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QUATRIÈME CHAMBRE ------- Première section ------- Arrêt n° S 2016-3199
Audience publique du 8 septembre 2016
Prononcé du 13 octobre 2016
| ARRÊTÉS CONSERVATOIRES DE DÉBET INSTITUT FRANÇAIS DE RECHERCHE EN IRAN (IFRI)
Exercices 2009 et 2010
Rapport n° 2016-0892
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République Française,
Au nom du peuple français,
La Cour,
Vu le réquisitoire à fin d’instruction de charges du Procureur général n° 2015-81 RQ-DB du 8 octobre 2015 ;
Vu la notification dudit réquisitoire à M. X, agent comptable de l’institut français de recherche en Iran, qui en a accusé réception le 3 mars 2016 et à
M. Y, directeur de cet institut, qui en a accusé réception le 8 février 2016 ;
Vu les décisions, dites provisoires de charge, du 6 août 2014 et du 18 février 2015, transmises à la Cour par lettre en date du 11 mai 2015, par lequel le trésorier-payeur général pour l'étranger a mis en jeu la responsabilité de M. X, en sa qualité d'agent comptable de l’institut français de recherche en Iran au titre des exercices 2009 et 2010 ;
Vu les bordereaux d’observations et ceux d’injonctions du trésorier-payeur général pour l’étranger chargé de l’apurement des comptes des établissements de diffusion culturelle à l’étranger, ensemble les réponses des comptables et pièces justificatives, visés au réquisitoire du 8 octobre 2015 ;
Vu l’ensemble des pièces du dossier ;
Vu le courriel de M. X en date du 3 mars 2016 ;
Vu le courriel de M. Y en date du 13 avril 2016 ;
Vu le courriel de M. Bruno PERDU, directeur des affaires financières du ministère des affaires étrangères et du développement international, en date du 16 juin 2016 ;
Vu le code des juridictions financières ;
Vu l’article 60 de la loi de finances n° 63-156 du 23 février 1963 modifiée ;
Vu le décret n° 2012-1386 du 10 décembre 2012 portant application du deuxième alinéa du VI de l’article 60 de la loi de finances de 1963 modifié, dans sa rédaction issue de l’article 90 de la loi n° 2011-1978 du 28 décembre 2011 de finances rectificative pour 2011 ;
Vu le décret n° 62-1587 du 29 décembre 1962 portant règlement général sur la comptabilité publique, en vigueur au moment des faits ;
Vu le décret n° 2008-228 du 5 mars 2008 relatif à la constatation et à l'apurement des débets des comptables publics et assimilés ;
Vu les lois et règlements applicables aux établissements de diffusion culturelle à l'étranger dotés de l'autonomie financière, notamment le décret modifié n° 76-832 du 24 août 1976 relatif à l'organisation financière de certains établissements ou organismes de diffusion culturelle dépendant du ministère des affaires étrangères et du ministère de la coopération modifié, ainsi que ses textes d'application ;
Vu l’arrêté du 24 novembre 2003 portant désignation d'ordonnateurs secondaires à l'étranger ;
Vu l’instruction M 9-7 sur l’organisation financière et comptable des établissements ou organismes de diffusion culturelle à l’étranger ;
Vu le rapport de M. Thibault DELOYE, conseiller référendaire ;
Vu les conclusions n° 2016-0523 du 25 juillet 2016 Procureur général ;
Entendu, lors de l’audience publique du 8 septembre 2016, M. Thibault DELOYE en son rapport, M. Christian MICHAUT, avocat général, en les conclusions du ministère public ; M. X, présent, ayant eu la parole en dernier ;
Après avoir entendu en délibéré M. Gérard GANSER, conseiller maître, en ses observations ;
Sur le droit applicable
Attendu que l’article 90 de la loi du 28 décembre 2011 de finances rectificative pour 2011 a défini des règles nouvelles pour la mise en jeu de la responsabilité pécuniaire des comptables publics ; que selon le II de l’article 90 précité, le nouveau régime « entre en vigueur le 1er juillet 2012 » et « les déficits ayant fait l'objet d'un premier acte de mise en jeu de la responsabilité d'un comptable public ou d'un régisseur avant cette date demeurent régis par les dispositions antérieures » ;
Attendu que le premier acte de mise en jeu de la responsabilité des agents comptables des centres culturels français à l’étranger, dont les comptes sont apurés par le trésorier-payeur général pour l’étranger, est la notification d’injonctions par ce trésorier-payeur général ;
Attendu que toutes les injonctions notifiées à M. X l’ont été après le 1er juillet 2012 ; que par conséquent les charges qui en résultent dans les décisions dites « provisoires de charges » sont à juger selon les dispositions de la loi du 28 décembre 2011 ;
Sur les manquements
Attendu que ces décisions provisoires de charges font grief à M. X d’avoir payé des dépenses, imputées sur plusieurs chapitres du budget de l’institut français de recherche en Iran, en l’absence de crédits disponibles sur ces chapitres, pour un montant total de 76 824 390 rials iraniens, au titre de l’exercice 2009 et 267 562 864 rials iraniens au titre de l’exercice 2010 ;
