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QUATRIEME CHAMBRE

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Première section

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Arrêt n° S 2016-3859

 

Audience publique du 1er décembre 2016

 

Prononcé du 15 décembre 2016

 

ÉCOLE NATIONALE SUPÉRIEURE DES OFFICIERS DE SAPEURS-POMPIERS

(ENSOSP)

 

 

Exercice 2012

 

 

Rapport n° R-2016-1323

 

 

 

République Française,

Au nom du peuple français,

 

La Cour,

 

 

Vu le réquisitoire n° 2016-20 RQ-DB en date du 21 mars 2016 par lequel le Procureur général près la Cour des comptes a saisi la quatrième chambre de la Cour des comptes de présomptions de charges en vue de la mise en jeu de la responsabilité personnelle et pécuniaire de M. X, comptable de l’École nationale supérieure des officiers de sapeurs-pompiers (ENSOSP), au titre d’opérations relatives à l’exercice 2012, notifié le 7 juillet 2016 respectivement au comptable et au directeur de l’ENSOSP ;

Vu les comptes rendus en qualité de comptable de l’École nationale supérieure des officiers de sapeurs-pompiers (ENSOSP) par M. X, du 1er janvier au 31 décembre 2012 ;

Vu les justifications produites au soutien du compte en jugement ;

Vu les pièces de la procédure suivie, ensemble les pièces communiquées pendant l’instruction et versées au dossier, notamment le courrier électronique de M. X en date du 13 septembre 2016, transmettant à la Cour sa réponse au réquisitoire ;

Vu le code des juridictions financières ;

Vu l’article 60 de la loi de finances n° 63-156 du 23 février 1963, dans sa rédaction issue de l’article 90 de la loi n° 2011-1978 du 28 décembre 2011 de finances rectificative pour 2011 ;

Vu le décret n° 62-1587 du 29 décembre 1962 portant règlement général sur la comptabilité publique, en vigueur au moment des faits ;

Vu le décret n° 2012-1386 du 10 décembre 2012 portant application du deuxième alinéa du VI de l’article 60 de la loi de finances de 1963 modifié, dans sa rédaction issue de l’article 90 de la loi n° 2011-1978 du 28 décembre 2011 de finances rectificative pour 2011 ;

Vu l’instruction codificatrice n° 11-017 B du 22 août 2011 relative à la nomenclature des pièces justificatives des dépenses de l’Etat ;

Vu le rapport de M. Thibault DELOYE, conseiller référendaire ;

Vu les conclusions du Procureur général n° 768 du 21 novembre 2016 ;

Entendu, lors de l'audience de ce jour, M. Thibault DELOYE, en son rapport, M. Christian MICHAUT, avocat général, en les conclusions du ministère public,
M. X, présent, ayant eu la parole en dernier ;

Entendu en délibéré Mme Isabelle LATOURNARIE-WILLEMS, conseillère maître, en ses observations ;

Sur la présomption de charge soulevée à l’encontre de M. X au titre de l’exercice 2012 

Attendu que par le réquisitoire susvisé, le Procureur général a saisi la quatrième chambre de la Cour des comptes de la responsabilité encourue par M. X à raison du paiement en 2012, dans le cadre d’un marché à procédure adaptée de formation de sapeurs-pompiers, de deux mandats n° 1 759 pour 26 312 € et n° 4 411 pour 9 728,06 €, sans s’être assuré que les pièces en sa possession étaient celles requises par la nomenclature ni qu’elles étaient complètes, précises et cohérentes au regard de la nature de la dépense ; que, ce faisant, M. X aurait manqué à son obligation de contrôle de la validité de la créance, lequel porte notamment sur l’exactitude des calculs de liquidation et la production des justifications ;

Sur le mandat n° 1 759

Sur l’existence d’un manquement

Attendu que M. X a procédé au paiement du mandat n° 1 759 pour un montant de 26 312 €, en règlement d’une formation correspondant au lot n° 1 du marché susmentionné, relatif à la formation initiale des lieutenants sapeurs-pompiers volontaires, en l’absence de facture et de justification du montant facturé, et sans relever de discordance entre le montant des prestations prévues dans l’acte d’engagement, le montant du titre exécutoire joint au mandat et le montant indiqué dans le bordereau de prix également joint au mandat ;

