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Quatrième chambre

 

Gestion de fait des deniers dE

L’OFFICE BRIANCONNAIS DU TOURISME

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ET DU CLIMATISME

Première section

 

(HAUTES-ALPES)

 

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Appel d’un jugement de la chambre régionale des comptes de Provence Alpes Côte d’Azur

Arrêt n° S 2016-3755

 

 

Audience publique du 17 novembre 2016

 

Rapport n° R-2016-0985

Prononcé du 1er décembre 2016

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Vu les requêtes, enregistrées respectivement les 5 et 12 octobre 2015 au greffe de la chambre régionale des comptes de Provence Alpes Côte d’Azur, par lesquelles Mme X, MM. Y et Z ont élevé appel du jugement n° 2015-0008 du 29 juillet 2015 par lequel ladite chambre régionale les a déclarés comptables de fait des deniers de l’office briançonnais du tourisme et du climatisme (OBTC) conjointement et solidairement avec M. A en la personne de ses héritiers et les sociétés MEIJE Tours et ATR 05 et leur a enjoint de produire dans un délai de quatre mois un compte de la gestion de fait ;

Vu le réquisitoire du 5 septembre 2006 et les réquisitoires supplétifs des 26 octobre 2009 et 20 juillet 2010 par lesquels le procureur financier près la chambre régionale des comptes de Provence-Alpes-Côte d’Azur a saisi ladite chambre d’éléments présomptifs de gestion de fait des deniers de l’OBTC ;

Vu les pièces de la procédure suivie en première instance ;

Vu les mémoires complémentaires des 20 mai et 14 novembre 2016 de Me Garcia, conseil de M.Y;

Vu la lettre de Madame B, en date du 15 novembre 2016 ;

Vu la lettre de Madame C, veuve A, en date du 16 novembre 2016 ;

Vu le code des juridictions financières ;

Vu l’article 60 modifié de la loi  63-156 du 23 février 1963, notamment son article XI ; 

Vu le décret n° 62-1587 du 29 décembre 1962 portant règlement général sur la comptabilité publique, en vigueur au moment des faits ;

Vu le rapport de M. Yves Rolland, conseiller maître ;

Vu les conclusions du Procureur général  748 du 10 novembre 2016 ;

Entendu, lors de l’audience publique de ce jour, M. Yves Rolland, conseiller maître, en son rapport, M. Christian MICHAUT, avocat général, en les conclusions du ministère public, et Mme B, partie à l’instance, ayant eu la parole en dernier ;

Entendu, en délibéré, Mme Anne FROMENT-MEURICE, présidente de chambre maintenue en activité, en ses observations ;

Sur la régularité de la procédure de première instance

Attendu que, dans ses mémoires complémentaires susvisés en date des 26 mai et 14 novembre 2016, Me Garcia, conseil de M. Y, fait valoir d’une part que trois des six ayants droit de M. A, décédé, n’ont pas été attraits à la procédure, l’article premier dudit jugement étant ainsi rédigé : « M. A, en la personne de ses ayants droit, Mme C, Madame B et M. D, est déclaré gestionnaire de fait des deniers de l’office briançonnais du tourisme et du climatisme (…) » et, d’autre part, que la société Meije Tours ayant été dissoute le 4 décembre 2012 puis radiée du registre du commerce et des sociétés le 19 juin 2003, la société n'existait plus à la date de saisine de la Chambre, de sorte que la convocation qui lui a été adressée serait irrégulière ; qu’il en déduit que « ces irrégularités sont de nature à empêcher la chambre régionale des comptes de juger les comptes que lui rendent les personnes qu'elle a déclarées comptables de fait en application de l'article L. 231-3 du code des juridictions financières et a privé de tout efficacité le jugement dont appel, la production des comptes de gestion de fait étant impossible en l'absence de ces personnes qui détiennent des éléments comptables nécessaires à la production desdits comptes. En l'état de ces irrégularités, le jugement dont appel encourt l'annulation » ;

Attendu qu’il s’agit d’un moyen nouveau, non soulevé dans la requête en appel de M. Y et présenté hors les délais de l’appel ; que, contestant cependant la régularité de la procédure de première instance, il entre dans le champ des moyens d’ordre public et doit en conséquence, être discuté ;

