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PREMIERE CHAMBRE

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Première section

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Arrêt n° S 2016-1117

 

Audience publique du 7 avril 2016

 

Prononcé du 12 mai 2016

DIRECTION DEPARTEMENTALE DES FINANCES PUBLIQUES

DE LA HAUTE-SAONE

 

SIE/SIP de LURE

 

Exercices 2005 à 2011

 

Rapport n° R-2016-0159

 

 

 

République Française,

 

Au nom du peuple français,

 

La Cour,

 

Vu le réquisitoire en date du 27 novembre 2015, par lequel le Procureur général près la Cour des comptes a saisi la première chambre de la Cour des comptes d’une présomption de charge, en vue de la mise en jeu de la responsabilité personnelle et pécuniaire de M. X, comptable du service des impôts des entreprises et des particuliers (SIE/SIP) de Lure, au titre d’opérations relatives à l’exercice 2006, ensemble la preuve de sa notification audit comptable le 17 décembre 2015 ;

 

Vu les comptes de la direction départementale des finances publiques (DDFiP) de la Haute-Saône rendus pour les exercices 2005 à 2011, y annexés les états de restes à recouvrer établis, en leur qualité de receveur des administrations financières, par M. X pour la période du 6 septembre 2002 au 2 décembre 2007 ;

 

Vu les justifications produites au soutien des susdits états annexes, ensemble les pièces recueillies au cours de l’instruction ;

 

Vu l’article 60 de la loi de finances n° 63-156 du 23 février 1963 ;

 

Vu le code général des impôts, ensemble ses annexes et le livre des procédures fiscales ;

 

Vu le code de commerce ;

 

Vu le code des juridictions financières ;

 

Vu le décret n° 62-1587 du 29 décembre 1962 portant règlement général sur la comptabilité publique, alors en vigueur ;

 

Vu le décret n° 77-1017 du 1er septembre 1977 relatif à la responsabilité des receveurs des administrations financières ;

 

Vu le décret n° 2012-1386 du 10 décembre 2012 portant application du deuxième alinéa du VI de l’article 60 de la loi de finances pour 1963 modifiée dans sa rédaction issue de l’article 90 de la loi n° 2011-1978 du 28 décembre 2011 de finances rectificatives pour 2011 ;

 

Vu le rapport de M. Jean-Christophe CHOUVET, conseiller maître, chargé de l’instruction ;

 

Vu les conclusions du Procureur général ;

 

Vu les pièces du dossier, notamment le mémoire en défense en date du 19 janvier 2016 produit par le directeur départemental des finances publiques de la Haute-Saône pour le compte de M. X ;

 

Entendus lors de l’audience publique du 7 avril 2016, M. Jean-Christophe CHOUVET, en son rapport, et M. Bertrand DIRINGER, avocat général, en les conclusions du ministère public, M. X n’étant ni présent, ni représenté ;

 

Entendu en délibéré, M. Vincent FELLER, conseiller maître, en ses observations ;

 

Sur la présomption de charge unique, soulevée à l’encontre de M. X (affaire Sarl Euro Motor Sport, au titre des exercices 2006 ou 2007)

 

Attendu que, par le réquisitoire susvisé, le Procureur général a saisi la Première chambre de la Cour des comptes de l’engagement de la responsabilité personnelle et pécuniaire de M. X, au motif que celui-ci aurait manqué à ses obligations par défaut de diligences pour le recouvrement et la conservation d’une créance sur la SARL Euro Motor Sport, en raison d’irrégularités viciant les actes de cautionnement et l’hypothèque légale du Trésor, à hauteur de 97 778 , et au surplus par défaut d’appel en garantie de la caution ;

 

Sur l’existence d’un manquement du comptable à ses obligations

 

Sur la règle de droit

 

Attendu qu’aux termes de la loi du 23 février 1963 susvisée, le premier acte de la mise en jeu de la responsabilité ne peut plus intervenir au-delà du 31 décembre de la cinquième année suivant celle au cours de laquelle le comptable a produit ses comptes au juge des comptes ou, lorsqu’il n’est pas tenu à cette obligation, celle au cours de laquelle il a produit les justifications de ses opérations ;

 

Attendu qu’aux termes de la même loi, les comptables publics sont personnellement et pécuniairement responsables du recouvrement des recettes et des contrôles qu’ils sont tenus d’exercer en cette matière dans les conditions prévues par le règlement général sur la comptabilité publique ; que leur responsabilité personnelle et pécuniaire se trouve engagée dès lors qu’une recette n’a pas été recouvrée ; que la responsabilité du comptable public en matière de recettes s’apprécie au regard de ses diligences, celles-ci devant être adéquates, complètes et rapides ;

