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PREMIERE CHAMBRE

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Première section

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Arrêt n° S2016-0147

 

Audience publique du 8 décembre 2015

 

Prononcé du 22 janvier 2016

DIRECTION REGIONALE DES FINANCES

PUBLIQUES D’ILE-DE-FRANCE

ET DU DEPARTEMENT DE PARIS

 

POLE DE GESTION FISCALE DE PARIS SUD-OUEST

 

SIE Odéon Paris 6ème arrondissement

 

Exercices 2008 à 2011

 

Rapport n° 2015-294-0

 

 

République Française,

 

Au nom du peuple français,

 

La Cour,

 

Vu le réquisitoire en date du 18 décembre 2014, par lequel le Procureur général près la Cour des comptes a saisi la Première chambre de la Cour des comptes de présomptions de charges, en vue de la mise en jeu de la responsabilité personnelle et pécuniaire de M. X, comptable du service des impôts des entreprises (SIE) de Paris 6ème Odéon, au titre d’opérations relatives à l’exercice 2008, ensemble la preuve de sa notification audit comptable le 12 janvier 2015 ;

 

Vu les comptes de la direction régionale des finances publiques d’Ile-de-France et du département de Paris rendus pour les exercices 2003 à 2011, y annexés les états de restes à recouvrer établis, en leur qualité de receveur des administrations financières, par M. X pour la période du 7 septembre 2004 au 1er septembre 2008 ;

 

Vu les justifications produites au soutien des susdits états annexes, ensemble les pièces recueillies au cours de l’instruction ;

 

Vu le code des juridictions financières ;

 

Vu le code général des impôts, ensemble ses annexes et le livre des procédures fiscales ;

 

Vu le code de commerce ;

 

Vu l’article 60 de la loi de finances n° 63-156 du 23 février 1963 ;

 

Vu le décret n° 62-1587 du 29 décembre 1962 portant règlement général sur la comptabilité publique, alors en vigueur ;

 

Vu le décret n° 77-1017 du 1er septembre 1977 relatif à la responsabilité des receveurs des administrations financières ;

 

Vu les observations écrites de M. X, du 13 mars 2015, ensemble les pièces jointes ;

 

Vu le rapport de Mme Stéphanie Cabossioras, auditrice, chargée de l’instruction ;

 

Vu les conclusions du Procureur général ;

 

Entendus lors de l’audience publique du 8 décembre 2015, Mme Cabossioras, en son rapport, M. Bertrand Diringer, avocat général, en les conclusions du ministère public et M. X, étant présent et ayant eu la parole en dernier ;

 

Entendu en délibéré M. Jean-Christophe Chouvet, conseiller maître, en ses observations ;

 

Sur la présomption de charge soulevée à l’encontre de M. X, (affaire SAS « Formes ») au titre de l’exercice 2008

 

Attendu que, selon le réquisitoire susvisé, M. X aurait manqué à ses obligations en omettant de déclarer au passif d’une procédure collective une créance fiscale née antérieurement au jugement d’ouverture de ladite procédure ;

 

Sur l’existence d’un manquement du comptable à ses obligations

 

Sur la règle de droit

 

Attendu, d’une part, qu’en application de l’article L. 622-24 du code de commerce « La déclaration des créances doit être faite alors même qu’elles ne sont pas établies par un titre. Celles dont le montant n’est pas encore définitivement fixé sont déclarées sur la base d’une évaluation. Les créances du Trésor public […] qui n’ont pas fait l’objet d’un titre exécutoire au moment de leur déclaration sont admises à titre provisionnel pour leur montant déclaré. En tout état de cause, les déclarations du Trésor et de la sécurité sociale sont toujours faites sous réserve des impôts et autres créances non établis à la date de la déclaration. Sous réserve des procédures judiciaires ou administratives en cours, leur établissement définitif doit, à peine de forclusion, être effectué dans le délai prévu à l’article L. 624-1 » ;

 

Attendu que selon l’article R. 622-24 du même code, le délai de déclaration des créances est fixé à « deux mois à compter de la publication du jugement d'ouverture au Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales » ;

