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Troisième section Jugement n° 2017-14
Audience publique du 27 juillet 2017
Prononcé du 1er septembre 2017 | COMMUNE D’ERNÉE (Mayenne) Trésorerie d’Ernée
Exercices : 2013 et 2014
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République Française
Au nom du peuple français
La Chambre,
Vu le réquisitoire en date du 25 avril 2017, par lequel le procureur financier a saisi la chambre en vue de la mise en jeu de la responsabilité personnelle et pécuniaire de M. X…, comptable de la commune d’Ernée, au titre d’opérations relatives aux exercices 2013 et 2014, notifié le 28 avril 2017 au comptable concerné ;
Vu les comptes rendus en qualité de comptable de la commune d’Ernée, par M. X…, pour les exercices 2013 et 2014 ;
Vu l’article 60 de la loi de finances n° 63-156 du 23 février 1963 ;
Vu le code des juridictions financières ;
Vu les lois et règlements applicables aux communes ;
Vu le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique ;
Vu le décret n° 2012-1386 du 10 décembre 2012 portant application du deuxième alinéa du VI de l’article 60 de la loi de finances de 1963 modifié dans sa rédaction issue de l’article 90 de la loi n° 2011-1978 du 28 décembre 2011 de finances rectificative pour 2011 ;
Vu le rapport de Mme Hélène LEMESLE, conseillère, magistrate chargée de l’instruction ;
Vu les conclusions du procureur financier ;
Vu les pièces du dossier, et notamment, les observations de M. X… en date du 1er juin 2017 et celles de Mme Y…, maire de la commune d’Ernée, en date du 12 juin 2017 ;
Entendu lors de l’audience publique du 27 juillet 2017 Mme Hélène LEMESLE, conseillère, en son rapport, M. Sébastien HEINTZ, en ses conclusions ;
Entendu en délibéré M. Pierre-Jean ESPI, président de section, réviseur, en ses observations ;
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Sur la présomption de charge unique, soulevée à l’encontre de M. X…, au titre des exercices 2013 et 2014 :
Attendu que, par le réquisitoire susvisé, le procureur financier a saisi la chambre régionale des comptes des Pays de la Loire de la responsabilité encourue par M. X… à raison du paiement des subventions à l’OGEC de l’école Saint-Vincent de Paul, pour un montant total de 86 645,73 € alors qu’il ne disposait pas des pièces prévues pour ce type de dépense par la nomenclature des pièces justificatives des dépenses des collectivités territoriales et des établissements publics locaux figurant en annexe du code général des collectivités territoriales (CGCT) et visée par son article D. 1617-19 ;
Attendu qu’en application de l'article 17 du décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique, les comptables publics sont personnellement et pécuniairement responsables des actes et contrôles qui leur incombent ; qu’en application des articles 19 et 20 du même décret , les comptables sont tenus d’exercer le contrôle de la validité de la dette, en veillant, en particulier, à la production des justifications ; qu’en application de l'article 50 du même décret, les opérations doivent être justifiées par des pièces dont la liste, pour les collectivités territoriales, est fixée par décret ; qu'en application de l'article 38 du même décret, lorsque le comptable public a constaté des irrégularités ou des inexactitudes dans les certifications de l'ordonnateur, il doit suspendre les paiements ;
Attendu que l’article D. 1617-19 du code général des collectivités territoriales modifié dispose qu’« avant de procéder au paiement d’une dépense ne faisant pas l’objet d’un ordre de réquisition, les comptables publics des collectivités territoriales (…) ne doivent exiger que les pièces justificatives prévues pour la dépense correspondante dans la liste définie à l’annexe I du présent code » ;
Attendu que par délibération du 5 avril 2012, le conseil municipal de la commune d’Ernée a décidé l’octroi d’une participation communale aux frais de fonctionnement de la cantine privée de l’école Saint-Vincent de Paul, participation versée à l’OGEC de l’école Saint-Vincent de Paul à raison de 1,8 € par repas étant convenu que cette participation sera indexée annuellement au 1er janvier de chaque exercice en fonction de l’évolution du SMIC ;