 

Attendu que selon l’article 1929ter du code général des impôts susvisé, « pour le recouvrement des impositions de toute nature et amendes fiscales confié aux comptables mentionnés à l'article L. 252 du livre des procédures fiscales, le Trésor a une hypothèque légale sur tous les biens immeubles des redevables » ;

 

Sur les faits

 

Attendu que la SARL Euro Motor Sport restait redevable au 31 décembre 2011 d’une créance de taxe sur la valeur ajoutée mise en recouvrement par avis notifié le 24 février 2006 ; que des paiements effectués en 2006 pour 18 900  avaient ramené la créance restant à recouvrer de 116 678  à 97 778  ;

 


Attendu que ladite SARL a fait l’objet d’une procédure de redressement judiciaire ouverte par jugement le 19 décembre 2006 publié au Bulletin d’Annonces Civiles et Commerciales du 24 janvier 2007, puis d’une procédure de liquidation judiciaire prononcée par jugement du 15 février 2007, publié le 8 mars 2007 ; qu’il n’est pas contesté que la créance détenue sur cette société avait été régulièrement déclarée et admise au passif de la procédure collective ;

 

Attendu que le comptable des impôts et la gérante de la SARL débitrice avaient signé le 24 juillet 2006 un engagement de caution portant effet du 30 mai 2006 au 31 décembre 2007 ; que l’immeuble mentionné dans l’acte était la propriété d’une société civile immobilière (SCI) dont la gérante de la SARL détenait la quasi-totalité des parts ; que ladite SCI n’était pas partie à l’acte instituant la caution ; qu’une hypothèque légale du Trésor a été inscrite le 25 juillet 2006 sur l’immeuble, à l’encontre de la SCI propriétaire, à concurrence de la totalité de la créance initiale, soit 116 678  en droits ;

 

Attendu que le comptable n’a pas actionné la caution personnelle après la publication du jugement de liquidation judiciaire ouverte à l’encontre de la SARL ;

 

Attendu qu’à la suite de l’examen des restes à recouvrer, le directeur départemental des finances publiques de Haute-Saône, le 19 mai 2014, a conclu à l’irrégularité de l’acte de cautionnement et de l’hypothèque légale du Trésor précités ; que le solde de la créance a fait l’objet d’un apurement administratif, soit 97 778 , par certificat du 4 juin 2014 ;

 

Sur les moyens invoqués à décharge

 

Attendu que le mémoire en défense susvisé reconnaît les faits et indique expressément que « le recouvrement des créances de la SARL Euro Motor Sport d’un montant de 97 778 a été irrémédiablement compromis en 2006 » ;

 

Attendu toutefois que le même mémoire fait valoir que l’exercice 2006 serait atteint par la prescription extinctive, conformément au certificat d’apurement administratif du 4 juin 2014 précité, nonobstant le caractère erroné de sa motivation, dû à une confusion entre régimes de responsabilité des comptables secondaires ; qu’en application du délai de cinq ans prévu à l’article 60 de la loi du 23 février 1963 susvisée, la mise en jeu de la responsabilité du comptable ne pourrait plus être engagée à ce motif depuis le 1er janvier 2013 ;

 

Attendu qu’il est également soutenu que si la caution n’a pas été actionnée, c’est que, s’agissant d’une procédure lourde, soumise à l’autorisation du directeur des services fiscaux, cette solution aurait été en toute hypothèse refusée par ce dernier, compte tenu de l’irrégularité de l’hypothèque légale ;

 

Sur l’application au cas d’espèce

 

Attendu que le droit dont dispose le Trésor, en application de l’article 1929ter précité du code général des impôts, de faire inscrire une hypothèque légale, suppose que soit établie la qualité de redevable du propriétaire des biens sur lesquels doit être effectuée l’inscription sollicitée ;

 

Attendu que la SCI propriétaire de l’immeuble pris en garantie ne s’était pas portée elle-même caution ; qu’ainsi, nonobstant le fait que cette SCI ait été largement contrôlée par la partie s’étant portée caution, l’hypothèque prise sur l’immeuble n’était pas valide ; qu’en conséquence, le fonctionnement du dispositif conventionnel constituant la caution s’est trouvé gravement compromis dès sa mise en place en 2006, et avec lui le recouvrement de la créance censément garantie ;

 