 

Attendu qu’aux termes de l'article 60 modifié de la loi du 23 février 1963 susvisée, les comptables publics sont personnellement et pécuniairement responsables du recouvrement des recettes et des contrôles qu’ils sont tenus d’exercer en cette matière dans les conditions prévues par le règlement général sur la comptabilité publique ; que leur responsabilité personnelle et pécuniaire se trouve engagée dès lors qu'une recette n'a pas été recouvrée ; que la responsabilité du comptable public en matière de recouvrement des recettes s’apprécie au regard de ses diligences, celles-ci devant être « adéquates, complètes et rapides » ;

 

Sur les faits

 

Attendu que la société par actions simplifiée « Formes » a fait l’objet d’une procédure de redressement judiciaire ouverte le 29 novembre 2007 par jugement publié au Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales du 2 janvier 2008 ; qu’un plan de cession a été arrêté le 5 mars 2009 et que la liquidation judiciaire a été prononcée par jugement du 7 juillet 2009, publié le 5 août 2009 ;

 

Attendu que le comptable, le 27 décembre 2007, a déclaré des créances fiscales au passif du redressement judiciaire de cette société, à titre définitif pour 208 960 euros et à titre provisionnel pour 76 953 euros ; que toutefois une créance d’impôt forfaitaire annuel (IFA) portant sur la période du 1er août 2006 au 31 juillet 2007, n’a pas été déclarée à titre provisionnel au passif de la procédure de redressement judiciaire, comme le prévoit l’article L. 622-24 précité du code de commerce ; que cette créance a été mise ultérieurement en recouvrement le 31 janvier 2009 à hauteur de 16 250 euros ; que si le comptable a déclaré cette somme au passif de la liquidation judiciaire le 29 septembre 2009, cette créance a été rejetée à raison du dépassement du délai de deux mois précité ;

 

Sur les éléments à décharge invoqués par le comptable

 

Attendu que M. X fait valoir que « les nouvelles dispositions concernant l’IFA instaurées par l’article 21 de la loi de finances pour 2006 s’appliquaient en 2007 à toutes les entreprises alors que précédemment seules les sociétés déficitaires étaient soumises à cet impôt et que dès 2007 le gouvernement annonçait que cet impôt serait supprimé ; que la gestion automatique de l’ACIS [Application de Contrôle de la Liquidation de l'Impôt sur les Sociétés] est intervenue tardivement et avec des difficultés de mise en place dans les services ; que le SIE Odéon a connu des difficultés spécifiques en matière de recouvrement dès 2007, du fait de la vacance du poste de contrôleur dédié au recouvrement et au suivi des procédures collectives : absence prolongée des deux contrôleurs qui se sont succédés sur leur poste suivi de leur décès, et détachement en direction de deux autres agents affectés ensuite dans le service ; que la réorganisation interne visant à transférer aux agents gestionnaires l’action en recouvrement pour pallier ces absences n’a cependant pas permis de suivre l’intégralité des dossiers surtout en ce qui concerne le contrôle de l’IFA avec une application ACIS défaillante ; attendu que dans ce cadre, cet impôt n’a pas constitué une priorité dans la gestion du SIE qui devait faire face aux difficultés liées à la mise en place le 1er janvier 2008 du pôle d’enregistrement compétent pour les 5ème, 6ème, 13ème et 14ème arrondissements (un millier de nouveaux dossiers)» ; qu’il conclut que « dans ce contexte il sollicite la remise gracieuse totale des sommes mises à sa charge » ;

 

Sur l’application au cas d’espèce

 

Attendu que faute pour le comptable d’avoir déclaré la créance litigieuse, à titre provisionnel, dans le délai de deux mois prévu par le code de commerce, l’Etat s’est trouvé forclos, en l’espèce le 2 mars 2008 ; que cette omission constitue le fait générateur de la perte de la créance ;

 

