QUATRIÈME CHAMBRE ------- Première section ------- Arrêt n° S 2016-2429
Audience publique du 7 juillet 2016
Prononcé du 21 juillet 2016 | Commune de RISOUL (Hautes-Alpes)
Appel d’un jugement de la chambre régionale des comptes de Provence-Alpes-Côte d’Azur
Rapport n° R 2016-0683
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République Française,
Au nom du peuple français,
La Cour,
Vu la requête enregistrée le 3 février 2015 au greffe de la chambre régionale des comptes de Provence-Alpes-Côte d’Azur, par laquelle le procureur financier près cette chambre a interjeté appel du jugement n° 2014-0021 du 4 décembre 2014 par lequel ladite chambre a mis à la charge de M. X, comptable de la commune de Risoul, une somme non rémissible de 150 € (charge n° 1) , pour avoir pris en charge en 2009 un mandat d’annulation d’un titre de recettes d’un montant de 4 741,17 €, en l’absence des pièces justificatives requises ;
Vu le mémoire en défense de M. X, en date du 2 mars 2015 ;
Vu le réquisitoire du Procureur général près la Cour des comptes n° 2015-44 du 5 juin 2015, transmettant à la Cour la requête précitée et le dossier de l’appel ;
Vu les pièces de la procédure suivie en première instance, notamment le réquisitoire du procureur financier près la chambre régionale de Provence-Alpes-Côte d’Azur n° 2014-0021 du 3 juillet 2014 ;
Vu le code des juridictions financières ;
Vu le code général des collectivités territoriales, notamment son article D. 1617-19 ;
Vu l’article 60 de la loi de finances n °63-156 du 23 février 1963 modifiée ;
Vu le décret n °62-1587 du 29 décembre 1962 portant règlement général sur la comptabilité publique, en vigueur au moment des faits ;
Vu le décret n°2012-1386 du 10 décembre 2012 portant application du VI de l’article 60 de la loi de finances de 1963 modifiée, dans sa rédaction issue de l’article 90 de la loi n° 2011-1978 du 28 décembre 2011 de finances rectificative pour 2011 ;
Vu le rapport de Mme Marie-Aimée GASPARI, conseillère référendaire ;
Vu les conclusions n° 434 du 30 juin 2016 du Procureur général ;
Entendus, lors de l’audience publique du 7 juillet 2016, Mme GASPARI, en son rapport, M. Christian MICHAUT, avocat général, en les conclusions du ministère public ;
Entendue en délibéré Mme Anne FROMENT-MEURICE, présidente de chambre maintenue en activité, en ses observations ;
Attendu que, par le jugement entrepris, la chambre régionale des comptes de Provence-Alpes-Côte d’Azur a mis à la charge de M. X une somme non rémissible de 150 €, pour avoir pris en charge le mandat de paiement n° 1834 du 14 décembre 2009 d’un montant de 4 741,17 € annulant le titre n° 374 du 30 octobre 2000 d’un même montant émis à l’encontre du comité des fêtes de Risoul, en l’absence des pièces justificatives prévues par la règlementation ;
Attendu que le procureur financier appelant demande à la Cour d’annuler le jugement entrepris, en premier lieu en invoquant une insuffisance de motivation, la chambre régionale des comptes ayant omis de citer et discuter certains de ses arguments , puis en tant « qu’il n’a pas considéré que le mandat d’annulation d’un titre de recette n’avait pas du fait des manquements du comptable à ses obligations de contrôle conduit à un préjudice financier pour la commune de Risoul » ;
Sur la régularité du jugement
Attendu que l’appelant reproche à la chambre d’avoir rejeté, sans le discuter, le moyen selon lequel la responsabilité personnelle et pécuniaire du comptable pouvait être mise en jeu sur le fondement de l’irrégularité de la prise en charge du mandat d’annulation du titre de recettes, cette annulation non justifiée faisant disparaître un titre et établissant ainsi l’existence d’un préjudice causé à la collectivité ; que l’appelant soutient par ailleurs que la chambre n’a pas discuté un autre argument relatif à l’existence d’un préjudice financier selon lequel une transaction, qui comporte nécessairement des concessions réciproques entre les parties, impliquait pour la commune de ne pas être indemnisée de la totalité du montant dû ; que le parquet général, dans ses conclusions susvisées, conclut à l’annulation du jugement pour les mêmes motifs ;
Attendu qu’aux termes du deuxième alinéa de l’article R. 242-10 du code des juridictions financières, « le jugement, motivé, statue sur les propositions du rapporteur, les conclusions du ministère public et les observations des autres parties » ;
Attendu que la chambre régionale des comptes expose précisément dans son jugement le manquement relevé par le ministère public dans son réquisitoire susceptible de conduire à l’engagement de la responsabilité personnelle et pécuniaire du comptable, en l’espèce la prise en charge d’un mandat en l’absence des pièces justificatives exigées par la règlementation ; que le ministère public considérait que soit, compte tenu de son imputation au compte 673 « annulation ou réduction de recettes », le mandat portait sur une annulation ou une réduction de recettes et l’état précisant l’erreur commise requis par l’article D.1617-19 susvisé du code général des collectivités territoriales faisait défaut ; soit il s’agissait d’un paiement sur transaction, dans la mesure où était jointe au mandat une transaction entre le comité des fêtes et la commune de Risoul et la décision de l’assemblée délibérante autorisant la transaction aurait dû être produite, en application de l’article D.1617-19 précité ; que dans les deux cas, il relevait l’obligation pour le comptable de suspendre le paiement ;
