S2018-0921 1/6
QUATRIÈME CHAMBRE ------- Première section ------- Arrêt n° S2018-0921
Audience publique du 22 mars 2018
Prononcé du 19 avril 2018
| COMMUNE DE HONFLEUR (CALVADOS)
Appel d’un jugement de la chambre régionale des comptes de Normandie
Rapport n° R2017-1724-1
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République Française,
Au nom du peuple français,
La Cour,
Vu la requête enregistrée le 19 août 2016 au greffe de la chambre régionale des comptes de Normandie, par laquelle M. X, comptable de la commune de Honfleur, a élevé appel du jugement n° 2016-08 du 14 juin 2016 par lequel cette juridiction l’a constitué débiteur de la collectivité au titre de quatre charges portant sur les exercices 2008, 2009, 2010 et 2012 pour la somme globale de 29 380,76 € ;
Vu les pièces de la procédure suivie en première instance, notamment le réquisitoire n° 2014-042 du 16 décembre 2014 du procureur financier près la chambre régionale des comptes ;
Vu le code de commerce et notamment ses articles L. 622-7, L. 622-17 et L. 622-24 ;
Vu le code de l’éducation et notamment son article L. 212-8 ;
Vu le code général des collectivités territoriales et notamment ses articles L. 1617-5 et L. 1612-15 ;
Vu le code des juridictions financières ;
Vu le code de la propriété des personnes publiques et notamment son article L. 2125-4 ;
Vu l’article 60 de la loi de finances n° 63-156 du 23 février 1963 modifiée ;
Vu le décret n° 62-1587 du 29 décembre 1962 portant règlement général sur la comptabilité publique, en vigueur au moment des faits ;
Vu le rapport à fin d’arrêt de Mme Esther Mac Namara, conseillère référendaire, chargée de l’instruction ;
Vu les conclusions n° 179 du Procureur général du 13 mars 2018 ;
Entendu lors de l’audience publique du 22 mars 2018, Mme Esther MAC NAMARA, conseillère référendaire, en son rapport, M. Serge BARICHARD, avocat général, en les conclusions du ministère public, les parties informées de l’audience n’étant ni présentes ni représentées ;
Entendu en délibéré M. Olivier ORTIZ, conseiller maître, réviseur, en ses observations ;
Sur la charge n° 1 (exercice 2008)
Attendu que par le jugement entrepris, M. X a été constitué débiteur de la somme de
2 037,72 € envers la commune de Honfleur pour ne pas avoir justifié de l’accomplissement de diligences adéquates, complètes et rapides dans le recouvrement des titres de recettes numéros 239, 240, 251 et 578 pris en charge entre le 28 février et le 3 mai 2004 et émis à l’encontre d’autres communes pour une participation aux frais de scolarisation d'enfants résidant sur leurs territoires et accueillis dans les écoles d’Honfleur ;
Attendu que l’appelant conteste à la fois le manquement et le préjudice financier retenus en première instance ;
En ce qui concerne l’existence d’un manquement du comptable :
Attendu que M. X fait valoir que la prise en charge d'un titre par un comptable n'établit ni l'existence ni la validité juridique d'une créance ; que le comptable est seulement tenu de s'assurer que la recette a été autorisée par l'autorité compétente dans les formes requises ; que certaines des communes débitrices ont contesté le bien-fondé de la demande de participation qui n'avait pas fait l'objet de conventions ; que, selon lui, le fait que les communes débitrices n'aient pas contesté les titres dans un délai de deux mois, pas plus que le fait que les titres n'aient été annulés ni admis en non-valeur par le conseil municipal, ne retirait pas à ces titres leur défaut de base juridique ; qu’il invoque à sa décharge l'instruction n° 05-050 MO du 13 décembre 2005 relative au recouvrement des recettes des collectivités territoriales, laquelle considère que « le délit de concussion est constitué dès lors qu'une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public reçoit ou exige ou ordonne de percevoir à titre de droits ou de contributions, impôts ou taxes publics une somme qu'elle sait ne pas être due ou excéder ce qui est dû. (…) Lorsque les pièces qui lui sont transmises à l'appui de titres de recettes ne laissent aucun doute sur l'illégalité de la somme liquidée, il appartient au comptable d'en aviser l'ordonnateur avant de suspendre les opérations de recouvrement susceptibles d'encourir la sanction du juge pénal » ; qu’il indique avoir suspendu les poursuites dans l'attente d'une prise de position de l'ordonnateur et que ce dernier a confirmé en première instance que le comptable n'était plus fondé à continuer les poursuites ; qu’en conséquence, M. X demande l'infirmation du jugement entrepris en ce qui concerne le débet de 2 037,72 € ;
