S2018-0785 | 1 / 5 |
République Française, Au nom du peuple français, La Cour, |
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Vu la décision n° 386605 du 5 octobre 2016 par laquelle le Conseil d’État a annulé l’arrêt n° 70527 de la première chambre de la Cour des comptes du 27 octobre 2014, et a renvoyé l’affaire devant ladite Cour ;
Vu la lettre du 2 octobre 2017 par laquelle les parties ont été informées de l’ouverture d’une nouvelle instance et de la désignation d’un rapporteur ;
Vu les pièces de la procédure suivie en première instance et notamment le réquisitoire du Procureur général près la Cour des comptes n° 2013-48 RQ-DB du 17 juillet 2013 concernant la gestion au cours de l’exercice 2007 de Mme X, comptable du service des impôts des entreprises de Pornic du 1er février 1995 au 8 juillet 2008 ;
Vu les pièces de la procédure suivie en cassation ;
Vu le code de commerce ;
Vu le code général des impôts, ensemble son annexe 3 ;
Vu le code des juridictions financières ;
Vu l’article 60 de la loi de finances n° 63-156 du 23 février 1963 ;
Vu la loi n° 2011-1978 du 28 décembre 2011 de finances rectificative pour 2011, notamment son article 90 ;
Vu le décret n° 62-1587 du 29 décembre 1962 portant règlement général sur la comptabilité publique, alors en vigueur ;
Vu le décret n° 77-1017 du 1er septembre 1977 relatif à la responsabilité des receveurs des administrations financières ;
Vu le décret n° 2008-228 du 5 mars 2008 relatif à la constatation et à l’apurement des débets des comptables publics et assimilés ;
Vu le décret n° 2011-1138 du 20 septembre 2011 relatif à la constatation et à l’apurement des débets des comptables publics chargés du recouvrement des impôts et assimilés ;
Vu le rapport n° R 2018-0031 de M. Jean-Luc GIRARDI, conseiller maître ;
Vu les pièces à l’appui du rapport, notamment les observations présentées par Mme Xpar courrier du 16 octobre 2017, les justifications produites par elle par courrier du 20 octobre 2017, ainsi que les documents et observations adressés par la direction des finances publiques du département de Loire-Atlantique par courrier du 10 janvier 2014, puis par courriel du 23 octobre 2017 ;
Vu les conclusions du Procureur général n° 163 du 8 mars 2018 ;
Entendu lors de l’audience publique du 15 mars 2018, M. Jean-Luc GIRARDI, en son rapport, M. Bertrand Diringer, avocat général, en les conclusions du ministère public, les parties informées de l’audience n’étant ni présentes, ni représentées ;
Entendu en délibéré M. Philippe GEOFFROY, conseiller maître, réviseur, en ses observations ;
Sur la charge unique, soulevée à l’encontre de Mme X, au titre de l’exercice 2007
Sur la procédure
Attendu que, par l’effet de l’annulation prononcée par la décision susvisée du Conseil d’État, il revient aux chambres réunies de la Cour des comptes statuant en formation restreinte de se prononcer à nouveau sur les suites à donner au réquisitoire susvisé du 17 juillet 2013 ;
Attendu que, par ledit réquisitoire, le Procureur général avait estimé que la responsabilité personnelle et pécuniaire de Mme X pouvait être mise en jeu au titre de l’exercice 2007, pour défaut de déclaration d’une créance de 127 133 € au passif de la procédure de redressement judiciaire ouverte à l’encontre de la SARL redevable ;
Sur les faits
Attendu qu’une SARL était redevable de taxe sur la valeur ajoutée pour 127 133 € au titre de 2007 ;
Attendu que ladite SARL a été déclarée en redressement judiciaire par jugement publié le 16 octobre 2007 ; que la procédure a été convertie en liquidation judiciaire par jugement publié le 4 avril 2008, puis clôturée pour insuffisance d’actif le 7 juillet 2011 ; qu’au cas d’espèce, le délai de déclaration des créances au passif expirait le 16 décembre 2007 ;
Attendu que la comptable a effectué la déclaration de créances le 14 janvier 2008, soit postérieurement à ce délai ; que cette déclaration a été rejetée à ce motif par le mandataire judiciaire ; qu’une requête en relevé de forclusion du 16 juin 2008 a été également rejetée, par ordonnance du juge-commissaire le 8 juillet 2009 ;
Attendu que par décision du 2 avril 2012, la direction régionale des finances publiques des Pays de la Loire et du département de Loire-Atlantique a notifié à Mme X un refus de dispense de versement au titre de trois créances devenues définitivement irrécouvrables lors de sa gestion, pour 148 001 €, au nombre desquelles figure la créance de 127 133 € sur la SARL en question ; que par décision du 13 février 2013, le ministre chargé du budget a accordé à Mme X remise gracieuse, sous réserve du paiement d’une somme de 100 €, nette d’intérêts ; que Mme X s’est acquittée de cette somme ;
Sur le droit applicable
Attendu que le régime de responsabilité des comptables publics fixé par la loi du 23 février 1963 susvisée a été modifié par le I de l’article 90 de la loi du 28 décembre 2011 susvisée ; que toutefois le II du même article prévoit que « Le présent article entre en vigueur le 1er juillet 2012. Les déficits ayant fait l'objet d'un premier acte de mise en jeu de la responsabilité d'un comptable public ou d'un régisseur avant cette date demeurent régis par les dispositions antérieures » ; qu’en l’espèce le refus de dispense de versement précité est intervenu avant le 1er juillet 2012 ; qu’il y a donc lieu faire application à cette affaire des dispositions de la loi du 23 février 1963 dans leur rédaction antérieure ;