Attendu de même que le jugement cite les conclusions du ministère public qui, en l’absence de contestation de la part du comptable, considèrent que l’engagement de sa responsabilité peut être fondé sur la prise en charge d’un mandat d’annulation de titre de recettes à défaut de la pièce justificative requise, tout en n’excluant pas que l’opération puisse être analysée en une transaction injustifiée ;
Attendu que si la chambre régionale affirme dans son jugement que la responsabilité du comptable est mise en jeu « sans ambiguïté » sur le fondement d’une dépense qui aurait été irrégulièrement payée et non pas pour une recette qui n’aurait pas été recouvrée, il ne saurait être conclu à une insuffisance de motivation, dès lors que la chambre justifie les raisons pour lesquelles elle est amenée à considérer que l’opération en cause doit s’analyser en une transaction et non en une annulation de titre, répondant ainsi aux conclusions du ministère public qui ne prenaient pas position sur la solution à retenir ; qu’en effet, le jugement précise « que le mandat qu’on lui reproche d’avoir pris en charge n’a pas fait l’objet d’un paiement mais d’une opération d’ordre car en contrepartie de sa prise en charge au débit d’un compte budgétaire, il n’y a pas eu décaissement mais apurement du compte de tiers où figurait le reste à recouvrer ; que, cependant, l’opération en cause ne correspond pas à une annulation de titre mais à une compensation légale effectuée entre un paiement qui devait être fait à la contrepartie pour acquérir ses matériels et un encaissement lui permettant de solder sa dette (..) ; que cette opération devait être autorisée par le conseil municipal car elle découlait d’une transaction » ; qu’en l’état de cette motivation, il ne saurait être reproché à la chambre une argumentation insuffisante en réponse aux fondements juridiques exposés dans le réquisitoire et les conclusions du ministère public, de nature à pouvoir engager la responsabilité personnelle et pécuniaire du comptable ;
Attendu qu’en outre l’appelant considère que la chambre a omis de discuter l’un de ses arguments relatifs à l’existence d’un préjudice financier ; que le procureur financier avançait en effet qu’une transaction obligeant à des concessions réciproques, la commune ne pouvait logiquement être indemnisée de la totalité du montant dû ;
Attendu que si l'élément susmentionné n’a pas été formellement exposé par la chambre lors du rappel des conclusions du ministère public, le jugement souligne que si elle est équitable, une transaction ne crée pas a priori de préjudice ; que cette mention, certes succincte, constitue bien un rejet de l’argument invoqué par le ministère public ;
Attendu que l’obligation de motivation n’exige pas la reprise littérale de chacun des éléments présentés par le ministère public ; que le jugement s’est attaché à présenter et à discuter l’ensemble des éléments contenus dans les conclusions du ministère public ; qu’il ne saurait ainsi lui être reproché de manquer en motivation ; que par suite, ce moyen est à écarter ;
Sur le fond
Attendu qu’il peut être compris des conclusions précitées de la requête de l’appelant, que la Cour, saisie par l’effet dévolutif de l’appel, est appelée à infirmer le jugement entrepris, en tant qu’il a décidé que les manquements du comptable à ses obligations de contrôle pour la prise en charge du mandat litigieux (charge n°1) n’avaient pas causé de préjudice à la commune de Risoul ;
Attendu que la chambre ayant décidé d’analyser la responsabilité du comptable, à partir de la pièce produite à l’appui du mandat litigieux, soit la transaction, ainsi que l’envisageait aussi le ministère public dans son réquisitoire, l’appelant considère que l’absence de la délibération du conseil municipal autorisant « la transaction », qui constitue le manquement retenu par le jugement entrepris, invalidait cette « transaction » et que la perte de recette résultant de la « transaction » constituait un préjudice financier pour la commune, appauvrie par la perte de créance ; qu’il ajoute que la transaction ne précisait, ni ne valorisait le matériel remis en contrepartie de l’extinction de la créance ; qu’enfin, selon le procureur financier, une transaction impliquant par nature des concessions réciproques, emporte intrinsèquement l’existence d’un préjudice financier ;
