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S2018-1840
QUATRIÈME CHAMBRE ------- Première section ------- Arrêt n° S2018-1840
Audience publique du 14 juin 2018 Prononcé du 28 juin 2018
| COMMUNE DE GRAVELINES (DEPARTEMENT DU NORD)
Appel d’un jugement de la chambre régionale des comptes des Hauts-de-France
Rapport n° R-2018-0213
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République Française
Au nom du peuple français,
La Cour,
Vu la requête enregistrée le 12 avril 2017 au greffe de la chambre régionale des comptes des Hauts-de-France, par laquelle M. X, comptable de la commune de Gravelines (département du Nord), a élevé appel du jugement n° 2017-0004 du 9 février 2017 par lequel ladite chambre régionale l’a constitué débiteur de la caisse de ladite commune pour avoir payé la rémunération d’un collaborateur de cabinet sans disposer des pièces justificatives nécessaires ;
Vu les pièces de la procédure suivie en première instance ;
Vu le code général des collectivités territoriales ;
Vu le code des juridictions financières ;
Vu l’article 60 modifié de la loi de finances n° 63-156 du 23 février 1963 ;
Vu l’article 110 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984, ensemble le décret
n° 87-1004 du 16 décembre 1987, relatifs aux collaborateurs de cabinet des autorités territoriales ;
Vu le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique ;
Vu le décret n° 2012-1386 du 10 décembre 2012 portant application du deuxième alinéa du VI de l'article 60 de la loi de finances de 1963 modifié, dans sa rédaction issue de l'article 90 de la loi n° 2011-1978 du 28 décembre 2011 de finances rectificative pour 2011 ;
Vu le rapport de M. Patrick BONNAUD, conseiller référendaire, chargé de l’instruction ;
Vu les conclusions du Procureur général n° 375 du 6 juin 2018 ;
Vu le mémoire produit par M. X en date du 13 juin 2018 ;
Entendu lors de l’audience publique du 14 juin 2018 Monsieur BONNAUD, conseiller référendaire en son rapport, M. Christophe LUPRICH, substitut général, en les conclusions du ministère public, les parties, informées de l’audience n’étant ni présentes, ni représentées ;
Entendu en délibéré M. Denis BERTHOMIER, conseiller maître, réviseur, en ses observations ;
Attendu que, par le jugement entrepris, la chambre régionale des comptes des
Hauts-de-France a constitué M. X, comptable de la commune de Gravelines, débiteur de la caisse de ladite commune pour avoir payé la rémunération d’un collaborateur de cabinet du maire de la commune sans disposer des pièces justificatives prévues par l’annexe I à l’article L. 1617-19 du code général des collectivités territoriales ;
Attendu que l’appelant demande la réformation du jugement en ce qu’il dit qu’il a manqué à ses obligations, ou, subsidiairement, en ce qu’il constate ce manquement pour les mois autres qu’avril, mai et juin 2014, et en ce qu’il dit que ce manquement a causé un préjudice financier à la commune ; qu’il y a lieu de comprendre que le comptable demande l’infirmation du jugement ;
Sur la régularité
Attendu que, dans son mémoire du 13 juin 2018 susvisé, M. X invoque l’insuffisante motivation du jugement de première instance et l’absence, selon lui, de respect, par celui-ci, du contradictoire, en ce qui concerne la détermination du préjudice ;
Attendu qu’il s’agit d’un moyen nouveau, non soulevé dans la requête en appel de M. X et présenté hors des délais de l’appel ; que ce moyen est donc irrecevable et ne saurait donc être discuté ; qu’au surplus, la Cour n’a relevé aucun moyen d’ordre public susceptible de motiver l’annulation du jugement ;
Sur le fond
Attendu qu’il est établi et non contesté que le comptable a procédé au paiement de la rémunération et des cotisations sociales d’un collaborateur de cabinet du maire de Gravelines pour les mois d’avril à décembre 2014, pour un montant total de 72 118,15 € ; que le comptable n’a disposé, pour des paiements qui se sont échelonnés d’avril à décembre 2014, et seulement à compter du 11 juin 2014, que d’une copie non signée d’un arrêté de nomination, daté du 3 avril 2014, sans référence à une délibération créant l’emploi ; qu’il ressort d’une lettre du maire en date du 24 novembre 2016 que cet arrêté du 3 avril 2014 n’a jamais été soumis à sa signature ; que la délibération créant l’emploi a été prise le 1er juillet 2014 ; que le maire a pris le 6 mai 2016 un arrêté de nomination valant du 1er juillet 2014, rapporté le 21 novembre 2016 et remplacé par un arrêté du même jour nommant ledit collaborateur à compter du