Attendu quaprès avoir eu connaissance du décès de M. A survenu le 20 octobre 2011, la CRC a cherché à obtenir la liste et les coordonnées précises de l'ensemble des héritiers ; que, devant le refus du notaire de communiquer ces informations à la CRC en l'absence d'une décision judiciaire, la CRC a rendu un jugement avant-dire droit lu le 26 mai 2014 par lequel elle a demandé au "notaire représentant les héritiers de M. A de communiquer à la chambre les coordonnées de ces derniers dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent jugement" ; que le 10 juin 2014, la CRC a reçu dudit notaire copie de l'acte notarié qui donne la liste exacte des ayants droit et héritiers de M. A, à savoir Mme C veuve de M. A, conjoint survivant, M. D et Mme B fils et fille du défunt issus d'un premier mariage ; Mme E, Mme F et M. G, filles majeures et fils mineur du défunt et de Mme C ;

Attendu qu’à compter de la communication de la liste des ayants droit, le greffe de la chambre régionale a régulièrement notifié l’ensemble des pièces de la procédure directement à M. D et à Mme B, comme l’attestent les différents actes de notification figurant au dossier d’appel ; que Mme C, Mmes E et F ont été destinataires, dès le mois de novembre 2013, de l’ensemble des mêmes pièces de procédures par l’intermédiaire de Me Levant SABAN qui a indiqué à la chambre régionale, par courriel du 19 novembre 2013 (pièce 12-3 du dossier de l’appel), « intervenir en qualité d’avocat de Mme C, épouse A et de ses enfants » ; que les notifications adressées directement à Mme C lui ont été également adressées en tant que représentante légale de M. G, son fils mineur, comme cela est précisément indiqué sur les courriers de notification ; qu’il ne peut donc être sérieusement argué que l’ensemble des ayants droit de M. A n’ont pas été régulièrement représentés ou informés de la procédure ;

Attendu que, nonobstant le fait que la rédaction de l’article premier du jugement entrepris omet de mentionner l’ensemble des ayants droit de M. A, la lecture des attendus et notamment de celui qui concerne l’attraction de ce dernier à la gestion de fait, dans la dernière phrase du troisième attendu de la page 6 du jugement est sans ambiguïté  : « que, dès lors, M. A, eu égard aux responsabilités qu’il exerçait au sein de l’office, doit être déclaré gestionnaire de fait des deniers de l’OBTC, en la personne de ses ayants droit, sur l’ensemble de la période de la gestion de fait soit du 1er janvier 2000 à une date indéterminée » ; qu’ainsi le jugement a  entendu attraire l’ensemble de la succession de M. A à la gestion de fait et  qu’en conséquence, l’absence de mention expresse de deux des héritiers (M. G étant toujours enfant mineur) doit être considérée comme une simple erreur de plume qui n’a pas entaché le jugement d’irrégularité ;

Attendu que, contrairement aux dires du requérant, la société MEIJE Tours n’a pas été dissoute puis radiée avant la saisine de la chambre régionale, puisque celle-ci a été saisie des opérations susceptibles d’être constitutives d’une gestion de fait pour ladite société par le réquisitoire supplétif de son procureur financier en date du 20 juillet 2010 ; qu’il ressort des pièces de la procédure suivie en première instance que l’ensemble des notifications effectuées à l’intention de la société MEIJE Tours par l’intermédiaire à la fois de sa gérante et du conseil de l’entreprise ont fait l’objet d’accusés de réception de la part de ces derniers ; qu’à aucun moment, ces destinataires n’ont informé la chambre régionale qu’il n’étaient plus ni gérant ni conseil de la société MEIJE Tours ; qu’ainsi aucune entorse aux règles de procédure, seul moyen d’ordre public présenté hors délai dans le cadre d’un mémoire complémentaire pouvant être examiné par le juge d’appel, ne peut être reprochée au juge de première instance ;

Attendu en conséquence, que les moyens invoqués dans les mémoires complémentaires tendant à demander l’annulation du jugement pour vice de procédure sont à écarter ;

