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Jugement n° 2017-0006

Audience publique du 28 mars 2017

Jugement prononcé le 28 avril 2017

 

Commune d’Artenay

Loiret

045 022 008

Exercice 2012

 

 

 

RÉpublique Française

Au nom du peuple français

 

La Chambre,

 

Vu le code des juridictions financières ;

 

Vu le code général des collectivités territoriales ;

 

Vu l'article 60 de la loi de finances n° 63-156 du 23 février 1963 modifié ;

 

Vu les textes législatifs et réglementaires relatifs à la comptabilité des communes ;

 

Vu le décret n° 62-1587 du 29 décembre 1962 portant règlement général sur la comptabilité publique ; 

 

Vu le décret n° 2012-1386 du 10 décembre 2012 portant application du deuxième alinéa du VI de l’article 60 de la loi de finances de 1963 modifié ;

 

Vu l’arrêté de charge provisoire, du 13 mai 2015, pris par le responsable du pôle interrégional d’apurement administratif de Rennes à l’encontre de M. X..., comptable de la commune d’Artenay du 1er janvier 2012 au 31 décembre 2012 ;

 

Vu le réquisitoire du ministère public n° R/15/0081/J du 3 mars 2016 ;

 

Vu les justifications produites au soutien des comptes ou communiquées au cours de l’instruction ;

 

Vu l’ensemble des pièces du dossier ;

 

Vu le rapport 2017-0001 de Mme Carole Collinet, première conseillère, communiqué au ministère public le 10 janvier 2017 ;

 

Vu les conclusions n° C/17/0003/J2 du 15 février 2017 du procureur financier ;

 

Après avoir entendu lors de l’audience publique du 28 mars 2017, Mme Carole Collinet, première conseillère, en son rapport, Mme Cécile Daussin Charpantier, procureur financier, en ses conclusions, M. Y..., maire d’Artenay et, en dernier, M. X..., comptable mis en cause ;

ATTENDU que par réquisitoire susvisé du 3 mars 2016, la chambre a été saisie au motif que le comptable a versé des indemnités et primes à des agents de la commune d’Artenay pour un montant global de 11 653,83 €, sans disposer des pièces justificatives requises et qu’il a ainsi manqué à ses obligations de contrôle de la validité de la dépense ;

 

ATTENDU que le ministère public a soulevé trois charges, sur la même motivation, relatives respectivement au paiement d’indemnités forfaitaires pour travaux supplémentaires
(charge n° 1), d’heures supplémentaires (charge n° 2), d’une indemnité spécifique de service et d’une prime de responsabilité des emplois de direction (charge n° 3) ;

 

 

1-      Sur la responsabilité du comptable

 

ATTENDU qu’en application de l’article 60 de la loi du 23 février 1963 susvisé, les comptables publics sont personnellement et pécuniairement responsables du recouvrement des recettes, de la conservation des pièces justificatives des opérations et documents de comptabilité ainsi que de la tenue de la comptabilité du poste comptable qu’ils dirigent ; que leur responsabilité personnelle et pécuniaire se trouve engagée dès lors qu’une dépense a été irrégulièrement payée ;

 

Attendu que les articles 12 et 13 du décret n° 62-1587 du 29 décembre 1962 portant règlement général sur la comptabilité publique disposent « Les comptables sont tenus d’exercer (...) b) - En matière de dépenses, le contrôle (...) de la validité de la créance » ; « En ce qui concerne la validité de la créance, le contrôle porte sur la justification du service fait et l'exactitude des calculs de liquidation ; l'intervention préalable des contrôles réglementaires et la production des justifications (...) » ;

 

ATTENDU que, pour apprécier la validité des créances, les comptables doivent notamment exercer leur contrôle sur la production des justifications ; qu'à ce titre, il leur revient d'apprécier si les pièces fournies présentent un caractère suffisant pour justifier la dépense engagée ; que pour établir ce caractère suffisant, il leur appartient de vérifier, en premier lieu, si l'ensemble des pièces requises au titre de la nomenclature comptable applicable leur ont été fournies et, en deuxième lieu, si ces pièces sont, d'une part, complètes et précises, d'autre part, cohérentes au regard de la catégorie de la dépense définie dans la nomenclature applicable et de la nature et de l'objet de la dépense telle qu'elle a été ordonnancée ;

 

Sur la charge n° 1 relative au paiement d’indemnités forfaitaires pour travaux supplémentaires (IFTS)

