S 2018-1293

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PREMIERE CHAMBRE

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Première section

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Arrêt n° S 2018-1293

Audience publique du 10 avril 2018

Prononcé du 22 mai 2018

DIRECTION DEPARTEMENTALE DES FINANCES PUBLIQUES DU DOUBS

SERVICE DES IMPÔTS DES ENTREPRISES DE MONTBELIARD-NORD-OUEST

Exercice 2011

Rapport n° R2018-0325-1

République Française,

Au nom du peuple français,

La Cour,

Vu le réquisitoire  2017-17-RQ-DB du 11 avril 2017, par lequel le Procureur général près la Cour des comptes a saisi ladite Cour d’une présomption de charge, en vue de la mise en jeu de la responsabilité personnelle et pécuniaire de M. X, ou à défaut de son prédécesseur M. Y, comptable du service des impôts des entreprises de Montbéliard-Nord-Ouest, au titre d’opérations relatives à l’exercice 2011 ;

Vu l’accusé de réception de ce réquisitoire par M. X, daté du 5 mai 2017, par M. Y, daté du 29 avril 2017, par le directeur départemental des finances publics du Doubs, daté du 2 mai 2017 et par le directeur général des finances publiques, daté du 2 mai 2017 ;

Vu les comptes rendus par le trésorier-payeur général puis par le directeur des finances publiques du Doubs pour les exercices 2005 à 2011, y annexés les états des restes à recouvrer établis en leur qualité de receveur des administrations financières, responsables du service des impôts des entreprises de Montbéliard-Nord-Ouest par MM. Z, Y, X et A pour les exercices 2005 à 2011 ;

Vu les justifications produites au soutien des états des restes à recouvrer, ensemble les pièces recueillies au cours de l’instruction ;

Vu le code de commerce ;

Vu le code général des impôts, ensemble son annexe 3 et le livre des procédures fiscales ;

Vu le code des juridictions financières ;

Vu l’article 60 modifié de la loi de finances n° 63-156 du 23 février 1963 ;

Vu le décret n° 62-1587 du 29 décembre 1962 portant règlement général sur la comptabilité publique, en vigueur au moment des faits ;

Vu le décret n° 77-1017 du 1er septembre 1977 relatif à la responsabilité des receveurs des administrations financières ;

Vu le décret n° 2012-1386 du 10 décembre 2012 portant application du deuxième alinéa du VI de l’article 60 de la loi de finances de 1963 modifiée dans sa rédaction issue de l’article 90 de la loi n°2011-1978 du 28 décembre 2011 de finances rectificatives pour 2011 ;

Vu les pièces du dossier, notamment les mémoires en défense de M. X en date du 1er juin 2017 et de M. Y en date du 24 mai 2017 ;

Vu le rapport  R-2018-0325-1 à fin d’arrêt de M. Thierry Savy, conseiller référendaire, magistrat chargé de l’instruction ;

Vu les conclusions  236 du Procureur général du 30 mars 2018 ;

Entendu lors de l’audience publique du 10 avril 2018, M. Thierry Savy, en son rapport, M. Bertrand Diringer, avocat général, en les conclusions du ministère public ; MM. Y et X, informés de l’audience, n’étant ni présents, ni représentés ;

Entendu en délibéré M. Daniel-Georges Courtois, conseiller maître, réviseur, en ses observations ;

Sur la charge unique, soulevée à l’encontre de M. Y ou M. X, au titre de l’exercice 2011 :

Attendu que par le réquisitoire susvisé le Procureur général a estimé que la responsabilité personnelle et pécuniaire de M. X, ou à défaut celle de son prédécesseur M. Y pouvait être mise en jeu, au titre de l’exercice 2011, au motif que le comptable aurait manqué à ses obligations dans le recouvrement de deux créances de taxe sur les salaires à hauteur de 3 330  ;

Sur l’existence d’un manquement du comptable à ses obligations

Sur la règle de droit

Attendu qu’aux termes de la loi du 23 février 1963 susvisée, les comptables publics sont personnellement et pécuniairement responsables du recouvrement des recettes et des contrôles qu’ils sont tenus d’assurer en cette matière dans les conditions prévues par le règlement général sur la comptabilité publique ; que leur responsabilité personnelle et pécuniaire se trouve engagée dès lors qu’une recette n’a pas été recouvrée ; que la responsabilité du comptable public en matière de recettes s’apprécie au regard de ses diligences, celles-ci devant être adéquates, complètes et rapides ;

Attendu que selon l’article 11 du décret du 29 décembre 1962 susvisé, « les comptables publics sont seuls chargés : de la prise en charge et du recouvrement des ordres de recettes qui leur sont remis par les ordonnateurs, des créances constatées par un contrat, un titre de propriété ou autre titre dont ils assurent la conservation ainsi que de l'encaissement des droits au comptant et des recettes de toute nature que les organismes publics sont habilités à recevoir […] de la garde et de la conservation des fonds et valeurs appartenant ou confiés aux organismes publics » ; que selon l’article 12 du même texte, « les comptables sont tenus d'exercer : A. - En matière de recettes, le contrôle :  […] dans la limite des éléments dont ils disposent, de la mise en recouvrement des créances de l'organisme public et de la régularité des réductions et des annulations des ordres de recettes » ;

