Sections réunies

Jugement 2017-0020

Audience publique du 6 juillet 2017

Prononcé du 20 juillet 2017

COMMUNE D’ELINCOURT-SAINTE-MARGUERITE (Oise)

Poste comptable : CENTRE DES FINANCES PUBLIQUES DE lassigny (60)

Exercice : 2014

République française

Au nom du peuple français

 

La chambre,

Vu le réquisitoire en date du 12 janvier 2017 par lequel le procureur financier a saisi la chambre en vue de la mise en jeu de la responsabilité personnelle et pécuniaire de
M. Gilles X, comptable de la commune d’Élincourt-Sainte-Marguerite, au titre d’une opération effectuée sur l’exercice 2014, notifié le 27 janvier 2017 à l’intéressé ;

Vu l’arrêté de charge provisoire du chef du pôle interrégional d’apurement administratif de Rennes du 11 octobre 2016 ;

Vu les comptes rendus en qualité de comptable de la commune d’Élincourt-Sainte-Marguerite par M. Gilles X du 1er janvier 2014 au 31 décembre 2014 ;

Vu les justifications produites au soutien des comptes en jugement ;

Vu l’article 60 de la loi de finances n° 63-156 du 23 février 1963 ;

Vu le code des juridictions financières ;

Vu le code général des collectivités territoriales ;

Vu le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012, relatif à la gestion budgétaire et comptable publique ;

Vu le décret n° 2012-1386 du 10 décembre 2012 portant application du deuxième alinéa du VI de l’article 60 de la loi de finances de 1963 modifié dans sa rédaction issue de l’article 90 de la loi n° 2011-1978 du 28 décembre 2011 de finances rectificatives pour 2011 ;

JU-2017-0020 – Commune d’Élincourt-Sainte-Marguerite 1/6

 

 

 


 

Vu l’instruction budgétaire et comptable M4 applicable aux services publics locaux industriels et commerciaux dans sa version en vigueur au 1er janvier 2014 ;

Vu l’instruction codificatrice n° 11-022-M0 du 16 décembre 2011 relative au recouvrement des recettes des collectivités territoriales et des établissements publics locaux ;

Vu le rapport de M. Emmanuel Chay, conseiller, magistrat chargé de l’instruction ;

Vu les conclusions du procureur financier ;

Vu les pièces du dossier ;

Entendu lors de l’audience publique du 6 juillet 2017, M. Emmanuel Chay, conseiller, en son rapport, M. Fabrice Navez, procureur financier, en ses conclusions et M. Gilles X, comptable, présent ayant eu la parole en dernier ;

Sur la présomption de charge unique soulevée à lencontre de M. Gilles X, au titre de l’exercice 2014 :

Attendu que, par le réquisitoire susvisé, le procureur financier a saisi la chambre régionale des comptes Hauts-de-France de la responsabilité encourue par M. Gilles X pour avoir pris en charge, au cours de l’exercice 2014, le mandat n° 152 (bordereau n° 20) émis le
10 décembre 2014, imputé au compte 6542 « Pertes sur créances irrécouvrables – créances éteintes » du budget annexe « service eau » de la commune d’Élincourt-Sainte-Marguerite, pour un montant total de 4 444,80  sans disposer des pièces justificatives exigibles et en dépassement des crédits disponibles ;

Sur l’existence d’un manquement :

Attendu qu’aux termes des dispositions du I de l’article 60 de la loi du 23 février 1963 « […] les comptables publics sont personnellement et pécuniairement responsables […] du paiement des dépenses […]. Les comptables publics sont personnellement et pécuniairement responsables des contrôles qu’ils sont tenus d’assurer en matière […] de dépenses […] dans les conditions prévues par le règlement général sur la comptabilité publique. La responsabilité personnelle et pécuniaire prévue ci-dessus se trouve engagée dès lors […] qu’une dépense a été irrégulièrement payée […] » ;

Attendu que l’article 19 du décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012, relatif à la gestion budgétaire et comptable publique prévoit qu’il incombe aux comptables, notamment s’agissant des ordres de payer, d’exercer le contrôle « […] de la validité de la dette dans les conditions prévues à l’article 20 » ; que l’article 20 du même décret précise que « Le contrôle des comptables publics sur la validité de la dette porte sur : 1° La justification du service fait ;
2° L’exactitude de la liquidation ; 3° L’intervention des contrôles préalables prescrits par la réglementation ; […] ; 5° La production des pièces justificatives ; 6° L’application des règles de prescription et de déchéance.» ;

 

 

 

Attendu que, pour apprécier la validité des dettes, les comptables doivent notamment exercer leur contrôle sur la production des justifications ; qu'à ce titre, il leur revient d'apprécier si les pièces fournies présentent un caractère suffisant pour justifier la dépense engagée ; que pour établir ce caractère suffisant, il leur appartient de vérifier, en premier lieu, si l'ensemble des pièces requises au titre de la nomenclature comptable applicable leur ont été fournies et, en second lieu, si ces pièces sont, d'une part, complètes et précises, d'autre part, cohérentes au regard de la catégorie de la dépense définie dans la nomenclature applicable et de la nature et de l'objet de la dépense telle qu'elle a été ordonnancée ;

