

Attendu que, dans sa requête en appel, le procureur financier près la chambre régionale des comptes d’Alsace conclut à l’infirmation du jugement du 13 novembre 2014 « par lequel la chambre a retenu : « Considérant dès lors qu’en l’absence de paiements indus relevés, le manquement de la comptable n’a pas causé de préjudice à l’EHPAD Jean Monnet de Village-Neuf » et ordonné à l’article 1 : « Une somme de 264 € (deux cent soixante-quatre euros) est mise à la charge de Mme X au titre de sa gestion au cours de l’année 2011 » ; que tant le rapporteur dans ses propositions que le parquet général près la Cour dans ses conclusions comprennent la demande comme dirigée contre les deux dispositions du jugement attaqué ;

Attendu toutefois qu’il ressort des termes mêmes des conclusions de la requête qu’elle se réfère exclusivement aux motifs et au dispositif du jugement attaqué qui sont relatifs au paiement de primes et indemnités diverses pour un montant total de 11 165,24  ; que, dès lors, la requête doit être entendue comme ne concluant pas à l’infirmation de ce jugement en tant qu’il a prononcé un non-lieu à charge à raison du paiement de l’indemnité de sujétions spéciales, pour un montant de 10 634,94 € au titre de l’exercice 2011 ;

Attendu qu’à l’appui de sa requête, l’appelant fait valoir que, dans la mesure où les contrats de travail ne faisaient pas référence à ces primes et indemnités, leur paiement était indu et qu’en conséquence le manquement de la comptable a causé un préjudice financier à l’établissement ;

Attendu que, dans son mémoire en défense, la comptable ne conteste pas la réalité du manquement que lui ont imputé les premiers juges ; qu’en revanche, au soutien de l’analyse du jugement attaqué selon laquelle ce manquement n’aurait pas causé de préjudice financier, elle fait valoir que les primes et indemnités litigieuses étaient fondées réglementairement, que les calculs de liquidation étaient exacts, que la volonté de l’ordonnateur d’attribuer ces primes trouve sa traduction dans l’établissement des bulletins de paie, comme dans la régularisation rétroactive intervenue en 2014 ; qu’elle estime par suite que sa responsabilité ne doit pas être engagée du seul fait de l’absence de mention expresse desdites primes dans le contrat de travail des agents bénéficiaires ;

Attendu qu’en vertu de l’article 60 de la loi de finances du 23 février 1963, la responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables publics se trouve engagée dès lors notamment qu’une dépense a été irrégulièrement payée ; qu’en vertu du deuxième alinéa du VI de l’article 60, lorsque le manquement du comptable public à ses obligations n’a pas causé de préjudice financier à l’organisme public concerné, le juge des comptes peut l’obliger à s’acquitter d’une somme arrêtée, pour chaque exercice, en tenant compte des circonstances de l’espèce ; qu’en vertu du troisième alinéa du VI de l’article 60, lorsque le manquement du comptable public à ses obligations a causé un préjudice financier à l’organisme public concerné, il a l’obligation de verser immédiatement de ses deniers personnels une somme égale à la dépense payée à tort ; que s’il n’a pas versé cette somme, il peut être, selon le VII de l’article 60, constitué en débet par le juge des comptes ;

Attendu qu’aux termes de l’article D 1617-19 du code général des collectivités territoriales, « Avant de procéder au paiement d’une dépense ne faisant pas l’objet d’un ordre de réquisition, les comptables publics des collectivités territoriales (…) ne doivent exiger que les pièces justificatives prévues pour la dépense correspondante dans la liste définie à l’annexe I du présent code » ; que sur le fondement de ces dispositions, la rubrique 220223 « Primes et indemnités » de l’annexe I du même code prévoit que, pour les « autres primes et indemnités », la « décision individuelle d’attribution prise par le directeur » et « pour les agents contractuels » la « mention au contrat » doivent être produites à l’appui de chaque demande de paiement de ces rémunérations accessoires ;

