Sections réunies

Jugement  2017-0025

Audience publique du 19 octobre 2017

Prononcé du 2 novembre 2017

CENTRE COMMUNAL DACTION SOCIALE DE VALENCIENNES (NORD)

Poste comptable : CENTRE DES FINANCES PUBLIQUES DE VALENCIENNES

Exercice : 2014

République française

Au nom du peuple français

La chambre,

Vu le réquisitoire en date du 4 avril 2017, par lequel le procureur financier a saisi la chambre en vue de la mise en jeu de la responsabilité personnelle et pécuniaire de M. Christian X, comptable du centre communal daction sociale (CCAS) de Valenciennes, au titre dopérations effectuées sur lexercice 2014, notifié le 10 avril 2017 au comptable concerné ;

Vu les comptes rendus en qualité de comptable du CCAS de Valenciennes,
par M. Christian X, du 1er janvier au 31 décembre 2014 ;

Vu les justifications produites au soutien du compte en jugement ;

Vu larticle 60 de la loi de finances n° 63-156 du 23 février 1963 ;

Vu le code des juridictions financières ;

Vu le code général des collectivités territoriales ;

Vu le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012, relatif à la gestion budgétaire et comptable publique ;

Vu le rapport de Mme Margaux-Lucrèce Lelong, conseillère, magistrat chargé de linstruction ;

Vu les conclusions du procureur financier ;

Vu les pièces du dossier et, notamment, le mémoire complémentaire de M. Christian X, enregistré au greffe de la chambre le 16 octobre 2017, après la clôture de linstruction ;

JU-2017-0025 – CCAS de Valenciennes        1/7

 

 

 

 

 


 

Entendu lors de laudience publique du 19 octobre 2017, Mme Margaux-Lucrèce Lelong, conseillère, en son rapport, M. Fabrice Navez, procureur financier, en ses conclusions, et M. Christian X, comptable mis en cause, présent ayant eu la parole en dernier ;

Sur la présomption de charge unique, soulevée à lencontre de M. Christian X, au titre de lexercice 2014 :

Attendu que, par le réquisitoire susvisé, le procureur financier a saisi la chambre régionale des comptes Hauts-de-France de la responsabilité encourue par M. Christian X pour avoir procédé au paiement, au cours de lexercice 2014, de primes spéciales de sujétion à cinq agents non-titulaires relevant du cadre demploi des auxiliaires de soins territoriaux du CCAS de Valenciennes en labsence de pièce justificative, pour un montant total de 3 482,22  ;

Sur lexistence dun manquement

Attendu quaux termes des dispositions du I de larticle 60 de la loi du 23 février 1963 « […] les comptables publics sont personnellement et pécuniairement responsables […] du paiement des dépenses […]. Les comptables publics sont personnellement et pécuniairement responsables des contrôles quils sont tenus dassurer en matière […] de dépenses […] dans les conditions prévues par le règlement général sur la comptabilité publique. La responsabilité personnelle et pécuniaire prévue ci-dessus se trouve engagée dès lors […] quune dépense a été irrégulièrement payée […] » ;

Attendu que larticle 19 du décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012, relatif à la gestion budgétaire et comptable publique, prévoit quil incombe aux comptables, notamment, sagissant des ordres de payer, dexercer le contrôle « […] de la validité de la dette dans les conditions prévues à larticle 20 » ; que larticle 20 du même décret précise que « Le contrôle des comptables publics sur la validité de la dette porte sur : 1° La justification du service fait ;
2° Lexactitude de la liquidation ; 3° Lintervention des contrôles préalables prescrits par la réglementation ; […] ; 5° La production des pièces justificatives ; 6° Lapplication des règles de prescription et de déchéance » ;

Attendu que, pour apprécier la validité des dettes, les comptables doivent notamment exercer leur contrôle sur la production des justifications ; quaux termes de la rubrique 210223 de la nomenclature de lannexe I de larticle D. 1617-19 du code général des collectivités territoriales, le comptable doit être en possession, au moment du paiement, des pièces justificatives suivantes : « 1. La décision de lassemblée délibérante fixant la nature, les conditions dattribution et le taux moyen des indemnités ; 2. La décision de lautorité investie du pouvoir de nomination fixant le taux applicable à chaque agent. » ;

Attendu quà lappui des paiements des primes spéciales de sujétion aux agents non-titulaires relevant du cadre demploi des auxiliaires de soins territoriaux, le comptable disposait dune délibération du 23 juin 2003 qui fixe le régime indemnitaire du CCAS ; que cette délibération ne prévoit pas le versement des primes et indemnités aux agents non-titulaires ;

