- Formation plénière -
Jugement n° 2017-0010
Audience publique du 1er juin 2017 Jugement prononcé le 6 juillet 2017
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CENTRE HOSPITALIER DE SEURRE (Département de la Côte-d’Or) CENTRE DES FINANCES PUBLIQUES DE SEURRE
Exercice 2014
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RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LA CHAMBRE RÉGIONALE DES COMPTES BOURGOGNE-FRANCHE-COMTÉ,
VU le code des juridictions financières ;
VU le code général des collectivités territoriales ;
VU l’article 60 de la loi de finances n° 63-156 du 23 février 1963 modifié portant loi de finances pour 1963, dans sa rédaction issue de l’article 90 de la loi n° 2011-1978 du 28 décembre 2011 portant loi de finances rectificative pour 2011 ;
VU la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière ;
VU le décret n° 90-693 du 1er août 1990 relatif à l’attribution d’une indemnité de sujétions spéciales aux personnels de la fonction publique hospitalière, ensemble le décret n° 92-4 du 2 janvier 1992 portant attribution d’une prime d’encadrement à certains agents de la fonction publique hospitalière et l’arrêté du 23 avril 1975 relatif à l’attribution d’une prime spéciale de sujétion et prime forfaitaire aux aides-soignants ainsi que les décrets relatifs à la Nouvelle Bonification Indiciaire (NBI) dans le secteur hospitalier ;
VU le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique ;
VU le décret n° 2012-1386 du 10 décembre 2012 portant application du deuxième alinéa du VI de l’article 60 de la loi de finances modifié ;
VU les textes législatifs et réglementaires relatifs à la comptabilité des hôpitaux ;
VU les comptes rendus en qualité de comptable du centre hospitalier de Seurre, pour l’exercice 2014, par Mme X ..., comptable du 2 septembre 2013 au 31 décembre 2014 ;
VU le réquisitoire n° 2016-042 du 17 novembre 2016, par lequel le procureur financier a saisi la chambre régionale des comptes Bourgogne-Franche-Comté d’une présomption de charge unique à l’encontre du comptable en fonctions, au titre de l’exercice 2014 ;
VU la décision n° 2016-20 du président de la chambre régionale des comptes Bourgogne-Franche-Comté en date du 21 novembre 2016 désignant M. Samuel GOUGEON, premier conseiller, pour instruire les suites à donner au réquisitoire du ministère public ;
VU la notification en date du 30 novembre 2016 au comptable et à l’ordonnateur du réquisitoire précité ;
VU les justifications produites au soutien des comptes ou communiquées au cours de l’instruction ;
VU le rapport n° 17-046 en date du 20 avril 2017 de M. Samuel GOUGEON, premier conseiller, magistrat chargé de l’instruction ;
VU les conclusions n° 2017-046 du procureur financier en date du 21 avril 2017 ;
VU les lettres du 19 mai 2017 informant les parties de la clôture de l'instruction et de la date fixée pour l'audience publique ;
ENSEMBLE les pièces à l’appui ;
ENTENDU, lors de l’audience publique du 1er juin 2017, M. Samuel GOUGEON, premier conseiller, en son rapport, M. Jérôme DOSSI, procureur financier, en ses conclusions ; le comptable et l’ordonnateur n’étant ni présents à l’audience, ni représentés ;
Après avoir entendu en délibéré M. Christophe CANTON, premier conseiller, réviseur, en ses observations, hors la présence du rapporteur et du procureur financier ;
Sur la présomption de charge unique soulevée à l’encontre du comptable et sa responsabilité personnelle et pécuniaire, au titre de l’exercice 2014
ATTENDU que, par réquisitoire du 17 novembre 2016 le procureur financier a saisi la chambre régionale des comptes Bourgogne-Franche-Comté d’une présomption de charge unique portant sur le paiement, au cours de l’exercice 2014, de plusieurs indemnités et bonifications indiciaires à trois agents du centre hospitalier de Seurre, soit :
- à Mme Y ..., aide-soignante de classe normale, 555,60 € au titre de la nouvelle bonification indiciaire (NBI), 1 785,29 € au titre de la prime de sujétion, 1 511,60 € au titre de l’indemnité spécifique de service (ISS) et 1 509,17 € au titre de la prime de service, soit 5 361,66 € au total ;
- à Mme Z ..., animatrice socio-culturelle classée au deuxième échelon de son grade, 1 620,41 € au titre de l’ISS et 751,82 € au titre de la prime de service, soit 2 372,23 € au total ;
- à Mme A ..., cadre responsable d’unité de soins, infirmière cadre de santé paramédicale, 555,60 € au titre de la NBI, 1 080,00 € au titre de la prime spécifique, 1 094,64 € au titre de la prime d’encadrement, 2 326,68 € au titre de l’ISS et 2 048,50 € au titre de la prime de service, soit 7 105,42 € au total ;
