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QUATRIÈME CHAMBRE ------- Première section ------- Arrêt n° S2018-0380
Audience publique du 8 février 2018
Prononcé du 22 février 2018 |
COMMUNAUTE D’AGGLOMERATION DE TOULON PROVENCE MEDITERRANEE (VAR)
Appel d’un jugement de la chambre régionale des comptes de Provence-Alpes-Côte d’Azur
Rapport n° R-2018-0035-1 |
République Française,
Au nom du peuple français,
La Cour,
Vu la requête, enregistrée le 18 février 2015 au greffe de la chambre régionale des comptes de Provence-Alpes-Côte d’Azur, par laquelle la communauté d’agglomération de Toulon Provence Méditerranée, représentée par Maître Florian LINDITCH, avocat au barreau de Marseille, a interjeté appel des dispositions définitives du jugement n° 2014-0018 du
19 décembre 2014 de la chambre régionale des comptes de Provence-Alpes-Côte d’Azur qui a constitué M. X, comptable de ladite communauté d’agglomération, débiteur envers celle-ci de la somme de 78 540 € augmentée des intérêts de droit calculés à compter du 3 juin 2014 ;
Vu les pièces de la procédure suivie en première instance et produites en appel, notamment le réquisitoire n° 2014-0016 du 19 mai 2014 du procureur financier près la chambre régionale des comptes de Provence-Alpes-Côte d’Azur ;
Vu le code général des collectivités territoriales ;
Vu le code des juridictions financières ;
Vu le code de justice administrative ;
Vu l’article 60 de la loi de finances n° 63-156 du 23 février 1963 modifiée ;
Vu la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale ;
Vu le décret n° 62-1587 du 29 décembre 1962 portant règlement général sur la comptabilité publique, en vigueur au moment des faits ;
Vu le décret n° 91-875 du 6 septembre 1991 pris pour l'application du premier alinéa de l'article 88 de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale
Vu les observations du comptable mis en cause enregistrées au greffe de la chambre régionale des comptes de Provence-Alpes Côte d’Azur le 9 mars 2015, celles du procureur financier, enregistrées le 17 mars 2015 et le mémoire en réplique produit par l’appelant le 2 avril 2015 ;
Vu la réponse au réquisitoire de M. X en date du 13 septembre 2015 ;
Vu le rapport de Mme Marie-Aimée GASPARI, conseillère référendaire, chargée de l’instruction ;
Vu les conclusions n° 051 du Procureur général du 2 février 2018 ;
Entendu, lors de l’audience publique du 8 février 2018, Mme Marie-Aimée GASPARI, en son rapport, Mme Loguivy ROCHE, avocate générale, en les conclusions du ministère public, Maître LINDITCH, qui représentait la communauté d’agglomération de Toulon Provence Méditerranée, étant présent et ayant eu la parole en dernier ;
Entendu en délibéré M. Jean-Yves BERTUCCI, conseiller maître, réviseur, en ses observations ;
Attendu que, par le jugement entrepris, la chambre régionale des comptes de Provence-Alpes Côte d’Azur a notamment constitué M. X débiteur envers la communauté d’agglomération de Toulon Provence Méditerranée de la somme de 78 540 € augmentée des intérêts de droit calculés à compter du 3 juin 2014, date à laquelle il a été notifié le réquisitoire susvisé du procureur financier, pour avoir procédé, au cours des exercices 2010 et 2011, au paiement d’une indemnité différentielle à M. Y, directeur général adjoint des services, sans disposer des pièces justificatives requises par la réglementation ;
Sur le déroulement de la procédure d’appel
Attendu que la collectivité requérante soutient qu’au cours de la procédure d’appel, le greffe de la chambre régionale des comptes lui a imposé un délai de quinze jours pour produire son mémoire en réplique alors que les dispositions de l’article R. 242-26 du code des juridictions financières (CJF) fixent à cet égard un délai d’un mois ; que cette méconnaissance des dispositions précitées aurait nécessairement eu pour effet de porter atteinte aux droits de la défense, en privant la requérante du délai normalement imparti pour préparer ce mémoire ;
Attendu que l’article R. 242-26 du CJF prévoit que : « Dans le délai d’un mois à dater de la transmission prévue au premier alinéa de l’article R. 242-25, les parties peuvent prendre connaissance au greffe de la chambre régionale des comptes de l’ensemble des pièces jointes au recours et produire des mémoires en défense. Au cours du même délai, le ministère public peut présenter des observations. Copie de ces mémoires et observations est notifiée par le greffe au requérant et aux autres parties qui peuvent, dans le délai d’un mois à dater de cette transmission, produire un mémoire en réplique, qui est lui-même transmis aux parties, et peut faire l’objet d’un mémoire en réplique dans un délai de quinze jours. » ;
