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Jugement n° 2017-0003 Audience publique du 28 mars 2017 Jugement prononcé le 28 avril 2017 |
Commune de Saint-Lubin-des-Joncherets Eure-et-Loir 028 036 348 Exercice 2013 |
RÉpublique Française
Au nom du peuple français
La Chambre,
Vu le code des juridictions financières ;
Vu le code général des collectivités territoriales ;
Vu l'article 60 de la loi de finances n° 63-156 du 23 février 1963 modifié ;
Vu les textes législatifs et réglementaires relatifs à la comptabilité des communes ;
Vu le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique ;
Vu le décret n° 2012-1386 du 10 décembre 2012 portant application du deuxième alinéa du VI de l’article 60 de la loi de finances de 1963 modifié ;
Vu l’arrêté de charge provisoire du 6 octobre 2015, pris par le responsable du pôle interrégional d’apurement administratif de Rennes à l’encontre de M. X..., comptable de la commune de Saint-Lubin-des-Joncherets du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2013 ;
Vu le réquisitoire du ministère public n° R/15/0134/J du 17 mars 2016 ;
Vu les justifications produites au soutien des comptes ou communiquées au cours de l’instruction ;
Vu l’ensemble des pièces du dossier ;
Vu le rapport n° 2016-0103 de Mme Carole Collinet, première conseillère, communiqué au ministère public le 11 octobre 2016 ;
Vu les conclusions n° C/16/0088/J2 du 13 février 2017 du procureur financier ;
Après avoir entendu lors de l’audience publique du 28 mars 2017, Mme Carole Collinet, première conseillère, en son rapport et Mme Cécile Daussin Charpantier, procureur financier, en ses conclusions, les autres parties, dûment avisées de la tenue de l’audience n’étant ni présentes, ni représentées ;
ATTENDU que, par réquisitoire susvisé du 17 mars 2016, le ministère public a soulevé une charge unique au motif que le comptable a versé des indemnités de service de cantine à deux agents de la commune de Saint-Lubin-des-Joncherets pour un montant global de 2 302,14 €, sans disposer des pièces justificatives requises et qu’il a ainsi manqué à ses obligations de contrôle de la validité de la dépense ;
1- Sur la responsabilité du comptable
ATTENDU qu’en application de l’article 60 de la loi du 23 février 1963 susvisé, les comptables publics sont personnellement et pécuniairement responsables du recouvrement des recettes, de la conservation des pièces justificatives des opérations et documents de comptabilité ainsi que de la tenue de la comptabilité du poste comptable qu’ils dirigent ; que leur responsabilité personnelle et pécuniaire se trouve engagée dès lors qu’une dépense a été irrégulièrement payée ;
ATTENDU qu’en application de l’article 19 du décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique, « le comptable est tenu d’exercer le contrôle (...) de la validité de la dette dans les conditions prévues à l’article 20 (…) » ; que l’article 20 du même décret précise que « le contrôle des comptables publics sur la validité de la dette porte sur : (…) 2° L’exactitude de la liquidation (…) 5° La production des pièces justificatives (…) » ;
ATTENDU que, pour apprécier la validité des créances, les comptables doivent notamment exercer leur contrôle sur la production des justifications ; qu'à ce titre, il leur revient d'apprécier si les pièces fournies présentent un caractère suffisant pour justifier la dépense engagée ; que pour établir ce caractère suffisant, il leur appartient de vérifier, en premier lieu, si l'ensemble des pièces requises au titre de la nomenclature comptable applicable leur ont été fournies et, en deuxième lieu, si ces pièces sont, d'une part, complètes et précises, d'autre part, cohérentes au regard de la catégorie de la dépense définie dans la nomenclature applicable et de la nature et de l'objet de la dépense telle qu'elle a été ordonnancée ;
ATTENDU que l’annexe de l’article D. 1617-19 du code général des collectivités territoriales relatif à la nomenclature des pièces justificatives des paiements des collectivités locales, comporte une rubrique 210223 « primes et indemnités » qui exige, pour la justification du paiement des indemnités, la décision de l’assemblée délibérante fixant la nature, les conditions d’attribution et le taux moyen des indemnités, ainsi que la décision de l’autorité investie du pouvoir de nomination fixant le taux applicable à chaque agent ;
ATTENDU que M. X... a procédé au versement d’indemnités de service de cantine au bénéfice de deux agents de la commune aux dates et pour les montants suivants :
Mandats | Mme Y | Mme Z | ||||||
N° | Date | Montant | Nb de jours | Taux | Montant | Nb de jours | Taux | Montant |
