- Formation plénière -
Jugement n° J2017-0011
Audience publique du 1er juin 2017 Jugement prononcé le 6 juillet 2017
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COMMUNE DE SAINT-CLAUDE (Département du Jura)
Centre des finances publiques de Saint-Claude
Exercice 2015
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RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LA CHAMBRE RÉGIONALE DES COMPTES BOURGOGNE-FRANCHE-COMTÉ,
Vu le code des juridictions financières ;
Vu le code général des collectivités territoriales ;
Vu l’article 60 de la loi de finances n° 63-156 du 23 février 1963 modifié portant loi de finances pour 1963, dans sa rédaction issue de l’article 90 de la loi n° 2011-1978 du 28 décembre 2011 portant loi de finances rectificative pour 2011 ;
Vu la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 modifiée portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale ;
Vu le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique ;
Vu les comptes rendus en qualité de comptable de la commune de Saint-Claude, pour l’exercice 2015, par M. X ..., comptable du 1er octobre 2014 au 31 décembre 2016 ;
Vu le réquisitoire n° 2017-05 du 23 février 2017 par lequel le procureur financier a saisi la chambre régionale des comptes Bourgogne-Franche-Comté d’une présomption de charge unique à l’encontre du comptable en fonctions, au titre de l’exercice 2015 ;
VU les justifications produites au soutien des comptes ou communiquées au cours de l’instruction ;
Vu l’ensemble des pièces du dossier ;
Vu le rapport n° 17-047 en date du 21 avril 2017 de M. Vladimir Dolique, premier conseiller, magistrat chargé de l’instruction ;
Vu les conclusions n° 2017-047 en date du 21 avril 2017 de M. Jérôme Dossi, procureur financier ;
Vu les lettres du 19 mai 2017 informant les parties de la clôture de l'instruction et de la date fixée pour l'audience publique ;
Ensemble les pièces à l’appui ;
Entendu, lors de l’audience publique du 1er juin 2017, M. Vladimir Dolique, premier conseiller, en son rapport, M. Jérôme DOSSI, procureur financier, en ses conclusions, M. X ..., comptable public de la commune Saint-Claude et M. Y..., son maire, n’étant ni présents à l’audience, ni représentés ;
Après avoir entendu en délibéré M. Samuel Gougeon, premier conseiller, réviseur, en ses observations ;
Sur responsabilité du comptable
Attendu qu’aux termes du 1er alinéa du I de l’article 60 de la loi du 23 février 1963 « les comptables publics sont personnellement et pécuniairement responsables du recouvrement des recettes, du paiement des dépenses, de la garde et de la conservation des fonds et valeurs appartenant ou confiés aux différentes personnes morales de droit public dotées d'un comptable public » ; que ces mêmes dispositions prévoient que cette responsabilité personnelle et pécuniaire « se trouve engagée dès lors qu'un déficit ou un manquant en monnaie ou en valeurs a été constaté, qu'une recette n'a pas été recouvrée, qu'une dépense a été irrégulièrement payée » ;
Attendu que l'article 19 du décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique dispose que le comptable public est tenu d’exercer le contrôle « 2° s’agissant des ordres de payer : […] d) de la validité de la dette dans les conditions prévues à l’article 20 » ; que ce dernier article dispose que « le contrôle des comptables publics sur la validité de la dette porte sur : […] 2° l’exactitude de la liquidation ; 3° l’intervention des contrôles préalables prescrits par la réglementation […] ; 5° la production des pièces justificatives […] » ;
Sur la présomption de charge unique soulevée par le procureur financier
Attendu que, par réquisitoire du 23 février 2017, le procureur financier a saisi la chambre régionale des comptes Bourgogne-Franche-Comté d’une présomption de charge unique portant sur le paiement d’une prime de fin d’année à l’ensemble des agents de la commune, pour un montant estimé à 399 966,44 € versé au titre du mandat de paie n° 7107 du 24 novembre 2015, sans s’être au préalable assuré de la validité de la dette ;
Attendu que, pour apprécier la validité des dettes, les comptables doivent notamment exercer leur contrôle sur la production des justifications ; qu'à ce titre, il leur revient d'apprécier si les pièces fournies présentent un caractère suffisant pour justifier la dépense engagée que pour établir ce caractère suffisant, il leur appartient de vérifier, en premier lieu, si l'ensemble des pièces requises au titre de la nomenclature comptable applicable leur a été fourni et, en deuxième lieu, si ces pièces sont, d'une part, complètes et précises, d'autre part, cohérentes au regard de la catégorie de la dépense définie dans la nomenclature applicable et de la nature et de l'objet de la dépense telle qu'elle a été ordonnancée ; qu'enfin, lorsque les pièces justificatives fournies sont insuffisantes pour établir la validité de la dette, il appartient aux comptables de suspendre le paiement jusqu'à ce que l'ordonnateur leur ait produit les justifications nécessaires ;
