Jugement n° 2017-003 du 9 février 2017
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Audience publique du 9 février 2017
Jugement n° 2017-003
Prononcé du 8 mars 2017
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Commune de Monswiller
N° du compte : 067124302
Poste comptable :
Exercice : 2013 |
RÉPUBLIQUE FRANçAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANçAIS
La chambre régionale des comptes Grand Est,
Vu l’arrêté de charge provisoire n° PIAA035-2013-067124-302-04 transmis au ministère public près la chambre par courrier du 22 mars 2016 ;
Vu le réquisitoire n° 2016/24 du 2 mai 2016 du procureur financier près la chambre, notifié le 19 septembre 2016 à M. le maire de Monswiller, ordonnateur, et le 22 septembre à M. X., comptable ;
Vu les observations produites par l’ordonnateur le 21 septembre 2016, enregistrées au greffe de la chambre le 27 septembre 2016 ;
Vu le courrier du 28 octobre 2016, par lequel il a été demandé à M. X. de faire part de ses observations et de produire toute pièce utile ;
Vu les observations de M. X. des 19 octobre 2016, 7 novembre 2016 et 30 janvier 2017, enregistrées au greffe de la chambre les 9 et 16 novembre 2016 et le 8 février 2017 ;
Vu le rapport n° 2016-0198-01 du 26 janvier 2017 de M. René BURKHALTER, magistrat chargé de l’instruction ;
Vu les conclusions n° 0198/2016 et 0198-01/2016 du 31 janvier 2017 de M. Joël LEROUX, procureur financier ;
Vu les lettres du 14 décembre 2016 informant les parties de la clôture de l’instruction ;
Vu les lettres du 18 janvier 2017 les informant de l’inscription de l’affaire à l’audience publique ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des collectivités territoriales, notamment son article D. 1617-9 et son annexe I ;
Vu le code des juridictions financières ;
Vu l’article 60 de la loi n° 63-156 du 23 février 1963 portant loi de finances pour 1963 ;
Vu le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 modifié relatif à la gestion budgétaire et comptable publique ;
Entendus à l’audience publique du 9 février 2017, M. René BURKHALTER, premier conseiller, en son rapport, puis M. Joël LEROUX, procureur financier, en ses conclusions ; M. X. et M. le maire de Monswiller étant absents à l’audience ;
Sur la présomption de charge unique : dépense acquittée à tort en 2013
1. Considérant qu’aux termes du I de l’article 60 de la loi du 23 février 1963 susvisée, « […] Les comptables publics sont personnellement et pécuniairement responsables des contrôles qu’ils sont tenus d’assurer en matière de recettes, de dépenses et de patrimoine dans les conditions prévues par le règlement général sur la comptabilité publique. La responsabilité personnelle et pécuniaire prévue ci-dessus se trouve engagée dès lors qu’un déficit ou un manquant en monnaie ou en valeurs a été constaté, qu’une recette n’a pas été recouvrée, qu’une dépense a été irrégulièrement payée […] » ;
2. Considérant qu’aux termes des articles 19 et 20 du décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 susvisé, les comptables sont tenus d’exercer, s’agissant des ordres de payer, le contrôle de « l’exacte imputation des dépenses au regard des règles relatives à la spécialité des crédits », et s’agissant de la validité de la dette, le contrôle de la « production des pièces justificatives » ;
3. Considérant qu’aux termes de l’article D. 1617-19 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction issue du décret n° 2007-450 du 25 mars 2007 applicable au moment des paiements en cause, « Avant de procéder au paiement d’une dépense ne faisant pas l’objet d’un ordre de réquisition, les comptables publics des collectivités territoriales, des établissements publics locaux et des associations syndicales de propriétaires ne doivent exiger que les pièces justificatives prévues pour la dépense correspondante dans la liste définie à l’annexe I du présent code » ;
4. Considérant qu’aux termes de la rubrique n° 7211 de ladite annexe I, le comptable doit exiger, lors du premier paiement d’une subvention, « 1. Décision ; 2. Le cas échéant, justifications particulières exigées par la décision ; 3. Le cas échéant, convention entre le bénéficiaire et la collectivité. [Notamment, au regard des dispositions de l’article L. 1523-7 du code général des collectivités territoriales. En outre, les dispositions combinées de l’article 10 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 et du décret n° 2001-495 du 6 juin 2001 imposent la production d’une convention passée entre l’autorité administrative versante et l’organisme de droit privé bénéficiaire, pour toute subvention d’un montant supérieur à 23 000 euros.] » ;