Attendu que selon le I de l'article 60 modifié de la loi du 23 février 1963 précitée « les comptables publics sont personnellement et pécuniairement responsables des contrôles qu'ils sont tenus d'assurer en matière de recettes, de dépenses et de patrimoine dans les conditions prévues par le règlement général sur la comptabilité publique »; que cette responsabilité personnelle et pécuniaire « se trouve engagée dès lors (…) qu'une recette n'a pas été recouvrée (…) » ; que la responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables publics en matière de recouvrement des recettes s'apprécie au regard de leurs diligences, celles-ci devant être adéquates, complètes et rapides ;
Attendu que selon le IV du même article « La responsabilité pécuniaire d'un comptable public ne peut être mise en jeu que par le ministre dont il relève, le ministre chargé du budget ou le juge des comptes. Les ministres concernés peuvent déléguer cette compétence. » ;
Attendu que selon la rédaction antérieure, applicable à l’affaire, du VI du même article « Le comptable public dont la responsabilité pécuniaire est mise en jeu par le ministre dont il relève, le ministre chargé du budget ou le juge des comptes a l'obligation de verser immédiatement de ses deniers personnels une somme égale, soit au montant de la perte de recette subie, de la dépense irrégulièrement payée, de l'indemnité versée, de son fait, à un autre organisme public ou à un tiers, de la rétribution d'un commis d'office par l'organisme public intéressé, soit, dans le cas où il en tient la comptabilité matière, à la valeur du bien manquant. / Toutefois, le comptable public peut obtenir le sursis de versement de la somme fixée à l'alinéa précédent. » ;
Attendu que les articles 429 et suivants de l’annexe 3 du code général des impôts et le décret du 1er septembre 1977 susvisé définissent les conditions dans lesquelles la responsabilité personnelle et pécuniaire des receveurs des administrations financières est engagée en application de l’article 60 de la loi du 23 février 1963, au titre des droits dont ils assurent la perception ;
Attendu qu'aux termes de l'article 11 du décret du 29 décembre 1962 susvisé, alors applicable, « Les comptables publics sont seuls chargés : / De la prise en charge et du recouvrement des ordres de recettes qui leur sont remis par les ordonnateurs, des créances constatées par un contrat, un titre de propriété ou autre titre dont ils assurent la conservation ainsi que de l'encaissement des droits au comptant et des recettes de toute nature que les organismes publics sont habilités à recevoir » ; qu'aux termes de l'article 12 du même texte, « Les comptables sont tenus d'exercer : A - En matière de recettes, le contrôle : Dans les conditions prévues pour chaque catégorie d'organisme public par les lois et règlements, de l'autorisation de percevoir la recette ; / Dans la limite des éléments dont ils disposent, de la mise en recouvrement des créances de l'organisme public et de la régularité des réductions et des annulations des ordres de recettes. » ;
Attendu qu'aux termes des dispositions combinées des articles L. 622-24 et R. 622-24 du code de commerce, à partir de la publication du jugement d'ouverture de la procédure collective, tous les créanciers dont la créance est née antérieurement audit jugement, à l'exception des salariés, adressent la déclaration de leurs créances au mandataire judiciaire dans le délai de deux mois ; qu'aux termes de l'article L. 622-26 du code de commerce, faute d'avoir déclaré leurs créances dans le délai prévu, les créanciers ne sont pas admis dans les répartitions et les dividendes, à moins que les juges commissaires ne les relèvent de leur forclusion s'ils établissent que leur défaillance n'est pas due à leur fait ;
Sur les observations présentées à décharge
Attendu que le ministre des finances et des comptes publics, le directeur régional des finances publiques de la région des Pays de la Loire et du département de Loire-Atlantique et la comptable mise en cause estiment notamment que le juge des comptes ne pourrait, sauf à manquer au principe du non bis in idem, ajouter un débet juridictionnel à un débet administratif préexistant, s’agissant de la même opération ; qu’en l’espèce, la créance se trouverait soldée au terme d’une procédure régulière de mise en jeu de responsabilité administrative, de remise gracieuse, puis d’acquittement par Mme X de la somme laissée à sa charge ; qu’il n’y aurait ainsi pas lieu à débet juridictionnel ;
Sur la compétence du juge des comptes pour connaître d’un manquement déjà relevé par voie administrative, et les modalités de son office
