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PREMIERE CHAMBRE ------- Première section ------- Arrêt n ° 2016-3027 Audience publique du 21 septembre 2016 Prononcé du 19 octobre 2016
| INSTITUT NATIONAL DE LA CONSOMMATION (INC) Exercices 2009 à 2013 Rapport n° R 2016‑0567 |
République Française,
Au nom du peuple français,
La Cour,
Vu le réquisitoire en date du 27 novembre 2015, notifié le 23 décembre 2015 à la comptable concernée, par lequel le Procureur général près la Cour des comptes a saisi la première chambre de la Cour des comptes d’une présomption de charge, en vue de la mise en jeu de la responsabilité personnelle et pécuniaire de Mme X, agent comptable de l’Institut national de la consommation (INC), au titre d’opérations relatives aux exercices 2009 à 2013 ;
Vu les comptes rendus en qualité de comptable de l’INC, par Mme X du 21 novembre 2005 au 31 décembre 2013 ;
Vu les justifications produites au soutien des comptes en jugement ;
Vu le code de la consommation ;
Vu le code des juridictions financières ;
Vu l’article 60 de la loi de finances n° 63-156 du 23 février 1963 ;
Vu l’article 5 du décret n° 55-733 du 26 mai 1955 modifié relatif au contrôle économique et financier de l’Etat ;
Vu le décret n° 62-1587 du 29 décembre 1962 portant règlement général sur la comptabilité publique, ensemble le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique ;
Vu le décret n° 2012-1386 du 10 décembre 2012 portant application du deuxième alinéa du VI de l’article 60 de la loi de finances de 1963 modifiée ;
Vu l’arrêté ministériel du 17 janvier 1991 fixant les modalités d’exercice du contrôle économique et financier de l’Institut national de la consommation, et notamment son article 5 ;
Vu les observations écrites en réponse au réquisitoire, produites par Mme X et enregistrées au greffe le 12 février 2016 ;
Vu les observations produites par le directeur administratif de l’INC, enregistrées au greffe le 29 février 2016 ;
Vu le rapport de M. Thierry Savy, conseiller référendaire, chargé de l’instruction ;
Vu les conclusions du Procureur général ;
Vu les pièces du dossier ;
Entendu lors de l’audience publique du 21 septembre 2016, M. Thierry SAVY, en son rapport, et M. Bertrand DIRINGER, avocat général, en les conclusions du ministère public, Mme X, présente, ayant eu la parole en dernier ;
Entendu en délibéré, M. Alain LEVIONNOIS, conseiller maître, en ses observations ;
Sur la présomption de charge unique soulevée à l’encontre de Mme X (paiement de commissions à la société ADL Partner au titre des exercices 2009 à 2013)
Attendu que, par le réquisitoire susvisé, le Procureur général a saisi la première chambre de la Cour des comptes de la responsabilité encourue par Mme X à hauteur de 5 515 635,88 € au titre des exercices 2009 à 2013, pour le paiement de commissions à la SA ADL Partner ; que la comptable aurait manqué à ses obligations de contrôle de la validité de la créance, lequel consiste notamment en un contrôle de l’exactitude des calculs de liquidation et de la production des justifications, ainsi que de la vérification de l’existence du visa du contrôleur d’Etat ;
Sur l’existence d’un manquement de la comptable à ses obligations
Sur le droit applicable
Attendu qu’aux termes du I de l’article 60 de la loi du 23 février 1963 susvisée : « les comptables publics sont personnellement et pécuniairement responsables des contrôles qu’ils sont tenus d’assurer en matière (…) de dépenses (…) dans les conditions prévues par le règlement général sur la comptabilité publique. La responsabilité personnelle et pécuniaire prévue ci-dessus se trouve engagée dès lors (…) qu’une dépense a été irrégulièrement payée (…) » ;