Attendu qu’il ressort des pièces du dossier qu’en l’absence de mention au contrat de travail des dix-sept agents contractuels bénéficiaires, le paiement de primes et indemnités diverses pour un montant total de 11 165,24 € est intervenu alors que la comptable ne disposait pas des pièces lui permettant de contrôler la validité de la créance ; qu’ainsi, ce paiement a représenté une dépense indue et qu’à ce seul titre, il a causé un préjudice financier à l’EHPAD Jean Monnet sur le fondement des dispositions susvisées de l’article 60 de la loi de finances du 23 février 1963 et du décret du 29 décembre 1962 ; que ni l’établissement des bulletins de salaires par l’ordonnateur et la signature par celui-ci des mandats de paiement ni la régularisation des contrats de travail des agents bénéficiaires en 2014 ne peuvent être regardés comme la manifestation de son intention d’attribuer lesdites primes au moment du paiement ; qu’il suit de là que l’appelant est fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, la chambre régionale des comptes a estimé que le paiement de ces primes et indemnités n’avait pas causé de préjudice financier à l’EHPAD Jean Monnet de Village-Neuf ;

Attendu qu’en conséquence il y a lieu pour la Cour d’infirmer sur ce point le jugement attaqué ;

Attendu que, saisie par l’effet dévolutif de l’appel, il y a lieu pour la Cour de statuer sur le grief du réquisitoire susvisé du procureur financier près la chambre régionale des comptes d’Alsace ;

Attendu qu’il ressort des constatations qui précèdent que le paiement en 2011 par la comptable de primes et indemnités diverses à dix-sept agents contractuels de l’EHPAD Jean Monnet de Village-Neuf, pour un montant de 11 165,24 €, a causé un préjudice financier à cet établissement ; que, dès lors, il y a lieu de constituer Mme X débitrice de cet établissement pour la somme de 11 165,24 €, avec intérêts de droit à compter du 21 juillet 2014, date de la notification à la comptable du réquisitoire du procureur financier ;

Par ces motifs,

DÉCIDE :

Article 1 - Le jugement  2014-012 du 13 novembre 2014 de la chambre régionale des comptes d’Alsace est infirmé en ce qu’il a considéré que le paiement indu de diverses primes et indemnités à dix-sept agents contractuels, pour la somme de 11 165,24 € au titre de l’exercice 2011 n’avait pas causé de préjudice financier à l’EHPAD Jean Monnet de Village-Neuf et a obligé Mme X à s’acquitter de la somme non rémissible de 264 €.

Article 2Mme X est constituée débitrice de l’EHPAD Jean Monnet à Village-Neuf pour la somme de 11 165,24 € avec intérêts de droit à compter du 21 juillet 2014.

Article 3 – Il est sursis à la décharge de Mme X pour sa gestion de l’exercice 2011 dans l’attente de l’apurement du débet mis à sa charge par l’article 2 ci-dessus.

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Fait et jugé en la Cour des comptes, quatrième chambre, première section. Présents : M. Jean-Philippe VACHIA, président de chambre, Mme Anne FROMENT-MEURICE, présidente de chambre maintenue en activité, MM. Gérard GANSER, Jean-Pierre LAFAURE, Jean-Yves BERTUCCI, conseillers maîtres, Mmes Laurence ENGEL et Isabelle LATOURNARIE-WILLEMS, conseillères maîtres.

En présence de Mme Annie LE BARON, greffière de séance.

 

 

 

 

 

 

 

 

Annie LE BARON

greffière de séance

 

 

 

 

 

 

 

Jean-Philippe VACHIA

Président de séance

 

 

En conséquence, la République française mande et ordonne à tous huissiers de justice, sur ce requis, de mettre ledit arrêt à exécution, aux procureurs généraux et aux procureurs de la République près les tribunaux de grande instance d’y tenir la main, à tous commandants et officiers de la force publique de prêter main-forte lorsqu’ils en seront légalement requis.

 

Conformément aux dispositions de l’article R. 142-16 du code des juridictions financières, les arrêts prononcés par la Cour des comptes peuvent faire l’objet d’un pourvoi en cassation présenté, sous peine d’irrecevabilité, par le ministère d’un avocat au Conseil d’État dans le délai de deux mois à compter de la notification de l’acte. La révision d’un arrêt ou d’une ordonnance peut être demandée après expiration des délais de pourvoi en cassation, et ce dans les conditions prévues au paragraphe I de l’article R. 142-15 du même code.

 

 

 

 

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