Attendu que l’instruction budgétaire et comptable M4 applicable aux services publics locaux industriels et commerciaux dans sa version en vigueur au 1er janvier 2014 dispose que « Le compte 6542 « Créances éteintes » enregistre les pertes sur les créances éteintes dans le cadre d’une procédure de surendettement ou d’une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire » ;

Attendu que l’effacement des créances résulte d’une décision prononcée par une décision extérieure à la collectivité qui est tenue de la constater ; que l’instruction n° 11-022-M0 du
16 décembre 2011 relative au recouvrement des recettes des collectivités territoriales et des établissements publics locaux dispose qu« il convient de traiter l’effacement comme une admission en non-valeur » ;

Attendu que l’annexe I à l’article D. 1617-19 du code général des collectivités territoriales pose que les pièces requises pour la prise en charge d’une admission en non-valeur sont une décision et un état précisant pour chaque titre le montant admis ; que ces pièces peuvent, soit faire l'objet d'une délibération spécifique, soit être remplacées par une liste de créances admises en non-valeurs annexée au compte administratif ;

Attendu que le comptable mis en cause précise qu’il n’était pas, à la date de l'effacement de créance considéré, en possession de la décision de l'assemblée délibérante autorisant cet effacement ; qu’il indique ensuite qu’il méconnaissait les dispositions de l’instruction précitée relative au recouvrement des recettes des collectivités territoriales et des établissements publics locaux, notamment en ce qu’elle prévoit que les créances éteintes devaient être constatées par la collectivité et qu'il convenait de traiter l'effacement comme une admission en non-valeur ; qu’un tel moyen est, cependant, inopérant à décharge ;

Attendu que l’ordonnateur en fonctions confirme, dans sa réponse à la chambre, l’absence de délibération du conseil municipal sur l’effacement des créances ;

Attendu que le procureur financier considère, dans ses conclusions, que pour répondre à ses obligations de contrôle des pièces justificatives, le comptable dispose de deux moyens consistant, soit en une délibération spécifique, soit en « un compte administratif avec une annexe reprenant la liste des créances admises en non-valeur » ; qu’il considère qu’au cours de l’instruction, le comptable n’a pas été expressément interrogé sur l’existence de cette dernière pièce et qu’il n’a donc pu présenter ses arguments sur cet aspect de l’affaire ; qu’il estime que le doute sur l’existence ou non de ladite pièce peut bénéficier au comptable et propose de ne pas engager sa responsabilité ;

 

 

 

Attendu, toutefois, que le mandat susmentionné n’était accompagné ni d'une délibération spécifique ni d’une liste de créances admises en non-valeurs annexée au compte administratif ; qu’aucune mention n’est portée au mandat renvoyant vers une pièce justificative présente dans une autre liasse ; que le réquisitoire susvisé faisait grief au comptable mis en cause d’avoir procédé à l’effacement de la créance considéré en l’absence des pièces justificatives exigibles ; qu’au cours de l’instruction, le comptable et l’ordonnateur en fonctions ont été invités à présenter leurs observations écrites à la suite de la réception du réquisitoire ; que ni l’un ni l’autre n’ont mentionné l’existence d’une liste de créances admises en non-valeurs annexée au compte administratif ; que, dans la mesure où le comptable mis en cause indique qu’il ignorait qu'il convenait de traiter l'effacement comme une admission en non-valeur, celui-ci n’a pu demander l’admission en non-valeur de la créance considérée ; que l’ensemble des parties au présent jugement admettent, enfin, l’absence de décision de l’assemblée délibérante autorisant l’effacement de créance considéré ;

Attendu que pour répondre à ses obligations de contrôle des pièces justificatives, le comptable disposait de deux moyens ; que le premier moyen, à savoir la délibération du conseil municipal, n’a pas été produit ; que le second moyen, à savoir la liste annexée au compte administratif, n’a pas été davantage produit ; que cette pièce a été expressément sollicitée lors de l’audience et que son absence y a été de nouveau constatée ;

Attendu qu’il résulte de l’instruction que le comptable mis en cause ne disposait pas, au moment de l’effacement de créance considéré, des pièces justificatives exigibles ; que, dès lors, le comptable ne sest pas assuré de disposer de l’ensemble des pièces justificatives requises pour s’assurer de la validité de la dette au moment du paiement ; qu’ainsi, en l’absence de justifications suffisantes, M. Gilles X aurait dû suspendre le paiement considéré et demander toutes précisions à l’ordonnateur, conformément à l’article 38 du
décret  2012-1246 du 7 novembre 2012 susvisé ;

Attendu, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur le défaut de disponibilité des crédits, que le comptable mis en cause a donc manqué à ses obligations de contrôle de validité de la dette et a ainsi engagé sa responsabilité au titre de l’article 60 de la loi n° 63-156 du 23 février 1963 ;

