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S2018-0784
République Française, Au nom du peuple français,
La Cour,
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Vu la requête enregistrée le 4 mars 2016 au greffe de la chambre régionale des comptes de Provence-Alpes-Côte d’Azur, par laquelle le Procureur général près la Cour des comptes, a élevé appel du jugement n°2015-0033 du 23 décembre 2015 de ladite chambre régionale qui a mis à la charge de Mme X, comptable de la commune de Vitrolles, une somme non rémissible de 10 € au titre de l’exercice 2012 et 10 € au titre de l’exercice 2013 en ce qui concerne la charge n°5 ;
Vu les pièces de la procédure suivie en première instance et notamment le réquisitoire du procureur financier près la chambre régionale de Provence-Alpes-Côte d’Azur n°2015-006 du 12 janvier 2015 ;
Vu le code général des collectivités territoriales ;
Vu le code des juridictions financières ;
Vu l’article 60 de la loi de finances n° 63-156 du 23 février 1963 ;
Vu le décret n° 62-1587 du 29 décembre 1962 portant règlement général sur la comptabilité publique, en vigueur au moment des faits et le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique ;
Vu le décret n° 2012-1386 du 10 décembre 2012 portant application du deuxième alinéa du VI de l'article 60 de la loi de finances de 1963 modifié, dans sa rédaction issue de l'article 90 de la loi n° 2011-1978 du 28 décembre 2011 de finances rectificative pour 2011 ;
Vu le mémoire en défense du 29 mars 2016 de Mme X, le mémoire en duplique du 20 avril 2016 du Procureur général près la Cour des comptes et les observations écrites de Mme X du 31 janvier 2017 ;
Vu le rapport de Mme Adeline Baldacchino, conseillère référendaire, chargée de l’instruction ;
Vu les conclusions n° 164 du Procureur général du 8 mars 2018 ;
Entendu, lors de l’audience publique du 15 mars 2018, Mme Baldacchino, en son rapport, Mme Loguivy Roche, avocate générale, en les conclusions du ministère public ; les parties informées de l’audience, n’étant ni présentes ni représentées ;
Après avoir entendu en délibéré M. Yves Rolland, conseiller maître, réviseur, en ses observations ;
Attendu que par le jugement entrepris, la chambre régionale des comptes de Provence-Alpes Côte d’Azur a engagé la responsabilité personnelle et pécuniaire de Mme X pour le paiement de six mandats (quatre en 2012 et deux en 2013) correspondant au remboursement au directeur général des services de frais de déplacements entre sa résidence administrative à Vitrolles et sa résidence personnelle en région parisienne pour un montant total de 14 356,36 € alors qu’elle disposait de pièces justificatives insuffisantes ; qu’ après avoir jugé que ces paiements ont créé pour la commune un préjudice financier, la chambre régionale des comptes a considéré que ce préjudice ne pouvait être imputable au manquement de la comptable, étant prise en considération son action réitérée pour alerter l’ordonnateur sur l’irrégularité de ces remboursements et pour avoir finalement décidé de suspendre les derniers mandats qui lui avaient été présentés ; qu’en conséquence, elle a prononcé une somme non rémissible de 10 € au titre de l’exercice 2012 et de 10 € au titre de l’exercice 2013 à l’encontre de Mme X au titre de la charge n° 5 ;
Attendu que le Procureur général près la Cour des comptes, appelant, conteste uniquement la décision du juge de première instance de ne pas avoir tiré la seule conclusion possible, selon lui, du constat que le comptable avait engagé sa responsabilité personnelle et pécuniaire en s’abstenant de suspendre le paiement des mandats visés dans le réquisitoire puis du constat que les paiements correspondants ont suscité pour la commune un préjudice financier ; qu’il considère que, pour être fidèle à ce raisonnement en deux temps, la chambre régionale des comptes aurait dû conclure que « le manquement de la comptable avait causé un préjudice à la commune puisque, si la comptable avait suspendu les paiements, comme elle aurait dû le faire aux yeux de la chambre, la commune n’aurait pas subi le préjudice que la chambre constate et qu’elle impute à ces paiements »; qu’il estime que la chambre régionale n’avait pas d’autre solution que de constituer la comptable débitrice des sommes irrégulièrement