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SEPTIEME CHAMBRE

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Quatrième section

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Arrêt n° S 2016-2766

 

Audience publique du 19 juillet 2016

 

Prononcé du 30 septembre 2016

 

PORT AUTONOME DE LA GUADELOUPE

 

Exercices 2008 à 2011

 

Rapport n° 2016-0129

 

 

 

 

 

République Française,

Au nom du peuple français,

 

La Cour,

 

Vu le réquisitoire n° 2013-7-RQ-DB du 15 février 2013 et le réquisitoire supplétif
n° 2015-88-RQ-DB du 16 octobre 2015 par lesquels le Procureur général a saisi la septième chambre d’une présomption de charge à l’encontre de Mme X, agent comptable du Port autonome de la Guadeloupe du 1er janvier au 30 septembre 2008, et de quatre présomptions de charge à l’encontre de M. Y, agent comptable du 1er octobre 2008 au 31 décembre 2011 ;

Vu les comptes du Port autonome de la Guadeloupe rendus pour les exercices 2008 à 2011 ;

Vu le code des juridictions financières ;

Vu l’article 60 de la loi de finances n° 63-156 du 23 février 1963, dans sa rédaction issue de l’article 90 de la loi n° 2011-1978 du 28 décembre 2011 de finances rectificative pour 2011 ;

Vu le décret n° 62-1587 du 29 décembre 1962 portant règlement général sur la comptabilité publique, en vigueur au moment des faits ;

Vu le décret n° 74-373 du 6 mars 1974 créant un port autonome dans le département de la Guadeloupe et portant adaptation, dans ledit département, des conditions et modalités d’application de la loi n° 65-491 du 29 juin 1965 sur les ports maritimes autonomes ;

Vu les lettres du 25 février 2013 transmettant le réquisitoire initial aux deux comptables concernés, ainsi que leurs accusés de réception du 26 février 2013 ;

Vu les justifications produites à l’appui des comptes en jugement ;

Vu les autres pièces du dossier, notamment la correspondance de M. Y en date du 11 avril 2016 ;

Vu le rapport n° 2016-0129 du 12 février 2016 de M. Nicolas PÉHAU, conseiller référendaire ;

Vu les conclusions du Procureur général en date du 5 avril 2016 ;

Entendu, lors de l’audience publique du 19 juillet 2016, M. PÉHAU en son rapport, Mme Loguivy ROCHE, avocate générale, en ses conclusions, M. Y ayant eu la parole en dernier, Mme X et l’ordonnateur en fonctions n’étant ni présents ni représentés ;

Ayant délibéré hors la présence du rapporteur et du ministère public et après avoir entendu M. Olivier Ortiz, conseiller maître, en ses observations ;

 

 

Attendu qu’en application de l’article 60-IV de la loi du 23 février 1963 susvisée, le premier acte de la mise en jeu de la responsabilité personnelle et pécuniaire ne peut plus intervenir au-delà du 31 décembre de la cinquième année suivant celle au cours de laquelle le comptable a produit ses comptes au juge des comptes ; qu’en l’espèce, les comptes du Port autonome de la Guadeloupe pour les exercices 2008 à 2011 ont été produits à la Cour respectivement le 20 octobre 2009, le 8 septembre 2010, le 18 juillet 2011 et le 22 mai 2012 ; qu’en conséquence, la gestion des agents comptables n’est pas atteinte par la prescription extinctive de responsabilité ;

Attendu que le réquisitoire initial ayant été pris et notifié aux comptables postérieurement au 1er juillet 2012, la mise en jeu de leur responsabilité est régie par les dispositions de l’article 60 de la loi n° 63-156 du 23 février 1963 de finances pour 1963 telles que résultant de la loi n° 2011-1978 du 28 décembre 2011 de finances rectificative pour 2011 et du décret  2012-1386 du 10 décembre 2012 portant application du deuxième alinéa du VI de l'article 60 de la loi de finances de 1963 modifié, dans sa rédaction issue de l’article 90 de la loi  2011-1978 du 28 décembre 2011 de finances rectificative pour 2011 ;

Attendu qu’il n’existait pas, pour la période en jugement, de plan de contrôle sélectif de la dépense au Port autonome de la Guadeloupe ;

Sur la présomption de charge 1  soulevée à l’encontre de M. Y au titre de l’exercice 2011

