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QUATRIÈME CHAMBRE

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Première section

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Arrêt n° S 2016-0271

 

Audience publique du 14 janvier 2016

 

Prononcé du 18 février 2016

ARRETE CONSERVATOIRE DE DEBET

DU CENTRE FRANÇAIS D’ETUDES ETHIOPIENNES D’ADDIS-ABEBA
(ETHIOPIE)

 

 

Exercice 2007

 

Rapport n° 2015-0928-1

 

 

 

République Française,

 

Au nom du peuple français,

 

 

La Cour,

 

Vu le réquisitoire à fin d’instruction de charges n° 2014-95 RQ-DB du 8 septembre 2014 ;

Vu la notification dudit réquisitoire le 25 février 2015 à M. X qui, le 22 mars 2015, a certifié ne pas être en mesure d’en accuser réception « dans les formes prescrites », et au directeur du centre français des études éthiopiennes (CFEE) qui en a accusé réception le 9 mars 2015 ;

Vu l’arrêté conservatoire de débet en date du 21 février 2013, transmis au procureur général près la Cour le 3 août 2013, par lequel le trésorier-payeur général pour l’étranger a mis en jeu la responsabilité de M. X en sa qualité d’agent comptable du centre français des études éthiopiennes au titre de l’exercice 2007 ;

Vu le bordereau d’injonctions en date du 14 février 2012 par lequel le trésorier-payeur général pour l’étranger a invité M. X à produire les justificatifs manquants ou, à défaut, à rapporter la preuve du reversement dans la caisse de l’établissement de la somme de 369 477,19 birrs éthiopiens ou toute justification utile à sa décharge, ensemble la réponse du comptable du 13 avril 2012, ainsi que les pièces justificatives visées au réquisitoire du 8 septembre 2014 ;

Vu le courrier en date du 15 mai 2015 par lequel M. X a transmis à la Cour ses observations sur le réquisitoire susvisé ;

Vu le code des juridictions financières ;

Vu l’article 60 de la loi de finances n° 63-156 du 23 février 1963, dans sa rédaction applicable avant l’entrée en vigueur de l’article 90 de la loi n° 2011-1978 du 28 décembre 2011 de finances rectificatives pour 2011 ;

Vu la loi n° 2011-1978 du 28 décembre 2011 de finances rectificatives pour 2011, notamment le II de l’article 90 ;

Vu le décret n° 62-1587 du 29 décembre 1962 modifié portant règlement général sur la comptabilité publique, en vigueur au moment des faits ;

Vu le décret n° 2008-228 du 5 mars 2008 relatif à la constatation et à l’apurement des débets des comptables publics et assimilés ;

Vu les lois et règlements applicables aux établissements de diffusion culturelle à l’étranger dotés de l’autonomie financière, notamment le décret n° 76-832 du 24 août 1976 modifié relatif à l’organisation financière de certains établissements ou organismes de diffusion culturelle dépendant du ministère des affaires étrangères ou du ministère de la coopération, ensemble l’arrêté du 30 avril 1999 modifiant l’arrêté du 3 mars 1982 modifié et abrogeant l’arrêté du 16 mai 1994 modifié fixant la liste des établissements et organismes de diffusion culturelle et d’enseignement dotés de l’autonomie financière, en vigueur au moment des faits ;

Vu l’instruction M 9-7 sur l’organisation financière et comptable des établissements ou organismes de diffusion culturelle à l’étranger ;

Vu le rapport de M. Jacques TÉNIER, conseiller maître ;

Vu les conclusions du Procureur général  008 du 7 janvier 2016 ;

Entendu, lors de l’audience publique de ce jour, M. Jacques TÉNIER, conseiller maître, en son rapport, M. MICHAUT, avocat général, en les conclusions du ministère public ;

Entendu, en délibéré, Mme Isabelle LATOURNARIE-WILLEMS, conseillère maître, en ses observations ;

 

Sur la régularité de la procédure

Attendu qu’en vertu du III de l’article L. 142-1 du code des juridictions financières, lorsque le ministère public relève un élément susceptible de conduire à la mise en jeu de la responsabilité personnelle et pécuniaire du comptable, il saisit la formation de jugement ; que le même article énonce que : « la procédure est contradictoire » ; qu’aux termes de l’article R. 142-4 du même code : « lorsqu’une instance a été ouverte dans les conditions prévues au III de l’article L. 142-1, le réquisitoire du ministère public et le nom du ou des magistrats chargés de l’instruction sont notifiés à chacun des comptables et autres personnes mises en cause, ainsi qu’à l’ordonnateur en fonctions. Les comptables et autres personnes mises en cause, ainsi que l’ordonnateur en fonctions, ont accès au dossier constitué des pièces sur lesquelles le réquisitoire est fondé » ;

