QUATRIÈME CHAMBRE

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Première section

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Arrêt n° S 2016-3281

 

Audience publique du 13 octobre 2016

 

Prononcé du 17 novembre 2016

 

ARRÊTÉS CONSERVATOIRES DE DÉBET CENTRE CULTUREL FRANÇAIS DE DOHA (QATAR)

 

 

Exercices 2009 et 2010

 

 

Rapport n° 2016-1031

 

 

 

 

République Française,

Au nom du peuple français,

 

La Cour,

 

Vu le réquisitoire à fin d’instruction de charges du Procureur général  2015-82 RQ-DB du 8 octobre 2015 ;

Vu la notification dudit réquisitoire, le 25 janvier 2016, à M. X, agent comptable du centre culturel français de Doha, en 2009 et 2010, jusqu’au 31 août, qui en a accusé réception le 28 janvier 2016, au directeur du centre culturel français de Bagdad, ainsi qu’au trésorier-payeur général pour l’étranger chargé de l’apurement des comptes des établissements de diffusion culturelle à l’étranger, pour son information ;

Vu la décision de charges provisoires du 1er octobre 2014, transmise à la Cour, le 5 février 2015, par le trésorier-payeur général pour l’étranger, par laquelle ce dernier a mis en jeu la responsabilité de M. X au titre de l’exercice 2009 ;

Vu le bordereau d’observations du 11 février 2013 puis celui d’injonctions du 27 novembre 2013 par lequel ce trésorier avait enjoint à M. X dapporter la preuve du versement dans la caisse du centre culturel de la somme de 2 416 130,70 rials du Qatar (QAR), sauf à produire les justificatifs manquants à l’appui d’opérations de l‘exercice 2009 ;

Vu la décision de charges provisoires du 6 février 2015, transmise à la Cour, le 28 avril 2015, par le trésorier-payeur général pour l’étranger, par laquelle ce dernier a mis en jeu la responsabilité de M. X au titre de l’exercice 2010 ;

Vu le bordereau d’observations du 17 mai 2013 puis d’injonctions du 7 octobre 2014 par lequel ce trésorier avait enjoint à M. X dapporter la preuve du versement dans la caisse du centre culturel de la somme de 13 313,40 rials du Qatar (QAR), sauf à produire les justificatifs manquants à l’appui d’opérations de l‘exercice 2010 ;


Vu le compte financier de l’exercice 2009 du centre culturel de Doha, rendu par
M. Y, comptable commis d’office par décision du 30 décembre 2010 afin d’établir ce compte, et celui de l’exercice 2010, rendu par M. Y, en tant qu’agent comptable du centre culturel de Doha à compter du 1er septembre 2010, ainsi que les pièces à l’appui de ces comptes ;

Vu les réponses de M. Y aux bordereaux d’observations susvisés, les courriers de M. X des 16 janvier, 28 mars et 25 juillet 2013 et les réponses du
trésorier-payeur général pour l’étranger ainsi que l’ensemble des autres pièces au dossier ;

Vu le code des juridictions financières ;

Vu l’article 60 de la loi de finances n° 63-156 du 23 février 1963 modifiée ;

Vu le décret n° 2012-1386 du 10 décembre 2012 portant application du deuxième alinéa du VI de l’article 60 de la loi de finances de 1963 modifié, dans sa rédaction issue de l’article 90 de la loi n° 2011-1978 du 28 décembre 2011 de finances rectificative pour 2011 ;

Vu le décret n° 62-1587 du 29 décembre 1962 portant règlement général sur la comptabilité publique, en vigueur au moment des faits ;

Vu le décret n° 2008-548 du 5 mars 2008 relatif à la constatation et à l'apurement des débets des comptables publics et assimilés ;

Vu les lois et règlements applicables aux établissements de diffusion culturelle à l'étranger dotés de l'autonomie financière, notamment le décret modifié n° 76-832 du 24 août 1976 relatif à l'organisation financière de certains établissements ou organismes de diffusion culturelle dépendant du ministère des affaires étrangères et du ministère de la coopération modifié, ainsi que ses textes d'application ;

Vu le rapport n° 2016-1031 de M. Francis SAUDUBRAY, conseiller maître ;

Vu les conclusions du Procureur général ;