Attendu qu’aux termes du B de l’article 12 du décret du 29 décembre 1962, applicable à l’INC pour les gestions 2009 à 2012 : « les comptables sont tenus d’exercer (…) en matière de dépenses, le contrôle (…) de la validité de la créance dans les conditions prévues à l’article 13 » ; que l’article 13 du même texte dispose que : « En ce qui concerne la validité de la créance, le contrôle porte sur (…) l’intervention préalable des contrôles règlementaires et la production des justifications. En outre, dans la mesure où les règles propres à chaque organisme public le prévoient, les comptables publics vérifient l’existence du visa des contrôleurs financiers sur les engagements et les ordonnancements émis par les ordonnateurs principaux » ;
Attendu qu’en vertu de l’article 37 du décret précité, lorsque des irrégularités sont constatées, les comptables publics suspendent les paiements et en informent l'ordonnateur ;
Attendu qu’aux termes de l’article 19 du décret du 7 novembre 2012 susvisé, applicable à l’INC à partir de la gestion 2013, « le comptable public est tenu d'exercer le contrôle : (…) S'agissant des ordres de payer (…) de la validité de la dette dans les conditions prévues à l'article 20 ; que l’article 20 du même texte dispose que « Le contrôle des comptables publics sur la validité de la dette porte sur (…) 2° L'exactitude de la liquidation ; 3° L'intervention des contrôles préalables prescrits par la réglementation 4° Dans la mesure où les règles propres à chaque personne morale mentionnée à l'article 1er le prévoient, l'existence du visa ou de l'avis préalable du contrôleur budgétaire sur les engagements 5° La production des pièces justificatives ;
Attendu qu’en vertu de l’article 38 du même texte « Sans préjudice des dispositions prévues par le code général des collectivités territoriales et par le code de la santé publique, lorsqu'à l'occasion de l'exercice des contrôles prévus au 2° de l'article 19 le comptable public a constaté des irrégularités ou des inexactitudes dans les certifications de l'ordonnateur, il suspend le paiement et en informe l'ordonnateur ».
Attendu que l’article 5 de l’arrêté du 17 janvier 1991 susvisé, prévoit que « sont soumis au visa préalable du contrôleur de l’Etat : les marchés, commandes, conventions et contrats de service et de sous-traitance dont le montant excède une somme fixée par le directeur en accord avec le contrôleur d’Etat… » ;
Attendu qu’un document signé du contrôleur d’Etat, daté du 21 décembre 1994, pris en application dudit arrêté, fixe le seuil de visa pour les conventions à un montant annuel cumulé de 350 000 F (soit 53 357 €) ;
Sur les faits
Attendu que l’INC a notamment confié à la SA ADL Partner la recherche d’abonnés pour ses publications, et l’encaissement du prix des abonnements, contre une rémunération à la commission ;
Attendu que la comptable a produit des documents intitulés « engagements de participation », qui indiquent les conditions générales dans lesquelles le prestataire assure sa mission et qui prévoient certaines conditions financières, en particulier le taux minimum de rémunération du prestataire ; que ces « engagements de participation » sont signés par l’ordonnateur et le prestataire ; que les taux définitifs sont précisés dans d’autres documents, dénommés « confirmations d’offre d’engagement », qui sont émis par le prestataire, mais non signés par l’ordonnateur ; que ni les « engagements de participation », ni les « confirmations d’offre d’engagement » ne portent le visa du contrôleur d’Etat ;
Attendu que la rémunération du prestataire ne donne pas lieu à un décaissement par l’INC, mais fait l’objet d’une compensation entre, d’une part, les recettes d’abonnement revenant à l’établissement, prises en charge par l’émission d’un titre de recettes, et, d’autre part, les commissions dues au prestataire ;
Attendu qu’entre 2009 et 2013, en application de ce dispositif, le directeur de l’INC a émis des mandats relatifs au paiement de commissions à la SA ADL Partner pour des montants de 1 279 714,94 € en 2009, 1 198 564,26 € en 2010, 1 083 136,54 € en 2011, 996 321,94 € en 2012 et 957 898,20 € en 2013 ;
Sur les moyens invoqués à décharge