Attendu qu’en l’espèce, il résulte des pièces figurant au dossier que, par courrier du 18 mars 2015 notifié le 19 mars 2015, le greffe de la chambre régionale des comptes a notifié à la collectivité requérante ainsi qu’à son conseil les observations du ministère public près ladite chambre, tout en leur accordant un délai de quinze jours pour formuler des observations ; que le mémoire en réplique de la collectivité requérante a été déposé le 2 avril 2015 au greffe de la chambre régionale, soit dans le délai prescrit par ce dernier ;
Attendu que, dans ses conclusions susvisées, le Procureur général estime que la collectivité requérante est fondée à considérer que la procédure ainsi suivie n’a pas permis de respecter ses droits ; qu’il invite en conséquence la Cour à surseoir à statuer afin de compléter la réponse apportée dans un délai d’un mois à compter de la notification de l’arrêt avant dire droit ;
Attendu que, s’il y a lieu de constater que le greffe de la chambre régionale des comptes a fait une application erronée des dispositions de l’article R. 242-26 précité, il ne résulte pas du dossier que la collectivité requérante ait fait valoir son droit à bénéficier d’un délai d’un mois pour présenter son mémoire en réplique, ni qu’elle ait, dans la suite de la procédure, manifesté son intention de compléter un mémoire qu’un délai raccourci ne lui aurait pas permis d’établir dans les meilleures conditions ; que, lors de l’audience publique, Maître LINDITCH a confirmé que, si la collectivité entendait dénoncer ce vice de procédure, elle n’avait nullement matière à compléter le contenu du mémoire alors déposé ;
Attendu que, dès lors que la collectivité requérante a pu produire un mémoire en réplique qui a été notifié aux autres parties et disposait de la possibilité de déposer postérieurement, et jusqu’au jour de l’audience publique, un mémoire complémentaire, l’erreur commise par le greffe de la chambre régionale est, en l’espèce, demeurée sans effet sur les droits de la requérante qui ont pu s’exercer en tout état de cause ; que, dès lors, le moyen de la collectivité requérante tiré de ce vice de procédure pourra être écarté et qu’il n’y a pas lieu de surseoir à statuer pour ce motif ;
Sur la régularité du jugement
Sur le grief tiré d’une atteinte présumée au principe d’impartialité
Attendu que la communauté d’agglomération soutient, dans sa requête d’appel comme en première instance, que la juridiction aurait préjugé de la présente affaire à l’occasion des observations provisoires délibérées le 26 février 2014 et notifiées à la collectivité le 10 juin 2014, lesquelles mettaient en cause la régularité du paiement de l’indemnité différentielle, objet de la charge n° 2 ; que la chronologie des faits démontrerait que la formulation de ces observations aurait incité le rapporteur chargé de l’examen juridictionnel des comptes à soulever une charge qu’il n’aurait pas évoquée auparavant, notamment lors de l’entretien de fin de contrôle, lors de ce contrôle juridictionnel ; que viendrait également à l’appui de cette présomption d’atteinte au principe d’impartialité, la précision des termes du rapport d’observations provisoires de la chambre et leur étroite similitude avec les termes du rapport à fin d’examen juridictionnel du 6 mai 2014 ; que par ailleurs, la collectivité requérante, arguant que le procureur financier aurait influencé la chambre sur la question du régime indemnitaire de M. Y, sollicite que soient versés au présent dossier le rapport d’instruction aux fins d’observations provisoires relatives à l’examen de la gestion de la communauté d’agglomération ainsi que les conclusions du ministère public prises dans le cadre de cette procédure non juridictionnelle ;
