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PREMIERE CHAMBRE ------- Première section ------- Arrêt n° S 2016-1120
Audience publique du 7 avril 2016
Prononcé du 12 mai 2016 | DIRECTION REGIONALE DES FINANCES PUBLIQUES DE CORSE ET DU DEPARTEMENT DE CORSE-DU-SUD
SERVICE DES IMPOTS DES ENTREPRISES (SIE) D’AJACCIO
Exercices 2006 à 2011
Rapport n° R-2016-0123
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République Française,
Au nom du peuple français,
La Cour,
Vu le réquisitoire en date du 13 juillet 2015 par lequel le Procureur général près la Cour des comptes a saisi la première chambre de ladite Cour en vue de la mise en jeu de la responsabilité personnelle et pécuniaire de M. X, comptable du service des impôts des entreprises d’Ajaccio, ensemble la preuve de sa notification aux parties ;
Vu les comptes de la direction régionale des finances publiques de Corse et du département de Corse-du-Sud rendus pour les exercices 2006 à 2011, y annexés les états de restes à recouvrer établis par M. X, en sa qualité de chef du service des impôts des entreprises d’Ajaccio, du 21 décembre 2007 au 31 décembre 2010 ;
Vu les justifications produites au soutien des états annexes susvisés, ensemble les pièces recueillies au cours de l’instruction ;
Vu l’article 60 modifié de la loi de finances n° 63-156 du 23 février 1963 ;
Vu le code général des impôts, ensemble le livre des procédures fiscales ;
Vu le code des juridictions financières ;
Vu le décret n° 62-1587 du 29 décembre 1962 portant règlement général sur la comptabilité publique, en vigueur au moment des faits ;
Vu le décret n° 77-1017 du 1er septembre 1977 relatif à la responsabilité des receveurs des administrations financières ;
Vu le décret n° 92-755 du 31 juillet 1992 Instituant de nouvelles règles relatives aux procédures civiles d'exécution pour l'application de la loi n° 91-650 du 9 juillet 1991 portant réforme des procédures civiles d'exécution, en vigueur au moment des faits, notamment son article 257 ;
Vu le rapport de M. Alain Levionnois, conseiller référendaire, magistrat chargé de l’instruction ;
Vu les conclusions du Procureur général ;
Vu les observations écrites présentées par M. X, le 25 septembre 2015 en réponse au réquisitoire susvisé, puis les 21 mars et 2 avril 2016 ;
Entendus lors de l’audience publique du 7 avril 2016, M. Alain Levionnois, en son rapport,
et M. Bertrand Diringer, avocat général, en les conclusions du ministère public, M. X, informé de l’audience, n’étant ni présent, ni représenté ;
Entendu en délibéré M. Guy Fialon, conseiller maître, en ses observations ;
Sur la charge présumée à l’encontre de M. X sur les exercices 2009 et 2010
Attendu que, par le réquisitoire susvisé, le Procureur général a estimé que la responsabilité personnelle et pécuniaire de M. X pouvait être mise en jeu, au titre des exercices 2009 et 2010, au motif que ce comptable aurait manqué à ses obligations dans le recouvrement d’une créance fiscale de 199 953 euros détenue par l’Etat sur la société SOCOME TP, faute d’avoir converti dans les délais une hypothèque prise à titre provisoire, ladite créance restant à recouvrer à la clôture de l’exercice 2011 ;
Sur l’existence d’un manquement du comptable à ses obligations :
Sur la règle de droit
Attendu qu’aux termes de l'article R. 142-5 du code des juridictions financières, « Les comptables (…) mis en cause (…) ont accès au dossier et peuvent demander au greffe copie de pièces du dossier » ;
Attendu qu’aux termes de l’article 257 du décret du 31 juillet 1992 susvisé, alors applicable, la publicité provisoire d’une hypothèque conserve la sûreté pendant trois ans et peut être renouvelée dans la même forme et pour la même durée ; qu’aux termes de l’article 263 du même texte, la conversion d’une publicité provisoire en publicité définitive doit être effectuée dans un délai de deux mois à compter du jour où le titre constatant les droits du créancier est passé en force de chose jugée ;
Attendu qu’aux termes de l'article 60 modifié de la loi du 23 février 1963 susvisée, les comptables publics sont personnellement et pécuniairement responsables du recouvrement des recettes et des contrôles qu’ils sont tenus d’exercer en cette matière dans les conditions prévues par le règlement général sur la comptabilité publique ; que leur responsabilité personnelle et pécuniaire se trouve engagée dès lors qu’une recette n’a pas été recouvrée ; que la responsabilité du comptable public en matière de recettes s’apprécie au regard de ses diligences, celles-ci devant être adéquates, complètes et rapides ;
Sur les faits
Attendu que la société SOCOME TP a fait l’objet d’une procédure de redressement judiciaire par un jugement du 25 février 2008, convertie en liquidation judiciaire par un jugement publié le 30 avril 2008 ; que, lors de cette procédure, le comptable a régulièrement déclaré les créances de l’État ; que lesdites créances ont été admises au passif de la procédure ;