5. Considérant que, dans son réquisitoire susvisé, le procureur financier relève qu’« il ressort de l’arrêté de charge provisoire [n° PIAA035-2013-067124-302-04] que M. X., comptable de la commune de Monswiller a acquitté le 19 avril 2013, suivant mandat n° 17 émis le 15 avril 2013, la somme de 30 000 € sans avoir préalablement procédé aux contrôles qui lui incombaient. Cette dépense, au regard des mentions portées sur le mandat, avait pour objet le paiement d’une « subvention communale » à l’Association d’animation de l’Espace Le Zornhoff (AAZ). Toutefois, la délibération du conseil municipal en date du 4 février 2013 produite à l’appui du mandat, indique expressément en son paragraphe XI que l’association devait rembourser cette subvention dans un délai de 10 ans, en huit années à compter de 2015 jusqu’à l’année 2022. Au même paragraphe, la délibération autorisait le maire à signer la convention à « conclure » avec l’association. Il ressort des pièces fournies par le PIAA que la convention annoncée dans la délibération n’a jamais été signée ; que le procureur financier rappelle que « le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable précise en son article 19 que « Le comptable public est tenu d’exercer le contrôle : (…) 2° S’agissant des ordres de payer : (…) b) De l’exacte imputation des dépenses au regard des règles relatives à la spécialité des crédits ; (…). A l’article 20, ce décret énonce que « Le contrôle des comptables publics sur la validité de la dette porte sur : (…) 5° La production des pièces justificatives ; (…) » ; qu’il considère que par sa délibération en date du 4 février 2013 « la commune a qualifié de subvention ce qui correspond en réalité à un prêt sur 10 ans (…) sans intérêts, qui aurait dû être comptabilisé en section d’investissement, au compte 274 « Prêts » » ; qu’il a dès lors estimé qu’« en inscrivant la somme de 30 000 € en section de fonctionnement, au compte 6574 « Subventions de fonctionnement versées », le comptable a commis une erreur d’imputation. Ce faisant il n’a pas respecté les prescriptions de l’article 19 du décret n° 2012-1246 du 7 novembre précitées. En tout état de cause, la simple lecture de la délibération du 4 février 2013 révélait une contradiction entre l’objet du versement d’une subvention et la demande de remboursement prévue sur dix ans. Cette contradiction, dans le corps même de la pièce justificative présentée à l’appui du mandat, aurait dû conduire le comptable à suspendre le paiement » ;
6. Considérant que dans les courriers des 19 octobre et 7 novembre 2016 et 30 janvier 2017 susvisés, M. X. ne conteste pas l’existence d’un manquement. Il indique que « Compte tenu de l’ambiguïté de la délibération, deux options sont possibles : » soit « le versement de 30 000 € est versé comme une subvention : (…) L’absence de convention, est une faute de visa de [ses] services (…) » soit « Le versement de 30 000 € est considéré comme un prêt. Les observations formulées dans le réquisitoire en matière de visa et d’imputation budgétaire sont justifiées » ; qu’il précise ne pas être « en mesure d’apporter d’élément sur une quelconque régularisation puisque cette dernière n’a pas eu lieu » ;
7. Considérant que la délibération du conseil municipal du 4 février 2013 à l’appui du mandat prévoit le versement d’une subvention remboursable sur une période de 10 ans ; qu’il existe donc bien une contradiction dans le corps de la pièce justificative à l’appui du mandat entre l’objet du versement (une subvention) et la demande de remboursement sur dix ans ; que face à cette contradiction manifeste de pièce, le comptable était tenu de suspendre le paiement pour demander des justifications complémentaires à l’ordonnateur ; que si le comptable ne peut se faire juge de la légalité des pièces justificatives produites à l’appui d’une demande de paiement, il lui appartient toutefois d’interpréter les pièces justificatives conformément à la réglementation en vigueur, et de vérifier leur cohérence ; qu’en acquittant la dépense, le comptable n’a donc pas procédé aux contrôles de la validité de la dépense que lui impose l’article 20 du décret du 7 novembre 2012 susvisé ;