Attendu que par les mandats n° 662 du 3 avril 2012, n° 1500 du 2 juillet 2013, n° 2174 du 1er octobre 2013, n° 2973 du 31 décembre 2013, n° 593 du 2 avril 2014, n° 1399 du 2 juillet 2014, n° 2098 du 2 octobre 2014, n° 2883 du 29 décembre 2014, le comptable a pris en charge des participations à des frais de repas au bénéfice de l’association OGEC de l’école Saint-Vincent de Paul, à raison d’un montant total de 42 904,89 € pour l’exercice 2013 et 43 740,84 € pour l’exercice 2014 ; que figuraient sur les mandats la référence à une délibération du 5 avril 2012 en complément d’états récapitulant le nombre de repas servis durant le dernier trimestre écoulé ;
Attendu que le comptable fait valoir que la participation financière de la commune aux frais de fonctionnement de la cantine scolaire gérée par l’OGEC de l’école Saint-Vincent de Paul a un caractère pluriannuel sur le fondement de deux délibérations, l’une du 3 septembre 1984 et l’autre du 4 décembre 1992, dans le cadre d’une convention conclue entre la commune et l’OGEC le 18 septembre 1984, modifiée le 22 janvier 1993 ; que le principe de la volonté de l’assemblée délibérante de subventionner, par un forfait par repas, le service de la restauration scolaire de l’OGEC, est consacré par ces délibérations de 1984,1992 et 2012 ainsi que par deux délibérations de 2013 et 2014 qui ont fixé un montant par repas ;
3/6
Attendu que le comptable a produit au cours de l’instruction la délibération du 3 septembre 1984 approuvant une convention entre la ville d’Ernée et l’OGEC prévoyant la livraison par la commune de repas à l’école privée Saint-Vincent de Paul et renouvelable par tacite reconduction ; que le comptable a produit également la délibération de la ville d’Ernée du 4 décembre 1992 approuvant un avenant à cette convention prévoyant le versement d’une subvention de 53 500 F de la commune à l’OGEC ; qu’aucun autre avenant n’a été produit au cours de l’instruction ;
Attendu que, en application des articles 19 et 20 du décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012, le comptable doit exercer le contrôle de la validité de la créance au travers de l’exactitude des calculs de liquidation et de la production des pièces justificatives, que s’agissant d’une subvention de plus de 23 000 €, le comptable était tenu d’exiger une convention annuelle définissant l'objet, le montant et les conditions d'utilisation de la subvention attribuée ; que ne figurait aucune convention de ce type à l’appui des mandats précités ;
Attendu que la convention du 21 septembre 1984 et son avenant du 22 janvier 1993 fournis par le comptable, en l’absence de mise à jour depuis plus de 20 ans, ne prévoient pour la première que la simple fourniture de repas par la commune et pour la deuxième que le versement par la commune d’une subvention non liée au nombre de repas, et ne répondent pas ainsi à l’exigence d’une convention établie conformément à l’article 10 de la loi du 12 avril 2000, qu’en particulier, pour chaque exercice 2013 et 2014, les paiements n’ont pas été appuyés d’une nouvelle convention ou avenant précisant le montant à verser pour l’année en cours, afin d’en vérifier la cohérence et la bonne liquidation ;
Attendu que la maire de la commune d’Ernée, Mme Y…, a, par courrier en date du 12 juin 2017, reconnu l’absence de convention spécifique et de délibération prise pour chacune des subventions en cause ;
Attendu qu’il est établi que M. X… ne disposait pas, au moment du paiement de la subvention au bénéfice de l’association OGEC de l’école Saint-Vincent de Paul, pour les exercices 2013 et 2014, des pièces justificatives exigées par l’annexe I du code général des collectivités territoriales ;
Attendu qu’à défaut de pièce justificative suffisante, le comptable n’était pas en mesure d’effectuer le contrôle de la validité de la dette auquel il était tenu ;
Attendu que la liste des pièces justificatives des dépenses publiques locales jointes en annexe 1 à l’article D. 1617-19 du code général des collectivités territoriales est obligatoire, d’application stricte et ne souffre aucune exception ;
Attendu qu’aux termes des dispositions du I de l’article 60 de la loi n° 63‑156 du 23 février 1963 modifiée « (…) les comptables publics sont personnellement et pécuniairement responsables (…) du paiement des dépenses (...) » ; que « la responsabilité personnelle et pécuniaire prévue ci-dessus se trouve engagée dès lors (…) qu’une dépense a été irrégulièrement payée » ;
Attendu que les paiements recensés au titre de la présomption de charge ont été effectués alors que M. X… ne disposait pas des pièces justificatives exigées par l’annexe du CGCT visée à son article D. 1617-19 ; qu’en s’abstenant de suspendre les paiements, le comptable a manqué à ses obligations et engagé sa responsabilité personnelle et pécuniaire ;