Attendu que, sur le fondement de l’article 1745 du code général des impôts, l’administration a déposé une plainte le 11 décembre 2008 contre M. Y, en sa qualité de dirigeant de la susdite société, et également à titre personnel ;
Attendu qu’afin de garantir le recouvrement des créances, M. X a obtenu, par une ordonnance du juge de l’exécution du 26 février 2009, l’autorisation de constituer une hypothèque judiciaire provisoire de premier rang sur un ensemble de parcelles appartenant à M. Y ; que ladite hypothèque a été inscrite et publiée à la conservation des hypothèques d’Ajaccio, le 6 mars 2009, pour un montant de 164 951 euros ;
Attendu que, par un jugement du 22 janvier 2010, le tribunal de grande instance d’Ajaccio a condamné M. Y, solidairement avec la société SOCOME TP, à payer les impôts et pénalités connexes réclamés par l’administration fiscale, ainsi qu’à une peine de huit mois d’emprisonnement ; que M. Y n’a pas fait appel de ce jugement ;
Attendu que suite à ce jugement M. X n’a pas converti la susdite hypothèque provisoire en hypothèque définitive ; que les biens sur lesquels portait l’hypothèque judiciaire provisoire, toujours la propriété de M. Y, ont été depuis grevés d’une hypothèque judiciaire de premier rang inscrite par un établissement de crédit, le 5 juillet 2012 ;
Sur les éléments à décharge apportés par le comptable
Attendu que, dans ses observations susvisées, M. X objecte que ni le réquisitoire du Procureur général, ni la lettre de notification qui lui ont été adressés ne font mention des références précises de la créance et du nom de la société débitrice concernée pour laquelle sa responsabilité est recherchée ;
Attendu qu’il fait observer que les créances ont bien été admises à titre définitif à la procédure collective suite à ses diligences, et qu’aucune perspective de recouvrement n’est apparue ; que le jugement rendu par le tribunal de grande instance d’Ajaccio, le 22 janvier 2010, a interrompu le délai de prescription de l’action en recouvrement de l’impôt et fait courir un nouveau délai de quatre ans à l’encontre du débiteur solidaire ;
Attendu qu’il précise qu’une nouvelle hypothèque légale sur les biens de M. Y a été inscrite par son successeur, le 7 mars 2013, qu’une mise en demeure de payer a été adressée à M. Y, le 18 novembre 2013, sur le fondement du jugement rendu par le tribunal de grande instance d’Ajaccio, le 22 janvier 2010 ; que les contestations formulées par M. Y ont conduit l’administration, le 29 janvier 2014, à réduire la créance exigible à 166 263 euros en droits et pénalités ; que le tribunal administratif de Bastia, par un jugement du 11 juin 2015, a rejeté le recours formé par M. Y contre la décision de l’administration et confirmé que l’action en recouvrement n’était pas prescrite ;
Attendu que M. X indique également que, n’étant plus en fonctions le 21 novembre 2013, date à laquelle M. Y a reçu la mise en demeure précitée, il s’interroge sur sa responsabilité dans le non recouvrement de cette créance ; qu’il ajoute que la procédure de liquidation de ladite société a été clôturée pour insuffisance d’actif par une décision publiée le 25 février 2014 et qu’aucune créance n’a été payée à ce jour ;
Sur l’application au cas d’espèce
Sur l’imprécision alléguée du réquisitoire
Attendu que le comptable, en application des dispositions sus-rappelées du code des juridictions financières, avait accès à l’ensemble du dossier de la procédure et, notamment, aux pièces à l’appui du réquisitoire, ainsi qu’il en a été au surplus informé par le greffe, lors de la notification de cet acte ; qu’en outre ses réponses susvisées, détaillées en ce qui concerne les diligences qu’il a entreprises en vue du recouvrement de la créance litigieuse, attestent qu’il avait précisément identifié ladite créance au vu des éléments du réquisitoire ; qu’ainsi le fait que ledit réquisitoire n’ait indiqué ni le nom des redevables ni le numéro de la référence de la créance est sans effet sur la régularité de la procédure, en particulier au regard du respect du contradictoire ;
Sur le fond
Attendu que le jugement du tribunal de grande instance d’Ajaccio précité du 22 janvier 2010, avait condamné M. Y, solidairement avec la société, à payer les impôts fraudés et les pénalités afférentes ; qu’ainsi M. X ne peut soutenir en droit que le caractère de redevable solidaire de M. Y daterait de la mise en demeure reçue le 21 novembre 2013, date à laquelle il n’était plus en fonctions ;