Attendu que, dans ces conditions, M. Christian X aurait dû suspendre les paiements considérés et demander toutes précisions à lordonnateur, conformément à larticle 38 du
décret  2012-1246 du 7 novembre 2012 susvisé ; quil a donc manqué à ses obligations de contrôle de validité de la dette prévues aux articles 19 et 20 de ce même décret ; quil a ainsi engagé sa responsabilité au titre de larticle 60 de la loi n° 63-156 du 23 février 1963 ;

 

 

Sur lexistence dun préjudice financier

Attendu que selon larticle 60 susvisé de la loi du 23 février 1963 modifiée « la responsabilité personnelle et pécuniaire prévue au I est mise en jeu par le ministre dont relève le comptable, le ministre chargé du budget ou le juge des comptes dans les conditions qui suivent » ; que
« lorsque le manquement du comptable […] a causé un préjudice financier à lorganisme public concerné […] le comptable a lobligation de verser immédiatement de ses deniers personnels la somme correspondante » ;

Sur les moyens invoqués par le comptable

Attendu que le comptable mis en cause ainsi que lordonnateur du CCAS de Valenciennes considèrent que le manquement na pas causé de préjudice financier ; que, cependant, le constat de lexistence, ou non, dun préjudice financier relève de la seule appréciation du juge des comptes ; que sil doit tenir compte des déclarations du comptable et de lordonnateur, il nest pas tenu par eux ;

Attendu que, sur le premier moyen, le comptable mis en cause précise que labsence de référence aux agents non-titulaires dans la délibération du 23 juin 2003 procède dune simple omission, due en particulier à labsence dagents contractuels dans les effectifs du CCAS au moment de son approbation ; quil ajoute que ladite délibération porte « clairement la volonté pour le CCAS de faire bénéficier à ses agents non titulaires de cette prime au même titre que les agents titulaires » ; que le caractère général de la délibération qui concerne les agents du CCAS ne saurait être suffisant pour létendre aux agents non-titulaires ; que la volonté expresse et préalable de lassemblée délibérante de faire bénéficier ses agents contractuels du régime indemnitaire mis en place nest pas clairement établie ;

Attendu que, sur le deuxième moyen, le comptable mis en cause précise « quil y a bien eu service fait de la part des agents contractuels bénéficiaires » ; attendu que pour déterminer si la dépense est ou non indue, il convient de rechercher, outre la réalité du service fait, la volonté expresse et préalable de l'organe délibérant ; qu’en l’espèce, la volonté de l’assemblée délibérante n’est pas matérialisée ;

Attendu que, sur le troisième moyen, le comptable indique que les sommes versées n’avaient pas « excédé les montants prévus par la délibération du 2 mars 1993, confirmée par celle du
23 juin 2003 (10 % du traitement brut) » ; que, par réquisitoire du ministère public, la responsabilité du comptable est mise en cause pour avoir payé des indemnités sans disposer des pièces justificatives et non pour un défaut de contrôle de ses calculs de liquidation ;

Attendu que, sur le quatrième moyen, le comptable précise que lerreur constatée, à savoir labsence de prise en compte des agents contractuels dans la délibération, a été corrigée ; quà cette fin, en premier lieu, par délibération du 7 juin 2017, lorgane délibérant du CCAS a attribué ladite prime à lensemble du personnel ; que, en deuxième lieu, sur demande du comptable, lordonnateur a émis des titres de reversement des primes indûment perçues au cours de la période courant du 1er mai 2015 au 30 avril 2017 pour lensemble des agents contractuels concernés ; quenfin, par la même délibération précitée, une remise gracieuse a été accordée à ces mêmes agents « en évoquant lexistence dune simple erreur matérielle », révélant la volonté de lépoque de ne pas exclure les agents contractuels du bénéfice de cette prime ;

 

 

 

Attendu que le comptable sappuie sur ces demandes de reversement suivies de la remise gracieuse pour conclure à labsence de préjudice ; quil cite, à lappui de son raisonnement, larrêt du Conseil dEtat du 22 février 2017 « Grand Port Maritime de Rouen » indiquant que, pour déterminer si le manquement a causé un préjudice, le juge des comptes doit « dune part, rechercher sil existait un lien de causalité entre le préjudice et le manquement, à la date où ce dernier a été commis et, dautre part, apprécier lexistence et le montant du préjudice à la date à laquelle il statue en prenant en compte, le cas échéant, des faits postérieurs au manquement tels quun éventuel reversement dans la caisse du comptable de sommes correspondant à des dépenses irrégulièrement payées ou à des recettes non recouvrées » ;