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Attendu qu’aux termes du VI de l’article 60 de la loi n° 63-156 précitée, « la responsabilité personnelle et pécuniaire prévue au I est mise en jeu par le ministre dont relève le comptable, le ministre chargé du budget ou le juge des comptes dans les conditions qui suivent » ; que « lorsque le manquement du comptable […] n'a pas causé de préjudice financier à l'organisme public concerné, le juge des comptes peut l'obliger à s'acquitter d'une somme arrêtée, pour chaque exercice, en tenant compte des circonstances de l'espèce (…). Lorsque le manquement du comptable (…) a causé un préjudice financier à l’organisme public concerné (…), le comptable a l’obligation de verser immédiatement de ses deniers personnels la somme correspondante » ;
Attendu qu’il résulte de la jurisprudence bien établie des juridictions financières que lorsque le manquement est constitué par l’absence de pièces justifiant l’engagement de l’établissement public par l’autorité compétente, les créances sur l’établissement ne sont pas certaines dans leur principe et il en résulte que leur paiement est indu ; que le caractère indu de paiements par un comptable public sans justification emporte l’existence d’un préjudice financier à l’organisme public concerné, résultant du manquement du comptable à ses obligations ;
Attendu que le comptable en question a effectué les paiements en cause sans pièce justificative ; que par suite, le manquement du comptable a causé un préjudice financier à la commune d’Ernée ;
Attendu qu’il n’est ni établi, ni même allégué par le comptable, aucune circonstance constitutive de la force majeure, au sens du premier alinéa du V de l’article 60 de la loi
n° 63-156 précitée ;
Attendu qu’il y a lieu de constituer M. X… débiteur de la commune d’Ernée de la somme de 42 904,89 € au titre de l’exercice 2013 et de la somme de 43 740,84 € au titre de l’exercice 2014 ;
Attendu qu’aux termes du paragraphe VIII de l’article 60 de la loi du 23 février 1963 précitée, « les débets portent intérêt au taux légal à compter du premier acte de la mise en jeu de la responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables publics », qu’en l’espèce, cette date est le 28 avril 2017, date de réception du réquisitoire par M. X… ;
Attendu qu’en application du IX de l’article 60 de la loi n° 63-156 précitée, les comptables publics dont la responsabilité personnelle et pécuniaire a été mise jeu, peuvent obtenir du ministre chargé du budget une remise gracieuse, qui peut être totale, en cas de respect des règles de contrôle sélectif des dépenses ;
Attendu qu’en application de l’article 4 de l’arrêté du 25 juillet 2013 portant application de l’article 42 du décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique et encadrant le contrôle sélectif de la dépense modifié, « le comptable assignataire détermine la durée d'application du plan de contrôle hiérarchisé. Cette durée, qui peut être pluriannuelle, doit être mentionnée dans le plan de contrôle » ;
Attendu que sur le contrôle sélectif des dépenses, le comptable a produit un plan de contrôle, signé par le comptable supérieur, applicable à partir de l’exercice 2011 ;
Attendu que le plan de contrôle produit ne mentionnait pas de durée d’application ;
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Attendu que l’arrêté du 25 juillet 2013 encadrant le contrôle sélectif de la dépense impose désormais la mention explicite de la durée des CHD, qu’à défaut d’une telle mise en conformité le plan de contrôle hiérarchisé de la dépense de la commune d’Ernée est devenu caduc de fait à la parution de l’arrêté précité (JO du 6 août 2013) ;
Attendu qu’ainsi les dépenses en question relevaient d’un plan de contrôle non valide au moment du paiement ;
Attendu, dans ces circonstances, que le comptable ne pourra prétendre à une remise gracieuse intégrale du débet, et que la somme laissée à sa charge sera au moins égale à 3 ‰ du montant du cautionnement du poste comptable, conformément au IX de l’article 60 de la loi n° 63-156 précitée ; soit, en l’espèce 453 € par exercice ;
Par ces motifs,
DÉCIDE :
Article 1er : En ce qui concerne M. X…, au titre de l’exercice 2013 (présomption de charge unique)
M. X… est constitué débiteur de la commune d’Ernée pour la somme de quarante-deux mille neuf cent quatre euros et quatre-vingt-neuf centimes (42 904,89 euros), augmentée des intérêts de droit à compter du 28 avril 2017.
