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PREMIERE CHAMBRE ------- Première section ------- Arrêt n° S 2016-0363
Audience publique du 15 février 2016
Prononcé du 25 mars 2016 | DIRECTION DEPARTEMENTALE DES FINANCES PUBLIQUES DE LA LOIRE
Exercices 2009 à 2011
Rapport n° 2015-0935
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République Française,
Au nom du peuple français,
La Cour,
Vu le réquisitoire en date du 29 septembre 2015, par lequel le Procureur général près la Cour des comptes a saisi la première chambre de la Cour des comptes d’une présomption de charge, en vue de la mise en jeu de la responsabilité personnelle et pécuniaire de M. X, trésorier-payeur général, ou de celle de M. Y, directeur départemental des finances publiques de la Loire, au titre d’opérations relatives aux exercices 2009 à 2011, notifiés respectivement le 8 et 9 octobre 2015 aux comptables concernés ;
Vu les comptes rendus en qualité de trésorier-payeur général de la Loire par M. X pour les exercices 2009 et 2010, au 16 décembre et par M. Y, en qualité de directeur départemental des finances publiques de la Loire pour l’exercice 2010, à partir du 17 décembre ;
Vu les justifications produites au soutien des comptes en jugement ;
Vu le code de commerce ;
Vu le code des juridictions financières ;
Vu l’article 60 de la loi de finances n° 63-156 du 23 février 1963 ;
Vu le décret n° 62-1587 du 29 décembre 1962 portant règlement général sur la comptabilité publique, alors en vigueur ;
Vu le décret n° 2012-1386 du 10 décembre 2012 portant application du deuxième alinéa du VI de l’article 60 de la loi de finances de 1963 modifiée dans sa rédaction issue de l’article 90 de la loi n° 2011-1978 du 28 décembre 2011 de finances rectificatives pour 2011 ;
Vu le rapport de M. Alain LEVIONNOIS, conseiller référendaire, magistrat chargé de l’instruction ;
Vu les conclusions du Procureur général ;
Vu les pièces du dossier ;
Entendu lors de l’audience publique, M. LEVIONNOIS, conseiller référendaire, en son rapport, M. Bertrand DIRINGER, avocat général, en les conclusions du ministère public, et M. X, trésorier-payeur général de la Loire, étant présent à l’audience et ayant eu la parole en dernier ;
Entendu en délibéré M. Olivier MOUSSON, conseiller maître, en ses observations ;
Sur la présomption de charge unique soulevée à l’encontre de M. X ou de M. Y
Attendu que, par le réquisitoire susvisé, le Procureur général a saisi la première chambre de la Cour des comptes de la responsabilité encourue par M. X, ou à défaut par son successeur M. Y, à raison de l’insuffisance des diligences entreprises en vue de la mise en recouvrement d’une créance sur la société Duralex International ;
Sur l’existence d’un manquement du comptable à ses obligations
Sur le droit applicable
Attendu qu’en application de l’article L. 622-24 du code de commerce, l’établissement définitif des créances dans une procédure collective doit, à peine de forclusion, être effectué dans le délai prévu à l'article L. 624-1 du même code ;
Attendu qu’aux termes de l'article 60 de la loi du 23 février 1963 susvisée les comptables publics sont personnellement et pécuniairement responsables du recouvrement des recettes et des contrôles qu’ils sont tenus d’exercer en matière de recettes dans les conditions prévues par le règlement général sur la comptabilité publique, et que leur responsabilité personnelle et pécuniaire se trouve engagée dès lors qu'une recette n'a pas été recouvrée ; que la responsabilité du comptable en recettes s’apprécie au regard de l’étendue de ses diligences, qui doivent être adéquates, complètes et rapides ;
Attendu que selon l’article 11 du décret du 29 décembre 1962 susvisé, « les comptables publics sont seuls chargés : de la prise en charge et du recouvrement des ordres de recettes qui leur sont remis par les ordonnateurs, des créances constatées par un contrat, un titre de propriété ou autre titre dont ils assurent la conservation ainsi que de l'encaissement des droits au comptant et des recettes de toute nature que les organismes publics sont habilités à recevoir […] de la garde et de la conservation des fonds et valeurs appartenant ou confiés aux organismes publics » ; que selon l’article 12 du même texte, « les comptables sont tenus d'exercer : A. - En matière de recettes, le contrôle : […] dans la limite des éléments dont ils disposent, de la mise en recouvrement des créances de l'organisme public […] » ;
Sur les faits
Attendu que la société Duralex International a été mise en redressement judiciaire en juillet 2005, puis en liquidation judiciaire avec résolution du plan de redressement par un jugement publié le 29 mai 2008 ; que l’entreprise avait conclu avec l’Etat une convention d’allocation temporaire dégressive en application de laquelle des titres étaient émis, au fur et à mesure des versements de ladite allocation à d’anciens salariés, en vue de recouvrer auprès de l’entreprise sa participation conventionnelle ;