Attendu que la chambre régionale des comptes a jugé que le préjudice financier n’était pas certain dès lors que la perte de recette aux dépens de la commune était compensée par du matériel d’animation ; que le comptable fait valoir également, dans son mémoire en défense susvisé, que le préjudice financier qu’aurait causé à la commune l’absence de délibération à l’appui de la transaction jointe au mandat présente un caractère incertain puisque la perte de recette aux dépens de la commune a été compensée par du matériel d’animation ;
Attendu cependant qu’en l’absence de décision prise par l’assemblée délibérante de la commune, seule autorité compétente pour autoriser la transaction, à défaut de délégation de compétence à l’ordonnateur en ce domaine, celle-ci était dépourvue de base juridique ; qu’en conséquence, la dépense en résultant présente un caractère irrégulier et indu et doit être regardée comme préjudiciable à la collectivité ; que dès lors la chambre a commis une erreur de droit en considérant qu’il n’a pas été causé de préjudice financier à la commune de Risoul ; que par suite, le moyen de l’appelant doit être accueilli et le jugement entrepris infirmé, en tant qu’il a mis à la charge du comptable une somme non rémissible au titre de la charge n° 1 ;
Attendu que par l’effet dévolutif de l’appel, il revient à la Cour de se prononcer sur les suites à donner à la mise en jeu de la responsabilité personnelle et pécuniaire de M. X; que, compte tenu du caractère indu du paiement, il y a lieu de constituer M. X débiteur envers la commune de Risoul de la somme de 4 741,17 euros au titre de l’exercice 2009, assortie d’intérêts aux taux légal à compter du 17 juillet 2014, date de la notification du réquisitoire du procureur financier, premier acte de la mise en jeu de la responsabilité personnelle et pécuniaire du comptable ;
Sur le contrôle sélectif de la dépense
Attendu qu’en application de l’article 60 modifié de la loi n° 63-156 du 23 février 1963, le juge des comptes doit se prononcer sur le respect du contrôle sélectif de la dépense qui peut constituer une cause de remise gracieuse totale du ministre au comptable ;
Attendu que pour les communes émettant par an entre 500 et 5000 mandats, dont Risoul, le contrôle des dépenses du référentiel indicatif se fait par sondage : 100 % des dépenses supérieures à 1 000 € et 5 % des dépenses inférieures à ce seuil ;
Attendu que l’extraction Hélios figurant au dossier concernant le mandat litigieux comporte un marquage négatif ; que le comptable n’a pas été en mesure d’expliquer ce marquage alors même que le mandat aurait dû être visé ; que dès lors les dispositions du plan de contrôle hiérarchisé de la dépense n’ont pas été respectées ;
Par ces motifs,
DECIDE :
Article 1er : Les moyens du procureur financier tendant à l’annulation du jugement de la chambre régionale des comptes Provence-Alpes-Côte d’Azur n° 2014-0021 du 4décembre2014 sont rejetés ;
Article 2 : Le jugement de la chambre régionale des comptes Provence-Alpes-Côte d’Azur n° 2014-0021 du 4 décembre 2014 est infirmé dans ses dispositions relatives à la charge n°1, en ce qu’il ne retient pas l’existence d’un préjudice financier causé à la commune de Risoul à raison du manquement dont M. X a été jugé responsable ;
Article 3 : M. X est constitué débiteur envers la commune de Risoul à hauteur de 4 741,17 euros au titre de l’exercice 2009, cette somme portant intérêts au taux légal à compter du 17 juillet 2014 (charge n° 1) ;
Article 4 : Le plan de contrôle hiérarchisé de la dépense n’a pas été respecté.
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Fait et jugé en la Cour des comptes, quatrième chambre, première section. Présents : M. Yves ROLLAND, président de section, président de la formation , Mme Anne FROMENT-MEURICE, présidente de chambre maintenue en activité, MM. Gérard GANSER, Jean-Pierre LAFAURE, Jean-Yves BERTUCCI, Mme Isabelle LATOURNARIE-WILLEMS, conseillers maîtres.
En présence de Mme Marie-Hélène PARIS-VARIN, greffière de séance.
Marie-Hélène PARIS-VARIN
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Yves ROLLAND
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En conséquence, la République française mande et ordonne à tous huissiers de justice, sur ce requis, de mettre ledit arrêt à exécution, aux procureurs généraux et aux procureurs de
la République près les tribunaux de grande instance d’y tenir la main, à tous commandants et officiers de la force publique de prêter main-forte lorsqu’ils en seront légalement requis.
Conformément aux dispositions de l’article R. 142-16 du code des juridictions financières, les arrêts prononcés par la Cour des comptes peuvent faire l’objet d’un pourvoi en cassation présenté, sous peine d’irrecevabilité, par le ministère d’un avocat au Conseil d’État dans le délai de deux mois à compter de la notification de l’acte. La révision d’un arrêt ou d’une ordonnance peut être demandée après expiration des délais de pourvoi en cassation, et ce dans les conditions prévues au paragraphe I de l’article R. 142-15 du même code.
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