8. Considérant que M. X. a fait état des difficultés du poste comptable ; qu’il précise que « l’agent chargé du visa de la commune de Monswiller était un jeune agent, qui manquait encore d’expérience et à qui on demandait (compte tenu du manque de personnel) de viser des dépenses de communes sans toujours pouvoir l’accompagner comme il se
devrait » ; que la bonne organisation du poste comptable relève de la responsabilité habituelle de l’agent comptable ; que ces circonstances, ne résultant pas d’un évènement extérieur, imprévisible et irrésistible, ne sauraient être constitutives de la force majeure ; que la responsabilité personnelle et pécuniaire du comptable peut, dès lors, être engagée ;
9. Considérant qu’aux termes du VI de l’article 60 de la loi n° 63-156 du 23 février 1963, « la responsabilité personnelle et pécuniaire prévue au I est mise en jeu par le ministre dont relève le comptable, le ministre chargé du budget ou le juge des comptes dans les conditions qui suivent […]. Lorsque le manquement du comptable aux obligations mentionnées au I n'a pas causé de préjudice financier à l'organisme public concerné, le juge des comptes peut l'obliger à s'acquitter d'une somme arrêtée, pour chaque exercice, en tenant compte des circonstances de l'espèce. Le montant maximal de cette somme est fixé par décret en Conseil d'Etat en fonction du niveau des garanties mentionnées au II. Lorsque le manquement du comptable aux obligations mentionnées au I a causé un préjudice financier à l'organisme public concerné ou que, par le fait du comptable public, l'organisme public a dû procéder à l'indemnisation d'un autre organisme public ou d'un tiers ou a dû rétribuer un commis d'office pour produire les comptes, le comptable a l'obligation de verser immédiatement de ses deniers personnels la somme correspondante » ;
10. Considérant que M. X. indique, dans son courrier du 7 novembre 2016 susvisé, que la commune de Monswiller n’a pas subi de préjudice financier ; que « Compte-tenu de l’ambiguïté de la délibération du 4 février 2013 (…) deux options sont possibles : » soit « le versement de 30 000 € est considéré comme une subvention : (…) L’absence de convention, est une faute de visa de mes services, mais n’est pas constitutive d’un préjudice pour la commune, l’intention de cette dernière étant d’aider l’association AAZ. » soit « le versement de 30 000 € est considéré comme un prêt. Les observations en matière de visa et d’imputation budgétaire sont justifiées (…) Toutefois, là non plus, le manquement du comptable n’est pas constitutif de préjudice pour la commune. Il y a préjudice, mais celui-ci est imputable à la liquidation judiciaire de l’association AAZ qui a entraîné l’impossibilité pour la commune de récupérer les annuités de prêt. » ; que, par ailleurs, l’ordonnateur, maire de Monswiller, mentionne dans son courrier du 21 septembre 2016 susvisé, que l’association AAZ ayant été placée en liquidation judiciaire, la collectivité n’aurait pas pu récupérer la somme versée, même en cas d’un paiement régulier du comptable ; qu’il précise que « le préjudice financier, s’il existe, est imputable à l’AAZ et non à M. X. » ;
11. Considérant que le préjudice financier se traduit par un appauvrissement patrimonial de la personne publique non recherchée par cette dernière ; que la délibération du conseil municipal prévoyait la conclusion d’une convention fixant les conditions de remboursement de la somme versée par la commune à l’association ; que la volonté de la collectivité était donc bien de recouvrer les fonds ; que l’absence de convention signée a privé la commune de tout fondement juridique pour recouvrer la somme versée ; que le fait que l’association ait été par la suite placée en liquidation judiciaire ne suffit à exclure le préjudice subi dans la mesure où le manquement du comptable n a pas permis à la commune de faire valoir sa créance ; que le défaut de contrôle des pièces justificatives par le comptable a donc causé un préjudice financier à la collectivité ; qu’en application du VI de l’article 60 de la loi du 23 février 1963 précitée, M. X. doit être constitué débiteur à l’encontre de la commune de Monswiller pour un montant de 30 000 € ;
12. Considérant qu’aux termes du paragraphe VIII de l’article 60 de la loi du 23 février 1963, le débet porte intérêt au taux légal à compter du premier acte de la mise en jeu de la responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables publics ; qu’en l’occurrence, le point de départ du calcul des intérêts est fixé au 22 septembre 2016, date à laquelle M. X. a accusé réception du réquisitoire du 2 mai 2016 ;
