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QUATRIÈME CHAMBRE

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Première section

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Arrêt n° S 2016-2434 rectifié

 

Audience publique du 7 juillet 2016

 

Prononcé du 21 juillet 2016

 

COMMUNE DE RAUVILLE-LA-BIGOT

(MANCHE)

 

Appel d’un jugement de la chambre régionale

des comptes de Basse-Normandie, Haute-Normandie

 

Rapport n° R 2016-0793

 

 

 

 

République Française,

Au nom du peuple français,

 

La Cour,

 

Vu le jugement n° 2015-0008 du 9 juillet 2015 de la chambre régionale des comptes de Basse-Normandie, Haute-Normandie rendu sur les comptes de M. X et Mme Y, comptable et comptable intérimaire de la commune de Rauville-la-Bigot, successivement en fonctions du 1er janvier au 4 septembre 2012 puis du 5 septembre au 31 décembre 2012  ;

Vu la requête, enregistrée le 16 septembre 2015 au greffe de la chambre régionale des comptes de Basse-Normandie, Haute-Normandie, par laquelle le procureur financier près cette juridiction, a interjeté appel de la partie des dispositions définitives du jugement précité concernant M. X;

Vu les pièces de la procédure suivie en première instance, en particulier le réquisitoire n° 2015-004 du 5 janvier 2015, par lequel le procureur financier près la chambre régionale de Basse-Normandie, Haute-Normandie, a saisi ladite chambre en vue de la mise en jeu de la responsabilité personnelle et pécuniaire des deux comptables précités ;

Vu l’article 60 de la loi de finances n  63-156 du 23 février 1963 ;

Vu le décret n° 62-1587 du 29 décembre 1962 modifié portant règlement général sur la comptabilité publique, applicable au moment des faits ;

Vu le code des juridictions financières ;

Vu le code général des collectivités territoriales ;

Vu le rapport de Mme Stéphanie OLTRA-ORO, conseillère référendaire ;

Vu les conclusions du Procureur général n° 437 du 30 juin 2016 ;

Entendus, lors de l’audience publique du 7 juillet 2016, Mme Stéphanie OLTRA-ORO, rapporteure, en son rapport, M. Hervé ROBERT, substitut général, en les conclusions du ministère public ;

Après avoir entendu en délibéré M. Gérard GANSER, conseiller maître, en ses observations ;

Attendu que M. X a payé à un agent communal des heures supplémentaires, de janvier à août 2012, par sept mandats d’un montant total de 889,56 €, sans disposer de toutes les pièces justificatives prévues par la réglementation ;

Attendu que, par jugement n° 20150008 susvisé, la chambre régionale des comptes de Basse Normandie, Haute Normandie, constatant l’existence de circonstances constitutives de la force majeure, en raison de la maladie de M. X, n’a pas mis en jeu la responsabilité personnelle et pécuniaire de ce dernier, en application du V de l’article 60 de la loi du 23 février 1963 susvisée ;

Sur la régularité du jugement

Attendu que dans ses conclusions du 30 juin 2016, le Procureur général observe, à titre liminaire, que « la chambre régionale des comptes a soulevé d’office à tort le moyen de fond de force majeure en l’extrapolant des termes de la réponse du comptable [datée du 31 janvier 2015] qui s’était contenté de mentionner de graves problème de santé tout en assumant sa responsabilité » ; que « sa décision s’est trouvée ainsi viciée, le juge ayant statué ultra petita » ;

Attendu que selon le 1er alinéa du V de l’article 60 de la loi 23 février 1963, « Lorsque […] le juge des comptes constate l’existence de circonstances constitutives de la force majeure, il ne met pas en jeu la responsabilité personnelle et pécuniaire du comptable public » ; que dès lors, en application de la loi, il appartient au juge de constater ou non cette existence à partir des éléments de fait portés à sa connaissance ;

Attendu que le jugement entrepris ne saurait donc être considéré comme irrégulier pour le motif soulevé par le Procureur général ;