Attendu que Mme X soutient que les mandats en cause ont été émis pour permettre de comptabiliser les frais de commission tel que prévu par le plan comptable de la Presse et constituent donc des mandats d’ordre et de régularisation intervenant pour respecter entre autres les principes d’image fidèle, de sincérité et d’universalité ; que la dépense intervenant par précompte sur les recettes effectives générées par l’activité de la société ADL Partner, il ne lui était pas possible de refuser la prise en charge de ces mandats d’ordre, sauf à mettre l’établissement en situation de résultat déficitaire dès lors que, refusant les mandats d’ordre, il lui aurait fallu refuser la prise en charge des titres de recettes ; qu’au surplus, elle ne pouvait non plus refuser la prise en charge des mandats au motif de l’absence de visa du contrôleur d’Etat, qui était dans l’impossibilité matérielle d’opérer un visa préalable sur une dépense dont le montant est déterminé par le nombre d’abonnements souscrits, par nature inconnu et aléatoire ; qu’elle a également indiqué, à l’audience, que le contrôleur d’Etat, présent aux réunions du conseil d’administration, ne s’était pas opposé à de tels dispositifs ;
Attendu que Mme X soutient également que, compte tenu du caractère purement formel du visa, vu les modalités de précompte sur recettes, l’éventuel manquement qui pourrait lui être reproché ne saurait avoir eu pour effet de porter préjudice à l’INC ; qu’elle invoque enfin les obligations renforcées de recouvrement des recettes qui sont imposées aux comptables des établissements publics industriels et commerciaux ;
Attendu que, dans ses observations susvisées, le directeur administratif et financier de l’établissement fait valoir que si le taux de la commission versée à la SA ADL Partner ne figure que dans les documents dénommés « confirmations d’engagement » non signés par un représentant de l’INC, ce taux est négocié et connu avant engagement de ce dernier, de sorte que, si le nombre exact d’abonnés ne peut être déterminé à l’avance, l’établissement est en mesure d’estimer le chiffre d’affaires attendu et le montant des commissions qui en découlent, afin de construire son budget prévisionnel ;
Sur l’application au cas d’espèce
Attendu, en premier lieu, que si les mandats concernés ne donnent lieu à aucun décaissement, les ordres de payer qu’ils portent correspondent à l’extinction, par compensation avec une créance, d’une dette contractée à l’égard du prestataire ; qu’ainsi ces actes ne peuvent être considérés, ainsi que le soutient la comptable, comme des opérations d’ordre qui ne seraient passées que pour des considérations de sincérité et de fidélité des comptes ; que la prise en charge de ces mandats correspond à une dépense, dont le comptable doit vérifier la régularité dans les conditions prévues par les décrets du 29 décembre 1962 et 7 novembre 2012 précités ;
Attendu, en second lieu, que nonobstant les dires du directeur administratif et financier sur le caractère connu et négocié des taux définitifs, et même si ces derniers étaient dans plusieurs cas inférieurs à ceux indiqués dans les « engagements de participation », la comptable ne disposait pas, au moment du paiement, d’un document manifestant l’accord de l’ordonnateur sur les taux figurant dans les « confirmations d’offre d’engagement » ; qu’ainsi, au moment des paiements, faute d’un tel justificatif, elle ne pouvait vérifier la bonne liquidation de la dépense ; qu’elle avait alors l’obligation réglementaire de suspendre la prise en charge de ces dépenses dans l’attente de justifications complémentaires, sans qu’y fassent obstacle ni l’impact allégué sur le résultat de l’établissement, ni les obligations du comptable en matière de recettes ;