payées ; que pour écarter cette solution, l’appelant considère que la chambre régionale s’est bornée à affirmer que le préjudice financier n’était pas imputable à la comptable sans en attribuer clairement l’origine au comportement de l’ordonnateur qui avait été dûment alerté par la comptable ; que, selon le procureur général, de tels éléments ne font que confirmer que la comptable avait conscience du caractère irrégulier de ces dépenses qu’elle a néanmoins payées alors qu’elle disposait des moyens juridiques de s’y opposer ; qu’il affirme que, selon une jurisprudence constante de la Cour, il n’y a pas lieu de tenir compte pour apprécier le lien de causalité entre le manquement et le préjudice, d’autres facteurs que ceux tenant au comptable et qu’il considère que, hors cas de force majeure, le manquement du comptable est toujours la cause du préjudice résultant d’une dépense irrégulière ; qu’au surplus il estime que la chambre s’est appuyée pour fonder sa décision sur la réponse de la comptable en date du 30 juin 2015 et sur un mémoire produit par elle à l’audience et sur les explications orales qu’elle a apportées à l’appui de ses réponses écrites alors que, selon lui, la chambre n’était pas en mesure de vérifier l’exactitude des informations orales fournies en audience publique ni même de celles contenues dans le mémoire produit en début de séance car, selon le procureur général, il s’agissait avant tout d’un document destiné à guider ses propos et qui n’était appuyé d’aucune pièce ; qu’il considère qu’un tel raisonnement qui repose en partie sur des informations qui ne sont pas appuyées sur des pièces et qui n’ont pas été contredites doit également être censuré pour ce motif ; que ce raisonnement revient en outre à mettre en accusation l’ordonnateur, partie à la procédure, sans que ce dernier soit en mesure de s’exprimer sur les griefs qui lui sont faits par la comptable et que la chambre reprend à son compte dans le jugement ; qu’ il demande donc l’infirmation par la Cour du jugement en sa charge n°5 et le prononcé d’un débet mettant à la charge de Mme X l’ensemble des paiements irréguliers ;
Attendu que Mme X, dans son mémoire en défense comme dans ses observations écrites, estime avoir disposé de toutes les pièces justificatives prévues par la nomenclature à l’exception d’un mandat de l’exercice 2013 pour lequel elle reconnaît l’absence d’ordre de mission ; qu’elle affirme à titre principal s’être « sentie dans l’obligation de payer », compte tenu de consultations informelles réalisées auprès du pôle spécialisé des finances publiques de Rennes, dont par ailleurs elle n’apporte pas la preuve ;
Attendu que l’appelant ne conteste aucunement l’existence d’un manquement ni d’un préjudice ; que le juge d’appel est tenu par les moyens de la requête en appel ; que le mémoire de Mme Xne correspond ni en la forme ni au fond à un appel incident ou à une requête en appel ; que le jugement entrepris a donc acquis l’autorité de la chose jugée en ce qui concerne l’existence d’un manquement et d’un préjudice ;
Attendu que la chambre régionale des comptes s’est appuyée sur une décision du Conseil d’Etat selon laquelle si le manquement du comptable aux obligations qui lui incombent au titre du recouvrement des recettes doit en principe être regardé comme ayant causé un préjudice financier à l’organisme public concerné, lorsqu’à la date du manquement, la recette était irrécouvrable en raison notamment de l’insolvabilité de la personne qui en était redevable, le préjudice financier ne peut être regardé comme imputable audit manquement ; que cette décision ne saurait être étendue aux manquements du comptable à ses obligations de contrôles préalables au paiement d’une dépense ;
Attendu, et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête, que lorsque le juge des comptes relève que le paiement irrégulier de dépenses a entraîné un préjudice financier pour un organisme public, ce préjudice ne peut résulter en principe que du manquement commis par le comptable qui a effectué lesdits paiements ; qu’en effet les obligations de contrôle qui s’imposent aux comptables en application du I de l’article 60 de la loi du 23 février 1963, de l’article 12 du décret du 29 décembre 1962 et de l’article 19 du décret du 7 novembre 2012 précités, visent notamment à prévenir la survenance d’un éventuel préjudice financier à la collectivité ; que le comptable en est responsable sur ses deniers personnels ; qu’ainsi il y a lieu de mettre à la charge du comptable le préjudice financier qui résulte du manquement à ses obligations ; qu’en l’espèce, en ne suspendant pas les paiements alors qu’elle était tenue de le faire, Mme X est à l’origine du préjudice financier constaté ;