Attendu toutefois que les observations critiques formulées par la chambre à titre provisoire et confidentiel concernaient la régularité de la gestion de l’ordonnateur, conformément aux dispositions de l’article L. 211-3 du code des juridictions financières selon lesquelles le contrôle des comptes et de la gestion qui constitue en lui-même une procédure dépourvue de caractère juridictionnel ou contentieux, porte notamment sur la régularité des actes de gestion ; qu’il résulte des termes du rapport d’observations provisoires, tels que repris par la requérante dans ses écritures, que celui-ci ne comporte aucune mention d’éventuelles suites de nature juridictionnelle qui pourraient être ultérieurement envisagées à l’encontre du comptable public et ne se prononce nullement sur d’éventuels manquements dudit comptable à ses obligations en matière de dépense ; que contrairement à ce qu’allègue la collectivité requérante, il doit être relevé que les deux contrôles, conduits de manière concomitante, demeurent distincts dans leur nature et leur objet et peuvent conduire à engager la responsabilité de l’ordonnateur devant la cour de discipline budgétaire et financière, s’il est justiciable de cette juridiction, ou celle du comptable devant la chambre régionale des comptes, sur des fondements juridiques différents ;
Attendu que par ailleurs, la requérante ne saurait se prévaloir, à l’appui de son grief, des termes de l’entretien de fin de contrôle du mois de décembre 2013, dont elle produit un compte rendu informel, dès lors que cette formalité, instituée par l’article L. 243-1 du CJF, ne s’applique qu’au contrôle des comptes et de la gestion et non, comme ce serait le cas en l’espèce à un examen juridictionnel des comptes ; qu’en outre, si l’entretien obligatoirement prévu en matière de contrôle des comptes et de la gestion a pour objet d’informer oralement l’ordonnateur des principales constatations effectuées par le rapporteur dans le cadre d’un tel contrôle, préalablement à la formulation d’observations par la chambre, il ne saurait lier cette dernière dans son délibéré ultérieur et moins encore faire obstacle au jugement des comptes du même organisme public qui relève d’une compétence distincte de la chambre ;
Attendu qu’à supposer que la formulation d’observations provisoires par la chambre régionale des comptes sur la gestion de la collectivité ait influencé l’opinion du rapporteur chargé de l’examen juridictionnel des comptes quant à d’éventuelles conséquences à en tirer sur la responsabilité du comptable qui a payé les dépenses litigieuses, cela resterait sans effet sur la procédure contentieuse qui a précédé le jugement attaqué, celle-ci trouvant son origine dans le réquisitoire susvisé du procureur financier qui pouvait valablement être pris quelle que soit l’opinion du rapporteur chargé de l’examen juridictionnel des comptes et au vu, du reste, tant du rapport de ce dernier que d’autres informations dont dispose le ministère public, ainsi que le prévoit l’article L. 242-4 du code des juridictions financière ; que dès lors, il apparaît sans objet, dans le cadre de l’examen du présent recours, d’entendre ledit magistrat pour qu’il confirme, le cas échéant, qu’il ne considérait pas la prime litigieuse comme irrégulière au moment de l’entretien qui a clos l’examen juridictionnel des comptes auquel il s’est livré ; que la demande d’audition formulée en ce sens par la collectivité requérante pourra ainsi être rejetée ;
Attendu que la demande d’observations adressée au comptable le 19 juin 2014 par le rapporteur chargé de la phase contentieuse de la procédure juridictionnelle de première instance constitue un acte d’instruction qui s’inscrit dans le cadre normal des dispositions de l’article R. 242-5 du code des juridictions financières et qui ne saurait être interprété comme constitutif d’un quelconque pré-jugement ;
Attendu qu’enfin, la collectivité requérante pense discerner un manque d’impartialité de la juridiction dans le fait que le procureur financier aurait influencé la chambre sur la question du régime indemnitaire de M. Y, et sollicite que soient versés au dossier le rapport d’instruction aux fins d’observations provisoires ainsi que les conclusions du ministère public sur ce rapport ; que cependant ce rapport d’instruction est couvert par le secret du délibéré dans la mesure où le rapporteur chargé du contrôle de comptes et de la gestion participe au délibéré collégial sur les suites à donner à son rapport ; que ledit rapport n’est dès lors pas communicable, pas plus que les conclusions formulées à son sujet qui se prononcent notamment sur les propositions formulées par le rapporteur et en révèlent ainsi la teneur ; que la demande de versement au dossier de ces deux pièces issues d’une procédure distincte de contrôle des comptes et de la gestion, devra donc être rejetée ;
