Première section

 

 

Jugement  2017-0029  J

 

Audience publique du 11 décembre 2017

 

Prononcé du 22 décembre 2017

 

 

 

 

 

 

 

Commune de Cachan (94)

 

Poste comptable : Cachan

 

Exercices 2013 et 2014

 

 

 

République Française

Au nom du peuple français

 

La chambre,

 

 

 

Vu le réquisitoire du 17 octobre 2016, par lequel le procureur financier a saisi la chambre en vue de la mise en jeu de la responsabilité personnelle et pécuniaire de MM. X… et Y…, comptables de la commune de Cachan, au titre d’opérations relatives aux exercices 2013 et 2014 ;

Vu la notification du réquisitoire aux comptables susvisés respectivement les 14 et 22 novembre 2016 et à l’ordonnateur le 14 novembre 2016 ;

Vu les comptes rendus en qualité de comptables de la commune de Cachan par M. X…du 1er janvier au 31 décembre 2013 et par M. Y… du 1er janvier au 31 décembre 2014 ;

Vu les justifications produites au soutien du compte en jugement ;

Vu le code des juridictions financières ;

Vu code général des collectivités territoriales ;

Vu l’article 60 de la loi de finances n° 63-156 du 23 février 1963 ;

Vu le décret n° 62-1587 du 29 décembre 1962 portant règlement général sur la comptabilité publique alors en vigueur, ensemble le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique ;


Vu le décret n° 2012-1386 du 10 décembre 2012 portant application du deuxième alinéa du VI de l’article 60 de la loi de finances de 1963 modifié dans sa rédaction issue de l’article 90 de la loi n° 2011-1978 du 28 décembre 2011 de finances rectificative pour 2011 ;

Vu le rapport de M. Hervé Beaudin, premier conseiller, magistrat chargé de l’instruction ;

Vu les conclusions du procureur financier ;

Vu les pièces du dossier ; 

Entendus lors de l’audience publique du 11 décembre 2017, M. Hervé Beaudin, premier conseiller, en son rapport ci-dessus visé, M. Luc Héritier, procureur financier, en ses conclusions et M. Y…, comptable ;

Entendu en délibéré M. Jean-Marc Dunoyer de Segonzac, premier conseiller, en ses observations ;

Attendu que, par le réquisitoire susvisé, le procureur financier a saisi la chambre à fin de statuer sur la responsabilité personnelle et pécuniaire dune part de M. X…, comptable de la commune de Cachan, pour n’avoir pas accompli dans les délais appropriés toutes les diligences requises en vue du recouvrement d’un titre de recette (présomption de charge 1) et d’autre part de M. Y…, comptable de la commune de Cachan, pour avoir versé un trop payé à une employée communale (présomption de charge n°2) et ne pas avoir procédé à la retenue de pénalités de retard à l’occasion du paiement du solde d’un marché (présomption de charge n° 3) ;

Attendu qu’aux termes du premier alinéa du I de l’article 60 de la loi du 23 février 1963 susvisée : « Outre la responsabilité attachée à leur qualité d'agent public, les comptables publics sont personnellement et pécuniairement responsables du recouvrement des recettes, du paiement des dépenses, de la garde et de la conservation des fonds et valeurs appartenant ou confiés aux différentes personnes morales de droit public dotées d'un comptable public, désignées ci-après par le terme d'organismes publics, du maniement des fonds et des mouvements de comptes de disponibilités, de la conservation des pièces justificatives des opérations et documents de comptabilité ainsi que de la tenue de la comptabilité du poste comptable qu'ils dirigent. » ; que, selon le troisième alinéa du même article : « La responsabilité personnelle et pécuniaire prévue ci-dessus se trouve engagée dès lors qu'un déficit ou un manquant en monnaie ou en valeurs a été constaté, qu'une recette n'a pas été recouvrée, qu'une dépense a été irrégulièrement payée […] » ;

