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QUATRIEME CHAMBRE

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Première section

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Arrêt n° S 2016-0106

 

Audience publique du 3 décembre 2015

 

Prononcé du 14 janvier 2016

 

COMMUNE DE CRAZANNES

(CHARENTE-MARITIME)

 

Appel d’un jugement de la Chambre régionale des comptes d’Aquitaine, Poitou-Charentes

 

 

 

Rapport n° 2015-279-0

 

 

 

République Française,

Au nom du peuple français,

 

 

La Cour,

 

 

Vu la requête, enregistrée le 28 octobre 2014 au greffe de la chambre régionale des comptes d’Aquitaine, Poitou-Charentes, par laquelle M. Benoît BOUTIN, procureur financier près cette juridiction, a élevé appel du jugement  2014-0008 du 9 septembre 2014 par lequel ladite chambre régionale des comptes a mis à la charge de M. X, comptable de la commune de Crazannes, une somme irrémissible de 163,50 € pour avoir procédé, au cours de l’exercice 2011, au paiement d’indemnités horaires pour travaux supplémentaires en l’absence de pièces justificatives requises, mais sans que ce manquement ait causé de préjudice financier à la commune ;

Vu le réquisitoire du Procureur général près la Cour des comptes n° 2015-22 du 12 mars 2015 transmettant à la Cour la requête précitée ;

Vu le réquisitoire  2014-0005 du 4 février 2014 par lequel le procureur financier près la chambre régionale des comptes d’Aquitaine, Poitou-Charentes a saisi ladite chambre à fin d’instruction d’une présomption de charge relative à la gestion de M. X ;

Vu les pièces de la procédure suivie en première instance ;

Vu l’article 60 de la loi de finances n° 63-156 du 23 février 1963 modifiée ;

Vu le décret n° 62-1587 du 29 décembre 1962 modifié portant règlement général sur la comptabilité publique, applicable au moment des faits ;

Vu le code des juridictions financières ;

Vu le code général des collectivités territoriales, et notamment son article D. 1617-19 ;

Vu le rapport de M. Yves ROLLAND, conseiller maître ;

Vu les conclusions du Procureur général n° 638 du 13 octobre 2015 ;

Entendu, lors de l’audience publique de ce jour, M. ROLLAND, en son rapport, M. Christian MICHAUT, avocat général, en les conclusions du ministère public ;

Entendu, en délibéré, M. Jean-Yves BERTUCCI, conseiller maître, en ses observations ;

Attendu que, par le jugement entrepris, rendu sur conclusions contraires du ministère public, la chambre régionale des comptes d’Aquitaine, Poitou-Charentes a estimé que M. X, comptable de la commune de Crazannes, avait engagé sa responsabilité personnelle et pécuniaire pour avoir procédé en 2011 au paiement d'indemnités horaires pour travaux supplémentaires à un agent communal pour un montant de 887,71 € sans disposer d’une délibération du conseil municipal fixant la liste des emplois dont les missions impliquent la réalisation effective d'heures supplémentaires ; qu’elle a considéré que ce manquement n’avait pas entraîné un préjudice financier pour la commune ;

Attendu que, dans sa requête en appel, le procureur financier près la chambre régionale des comptes d’Aquitaine, Poitou-Charentes sollicite l’infirmation dudit jugement en ce qu’il a considéré que le manquement du comptable n’avait pas causé de préjudice financier à la commune et demande que M. X soit constitué débiteur envers la commune de la somme de 887,71  ;

Attendu que le requérant soutient tout d’abord que le jugement entrepris serait mal motivé en ce qu’il a énoncé que le manquement du comptable était purement formel et ne touchait pas à la régularité de la dépense ;