Sur le fond

Attendu que par le jugement entrepris, la chambre régionale a considéré que l’activité de réservation et de commercialisation de séjours touristiques que s’était vu confier l’OBTC, constituait la gestion d’un service public, permise par la loi et que dès lors, les fonds afférents à cette activité devaient être maniés dans la caisse publique ; qu’elle a en conséquence déclaré comptables de fait des deniers de l’OBTC les présidents successifs de l’office, également maires de Briançon (M. A pris en la personne de ses héritiers et M. Z), les directeurs ou faisant fonction successifs de l’office (Mme X et M. Y) ainsi que les sociétés MEIJE-Tours et ATR 05, pour des opérations d’encaissement de recettes de cet office, établissement public local, sur des comptes bancaires par des personnes non habilitées à manier des deniers publics ; que, selon le jugement, la période de la gestion de fait s’est étendue du 1er janvier 2000 à une date qui ne peut être déterminée à ce stade de la procédure ; qu’au début de cette période, la gestion de la centrale de réservation de l’OBTC dont la présidence était assurée par M. A, a été confiée à une société privée dénommée MEIJE Tours dont la gérante était Mme X jusqu’en juin 2000, cette dernière étant devenue, à cette date, directrice de l’office de tourisme ; que ladite société a poursuivi cette gestion pour le compte de l’office jusqu’en juillet 2003 ; qu’entre novembre 2003 et octobre 2005, tout en reprenant la gestion directe de la centrale de réservation, les responsables de l’OBTC au premier rang desquels M. Y et M. Z, président dudit office entre 2001 et 2005, ont ouvert des comptes bancaires pour encaisser les recettes issues de l’activité de la centrale de réservation ; qu’entre octobre 2005 et mars 2009, cette activité a été confiée à nouveau à une entreprise privée, ATR 05, dont la gérance a été assurée par Mme X jusqu’à la création d’une régie de recettes et d’avances au sein de l’office pour assurer la gestion de la centrale de réservation, à compter du mois de mars 2009 ;

Attendu que les requêtes des trois comptables de fait qui ont interjeté appel dudit jugement présentent des moyens relatifs au caractère public des deniers en cause, au défaut d’intérêt pratique de la procédure et à la qualité de gestionnaire de fait de Mme X et de M. Y ;

  1. Sur le caractère public des deniers

Attendu que Mme X, par l’intermédiaire de son conseil, conteste la compétence des juridictions financières en mettant en doute le caractère de deniers publics des sommes perçues dans le cadre d'une activité de centrale de réservation d'appartements appartenant à des personnes privées dans la mesure où, selon elle, cette activité n'est pas "un service obligatoire pour les communes" et que les comptables publics ne sont pas tenus d'assurer la comptabilité de cette activité ; qu’elle conclut qu’il « ne suffit pas […] que la circonstance que l'OBTC se soit vu confier par la commune de Briançon le soin de gérer une activité de réservation ou de commercialisation des séjours touristiques pour que celui-ci présente les caractères d'un service public dès lors qu'aucun monopole de fait ni aucune circonstance particulière ni de temps ni de lieu ne soit de nature à caractériser  un intérêt public à exploiter cette activité » ; qu’elle argue que « le rôle de la centrale de réservation n'était destiné qu'à faire le lien entre des personnes physiques ou morales qui entendaient louer un bien immobilier pour une période déterminée et les propriétaires d'appartements" ; que, donc, selon la requérante "les sommes qui ne faisaient que transiter par cette société n'ont pas perdu leur caractère de deniers privés alors qu'elles étaient payées par des particuliers ou des personnes morales de droit privé à des propriétaires privés" ; qu’enfin  la requête estime que "la CRC a excédé sa compétence en examinant les comptes de la société ATR05 et de la société Meije Promotion-Meije Tours dès lors que ces comptes relèvent d'une activité commerciale extérieure à toute gestion publique » ; qu’en conséquence de ces moyens, la requête sollicite de la Cour l’annulation du jugement entrepris ;

Attendu que l’annulation du jugement est requise sur la base de l’incompétence du juge des comptes à contrôler les comptes des sociétés MEIJE Tours et ATR 05 ; qu’il est patent que la chambre régionale des comptes ne s’est pas prononcée sur les comptes de ces deux sociétés mais qu’elle a enquêté sur les opérations figurant sur des comptes bancaires ouverts par ces deux sociétés dans le cadre de la gestion des activités de la centrale de réservation de l’office, en vertu de conventions conclues par l’établissement public avec ces deux prestataires ; que, dès lors que ces opérations étaient susceptibles d’être constitutives d’une gestion de fait en vertu du réquisitoire du procureur financier, la chambre régionale des comptes n’a pas excédé ses compétences en examinant les opérations effectuées par ces deux sociétés au nom de la centrale de réservation de l’OBTC ; qu’en conséquence le moyen tiré de l’incompétence du juge financier est inopérant ;

Attendu cependant que ce moyen met en cause également la qualification de deniers publics que la chambre régionale a reconnu aux recettes enregistrées par la centrale de réservation de l'OBTC ;

Attendu que selon l'article 60-XI de la loi n° 63-156 du 23 février 1963 modifiée susvisée, l’ingérence de personnes non habilitées dans le recouvrement de recettes affectées ou destinées à un organisme public doté d'un comptable public constitue une gestion de fait ; qu’il appartient au juge des comptes de justifier que les fonds sont bien "affectés" ou "destinés" à la caisse d'un comptable public ;