 

ATTENDU que l’article D. 1617-19 du code général des collectivités territoriales relatif à la nomenclature des pièces justificatives des paiements des collectivités locales, comporte une rubrique 210223 « primes et indemnités » qui exige, pour la justification du paiement des indemnités, la décision de l’assemblée délibérante fixant la nature, les conditions d’attribution et le taux moyen des indemnités, ainsi que la décision de l’autorité investie du pouvoir de nomination fixant le taux applicable à chaque agent ; 

 

ATTENDU que M. X... a procédé, sur l’exercice 2012, au versement mensuel d’indemnités forfaitaires pour travaux supplémentaires (IFTS) au bénéfice de trois agents de la commune pour un montant total annuel de 3 006,64 € ;

 

ATTENDU que la délibération du 10 mai 2001 avait décidé l’attribution d’IFTS aux seuls agents appartenant au grade de secrétaire de mairie (à partir du deuxième échelon et jusqu’au dixième échelon) ; qu’il n’a été produit aucune autre délibération prévoyant l’octroi d’IFTS à d’autres catégories d’agents ;

 

ATTENDU que les agents concernés ne pouvaient du fait de leur grade bénéficier de l’indemnité forfaitaire pour travaux supplémentaires ;

 

ATTENDU au surplus que la seule décision de l’autorité investie du pouvoir de nomination fixant le taux applicable à chaque agent, produite en cours d’instruction, est datée du
9 février 2015 ;

 

ATTENDU que la responsabilité du comptable s’apprécie au moment du paiement ; que dès lors les arrêtés individuels produits datés du 9 février 2015, ne sauraient écarter sa responsabilité ;

 

ATTENDU que M. X..., constatant l’absence de la délibération, aurait dû, conformément aux dispositions de l’article 37 du décret du 29 décembre 1962 susvisé, suspendre le paiement des indemnités et en informer l’ordonnateur ; que, par suite, en payant irrégulièrement ces mandats, le comptable a manqué à ses obligations de contrôle et engagé sa responsabilité au titre de l’exercice 2012 ;

 

Sur la charge n° 2 relative au versement d’indemnités horaires pour travaux supplémentaires (IHTS)

 

ATTENDU que l’article D. 1617-19 du code général des collectivités territoriales relatif à la nomenclature des pièces justificatives des paiements des collectivités locales, comporte une rubrique 210224 « indemnités horaires pour travaux supplémentaires» qui exige, pour la justification du paiement des indemnités, « la délibération fixant la liste des emplois dont les missions impliquent la réalisation effective d’heures supplémentaires, le décompte indiquant par agent et par taux d’indemnisation le nombre d’heures effectuées ainsi que, le cas échéant, la décision justifiant le dépassement du contingent mensuel autorisé » ;

 

ATTENDU que pour la période de février à décembre 2012, M. X... a procédé au paiement mensuel d’IHTS au bénéfice d’un agent pour un montant total annuel de 2 138,27 €, représentant, selon les éléments fournis par les fiches de paie de l’agent, 168 heures supplémentaires et neuf heures au-delà du contingent autorisé ;

 

ATTENDU que le comptable a produit au cours de l’instruction une délibération du 17 février 2015 autorisant le paiement à l’agent concerné de 163 heures supplémentaires en 2012 ;

 

ATTENDU que la responsabilité du comptable s’apprécie au moment du paiement ; qu’il ne disposait alors ni d’une délibération fixant la liste des emplois dont les missions impliquent la réalisation effective d’heures supplémentaires ni de la décision justifiant le dépassement du contingent mensuel autorisé ; que, par ailleurs, s’il disposait d’un décompte des heures réalisées, ce dernier document, qui ne saurait suffire à répondre aux exigences de l’article D. 1617-19 du code général des collectivités territoriales, comprend des incohérences entre les heures mentionnées et celles effectivement payées, qui soulignent l’absence de contrôle effectif du comptable ;

 

ATTENDU que M. X..., en payant irrégulièrement ces mandats, a manqué à ses obligations de contrôle et a engagé sa responsabilité pécunaire et comptable ;

 


Sur la charge n° 3 relative au paiement d’une indemnité spécifique de service et d’une prime de responsabilité

 