Attendu, que pour fonder sa décision, la chambre régionale des comptes a invoqué les intentions du législateur telles qu'elles ressortent des travaux parlementaires précédant l'adoption de la loi n° 2011-1978 du 28 décembre 2011 instituant le nouveau régime de responsabilité des comptables publics ; que, selon la lecture que ladite chambre régionale fait de ces travaux, cette loi aurait entendu mettre fin au système antérieur dans lequel les comptables publics pouvaient voir leur responsabilité mise en jeu pour le paiement de dépenses en violation de règles de pure forme (par exemple pour absence de certaines pièces justificatives) alors même que ces dépenses étaient la contrepartie de services rendus, de fournitures livrées ou de travaux exécutés ; qu’elle en a conclu que le manquement à un contrôle de régularité purement formel n'entraînait aucun préjudice financier pour l'organisme public ;

Attendu que, quand bien même l’intention du législateur, en instituant le nouveau régime de responsabilité des comptables publics par la loi du 28 décembre 2011, aurait été d’éviter que des manquements purement formels aboutissent à la mise en débet d’un comptable, le manquement relevé en l’espèce par la chambre régionale des comptes n’est pas purement formel ; qu’en effet, le conseil municipal est seul compétent pour instituer un régime indemnitaire au profit d’agents communaux et plus spécifiquement, pour fixer la liste des emplois pour lesquels le versement d’indemnités horaires pour travaux supplémentaires est autorisé ; que la production de cette délibération, exigée par la liste des pièces justificatives annexée à l’article D. 1617-19 du code général des collectivités territoriales, permet de vérifier que l’autorité compétente a autorisé le versement des indemnités précitées ; qu’à défaut, les paiements effectués ont un caractère indu et que le manquement du comptable aux obligations de contrôle de la production des pièces justificatives qui lui incombent en application des articles 12 et 13 du décret susvisé du 29 décembre 1962 cause ainsi, par là même, un préjudice financier à la commune ; que ce premier moyen du requérant doit donc être accueilli  ;

Attendu que le requérant conteste, en second lieu, que l’absence de préjudice financier subi en l’espèce par la commune puisse être déduit d’une part, de l’attestation de l’ordonnateur qui récapitule le nombre d’heures supplémentaires exécutées par l’agent et établit la réalité du service fait, d’autre part, de ce que la liquidation des indemnités en cause aurait été réalisée conformément aux textes applicables ;

 

Attendu que s’il est nécessaire que le service fait soit attesté pour qu’un manquement ne soit pas considéré comme ayant entraîné un préjudice financier, il ne suffit pas à l’inverse que le service fait soit attesté pour que tout préjudice financier causé par un manquement soit par principe écarté ; qu’en l’absence de volonté exprimée par le conseil municipal d’autoriser le versement des indemnités incriminées, la certification du service fait par  l’ordonnateur et la régularité du calcul de la liquidation des indemnités au regard des règles en vigueur ne retirent pas à ces dernières leur caractère indu ; que ce second moyen doit donc également être accueilli ;

Attendu qu’il résulte de ce qui précède que le jugement de la CRC doit être infirmé en ce qu’il a, à tort, considéré que le manquement du comptable n’avait pas causé de préjudice financier à la commune ; qu’en conséquence, et par l’effet dévolutif de l’appel, M. Y doit être constitué débiteur envers la commune de Crazannes de la somme de 887,71  ;

Attendu que le réquisitoire susvisé du 4 février 2014 du procureur financier près la chambre régionale des comptes d’Aquitaine, Poitou-Charentes a été pris à la suite de la réception par la juridiction d’un arrêté de charge provisoire émis, le 3 mai 2013, par le chef du pôle interrégional d’apurement administratif de Rennes ; qu’en vertu du premier alinéa de l’article D.231-25 du code des juridictions financières, « L’autorité compétente de l’Etat transmet à la chambre régionale des comptes un arrêté de charge provisoire fixant les soldes du compte et énonçant sous forme d’attendus les observations pouvant entraîner la mise en jeu de la responsabilité du comptable » ; que, selon le III de l’article L. 242-1 dudit code, « Lorsque le ministère public relève, dans les rapports mentionnés au I ou dans les autres informations dont il dispose, un élément susceptible de conduire à la mise en jeu de la responsabilité personnelle et pécuniaire du comptable, ou présomptif de gestion de fait, il saisit la formation de jugement » ; que le réquisitoire précité par lequel le procureur financier a décidé de saisir la chambre régionale des comptes de l’arrêté de charge provisoire du 3 mai 2013 constitue donc le premier acte de la mise en jeu de la responsabilité personnelle et pécuniaire du comptable, au sens du VII de l’article 60 de la loi finances susvisée du 23 février 1963 ; qu’il en résulte que le débet portera intérêt au taux légal à compter du 20 avril 2014, date de la notification du réquisitoire précité ;