45 | 17/01/2013 | 71 465,73 € | 15 | 10,37 € | 155,55 € | 15 | 10,37 € | 155,55 € |
165 | 13/02/2013 | 71 598,16 € | 9 | 10,37 € | 93,33 € | 9 | 10,37 € | 93,33 € |
329 | 14/03/2013 | 71 977,07 € | 14 | 10,37 € | 145,18 € | 15 | 10,37 € | 155,55 € |
364 | 05/04/2013 | 73 087,71 € | 8 | 10,37 € | 124,44 € | 11 | 10,37 € | 93,33 € |
574 | 30/05/2013 | 75 438,99 € | 16 | 10,37 € | 165,92 € | 16 | 10,37 € | 165,92 € |
707 | 18/06/2013 | 73 702,36 € | 11 | 10,37 € | 114,07 € | 16 | 10,37 € | 165,92 € |
889 | 10/07/2013 | 72 668,08 € | 4 | 10,37 € | 41,48 € | 4 | 10,37 € | 41,48 € |
1 160 | 02/09/2013 | 76 274,59 € |
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| 16 | 10,37 € | 165,92 € |
1 308 | 15/10/2013 | 74 027,94 € |
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| 11 | 10,37 € | 114,07 € |
1 478 | 12/11/2013 | 75 817,33 € |
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| 16 | 10,37 € | 165,92 € |
1 622 | 02/12/2013 | 74 317,05 € |
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| 12 | 10,37 € | 124,44 € |
Total | 839,97 € | Total | 1 462,17 € |
ATTENDU que les arrêtés individuels transmis lors de l’instruction ne mentionnent, pour aucun des agents, le versement d’une indemnité de service de cantine ;
ATTENDU que les délibérations communiquées lors de l’instruction ne prévoient pas cette indemnité pour les agents de la filière sociale, dont relève une des bénéficiaires ; que cette prime n’est attribuée à aucun des grades de la filière technique listés dans le tableau de primes de la filière technique dont dépend l’autre bénéficiaire ;
ATTENDU que le comptable, constatant les incohérences entre les délibérations, si tant est qu’il en ait disposé au moment du paiement, les arrêtés individuels et les fiches de paie, aurait dû, conformément aux dispositions de l’article 38 du décret du 7 novembre 2012 susvisé, suspendre le paiement des indemnités et en informer l’ordonnateur ; que, par suite, en payant irrégulièrement ces mandats, le comptable a manqué à ses obligations de contrôle et engagé sa responsabilité au titre de l’exercice 2013 ;
2- Sur le préjudice financier
ATTENDU que le préjudice financier résulte soit d'une perte provoquée par une opération de décaissement ou un défaut de recouvrement d'une recette, soit du caractère indu d’une dépense, donnant lieu à la constatation dans la comptabilité de l’organisme et se traduisant par un appauvrissement patrimonial de la personne publique non recherché par cette dernière ;
ATTENDU que si l’ordonnateur et le comptable considèrent qu’il n’y a pas de préjudice financier, compte tenu de la volonté de paiement et d’une nouvelle délibération clarifiant le régime indemnitaire des bénéficiaires à compter de 2014, le juge n’est pas tenu par l’appréciation des parties ;
ATTENDU que la situation s’appréciant au moment du paiement, les délibérations ou autres décisions ultérieures des collectivités sont sans incidence sur l’appréciation du préjudice financier ;
ATTENDU qu’il ressort des pièces du dossier que le paiement des indemnités de service de cantine est intervenu alors que le comptable ne disposait ni d’une délibération du conseil municipal instituant une telle indemnité et précisant la nature, les conditions d’attributions et le taux moyen pour les emplois et grades des agents auxquels elle a été effectivement versée, ni des arrêtés individuels en précisant le taux applicable à chaque agent ;
ATTENDU que les indemnités en cause étaient incertaines et dans leur principe, à défaut d’avoir été valablement décidées par l’assemblée délibérante, et dans leur montant, à défaut d’avoir été précisées pour chaque bénéficiaire par une décision de l’autorité investie du pouvoir de nomination ; qu’elles étaient donc indues ;
ATTENDU de surcroît que le décret n° 82-979 du 19 novembre 1982 réserve le bénéfice de l’indemnité de service de cantine aux agents de l’État et en exclut les fonctionnaires territoriaux ; que l’irrégularité des dépenses payées ne peut que renforcer leur caractère indu ;
ATTENDU que le versement d’indemnités de service de cantine, représentant le paiement d’une dépense indue, a causé à la commune de Saint-Lubin-des-Joncherets un préjudice financier imputable au manquement du comptable lors de la prise en charge de l’opération ;
ATTENDU qu’il y a lieu, dès lors, de constituer M. X... débiteur de la commune de Saint-Lubin-des-Joncherets pour la somme de 2 302,14 € ;
3- Sur le respect des règles du contrôle sélectif de la dépense