Attendu qu’en l’état de ces éléments, il apparaît que le moyen tiré du défaut d’impartialité de la chambre régionale des comptes manque en droit comme en fait et qu’il y a lieu de le rejeter ;
Sur le grief tiré de l’absence d’anonymisation du jugement
Attendu que la requérante soutient que la chambre régionale des comptes a procédé à la notification du jugement à la communauté d’agglomération ainsi qu’à la publication du jugement sur son site internet sans supprimer les mentions à caractère nominatif ;
Attendu qu’il ne résulte d’aucune disposition du code des juridictions financières que les jugements notifiés devraient être expurgés de leurs mentions nominatives ; qu’au demeurant, s’il en allait ainsi, la lisibilité et la bonne compréhension des jugements par les personnes auxquelles ils sont notifiés s’en trouveraient gravement compromises ;
Attendu qu’il ressort des pièces du dossier, et notamment de copies écran des pages du site internet des juridictions financières, que l’exemplaire du jugement publié le 9 janvier 2015 sur ce site internet était purgé de toute mention nominative et qu’aucune modification n’a été apportée depuis lors à cette publication, à l’exception de l’indication que la décision n’était pas définitive du fait d’un appel en cours ; que dès lors, la preuve que le jugement entrepris aurait été publié sur le site internet de la chambre sans avoir été purgé au préalable des mentions nominatives qu’il comporte n’a pas été rapportée ; qu’ainsi, le moyen manque en fait ;
Attendu au surplus, qu’à supposer établie la réalité d’une publication du jugement comportant des mentions nominatives, cette circonstance postérieure au prononcé dudit jugement serait dépourvue d’effet sur la régularité de celui-ci ; que le moyen serait de surcroît inopérant ;
Attendu que le moyen devra donc être écarté ;
Sur l’existence d’un manquement
Attendu que la collectivité requérante sollicite l’infirmation du jugement en ce qu’il a constitué le comptable débiteur à hauteur de 78 540 €, en faisant valoir que les dispositions relatives aux pièces justificatives prévues à l’article D.1619-17 du code général des collectivités territoriales (CGCT) ne seraient pas applicables au paiement de l’indemnité différentielle litigieuse à M. Y, dès lors que l’article 88 de la loi du 26 janvier 1984 et son décret d’application n’étaient pas eux-mêmes pas applicables en l’espèce ; que, selon la collectivité requérante, dès lors que l’emploi budgétaire avait été créé et le budget prévoyant la dépense autorisé, le conseil communautaire aurait épuisé sa compétence et ne pouvait délibérer pour régler une situation individuelle relevant de la compétence de l’exécutif ; qu’aucun texte législatif ou réglementaire ne limitant la rémunération d’un fonctionnaire d’État dans son emploi de détachement, l’indemnité compensatrice litigieuse ne pouvait être prévue par une délibération générale du conseil communautaire ; qu’en l’absence de norme générale applicable à la situation de l’espèce, ce serait à bon droit que l’ordonnateur se serait référé par analogie à la rubrique 2161 de l’annexe I à l’article D1617-19 du CGCT qui prévoit la production d’un arrêté individuel à l’appui des « rémunérations accessoires versées aux agents des services déconcentrés de l’Etat » ;
Attendu qu’aux termes du I de l’article 60 de la loi du 23 février 1963 susvisé : « la responsabilité personnelle et pécuniaire prévue ci-dessus se trouve engagée dès lors (…) qu’une dépense a été irrégulièrement payée » ; qu’en application de l’article 12 du décret du 29 décembre 1962 susvisé, les comptables sont tenus d’exercer « en matière de dépenses, le contrôle (…) de la validité de la créance » qui porte sur « (…) l’exactitude des calculs de liquidation (…) et la production des justifications » ; que l’article 37 du même décret dispose que « lorsqu’à l’occasion des contrôles prévus à l’article 12 ci-dessus, des irrégularités sont constatées, les comptables publics suspendent les paiements et en informent l’ordonnateur » ; qu’il résulte de ces dispositions, que pour apprécier la validité des créances, les comptables doivent exercer leur contrôle sur la production des justifications ; qu’à ce titre, il leur revient d’apprécier si les pièces fournies présentent un caractère suffisant pour justifier la dépense engagée ; que pour établir ce caractère suffisant, il leur appartient de vérifier, en premier lieu, si l’ensemble des pièces requises au titre de la nomenclature comptable applicable leur ont été fournies et, en second lieu, si ces pièces sont, d’une part, complètes et précises, d’autre part, cohérentes au regard de la catégorie de dépense telle qu’elle a été ordonnancée ;