Sur l’existence d’un préjudice financier :

Attendu que, selon l’article 60 susvisé de la loi du 23 février 1963 modifiée, « la responsabilité personnelle et pécuniaire prévue au I est mise en jeu par le ministre dont relève le comptable, le ministre chargé du budget ou le juge des comptes dans les conditions qui suivent » ; que
« lorsque le manquement du comptable […] a causé un préjudice financier à l'organisme public concerné […] le comptable a l'obligation de verser immédiatement de ses deniers personnels la somme correspondante » ;

Attendu qu’un préjudice financier résulte du paiement d’une dépense indue, d’une perte provoquée par une opération de décaissement ou de non recouvrement d’une recette, donnant lieu à une constatation dans la comptabilité de l’organisme et se traduisant par un appauvrissement patrimonial de la personne publique ;

Attendu qu’une décision de justice antérieure au mandat litigieux est venue annuler lesdites créances ; que, dès lors, le paiement du mandat susmentionné n’a pas entraîné de préjudice financier pour la commune ;

 

 

Sur l’existence de circonstances de l’espèce :

Attendu que le comptable mis en cause fait état de conditions de travail difficiles pour les agents en poste, d’une forte rotation et de vacances de postes ; que la trésorerie de Lassigny avait en charge, en 2014, 176 budgets ; que ces circonstances ne pourront être retenues au cas d’espèce, eu égard au manquement constaté et à la méconnaissance admise des dispositions de l’instruction n° 11-022-M0 du 16 décembre 2011 relative au recouvrement des recettes des collectivités territoriales ;

Attendu que le comptable n’établit pas l’existence de circonstances constitutives de la force majeure, au sens du premier alinéa du V de l’article 60 de la loi n° 63-156 susvisée ; que dès lors sa responsabilité peut être engagée ;

Sur la détermination d’une somme non rémissible :

Attendu que le VI de l’article 60 de la loi de finances n° 63-156 du 23 février 1963 modifiée dispose que « lorsque le manquement du comptable aux obligations mentionnées au I n'a pas causé de préjudice financier à l'organisme public concerné, le juge des comptes peut l'obliger à s'acquitter d'une somme arrêtée, pour chaque exercice, en tenant compte des circonstances de l'espèce. Le montant maximal de cette somme est fixé par décret en Conseil d'Etat en fonction du niveau des garanties mentionnées au II » ; que ce montant est fixé par le
décret n° 2012-1386 du 10 décembre 2012 à « un millième et demi du montant du cautionnement prévu pour le poste comptable considéré » ;

Attendu que le montant du cautionnement afférent au poste comptable de Lassigny s’élève à 151 000 pour l’exercice considéré ; que le fait que le comptable mis en cause ait manqué à une obligation prévue à l’article 19 du décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 susvisé constitue une circonstance aggravante ; qu’ainsi, il n’y a pas lieu de moduler la somme laissée à la charge de M. Gilles X et qu’il y a lieu de l’obliger à s'acquitter d'une somme arrêtée à 226,50 € ;

Par ces motifs,

DÉCIDE :

Article 1er :  Au titre de l’exercice 2014, présomption de charge unique

 M. Gilles X devra s’acquitter d’une somme de 226,50 €, en application du deuxième alinéa du paragraphe VI de l’article 60 de la loi n° 63-156 du
23 février 1963 ; cette somme ne peut faire l’objet d’une remise gracieuse en vertu du paragraphe IX de l’article 60 précité et ne produit pas d’intérêts.

Article 2 :  La décharge de M. Gilles X, pour sa gestion du 1er janvier 2014 au
31 décembre 2014, ne pourra être donnée qu’après apurement de la somme à acquitter, fixée à l’article 1er ci-dessus.

 

 

Fait et jugé par M. Philippe Sire, président de séance, Mme Valérie Gasser-Sabouret, première conseillère, et M. hidine Faroudj, premier conseiller.

En présence de Bernard Chabé, greffier de séance

 Bernard Chabé Philippe Sire

En conséquence, la République française mande et ordonne à tous huissiers de justice, sur ce requis, de mettre ledit jugement à exécution, aux procureurs généraux et aux procureurs de la République près les tribunaux de grande instance d’y tenir la main, à tous commandants et officiers de la force publique de prêter main-forte lorsqu’ils en seront légalement requis.

En application des articles R. 242-19 à R. 242-21 du code des juridictions financières, les jugements prononcés par la chambre régionale des comptes peuvent être frappés d’appel devant la Cour des comptes dans le délai de deux mois à compter de la notification, et ce selon les modalités prévues aux articles R. 242-22 à R. 242-24 du même code. Ce délai est prolongé de deux mois pour les personnes domiciliées à l’étranger. La révision d’un jugement peut être demandée après expiration des délais d’appel, et ce dans les conditions prévues à
l’article R. 242-29 du même code.

JU-2017-0020 – Commune d’Élincourt-Sainte-Marguerite 1/6