Attendu que, compte tenu du caractère objectif du contentieux tel qu’il résulte de l’article 60 de la loi du 23 février 1963 susvisée, les arguments tenant aux changements récents de la règle de droit, aux annonces du gouvernement, aux difficultés générales des systèmes informatiques, aux difficultés spécifiques du poste comptable et aux priorités définies par le comptable quant à ses contrôles sont dépourvus de portée au stade du constat du manquement ;

 

Attendu que M. X a donc manqué à ses obligations en matière de recouvrement de recettes ; qu’il y a lieu de mettre en jeu sa responsabilité personnelle et pécuniaire ;

 

Sur l’existence d’un préjudice financier

 

Attendu qu’aux termes du 3ème alinéa du paragraphe VI de l’article 60 de la loi du 23 février 1963 susvisée, « Lorsque le manquement du comptable aux obligations mentionnées au (I) a causé un préjudice financier, le comptable a l'obligation de verser immédiatement de ses deniers personnels la somme correspondante » ;

 

Attendu que le non recouvrement d’une créance cause par principe un préjudice financier à la collectivité publique ; que la procédure de liquidation judiciaire est toujours en cours à la date de l’audience ; qu’au surplus, le comptable indique, s’agissant des autres créances, que « tout le passif fiscal a été intégralement payé par le mandataire » ; qu’ainsi la preuve n’est pas apportée que n’eût été le manquement du comptable, l’Etat n’aurait pas été désintéressé ; qu’ainsi le manquement du comptable a causé préjudice au Trésor ;

 

Attendu que, hormis les cas où le manquement n’a pas causé de préjudice financier, il ne revient pas au juge, pour déterminer la somme à mettre à la charge du comptable, de tenir compte des circonstances de lespèce ; qu’en toute hypothèse, il ne relève pas de l’office du juge des comptes de procéder à la remise gracieuse de sommes non recouvrées ; qu’il doit en revanche fixer le débet à la hauteur dudit préjudice ;

 

Attendu qu’en l’espèce aucune circonstance constitutive d’un cas de force majeure n’est établie, ni même alléguée ; qu’en conséquence, il y a lieu de constituer M. X débiteur envers l’Etat de la somme de 16 250 €, augmentée des intérêts au taux légal à compter du premier acte de la mise en jeu de sa responsabilité personnelle et pécuniaire, c’est-à-dire à compter du 12 janvier 2015, date de notification du réquisitoire susvisé ;

 

Par ces motifs,

 

DÉCIDE :

 

En ce qui concerne M. X, charge unique, exercice 2008

 

Article 1er. – M. X est constitué débiteur envers l’Etat de la somme de 16 250 €, augmentée des intérêts de droit à compter du 12 janvier 2015.

 

Article 2. – M. X ne pourra être déchargé de sa gestion pendant l’année 2008, au 1er septembre, qu’après l’apurement de débet fixé ci-dessus.

 

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Fait et jugé en la Cour des comptes, première chambre, première section, par M. Philippe Geoffroy, président de section, présidant la séance, MM. Bruno Ory-Lavollée, Vincent Feller, Jean-Christophe Chouvet et Guy Fialon, conseillers maîtres.

 

 

En la présence de Mme Annie Le Baron, greffière de séance.

 

 

 

 

 

 

 

Annie LE BARON

 

 

 

 

 

 

 

Philippe GEOFFROY

 

 

 

En conséquence, la République française mande et ordonne à tous huissiers de justice, sur ce requis, de mettre ledit arrêt à exécution, aux procureurs généraux et aux procureurs de la République près les tribunaux de grande instance d’y tenir la main, à tous commandants et officiers de la force publique de prêter main-forte lorsqu’ils en seront légalement requis.

 

 

Conformément aux dispositions de l’article R. 142-16 du code des juridictions financières, les arrêts prononcés par la Cour des comptes peuvent faire l’objet d’un pourvoi en cassation présenté, sous peine d’irrecevabilité, par le ministère d’un avocat au Conseil d’État dans le délai de deux mois à compter de la notification de l’acte. La révision d’un arrêt ou d’une ordonnance peut être demandée après expiration des délais de pourvoi en cassation, et ce dans les conditions prévues au paragraphe I de l’article R. 142-15 du même code.

 

 

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