que lorsque ces pièces justificatives sont insuffisantes pour établir la validité de la créance, il incombe aux comptables de suspendre le paiement ;
Attendu que M. Y, fonctionnaire de l’Etat, a été placé en position de détachement pour occuper l’emploi de directeur général adjoint de la Communauté d’agglomération Toulon Provence Méditerranée ; que, dans cette position statutaire de détachement, il est, en vertu des principes généraux du statut général de la fonction publique, soumis à l’ensemble des règles qui régissent cet emploi fonctionnel ; que, contrairement à ce que soutient la collectivité requérante, la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale et la nomenclature des pièces justificatives des dépenses des collectivités territoriales et de leurs établissements publics annexée à l’article D.1619-17 du CGCT sont bien applicables en l’espèce ;
Attendu que l’article 45 de la loi du 26 janvier 1984 susvisée dispose que « le détachement est la position du fonctionnaire placé hors de son corps d’origine mais continuant à bénéficier, dans ce corps, de ses droits à l’avancement et à la retraite, (…) Le fonctionnaire détaché est soumis aux règles régissant la fonction qu’il exerce par l’effet de son détachement (…) » ; que les articles 1er et 2 du décret du 6 septembre 1991 susvisé, prévoient que le régime indemnitaire des fonctionnaires territoriaux est fixé par les assemblées délibérantes des collectivités territoriales, l’autorité investie du pouvoir de nomination étant chargée de déterminer le taux individuel applicable à chaque agent ;
Attendu qu’aux termes de l’article D. 1617-19 du code général des collectivités territoriales « avant de procéder au paiement d’une dépense ne faisant pas l’objet d’un ordre de réquisition, les comptables publics des collectivités territoriales (…) ne doivent exiger que les pièces justificatives prévues pour la dépense correspondante dans la liste définie à l’annexe I du présent code, et établie conformément à celle-ci » ; que la rubrique 210223 de cette annexe I prévoit, s’agissant du paiement des primes et indemnités des dépenses de personnel des collectivités locales et leurs groupements : « 1. Décision de l’assemblée délibérante fixant la nature, les conditions d’attributions et le taux moyen des indemnités ; 2. Décision de l’autorité investie du pouvoir de nomination fixant le taux applicable à chaque agent » ;
Attendu que ni la décision de création de l’emploi fonctionnel de directeur général adjoint, ni les délibérations budgétaires, auxquelles était annexé un tableau nominatif précisant la rémunération de chacun des membres de l’équipe de direction, dont l’objet n’est que d’ouvrir des crédits pour faire face aux charges prévisionnelles de personnel n’ont pu valablement instituer la prime litigieuse ;
Attendu que le paiement d’une indemnité à un directeur général adjoint des services d’une communauté d’agglomération ne saurait être appuyé des pièces justificatives prévues à la rubrique 2161 de l’annexe à l’article D1617-19 du CGCT, qui concerne le versement d’indemnités à des fonctionnaires des services déconcentrés de l’Etat, catégorie à laquelle
M. Y a cessé d’appartenir à compter de son détachement dans la fonction publique territoriale ;
Attendu qu’il incombait, en revanche, au comptable de se référer à la rubrique 210223 de l’annexe I de l’article D. 1617-19 du CGCT, qui concerne les primes et indemnités des fonctionnaires territoriaux ; que le comptable ne pouvait dès lors valablement payer la prime litigieuse que s’il disposait, entre autres, d’une décision de l'assemblée délibérante fixant la nature, les conditions d'attribution et le taux moyen de cette indemnité, ce qui n’a pas été le cas en l’espèce ;