Attendu que le comptable fait valoir que le fournisseur, le SDIS du Haut-Rhin, étant un établissement public, la production d’une facture n’était pas obligatoire, et que la production d’un titre accompagné des pièces justificatives de présence, assortie de la possibilité de consulter les pièces du marché en mode dématérialisé, permettaient de justifier suffisamment la somme à payer ; qu’il précise que l’ensemble des marchés et leur suivi étaient dématérialisés et accessibles dans un répertoire commun ; que, s’il reconnaît une inversion des bordereaux de prix entre les lots n° 1 et 4 dans les liasses du mandat, il soutient que le contrôle a bien été fait sur la base du bordereau de prix du lot n° 1 correspondant à la prestation objet de la dépense ; qu’il souligne que le montant du titre émis par le fournisseur était en tout état de cause inférieur au montant prévu au marché, et que s’il y a eu une erreur dans la liquidation de la dépense, elle s’est faite aux dépens du fournisseur et non de l’ENSOSP, dans la mesure où les frais de logistique engagés par le SDIS du Haut-Rhin auraient dû être supérieurs à ceux payés par l’ENSOSP ; qu’il fait état du remplissage correct de la fiche de suivi des marchés ; que, pour soutenir que le manquement n’est pas avéré, il fait valoir que l’absence de la facture ou du bordereau de prix joints au mandat ne présume pas de l’absence de contrôle de la part de l’agent comptable ;

 

Attendu qu’à l’audience, M. X n’a pas contesté que certaines pièces qui auraient dû être jointes au mandat ne l’avaient pas été ; qu’il a confirmé que le contrôle des pièces à l’appui des mandats émis par l’ordonnateur de l’ENSOSP se faisait sous format dématérialisé lors du paiement ;

Attendu que dans ses conclusions, le Procureur général fait valoir que le marché prévoyait la production de la facture à l’appui du mandat ; que, dès lors, il considère qu’en payant la prestation en l’absence de facture, le comptable n’a pas exercé le contrôle des justifications contractuellement exigibles ; qu’il estime en outre que le comptable confirme l’existence d’une erreur de liquidation ;

Attendu qu’en vertu de l’article 13 du décret du 29 décembre 1962 susvisé, le contrôle de la validité de la créance exercé par le comptable public porte notamment sur l’exactitude des calculs de liquidation et la production des justifications ;

Attendu, d’une part, qu’en vertu de l’instruction codificatrice n° 11-017-B du 22 août 2011 susvisée, applicable à l’ENSOSP, le mandat de paiement devait notamment être accompagné de l’ensemble des pièces auxquelles il était fait référence dans les pièces en possession du comptable ; que, quand bien même les personnes publiques telles que le fournisseur de l’ENSOSP sont dispensées de l’obligation d’établir une facture, il ressort des pièces du dossier que tant le bon de commande n° 2011-1059, annexé au mandat en cause, que l’article 17 du cahier des clauses particulières valant acte d’engagement pour le lot n° 1, joint au mandat, prévoyaient la production d’une facture avant le paiement ; que dès lors, en payant la prestation en l’absence de facture, le comptable n’a pas exercé le contrôle des justifications exigibles en vertu du contrat comme des dispositions susmentionnées de l’instruction codificatrice du 22 août 2011 ; que, par suite, M. X a engagé sa responsabilité au sens des dispositions susvisées de l’article 60 de la loi du 23 février 1963 ; qu’en tout état de cause, la faculté de consulter les pièces en format dématérialisé mise en avant par M. X est sans effet sur la réalité du manquement ; que si le comptable indique que l’absence de facture et de bordereau de prix ne présume pas de l’absence de contrôle de l’agent comptable, il n’apporte aucune preuve de la consultation effective de ces pièces ; que, dès lors, ces éléments ne peuvent être retenus à décharge ;

Attendu, d’autre part, que le montant des prestations prévues à l’acte d’engagement ne correspond ni au montant indiqué dans le bordereau des prix ni à celui du titre exécutoire, également joints au mandat ; qu’aucun élément ne permet de détailler le calcul du montant porté sur le titre exécutoire joint au mandat ; que le bordereau des prix annexé n’est pas celui du lot n° 1, mais celui du lot n° 4 du marché n° 2011-06 ; qu’il suit de là que le comptable ne s’est pas assuré de l’exactitude des calculs de liquidation de la créance au moment du paiement et qu’il disposait au surplus de pièces incohérentes entre elles ; que, dès lors, en procédant à ce paiement, M. X a manqué à ses obligations résultant des dispositions du décret du 29 décembre 1962 susvisé ;

Sur le préjudice financier

Attendu que le comptable fait valoir que, dans la mesure où la vérification du décompte résultant des pièces de présence permet d’établir que la dépense payée est inférieure au bordereau de prix et au lot n° 1 du marché, l’ENSOSP n’a pas subi de préjudice du fait de son manquement ;

Attendu que dans ses conclusions, le Procureur général considère que les manquements du comptable n’ont pas causé de préjudice financier à l’ENSOSP ; qu’il soutient que l’insuffisance des justifications, d’une part, et l’inexactitude des calculs de liquidation, d’autre part, entachant le paiement du mandat litigieux, constituent deux manquements distincts, dont chacun est susceptible de fonder la mise à la charge de M. X d’une somme non rémissible ;