13. Considérant qu’aux termes de l’article 60 de la loi n° 63-156 du 23 février 1963 modifié, « les comptables publics dont la responsabilité personnelle et pécuniaire a été mise en jeu dans les cas mentionnés au troisième alinéa du même VI peuvent obtenir du ministre chargé du budget la remise gracieuse des sommes mises à leur charge. Hormis le cas de décès du comptable ou de respect par celui-ci, sous l’appréciation du juge des comptes, des règles du contrôle sélectif des dépenses, aucune remise gracieuse totale ne peut être accordée au comptable public dont la responsabilité personnelle et pécuniaire a été mise en jeu par le juge des comptes, le ministre chargé du budget étant dans l’obligation de laisser à la charge du comptable une somme au moins égale au double de la somme mentionnée au deuxième alinéa dudit VI » ;
14. Considérant que M. X. n’a pas été en mesure de produire le plan de contrôle hiérarchisé de la dépense au titre de l’exercice 2013 ; qu’interrogé à plusieurs reprises, M. X. n’a communiqué de plans de contrôle hiérarchisé de la dépense que pour les exercices 2010 et 2014 ; que le plan de contrôle pour l’exercice 2013 est donc réputé ne pas exister ; qu’en l’absence de contrôle sélectif de la dépense, le comptable devait exercer un contrôle exhaustif des dépenses, ce qu’il n’a pas fait ; que dans l’éventualité où le ministre chargé du budget déciderait d’effectuer une remise gracieuse du débet, la somme laissée à la charge du comptable ne pourra donc être inférieure à 3 ‰ du montant du cautionnement prévu pour le poste comptable ;
Décide :
Article 1 : La responsabilité personnelle et pécuniaire de M. X. est engagée au titre de l’exercice 2013, pour avoir versé 30 000 € à une association sans procéder aux contrôles de la validité de la dépense imposés par l’article 20 du décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012.
Article 2 : Ce manquement ayant causé un préjudice financier à la commune de Monswiller, M. X. est constitué débiteur des deniers de cette commune, pour un montant de 30 000 €, augmenté des intérêts légaux calculés à compter du 22 septembre 2016.
Article 3 : En l’absence de plan de contrôle hiérarchisé de la dépense, une éventuelle remise gracieuse devra laisser à la charge du comptable une somme ne pouvant être inférieure à 3 ‰ du montant du cautionnement prévu pour le poste comptable, soit une somme de 531 €.
Article 4 : Il est sursis à statuer sur la décharge de M. X., comptable, pour sa gestion au titre de l’exercice 2013, ladite décharge ne pouvant intervenir qu’après apurement du débet.
Article 5 : Le présent jugement sera notifié à M. X., comptable, au maire de la commune de Monswiller, ordonnateur, ainsi qu’au ministère public près la chambre.
Fait et jugé à la chambre régionale des comptes Grand Est, hors la présence du rapporteur et du procureur financier, le neuf février 2017, par :
M Patrick BARBASTE, président de section, président de séance ;
MM. Julien MILLET et Marc SIMON, conseillers.
La greffière Signé : Carine COUNOT | Le président de séance Signé : Patrick BARBASTE |
La République Française mande et ordonne à tous huissiers de justice, sur ce requis, de mettre ledit jugement à exécution, aux procureurs généraux et aux procureurs de la République près les tribunaux de grande instance d'y tenir la main, à tous commandants et officiers de la force publique de prêter main forte lorsqu'ils seront légalement requis.
En foi de quoi, le présent jugement a été signé par le président de la Chambre régionale des comptes Grand Est et par la secrétaire générale.
La secrétaire générale Signé : Juliette FOURES | Le président de la chambre Signé : Dominique ROGUEZ |
En application des articles R. 242-14 à R. 242-19 du code des juridictions financières, les jugements prononcés par la chambre régionale des comptes peuvent être frappés d’appel devant la Cour des comptes dans le délai de deux mois à compter de leur notification selon les modalités prévues aux articles R. 242-17 à R. 242-19 du même code.
Collationné, certifié conforme à la minute déposée au greffe de la chambre régionale des comptes Grand Est par moi,
Carine COUNOT, greffière
Jugement des comptes de la commune de Monswiller– Exercice 2013
Chambre régionale des comptes Grand Est