Attendu, comme l’a relevé le jugement entrepris, que l'OBTC est un établissement public industriel et commercial doté d’un comptable public dont l’examen des comptes relève de la compétence du juge des comptes de premier ressort ; que, par une délibération du 27 octobre 1995, le conseil municipal de Briançon lui a confié une activité de réservation et de commercialisation de séjours touristiques, en application de l'article L. 133-3 alinéa 4 du code du tourisme ; qu’il en ressort que toutes les opérations de dépenses et d’encaissement de recettes liées aux activités de l'office y compris ses activités de réservation relèvent de la compétence exclusive de son comptable public ; qu’aucune disposition du code du tourisme ne permet de déroger à cette règle qui est un principe de base de la comptabilité publique posé par l'article 60-XI de la loi du 23 février 1963 et l'article 11 du décret n° 62-1587 du 29 décembre 1962 portant règlement général sur la comptabilité publique en vigueur au moment des faits ;

Attendu qu’il est allégué que des conventions passées par l’Office avec la société MEIJE Tours, puis la société ATR05 auraient pu leur donner mandat d’encaisser des recettes pour son compte ; qu’au cas d’espèce, le document intitulé "Mission de commercialisation Briançon" annexé à la délibération du comité directeur de l'OBTC en date du 10 janvier 1999 peut difficilement être considéré comme une convention entre l’office et la société MEIJE Tours dès lors qu'il n'existe aucune mention des obligations et des droits de chacune des parties, ni de durée ni de mandat explicite et que les conditions de rémunération du partenaire, qui n'est d’ailleurs, pas identifié en début de convention par ses références d'inscription au registre du commerce ni par les personnes dûment habilitées à le représenter, ne figurent que dans une annexe de trois lignes ;

Attendu qu’une personne publique ne peut donner mandat à une personne privée d’encaisser des recettes à la place du comptable public ; qu’ainsi il n’est pas possible de prétendre qu’un mandat aurait été expressément accordé à MEIJE Tours pour encaisser des recettes pour le compte de l'OBTC, ni a fortiori ouvrir un compte bancaire au nom de la centrale de réservation ; que ce même constat peut être effectué pour l’ensemble des conventions passées entre 2005 et 2008 entre l’OBTC et la société ATR 05 ;

Attendu que si la convention passée en 2002 entre les mêmes parties s’intitule "mandat" et que son article premier précise que l'OBTC donne à MEIJE Tours qui accepte, mandat de vendre pour son compte différents types de séjours de vacances, elle n'est pas datée et elle ne prévoit aucune formule de reddition des comptes ; que cette convention qui revêt en outre un caractère rétroactif puisque ce mandat est donné pour une durée de trois ans à compter du 19 juin 2000, ne contient aucune clause relative à une quelconque participation de l'office au fonctionnement de la centrale, qui n'est d'ailleurs pas évoquée dans ce mandat ;

Attendu au surplus qu’il ressort des pièces de la procédure de première instance que la gestion de la centrale de réservation par MEIJE Tours s’est effectuée en grande partie en utilisant du personnel de l’office de tourisme auquel le comité directeur a d’ailleurs octroyé des commissions au prorata des réservations effectuées ; que les registres d'entrées et de sorties du personnel et les bulletins de salaires de l'OBTC font apparaître que les personnes attachées à la centrale de réservation étaient toutes salariées de l'OBTC ; que les locaux occupés par MEIJE Tours étaient ceux de l'OBTC et que cet office supportait la charge du logiciel de réservation Winrésa ; qu’enfin l’ensemble du courrier émis par la centrale de réservation était imprimé sur du papier à en-tête de l’OBTC ;

Attendu enfin que le comité directeur de l’OBTC a envisagé, à l’unanimité par une délibération du 3 octobre 2000, la création d’une régie de recettes et d’avances pour gérer les activités de la centrale de réservation ; que cette régie a finalement été mise en place le 3 mai 2009 ;

Attendu qu’il résulte de tous ces éléments que la chambre régionale des comptes n’a commis aucune erreur de droit en jugeant que l’ensemble des recettes issues de la gestion de la centrale de réservation constituaient des deniers publics et qu’à ce titre, elles auraient dû être encaissées par un comptable public ; que c’est à bon droit également qu’elle a jugé qu’en effectuant leur encaissement sur des comptes bancaires, les personnes non habilitées à manier ces fonds ont agi en gestionnaires de fait des deniers de l’OBTC ; que le moyen invoqué par le requérant sur le caractère non public de ces fonds n’est donc pas fondé en droit et doit être rejeté ;

 