Attendu qu’il résulte de l’annexe I de l’article D. 1617-19 du code général des collectivités territoriales, rubrique 210223, qu’au moment du paiement le comptable devait disposer, en ce qui concerne les primes et indemnités versées, d’une délibération de l’assemblée délibérante fixant la nature, les conditions d’attribution et le taux moyen des indemnités, ainsi que d’une décision de l’autorité investie du pouvoir de nomination fixant le taux applicable à chaque agent ;
Sur le manquement du comptable
Attendu que le comptable concerné, M. X..., a présenté, comme pièces justificatives du paiement de la prime de fin d’année, pour l’année 2015, la délibération n° 20/33 du 26 janvier 1973 instituant une prime de fin d’année pour les agents communaux dans la limite d’un crédit global de 32 000 F sans précisions quant aux modalités de répartition et d’attribution de cette enveloppe indemnitaire, les deux délibérations n° 46/29 du 10 juin 1993 et n° 34/11 du 27 février 1992 relatives au régime indemnitaire attribué au personnel de la ville de Saint-Claude précisant, qu’ « en vertu des dispositions de l’article 111 de la loi du 26 janvier 1984 susvisée, le complément de rémunération octroyé aux agents de la commune continue d’être accordé au titre des avantages acquis», sans davantage d’éléments relatifs aux critères de liquidation de cette prime, et un état nominatif émanant de la direction des ressources humaines de la commune, arrêtant les modalités de la répartition opérée en 2015 d’une enveloppe totale de 399 966,44 € au titre de la prime de fin d’année, avec le détail des montants attribués à chaque agent ;
Attendu que ni la délibération du 26 janvier 1973, ni la délibération n° 46/29 du 10 juin 1993, pas davantage que la délibération n° 34/11 du 27 février 1992 n’ont fixé la nature, les conditions d’attribution et le taux moyen des indemnités comme l’exige la rubrique 210223 de l’annexe I à l’article D. 1617-19 du CGCT ; que, par ailleurs, le document de la direction des ressources humaines susvisé, s’il peut être assimilé à une décision de l'autorité territoriale fixant le taux applicable à chaque agent, ne saurait valoir en l’absence d’une délibération du conseil municipal, seul compétent pour fixer les modalités précises d’attribution d’une telle prime ; qu’en outre, la seule inscription au budget primitif de la commune des crédits nécessaires au paiement des primes de fin d’année ne saurait se substituer à la délibération du conseil municipal exigée par les dispositions du CGCT précitées ;
Attendu qu’au moment de prendre en charge le mandat de paye susvisé, le comptable public ne disposait pas des pièces requises par le CGCT pour opérer le contrôle de validité de la dette ; qu’en conséquence, il aurait dû suspendre le paiement en cause ; que, par suite, en payant irrégulièrement ces indemnités, le comptable a manqué à ses obligations de contrôle et engagé sa responsabilité personnelle et pécuniaire au titre de l’exercice 2015 ;
Sur le préjudice financier
Attendu qu’en application de l’article 60 de la loi de finances du 23 février 1963 susvisé, lorsque la responsabilité du comptable public est mise en jeu, il a obligation de verser immédiatement de ses deniers personnels la somme correspondante, sauf si le manquement dont il s’est rendu responsable n’a pas causé de préjudice financier à la collectivité, auquel cas le juge des comptes peut l’obliger à s’acquitter d’une somme arrêtée, pour chaque exercice, en tenant compte des circonstances de l’espèce ; qu’il y a lieu, ainsi, de rechercher si le manquement ci-dessus défini a causé un tel préjudice à la commune de Saint-Claude ;
Attendu qu’à défaut de délibération définissant les modalités de liquidation de la prime de fin d’année le paiement de cette prime ne repose sur aucun engagement juridique valide ; que la dette constituée par la prime de fin d’année est ainsi dépourvue de caractère certain ; que, dès lors, son paiement a, du seul fait de son caractère indu, entraîné un préjudice financier pour la collectivité ;