Entendu, lors de l’audience publique du 13 octobre 2016, M. Yves ROLLAND, conseiller maître en la présentation du rapport de M. SAUDUBRAY, empêché, M. Christian MICHAUT, avocat général, en les conclusions du ministère public ;

Après avoir entendu en délibéré M. Gérard GANSER, conseiller maître, en ses observations ;

 

Sur le droit applicable

Attendu que l’article 90 de la loi du 28 décembre 2011 de finances rectificative pour 2011 a défini des règles nouvelles pour la mise en jeu de la responsabilité pécuniaire des comptables publics ; que selon le II de l’article 90 précité, le nouveau régime « entre en vigueur le 1er juillet 2012 » et « les déficits ayant fait l'objet d'un premier acte de mise en jeu de la responsabilité d'un comptable public ou d'un régisseur avant cette date demeurent régis par les dispositions antérieures » ;

Attendu que le premier acte de mise en jeu de la responsabilité des agents comptables des centres culturels français à l’étranger, dont les comptes sont apurés par le trésorier-payeur général pour l’étranger, est la notification d’injonctions par ce trésorier-payeur général ;

Attendu que toutes les injonctions notifiées à M. X l’ont été après le 1er juillet 2012 ; que par conséquent les charges qui en résultent dans les décisions de charges provisoires sont à juger selon les dispositions de la loi du 28 décembre 2011 ;

 

Sur les paiements sans crédits disponibles en 2009 puis 2010

Attendu que la décision de charges provisoires du 1er octobre 2014 fait d’abord grief à M. X d’avoir payé, sans crédits budgétaires, un total de dépenses de 2 402 284,11 QAR en 2009 ; que celle du 6 février 2015 lui fait d’abord grief d’avoir payé, sans crédits budgétaires, 11 253,40 QAR en 2010 ;

Attendu que selon le 2ème alinéa du I de l’article 60 de la loi du 23 février 1963 susvisées « les comptables publics sont personnellement et pécuniairement responsables des contrôles qu'ils sont tenus d'assurer en matière […] de dépenses dans les conditions prévues par le règlement général sur la comptabilité publique » ;

Attendu que selon le décret du 24 août 1976 susvisé, la gestion financière et comptable des établissements ou organismes de diffusion culturelle dépendant du ministère des affaires étrangères est soumise aux dispositions de la première partie du décret du 29 décembre 1962 dont l’article 12 précise que « les comptables publics sont tenus d’exercer, en matière de dépenses, le contrôle de la disponibilité des crédits » ;

Attendu que, dans sa réponse du 31 mars 2013 au bordereau d’observations du 11 février 2013, le comptable commis d’office indique que le budget 2009 du centre culturel de Doha n’a été approuvé par le ministère que le 4 août 2010 ; qu’il confirme ainsi l’absence de crédits disponibles en 2009 ;

Attendu que le budget 2010 du centre culturel de Doha n’a été approuvé par le ministère que le 4 mai 2011 ; qu’ainsi aucun crédit n’était disponible en 2010 pour payer régulièrement les dépenses du centre culturel ;

Attendu que, dans ses lettres des 28 mars et 25 juillet 2013 susvisées, M. X fait valoir qu’il n’a été ni préparé ni formé aux responsabilités d’agent comptable régional, malgré sa demande ; que le logiciel de tenue de la comptabilité du centre fonctionnait mal ; que le nombre et la qualification de ses collaborateurs étaient insuffisants ;

Attendu que M. X pourra faire état de ces circonstances à l’appui d’une éventuelle demande au ministre de remise gracieuse des sommes, le cas échéant, mises à sa charge ; qu’elles ne peuvent toutefois être retenues à sa décharge par le juge des comptes ;

Attendu que M. X, en payant, en 2009 puis en 2010, un ensemble de dépenses en l’absence de crédits disponibles a manqué à ses obligations de contrôle ; qu’il y a donc lieu d’engager sa responsabilité personnelle et pécuniaire à hauteur de 2 402 284,11 QAR, au titre de l’exercice 2009, et de 11 253,40 QAR, au titre de l’exercice 2010 ;

 