Les paiements n’entraient pas dans une catégorie de dépenses faisant l’objet de règles de contrôle sélectif et devaient, par conséquent, faire l’objet d’un contrôle exhaustif. L’éventuelle remise gracieuse du ministre ne pourra ainsi être totale et la somme laissée à charge de M. X… ne pourra être inférieure à quatre cent cinquante-trois euros (453 €) au titre de l’exercice 2013.
Article 2 : En ce qui concerne M. X…, au titre de l’exercice 2014 (présomption de charge unique)
M. X… est constitué débiteur de la commune d’Ernée pour la somme de quarante-trois mille sept-cent quarante euros et quatre-vingt-quatre centimes (43 740,84 €), augmentée des intérêts de droit à compter du 28 avril 2017.
Les paiements n’entraient pas dans une catégorie de dépenses faisant l’objet de règles de contrôle sélectif et devaient, par conséquent, faire l’objet d’un contrôle exhaustif. L’éventuelle remise gracieuse du ministre ne pourra ainsi être totale et la somme laissée à charge de M. X… ne pourra être inférieure à quatre cent cinquante-trois euros (453 €) au titre de l’exercice 2014.
Article 3 : La décharge de Monsieur X… pour les exercices 2013 et 2014 ne pourra être donnée qu’après apurement des débets, fixés ci-dessus.
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Fait et jugé par M. Pierre-Jean ESPI, président de section, président de séance, MM. Etienne LE RENDU et Nicolas RENOU, premiers conseillers ;
En présence de Mme Marie-Andrée SUPIOT, greffière de séance.
Marie-Andrée SUPIOT |
Pierre-Jean ESPI |
En conséquence, la République française mande et ordonne à tous huissiers de justice, sur ce requis, de mettre ledit jugement à exécution, aux procureurs généraux et aux procureurs de la République près les tribunaux de grande instance d’y tenir la main, à tous commandants et officiers de la force publique de prêter main-forte lorsqu’ils en seront légalement requis.
6/6
Fait et jugé par M. Pierre-Jean ESPI, président de section, président de séance, MM. Etienne LE RENDU et Nicolas RENOU, premiers conseillers ;
En présence de Mme Marie-Andrée SUPIOT, greffière de séance.
Signé : Marie-Andrée SUPIOT, greffière de séance
Pierre-Jean ESPI, président de séance
En conséquence, la République française mande et ordonne à tous huissiers de justice, sur ce requis, de mettre ledit jugement à exécution, aux procureurs généraux et aux procureurs de la République près les tribunaux de grande instance d’y tenir la main, à tous commandants et officiers de la force publique de prêter main-forte lorsqu’ils en seront légalement requis.
Ampliation certifiée conforme à l’original
Christophe GUILBAUD |
En application des articles R. 242-19 à R. 242-21 du code des juridictions financières, les jugements prononcés par la chambre régionale des comptes peuvent être frappés d’appel devant la Cour des comptes dans le délai de deux mois à compter de la notification, et ce selon les modalités prévues aux articles R. 242-22 à R. 242-24 du même code. Ce délai est prolongé de deux mois pour les personnes domiciliées à l’étranger. La révision d’un jugement peut être demandée après expiration des délais d’appel, et ce dans les conditions prévues à l’article R. 242-29 du même code.
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