  1. Sur le défaut d’intérêt pratique de la procédure

Attendu que le conseil de M. Z et de façon subsidiaire, celui de Mme X demandent à la Cour d’annuler le jugement et de dire que le non-lieu à déclaration de gestion de fait pour défaut d’intérêt pratique pourra être prononcé ; que, pour justifier cette demande, les requérants contestent le jugement qui serait entaché d’erreur de fait pour avoir refusé un tel non-lieu alors que, selon eux, les critères qui seraient de nature à le justifier sont remplis en l'espèce ; qu’ils évoquent notamment l’ancienneté des faits rendant pratiquement impossibles, selon eux, la reconstitution des opérations et la production des justifications ; que les requérants estiment à cet égard, que les premiers juges se sont mépris en assimilant l'effet de la prescription à l'effet du défaut d'intérêt pratique du non-lieu à gestion de fait ; qu’en effet, selon eux, la prescription concernerait la recevabilité de la procédure de vérification comptable alors que le défaut d'intérêt pratique à déclarer la gestion de fait serait une question de fond ; que, dès lors, le jugement serait également entaché d'une erreur de droit ;

Attendu que le caractère d’ordre public du jugement des comptes publics oblige en principe le juge des comptes à appeler à compter devant lui les personnes qui se sont immiscées sans titre dans le maniement de deniers publics ; que si l’appréciation du défaut d’intérêt pratique de la procédure a pu conduire le juge des comptes, dans certaines opérations irrégulières constitutives de gestion de fait, à s’abstenir de prononcer une déclaration de gestion de fait, cette possibilité ne saurait constituer un droit à obtenir un non-lieu pour les personnes qui ont manié irrégulièrement des fonds publics ; 

Attendu qu’il résulte de l’examen du dossier de la procédure en cause que, contrairement à ce que soutiennent les requérants, les critères qui seraient de nature à justifier le défaut d’intérêt pratique ne sont pas remplis en l’espèce ; que la date à laquelle les opérations irrégulières ont pris fin n’étant pas établie, il ne peut que subsister des incertitudes sur le détail de ces opérations et sur leur cessation ; que seule la production du compte de la gestion de fait permettra de dater avec précision la fin des opérations irrégulières ; que la preuve n’est pas davantage apportée que l’ensemble des recettes et des dépenses en cause auraient été reprises dans la comptabilité du comptable de l’OBTC, ni que l’utilité publique des dépenses aurait été reconnue par l’autorité budgétaire de l’Office ; qu’enfin il est prématuré de considérer que les opérations irrégulières commises par des élus locaux et ordonnateurs d’un établissement public local ayant permis l’encaissement de recettes publiques sur des comptes bancaires, à l’insu du comptable public, ne sauraient mériter aucune sanction ;

Attendu que pour rejeter un non-lieu à déclaration de gestion de fait pour défaut d’intérêt pratique, la CRC ne s’est pas limitée à rejeter le moyen lié à l’ancienneté des faits, en rappelant à juste titre la prescription prévue par le législateur pour éviter que des faits trop anciens ne soient pris en compte dans une déclaration de gestion de fait ; qu’elle s’est fondée à titre principal dans son jugement sur les critères traditionnels du juge des comptes rappelés ci-dessus pour écarter le défaut d’intérêt pratique et n’a commis aucune erreur de droit à ce titre, contrairement à ce qui est allégué dans la requête ; qu’au demeurant, il n’est pas démontré que le détail des opérations irrégulières soit non seulement « inconnu » mais « impossible à connaître » et empêcherait l’établissement d’un compte de la gestion de fait, d’autant qu’en application du troisième alinéa du XI de l’article 60 susvisé de la loi n° 63-156 du 23 février 1963, le juge des comptes peut suppléer par des considérations d’équité à l’insuffisance des pièces justificatives ;

Attendu que, par ailleurs, les requérants se prévalent de jugements de chambres régionales des comptes ou d’arrêts de la Cour des comptes statuant en première instance ou en appel qui, dans des espèces, selon eux, similaires auraient statué par un non-lieu à déclaration de gestion de fait pour défaut d’intérêt pratique ; que ces jugements et arrêts ne sauraient lier le juge d’appel ; qu’au demeurant les circonstances n’y sont pas exactement comparables ;

Attendu que, compte tenu de ce qui précède, le moyen est à rejeter ;

  1. Sur la qualité de comptable de fait de Mme X 

Attendu que, dans sa requête, le conseil de Mme X demande à la Cour de constater l'absence d'enrichissement personnel de Mme X, de dire qu'il n'y a pas lieu à déclaration de gestion de fait la concernant, de la relaxer de l'ensemble des chefs de poursuite et enfin de condamner l'Etat à lui payer une somme de 5 000 € au titre des frais exposés non compris dans les dépens et aux entiers dépens d'instance ;