Attendu que la dépense en cause correspond à une prestation dont la réalité est établie par les pièces jointes au mandat ; que cette dépense a été payée dans le cadre d’un marché dûment conclu avant la réalisation de la prestation, et pour lequel un bon de commande a été préalablement émis ; que la prestation est conforme au marché ; que le prestataire qui l’a effectuée est bien celui désigné par le marché ; que le montant acquitté est inférieur au montant théorique prévu dans le marché ;

Attendu en outre qu’il ressort tant des pièces produites par le comptable dans sa réponse que de ses déclarations à l’audience que la somme acquittée par l’ENSOSP était inférieure à celle que cette dernière aurait dû verser au service départemental d’incendie et de secours (SDIS) du Haut-Rhin, en application des stipulations contractuelles ;

Attendu dès lors que les manquements du comptable n’ont pas causé de préjudice financier à l’ENSOSP ;

Attendu qu’aux termes du deuxième alinéa du VI de l’article 60 de la loi du 23 février 1963 susvisée, « lorsque le manquement du comptable (…) n’a pas causé de préjudice financier à l’organisme public concerné, le juge des comptes peut l’obliger à s’acquitter d’une somme arrêtée, pour chaque exercice, en tenant compte des circonstances de l’espèce » ; que le décret du 10 décembre 2012 susvisé fixe le montant maximal de cette somme à un millième et demi du montant du cautionnement prévu pour le poste comptable ;

Attendu qu’il résulte des dispositions précitées qu’en cas de pluralité de manquements, le juge des comptes a la faculté d’arrêter plusieurs sommes non rémissibles sur un même exercice contrôlé et que leur montant cumulé n’est pas affecté par le niveau du plafonnement prévu par le législateur ; qu’en l’espèce, l’insuffisance des justifications, d’une part, et le défaut de contrôle de l’exactitude des calculs de liquidation, d’autre part, constituent deux manquements distincts ;

Attendu que le montant du cautionnement prévu pour le poste comptable considéré pour l’exercice 2012 est fixé à 196 400  ; qu’ainsi le montant maximum de la somme susceptible d’être mise à la charge de M. X s’élève à 294,60 € pour chaque manquement ;

Attendu que eu égard aux circonstances, il y a lieu d’arrêter cette somme à 160 € pour chacun des deux manquements relevés ;

Sur le mandat n° 4 411

Sur l’existence d’un manquement

Attendu que M. X a procédé au paiement du mandat n° 4 411 pour un montant de 9 728,06  en règlement d’une formation organisée les 15 et l6 mai 2012, correspondant au lot n° 11 du marché susmentionné, en l’absence, à l’appui du mandat, des pièces contractuelles modifiées par avenant du 27 février 2012, notamment le cahier des clauses techniques particulières et le scénario pédagogique de formation ;

Attendu que le comptable fait valoir que l’avenant mentionne une durée de formation conforme au bon de commande et au mandat ; qu’il produit la copie du cahier des clauses techniques particulières et du scénario pédagogique de la formation correspondant au lot n° 11, tels qu’ils résultent de l’avenant ; qu’il estime dès lors que le paiement effectué conformément à l’avenant et au scénario pédagogique n’est pas irrégulier ; qu’il soutient au surplus que « l’absence des pièces justificatives citées du mandat communiqué à la Cour des comptes ne saurait présumer de l’absence de visa réalisé à l’ENSOSP à partir des pièces dématérialisées depuis 2010 » ;

Attendu qu’à l’audience, M. X a expliqué la réduction de la durée de la formation par la volonté de l’ENSOSP de réduire le coût logistique des stages ;

Attendu que dans ses conclusions, le Procureur général fait valoir que si une partie des pièces manquantes a été produite en réponse au réquisitoire, continuent néanmoins de faire défaut un document contractuel modifiant la durée de la formation ainsi qu’un bon de commande signé, qu’exigeait pourtant le cahier des clauses particulières ;

Attendu qu’en vertu de l’article 13 du décret du 29 décembre 1962 susvisé, le contrôle de la validité de la créance exercé par le comptable public porte notamment sur l’exactitude des calculs de liquidation et la production des justifications ; qu’en vertu de l’instruction codificatrice n° 11-017-B du 22 août 2011 susvisée, le mandat de paiement devait notamment être accompagné de l’ensemble des pièces auxquelles il était fait référence dans les pièces en possession du comptable ;