Attendu que M. Y s’est acquitté de la somme irrémissible mise à sa charge par le jugement entrepris ; qu’il conviendra donc d’imputer ce versement sur le montant du débet prononcé par la Cour au titre du même manquement ;

Attendu qu’il ressort du dossier qu’à la date des paiements incriminés, aucun dispositif de contrôle sélectif de la dépense n’avait été institué en ce qui concerne la commune de Crazannes ; que dès lors, rien n’autorisait le comptable à s’écarter d’un contrôle exhaustif des dépenses ; qu’il ne pourra, en conséquence, prétendre à la remise gracieuse intégrale du débet précité ;

Par ces motifs,

DÉCIDE :

Article 1 - Le jugement  2014-0008 du 9 septembre 2014 de la chambre régionale des comptes d’Aquitaine, Poitou-Charentes est infirmé en ce qu’il a considéré que le paiement, en l’absence de la délibération requise, d’indemnités horaires pour travaux supplémentaires à un agent municipal n’avait pas causé un préjudice financier à la commune de Crazannes et a, de ce fait, mis à la charge de M. Y une somme  irrémissible de 163,50 €.

Article 2M. Y est constitué débiteur de la commune de Crazannes de la somme de 887,71 € avec intérêts de droit à compter du 20 avril 2014.

Article 3 - A la date des paiements indus, aucun dispositif de contrôle sélectif de la dépense n’avait été institué en ce qui concerne la commune de Crazannes.

Article 4 – Il est sursis à la décharge de M. Y pour sa gestion au cours de l’exercice 2011 dans l’attente de l’apurement complet de la somme mise à sa charge par l’article 2 ci-dessus.

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Fait et jugé en la Cour des comptes, quatrième chambre, première section. Présents : M. Jean-Philippe VACHIA, président de chambre, Mme Anne FROMENT-MEURICE, présidente de chambre maintenue en activité, MM. Gérard GANSER, Jean-Pierre LAFAURE, Jean-Yves BERTUCCI, conseillers maîtres, Mmes Laurence ENGEL et Isabelle LATOURNARIE-WILLEMS, conseillères maîtres.

En présence de Mme Annie LE BARON, greffière de séance.

 

 

 

 

 

 

 

 

Annie LE BARON

greffière de séance

 

 

 

 

 

 

 

Jean-Philippe VACHIA

Président de séance

 

 

En conséquence, la République française mande et ordonne à tous huissiers de justice, sur ce requis, de mettre ledit arrêt à exécution, aux procureurs généraux et aux procureurs de la République près les tribunaux de grande instance d’y tenir la main, à tous commandants et officiers de la force publique de prêter main-forte lorsqu’ils en seront légalement requis.

 

 

Conformément aux dispositions de l’article R. 142-16 du code des juridictions financières, les arrêts prononcés par la Cour des comptes peuvent faire l’objet d’un pourvoi en cassation présenté, sous peine d’irrecevabilité, par le ministère d’un avocat au Conseil d’État dans le délai de deux mois à compter de la notification de l’acte. La révision d’un arrêt ou d’une ordonnance peut être demandée après expiration des délais de pourvoi en cassation, et ce dans les conditions prévues au paragraphe I de l’article R. 142-15 du même code.

 

 

 

 

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