Attendu qu'aux termes des dispositions combinées des articles L. 622-24 et R. 622-24 du code de commerce, à partir de la publication du jugement d'ouverture de la procédure collective, tous les créanciers dont la créance est née antérieurement audit jugement, à l'exception des salariés, adressent la déclaration de leurs créances au mandataire judiciaire dans le délai de deux mois ; que les créances dont le montant n'est pas encore définitivement fixé sont déclarées sur la base d'une évaluation ; qu'aux termes de l'article L. 622-26 du code de commerce, faute d'avoir déclaré leurs créances dans le délai prévu, les créanciers ne sont pas admis dans les répartitions et les dividendes, à moins que les juges commissaires ne les relèvent de leur forclusion s'ils établissent que leur défaillance n'est pas due à leur fait ;

 

 

Sur les faits

 

Attendu qu’une entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL) a fait l’objet d’une procédure de redressement judiciaire par jugement du 1er février 2011 publié le 15 février 2011 ; que le redressement judiciaire a été converti en liquidation judiciaire par un jugement du 13 décembre 2011 publié au Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales (BODACC) du 28 décembre 2011 ;

Attendu que M. Y a procédé le 7 mars 2011 pour le compte de l’Etat à une déclaration des créances privilégiées à concurrence de 8 275 € à titre définitif et 1 219 € à titre provisionnel ; que les créances de taxe sur les salaires des exercices 2008 et 2009 non prescrites n’ont pas été déclarées au mandataire judiciaire à titre provisionnel ;

Attendu que l’EURL a déposé le 11 mai 2011 les déclarations de taxe sur les salaires des années 2008 pour un montant de 1 332 € et, 2009 pour un montant de 1 998 €, soit un total de 3 330  ;

Attendu que le directeur des services fiscaux a prononcé une décharge de droits le 14 juin 2011 d’un montant de 5 512 , dont 3 330 € au titre de la taxe sur les salaires 2008 et 2009 ;

Attendu que la procédure de liquidation s’est conclue par une clôture pour insuffisance d’actif le 18 décembre 2012 ;

Sur les éléments apportés à décharge par le comptable

Attendu que M. Y fait observer que jusqu’à sa cessation de fonction, les règles comptables semblent avoir été respectées et que les créances connues lors de la déclaration d’origine ont été déclarées, dont la taxe sur les salaires de 2010 et que les droits de la taxe sur les salaires des années 2008 et 2009 n’étaient pas connus à cette date, la société ayant déposé ses déclarations de taxe sur les salaires des années 2008 et 2009, le 11 mai 2011 ;

Attendu que M. Y précise que la déclaration rectificative des créances ainsi que la décharge des droits de taxe sur les salaires 2008 et 2009 n’ont été prises qu’après sa cessation de fonction intervenue le 26 mai 2011 ;

Attendu que M. Y fait valoir, à sa décharge, les difficultés liées aux conditions de gestion du poste et les conséquences des évolutions structurelles, organisationnelles et applicatives qui ont modifié en profondeur l'exercice des métiers ;

Attendu que M. X fait observer que la déclaration initiale de créances a été opérée le 7 mars 2011 par son prédécesseur sur la base des éléments en sa possession à l’ouverture de la procédure de redressement judiciaire, que la société a déclaré la taxe sur les salaires 2008 et 2009 le 11 mai 2011, et qu’ainsi le délai imparti au créancier par les articles L. 622-24 et R. 622-24 du code de commerce pour déclarer les créances initiales était alors expiré ; qu’il a pris ses fonctions le 27 mai 2011 ;

Attendu que M. X précise que sa déclaration définitive et rectificative a été établie le 6 juin 2011, et qu’il n’était pas possible d’introduire dans cette déclaration les créances nouvellement authentifiées par AMR du 31 mai 2011 en l’absence de leur production à titre provisionnel ;

Attendu que M. X indique en outre que la taxe sur les salaires 2008 et 2009 a fait l’objet d’un dégrèvement le 14 juin 2011 ; qu’en l’absence de créances, il n’était plus fondé à engager une demande en relevé de forclusion ;

Attendu que M. X fait valoir qu’il est retraité depuis 2013 et qu’il n’a jamais fait l’objet de débet juridictionnel ;

 

Sur l’application au cas d’espèce

Attendu que M. Y a effectué le 7 mars 2011 une déclaration de créances incluant notamment la taxe sur les salaires due par l’EURL au titre de 2010, mais qu’il a omis de déclarer à titre provisionnel, en application des dispositions précitées, les créances de taxes sur les salaires 2008 et 2009 ; quun examen du dossier lui aurait révélé l’existence de ces créances dues au titre d’années antérieures, même si le redevable n’avait pas encore déposé de déclaration fiscale pour ces exercices ; que M. Y n’a pas effectué de déclaration complémentaire à titre provisionnel dans le délai prévu, lequel expirait le 15 avril 2011 ;