Attendu que le comptable public ne peut qu’être considéré comme responsable du préjudice financier résultant du paiement indu de la prime de fin d’année en tant qu’il avait l’obligation de s’assurer de la complétude des pièces justificatives avant de procéder au paiement de ladite prime ; qu’en conséquence le lien de causalité entre le manquement observé et le préjudice financier pour la commune de Saint-Claude est établi ;
Attendu qu’il y a lieu, en conséquence, de constituer M. X... débiteur de la commune de Saint-Claude en application des dispositions précédemment rappelées de la loi du 23 février 1963 ;
Sur le débet à prononcer
Attendu que le préjudice financier subi par la commune de Saint-Claude correspond au paiement irrégulier de la prime de fin d’année versée en 2015 intégrée au mandant de paie n° 7107, soit un montant total de 399 966,44 € ;
Attendu qu’aux termes du VIII de l’article 60 de la loi du 23 février 1963 modifiée susvisée, « les débets portent intérêt au taux légal à compter du premier acte de la mise en jeu de la responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables publics » ; qu’en l’espèce, le premier acte de la mise en jeu de la responsabilité personnelle et pécuniaire du comptable est celle à laquelle le réquisitoire susvisé lui a été notifié, soit le 23 février 2017 ;
Sur le respect du contrôle sélectif de la dépense
Attendu qu’aux termes du paragraphe IX alinéa 2 de l’article 60 de la loi du 23 février 1963, « les comptables publics dont la responsabilité personnelle et pécuniaire a été mise en jeu dans les cas mentionnés au troisième alinéa du même VI peuvent obtenir du ministre chargé du budget la remise gracieuse des sommes mises à leur charge. Hormis le cas de décès du comptable ou de respect par celui-ci, sous l'appréciation du juge des comptes, des règles de contrôle sélectif des dépenses, aucune remise gracieuse totale ne peut être accordée […] » ;
Attendu que le plan de contrôle applicable aux rémunérations des agents de la commune de Saint-Claude en 2015 ne prévoyait pas un contrôle exhaustif de la paie ; qu’en particulier, ce plan de contrôle ne prévoyait aucun contrôle spécifique des primes et indemnités ; qu’en conséquence, le comptable n’avait pas l’obligation de procéder à leur contrôle ; que, dès lors, M. X... peut prétendre à une remise gracieuse de la totalité du débet, conformément aux dispositions du paragraphe IX alinéa 2 de l’article 60 de la loi n° 63-156 du 23 février 1963 ;
PAR CES MOTIFS,
DÉCIDE :
Article 1er : M. X ... est constitué débiteur de la commune de Saint-Claude, au titre de l’exercice 2015, de la somme de trois cent quatre-vingt-dix-neuf mille neuf cent soixante-six euros et quarante-quatre centimes (399 966,44 €), augmentée des intérêts de droit, à compter du 23 février 2017 ;
Article 2 : Pour l’application du paragraphe IX alinéa 2 de l’article 60 modifié de la loi du 23 février 1963 susvisée, la somme mise à la charge du comptable pourra faire l’objet d’une remise gracieuse totale, dans la mesure où il a respecté le plan de contrôle sélectif applicable ;
Article 3 : M. X ... ne pourra être déchargé de sa gestion au titre de l’exercice 2015 qu’après le paiement de la somme prononcée à l’article 1er ci-dessus.
Fait et jugé à la chambre régionale des comptes Bourgogne-Franche-Comté, réunie en formation plénière.
M. Pierre Van Herzele, président de la chambre, président de séance,
Mme Dominique Saint-Cyr, présidente de section,
M. Nicolas Onimus, président de section,
M. Samuel Gougeon, premier conseiller, réviseur,
M. Christophe Canton, premier conseiller.
Signé : Mireille Grégoire, greffière et Pierre Van Herzèle, président de la chambre régionale des comptes Bourgogne- Franche-Comté.
Collationné, certifié conforme à la minute déposée au greffe de la chambre régionale des comptes Bourgogne-Franche-Comté.
La secrétaire générale,
Marie-Christine MEYER
En conséquence, la République française mande et ordonne à tous huissiers de justice, sur ce requis, de mettre ledit jugement à exécution, aux procureurs généraux et aux procureurs de la République près les tribunaux de grande instance d’y tenir la main, à tous commandants et officiers de la force publique de prêter main-forte lorsqu’ils en seront légalement requis.
Voies et délais de recours
La présente décision juridictionnelle peut être déférée en appel devant la Cour des comptes, dans un délai de deux mois à compter de la date de sa notification (articles L. 242-6 et R. 242‑19 à 28 du code des juridictions financières).
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