Attendu, en troisième lieu, que le montant des commissions payées à la SA ADL Partner a chaque année excédé le seuil de visa fixé par les textes susvisés relatif au contrôle financier pour les conventions, soit 53 357 € ; que le silence du contrôleur d’Etat, présent aux réunions du conseil d’administration, ne saurait valoir visa de sa part sur l’ensemble des actes contractuels découlant de l’exécution de l’état prévisionnel des recettes et des dépenses ; que le caractère aléatoire du montant de la dépense, au demeurant relatif selon les dires mêmes de l’ordonnateur, ne s’opposait pas au visa préalable du contrôleur d’Etat, d’autant que l’ordre de grandeur de cette charge récurrente était connu ; qu’en toute hypothèse, ce caractère aléatoire ne dispensait pas l’agent comptable de l’obligation de suspendre, là encore, la prise en charge des mandats dès lors que la dépense annuelle cumulée allait dépasser le seuil de 53 357 €, dans l’attente d’une régularisation ou d’une réquisition de payer ;
Attendu qu’il y a lieu d’engager la responsabilité de Mme X pour avoir manqué à ses obligations de contrôle de validité de la créance, en ce qui concerne la production des justifications, le contrôle de l’exactitude des calculs de liquidation et l’intervention des contrôles préalables ;
Sur l’existence d’un préjudice financier
Attendu qu’il ressort de l’instruction que l’intention de l’ordonnateur était de contracter aux taux indiqués dans les « confirmations d’offre d’engagement » et qu’il n’apparaît pas de discordance entre ces taux et ceux appliqués pour les paiements ; qu’il n’est pas établi par ailleurs que la dépense ait été indue ; que les manquements de Mme X ne peuvent donc être considérés comme ayant causé un préjudice financier à l’établissement ;
Attendu qu’aux termes des dispositions du deuxième alinéa du VI de l’article 60 de la loi du 23 février 1963 susvisée, « lorsque le manquement du comptable […] n’a pas causé de préjudice financier à l’organisme public concerné, le juge des comptes peut l’obliger à s’acquitter d’une somme arrêtée, pour chaque exercice, en tenant compte des circonstances de l’espèce »; que le décret du 10 décembre 2012 susvisé, fixe le montant maximal de cette somme à un millième et demi du montant du cautionnement prévu pour le poste comptable ;
Attendu que le montant du cautionnement prévu pour le poste d’agent comptable de l’INC pour les exercices 2009 à 2013 étant fixé à 196 400 €, le montant maximum de la somme susceptible d’être mise à la charge de Mme X s’élève à 294,60 € pour chacun des exercices 2009 à 2013 ;
Attendu qu’il sera fait une juste appréciation des circonstances de l’espèce en arrêtant cette somme à 100 € pour chacune des années 2009 à 2013 ;
Par ces motifs,
DÉCIDE :
Article 1er. – Mme X devra s’acquitter d’une somme de 500 €, soit 100 € au titre de chacune des années 2009 à 2013, en application du deuxième alinéa du VI de l’article 60 de la loi n° 63-156 du 23 février 1963 ; cette somme ne peut faire l’objet d’une remise gracieuse en vertu du IX du même article.
Article 2. – Mme X ne pourra être déchargée de sa gestion pendant les années 2009 à 2013 qu’après apurement de la somme à acquitter, fixée ci-dessus.
Fait et jugé à la Cour des comptes, première chambre, première section, par M. Daniel‑Georges Courtois, conseiller maître, présidant la séance, M. Vincent Feller, Mme Dominique Dujols, MM. Guy Fialon et Alain Levionnois, conseillers maîtres.
En présence de Mme Valérie Guedj, greffière de séance.
Valérie GUEDJ | Daniel‑Georges COURTOIS |
En conséquence, la République française mande et ordonne à tous huissiers de justice, sur ce requis, de mettre ledit arrêt à exécution, aux procureurs généraux et aux procureurs de la République près les tribunaux de grande instance d’y tenir la main, à tous commandants et officiers de la force publique de prêter main-forte lorsqu’ils en seront légalement requis.
Conformément aux dispositions de l’article R. 142-16 du code des juridictions financières, les arrêts prononcés par la Cour des comptes peuvent faire l’objet d’un pourvoi en cassation présenté, sous peine d’irrecevabilité, par le ministère d’un avocat au Conseil d’État dans le délai de deux mois à compter de la notification de l’acte. La révision d’un arrêt ou d’une ordonnance peut être demandée après expiration des délais de pourvoi en cassation, et ce dans les conditions prévues au I de l’article R. 142-15 du même code.
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