Attendu que pour 2009, ces dépassements sont de 40 266 028 rials, sur le chapitre 616, de 17 101 268 rials sur le chapitre 641 et de 19 457 094 rials sur le chapitre 651, au taux de chancellerie en vigueur au 31 décembre 2009 ;
Attendu que pour 2010, ces dépassements sont de 22 202 179 rials sur le chapitre 651 et de 245 360 685 rials sur le chapitre 666, au taux de chancellerie en vigueur au 31 décembre 2010 ;
Attendu que selon le 2ème alinéa du I de l’article 60 de la loi du 23 février 1963 « les comptables publics sont personnellement et pécuniairement responsables des contrôles qu'ils sont tenus d'assurer en matière […] de dépenses dans les conditions prévues par le règlement général sur la comptabilité publique » ;
Attendu que selon le décret du 24 août 1976 susvisé, la gestion financière et comptable des établissements ou organismes de diffusion culturelle dépendant du ministère des affaires étrangères est soumise aux dispositions de la première partie du décret du 29 décembre 1962 dont l’article 12 précise que « les comptables publics sont tenus d’exercer, en matière de dépenses, le contrôle de la disponibilité des crédits » ;
Attendu que selon ce même décret du 24 août 1976, les crédits ouverts au budget sont limitatifs ; qu’aux termes de l’instruction M 9-7 susvisée « Les crédits ouverts sont limitatifs au niveau du chapitre » ;
Attendu que M. X ne conteste pas avoir payé des dépenses, nonobstant l’absence de crédits disponibles, conduisant aux dépassements sus mentionnés ;
Attendu qu’il fait valoir à sa décharge qu’une décision modificative du budget 2009 de l’institut aurait régularisé la situation ; que toutefois celle-ci ne l’a été que le 19 avril 2010, soit après la clôture de l’exercice ;
Attendu que M. X soutient que ce retard serait imputable au ministère des affaires étrangères et du développement international ; qu’à supposer que le ministère ait tardé à approuver la demande de budget modificatif, en tout état de cause, celle-ci n’a été présentée qu’après la clôture de l’exercice ;
Attendu que M. X présente des moyens identiques à sa décharge pour les dépassements constatés en 2010 ; que, pour cet exercice, la demande de décision modificative du budget 2010 a été reçue par les services du ministère le 11 février 2011 puis approuvée le 18 février 2011 ;
Attendu que M. X, en payant un ensemble de dépenses en l’absence de crédits disponibles pour un montant total de 76 824 390 rials, au titre de l’exercice 2009 et 267 562 864 rials au titre de l’exercice 2010 a manqué à ses obligations de contrôle ;
Sur les circonstances constitutives de la force majeure
Attendu que selon le 1er alinéa du V de l’article 60 de la loi du 23 février 1963 susvisée, « Lorsque […] le juge des comptes constate l’existence de circonstances constitutives de la force majeure, il ne met pas en jeu la responsabilité personnelle et pécuniaire du comptable public » ;
Attendu que, dans ses écrits, M. X fait valoir que les circonstances existantes en Iran en 2009 et en 2010 ne lui ont pas permis d’accomplir sa mission ; que, pour autant, il ne demande pas à ce qu’elles soient considérées comme constitutives de force majeure ;
Attendu, en tout état de cause, qu’en application de la loi, c’est au juge qu’incombe d’en faire ou non le constat ; que pour pouvoir considérer des circonstances comme constitutives de force majeure, il faut qu’elles soient à la fois imprévisibles, extérieures et irrésistibles ;
Attendu que M. X n’a produit aucune pièce attestant qu’il aurait alerté l’ordonnateur sur le risque d’insuffisance de crédits en raison de ces circonstances ; qu’il fait certes valoir à cet égard que le directeur de l’institut, ordonnateur, n’a pu revenir en Iran après le début des manifestations ; que toutefois, l’institut a continué à être doté d’un ordonnateur, en la personne de l’ambassadeur de France en Iran, ordonnateur secondaire en vertu de l’arrêté du 24 novembre 2003 susvisé ; qu’au demeurant, les pièces justificatives produites à l’appui des mandats de paiement comportent la signature d’un ordonnateur attestant du service fait ;
Attendu qu’il n’est donc pas établi que les circonstances prévalant en Iran fin 2009, puis fin 2010, aient eu un caractère irrésistible ; que dès lors elles ne sauraient être considérées comme constitutives de force majeure ;
Attendu qu’il y a lieu par conséquent de mettre en jeu la responsabilité personnelle et pécuniaire de M. X à raison des manquements à ses obligations de contrôle de la disponibilité des crédits ;
Sur le préjudice financier causé par ces manquements
Attendu qu’aux termes du 3ème alinéa du VI de l’article 60 de la loi du 23 février 1963 susvisée « Lorsque le manquement du comptable aux obligations mentionnées au I a causé un préjudice financier à l’organisme public concerné […] le comptable a l’obligation de verser immédiatement de ses deniers personnels la somme correspondante ». ;
Attendu que les paiements en l’absence de crédits disponibles sont des paiements sans autorisation de l’autorité budgétaire ; qu’ils sont donc indus ; que dès lors les manquements du comptable ont causé un préjudice financier à l’institut français de recherche en Iran ;