Attendu que le délai de conversion des créances, fixé par le tribunal de commerce à 18 mois, expirait le 25 octobre 2009 ;
Attendu que le mandataire liquidateur a fait parvenir une lettre de relance le 21 octobre 2009 au trésorier-payeur général, soit quatre jours avant la date de forclusion ; que le trésorier-payeur général a adressé cette lettre au directeur départemental du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle (DDTEFP), ordonnateur compétent, le 9 novembre 2009 ;
Attendu que l’ordonnateur a émis le 2 décembre 2009 un titre de recettes de 13 766 € relatif à la convention d’allocation temporaire dégressive précitée ; que ce titre a été libellé à l’encontre de l’administrateur judiciaire, en lieu et place du mandataire judiciaire ;
Attendu que le titre précité de 13 766 € n’a pas été produit à la liquidation judiciaire et que la créance n’a pas été admise au passif de liquidation ;
Sur les éléments apportés à décharge par les comptables
Sur la procédure
Attendu que M. Y et M. Z, directeur départemental des finances publiques en fonctions, font valoir que ni le rapport à fin d’examen juridictionnel des comptes, ni les conclusions établies par le Procureur Général antérieurement à son réquisitoire n’envisagent la mise en cause de M. Y, ces actes n’évoquant que la possibilité de rechercher la responsabilité de M. X ;
Au fond
Attendu que MM. Y, X et Z indiquent que des conversions successives de créances prévisionnelles en créances définitives ont été réalisées à mesure de la validation des créances de l’Etat par l’ordonnateur compétent, soit une somme totale de 50 852 € entre le 20 novembre 2008 et le 26 août 2009 ;
Attendu que les comptables font valoir que la réponse du DDTEFP et le dernier versement effectué en application de la convention et susceptible de faire l’objet d’un remboursement par la société Duralex International, et donc de l’émission d’un titre, seraient postérieurs au délai de conversion fixé par le tribunal de commerce, soit le 25 octobre 2009 ; que l’erreur de libellé, qui entachait la validité juridique du titre, n’aurait pas permis de faire le rapprochement avec la procédure en cours, l’émission du titre de recettes étant, en tout état de cause, postérieure à l’expiration du délai de conversion ;
Attendu que les comptables précisent par ailleurs qu’aucun autre titre n’a été émis ensuite par la DDTEFP ; que la gestion du dossier a été transférée à compter du 1er janvier 2010 à la direction régionale du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle ; que les opérations ont été assignées sur la caisse d’un autre comptable, le directeur régional des finances publiques de Rhône-Alpes, à compter du 1er janvier 2011 ; qu’à la date de l’ordonnance du tribunal de commerce statuant sur l’admission des créances le 19 juillet 2011, le DDFiP de la Loire n’était plus en charge des opérations de la DDTEFP ; que M. Y fait valoir au surplus que l’ordonnance du tribunal de commerce statuant le 19 juillet 2011 sur l’admission des créances n’ouvrait pas la possibilité de demander un relevé de forclusion ;
Sur l’application au cas d’espèce
Sur la procédure
Attendu que l’article L. 142-1 du code des juridictions financières susvisé dispose que « lorsque le ministère public relève, dans les rapports mentionnés au I ou au vu des autres informations dont il dispose, un élément susceptible de conduire à la mise en jeu de la responsabilité personnelle et pécuniaire du comptable, ou présomptif de gestion de fait, il saisit la formation de jugement » ; que le fait que ni le rapport à fin d’examen juridictionnel des comptes, ni les conclusions sur ce même rapport n’envisagent la mise en cause de M. Y ne peuvent faire obstacle à sa mise en cause par voie de réquisitoire ;
Au fond
Attendu qu’il peut être donné acte aux comptables de ce que le titre de recettes du 2 décembre 2009, émis tardivement et à l’encontre d’un redevable erroné, ne pouvait faire admettre cette créance au passif de la procédure ; que les créances antérieures, régulièrement déclarées et converties, ne sont pas en cause ;
Mais attendu qu’il résulte des dispositions précitées des articles 11 et 12 du décret du 29 décembre 1962 susvisé qu’il revient au comptable de préserver les créances dont il a connaissance ; qu’il lui revient pour ce faire, le cas échéant, d’inviter l’ordonnateur compétent à émettre un titre en temps utile ;
Attendu à cet égard que la créance de 13 766 € faisait suite à une série de titres émis à l’encontre de la société Duralex International en exécution de la convention d’allocation temporaire dégressive ; que le comptable avait ainsi connaissance de la créance ; qu’il n’est justifié d’aucune intervention en temps utile des services de la trésorerie générale auprès du DDTEFP pour demander l’émission d’un titre de recette dans un délai qui aurait permis à ladite créance d’être produite et admise à titre définitif au passif de la procédure ;