Attendu que le règlement général sur la comptabilité publique, applicable aux exercices en jugement, dispose que les comptables sont chargés du recouvrement des recettes ; qu’ils sont en outre tenus d’exercer le contrôle de l’autorisation de percevoir la recette et, dans la limite des éléments dont ils disposent, de la mise en recouvrement des créances et de la régularité des réductions et des annulations des ordres de recettes ;
Attendu que lorsque le comptable a pris en charge une recette il lui appartient de la recouvrer conformément aux dispositions du I de l’article 60 de la loi n° 63-156 du 23 février 1963 modifiée et du décret du 29 décembre 1962, sauf à faire part à l’ordonnateur des raisons qui motiveraient, selon lui, l’impossibilité d’en poursuivre le recouvrement ;
Attendu qu’au surplus, aucun élément ne vient établir que les recettes en cause auraient été décidées par une autorité incompétente ;
Attendu que les communes débitrices n’ont pas contesté les titres dans le délai de deux mois dans des conditions permettant d’en suspendre la force exécutoire, comme le prévoient les dispositions de l’article L. 1617-5 du code général des collectivités territoriales ; que seules deux des quatre collectivités concernées ont contesté par lettre la validité de la créance qui leur était réclamée ; qu’il ne peut donc être affirmé que les pièces à l’appui des titres de recettes ne laissaient aucun doute sur l’illégalité des sommes liquidées ; que dès lors le risque de délit de concussion ne peut être valablement invoqué ;
Attendu qu’à défaut d’annulation par l’ordonnateur, de recours au représentant de l’État sur le fondement de l’article L. 212-8 du code de l’éducation, de défaut d’aboutissement sur le fond d’une saisine de la chambre régionale des comptes au titre de l’article L. 1612-15 du code général des collectivités territoriales ou d’annulation par le juge administratif, les quatre titres en cause demeuraient fondés ; qu’il incombait dès lors au comptable d’en poursuivre le recouvrement ou de prendre toutes dispositions pour interrompre la prescription de l’action en recouvrement ;
Attendu que M. X n’a justifié d’aucune démarche envers l’ordonnateur pour le saisir de l’échec du recouvrement amiable ni pour engager la procédure de mandatement d’office des sommes dues à raison de leur caractère obligatoire ; que si le requérant fournit un courrier du maire indiquant, pour les besoins de la procédure devant les premiers juges, que le comptable n'était plus fondé à poursuivre le recouvrement des quatre titres de recettes, cette attestation tardive ne peut être retenue par le juge des comptes ;
Attendu qu’ainsi, en jugeant que le comptable n’avait pas accompli les diligences adéquates, complètes et rapides en vue du recouvrement des titres en cause, la chambre régionale des comptes n’a pas commis d’erreur de droit ;
En ce qui concerne l’existence d’un préjudice financier pour la commune :
Attendu que le requérant soutient qu’à défaut d’examiner si la commune de Honfleur était fondée à réclamer ces participations aux communes concernées, la chambre ne pouvait conclure à l’existence d’un préjudice financier ;
Attendu, toutefois, que les titres en cause étaient inscrits sur l'état des restes à recouvrer au 31 décembre 2012 ; qu'en l'absence d'une volonté expresse de l'autorité délibérante de renoncer à la perception de ces recettes, le manquement du comptable est la cause directe d'un préjudice financier pour la commune ;
Attendu qu’il ressort de ce qui précède que les moyens tendant à contester la charge n° 1 doivent être écartés ;
Sur la charge n° 2 (exercice 2009)
Attendu que M. X a été constitué débiteur de la somme de 1 311,04 € € envers la commune de Honfleur pour ne pas avoir justifié de l’accomplissement de diligences adéquates, complètes et rapides dans le recouvrement des titres de recettes n°s 275, 276, 277 et 293 pris en charge le 1er avril 2005 et émis à l’encontre de quatre communes pour des participations aux frais de scolarité supportés par la commune de Honfleur ;
Attendu que le requérant fait valoir des moyens similaires à ceux évoqués en ce qui concerne la charge n° 1, et notamment que les titres en cause ont été contestés par écrit par les communes concernées ;