Attendu qu’en procédant aux paiements litigieux sans disposer des pièces requises par la nomenclature précitée, M. X n’a pas assuré le contrôle de la production des justifications qui lui incombait en application des articles 12 et 13 du décret susvisé du 29 décembre 1962 alors en vigueur ; que c’est donc à bon droit que la chambre régionale a engagé la responsabilité personnelle et pécuniaire du comptable ; que le moyen de la collectivité requérante doit donc être écarté ;
Sur le préjudice financier
Attendu que la collectivité requérante conteste l’analyse au terme de laquelle la chambre a décidé que le manquement du comptable à ses obligations de contrôle avait entraîné un préjudice financier pour la communauté d’agglomération, en ce que cette analyse de la chambre reposerait sur l’affirmation, contraire à la jurisprudence administrative et civile, selon laquelle toute illégalité génèrerait un préjudice ; que par ailleurs, toujours selon la collectivité requérante, l’existence d’un préjudice ne pourrait être constaté en l’espèce, dès lors que le service aurait été fait et que le régime indemnitaire accordé aurait été légal ;
Attendu que si la constatation du service fait constitue une condition nécessaire pour établir que le paiement d’une dépense n’a pas entraîné de préjudice financier pour une collectivité, elle ne constitue pas pour autant une condition suffisante, notamment si la dépense n’est pas due par celle-ci ; que le caractère présumé légal d’une dépense ne constitue, pour les mêmes motifs, pas davantage un critère déterminant ;
Attendu qu’en l’absence de délibération du conseil communautaire instituant l’indemnité différentielle litigieuse au bénéfice des directeurs généraux adjoints, l’autorité compétente ne saurait être considérée comme ayant exprimé la volonté de prendre en charge la dépense correspondante et qu’en conséquence, cette dépense n’était pas due ; que, c’est donc à bon droit, sans qu’il soit besoin de faire plus ample référence à la jurisprudence générale administrative et civile en matière de préjudice, que la chambre régionale des comptes a jugé que le manquement imputable avait entraîné un préjudice financier ; que dès lors le moyen devra être rejeté ;
Sur le montant du débet retenu par la chambre
Attendu que la collectivité requérante fait grief au procureur financier de ne pas avoir évalué le montant du débet susceptible de résulter de la présomption de charge qu’il a soulevée dans son réquisitoire susvisé et conteste le montant retenu par la chambre, à laquelle elle reproche, en outre, de ne pas avoir précisé les modalités de calcul du débet qu’elle a prononcé ;
Attendu que la chambre a constitué le comptable débiteur de la communauté d’agglomération de Toulon Provence Méditerranée à hauteur de 78 540 €, au titre des exercices 2010 et 2011 ;
Attendu qu’en l’espèce, la présomption de charge soulevée par le réquisitoire du ministère public est fondée sur des mandats qui ont été précisément visés, peu important à cet égard que le montant du débet éventuel ne soit pas encore évalué à ce stade ; que par ailleurs, et ainsi que l’a précisé le procureur financier dans ses conclusions en défense, le montant total du débet retenu par la chambre ne se rapporte qu’à l’indemnité différentielle litigieuse servie à M. Y ; qu’il résulte des pièces versées au dossier, et notamment des fiches de paie de l’intéressé, qu’excepté le premier mois de versement (juillet 2010) où la prime a été fixée à 4 290 €, le montant mensuel de cette indemnité s’élevait à 4 950 € ; qu’enfin, deux mandats de paiement n’ayant pas été visés au réquisitoire, le débet ne pouvait en inclure le montant ; qu’en l’état de ces éléments, la chambre n’a commis aucune erreur en évaluant le montant du débet à 78 540 € ; que dès lors, le moyen doit être rejeté ;
Sur le contrôle sélectif de la dépense
Attendu que la collectivité requérante sollicite l’infirmation des dispositions du jugement qui sont relatives au plan de contrôle sélectif de la dépense, en ce que le jugement attaqué n’a pas mentionné, dans son dispositif, que le plan de contrôle n’avait pas été respecté par le comptable ;