Attendu, quen lespèce, la rectification de cette omission par l’adoption d’une délibération en date du 7 juin 2017 ne saurait avoir deffet rétroactif ; quau surplus, les demandes de reversement portent sur les primes versées entre le 1er mai 2015 et le 30 avril 2017 ; quelles nont donc pas pu avoir pour effet de faire disparaître le préjudice financier subi par le CCAS, du fait du versement par le comptable de ces primes au cours de lexercice 2014, en labsence des pièces justificatives requises ;

Attendu que, compte tenu de ce qui précède, lensemble des moyens présentés par le comptable doit être rejeté ; qu’il n’est pas clairement établi la volonté expresse et préalable de l’assemblée délibérante de verser des primes spéciales de sujétion à des agents non-titulaires relevant du cadre demploi des auxiliaires de soins territoriaux ;

Sur les éléments apportés par lordonnateur

Attendu que, dans sa réponse, lordonnateur développe les mêmes arguments que le comptable ; quils doivent donc être, de la même manière, écartés ; quil ajoute, sappuyant sur la décision du Conseil dÉtat « Grand Port Maritime de Rouen » précitée, que lexistence dun préjudice financier ne peut se déduire du seul caractère irrégulier des paiements effectués, ceux-ci pouvant malgré tout ne pas présenter de caractère indu ; quainsi, « alors même quau moment des paiements il nexistait pas de fondement juridique valable, ceux-ci ne peuvent pas être regardés comme ayant causé un préjudice financier lorsquil apparaît, notamment au regard déléments postérieurs au paiement, que ladministration avait la volonté dengager ces sommes » ;

Attendu que cette décision, ainsi que le fait observer le ministère public, porte sur le cas particulier des prestations réalisées en exécution d’un marché et non sur le paiement d’indemnités ; qu’en l’espèce, pour déterminer si la dépense est ou non indue, il convient de rechercher, la volonté expresse et préalable de l’organe délibérant ; qu’il ressort qu’il n’est pas établi que lorgane délibérant avait clairement décidé doctroyer la prime de sujétion spéciale au profit des agents non-titulaires ; que ce moyen doit donc être écarté ;

Attendu que lordonnateur précise également que « lexistence dun préjudice financier pour le CCAS ne peut être retenu en labsence de lien de causalité avec le manquement, à la date de sa commission » ; que, toutefois, le préjudice financier est établi dès lors que le paiement est indu ; quainsi, au cas despèce, le comptable aurait dû suspendre le paiement des indemnités qui, à défaut de pièce justificative suffisante, se présente comme indu ; quil y a donc un lien de causalité entre les manquements à ses obligations de contrôle de validité de la dette et le préjudice financier subi par létablissement ;

 

 

 

Conclusion sur le préjudice financier

Attendu quun préjudice financier résulte du paiement dune dépense indue, en l’absence d’élément qui permette d’établir la volonté expresse et préalable de l’organe délibérant d’engager la dépense en cause ;

Attendu quen procédant au paiement des primes de sujétion aux auxiliaires de soins non-titulaires du CCAS de Valenciennes, sans disposer des pièces suffisantes prévues par la nomenclature en vigueur à ce moment-là, le comptable a manqué à son obligation de contrôler la validité de la dette ; quainsi, le manquement du comptable a causé un préjudice financier à cet établissement au sens des dispositions du troisième alinéa du paragraphe VI de larticle 60 de la loi du 23 février 1963 susvisée ;

Attendu quaux termes du même article, « Lorsque le manquement du comptable […] a causé un préjudice financier à lorganisme public concerné […], le comptable a lobligation de verser immédiatement de ses deniers personnels la somme correspondante » ; quil y a donc lieu de constituer M. Christian X débiteur du CCAS de Valenciennes pour la somme de 3 482,22  ;

Attendu quaux termes du paragraphe VIII de larticle 60 de la loi du 23 février 1963 précitée, « les débets portent intérêt au taux légal à compter du premier acte de la mise en jeu de la responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables publics » ; quen lespèce, cette date est le 10 avril 2017, date de réception du réquisitoire par M. Christian X ;

Sur le respect des règles de contrôle sélectif de la dépense

Attendu que le IX de larticle 60 de la loi de finances n° 63-156 du 23 février 1963 modifiée dispose que « Les comptables publics dont la responsabilité personnelle et pécuniaire a été mise en jeu dans les cas mentionnés au troisième alinéa du même VI peuvent obtenir du ministre chargé du budget la remise gracieuse des sommes mises à leur charge. Hormis le cas de décès du comptable ou de respect par celui-ci, sous lappréciation du juge des comptes, des règles de contrôle sélectif des dépenses, aucune remise gracieuse totale ne peut être accordée au comptable public dont la responsabilité personnelle et pécuniaire a été mise en jeu par le juge des comptes, le ministre chargé du budget étant dans lobligation de laisser à la charge du comptable une somme au moins égale au double de la somme mentionnée au deuxième alinéa dudit VI » ;