Attendu qu’à l’appui de ces demandes, la requérante invoque le fait que la mission de commercialisation confiée en 1999 par l’OBTC à la société MEIJE Tours dont elle était la gérante à l’époque ne peut être considéré comme un marché public dès lors que cette convention a été conclue par une personne, selon lui, non soumise au code des marchés publics en sa qualité d'EPIC ; que, dès lors qu’il a été démontré plus haut que l’OBTC est un établissement public local doté d’un comptable public et donc soumis aux règles des marchés publics, ce moyen est inopérant en droit ;

Attendu que le conseil de la requérante soutient ensuite qu'il serait "impossible de reprocher à Mme X de ne pas avoir mis en place une régie d'avances et de recettes au bénéfice de la société Meije Promotion - Meije Tours dès lors que l'OBTC n'avait pas lui-même décidé d'en créer une et qu'aucune délibération du comité directeur de cet établissement n'y avait procédé ;

Attendu que cette affirmation est contredite par les pièces de la procédure à l’appui du jugement de première instance et notamment la délibération précitée du comité directeur de l’OBTC en date du 3 octobre 2000 qui a approuvé à l'unanimité la création d'une régie d'avances pour le service Briançon Réservation dans le cadre de la commercialisation, ainsi qu’une note en date du 15 juin 2001 adressée par le trésorier de Briançon à Mme la directrice de l'office du tourisme dont l'objet est intitulé : "Constitution d'une régie de recettes et d'avances par l'office du tourisme de Briançon" dans laquelle sont proposées des modifications de la délibération du 3 octobre 2000 qui devrait mentionner qu'il s'agit d'une régie de recettes et d'avances et non d'une simple régie d'avances et confier à l'ordonnateur le soin de préciser les modalités de fonctionnement de cette régie ; qu’il n’est pas contesté qu’entre le mois de juin 2000 et le mois d’octobre 2003, Mme X était la directrice de l’OBTC et donc son ordonnateur ; qu’elle ne pouvait donc ignorer l’existence de la délibération du 3 octobre 2000 ni la note du trésorier de Briançon dont elle était la destinataire ; qu’il ne peut donc être valablement argué que Mme X n’a eu aucune responsabilité dans l’absence de suite donnée à cette délibération ; qu’ainsi le moyen manque en fait ;

Attendu que le conseil de la requérante indique qu’"à compter du 3 janvier 2000, l'existence d'une centrale de réservation dont ni le statut ni l'origine ne sont parfaitement démontrés s'est substituée à la société Meije Tours pour l'accomplissement des missions dont elle était contractuellement investie [et que], dès lors, les arguments pouvant justifier les poursuites à l'encontre de Mme X ne sont pas démontrés puisqu'aucun organisme a procédé au maniement des deniers publics" ;

Attendu que la centrale de réservation est la dénomination donnée par l’OBTC à son service de réservation ; que, contrairement aux dires du requérant, ce service existait bien avant la signature de la convention de 1999 avec la société MEIJE Tours ; qu’il est inexact d’affirmer que cette centrale se serait substituée à MEIJE Tours pour l’accomplissement des missions dont elle était contractuellement investie puisque cette société a signé en 2002 une nouvelle convention avec l’OBTC lui confiant le mandat de gérer l’activité de la centrale de réservation à compter du mois de juin 2000 ; qu’il n’est pas contesté que Mme X était la gérante de la société MEIJE Tours jusqu’en juin 2000, date à laquelle elle a été nommée directrice de l’OBTC jusqu’en octobre 2003 ; que le moyen n’est donc pas fondé en fait ;

Attendu que le conseil de la requérante fait valoir qu’il ne peut être sérieusement retenu contre Mme X une déclaration de gestion de fait en qualité de gérante de MEIJE Tours portant sur la période de février 1999 à mai 2009 dès lors qu'à compter du 7 août 2001, Mme X ne possédait plus aucune part sociale dans cette société ; qu’il rappelle que Mme X avait sollicité dès le 24 juin 2003 d'être relevée de ses fonctions de directrice de l'OBTC et qu’elle ne peut être considérée comme responsable de ce que sa démission n’ait été entérinée que le 31 octobre 2003 ; qu’il estime qu’en motivant leur jugement en considérant que "même en supposant que Mme X ne soit effectivement en rien concernée par la période de gestion directe de la centrale de réservation par l'OBTC dont elle était pourtant, à cette époque, l'ordonnateur, aucun document disponible ne permet de dater avec précision le début et la fin de cette période ; que le conseil de Mme X ne le fait davantage, ni d'ailleurs aucune autre partie à l'instance ; que plusieurs éléments montrent au contraire que les périodes de gestion de la centrale par Meije Tours, l'OBTC en direct et ATR 05 ne se sont en réalité pas succédés mais chevauchés", les premiers juges ont dénaturé les pièces du dossier et commis une erreur manifeste d'appréciation ainsi qu'une erreur de motivation en n'indiquant pas quels éléments établissent ce chevauchement et en quoi celui-ci est de nature à justifier une condamnation de Mme X en raison de son immixtion dans les fonctions de comptable public ; qu’il estime qu'en l'absence de précision mettant à la charge de Mme X l'exercice d'irrégularités comptables à date certaine lors de l'instruction, elle doit bénéficier de la prescription prévue par l'article L. 131-2 du CJF ;