Attendu que plusieurs factures correspondant à des redevances d’occupation du domaine public portuaire, émises entre 2006 et 2010 à l’encontre du conseil général de Guadeloupe, restaient non recouvrées fin 2011 pour un montant total de 155 901,15 € ; que selon le réquisitoire du 15 février 2013 susvisé, l’insuffisance de diligences pour le recouvrement de ces créances peut fonder la mise en jeu de la responsabilité de  M. Y à hauteur de 155 901,15 € au titre de l’exercice 2011 ;

Attendu qu’il ressort de l’instruction qu’à la suite d’une transaction signée le 6 mars 2013 entre le port autonome et le conseil général, ce dernier a réglé le 19 juin 2013 les factures en cause ; qu’en conséquence, il n’y a pas lieu de mettre en jeu la responsabilité de M. Y, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres arguments exposés par l’agent comptable ;

Sur la présomption de charge n° 2 soulevée à l’encontre de M. Y au titre de l’exercice 2009

Attendu quentre le 6 décembre 2007 et le 27 février 2008, le port autonome a émis quinze factures à l’encontre de Carib Ferries pour un montant total de 7 921,34 €, correspondant à des prestations fournies à cette société ; que selon le réquisitoire initial susvisé, leur recouvrement était manifestement compromis à la clôture de l’exercice 2009 de sorte que le défaut de rapidité des diligences de l’agent comptable en vue du recouvrement de la créance en cause est susceptible de fonder la mise responsabilité de M. Y, à hauteur de 7 921,34 € au titre de l’exercice 2009 ;

Sur l’existence d’un manquement de l’agent comptable

Attendu qu’en vertu du règlement général sur la comptabilité publique, les comptables publics sont chargés du recouvrement des créances qu’ils ont pris en charge ; qu’en cette matière, il leur appartient de mettre en œuvre des diligences adéquates, complètes et rapides ; qu’aux termes du I de l'article 60 modifié de la loi du 23 février 1963, leur responsabilité personnelle et pécuniaire se trouve engagée dès lors qu’une recette n’a pas été recouvrée ; que, toutefois, en application du V du même article, le juge des comptes ne met pas en jeu la responsabilité personnelle et pécuniaire du comptable public lorsqu’il constate l’existence de circonstances constitutives de la force majeure ;

Attendu qu’en l’espèce, les factures en cause ont fait l’objet d’un dernier avis avant poursuite daté du 26 décembre 2008, puis de l’émission d’un titre exécutoire en avril 2009 et d’un mandatement d’huissier en justice le 10 août 2009 à des fins de recouvrement forcé ;

Attendu que M. Y fait valoir, en premier lieu, que le délai de quatre mois entre le dernier avis avant poursuites et l’émission du titre exécutoire s’explique par la situation particulière qui régnait alors sur l’île ; qu’il soutient, dans un mémoire produit à la Cour après la clôture de l’instruction et les conclusions écrites du ministère public, que l’existence de circonstances de force majeure ferait obstacle à la mise en jeu de sa responsabilité ; qu’à l’audience, il explique qu’au moment des faits, l’absence de personnel à l’agence comptable, conséquence de la grève générale en Guadeloupe, ne lui a pas permis, sur la période courte de deux mois pendant laquelle il pouvait agir, d’exercer de manière rapide le recouvrement sur la société débitrice ;

Attendu qu’un évènement doit être imprévisible, irrésistible et extérieur pour constituer une circonstance de force majeure ; qu’en l’espèce, la grève a pu, par sa durée, être une cause de désorganisation du service comptable ; qu’il n’est pas démontré, cependant, qu’en raison de ces difficultés, l’agent comptable a été dans l’impossibilité, pendant l’évènement, d’agir autrement qu’il ne l’a fait ; qu’à cet égard, il y a lieu de considérer que le défaut de diligences dans le recouvrement des factures en cause résulte des priorités que l’agent comptable a lui-même fixées ; qu’au surplus, la circonstance que ces choix aient pu être opérés dans l’intérêt du fonctionnement du port est sans effet sur l’office du juge des comptes ;

Attendu que M. Y soutient en second lieu que, sans qu’il ait pu à l’époque en faire l’analyse, le recouvrement des créances était déjà fortement compromis avant sa prise de fonctions ; qu’il s’appuie, pour établir ce constat, sur la situation de la société telle qu’elle ressort du procès-verbal de l’assemblée générale extraordinaire de la société en date du    25 octobre 2008 et du rapport du liquidateur à l’assemblée générale du 31 décembre 2010 ;