Attendu que les dispositions précitées de la loi du 23 février 1963 donnent compétence tant au ministre dont relève le comptable qu'au ministre chargé du budget et au juge des comptes pour mettre en jeu la responsabilité personnelle et pécuniaire d'un comptable public ; qu'il suit de là que la circonstance qu'une décision administrative de mise en débet d'un comptable public est intervenue en raison d'un manquement du comptable à ses obligations ne saurait faire obstacle à ce que le juge des comptes se prononce sur l'existence du même manquement et mette en jeu, le cas échéant, la responsabilité du comptable dans les conditions prévues au VI de l'article 60 de la loi du 23 février 1963 cité ci-dessus, alors même que le ministre chargé du budget aurait déjà accordé une remise gracieuse à l'intéressé dans le cadre de la procédure de débet administratif ; que la décision du juge des comptes définit alors complètement, à la date à laquelle elle est rendue, la mesure dans laquelle la responsabilité personnelle et pécuniaire du comptable public demeure engagée au titre ce manquement ;
Attendu que lorsque le juge des comptes constate que le comptable a manqué à ses obligations et qu'il confirme le montant du refus de sursis de versement retenu lors de la procédure de mise en débet administratif, il lui revient, avant de mettre le comptable en débet sur le fondement du VI de l'article 60 de la loi du 23 février 1963, de prendre en compte, le cas échéant, la remise gracieuse éventuellement accordée ; qu'il lui incombe ainsi, dans un premier temps, de déduire de la somme susceptible d'être mise à la charge du comptable la somme dont le ministre chargé du budget lui a, le cas échéant, déjà accordé la remise gracieuse ; qu'il appartient au juge des comptes, dans un second temps, de déduire de la somme restant ainsi à la charge du comptable celle que ce dernier a déjà versée en conséquence de sa mise en débet administratif ;
Sur l’application au cas d’espèce
Attendu qu’il revient à la Cour de se prononcer sur la charge dont elle a été saisie par le réquisitoire susvisé ; qu’il résulte de ce qui précède qu’elle doit statuer en tenant compte de la remise accordée à Mme X et de la somme qu’elle a acquittée ;
Attendu qu’il est constant que Mme X n’a pas déclaré la créance litigieuse dans les délais prévus par les dispositions précitées du code de commerce, alors qu’elle disposait des éléments nécessaires à cette déclaration ; qu’ainsi Mme X, dont les diligences ont été insuffisamment rapides et complètes, a manqué à ses obligations en matière de recouvrement des recettes ; que selon le VI de l’article 60 de la loi du 23 février 1963, dans sa rédaction alors applicable, il y avait lieu de la constituer débitrice à hauteur de la totalité de la recette non recouvrée, soit 127 133 €, la question de savoir si le manquement avait ou non causé un préjudice à l’Etat étant indifférente à cet égard, en l’état du droit alors en vigueur ;
Attendu que par la décision précitée du 2 avril 2012, la responsabilité de Mme X a été engagée par la voie administrative à ce motif, et pour ce montant, dans un ensemble de créances non recouvrées totalisant 148 001 €, selon la procédure prévue aux articles 429 et suivants de l’annexe 3 du code général des impôts ; que le débet prononcé a fait l’objet d’une remise gracieuse, sous réserve du versement d’une somme de 100 € ; que les dispositions alors en vigueur ne fixant pas de limite au pouvoir de remise du ministre, il y a lieu de retenir l’intégralité du montant remis ; que Mme X s’est acquittée le 15 avril 2013 de la somme laissée à sa charge ; que la présente charge est ainsi apurée au moment où la Cour juge ; que la responsabilité de Mme X n’est donc plus engagée à raison du non-recouvrement de la créance litigieuse ;
Attendu qu’aucune autre charge ne subsiste à l’encontre de Mme X au titre de l’exercice 2007 ; qu’il y a donc lieu de prononcer sa décharge pour cet exercice ;
Par ces motifs,
DÉCIDE :
Article 1er. – Il n’y a pas lieu à charge à l’encontre de Mme X.
Article 2. – Mme X est déchargée de sa gestion pour l’exercice 2007.
Fait et jugé en la Cour des comptes, chambres réunies en formation restreinte. Présents : M. Jean-Philippe VACHIA, président de chambre, MM. Philippe GEOFFROY, Nicolas BRUNNER, Gilles MILLER, Yves ROLLAND et Pierre ROCCA, conseillers maîtres.
Michelle OLLIER
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Jean-Philippe VACHIA
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En conséquence, la République française mande et ordonne à tous huissiers de justice, sur ce requis, de mettre ledit arrêt à exécution, aux procureurs généraux et aux procureurs de la République près les tribunaux de grande instance d’y tenir la main, à tous commandants et officiers de la force publique de prêter main-forte lorsqu’ils en seront légalement requis.
Conformément aux dispositions de l’article R. 142-20 du code des juridictions financières, les arrêts prononcés par la Cour des comptes peuvent faire l’objet d’un pourvoi en cassation présenté, sous peine d’irrecevabilité, par le ministère d’un avocat au Conseil d’État dans le délai de deux mois à compter de la notification de l’acte. La révision d’un arrêt ou d’une ordonnance peut être demandée après expiration des délais de pourvoi en cassation, et ce dans les conditions prévues au I de l’article R. 142-19 du même code.
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