Attendu que les articles 8.2 et 8.3 du cahier des clauses particulières valant acte d’engagement pour le lot n° 11 , annexé au mandat, prévoyaient que le marché s’exécuterait au moyen de l’émission de bons de commande successifs adressés au minimum 40 jours avant le début de la prestation, et que seraient notamment indiqués sur les bons de commande « les noms et signature de la personne habilitée à signer les bons de commande » ; que, cependant, il ressort des pièces du dossier que le bon de commande relatif au paiement en cause et joint au mandat n° 4 411 n’était pas signé ; qu’ainsi, le comptable a payé au vu de pièces qui ne lui permettaient pas d’attester de la validité de la créance ; que, dès lors, en procédant à ce paiement, M. X a manqué à ses obligations résultant des dispositions du décret du 29 décembre 1962 susvisé ;

Sur le préjudice financier

Attendu que le comptable fait valoir que, faute de manquement, le préjudice financier n’est pas établi ;

Attendu que dans ses conclusions, le Procureur général considère que le manquement du comptable n’a pas causé de préjudice financier à l’ENSOSP ;

Attendu que quand bien même elle correspondait à une prestation dont la réalité est établie par les pièces jointes au mandat, la dépense, en l’absence de bon de commande signé de l’ordonnateur, doit être considérée comme indue ; que, dès lors, ce manquement a causé à l’ENSOSP un préjudice financier, au sens des dispositions du troisième alinéa du VI de l’article 60 de la loi du 23 février 1963 susvisée ;

Attendu qu’aux termes du même article, « lorsque le manquement du comptable (…) a causé un préjudice financier à l’organisme public concerné, le comptable a l’obligation de verser immédiatement de ses deniers personnels la somme correspondante » ; qu’ainsi, il y a lieu de constituer M. X débiteur de l’École nationale supérieure des officiers de sapeurs-pompiers (ENSOSP) pour la somme de 9 728,06  ;

Attendu qu’aux termes du VIII de l’article 60 de la loi du 23 février 1963 susvisée, « les débets portent intérêt au taux légal à compter du premier acte de la mise en jeu de la responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables publics » ; qu’en l’espèce, cette date est le 7 juillet 2016, date de réception par M. X du réquisitoire susvisé ;

Attendu qu’il ne résulte pas de l’instruction que l’ENSOSP ait mis en place un contrôle sélectif des dépenses au cours de l’exercice 2012 ;

 

DÉCIDE :

Article 1er : M. X devra s’acquitter d’une somme non rémissible de 160 €, en application du deuxième alinéa du VI de l’article 60 de la loi n° 63-156 du 23 février 1963, au titre de chacun des deux manquements commis lors du paiement du mandat n° 1 759 de l’exercice 2012 ; cette somme ne peut faire l’objet d’une remise gracieuse en vertu du IX de l’article 60 précité.

Article 2 : M. X est constitué débiteur de l’École nationale supérieure des officiers de sapeurs-pompiers (ENSOSP) au titre de l’exercice 2012, pour la somme de 9 728,06 €, augmentée des intérêts de droit à compter du 7 juillet 2016.

Article 3 : Aucun plan de contrôle sélectif des dépenses n’a été produit pour l’exercice 2012.

Article 4 : La décharge de M. X pour la période du 1er janvier au 31 décembre 2012 ne pourra être donnée qu’après apurement des sommes à acquitter et du débet, fixés respectivement aux articles 1er et 2 ci-dessus.

Fait et jugé par M. Yves ROLLAND, président de section, président de séance ;
MM. Noël DIRICQ, Francis CAHUZAC, Olivier ORTIZ, conseillers maîtres
et Mme Isabelle LATOURNARIE-WILLEMS, conseillère maître.

 

En présence de Mme Marie-Hélène PARIS-VARIN, greffière de séance.

 

 

 

 

 

 

 

 

Marie-Hélène PARIS-VARIN

 

 

 

 

 

 

 

Yves ROLLAND

 

 


 

En conséquence, la République française mande et ordonne à tous huissiers de justice, sur ce requis, de mettre ledit arrêt à exécution, aux procureurs généraux et aux procureurs de la République près les tribunaux de grande instance d’y tenir la main, à tous commandants et officiers de la force publique de prêter main-forte lorsqu’ils en seront légalement requis.

 

 

Conformément aux dispositions de l’article R. 142-16 du code des juridictions financières, les arrêts prononcés par la Cour des comptes peuvent faire l’objet d’un pourvoi en cassation présenté, sous peine d’irrecevabilité, par le ministère d’un avocat au Conseil d’État dans le délai de deux mois à compter de la notification de l’acte. La révision d’un arrêt ou d’une ordonnance peut être demandée après expiration des délais de pourvoi en cassation, et ce dans les conditions prévues au I de l’article R. 142-15 du même code.

 

 

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