Attendu toutefois, que l’agent comptable ne démontre pas qu’avant le 1er octobre 2008, la société était dans l’impossibilité d’honorer ses dettes à l’égard du port ; qu’en l’état des éléments produits, la Cour constate, d’une part, que lors de l’assemblée générale extraordinaire ci-dessus mentionnée, les associés ont décidé la poursuite de l’activité de la société et, d’autre part, que l’actif de la société a servi à désintéresser partiellement l’un des associés ;

Attendu qu’en conséquence, la responsabilité de M. Y doit être mise en jeu au du fait de ses diligences insuffisantes ;

Sur le préjudice financier pour l’établissement

Attendu que le non-recouvrement d’une créance cause un préjudice financier à l’établissement public créancier, sauf s’il est établi que celui-ci n’aurait pas pu être désintéressé quand bien même l’agent comptable aurait satisfait à ses obligations ;

Attendu quen l’espèce, cette preuve n’est pas apportée par M. Y ;

Attendu qu’aux termes du 3ème alinéa du VI de l’article 60 modifié de la loi du 23 février 1963 susvisée, lorsque le manquement du comptable a causé un préjudice financier, le comptable a l'obligation de verser immédiatement de ses deniers personnels la somme correspondante ; qu’en application du VIII du même article, les intérêts du débet courent au taux légal à compter du premier acte de mise en jeu de la responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables publics ;

Attendu qu’il y a lieu, dès lors, de constituer M. Y débiteur envers le Port autonome de la Guadeloupe de la somme de 7 921,34 € au titre de l’exercice 2009, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 26 février 2013, date de réception du réquisitoire initial par l’agent comptable ;

 

 

Sur la présomption de charge n° 3 soulevée à l’encontre de M. Y au titre de l’exercice 2010

Attendu que le nettoyage et l’entretien des quais et terre-pleins du port ont fait l’objet d’un marché à procédure adaptée, notifié le 16 novembre 2009 à la société Guadeloupe Propreté ; que selon les réquisitoires susvisés, en regard des pièces justificatives produites, l’agent comptable n’a pas exercé les contrôles qu’il était tenu d’opérer et qu’il aurait dû suspendre le paiement de sept factures honorées en dépassement du montant prévu au marché ou en l’absence des éléments nécessaires à la vérification de l’exactitude des calculs de liquidation et en informer l’ordonnateur ; que, pour ce défaut de contrôle de la validité de la créance, la responsabilité de M. Y est susceptible d’être mise en jeu à hauteur de 18 292,90 € au titre de l’exercice 2010 ;

Sur l’existence d’un manquement de l’agent comptable

Attendu qu’aux termes de l'article 60 modifié de la loi du 23 février 1963, la responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables publics se trouve engagée dès lors qu’une dépense a été irrégulièrement payée à la suite du défaut de contrôle de la validité de la créance ;

Attendu qu’il ressort du dossier que les sept factures en cause correspondent à la réalisation de prestations complémentaires variables liées à l’activité de croisière ; que le prix unitaire de ces prestations complémentaires ne figure pas sur l’acte d’engagement ou les autres pièces produites à l’appui de la dépense ; que pour autant, M. Y conteste un quelconque dépassement du montant du marché dans la mesure où le règlement des factures tient à la nature des prestations complémentaires dont le principe était acté par le marché ;

Attendu toutefois, que seul le montant figurant dans l’acte d’engagement à l’appui des mandats est juridiquement opposable à l’établissement et qu’en l’absence de précision sur le prix de certaines prestations, celles-ci ne pouvaient lui être facturées ;

Sur le préjudice financier pour l’établissement

Attendu que l’agent comptable argue de la réalisation des prestations complémentaires et du fait que le marché en prévoyait le principe, pour considérer que le port n’a pas subi de préjudice financier ;

Attendu que le service fait est, certes, un élément important qui peut être pris en considération ; qu’il n’est cependant pas le seul ; qu’ainsi, en l’absence d’engagement sur le prix des prestations complémentaires, le règlement des factures a nécessairement causé un préjudice financier à l’établissement public ;