Attendu qu’aux termes du 3ème alinéa du VI de l’article 60 de la loi du 23 février 1963 susvisée « Lorsque le manquement du comptable aux obligations mentionnées au I a causé un préjudice financier à l’organisme public concerné […] le comptable a l’obligation de verser immédiatement de ses deniers personnels la somme correspondante » ;

Attendu que les paiements en l’absence de crédits disponibles sont des paiements sans autorisation de l’autorité budgétaire ; qu’ils sont donc indus ; que dès lors les manquements du comptable ont causé un préjudice financier au centre culturel de Doha ; qu’il y a lieu par conséquent de mettre à la charge de M. X les sommes de 2 402 284,11 QAR au titre de l’exercice 2009 et 11 253,40 QAR au titre de l’exercice 2010 ;

 

Sur les soldes débiteurs non justifiés de plusieurs comptes

Attendu que la décision de charges provisoires du 1er octobre 2014 fait ensuite grief à M. X de ne pas avoir justifié les soldes débiteurs des compte 41112 « Clients, ventes années antérieures » et 463218 « Déficits des comptables », à la clôture de l’exercice 2009, à hauteur de respectivement de 10 820 QAR et de 3 026,59 QAR ; que celle du 6 février 2015 lui fait ensuite grief de n’avoir pas justifié, en 2010, le solde débiteur du compte 275 « Dépôts et cautionnements versés » à hauteur de 2 060 QAR ;

Attendu que selon le 1er alinéa du I de l’article 60 de la loi du 23 février 1963 susvisée, « les comptables publics sont personnellement et pécuniairement responsables […] de la garde et de la conservation des fonds et valeurs […] de la conservation des pièces justificatives des opérations et documents de comptabilité » ; que selon le 3ème alinéa de ce même I « La responsabilité personnelle et pécuniaire [prévue ci-dessus] se trouve engagée dès lors qu’un déficit ou un manquant en monnaie ou en valeurs a été constaté… » ; qu’aux termes du 3ème alinéa du VI de ce même article 60 « Lorsque le manquement du comptable aux obligations mentionnées au I a causé un préjudice financier à l’organisme public concerné […] le comptable a l’obligation de verser immédiatement de ses deniers personnels la somme correspondante » ;

Attendu que, selon la réponse du 31 mars 2013 du comptable commis d’office précitée, le solde débiteur du compte 41112 « Clients, ventes années antérieures » s’expliquerait à hauteur de 7 160 QAR par deux ordres de recettes de 2008 non recouvrés, le solde de 3 660 QAR n’étant quant à lui pas expliqué ;

Attendu que, selon cette même réponse, le solde débiteur du compte 463218 « Déficits des comptables » pour un montant de 3 026,59 QAR n’a pu « être identifié avec précision » ;

Attendu que selon la réponse de M. Y du 31 août 2013 au bordereau d’observations du 17 mai 2013, le document justifiant le cautionnement enregistré au compte 275 n’a pas été retrouvé ; qu‘ainsi la caution ne peut être recouvrée ;

Attendu que M. X avait émis des réserves le 2 mars 2009 après sa prise de fonctions ; que celles-ci ne portaient précisément que sur le solde débiteur du compte 4111 d’un montant de 215 813,28 QAR ; qu’aucun lien n’est établi entre le solde de ce dernier compte 41111, même si le comptable le qualifie de « pivot », et ceux des comptes 41112 et 463218 ; qu’elles ne peuvent donc être retenues à décharge ;

Attendu que les difficultés précitées mises en avant par M. X dans ses lettres des 28 mars et 25 juillet 2013 susvisées ne sont pas non plus de nature à pouvoir être retenues à sa décharge ;

Attendu que, faute d’être justifiés, les soldes débiteurs des comptes 41112 et 463218 traduisent des manquants dans la caisse de l’établissement ; que le solde débiteur du compte 275 traduit un manquant en valeur ; qu’il y a lieu par conséquent d’engager la responsabilité personnelle et pécuniaire de M. X à hauteur de 13 846,59 QAR au titre de l’exercice 2009 et 2 060 QAR au titre de l’exercice 2010 ;