Attendu, en premier lieu, qu’en réponse à la notification du réquisitoire susvisé du procureur général près la Cour des comptes du 8 septembre 2014, qui lui a été faite le 4 mars 2015, par l’intermédiaire de l’ambassade de France au Cameroun, M. X a fait parvenir au greffe de la Cour une attestation datée du 22 mars 2015, certifiant « ne pas avoir reçu ce document par lettre recommandée » pour laquelle il indiquait n’avoir « pas été en mesure d’accuser réception dans les formes prescrites » ;

Attendu toutefois que dans la même attestation, il sollicitait la communication des pièces du dossier en invoquant les dispositions précitées du III de l’article L. 142-1 du code des juridictions financières, mentionnées dans la lettre de notification ; que, dès lors, M. X doit être regardé comme ayant accusé réception du réquisitoire susvisé le 22 mars 2015 dans les conditions fixées par les dispositions précitées des articles L. 142-1 et R. 142-4 du code des juridictions financières ;

 

Attendu, en second lieu, que dans son courrier susvisé du 15 mai 2015, M. X relève que sa réponse du 13 avril 2012 au bordereau d’injonctions du 14 février 2012 « ne figure pas dans les visas du réquisitoire ni dans l’inventaire des pièces jointes à l’appui du réquisitoire n° 2014-95 », qui ne visaient que la réponse, datée du 1er mars 2012, émanant du comptable en charge, depuis le 1er janvier 2012, de la comptabilité du centre français des études éthiopiennes ;

Attendu que cette constatation doit être regardée comme mettant en cause la régularité de la procédure suivie devant la Cour ;

Mais attendu qu’en application des dispositions précitées du code des juridictions financières, l’objet du réquisitoire du ministère public est de saisir la formation de jugement des éléments susceptibles de conduire à la mise en jeu de la responsabilité personnelle et pécuniaire du comptable ; que ces éléments découlent de la décision provisoire de charges prise par le comptable supérieur chargé de l’apurement administratif du compte, étayés par les bordereaux d’observations et d’injonctions et les réponses apportées par le comptable dont la responsabilité est mise en cause ; que les pièces du dossier transmis à la Cour comportaient l’intégralité des réponses apportées par le comptable auxdits bordereaux d’observations et d’injonctions ; qu’ainsi, l’omission de la mention de la réponse du 13 avril 2012 de M. X au bordereau d’injonctions susvisé du 14 février 2012 dans les visas du réquisitoire susvisé du 8 septembre 2014 n’est pas de nature à entacher d’irrégularité la procédure suivie devant la Cour ;

Sur le régime de responsabilité applicable

Attendu que l’article 90 de la loi du 28 décembre 2011 susvisée a défini des règles nouvelles pour la mise en jeu de la responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables ; que le II du même article dispose que le nouveau régime de responsabilité des comptables publics « entre en vigueur le 1er juillet 2012 » et que « les déficits ayant fait l’objet d’un premier acte de mise en jeu de la responsabilité d’un comptable public ou d’un régisseur avant cette date demeurent régis par les dispositions antérieures » ;

Attendu que, pour les agents comptables des établissements de diffusion culturelle à l’étranger dotés de l’autonomie financière, dont les comptes sont apurés par le trésorier-payeur général pour l’étranger, le premier acte de mise en jeu de leur responsabilité est la notification d’injonctions par le trésorier-payeur général ;

Attendu que l’injonction notifiée à M. X au titre de l’exercice 2007 l’a été avant le 1er juillet 2012 ; que, dès lors, les charges qui en résultent dans l’arrêté conservatoire de débet sont à juger selon les dispositions antérieures à l’entrée en vigueur de la loi du 28 décembre 2011 susvisée ;

Sur la responsabilité

Attendu que la responsabilité de M. X a été mise en jeu à raison du paiement de dépenses en dépassement des crédits ouverts au budget du centre français des études éthiopiennes, au cours de l’exercice 2007, pour un montant total de 369 477,19 birrs éthiopiens ; que ces dépassements s’élèvent à 88 475,43 birrs éthiopiens sur le compte 606 « Achats non stockés de matières et fournitures », à 238 220,06 birrs éthiopiens sur le compte 611 « Services extérieurs », à 32 362,00 birrs éthiopiens sur le compte 6411 « Rémunérations principales et salaires », à 10 336,80 birrs éthiopiens sur le compte 6458 « Cotisations versées aux autres organismes » et à 82,90 birrs éthiopiens sur le compte 666 « Pertes de change sur opérations financières et de trésorerie » ;