Attendu qu’en application des dispositions du 3ème alinéa du VI de l’article 60 de la loi du 23 février 1963 ci-dessus rappelées, il y a lieu de constituer M. Y débiteur envers le Port autonome de la Guadeloupe de la somme de 18 292,90 € au titre de l’exercice 2010, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 26 février 2013 ;

Sur les présomptions de charge n° 4 et n° 5 soulevées à l’encontre respectivement de Mme X (exercice 2008) et de M. Y (exercices 2008 à 2010)

Attendu que selon le réquisitoire initial, trois mandats n°s 2237, 2873 et 2874 d’un montant total de 162 714,41 € correspondant à la rémunération de sous-traitants ont été pris en charge et réglés en 2008 par Mme X alors que l’acte d’engagement du marché prévoyait que les sous-traitants devaient faire l’objet d’une acceptation par le maître d’ouvrage et qu’aucune pièce produite à l’appui des mandats n’établissait que cette condition avait été remplie ; qu’en outre, selon le réquisitoire supplétif, le montant total payé au titre de ce marché, soit 5 391 713,50 €, aurait excédé le montant prévu par l’acte d’engagement et l’avenant du 28 novembre 2008 au marché ; que dès lors, les paiements en cause pourraient également fonder la mise en jeu de la responsabilité de M. Y au titre des exercices 2008 à 2010 ;

Attendu d’une part, que Mme X et M. Y, chacun pour ce qui le concerne, ont produit les pièces établissant que les sous-traitants ont été déclarés conformément à ce qui était prévu par l’acte d’engagement ; que, d’autre part, le dépassement constaté résulte des révisions provisoires et complémentaires de prix, prévues au marché  et intervenues durant l’exécution du contrat ; quen l’absence de manquement des agents comptables à leurs obligations de contrôle, il n’y a pas lieu de mettre en jeu leur responsabilité ;

 

 

Par ces motifs,

 

DÉCIDE :

 

Article 1er : Il n’y a pas lieu de mettre en jeu la responsabilité de M. Y en ce qui concerne les présomptions de charge n°s 1 et 5, ni celle de Mme X en ce qui concerne la présomption de charge4.

Article 2 : M. Y est constitué débiteur envers le Port autonome de la Guadeloupe des sommes de 7 921,34  (exercice 2009) et de 18 292,90 € (exercice 2010), augmentées des intérêts de droit à compter du 26 février 2013.

Article 3 : Mme X est déchargée de sa gestion au cours de l’exercice 2008 et déclarée quitte et libérée de sa gestion terminée le 30 septembre 2008.

Mainlevée peut être donnée et radiation peut être faite de toutes oppositions et inscriptions mises ou prises sur ses biens meubles ou immeubles ou sur ceux de ses ayants cause pour sûreté de ladite gestion et son cautionnement peut être restitué (ou ses cautions dégagées).

Article 4 : M. Y est déchargé de sa gestion du 1er octobre au 31 décembre 2008 et durant l’exercice 2011.

Il est sursis à la décharge de M. Y sur les exercices 2009 et 2010 jusqu’à l’apurement des sommes fixées ci-dessus.

 

 

 

Fait et jugé par Mme Evelyne RATTE, présidente de chambre, présidente de la formation, Mme Annie PODEUR, présidente de section, Mme Sylvie VERGNET, MM. Olivier ORTIZ et Jacques BASSET, conseillers maîtres.

 

En présence de Mme Marie-Hélène PARIS-VARIN, greffière de séance.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Marie-Hélène PARIS-VARIN

 

 

 

 

 

 

 

 

Evelyne RATTE

 

 

 

 

 

 


En conséquence, la République française mande et ordonne à tous huissiers de justice, sur ce requis, de mettre ledit arrêt à exécution, aux procureurs généraux et aux procureurs de la République près les tribunaux de grande instance d’y tenir la main, à tous commandants et officiers de la force publique de prêter main-forte lorsqu’ils en seront légalement requis.

 

 

Conformément aux dispositions de l’article R. 142-16 du code des juridictions financières, les arrêts prononcés par la Cour des comptes peuvent faire l’objet d’un pourvoi en cassation présenté, sous peine d’irrecevabilité, par le ministère d’un avocat au Conseil d’État dans le délai de deux mois à compter de la notification de l’acte. La révision d’un arrêt ou d’une ordonnance peut être demandée après expiration des délais de pourvoi en cassation, et ce dans les conditions prévues au paragraphe I de l’article R. 142-15 du même code.

 

 

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