ATTENDU que le principe de l’indemnité spécifique de service (ISS) est prévu par le décret  2003-799 du 25 août 2003 ; que le décret n° 2009-1411 du 17 novembre 2009 prévoit le versement d’une prime de responsabilité des emplois de direction dans des communes de plus de 2 000 habitants, seuil que la commune d’Artenay n’atteint pas ;

 

ATTENDU, de surcroît, que l’article D. 1617-19 du code général des collectivités territoriales relatif à la nomenclature des pièces justificatives des paiements des collectivités locales, comporte une rubrique 210223 « primes et indemnités » qui exige, pour la justification du paiement des indemnités, la décision de l’assemblée délibérante fixant la nature, les conditions d’attribution et le taux moyen des indemnités, ainsi que la décision de l’autorité investie du pouvoir de nomination fixant le taux applicable à chaque agent ; 

 

ATTENDU que, sur l’exercice 2012, M. X... a procédé au versement mensuel d’une indemnité spécifique de service au bénéfice d’un agent pour un montant total annuel de 4 852,92, ainsi qu’au versement mensuel de la prime de responsabilité des emplois de direction au bénéfice du même agent pour un montant total annuel de 1 656,00 € ;

 

ATTENDU que le comptable a produit au cours de l’instruction deux délibérations du 17 février 2015 autorisant le paiement à l’agent concerné de ces indemnités sur l’exercice 2012 ; que la responsabilité du comptable s’apprécie au moment du paiement et qu’il ne disposait alors d’aucune pièce justificative ;

 

ATTENDU que M. X..., constatant l’absence de la délibération, aurait dû, conformément aux dispositions de l’article 37 du décret du 29 décembre 1962 susvisé, suspendre le paiement de l’indemnité et de la prime, et en informer l’ordonnateur ; que, par suite, en payant irrégulièrement ces mandats, le comptable a manqué à ses obligations de contrôle et engagé sa responsabilité au titre de l’exercice 2012 ;

 

 

2-      Sur le préjudice financier

 

ATTENDU que le préjudice financier résulte soit d'une perte provoquée par une opération de décaissement ou un défaut de recouvrement d'une recette, soit du caractère indu d’une dépense, donnant lieu à la constatation dans la comptabilité de l’organisme et se traduisant par un appauvrissement patrimonial de la personne publique non recherché par cette dernière ;

 

ATTENDU que si l’ordonnateur considère qu’il n’y a pas de préjudice financier, le juge n’est pas tenu par l’appréciation des parties ;

 

ATTENDU que le comptable ne disposait, au moment du paiement, d’aucune délibération permettant le versement des indemnités et primes précitées ;

 

ATTENDU qu’en conséquence, il convient de regarder les sommes versées comme des dépenses indues ayant causé un préjudice financier à la commune et qu’il y a lieu, dès lors, de constituer M. X... débiteur de la commune d’Artenay pour la somme de
11 653,83  ;

 


3-      Sur le respect des règles du contrôle sélectif de la dépense

 

ATTENDU qu’en application du troisième alinéa du paragraphe VI de l’article 60 de la loi du 23 février 1963 modifiée, « lorsque le manquement du comptable (…) a causé un préjudice financier à l’organisme public concerné (…), le comptable a l’obligation de verser immédiatement de ses deniers personnels la somme correspondante » ; qu’aux termes du deuxième alinéa du paragraphe IX du même article :  « (…) les comptables publics dont la responsabilité personnelle et pécuniaire a été mise en jeu dans les cas mentionnés au troisième alinéa du même VI peuvent obtenir du ministre chargé du budget la remise gracieuse des sommes mises à leur charge. Hormis le cas de décès du comptable ou de respect par celui-ci, sous l’appréciation du juge des comptes, des règles de contrôle sélectif de la dépense, aucune remise gracieuse totale ne peut être accordée au comptable public dont la responsabilité personnelle et pécuniaire a été mise en jeu par le juge des comptes, le ministre chargé du budget étant dans l’obligation de laisser à la charge du comptable une somme au moins égale au double de la somme mentionnée au deuxième alinéa dudit VI (…) » ; que l’article 1er du décret n°2012-1386 du 10 décembre 2012 susvisé fixe le montant maximal de cette somme à un millième et demi du montant du cautionnement prévu pour le poste comptable ;

 

ATTENDU que le plan de contrôle hiérarchisé de la dépense des comptes de la commune d’Artenay prévoit pour 2012 un contrôle allégé des indices, des IHTS, de l’IEM et de la NBI sur un échantillon en janvier de trois dossiers ; que ce plan prévoit, par ailleurs, un contrôle allégé des nouvelles primes si leur montant excède 150 par mois ;