Attendu qu’aux termes de l’article 18 du décret du 28 novembre 2012 susvisé : « Dans le poste comptable qu'il dirige, le comptable public est seul chargé : […] / 4° De la prise en charge des ordres de recouvrer et de payer qui lui sont remis par les ordonnateurs ; 5° Du recouvrement des ordres de recouvrer et des créances constatées par un contrat, un titre de propriété ou tout autre titre exécutoire ; […] / 7° Du paiement des dépenses, soit sur ordre émanant des ordonnateurs, soit au vu des titres présentés par les créanciers, soit de leur propre initiative » ; qu’aux termes de l’article 19 du même décret : « Le comptable public est tenu d'exercer le contrôle : 1° S'agissant des ordres de recouvrer : / a) De la régularité de l'autorisation de percevoir la recette ; / b) Dans la limite des éléments dont il dispose, de la mise en recouvrement des créances et de la régularité des réductions et des annulations des ordres de recouvrer » ; / […] 2° S'agissant des ordres de payer : / d) De la validité de la dette dans les conditions prévues à l'article 20 […] ; que, selon l’article 20 : « Le contrôle des comptables publics sur la validité de la dette porte sur : […] 2° L'exactitude de la liquidation ; […] 5° La production des pièces justificatives […] ; qu’aux termes de l’article 38 : […] lorsqu'à l'occasion de l'exercice des contrôles prévus au 2° de l'article 19 le comptable public a constaté des irrégularités ou des inexactitudes dans les certifications de l'ordonnateur, il suspend le paiement et en informe l'ordonnateur. Ce dernier a alors la faculté de requérir par écrit le comptable public de payer. » ;


 

Sur la présomption de charge n° 1 relative au recouvrement des recettes :

Attendu qu’aux termes de l’article L. 1617-5 du code général des collectivités territoriales : « L’action des comptables publics chargés de recouvrer les créances des régions, des départements, des communes et des établissements publics locaux se prescrit par quatre ans à compter de la prise en charge du titre de recette. Le délai quatre ans mentionné à l’alinéa précédent est interrompu par tous actes comportant reconnaissance de la part des débiteurs et par tous actes interruptifs de la prescription. » ;

Attendu que le procureur financier avait relevé que le titre 5566 de 952,75 € pris en charge le 22 septembre 2009, et qui figurait sur l’état des restes à recouvrer au compte 4111 au 31 décembre 2014 n’avait pas été payé ; qu’en l’absence de pièces attestant de l’accomplissement de diligences interruptives de la prescription, l’action du comptable en vue du recouvrement de cette créance s’était prescrite le 22 septembre 2013 ;

Attendu que le comptable n’a pas apporté la preuve des diligences effectuées en vue du recouvrement de ce titre, notamment des deux commandements qu’il aurait adressés au débiteur et que la décision d’admission en non-valeur du titre par la commune dans sa délibération du 19 novembre 2015 ne saurait dégager sa responsabilité ;

Attendu que lorsque le comptable a manqué aux obligations qui lui incombent au titre du recouvrement des recettes, faute d'avoir exercé les diligences et les contrôles requis, le manquement du comptable doit, sauf insolvabilité avérée du débiteur à la date du manquement, qui n’est pas alléguée en l’espèce, être regardé comme ayant causé un préjudice financier à l'organisme public concerné ;

Attendu qu’aux termes du troisième alinéa du VI de l’article 60 de la loi du 23 février 1963 susvisée : « Lorsque le manquement du comptable aux obligations mentionnées au I a causé un préjudice financier à l'organisme public concerné […], le comptable a l'obligation de verser immédiatement de ses deniers personnels la somme correspondante. » ; que, par suite, il y lieu de constituer M. X… débiteur de la commune de Cachan pour la somme de 952,75  ;

Attendu qu’aux termes du VII du même article : « Les débets portent intérêt au taux légal à compter du premier acte de la mise en jeu de la responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables publics. » ; que cette date est la réception par le comptable de la notification du réquisitoire du ministère public, dont le comptable a accusé réception le 14 novembre 2016 ;

Sur la présomption de charge n° 2 relative aux paiement d’heures supplémentaires :

Attendu que le réquisitoire avait relevé que le comptable a payé en 2014 à une vacataire recrutée en janvier 2014 pour des prestations de gardiennage sur le fondement d’une lettre de recrutement du 2 janvier 2014, des heures supplémentaires à hauteur de 852 heures pour un total de 15 956,97 qui ne correspondaient pas au taux horaire de 10,09 qui figurait dans la lettre de recrutement ; que l’intéressée ne pouvait bénéficier d’heures supplémentaires et que d’autre part les taux horaires mentionnés sur ses fiches de paie variaient de 9,93 à 24,83 , le comptable aurait dû suspendre le paiement dans l’attente de précisions à demander à l’ordonnateur ;


 