Attendu, toutefois, qu’aucune preuve de cette contestation n’a été fournie, que ce soit en première instance ou en appel ;
Attendu qu’il ressort de ce qui précède, pour les mêmes motifs que ceux précédemment exposés, qu’en jugeant que le comptable n’avait pas accompli les diligences adéquates, complètes et rapides en vue du recouvrement des titres concernés et qu’il avait en conséquence commis un manquement constitutif d’un préjudice envers la commune, la chambre régionale des comptes n’a pas commis d’erreur de droit ; qu’il y a donc lieu de rejeter la requête de M. X en ce qui concerne la charge n° 2 ;
Sur la charge n° 3 (exercice 2010)
Attendu que M. X a été constitué débiteur de la somme de 3 952,00 € correspondant au titre n° 1594 pris en charge le 21 juin 2006 et non recouvré, sans qu’il ait apporté la preuve de diligences adéquates, complètes et rapides ;
Attendu que l’appelant ne conteste pas le manquement mais l’existence d’un préjudice financier pour la commune, en faisant valoir que le mandataire chargé de la procédure de liquidation judiciaire concernant le commerce débiteur lui avait fait savoir, par une mention manuscrite portée sur une lettre du 22 avril 2015, que le dossier était « impécunieux », et qu’il n’avait de ce fait pas de perspective de recouvrement ;
Attendu que le maire de Honfleur dans un courrier en date du 12 mai 2015 adressé au rapporteur de première instance, indique que "en ce qui concerne (…) le titre 1594 de l'exercice 2010, aucun préjudice financier ne peut être imputé à la commune puisque rien n'était fondé à l'émission de ces titres" ; que, toutefois, cette affirmation n'est étayée par aucun élément supplémentaire ;
Attendu que le comptable a la possibilité d’établir, par tous moyens, qu’à la date du manquement la recette était irrécouvrable, en raison notamment de l’insolvabilité de la personne qui en était redevable ; qu’en pareil cas, le préjudice financier ne peut être regardé comme imputable au manquement ;
Attendu qu’en l’espèce, les premiers juges ont considéré qu’en l’absence de preuve de diligences ayant interrompu la prescription de recouvrement, celle-ci était intervenue le 21 juin 2010 ; que la procédure de liquidation judiciaire a été ouverte par jugement du 25 juillet 2013 ; qu’en conséquence, l’indication manuscrite du mandataire n’établit pas qu’à la date du manquement en 2010, la créance était manifestement irrécouvrable ;
Attendu que dès lors, la chambre régionale des comptes n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant que M. X n’avait pas accompli les diligences adéquates, complètes et rapides en vue du recouvrement du titre en cause, et qu’il avait en conséquence commis un manquement constitutif d’un préjudice financier envers la commune ; qu’en conséquence, la requête de M. X contre la charge n° 3 doit être rejetée ;
Sur la charge n° 4 (exercice 2012)
Attendu que M. X a été constitué débiteur de la somme de 22 080,00 € envers la commune de Honfleur, correspondant au titre n° 2139 relatif à des redevances d’occupation du domaine public dues par un établissement de restauration, pris en charge en 2008 et non recouvré, sans que le comptable ait produit la preuve de diligences adéquates, complètes et rapides ;
Attendu que l’appelant conteste avoir manqué à ses obligations et fait valoir que la créance en cause a été produite en 2008 dans le cadre d’une procédure de redressement judiciaire de la société débitrice, que le titre a été inclus dans le plan de règlement homologué par le tribunal de commerce et que deux règlements ont été effectués dans le cadre de l’exécution de ce plan, avant l’ouverture d’une nouvelle procédure de redressement judiciaire en décembre 2012 et une nouvelle production de la créance ; qu’il considère que ces versements attestent de la volonté du débiteur de s'acquitter de sa dette incluant le titre en cause ; que le fait que ces deux montants n'aient pas été répartis proportionnellement sur chaque créance retenue au passif de la procédure est indifférent à la volonté clairement exprimée par le débiteur ; qu’il sollicite en conséquence l'infirmation du jugement en ce qui concerne ce débet ;