Attendu que les circonstances fondant l’existence d’un cas de force majeure ne sont pas réunies au cas d’espèce ;
Attendu qu’il ressort de ce qui précède que la chambre régionale a commis une erreur de droit ; qu’il convient donc d’infirmer le jugement entrepris, pour ce qui concerne la charge n°5, en ce qu’il a, à tort, constaté l’inexistence d’un lieu de causalité entre le manquement de Mme X et le préjudice subi par la commune et mis à sa charge une somme non rémissible de 10€ au titre de chacun des exercices 2012 et 2013 ;
Attendu qu’en raison de l’effet dévolutif de l’appel, il y a lieu de statuer sur la 5ème charge du réquisitoire du procureur financier susvisé ;
Attendu qu’aux termes du V de l'article 60 de la loi du 23 février 1963 "lorsque le manquement du comptable aux obligations mentionnées au I a causé un préjudice financier à l'organisme public (…) le comptable a l'obligation de verser immédiatement de ses deniers personnels la somme correspondante" ; qu’il y a donc lieu de constituer Mme X débitrice de la somme de 10 078 € au titre de l’exercice 2012 et de la somme de 5 278,36 € au titre de l’exercice 2013 ;
Attendu qu’aux termes du paragraphe VIII de l’article 60 de la loi du 23 février 1963 susvisée, « les débets portent intérêt au taux légal à compter du premier acte de la mise en jeu de la responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables publics » ; que le premier acte de la mise en jeu de la responsabilité correspond à la date de réception par la comptable de la notification du réquisitoire, soit, en l’espèce, le 21 janvier 2015 ;
Attendu que les plans de contrôle de la dépense produits par Mme X, le premier applicable pour les exercices 2012 et 2013 (au 31 août) et le second à compter du 1er septembre 2013, ne prévoyaient pas de contrôle sélectif des remboursements de frais de déplacement ;
Par ces motifs,
DECIDE :
Article 1er – Le jugement n° 2015-0033 du 23 décembre 2015 de la chambre régionale des comptes de Provence, Alpes, côte d’Azur est infirmé en ce qui concerne la charge n° 5.
Article 2 – Au titre de la charge n° 5, Mme X est constituée débitrice de la commune de Vitrolles, au titre de l’exercice 2012 de la somme de 10 078 € et, au titre de l’exercice 2013 de la somme de 5 278,36 €, augmentées des intérêts de droit à compter du 21 janvier 2015.
Les paiements n’entraient pas dans une catégorie de dépenses faisant l’objet de règles de contrôle sélectif.
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Fait et jugé en la Cour des comptes, chambres réunies, formation restreinte. Présents : M. Jean-Philippe VACHIA, président de chambre, président de séance, MM. Philippe GEOFFROY, Nicolas BRUNNER, Gilles MILLER, Pierre ROCCA et Yves ROLLAND, conseillers maîtres.
En présence de Mme Michelle OLLIER, greffière de séance.
Michelle OLLIER
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Jean-Philippe VACHIA
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En conséquence, la République française mande et ordonne à tous huissiers de justice, sur ce requis, de mettre ledit arrêt à exécution, aux procureurs généraux et aux procureurs de la République près les tribunaux de grande instance d’y tenir la main, à tous commandants et officiers de la force publique de prêter main-forte lorsqu’ils en seront légalement requis.
Conformément aux dispositions de l’article R. 142-20 du code des juridictions financières, les arrêts prononcés par la Cour des comptes peuvent faire l’objet d’un pourvoi en cassation présenté, sous peine d’irrecevabilité, par le ministère d’un avocat au Conseil d’État dans le délai de deux mois à compter de la notification de l’acte. La révision d’un arrêt ou d’une ordonnance peut être demandée après expiration des délais de pourvoi en cassation, et ce dans les conditions prévues au I de l’article R. 142-19 du même code.