Attendu au surplus que l’acte portant caution avait pour effet d’engager la partie qui s’était portée caution, à hauteur du montant qu’elle garantissait ; que, dès lors, il revenait au comptable de demander à ce que la caution soit appelée en garantie dès le prononcé de la conversion de la procédure collective en liquidation judiciaire, que l’hypothèque puisse jouer ou non ; que, si cette procédure était soumise à l’autorisation du directeur des services fiscaux, il est constant que le comptable s’est abstenu de la demander, l’argument spéculatif selon lequel le directeur précité aurait pu ne pas y consentir en raison de l’invalidité de l’hypothèque ou de la lourdeur de la procédure ne pouvant dégager le comptable de ses obligations ;

 

Attendu ainsi que le comptable a manqué à son obligation de diligences adéquates et complètes ; que ce manquement a gravement compromis le recouvrement de la créance ;

 

Attendu que, s’agissant d’une créance prise en charge en 2006, le comptable devait justifier de son recouvrement au 31 décembre 2009 dans les états récapitulatifs intéressant la situation du recouvrement des droits dont la perception lui incombait ; que le compte 2009 de la DDFiP de Haute-Saône a été transmis au juge des comptes au cours de l’exercice 2010 ; que le délai de prescription de la mise en jeu de la responsabilité du comptable prévu par l’article 60 précité de la loi du 23 février 1963 courait ainsi jusqu’au 31 décembre 2015 ; que le réquisitoire du ministère public susvisé a été notifié au comptable avant cette date ; qu’ainsi, contrairement à ce qui est soutenu, et quelles qu’aient été les mentions portées sur le certificat administratif précité, il y a lieu de constater que l’action du juge financier n’est pas prescrite ;

 

Attendu ainsi qu’il y a lieu d’engager la responsabilité de M. X au titre de l’exercice 2006 ;

 

Sur l’existence d’un préjudice financier

 

Attendu que le non recouvrement d’une créance cause par principe un préjudice financier à la collectivité publique créancière ; qu’il n’y a absence de préjudice que s’il est établi que l’Etat n’aurait pas pu être désintéressé, quand bien même le comptable aurait satisfait à ses obligations ; que cette preuve n’est pas apportée en l’espèce ; qu’en particulier il ne ressort pas du dossier que la partie s’étant portée caution ait été insolvable, ne serait-ce qu’au regard des parts de SCI détenues par elle ;

Attendu qu’aux termes du 3ème alinéa du paragraphe VI de l’article 60 modifié de la loi du 23 février 1963 susvisée : « lorsque le manquement du comptable aux obligations mentionnées au (I) a causé un préjudice financier (…) le comptable a l'obligation de verser immédiatement de ses deniers personnels la somme correspondante » ;

Attendu qu’il y a lieu, ainsi, de constituer M. X débiteur envers l’Etat de la somme de 97 778  au titre de l’exercice 2006, augmentée des intérêts au taux légal à compter du premier acte de la mise en jeu de sa responsabilité personnelle et pécuniaire, soit le 17 décembre 2015, date de réception du réquisitoire susvisé ;

 

Par ces motifs,

 

 

DÉCIDE :

 

 

En ce qui concerne M. X, charge unique, exercice 2006

 

 

Article 1er.  M. X est constitué débiteur envers l’Etat de la somme de 97 778 euros, augmentée des intérêts de droit à compter du 17 décembre 2015.

 

Article 2.  M. X ne pourra être déchargé de sa gestion pendant l’année 2006 qu’après apurement du débet fixé ci-dessus.

 

 

Fait et jugé par Philippe Geoffroy, président de section, présidant la séance, MM. Daniel-Georges Courtois, Vincent Feller, Pierre Rocca et Guy Fialon, conseillers maîtres.

 

En présence de Mme Valérie Guedj, greffière de séance.

 

 

 

 

 

 

 

Valérie GUEDJ

 

 

 

 

 

 

Philippe GEOFFROY

 

 

En conséquence, la République française mande et ordonne à tous huissiers de justice, sur ce requis, de mettre ledit arrêt à exécution, aux procureurs généraux et aux procureurs de la République près les tribunaux de grande instance d’y tenir la main, à tous commandants et officiers de la force publique de prêter main-forte lorsqu’ils en seront légalement requis.

 

Conformément aux dispositions de l’article R. 142-16 du code des juridictions financières, les arrêts prononcés par la Cour des comptes peuvent faire l’objet d’un pourvoi en cassation présenté, sous peine d’irrecevabilité, par le ministère d’un avocat au Conseil d’État dans le délai de deux mois à compter de la notification de l’acte. La révision d’un arrêt ou d’une ordonnance peut être demandée après expiration des délais de pourvoi en cassation, et ce dans les conditions prévues au paragraphe I de l’article R. 142-15 du même code.

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