ATTENDU que l'article 19 du décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 susvisé dispose que le comptable public est tenu d’exercer le contrôle « 2° s’agissant des ordres de payer : […] d) de la validité de la dette dans les conditions prévues à l’article 20 » ; que ce dernier précise que « le contrôle des comptables publics sur la validité de la dette porte sur : […] 2° l’exactitude de la liquidation ; 3° l’intervention des contrôles préalables prescrits par la réglementation […] 5° la production des pièces justificatives […] » ;
ATTENDU que, selon l’annexe I de l’article D. 1617-19 du code général des collectivités territoriales fixant la liste des pièces justificatives des paiements des collectivités locales, ladite liste étant applicable aux établissements publics de santé, le comptable était tenu d’exiger, notamment en ce qui concerne les primes et indemnités (§ 220223) et la nouvelle bonification indiciaire (§ 220222) une décision individuelle d’attribution du directeur ;
ATTENDU que le comptable concerné, Mme X ..., n’a pu présenter aucune pièce justificative pour le paiement, en 2014, des divers compléments de rémunération précédemment mentionnés ; que si des décisions en date du 15 mars 2017 attribuant avec effet rétroactif des points de NBI aux agents concernés ont été produites en cours de contrôle, cette régularisation ne peut avoir pour effet de dégager la responsabilité du comptable public, laquelle s’apprécie à la date de prise en charge de la dépense ;
ATTENDU, par ailleurs, qu’en l’absence de toute pièce justificative, le comptable public n’était pas non plus en mesure d’exercer le contrôle de l’exactitude de la liquidation de la dépense ;
ATTENDU qu’il résulte de l’ensemble de ce qui précède que, confronté à l’impossibilité de s’assurer de la validité de la dette du centre hospitalier, le comptable aurait dû suspendre le paiement et demander des justifications adéquates à l’ordonnateur ; qu’en prenant en charge les paiements en cause dans ces conditions, Mme X ... a engagé sa responsabilité personnelle et pécuniaire ;
Sur l’existence d’un préjudice financier pour le centre hospitalier de Seurre
ATTENDU que l’article 60 VI alinéa 3 de la loi du 23 février 1963 susvisée dispose que « lorsque le manquement du comptable aux obligations mentionnées au I a causé un préjudice financier à l’organisme public concerné […] le comptable a l’obligation de verser immédiatement de ses deniers personnels la somme correspondante » ;
ATTENDU qu’appelé à faire valoir son point de vue sur l’existence d’un préjudice financier, l’ordonnateur a estimé que le centre hospitalier n’avait pas subi de préjudice financier du fait des paiements en cause sans toutefois préciser les motifs de cette affirmation permettant d’en apprécier le bien-fondé ;
ATTENDU, en tout état de cause, que le constat de l’existence ou non d’un préjudice financier, au sens des dispositions précitées, relève de l’appréciation du juge des comptes ; qu’au regard du caractère contradictoire de la procédure, s’il y a lieu de tenir compte des dires et actes éventuels des parties, le juge des comptes n’est pas lié par ceux-ci ;
ATTENDU que le préjudice financier résulte, en premier lieu, d'une perte provoquée par une opération de décaissement ou un défaut de recouvrement d'une recette, donnant lieu à une constatation dans la comptabilité de l'organisme et se traduisant par un appauvrissement patrimonial définitif de la personne publique ; que le paiement des compléments de rémunération susmentionnés constitue un appauvrissement du patrimoine du centre hospitalier ; qu’en seconde lieu, à défaut de présentation des arrêtés individuels justifiant cette dépense, celle-ci ne repose sur aucun engagement juridique valide ; que dès lors, la dette du centre hospitalier étant dépourvue de caractère certain, les paiements en cause ont, du seul fait de leur caractère indu, entraîné un préjudice financier pour l’établissement ;
Sur le lien de causalité entre le manquement du comptable et le préjudice financier
ATTENDU que le comptable public ne peut qu’être considéré comme responsable du préjudice financier résultant du paiement des compléments de rémunération susmentionnés en tant qu’il avait l’obligation de ne pas procéder à leur paiement avant de s’assurer de la validité de la dette de l’établissement ; qu’en conséquence le lien de causalité entre le manquement observé et le préjudice financier pour le centre hospitalier de Seurre est établi ;