Attendu que le comptable fait valoir que la gardienne a effectué des prestations des dimanches et jours fériés et des nuits en sus de ses prestations réalisées au tarif de base ; que les taux horaires applicables aux services de nuit d’une part et aux services des dimanches et jours fériés d’autre part sont respectivement de 24,30 et 20,17  ; qu’il a produit à l’appui de sa réponse un tableau détaillant l’ensemble des 852 heures selon les mois et tarifs pratiqués ;

 

Attendu toutefois que ce tableau confirme l’incohérence entre d’une part, la lettre de recrutement du 2 janvier 2014 de l’intéressée, pour des prestations ponctuelles, fixant un taux horaire de 10,09 € brut, et d’autre part, les fiches de paie appliquant des taux différents selon les mois de l’année 2014 (20,17 €, 24,30 €, 9,93 €, 24,83 €, ou 20,60 €) ; qu’ainsi, le comptable aurait dû suspendre le paiement des mandats en cause et demander à l’ordonnateur des justifications complémentaires ; qu’il a, par suite, manqué aux obligations mentionnée au I précité de l’article 60 de la loi du 23 février 1963 ;

 

Attendu que le comptable a produit un courrier de l’ordonnateur du 11 juillet 2016 et la délibération du 22 septembre 2016, qui permettaient de faire travailler cette gardienne vacataire de nuit et les dimanches et jours fériés aux taux horaires majorés réglementaires ; que ces documents, quoique postérieurs aux paiements, traduisent l’intention de la commune de payer les heures effectuées aux taux payés par M. Y…, nonobstant les stipulations du contrat susmentionné ; qu’ainsi, son manquement n’a pas causé de préjudice financier à la commune de Cachan ;

Attendu qu’aux termes du deuxième alinéa du VI de l’article 60 de la loi du 23 février 1963 susvisée : « lorsque le manquement du comptable aux obligations mentionnée au I n’a pas causé de préjudice financier à l’organisme public concerné, le juge des comptes peut l’obliger à s’acquitter d’une somme arrêtée, pour chaque exercice, en tenant compte des circonstances de l’espèce » ; que, selon le l’article 1er du décret du 10 décembre 2012 : « La somme maximale pouvant être mise à la charge du comptable, conformément aux dispositions du deuxième alinéa du VI de l'article 60 de la loi du 23 février 1963 susvisée, est fixée à un millième et demi du montant du cautionnement prévu pour le poste comptable considéré. » ;

Attendu que le montant du cautionnement prévu du poste comptable pour l’exercice 2014 est fixé à 179 000  ; qu’ainsi le montant maximum de la somme susceptible d’être mise à la charge de M. Y… s’élève à 268,50  ; qu’il n’y a pas lieu, eu égard aux circonstances et au vu des réponses du comptable, de réduire le montant de la somme de 268,50 laissée à la charge de M. Y… ;

 

Sur la présomption de charge n° 3 relative au paiement du solde d’un marché :

 

Attendu que le réquisitoire avait relevé que le comptable a payé en mars 2014 le solde de 339 267,17 € d’un marché de travaux sans déduire les pénalités de retard dues par le titulaire du marché ;

 

Attendu qu’aux termes de l’article D.1617-19 du code général des collectivités territoriales : « Avant de procéder au paiement d’une dépense ne faisant pas l’objet d’un ordre de réquisition, les comptables publics des collectivités territoriales […] ne doivent exiger que les pièces justificatives prévues pour la dépense correspondante dans la liste définie à l’annexe 1 du présent code. » ; que la sous-rubrique 43252 « marchés de travaux » de ladite annexe prévoit que pour procéder au paiement du solde du marché, le comptable doit notamment disposer des pièces suivantes : « 4. État liquidatif des pénalités de retard encourues par le titulaire lorsque leur montant est déduit par l’ordonnateur sur les paiements ; en cas d’exonération ou de réduction de ces retenues : délibération motivée de l’autorité compétente prononçant celles-ci » ;


 

Attendu que les pénalités de retard se montaient à 35 000 en application des dispositions du cahier des clauses administratives particulières, au vu de la date d’achèvement des travaux arrêtée au 22 avril 2013 dans le document de réception des travaux et d’une date d’achèvement fixée au 18 mars 2013 dans un avenant du 4 mars 2013 ;

 

Attendu que si le comptable fait valoir qu’il était dans l’intention de la commune de ne pas appliquer de pénalités de retard, il devait disposer s’agissant d’un marché formalisé, d’une délibération décidant de cette exonération, qu’il n’a pas produite à la chambre ; qu’ainsi, le comptable a manqué à ses obligations mentionnées au I de l’article 60 précité, tant en ce qui concerne le contrôle de l’exactitude de la liquidation que de la production des pièces justificatives ;