Sur les circonstances constitutives de la force majeure

Attendu que, dans sa requête en appel, le procureur financier près ladite chambre demande l’infirmation du jugement entrepris pour ne pas avoir établi que la maladie du comptable était, en l’espèce, une circonstance de force majeure ; qu’il rappelle quun évènement, pour être considéré comme de force majeure, doit posséder trois caractéristiques, à savoir être extérieur, imprévisible et irrésistible ; qu’il relève que le jugement ne se prononce ni sur l’extériorité, ni sur l’imprévisibilité, mais seulement sur l’irrésistibilité ; qu’il conteste le caractère irrésistible de la maladie du comptable ;

Attendu qu’à défaut d’infirmer l’exonération de la responsabilité du comptable pour les paiements des sept mandats litigieux, le procureur financier demande qu’elle le soit au plus pour cinq d’entre eux, deux ayant été payés par M. X alors qu’il était en activité ;

Attendu, comme le fait valoir le requérant, que les congés pour maladie ou pour longue maladie octroyés au comptable n’ont pas interrompu le fonctionnement du poste comptable ; que sa hiérarchie n’a désigné un intérimaire que près de quatre mois après le début de son congé pour longue maladie ; qu’ainsi le caractère d’irrésistibilité n’est, en fait, pas établi ; que par conséquent, il n’y a pas lieu de constater, en droit, l’existence de circonstances constitutives de force majeure exonératoires de responsabilité ;

Attendu que dès lors il convient d’admettre le deuxième moyen de la requête et, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres, d’infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a, à tort, exonéré M. X de sa responsabilité personnelle et pécuniaire en raison de circonstances de force majeure ;

Attendu qu’en raison de l’effet dévolutif de l’appel, il y a lieu de statuer sur le grief du réquisitoire du procureur financier du 5 janvier 2015 visant M. X;

Sur le manquement

Attendu que, selon le I de l’article 60 de la loi du 23 février 1963, les comptables publics sont personnellement et pécuniairement responsables du paiement des dépenses ; qu’ils sont personnellement et pécuniairement responsables des contrôles qu’ils sont tenus d’assurer en ce domaine dans les conditions prévues par le règlement général sur la comptabilité publique ; que leur responsabilité se trouve engagée dès lors qu’une dépense a été irrégulièrement payée ; qu’en vertu de l’article 12 du décret du 29 décembre 1962 portant règlement général sur la comptabilité publique, il incombe aux comptables, en matière de dépenses, d’exercer le contrôle de la validité de la créance ; que l’article 13 de ce même décret précise qu’à cet égard, le contrôle porte notamment sur la production des justifications ;

Attendu que, selon la rubrique 210224 - Indemnités horaires pour travaux supplémentaires de l’annexe I au code général des collectivités locales, le paiement des heures supplémentaires doit être justifié notamment par une « délibération fixant la liste des emplois dont les missions impliquent la réalisation effective d'heures supplémentaires » ; qu’une telle délibération n’a pas été produite à l’appui des paiements litigieux ;

Attendu que le maire de la commune a indiqué que ces travaux supplémentaires avaient fait l’objet d’une délibération verbale ; qu’il a produit une délibération en date du 6 mai 2014 tendant à valider de manière rétroactive les paiements en cause ;

Attendu que ni la délibération verbale alléguée, ni la délibération à valeur rétroactive du 6 mai 2014 ne sauraient se substituer à la délibération prévue à la rubrique 210224 précitée ;

Attendu qu’en payant les sept mandats précités sans disposer de toutes les justifications prévues par la réglementation, le comptable a manqué à ses obligations de contrôle ; qu’il y a lieu par conséquent d’engager sa responsabilité personnelle et pécuniaire ;

Sur le préjudice financier causé par le manquement du comptable

Attendu que le conseil municipal est seul compétent pour instituer un régime indemnitaire au profit d’agents communaux et plus particulièrement, fixer la liste des emplois pour lesquels le paiement d’indemnités horaires pour travaux supplémentaires est autorisé ; qu’à défaut d’une telle délibération, aucune indemnité horaire pour travaux supplémentaires n’était due par la commune ;