Attendu qu’il est constant que M. X, en fonctions en jusqu’au 31 décembre 2010, n’a pas demandé la conversion de l’hypothèque judiciaire provisoire dans le délai prévu par le décret du 31 juillet 1992 précité, à savoir dans les deux mois courant à compter de la date à laquelle le jugement précité du 22 janvier 2010 est passé en force de chose jugée ; qu’elle est ainsi devenue caduque ; que de ce fait, et nonobstant les diligences de ses successeurs, notamment la prise d’une seconde hypothèque, l’Etat a perdu sa qualité de créancier de premier rang au profit d’un établissement de crédit ;
Attendu ainsi que, bien que la créance ne soit effectivement pas atteinte par le délai de prescription au moment où la Cour statue, son recouvrement s’est trouvé gravement compromis dès 2010 ;
Attendu ainsi que nonobstant la consistance de ses diligences antérieures, qu’il pourrait faire valoir le cas échéant à l’appui d’une demande de remise gracieuse, M. X, en s’abstenant de convertir l’hypothèque provisoire prise sur les biens de M. Y, a manqué à ses obligations de diligences adéquates, complètes et rapides en matière de recouvrement des recettes ; qu’il y a donc lieu d’engager sa responsabilité à ce motif sur 2010 ;
Sur l’existence d’un préjudice financier
Attendu que le défaut de recouvrement d’une créance cause par principe un préjudice financier à la collectivité publique créancière ; qu’il n’y a absence de préjudice que s’il est prouvé que l’Etat n’aurait pas pu être désintéressé, même en l’absence de manquement ;
Attendu que cette preuve n’a pas été apportée en l’espèce ; qu’en effet, l’absence de versements de sa part n’établit pas l’insolvabilité du gérant ; qu’au surplus, celui-ci possédait les biens sur lesquels le comptable avait pris la garantie provisoire ; que les dires du mandataire judiciaire quant à l’absence de perspectives de désintéressement et le fait que la procédure collective portant sur la société ait été close pour insuffisance d’actif sont indifférents à cet égard, s’agissant d’un manquement concernant une garantie prise sur le gérant et non sur la société elle-même ;
Attendu qu’aux termes du 3ème alinéa du paragraphe VI de l’article 60 modifié de la loi du 23 février 1963 susvisée : « Lorsque le manquement du comptable aux obligations mentionnées au (I) a causé un préjudice financier (…) le comptable a l'obligation de verser immédiatement de ses deniers personnels la somme correspondante » ;
Attendu qu’il y a lieu de fixer le préjudice résultant du manquement à concurrence de l’hypothèque judiciaire provisoire, soit 164 951 euros ;
Attendu qu’au titre de l’exercice 2010, il y a lieu, ainsi, de constituer M. X débiteur envers l’Etat de la somme de 164 951 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter du premier acte de la mise en jeu de sa responsabilité personnelle et pécuniaire, en l’occurrence, de la notification du réquisitoire du Procureur général susvisé ;
Sur le point de départ des intérêts de droit
Attendu que le directeur régional des finances publiques de Corse a accusé réception, le 27 juillet 2015, de la lettre par laquelle le greffe contentieux de la Cour lui demandait de notifier le réquisitoire susvisé à M. X et de l’informer de la date de cette notification ; que la preuve de la date de réception n’a pas été communiquée à la Cour malgré les relances du greffe ; que la première réponse susvisée de M. X étant datée du 25 septembre 2015, il y a lieu en l’espèce de retenir cette date comme point de départ des intérêts de droit ;
Par ces motifs,
DÉCIDE :
En ce qui concerne M. X, charge unique, exercice 2010
Article 1er.. – M. X est constitué débiteur envers l’Etat de la somme de 164 951 euros, augmentée des intérêts de droit à compter du 25 septembre 2015.
Article 2. – La décharge de M. X au titre de l’exercice 2010 ne pourra intervenir qu’après l’apurement du débet tel que fixé ci-dessus.
Fait et jugé par M. Philippe Geoffroy, président de section, présidant la séance, MM. Daniel-Georges Courtois, Vincent Feller, Jean-Christophe Chouvet, Pierre Rocca et Guy Fialon, conseillers maîtres.
En présence de Mme Valérie Guedj, greffière de séance.
Valérie Guedj | Philippe Geoffroy |
En conséquence, la République française mande et ordonne à tous huissiers de justice, sur ce requis, de mettre ledit arrêt à exécution, aux procureurs généraux et aux procureurs de la République près les tribunaux de grande instance d’y tenir la main, à tous commandants et officiers de la force publique de prêter main-forte lorsqu’ils en seront légalement requis.
Conformément aux dispositions de l’article R. 142-16 du code des juridictions financières, les arrêts prononcés par la Cour des comptes peuvent faire l’objet d’un pourvoi en cassation présenté, sous peine d’irrecevabilité, par le ministère d’un avocat au Conseil d’État dans le délai de deux mois à compter de la notification de l’acte. La révision d’un arrêt ou d’une ordonnance peut être demandée après expiration des délais de pourvoi en cassation, et ce dans les conditions prévues au paragraphe I de l’article R. 142-15 du même code.
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