 

 

Attendu qu’en vertu des dispositions du I de l’article 60 de la loi du 23 février 1963 susvisée, la responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables publics se trouve engagée dès lors qu’une dépense a été irrégulièrement payée ; qu’en vertu de l’article 5 du décret du 24 août 1976 susvisé, la gestion financière et comptable des établissements ou organismes de diffusion culturelle dépendant du ministère des affaires étrangères est soumises aux dispositions de la première partie du décret du 29 décembre 1962 susvisé ; que l’article 12 de ce décret énonce que « les comptables publics sont tenus d’exercer, en matière de dépenses, le contrôle de la disponibilité des crédits » ; qu’aux termes de l’article 37 de ce même décret, « lorsque, à l’occasion de l’exercice du contrôle prévu à l’article 12 (…), des irrégularités sont constatées, les comptables publics suspendent les paiements et en informent l’ordonnateur » ;

Attendu que selon l’instruction M 9-7 susvisée, « les crédits ouverts sont limitatifs au niveau du chapitre » et que « le chapitre budgétaire correspond au compte divisionnaire (à trois chiffres) » ; qu’en outre, selon cette même instruction, « pour les dépenses de personnel et les frais de déplacements, missions et réception, le directeur ne peut procéder à des majorations de dotation du chapitre ou de l’article » ; qu’ainsi, pour ces dépenses, ces crédits seraient spécialisés au niveau de l’article ;

Attendu toutefois que pour la mise en jeu éventuelle de la responsabilité du comptable, en l’absence de dispositions expresses contraires de niveau égal ou supérieur dans la hiérarchie des normes, le dépassement des crédits est à apprécier au niveau du chapitre budgétaire, à l’instar du contrôle de l’exacte imputation comptable prévu à l’article 12 du décret du 29 décembre 1962 susvisé ; que dès lors, les dispositions de l’instruction M 9-7 susvisées qui seraient contraires à cette règle sont sans conséquence sur l’appréciation de la responsabilité du comptable ;

Sur les dépassements constatés sur les chapitres 606, 611 et 6411

Attendu que devant le comptable supérieur comme en réponse au réquisitoire susvisé, M. X souligne les conditions difficiles dans lesquelles il a pris ses fonctions ainsi que la lenteur de l’approbation des décisions budgétaires modificatives ; qu’il expose que, lors de sa remise de service le 5 décembre 2007, les décisions budgétaires modificatives nos 1 et 2, réduisant le montant des crédits ouverts au budget de l’exercice 2007 du centre français des études éthiopiennes, ne lui avaient pas été communiquées ; qu’il indique que les crédits correspondant aux dépenses de subventions imputées sur les comptes 606, 611 et 6411, figuraient sur la situation des dépenses engagées qui lui avait été donnée à la remise de service ; qu’ainsi, il a pu considérer que des crédits suffisants étaient disponibles ; qu’il soutient que l’intervention ultérieure d’une décision modificative n° 3, présentée le 23 juin 2008 et approuvée le 18 juin 2010, a régularisé en recettes et en dépenses les subventions affectées objet des dépenses litigieuses ; qu’il souligne la responsabilité de son prédécesseur dans la prise en charge de ces dépenses, mais reconnaît n’avoir pas formulé de réserves sur la gestion de celui-ci ; qu’il considère enfin que les conditions de fonctionnement du poste comptable et d’approbation des décisions budgétaires modificatives, qualifiées par lui de situation locale anormale, ont revêtu un caractère d’imprévisibilité et d’irrésistibilité qui a rendu inévitables les dépassements de crédits et le recours aux moyens de régularisation de la situation en fin d’exercice ;

Attendu, d’une part, que la régularité de la dépense s’apprécie à la date du paiement ; qu’au titre de l’exercice 2007, le total des paiements imputés par M. X sur les comptes 606, 611 et 6411 a excédé le montant des crédits ouverts respectivement de 88 475,43, 238 220,06 et 32 362,00 birrs éthiopiens ; que l’approbation de la décision modificative  3 du budget qui a ouvert les crédits permettant de couvrir ces dépassements n’est intervenue que le 18 juin 2010 ; que cette décision modificative, intervenue après la clôture de l’exercice, n’est, en tout état de cause, pas de nature à fonder les dépenses litigieuses ;


Attendu, d’autre part, que ni les conditions, selon lui insatisfaisantes, d’approbation des décisions budgétaires modificatives, ni la connaissance imparfaite qu’il pouvait avoir du montant des crédits ouverts, ni les conditions de fonctionnement du poste comptable ne revêtent le caractère de circonstances de force majeure ;