 

Attendu qu'aucune preuve n'est, à ce jour, apportée de la date précise à laquelle les fonds ont été maniés irrégulièrement par les différents comptables de fait ; que le nom de Mme X apparaît à toutes ces périodes sous des responsabilités diverses ce qui a pu conduire à une confusion des rôles, Mme X signant, le 1er juillet 2003, en tant que gérante d'ATR 05 une convention de partenariat avec l'OBTC dont elle était encore la directrice ; que le juge de premier ressort n'a donc pas commis d'erreur ni de droit ni d'appréciation en déclarant Mme X comptable de fait du 20 juillet 2000 à une date inconnue à ce stade ; que le moyen manque en fait ;

Attendu que le troisième alinéa de l’article L.131-2 du CJF précise que « l’action en déclaration de gestion de fait est prescrite pour les actes constitutifs de gestion de fait commis plus de dix ans avant la date à laquelle la Cour des comptes en est saisie » ; que cette disposition ne porte que sur les actes de gestion de fait dont la Cour est saisie en tant que juge de premier ressort et non en tant que juge d’appel ; qu’elle ne peut donc être invoquée à l’appui d’une requête en appel dès lors que le juge de premier ressort a d’ores et déjà tenu compte des délais de prescription pour ce qui concerne l’attraction de Mme X à la gestion de fait ; qu’en effet dans son jugement entrepris, la CRC, en application de l’article L. 231-3 du code des juridictions financières, n’a déclaré Mme X comptable de fait qu'à compter du 20 juillet 2000, soit dix ans avant la date du réquisitoire supplétif la mettant en cause  ; que le moyen est donc inopérant ;

Attendu que la requête allègue qu'"en l'absence de décision du juge administratif, seule autorité juridictionnelle compétente pour décider de l'irrégularité du recours aux contrats de droit privé plutôt qu'un marché, la juridiction de céans ne peut considérer qu'en l'absence de mise en concurrence dans l'attribution des missions qui ont été attribuées directement à ATR 05, il est bien certain qu'une gestion de fait soit caractérisée par le maniement de deniers publics" ; qu’elle estime que la CRC a commis une erreur d’appréciation en étendant la déclaration de gestion de fait à l’encontre de Mme X à la période qui a suivi son départ de la direction de l’OBTC ;

Attendu que le jugement de la CRC ne repose aucunement sur le fondement de l’absence de mise en concurrence au moment de la signature des marchés passés par l’OBTC avec la société ATR05 ; que le contrat passé le 1er juillet 2003 entre l’OBTC et la société ATR 05 a été signé lorsque Mme X était encore la directrice de l’OBTC et déjà la gérante de ladite société, fonction qu’elle a continué d’occuper les années suivantes, alors que ce contrat conduisait à la reprise des irrégularités ; qu’il a été démontré en effet que Mme X ne pouvait ignorer l’irrégularité de l’encaissement de recettes publiques sur des comptes bancaires alors qu’elle avait eu connaissance, lorsqu’elle était directrice de l’OBTC du projet de création d’une régie de recettes et d’avances pour gérer les activités de la centrale de réservation ; que la CRC n’a donc commis aucune erreur d’appréciation en attrayant Mme X à la gestion de fait au-delà de la période à laquelle elle a cessé ses fonctions de directrice de l’OBTC ; que ce moyen est inopérant ;