qu’il y a lieu par conséquent de mettre à la charge de M. X les sommes de 76 824 390 rials au titre de l’exercice 2009 et de 267 562 864 rials au titre de l’exercice 2010 ; ;
Sur le point de départ des intérêts légaux
Attendu qu’en application du VIII de l’article 60 de la loi de finances pour 1963 susvisée, « les débets portent intérêt au taux légal à compter du premier acte de la mise en jeu de la responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables publics » ;
Attendu qu’au cas d’espèce, le premier acte de la mise en jeu de la responsabilité de M. X a été la notification d’injonctions par le trésorier-payeur général pour l’étranger ;
Attendu que s’agissant de l’exercice 2009, le bordereau d’injonctions a été signé le 1er mars 2013 ; qu’aucune pièce au dossier ne permet de connaître sa date de réception ; que la seule date certaine est celle du 6 septembre 2013, date à laquelle la réponse de M. X audit bordereau a été reçue par la trésorerie générale pour l’étranger ; qu’il convient dès lors de retenir cette date pour le décompte des intérêts légaux sur la somme de 76 824 390 rials due au titre de l’exercice 2009 ;
Attendu que s’agissant de l’exercice 2010, le bordereau d’injonctions a été signé
le 7 août 2014 ; qu’aucune pièce au dossier ne permet de connaître sa date de réception ; que la seule date certaine est celle du 25 février 2015, date à laquelle M. X a accusé réception de la décision dite « provisoire de charges » ; qu’il convient dès lors de retenir cette date pour le décompte des intérêts légaux sur la somme de 267 562 864 rials due au titre de l’exercice 2010 ;
Sur le contrôle hiérarchisé de la dépense
Attendu qu’aux termes du 2ème alinéa du IX de l’article 60 de la loi du 23 février 1963 susvisée, « Hormis le cas de décès du comptable ou de respect par celui-ci, sous l’appréciation du juge des comptes, des règles de contrôle sélectif des dépenses, aucune remise gracieuse totale ne peut être accordée au comptable public dont la responsabilité personnelle et pécuniaire a été mise en jeu par le juge des comptes, le ministre chargé du budget étant dans l’obligation de laisser à la charge du comptable une somme au moins égale au double de la somme mentionnée au deuxième alinéa dudit VI. » ;
Attendu qu’aucun contrôle hiérarchisé de la dépense n’a été institué par M. X ni en 2009, ni en 2010 ;
Attendu que le montant du cautionnement de M. X a été fixé à 9 100 € ;
Attendu par conséquent qu’au cas où M. X demanderait au ministre chargé du budget remise gracieuse des sommes mises à sa charge, ce dernier, en application de la loi de 1963 et du décret n° 2012-1386 du 10 décembre 2012 susvisé pris pour son application, serait tenu de laisser à sa charge une somme d’au moins trois millièmes de son cautionnement, soit 27,30 €, par exercice ;
Par ces motifs,
DECIDE :
Article 1er - M. X est constitué débiteur de l’institut français de recherche en Iran pour la somme de 76 824 390 rials iraniens, au titre de l’exercice 2009 augmentée des intérêts légaux décomptés à compter du 6 septembre 2013.
Article 2 - M. X est constitué débiteur de l’institut français de recherche en Iran pour la somme de 267 562 864 rials iraniens, au titre de l’exercice 2010 augmentée des intérêts légaux décomptés à compter du 25 février 2015.
Article 3 – M. X n’a pas appliqué de règles de contrôle sélectif des dépenses ni en 2009, ni en 2010.
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Fait et jugé par : M. Yves ROLLAND, conseiller maître, président de section, président de la formation ; Mme Anne FROMENT-MEURICE, présidente de chambre maintenue en activité, MM. Gérard GANSER, Jean-Pierre LAFAURE, Franc-Gilbert BANQUEY, Jean-Yves BERTUCCI,, Noël DIRICQ, conseillers maîtres, et Mme Isabelle LATOURNARIE-WILLEMS, conseillère maître.
En présence de Mme Marie-Hélène PARIS-VARIN, greffière de séance.
Marie-Hélène PARIS-VARIN
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Yves ROLLAND
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En conséquence, la République française mande et ordonne à tous huissiers de justice, sur ce requis, de mettre ledit arrêt à exécution, aux procureurs généraux et aux procureurs de
la République près les tribunaux de grande instance d’y tenir la main, à tous commandants et officiers de la force publique de prêter main-forte lorsqu’ils en seront légalement requis.
Conformément aux dispositions de l’article R. 142-16 du code des juridictions financières, les arrêts prononcés par la Cour des comptes peuvent faire l’objet d’un pourvoi en cassation présenté, sous peine d’irrecevabilité, par le ministère d’un avocat au Conseil d’État dans le délai de deux mois à compter de la notification de l’acte. La révision d’un arrêt ou d’une ordonnance peut être demandée après expiration des délais de pourvoi en cassation, et ce dans les conditions prévues au paragraphe I de l’article R. 142-15 du même code.
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