Attendu que le comptable mis en cause indique que le contrôle hiérarchisé de la dépense (CHD) mis en place en 2014 ne prévoyait pas le contrôle des pièces justificatives de lindemnité de sujétion spéciale ; quil ne peut lui « être reproché davoir manqué à [ses] obligations de contrôle »;

Attendu que le plan produit intitulé « CHD paye » concerne « les collectivités sous Xémélios en 2014 » nest pas signé du comptable supérieur ; quil nest accompagné daucune pièce justifiant de sa mise en œuvre par le comptable ;

Attendu qua été également transmis un « CHD méthodologie adaptée » pour létablissement dénommé « CCAS Vals » signé par procuration du directeur départemental des finances publiques mais non daté ; que, toutefois, ce plan ne prévoit aucune règle pour la paye ;

Attendu que, dans ces conditions, le comptable mis en cause na pu produire, au cours de linstruction, un plan validé par le comptable supérieur et applicable à lexercice 2014, qui aurait exigé un contrôle sélectif de la paye ; que, dès lors, les mandats concernés auraient dû faire lobjet dun contrôle exhaustif ;

Attendu, dès lors, que la remise gracieuse susceptible dêtre accordée par le ministre chargé du budget ne pourra avoir pour effet de laisser à la charge du comptable une somme inférieure à trois pour mille du cautionnement lié au poste comptable, soit en lespèce 531 € ;

Par ces motifs,

DÉCIDE :

Article 1 :  Au titre de lexercice 2014, sur la présomption de charge unique :

 M. Christian X est constitué débiteur du centre communal daction sociale (CCAS) de Valenciennes pour la somme de 3 482,22 , augmentée des intérêts de droit à compter du 10 avril 2017.

Article 2 :  La décharge de M. Christian X, pour sa gestion du 1er janvier 2014 au 31 décembre 2014, ne pourra être donnée quaprès apurement du débet fixé à
larticle 1, ci-dessus.

Fait et jugé par M. Patrice Ros, président de séance, MM. Frank Leroy et Olivier Pernet, premiers conseillers.

En présence de M. Bernard Chabé, greffier de séance.

 Bernard Chabé Patrice Ros

En conséquence, la République française mande et ordonne à tous huissiers de justice, sur ce requis, de mettre ledit jugement à exécution, aux procureurs généraux et aux procureurs de la République près les tribunaux de grande instance dy tenir la main, à tous commandants et officiers de la force publique de prêter main-forte lorsquils en seront légalement requis.

En application des articles R. 242-19 à R. 242-21 du code des juridictions financières, les jugements prononcés par la chambre régionale des comptes peuvent être frappés dappel devant la Cour des comptes dans le délai de deux mois à compter de la notification, et ce selon les modalités prévues aux articles R. 242-22 à R. 242-24 du même code. Ce délai est prolongé de deux mois pour les personnes domiciliées à létranger. La révision dun jugement peut être demandée après expiration des délais dappel, et ce dans les conditions prévues à
larticle R. 242-29 du même code.

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ANNEXE

Versement dune prime spéciale de sujétion –
budget annexe « service de soins infirmiers à domicile » –
compte 64131 « Rémunérations – Personnel non-titulaire »

Mois

N° Bord.

N° mandat

Date émission mandat

Auxiliaire de soins de 1ère classe (montant versé)

Mme Virginie Y

Mlle Emilie Z

Mme Sandrine A

Mme Lucile B

Mme Sylvie C

févr-14

6

39

20/02/2014

71,77 

82,02 

71,77 

71,77 

71,77 

mai-14

19

156

21/05/2014

73,62 

84,14 

84,14 

73,62 

73,62 

juin-14

25

216

18/06/2014

73,62 

84,14 

84,14 

73,62 

73,62 

juil-14

29

253

17/07/2014

73,62 

84,14 

84,14 

73,62 

73,62 

août-14

34

309

20/08/2014

73,62 

84,14 

84,14 

73,62 

73,62 

sept-14

38

332

22/09/2014

73,62 

84,14 

84,14 

73,62 

73,62 

oct-14

43

374

22/10/2014

73,62 

84,14 

84,14 

73,62 

73,62 

nov-14

47

412

20/11/2014

73,62 

84,14 

84,14 

73,62 

73,62 

déc-14

52

458

15/12/2014

73,62 

84,14 

84,14 

73,62 

73,62 

Sous-totaux

660,73 

755,14 

744,89 

660,73 

660,73 

Montant total

3 482,22 

 

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