Attendu qu’une déclaration de gestion de fait n'a pour but que de régulariser une comptabilité exercée en dehors de la caisse publique et de la compétence du comptable public ; qu’ainsi le fait d'être attrait à une gestion de fait n’emporte pas automatiquement soupçon de détournement de fonds ou d’enrichissement personnel ; que seul l'examen du compte de la gestion de fait permettra de déterminer si des fonds par nature publics ont été utilisés à d'autres fins que l'intérêt public ; qu’en tout état de cause, si d'éventuels détournements ou enrichissements personnels venaient à être suspectés, il n'appartiendrait pas au juge des comptes de se prononcer ; que la demande du requérant de constater l'absence d'enrichissement personnel et de relaxation de tous chefs d'accusation ne peut ainsi être accueillie ; qu’il en va de même de la demande de condamnation de l’Etat à lui payer une somme de 5 000 € au titre des frais exposés non compris dans les dépens et aux entiers dépens d'instance ;

 

  1. Sur la qualité de comptable de fait de M. Y

Attendu que le jugement entrepris a déclaré M. Y gestionnaire de fait en sa qualité de responsable des recettes et des dépenses de l'OBTC entre le 1er novembre 2003 et le 19 mai 2006, période pendant laquelle l'OBTC a géré directement la centrale de réservation au moyen d'un compte bancaire courant ouvert au Crédit Agricole ;

Attendu que M. Y conteste avoir été gestionnaire de fait car il estime que "sa participation à la gestion de la centrale de réservation s'est inscrite dans un système de gestion de fait mis en œuvre dès 1999 dont il n'est ni l'initiateur et surtout n'a pas pris la responsabilité de les ordonner ou de les couvrir de son autorité » ; qu’il se présente comme un « préposé de l'OBTC » sous la dépendance hiérarchique de M. A; qu’il sollicite de la Cour d’annuler le jugement en ce qu'elle l’a déclaré comptable de fait des deniers de l'OBTC, de constater qu’il n'a été qu'un préposé exécutant de la gestion de fait organisée et mise en œuvre par M. A et, à titre subsidiaire, de le faire bénéficier d'une amende minorée au regard des circonstances ;

Attendu que, tout en se présentant comme « un simple exécutant non qualifié », M. Y, chargé des affaires courantes et des affaires générales de l’OBTC en vertu d’une délibération de l’Office de 2003 a reçu du président de ce dernier une large délégation pour accomplir des actes relevant de l’ordonnateur ; que M. Y reconnaît ainsi avoir pris l'initiative d'ouvrir un compte bancaire « face à l'inertie de sa hiérarchie pour créer la régie d'avances et de recettes » ; que ce seul fait d'avoir ouvert un compte bancaire pour permettre le fonctionnement de la centrale de réservation suffit pour attraire M. Y à la gestion de fait ; qu’en plus M. Y admet dans sa requête avoir été « gestionnaire de fait de brève main », M. A [ayant] « manié de longue main les recettes de la centrale de réservation » ; que, contrairement aux dires de la requête, le juge des comptes ne déclare pas comptables de fait uniquement les personnes qui en auraient été les initiateurs ou qui auraient pris la responsabilité de les ordonner ou de les couvrir de leur autorité ; que le moyen de M. Y n’est donc fondé ni en droit ni en fait et doit être rejeté ;

Attendu que le degré de responsabilité de M. Y sera à apprécier dans la phase suivante de la procédure qui relève de la compétence de la Chambre régionale des comptes, notamment lorsqu'il lui reviendra de prononcer éventuellement des amendes pour gestion de fait ; que la demande de bénéficier d’une amende minorée est donc irrecevable à ce stade de la procédure ;

Par ces motifs,

DECIDE :

Article unique – Les requêtes de Mme X, de M. Z et de M. Y sont rejetées.

 

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Fait et jugé en la Cour des comptes, quatrième chambre, première section. M. Jean-Philippe VACHIA, président de chambre, présidant la séance ; Mme Anne FROMENT-MEURICE, présidente de chambre maintenue en activité, MM. Jean-Pierre LAFAURE, Franc-Gilbert BANQUEY, Jean-Yves BERTUCCI, conseillers maîtres et Mme Isabelle LATOURNARIE-WILLEMS, conseillère maître.

En présence de Mme Marie-Noëlle TOTH, greffière de séance.

 

 

 

 

Marie-Noëlle TOTH

 

 

 

 

 

Jean-Philippe VACHIA

 

 

 

Conformément aux dispositions de l’article R. 142-16 du code des juridictions financières, les arrêts prononcés par la Cour des comptes peuvent faire l’objet d’un pourvoi en cassation présenté, sous peine d’irrecevabilité, par le ministère d’un avocat au Conseil d’État dans le délai de deux mois à compter de la notification de l’acte. La révision d’un arrêt ou d’une ordonnance peut être demandée après expiration des délais de pourvoi en cassation, et ce dans les conditions prévues à l’article R. 142-15-I du même code.

 

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