Attendu que ces manquements de M. X à ses obligations de garde et de conservation de fonds et valeurs et de conservation des pièces justificatives ont causé un préjudice financier au centre culturel français de Doha ; qu’il y a lieu par conséquent de constituer M. X débiteur de ce centre à hauteur de 13 846,59 QAR au titre de l’exercice 2009 et 2 060 QAR au titre de l’exercice 2010 ;

Sur le point de départ des intérêts légaux

Attendu qu’en application du VIII de l’article 60 de la loi de finances pour 1963 susvisée, « les débets portent intérêt au taux légal à compter du premier acte de la mise en jeu de la responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables publics » ;

Attendu qu’au cas d’espèce, les premiers actes de la mise en jeu de la responsabilité de M. X ont été les notifications d’injonctions par le trésorier-payeur général pour l’étranger respectivement les 27 novembre 2013 et 7 octobre 2014 ; que M. X a accusé réception de la première le 30 novembre 2013 et de la seconde le 10 octobre 2014 ; qu’il convient par conséquent, conformément aux conclusions du ministère public, de décompter les intérêts légaux sur les sommes dues, au titre de 2009, à compter du 30 novembre 2013 et, au titre de 2010, à compter du 10 octobre 2014 ;

 

Sur le contrôle hiérarchisé de la dépense

Attendu qu’aux termes du 2ème alinéa du IX de l’article 60 de la loi du 23 février 1963 susvisée, « Hormis le cas de décès du comptable ou de respect par celui-ci, sous l’appréciation du juge des comptes, des règles de contrôle sélectif des dépenses, aucune remise gracieuse totale ne peut être accordée au comptable public dont la responsabilité personnelle et pécuniaire a été mise en jeu par le juge des comptes, le ministre chargé du budget étant dans l’obligation de laisser à la charge du comptable une somme au moins égale au double de la somme mentionnée au deuxième alinéa dudit VI. » ;

Attendu qu’aucun contrôle hiérarchisé de la dépense n’a été institué par M. X ni en 2009, ni en 2010 ;

Par ces motifs,

DECIDE :

Article 1er M. X est constitué débiteur du centre culturel français de Doha, au titre de l’exercice 2009, de la somme de 2 416 130,70 rials du Qatar (QAR), (soit 444 568,04 au 31/12/2009), augmentée des intérêts légaux décomptés à partir du 30 novembre 2013.

 

Article 2 M. X est constitué débiteur du centre culturel français de Doha, au titre de l’exercice 2010, de la somme de 13 313,40 rials du Qatar (QAR), (soit 2 742,56  au 31/12/2010), augmentée des intérêts légaux décomptés à partir du 10 octobre 2014.

Article 3 – M. X n’a pas appliqué de règles de contrôle sélectif des dépenses ni en 2009, ni en 2010.

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Fait et jugé en la Cour des comptes, quatrième chambre, première section. Présents : M. Jean-Philippe VACHIA, président de chambre, président de la formation ; Mme Anne FROMENT-MEURICE, présidente de chambre maintenue en activité, MM. Gérard GANSER, Jean-Pierre LAFAURE, Jean-Yves BERTUCCI, Noël DIRICQ, Pierre JAMET, Francis CAHUZAC, conseillers maîtres et Mme Isabelle LATOURNARIE WILLEMS, conseillère maître.

En présence de Mme Annie LE BARON, greffière de séance.

 

 

 

 

 

 

Annie LE BARON

 

 

 

 

 

 

Jean-Philippe VACHIA

 

 

 

En conséquence, la République française mande et ordonne à tous huissiers de justice, sur ce requis, de mettre ledit arrêt à exécution, aux procureurs généraux et aux procureurs de
la République près les tribunaux de grande instance d’y tenir la main, à tous commandants et officiers de la force publique de prêter main-forte lorsqu’ils en seront légalement requis.

 

Conformément aux dispositions de l’article R. 142-16 du code des juridictions financières, les arrêts prononcés par la Cour des comptes peuvent faire l’objet d’un pourvoi en cassation présenté, sous peine d’irrecevabilité, par le ministère d’un avocat au Conseil d’État dans le délai de deux mois à compter de la notification de l’acte. La révision d’un arrêt ou d’une ordonnance peut être demandée après expiration des délais de pourvoi en cassation, et ce dans les conditions prévues au paragraphe I de l’article R. 142-15 du même code.

 

 

 

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