Attendu qu’à l’entrée en fonctions de M. X le 27 mai 2011, le délai de déclaration des créances était expiré ; que, l’omission étant le fait de l’Etat, une demande en relevé de forclusion n’aurait pu aboutir ; que la perte de la créance est ainsi intervenue sous la gestion et du fait de M. Y ; qu’ainsi, il n’y a pas lieu de retenir la responsabilité de M. X ;

Attendu qu’il ressort du dossier que la décision de décharge de droits du 14 juin 2011 est motivée, s’agissant des créances litigieuses, par le manquement du comptable à ses diligences ; qu’ainsi le dégrèvement ne peut justifier un non-lieu en faveur du comptable ;

Attendu que les éléments de contexte invoqués par M. Y concernant les difficultés de fonctionnement de son service ne peuvent être pris en compte par la Cour au stade du constat d’un manquement d’un comptable à ses obligations ;

Attendu ainsi que M. Y a manqué à son obligation de diligences adéquates, complètes et rapides en vue du recouvrement des créances en question ; qu’il y a lieu d’engager sa responsabilité à ce motif au titre de l’exercice 2011 ;

Sur l’existence d’un préjudice financier

Attendu que le manquement d’un comptable dans les mesures prises en vue du recouvrement d’une créance cause par principe un préjudice financier à la collectivité publique créancière ; qu’il n’y a absence de préjudice que s’il est établi que celleci n’aurait pas pu être désintéressée quand bien même le comptable aurait satisfait à ses obligations ;

Attendu, au cas présent, qu’il résulte de l’état de reddition des comptes que la créance était irrécouvrable ; qu’il en résulte que le manquement de M. Y n’a pas entraîné de préjudice pour le Trésor ;

Attendu qu’aux termes du deuxième alinéa du VI de l’article 60 modifié de la loi susvisée du 23 février 1963, lorsque le manquement du comptable aux obligations fixées par le I du même texte n’a pas causé de préjudice financier à l’organisme public dont il est le comptable, le juge des comptes peut l’obliger à s’acquitter d’une somme arrêtée, pour chaque exercice, en tenant compte des circonstances de l’espèce, dans la limite d’un millième et demi du cautionnement prévu pour le poste comptable considéré, telle qu’elle est fixée par le décret du 10 décembre 2012 susvisé ; que le montant du cautionnement de M. Y étant de 174 000 €, la somme pouvant être mise à la charge de ce comptable ne peut pas dépasser 261  ;

Attendu qu’il sera fait une juste appréciation des circonstances de l’espèce en arrêtant à 200 € la somme à acquitter par M. Y ;

Par ces motifs,

DÉCIDE :

 

Charge unique, exercice 2011

 

En ce qui concerne M. Y

Article 1er. – M. Y devra s’acquitter d’une somme de 200 €, en application du deuxième alinéa du VI de l’article 60 de la loi n° 63-156 du 23 février 1963 ; cette somme ne peut faire l’objet d’une remise gracieuse en vertu du IX de l’article 60 précité.

Article 2. – La décharge de M. Y au titre de l’exercice 2011 ne pourra être donnée qu’après apurement de la somme à acquitter fixée ci-dessus.

 

En ce qui concerne M. X

Article 3. – Il n’y a pas lieu de mettre en jeu la résponsabilité de M. X à raison de la charge unique soulevée par le réquisitoire susvisé.

 

 

Fait et jugé par M. Philippe Geoffroy, président de section, présidant la formation de délibéré ; MM. Daniel-Georges Courtois, Noël Diricq, Bruno Ory-Lavollée, Christophe Rosenau et Guy Fialon, conseillers maîtres.

 

En présence de Mme Marie-Hélène Paris-Varin, greffière de séance.

 

 

Marie-Hélène Paris-Varin

 

Philippe Geoffroy

 

En conséquence, la République française mande et ordonne à tous huissiers de justice, sur ce requis, de mettre ledit arrêt à exécution, aux procureurs généraux et aux procureurs de la République près les tribunaux de grande instance d’y tenir la main, à tous commandants et officiers de la force publique de prêter main-forte lorsqu’ils en seront légalement requis.

Conformément aux dispositions de l’article R. 142-20 du code des juridictions financières, les arrêts prononcés par la Cour des comptes peuvent faire l’objet d’un pourvoi en cassation présenté, sous peine d’irrecevabilité, par le ministère d’un avocat au Conseil d’État dans le délai de deux mois à compter de la notification de l’acte. La révision d’un arrêt ou d’une ordonnance peut être demandée après expiration des délais de pourvoi en cassation, et ce dans les conditions prévues au I de l’article R. 142-19 du même code.

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