 

ATTENDU que le comptable n’a pas été en mesure de préciser le contenu de l’échantillon retenu pour le contrôle de l’IHTS ;

 

ATTENDU que le plan ne prévoit pas de contrôle allégé des IFTS, ni de l’indemnité spécifique de service, ni de la prime de responsabilité ; que dans ces conditions le comptable devait opérer un contrôle a priori et exhaustif des dites indemnités et primes ;

 

ATTENDU que le contrôle hiérarchisé de la dépense n’a pas été respecté pour les trois charges énoncées ; que les trois charges relèvent de la même nature ; que par suite l’éventuelle remise gracieuse totale du débet prononcé devra laisser à la charge du comptable une somme au moins égale au double de la somme maximale visée au deuxième alinéa du IX de l’article 60 de la loi du 23 février 1963 modifié, soit 447  ;

 

 

4-      Sur les intérêts légaux

 

ATTENDU qu’aux termes du paragraphe VIII de l’article 60 de la loi susvisée
du 23 février 1963, « les débets portent intérêt au taux légal à compter du premier acte de la mise en jeu de la responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables publics » ;

 

ATTENDU qu’en l’espèce, cette date est celle du 18 mars 2016, date de réception par la comptable du réquisitoire ; qu’il y a donc lieu de fixer le point de départ des intérêts de droit du débet au 18 mars 2016 ;

 

 


PAR CES MOTIFS,

 

ORDONNE CE QUI SUIT :

 

 

Article 1er : M. X... est constitué débiteur au titre de l’exercice 2012 de la commune d’Artenay pour un montant de onze mille six cent cinquante-trois euros et quatre-vingt-trois centimes (11 653,83 €), augmenté des intérêts de droit à compter du 18 mars 2016 ;

 

Article 2 : La décharge de M. X... pour sa gestion de l’exercice 2012 ne pourra intervenir qu’après l’apurement du débet prononcé ci-dessus ;

 

Article 3 : Pour l’application des dispositions du second alinéa du paragraphe IX de l’article 60 de la loi du 23 février 1963 susvisée, le montant du cautionnement constitué par
M. X... au titre de l’exercice 2012 pour lequel il est constitué débiteur par
l’article 1er du présent jugement, s’élève à 149 000 € ;

 

 

Après avoir délibéré, hors la présence du rapporteur et du procureur financier ;

 

Fait et jugé par Mme Catherine Renondin, présidente de la chambre régionale des comptes
du Centre-Val de Loire, présidente de séance, M. Francis Bernard, président de section,
MM. Philippe Parlant-Pinet et Pascal Platzer, premiers conseillers, et
Mme Morgane Coguic, conseillère.

 

En présence de Mme Besma Blel, greffière de séance.

 

 

La greffière de séance
 

 

 

 

 

 

 

 

Besma Blel

La présidente de la chambre régionale
des comptes du Centre-Val de Loire

 

 

 

 

 

 

 

Catherine Renondin

 

 

 

 

 

En conséquence, la République mande et ordonne à tous huissiers de justice, sur ce requis, de mettre ledit jugement à exécution, aux procureurs généraux et aux procureurs de la République près les tribunaux de grande instance d’y tenir la main, à tous commandants et officiers de la force publique de prêter main-forte lorsqu’ils en seront légalement requis.

 

Voies et délais de recours :

Article R. 242-14 du code des juridictions financières : « Les jugements et ordonnances rendus par les chambres régionales des comptes peuvent être attaqués dans leurs dispositions définitives par la voie de l'appel devant la Cour des comptes ».

Article R. 242-17 du code des juridictions financières : « La requête en appel, signée par l'intéressé, doit être déposée ou adressée par lettre recommandée au greffe de la chambre régionale des comptes.

La requête doit contenir, à peine de nullité, l'exposé des faits et moyens, ainsi que les conclusions du requérant. Elle doit être accompagnée des documents sur lesquels elle s'appuie et d'une copie du jugement ou de l’ordonnance attaqué ».

Article R. 242-18 du code des juridictions financières : « L'appel doit être formé dans le délai de deux mois à compter de la notification du jugement (…) ».

Jugement n° 2017-0006 - commune d’Artenay (Loiret)