ATTENDU qu’en application du troisième alinéa du paragraphe VI de l’article 60 de la loi du 23 février 1963 modifiée, « lorsque le manquement du comptable (…) a causé un préjudice financier à l’organisme public concerné (…), le comptable a l’obligation de verser immédiatement de ses deniers personnels la somme correspondante » ; qu’aux termes du deuxième alinéa du paragraphe IX du même article : « (…) les comptables publics dont la responsabilité personnelle et pécuniaire a été mise en jeu dans les cas mentionnés au troisième alinéa du même VI peuvent obtenir du ministre chargé du budget la remise gracieuse des sommes mises à leur charge. Hormis le cas de décès du comptable ou de respect par celui-ci, sous l’appréciation du juge des comptes, des règles de contrôle sélectif de la dépense, aucune remise gracieuse totale ne peut être accordée au comptable public dont la responsabilité personnelle et pécuniaire a été mise en jeu par le juge des comptes, le ministre chargé du budget étant dans l’obligation de laisser à la charge du comptable une somme au moins égale au double de la somme mentionnée au deuxième alinéa dudit VI (…) » ; que l’article 1er du décret n°2012-1386 du 10 décembre 2012 susvisé fixe le montant maximal de cette somme à un millième et demi du montant du cautionnement prévu pour le poste comptable ;
ATTENDU que le comptable n’apporte pas la preuve de l’existence d’un plan de contrôle sélectif de la dépense, de son contenu et de son respect pour l’exercice 2013 ;
ATTENDU que, par suite, l’éventuelle remise gracieuse du débet prononcé devra laisser à la charge du comptable une somme au moins égale au double de la somme maximale visée au deuxième alinéa du IX de l’article 60 de la loi du 23 février 1963 modifié, soit 330 € ;
4- Sur les intérêts légaux
ATTENDU qu’aux termes du paragraphe VIII de l’article 60 de la loi susvisée
du 23 février 1963, « les débets portent intérêt au taux légal à compter du premier acte de la mise en jeu de la responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables publics » ;
ATTENDU qu’en l’espèce, cette date est celle du 25 mars 2016, date de réception par le comptable du réquisitoire ; qu’il y a donc lieu de fixer le point de départ des intérêts de droit du débet au 25 mars 2016 ;
PAR CES MOTIFS,
ORDONNE CE QUI SUIT :
Article 1er : M. X... est constitué débiteur au titre de l’exercice 2013 de la commune de Saint-Lubin-des-Joncherets pour un montant de deux mille trois cent deux euros et quatorze centimes (2 302,14 €), augmenté des intérêts de droit à compter du 25 mars 2016 ;
Article 2 : La décharge de M. X... pour sa gestion de l’exercice 2013 ne pourra intervenir qu’après apurement du débet ci-dessus prononcé ;
Article 3 : Pour l’application des dispositions du second alinéa du paragraphe IX de l’article 60 de la loi du 23 février 1963 susvisée, le montant du cautionnement constitué par
M. X... au titre de l’exercice 2013, pour lequel il est constitué débiteur par
l’article 1er du présent jugement, s’élève à 110 000 € ;
Après avoir délibéré, hors la présence du rapporteur et du procureur financier ;
Fait et jugé par Mme Catherine Renondin, présidente de la chambre régionale des comptes du Centre-Val de Loire, présidente de séance, M. Francis Bernard, président de section,
MM. Philippe Parlant-Pinet et Pascal Platzer, premiers conseillers, et
Mme Morgane Coguic, conseillère.
En présence de Mme Besma Blel, greffière de séance.
La greffière de séance
Besma Blel | La présidente de la chambre régionale
Catherine Renondin |
En conséquence, la République mande et ordonne à tous huissiers de justice, sur ce requis, de mettre ledit jugement à exécution, aux procureurs généraux et aux procureurs de la République près les tribunaux de grande instance d’y tenir la main, à tous commandants et officiers de la force publique de prêter main-forte lorsqu’ils en seront légalement requis.
Voies et délais de recours :
Article R. 242-14 du code des juridictions financières : « Les jugements et ordonnances rendus par les chambres régionales des comptes peuvent être attaqués dans leurs dispositions définitives par la voie de l'appel devant la Cour des comptes ».
Article R. 242-17 du code des juridictions financières : « La requête en appel, signée par l'intéressé, doit être déposée ou adressée par lettre recommandée au greffe de la chambre régionale des comptes.
La requête doit contenir, à peine de nullité, l'exposé des faits et moyens, ainsi que les conclusions du requérant. Elle doit être accompagnée des documents sur lesquels elle s'appuie et d'une copie du jugement ou de l’ordonnance attaqué ».
Article R. 242-18 du code des juridictions financières : « L'appel doit être formé dans le délai de deux mois à compter de la notification du jugement (…) ».
Jugement n° 2017-0003 – commune de Saint-Lubin-des-Joncherets (Eure-et-Loir)