Attendu qu’il ressort du dossier que pour recouvrer le titre émis le 30 avril 2008, le comptable a produit le 19 mai 2008 la créance communale à la procédure de redressement judiciaire en mettant en œuvre, dans un premier temps, les dispositions de l'article L. 622-24 du code du commerce ; qu’ensuite il a engagé, à partir de juillet 2008, des diligences auprès du débiteur sur le fondement des dispositions de l'article L. 622-7 du même code ;
Attendu que la pertinence de la déclaration de la créance en 2008 doit être écartée, contrairement à ce que soutient le comptable ; qu’en effet, la copie jointe de l’avis des sommes à payer mentionne une dette liée à l’occupation du domaine public, confirmée par l’arrêté municipal du 28 avril 2008 qui était joint en première instance, autorisant l’occupation du domaine public pour deux terrasses pour la période du 1er mai 2008 au 30 avril 2009 ; que l’article L. 2125-4 du code de la propriété des personnes publiques dispose en effet que « la redevance due pour l’occupation ou l’utilisation du domaine public par le bénéficiaire d’une autorisation est payable d’avance et annuellement » ; qu’il est patent que la naissance de la créance communale est postérieure au jugement du tribunal de commerce d’Evreux en date du 28 mars 2008 plaçant le débiteur en redressement judiciaire ; que dès lors, la créance communale ne devait pas être déclarée dans le cadre de la procédure collective, mais devait être recouvrée selon les procédures habituelles, en application de l’article L. 622-17 du code de commerce ; qu’au titre du II de l’article précité, la créance était en outre payable par privilège avant toutes les autres créances, assorties ou non de privilèges ou sûretés, sans préjudice des exceptions légales limitativement énumérées ;
Attendu que, par ailleurs, les règlements partiels dont fait état le comptable dans le cadre du plan de redressement ont manifestement été imputés sur d’autres dettes du débiteur, le titre n° 2139 figurant toujours pour son montant intégral dans les restes à recouvrer de l’exercice 2012 ;
Attendu que le comptable n’a produit aucune preuve de la matérialité de ses diligences pour recouvrer la créance en cause en se prévalant du privilège conféré par les dispositions de l’article L. 622-17-II du code de commerce ; qu’en outre, aucun élément ne permet d’établir devant le juge des comptes que la créance était manifestement irrécouvrable à ce titre en 2008 ;
Attendu que dès lors les premiers juges n’ont pas commis d’erreur de droit en jugeant que le comptable n’avait pas accompli les diligences adéquates, complètes et rapides en vue du recouvrement du titre n° 2139, et qu’en utilisant une procédure de recouvrement inadéquate, il avait commis un manquement constitutif d’un préjudice envers la commune ; qu’il y a donc lieu de rejeter la requête de M. X en ce qui concerne la charge n° 4 ;
Par ces motifs,
DÉCIDE :
Article unique : La requête de M. X contre le jugement n° 2016-08 du 14 juin 2016 de la chambre régionale des comptes de Normandie est rejetée.
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Présents : M. Jean-Philippe VACHIA, président de chambre, président de la formation ;
M. Yves ROLLAND, président de section, MM. Denis BERTHOMIER et Olivier ORTIZ, conseillers maîtres, Mmes Dominique DUJOLS, Isabelle LATOURNARIE-WILLEMS, conseillères maîtres, et M. Jean-Luc GIRARDI, conseiller maître.
En présence de M. Aurélien LEFEBVRE, greffier de séance.
Aurélien LEFEBVRE |
Jean-Philippe VACHIA
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En conséquence, la République française mande et ordonne à tous huissiers de justice, sur ce requis, de mettre ledit arrêt à exécution, aux procureurs généraux et aux procureurs de la République près les tribunaux de grande instance d’y tenir la main, à tous commandants et officiers de la force publique de prêter main-forte lorsqu’ils en seront légalement requis.
Conformément aux dispositions de l’article R. 142-120 du code des juridictions financières, les arrêts prononcés par la Cour des comptes peuvent faire l’objet d’un pourvoi en cassation présenté, sous peine d’irrecevabilité, par le ministère d’un avocat au Conseil d’État dans le délai de deux mois à compter de la notification de l’acte. La révision d’un arrêt ou d’une ordonnance peut être demandée après expiration des délais de pourvoi en cassation, et ce dans les conditions prévues au I de l’article R. 142-19 du même code.
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