24 mars 2014 ;
Sur le manquement
Attendu que l’appelant fait valoir que la chambre régionale des comptes a commis une erreur de droit et méconnu son office en considérant que le comptable ne disposait pas de l’acte d’engagement au motif que la convention de dématérialisation conclue entre la commune, la direction départementale des finances publiques et la chambre régionale des comptes prévoyait la seule communication au comptable des pièces justificatives non signées et que le comptable a bien obtenu un arrêté de nomination du collaborateur de cabinet en cause au format Word, tel que prévu à la convention, daté du 3 avril 2014 ; qu’en exigeant un arrêté signé, la chambre remet en cause la convention de dématérialisation ;
Attendu qu’il fait valoir, par ailleurs, que le défaut de signature et donc du caractère exécutoire dudit arrêté n’a été connue qu’à l’occasion du contrôle de la chambre, en mai 2016 ; que sauf à méconnaître son office, la chambre doit se placer à la date du paiement et qu’ainsi seul les paiements des rémunérations d’avril et mai peuvent donc être tenus pour irréguliers ;
Attendu que, par son premier argument, l’appelant donne à la convention de dématérialisation une portée qu’elle n’a pas ; que cette convention permet à l’ordonnateur de valider par sa signature sur les bordereaux les pièces justificatives jointes aux titres ou aux mandats qu’ils transmettent au comptable ; qu’il y est, notamment, précisé que « en cas de signature électronique d’un fichier comportant à la fois de tels bordereaux et des pièces justificatives de mandats ou de titres, le signataire du fichier doit avoir compétence pour attester du caractère exécutoire de chacune de ces pièces ; dans le cas contraire, la certification du caractère exécutoire devra être transmise avec la pièce justificative électronique » ; que, dans le cas présent, l’arrêté du 3 avril 2014 n’a pas été transmis sous bordereau, mais par lettre simple signé du DRH dont il n’est pas établi qu’il ait compétence pour attester du caractère exécutoire d’un arrêté du maire ; que le comptable ne pouvait donc se fonder sur la convention de dématérialisation pour présumer de la validité de l’arrêté qui lui était transmis ;
Attendu que, en ce qui concerne le second argument de l’appelant, le maire, autorité compétente, a reconnu que l’arrêté du 3 avril 2014 n’existait pas, en ce qu’il n’avait jamais été soumis à sa signature ; que c’est donc à bon droit et sans méconnaître son office que la chambre a jugé qu’une pièce inexistante ne pouvait justifier une dépense ;
Attendu qu’il en résulte que le comptable a procédé aux paiements de la rémunération du collaborateur de cabinet sans disposer d’un acte d’engagement valide, pièce justificative prévue par le § 21011 de l’annexe I à l’article L. 1617-19 du code général des collectivités territoriales ; qu’il a, ainsi, manqué à son obligation de contrôle de la production des justifications telle que prévue à l’article 20-5 du décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique et engagé sa responsabilité personnelle et pécuniaire, dans les conditions de l’article 60 de la loi n° 63-156 du 23 février 1963 de finances pour 1963 ; qu’il y a donc lieu de rejeter la demande de M. X d’infirmer le jugement de la chambre régionale des comptes des Hauts-de-France en ce qu’elle constate ce manquement ;
Sur le préjudice
Attendu que l’appelant fait valoir que le fait de payer sans pièces justificatives constitue un manquement mais n’induit pas nécessairement que ce manquement ait causé un préjudice ; que, dans le cas présent, le poste avait été créé sous la précédente mandature, les crédits ont été votés au budget 2014, et, par délibération du 1er juillet 2014, le poste a été recréé ; qu’il y a donc bien intention de la commune de maintenir le poste ; que le fait que la délibération soit postérieure à l’arrêté est sans incidence, les visas n’ayant pas de portée juridique ;