 

Attendu qu’en ne déduisant pas les pénalités de retard applicables, le comptable payé une somme que la commune de Cachan ne devait pas ; qu’ainsi, son manquement a causé un préjudice financier à la commune ; que selon le VI de l’article 60 de la loi du 23 février 1963 susvisée : « Lorsque le manquement du comptable aux obligations causées au I a causé un préjudice financier à l’organisme public concerné […], le comptable a l’obligation de verser immédiatement de ses deniers personnels la somme correspondante. » ; qu’en conséquence il y a lieu de constituer M. Y… débiteur de la commune de Cachan pour la somme de 35 000  ;

Attendu qu’aux termes du deuxième alinéa du IX du même article : « Les comptables publics dont la responsabilité personnelle et pécuniaire a été mise en jeu dans les cas mentionnés au troisième alinéa du même VI peuvent obtenir du ministre chargé du budget la remise gracieuse des sommes mises à leur charge. Hormis le cas de décès du comptable ou de respect par celui-ci, sous l’appréciation du juge des comptes, des règles de contrôle sélectif des dépenses, aucune remise gracieuse totale ne peut être accordée au comptable public dont la responsabilité personnelle et pécuniaire a été mise en jeu par le juge des comptes, le ministre chargé du budget étant dans l’obligation de laisser à la charge du comptable une somme au moins égale au double de la somme mentionnée au deuxième alinéa dudit VI » ; que l’article 1er précité du décret du 10 décembre 2012 fixe cette somme à un millième et demi du montant du cautionnement prévu pour le poste comptable considéré ;

Attendu que le plan de contrôle sélectif de la dépense en vigueur pour les exercices 2010 à 2014 se référait au référentiel national, lequel prévoyait un contrôle exhaustif de ce type de marché ; qu’ainsi, en cas de remise gracieuse du débet, il devra être laissé à la charge de M. Y… une somme d’au moins 537 , correspondant à trois millièmes du montant du cautionnement s’appliquant à l’exercice 2014 ;

Par ces motifs,

 

DÉCIDE :

 

Article 1er : Au titre de la charge n° 1 concernant l’exercice 2013, M.X… est constitué débiteur de la commune de Cachan pour la somme de 952,75 euros, augmentée des intérêts de droit à compter du 14 novembre 2016.

Article 2 : Au titre de la charge  n° 2 concernant l’exercice 2013, M. Y…devra s’acquitter d’une somme de 268,50 euros.


 

Article 3 : Au titre de la charge n° 3 concernant l’exercice 2014, M. Y…est constitué débiteur de la commune de Cachan pour la somme de 35 000 euros, augmentée des intérêts de droit à compter du 22 novembre 2016. En cas de remise gracieuse, le ministre chargé du budget devra laisser à la charge de M. Y… une somme au moins égale à 537 euros.

Article 4 : Il est sursis à la décharge de MM. X… et Y… pour leur gestion du 1er janvier 2013 jusqu’au 31 décembre 2014, jusqu’à la constatation de l’apurement des sommes mises à leur charge.

Fait et jugé par M. Alain Stéphan, président de séance ; MM Jean-Marc Dunoyer de Segonzac et Yves Bénichou, premiers conseillers.

En présence de Mme Lionelle Nivore, greffière de séance.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Nadia Dumoulin

 

 

 

 

Alain Stéphan

 

 

 

 

 

 

 

 

En conséquence, la République Française mande et ordonne à tous huissiers de justice, sur ce requis, de mettre les dispositions définitives dudit jugement à exécution, aux procureurs généraux et aux procureurs de la République près les tribunaux de grande instance d’y tenir la main, à tous commandants et officiers de la force publique de prêter main-forte lorsqu’ils en seront légalement requis.

 

 

En application des articles R. 242-14 à R. 242-16 du code des juridictions financières, les jugements prononcés par la chambre régionale des comptes peuvent être frappés d’appel devant la Cour des comptes dans le délai de deux mois à compter de la notification, et ce selon les modalités prévues aux articles R. 242-17 à R. 242-19 du même code. Ce délai est prolongé de deux mois pour les personnes domiciliées à l’étranger. La révision d’un jugement peut être demandée après expiration des délais d’appel, et ce dans les conditions prévues à l’article R. 242-26 du même code.