Attendu que le comptable et le maire de la commune ont fait valoir que les paiements litigieux n’avaient pas causé de préjudice financier à la commune au motif qu’elle avait préféré demander à un agent communal de faire des heures supplémentaires, à raison d’un alourdissement inhabituel de sa charge de travail, plutôt que de recruter un nouvel agent ;

Attendu que le service fait en contrepartie des indemnités allouées n’est pas contesté ; que toutefois, si le service fait est une condition nécessaire pour qu’un paiement soit dû, ce n’est pas une condition suffisante ;

Attendu par ailleurs que l’existence d’un préjudice financier causé par un manquement du comptable relève de la seule appréciation du juge financier ; que si, au regard du caractère contradictoire de la procédure, il doit tenir compte pour ce faire des dires du comptable ou de l’ordonnateur, il n’est pas tenu par eux ; il n’est pas davantage tenu par un acte de l’organe délibérant postérieur au manquement ;

Attendu qu’il y a lieu, dans ces conditions, de considérer que le paiement par le comptable de sommes non dues par la commune lui a causé un préjudice financier ; qu’ainsi, M. X doit être constitué débiteur de la commune de Rauville-la-Bigot de la somme de 889,56  augmentée des intérêts de droits à compter de la date de la notification du réquisitoire du procureur financier, soit le 9 janvier 2015 ;

Sur le contrôle hiérarchisé de la dépense

Attendu que le poste comptable était doté d’un plan de contrôle hiérarchisé des dépenses de paye, daté du 14 septembre 2010, applicable à l’exercice 2012 ; que ce plan, prévoyait un contrôle « complet » des dépenses du mois de juin ; que le comptable n’a donc pas respecté les règles de contrôle sélectif des dépenses pour le mandat 293 du 19 juin de 127,08  ;

 

 

Par ces motifs,

DECIDE :

Article 1er  Le jugement n° 2015-0008 du 9 juillet 2015 de la chambre régionale des comptes de Basse-Normandie, Haute-Normandie, est infirmé dans ses dispositions relatives à M. X, comptable de la commune de Rauville-la-Bigot du 1er janvier au 4 septembre 2012.

Article 2  M. X est constitué débiteur de la commune de Rauville-la-Bigot pour la somme de 889,56 , avec intérêts de droit à compter du 9 janvier 2015.

Article 3 Pour le paiement du mandat 293 du 19 juin 2012 de 127,08 , M. X n’a pas respecté les règles de contrôle sélectif des dépenses instituées pour l’exercice 2012.

Article 4 – Il est sursis à la décharge de M. X pour sa gestion au cours de l’exercice 2012.

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Fait et jugé en la Cour des comptes, quatrième chambre, première section. Présents : M. Yves ROLLAND, président de section, président de la formation, Mme Anne FROMENT-MEURICE, présidente de chambre maintenue en activité, MM. Gérard GANSER, Jean-Pierre LAFAURE, Jean-Yves BERTUCCI, conseillers maîtres, Mme Isabelle LATOURNARIE-WILLEMS, conseillère maître.

En présence de Mme Marie-Hélène PARIS-VARIN, greffière de séance.

Rectifié le 5 septembre 2016.

 

 

 

 

Marie-Hélène PARIS-VARIN                                     Yves ROLLAND


En conséquence, la République française mande et ordonne à tous huissiers de justice, sur ce requis, de mettre ledit arrêt à exécution, aux procureurs généraux et aux procureurs de
la République près les tribunaux de grande instance d’y tenir la main, à tous commandants et officiers de la force publique de prêter main-forte lorsqu’ils en seront légalement requis.

Conformément aux dispositions de l’article R. 142-16 du code des juridictions financières, les arrêts prononcés par la Cour des comptes peuvent faire l’objet d’un pourvoi en cassation présenté, sous peine d’irrecevabilité, par le ministère d’un avocat au Conseil d’État dans le délai de deux mois à compter de la notification de l’acte. La révision d’un arrêt ou d’une ordonnance peut être demandée après expiration des délais de pourvoi en cassation, et ce dans les conditions prévues au paragraphe I de l’article R. 142-15 du même code.

 

 

 

 

 

 

 

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