Attendu, dès lors, que la responsabilité personnelle et pécuniaire de M. X se trouve engagée à hauteur 359 057,49 birrs éthiopiens au titre de l’exercice 2007 ;

Sur les dépassements relevés sur les chapitres 6458 et 666

Attendu que devant le comptable supérieur comme en réponse au réquisitoire susvisé, M. X fait valoir que les dépassements de crédits qui lui sont imputés sur les comptes 6458 et 666 relèvent d’imputations erronées ;

Attendu qu’il ressort des pièces du dossier que les dépassements sur ces comptes, mentionnés dans la décision provisoire de charge et les bordereaux d’observations et d’injonctions, relèvent non d’un dépassement de crédits au sens des dispositions précitées de l’article 12 décret du 29 décembre 1962 susvisé, mais d’une erreur d’imputation ; qu’il résulte des termes du réquisitoire susvisé du 8 septembre 2014 que l’erreur d’imputation n’est pas poursuivie dans la présente instance ; qu’il suit de là qu’il n’y a pas lieu de mettre en jeu la responsabilité personnelle et pécuniaire de M. X pour ce motif ;

 

Sur les intérêts

Attendu qu’aux termes du VIII de l’article 60 de la loi du 23 février 1963 susvisée, « les débets portent intérêt au taux légal à compter du premier acte de la mise en jeu de la responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables publics » ; qu’aux termes de l’article D. 131-32 du code des juridictions financières, dans sa rédaction applicable à la date des faits, « Les trésoriers-payeurs généraux (…) chargés de l’apurement administratif peuvent enjoindre aux comptables dont ils apurent les comptes de produire, dans le délai d’un mois, les pièces justificatives qui feraient défaut. Ils prennent sur les comptes qui leur sont soumis des décisions administratives établissant que les comptables sont quittes ou en débet (…) Dans le deuxième cas, leurs arrêtés fixent le montant du débet à titre conservatoire » ;

Attendu que pour l’application des dispositions précitées du VIII de l’article 60 de la loi du 23 février 1963 susvisée dans le cadre de l’apurement administratif des comptes, le premier acte de mise en jeu de la responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables publics s’entend de l’injonction adressée au comptable par le trésorier-payeur général, de produire les pièces justificatives qui feraient défaut ;

Attendu qu’en l’espèce, le bordereau d’injonctions adressé par le trésorier-payeur général pour l’étranger à M. X est daté du 14 février 2012 ; que, faute de connaître la date de réception par le comptable du bordereau d’injonctions, c’est à cette date qu’il convient de fixer le point de départ des intérêts ;


Par ces motifs,

DÉCIDE :

Article 1 M. X est constitué débiteur du centre français des études éthiopiennes d’Addis-Abeba pour la somme de 359 057,49 birrs éthiopiens, soit un montant égal à 15 461,80 [1] qui portera intérêt de droit à compter du 14 février 2012.

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Fait et jugé en la Cour des comptes, quatrième chambre, première section. Présents : M. Jean-Philippe VACHIA, président de chambre, président de la formation, M. Yves ROLLAND, président de section, Mme Anne FROMENT-MEURICE, présidente de chambre maintenue en activité, MM. Jean-Pierre LAFAURE, Jean-Yves BERTUCCI, Noël DIRICQ, Jean-Michel LAIR, Philippe BACCOU, Pierre JAMET, conseillers maîtres, Mme Isabelle LATOURNARIE-WILLEMS, conseillère maître.

En présence de Mme Annie LE BARON, greffière de séance.

 

 

 

 

 

Annie LE BARON

 

 

 

 

 

 

Jean-Philippe VACHIA

 

 

En conséquence, la République française mande et ordonne à tous huissiers de justice, sur ce requis, de mettre ledit arrêt à exécution, aux procureurs généraux et aux procureurs de
la République près les tribunaux de grande instance d’y tenir la main, à tous commandants et officiers de la force publique de prêter main-forte lorsqu’ils en seront légalement requis.

 

Conformément aux dispositions de l’article R. 142-16 du code des juridictions financières, les arrêts prononcés par la Cour des comptes peuvent faire l’objet d’un pourvoi en cassation présenté, sous peine d’irrecevabilité, par le ministère d’un avocat au Conseil d’État dans le délai de deux mois à compter de la notification de l’acte. La révision d’un arrêt ou d’une ordonnance peut être demandée après expiration des délais de pourvoi en cassation, et ce dans les conditions prévues au paragraphe I de l’article R. 142-15 du même code.

 

 

 


[1] Conversion effectuée au taux de change Birr éthiopien / Euro du jour de l’audience publique, soit le 14 janvier 2016.