Attendu que, dans ses conclusions en première instance, le procureur financier estime qu’infondée en droit, du fait de l’absence d’arrêté valide, la dépense était indue et que son paiement a nécessairement causé un préjudice financier à la commune ; que les arrêtés de 2016 ne peuvent être admis en justification au regard du principe général de non rétroactivité des actes administratifs ;
Attendu que l’ordonnateur, en première instance, a fait valoir l’effectivité du service du collaborateur de cabinet et le vote des crédits au budget ;
Attendu que, pour déterminer si la dépense est ou non indue, il convient de rechercher, outre la réalité du service fait, la volonté expresse et préalable de l’ordonnateur et si cette volonté est conforme au droit ;
Attendu que, par arrêté du 6 mai 2016, le maire de Gravelines a nommé M. L… à compter du 1er juillet 2014 ; que cet arrêté a été retiré puis que par arrêté du 21 novembre 2016, le maire de Gravelines a nommé M. L…collaborateur de cabinet à compter du 24 mars 2014 ;
Attendu que l’article 6 du décret du 16 décembre 1987 susvisé relatif aux collaborateurs de cabinet des autorités territoriales dispose que les fonctions de collaborateur de cabinet prennent fin au plus tard en même temps que le mandat de l'autorité territoriale qui l'a recruté ;
Attendu que l’article L. 2121-7 du code général des collectivités territoriales susvisé dispose que l’élection du maire a lieu au plus tôt le vendredi, et au plus tard le dimanche suivant le tour de scrutin à l’issue duquel le conseil a été élu au complet ; que le maire de Gravelines a donc été réélu au plus tôt le vendredi 28 mars 2014 et au plus tard le dimanche 30 mars 2014 ; qu’il en résulte que l’arrêté du 21 novembre 2016 précité n’a eu pour effet que de nommer M. L… au cabinet du maire du 24 mars 2014 à une date qui ne peut être postérieure au 30 mars 2014 ;
Attendu que ni la délibération du 1er juillet 2014 précitée, ni le maintien des crédits permettant de rémunérer le collaborateur de cabinet au budget de la commune ne prouvent la volonté d’employer M. L… postérieurement à la fin du mandat du maire de la commune ; que seul un arrêté nominatif régulier peut prouver cette volonté ;
Attendu qu’il résulte de ce qui précède que les rémunérations payées par M. X à M. L… au-delà du 1er avril 2014 sont constitutives d’un préjudice au détriment de la commune de Gravelines ; que c’est donc à bon droit que la chambre régionale des comptes des
Hauts-de-France a constitué M. X débiteur de la commune de Gravelines au titre de ces rémunérations ;
Par ces motifs,
DECIDE :
Article unique. – La requête de M. X est rejetée.
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Fait et jugé en la Cour des comptes, quatrième chambre, première section. Présents : M. Yves ROLLAND, président de section, président de séance, MM. Jean-Yves BERTUCCI, Denis BERTHOMIER, conseillers-maîtres, Mmes Dominique DUJOLS, Isabelle LATOURNARIE-WILLEMS, conseillères-maîtres.
En présence de Mme Stéphanie MARION, greffière de séance.
Stéphanie MARION
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Yves ROLLAND
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En conséquence, la République française mande et ordonne à tous huissiers de justice, sur ce requis, de mettre ledit arrêt à exécution, aux procureurs généraux et aux procureurs de la République près les tribunaux de grande instance d’y tenir la main, à tous commandants et officiers de la force publique de prêter main-forte lorsqu’ils en seront légalement requis.
Conformément aux dispositions de l’article R. 142-20 du code des juridictions financières, les arrêts prononcés par la Cour des comptes peuvent faire l’objet d’un pourvoi en cassation présenté, sous peine d’irrecevabilité, par le ministère d’un avocat au Conseil d’État dans le délai de deux mois à compter de la notification de l’acte. La révision d’un arrêt ou d’une ordonnance peut être demandée après expiration des délais de pourvoi en cassation, et ce dans les conditions prévues au I de l’article R. 142-19 du même code.
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