ATTENDU qu’il y a lieu, par voie de conséquence, de constituer Mme X ... débitrice du centre hospitalier de Seurre en application des dispositions précédemment rappelées de la loi du 23 février 1963 ;
Sur le débet à prononcer
ATTENDU que le préjudice financier subi par le centre hospitalier de Seurre correspond au montant des indemnités versées à tort, soit 14 839,31 € au titre de l’exercice 2014 ;
ATTENDU qu’aux termes du VIII de l’article 60 de la loi du 23 février 1963 susvisée, « les débets portent intérêt au taux légal à compter du premier acte de la mise en jeu de la responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables publics » ; qu’en l’espèce, le premier acte de la mise en jeu de la responsabilité personnelle et pécuniaire du comptable est celle à laquelle le réquisitoire susvisé lui a été notifié, soit le 1er décembre 2016 ;
Sur le respect du contrôle sélectif de la dépense
ATTENDU qu’aux termes du paragraphe IX alinéa 2 de l’article 60 de la loi du 23 février 1963, « les comptables publics dont la responsabilité personnelle et pécuniaire a été mise en jeu dans les cas mentionnés au troisième alinéa du même VI peuvent obtenir du ministre chargé du budget la remise gracieuse des sommes mises à leur charge. Hormis le cas de décès du comptable ou de respect par celui-ci, sous l'appréciation du juge des comptes, des règles de contrôle sélectif des dépenses, aucune remise gracieuse totale ne peut être accordée […] » ;
ATTENDU que si, selon le comptable public, les paiements concernés étaient couverts par le plan de contrôle hiérarchisé de la dépense pour 2010 reconduit jusqu’en 2014, aucune pièce n’établit que ce dispositif de contrôle sélectif de la dépense avait été validé par la direction des finances publiques compétente ; qu’à le supposer applicable en 2014, les contrôles sur la paie qu’appelle ce plan de contrôle n’ont pas été formalisés ; qu’en l’état de l’affaire, le respect par le comptable public des règles d’un dispositif de contrôle sélectif de la dépense ne peut, en conséquence, être établi ; que, par suite, le débet mis à la charge de Mme X ... par le présent jugement ne saurait faire l’objet d’une remise gracieuse totale ; que, compte tenu du montant du cautionnement du poste comptable, soit 110 000 € pour l’exercice 2014, une somme minimale de 330 € représentant trois millièmes de ce cautionnement devra être laissée à sa charge ;
PAR CES MOTIFS,
DÉCIDE :
Article 1er : Mme X ... est constituée débitrice du centre hospitalier de Seurre, au titre de l’exercice 2014, pour la somme de 14 839,31 €, augmentée des intérêts de droit, à compter du 1er décembre 2016 ;
Article 2 : Pour l’application du paragraphe IX alinéa 2 de l’article 60 modifié de la loi du 23 février 1963 susvisée, le montant de la remise gracieuse qui pourra lui être accordée au titre du débet prononcé à l’article 1 ci-dessus, devra comporter un laisser à charge qui ne pourra être inférieur à 330 € ;
Article 3 : Mme X ... ne pourra être déchargée de sa gestion, au titre de l’exercice 2014, qu’après apurement du débet prononcé à l’article 1 ci-dessus.
Fait et jugé à la chambre régionale des comptes Bourgogne-Franche-Comté, réunie en formation plénière, le premier juin deux mille dix-sept.
M. Pierre VAN HERZELE, président,
Mme Dominique SAINT CYR, présidente de section,
M. Nicolas ONIMUS, président de section,
M. Vladimir DOLIQUE, premier conseiller,
M. Christophe CANTON, premier conseiller, réviseur.
Signé : Mireille GRÉGOIRE, greffière et Pierre VAN HERZELE, président de la chambre régionale des comptes Bourgogne-Franche-Comté.
Collationné, certifié conforme à la minute déposée au greffe de la chambre régionale des comptes Bourgogne-Franche-Comté.
La secrétaire générale,
Marie-Christine MEYER
En conséquence, la République française mande et ordonne à tous huissiers de justice, sur ce requis, de mettre ledit jugement à exécution, aux procureurs généraux et aux procureurs de la République près les tribunaux de grande instance d’y tenir la main, à tous commandants et officiers de la force publique de prêter main-forte lorsqu’ils en seront légalement requis.
Voies et délais de recours
La présente décision juridictionnelle peut être déférée en appel devant la Cour des comptes, dans un délai de deux mois à compter de la date de sa notification (articles L. 242-6 et R. 242‑19 à 28 du code des juridictions financières).
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