Attendu au surplus qu’alerté sur l’échéance par la lettre de rappel du mandataire liquidateur, le trésorier-payeur général a tardé à saisir le DDTEFP, en ne lui répercutant ladite lettre, qu’il avait lui-même reçue le 21 octobre 2009, que le 9 novembre 2009 ;
Attendu que l’argument selon lequel les versements aux salariés des allocations correspondantes auraient été postérieurs au délai de forclusion n’est appuyé d’aucun élément probant ; que plus généralement, il n’est pas établi que la créance n’aurait pu être matériellement liquidée par l’ordonnateur avant ce même délai ;
Attendu ainsi que la créance de 13 766 € a été définitivement perdue le 25 octobre 2009, soit pendant la gestion de M. X, du fait de l’insuffisance de diligences de celui-ci ; qu’ainsi, sans qu’il soit besoin de statuer sur les autres éléments postérieurs à cette date cités par les comptables, il y a lieu d’engager la responsabilité de M. X au titre de l’exercice 2009 à ce motif ; qu’il n’y a pas lieu à charge à l’encontre de M. Y, au titre de l’exercice 2010 ;
Sur l’existence d’un préjudice financier
Attendu qu’aux termes du 3ème alinéa du paragraphe VI de l’article 60 de la loi du 23 février 1963 susvisée, « lorsque le manquement du comptable aux obligations mentionnées au (I) a causé un préjudice financier, le comptable a l'obligation de verser immédiatement de ses deniers personnels la somme correspondante » ;
Attendu que le non-recouvrement d’une créance cause par principe un préjudice financier à la collectivité publique créancière ; qu’il n’y a alors manquement sans préjudice que s’il est établi que l’Etat n’aurait pu être désintéressé même si le comptable avait satisfait à ses obligations ;
Attendu que le montant du passif de la société Duralex International est constitué de dettes privilégiées à hauteur de plus de 21,7 M€ et de dettes chirographaires d’un montant supérieur à 17,4 M€ ; que les trois comptables précités font valoir que le montant du passif de la société Duralex International, constitué de dettes privilégiées à hauteur de plus de 21,7 M€ et chirographaires d’un montant supérieur à 17,4 M€, très supérieur à l’actif réalisable ; qu’ils en déduisent qu’un éventuel manquement dans la production des créances résultant de la convention d’allocations temporaires dégressives conclue avec cette société n’aurait pas porté préjudice à l’Etat ;
Attendu que M. X fait valoir que l’Etat n’a pour l’heure bénéficié d’aucune répartition dans le cadre de la procédure de liquidation, à ce jour non achevée ;
Mais attendu que précisément, la liquidation de la société Duralex International étant encore en cours, la preuve de l’absence de préjudice n’est pas apportée, du fait notamment de l’absence de production d’un état de reddition des comptes ;
Attendu qu’il y a lieu, en conséquence, de constituer M. X débiteur envers l’État, au titre de l’exercice 2009, de la somme de 13 766 €, augmentée des intérêts au taux légal à compter du premier acte de la mise en jeu de sa responsabilité personnelle et pécuniaire, soit le 8 octobre 2015 ;
Par ces motifs,
DÉCIDE :
Charge unique
En ce qui concerne M. X, exercice 2009 :
Article 1. – M. X est constitué débiteur de l’Etat de la somme de 13 766 €, augmentée des intérêts de droit à compter du 8 octobre 2015.
Article 2. – La décharge de M. X au titre de l’exercice 2009 ne pourra être donnée qu’après l’apurement du débet fixé ci-dessus.
En ce qui concerne M. Y, exercice 2010 :
Article 3. – Il n’y a pas lieu à charge à l’encontre de M. Y au titre de la présomption de charge unique relevée par le ministère public.
Fait et jugé par M. Philippe GEOFFROY, président de section, présidant la séance ; MM. Daniel-Georges COURTOIS, Olivier MOUSSON, Vincent FELLER, Jean-Christophe CHOUVET et Mme Dominique DUJOLS, conseillers maîtres.
En présence de Mme Annie LE BARON, greffière de séance.
Annie LE BARON |
Philippe GEOFFROY |
En conséquence, la République française mande et ordonne à tous huissiers de justice, sur ce requis, de mettre ledit arrêt à exécution, aux procureurs généraux et aux procureurs de la République près les tribunaux de grande instance d’y tenir la main, à tous commandants et officiers de la force publique de prêter main-forte lorsqu’ils en seront légalement requis.
Conformément aux dispositions de l’article R. 142-16 du code des juridictions financières, les arrêts prononcés par la Cour des comptes peuvent faire l’objet d’un pourvoi en cassation présenté, sous peine d’irrecevabilité, par le ministère d’un avocat au Conseil d’État dans le délai de deux mois à compter de la notification de l’acte. La révision d’un arrêt ou d’une ordonnance peut être demandée après expiration des délais de pourvoi en cassation, et ce dans les conditions prévues au paragraphe I de l’article R. 142-15 du même code.
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