Attendu que l’article 60-IX de la loi n° 63-156 du 23 février 1963 modifiée dispose : « Les comptables publics dont la responsabilité personnelle et pécuniaire a été mise en jeu dans les cas mentionnés au troisième alinéa du même VI peuvent obtenir du ministre chargé du budget la remise gracieuse des sommes mises à leur charge. Hormis le cas de décès du comptable ou de respect par celui-ci, sous l'appréciation du juge des comptes, des règles de contrôle sélectif des dépenses, aucune remise gracieuse totale ne peut être accordée au comptable public dont la responsabilité personnelle et pécuniaire a été mise en jeu par le juge des comptes, le ministre chargé du budget étant dans l'obligation de laisser à la charge du comptable une somme au moins égale au double de la somme mentionnée au deuxième alinéa dudit VI. » ; que l’appréciation portée sur le respect des règles du contrôle sélectif de la dépense est indissociable de l’exercice par le juge de son office et constitue ainsi un élément de la décision juridictionnelle ; que dans ces conditions, les dispositions du jugement relatives au respect du contrôle sélectif de la dépense doivent être intégrées au dispositif de la décision ;
Attendu qu’en l’espèce, si la chambre régionale des comptes s’est prononcée dans les motifs de son jugement sur l’absence de respect par le comptable du contrôle hiérarchisé de la dépense, aucune mention ne figure à cet égard dans le dispositif de son jugement ; qu’il y a donc lieu d’infirmer le jugement attaqué sur ce point ;
Attendu qu’il ressort des pièces du dossier, et qu’il n’est d’ailleurs pas contesté, que le contrôle hiérarchisé de la dépense n’a pas été respecté ; qu’il y a donc lieu, par l’effet dévolutif de l’appel, d’inclure dans le dispositif du présent arrêt que ce plan n’a pas été respecté par le comptable ;
Sur la demande fondée sur les dispositions de l’article L. 761 du code justice administrative
Attendu que la requérante sollicite le versement de la somme de 5 000 € sur le fondement de l’article L. 761-1 de code de justice administrative ;
Attendu que, toutefois, l’article L 1 du code de justice administrative dispose que ce code s'applique au Conseil d'État, aux cours administratives d'appel et aux tribunaux administratifs ;
Attendu qu’il en résulte que le code de justice administrative, et en l’espèce son article L. 761, n’est pas applicable à la Cour des comptes et aux chambres régionales des comptes ; qu’en l’absence de disposition analogue dans le code des juridictions financières, la demande de la collectivité requérante est donc irrecevable ;
Par ces motifs,
DECIDE :
Article 1er – Le jugement de la chambre régionale des comptes de Provence-Alpes-Côte d’Azur n° 2014-0018 du 19 décembre 2014 est infirmé en ce que son dispositif ne statue pas sur le point de savoir si les dépenses au titre desquelles M. X est constitué débiteur étaient concernées par un dispositif de contrôle hiérarchisé de la dépense et si ce dernier avait été respecté par le comptable.
Article 2 – Lors du paiement des dépenses au titre desquelles M. X a été constitué débiteur par le jugement du 19 décembre 2014, le plan de contrôle hiérarchisé de la dépense en vigueur n’a pas été respecté.
Article 3 – La demande présentée par la collectivité requérante au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative est irrecevable.
Article 4 - Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
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Fait et jugé par M. Yves ROLLAND, président de section, président de séance ;
Mme Anne FROMENT-MEURICE, présidente de chambre maintenue en activité,
MM. Jean-Yves BERTUCCI, Denis BERTHOMIER, Olivier ORTIZ, conseillers maîtres, et Mmes Dominique DUJOLS et Isabelle LATOURNARIE-WILLEMS, conseillères maîtres.
En présence de M. Aurélien LEFEBVRE, greffier de séance.
Aurélien LEFEBVRE
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Yves ROLLAND
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En conséquence, la République française mande et ordonne à tous huissiers de justice, sur ce requis, de mettre ledit arrêt à exécution, aux procureurs généraux et aux procureurs de la République près les tribunaux de grande instance d’y tenir la main, à tous commandants et officiers de la force publique de prêter main-forte lorsqu’ils en seront légalement requis.
Conformément aux dispositions de l’article R. 142-20 du code des juridictions financières, les arrêts prononcés par la Cour des comptes peuvent faire l’objet d’un pourvoi en cassation présenté, sous peine d’irrecevabilité, par le ministère d’un avocat au Conseil d’État dans le délai de deux mois à compter de la notification de l’acte. La révision d’un arrêt ou d’une ordonnance peut être demandée après expiration des délais de pourvoi en cassation, et ce dans les conditions prévues au I de l’article R. 142-19 du même code