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Audience publique du 13 septembre 2017

 

Prononcé du 2 octobre 2017

 

Jugement n° 2017-0010

 

 

 

 

Centre hospitalier de Troyes

 

Poste comptable :
Centre des finances publiques de Troyes

 

Exercice : 2014

 

 

 

RÉPUBLIQUE FRANçAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANçAIS

 

 

La chambre régionale des comptes Grand Est,

 

 

Vu la lettre du 3 août 2016 informant le comptable de la trésorerie du centre hospitalier de Troyes de l’ouverture du contrôle des comptes de cet organisme ;

 

Vu le réquisitoire n° 2017-09 du 21 mars 2017 du procureur financier près la chambre régionale des comptes Grand Est, notifié par lettres du 29 mars 2017, à Mme Martine X, comptable public, et à M. Philippe Y, directeur du centre hospitalier de Troyes ;

 

Vu les lettres du 4 avril 2017 invitant Mme Martine X et M. Philippe Y à faire part de leurs observations et à produire toutes pièces utiles ;

 

Vu le courriel du 30 mars 2017 adressé au greffe de la juridiction par lequel Mme Martine X a demandé que lui parviennent les pièces du dossier relatives au réquisitoire n° 2017-09 du 21 mars 2017 ;

 

Vu le courriel du greffe de la juridiction, via l’adresse correspondancejf, dans lequel a été mis à la disposition de Mme Martine X l’ensemble des pièces du dossier sous format dématérialisé ;

 

Vu les accusés de réception attestant des téléchargements de ces fichiers par Mme Martine X et parvenus au greffe les 4 et 5 avril 2017 ;

 

Vu les observations et les pièces fournies par courrier de M. Philippe Y, en date du 18 avril 2017 ;

 

Vu les observations et les pièces fournies par courrier de Mme Martine X, en date du 20 avril 2017 ;

 

Vu le rapport n° 2017/0094 du 27 juin 2017 de M. Henri MENNECIER, premier conseiller, chargé de l'instruction ;

 

Vu les conclusions n° 0094/2017 du 17 juillet 2017 de M. Thierry FARENC, procureur financier ;

 

Vu les lettres du 21 juillet 2017 informant les parties de la clôture de l'instruction ;

 

Vu les lettres du 25 août les informant de l'inscription de l'affaire à l'audience publique ;

 

Vu les autres pièces du dossier ;

 

Vu le code général des collectivités territoriales, notamment son article D. 1617-19 ;

 

Vu l'annexe I du code général des collectivités territoriales, et notamment ses rubriques n° 220223 et 220224 ;

 

Vu le code des juridictions financières, notamment ses articles L. 242-1 à L. 242-8 ;

 

Vu l'article 60 de la loi n° 63-156 du 23 février 1963 portant loi de finances pour 1963 ;

 

Vu le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique, notamment ses articles 19 et 20 ;

 

Vu le décret n° 2012-1386 du 10 décembre 2012 portant application du deuxième alinéa du VI de l'article 60 de la loi de finances de 1963 ;

 

Vu le décret n° 92-4 du 2 janvier 1992, portant attribution d’une prime d’encadrement à certains agents de la fonction publique hospitalière et plus précisément son article 1er prévoyant les dispositions relatives à la prime d’encadrement versée à certains personnels non médicaux ;

 

Vu l'arrêté du 30 avril 2003 relatif à l'organisation et à l'indemnisation de la continuité des soins et de la permanence pharmaceutique dans les établissements publics de santé et dans les établissements publics d'hébergement pour personnes âgées dépendantes ;

 

Entendus à l'audience publique du 13 septembre 2017, M. Henri MENNECIER, premier conseiller, en son rapport, puis M. Thierry FARENC, procureur financier, en ses conclusions ; Mme Martine X et le directeur en fonctions du centre hospitalier de Langres, dûment informés de la tenue de l'audience, n'étaient ni présents, ni représentés ;

 

Sur la première charge : paiement de rémunérations accessoires : « prime d’encadrement » au personnel non médical pour un montant total de 75 900,45 €, en l'absence des décisions individuelles d'attribution du directeur – exercice 2014

 

Sur l’existence d’un manquement du comptable à ses obligations :

 

1.                  Considérant que le I de l'article 60 de la loi du 23 février 1963, visée ci-dessus, dispose que « [...] les comptables publics sont personnellement et pécuniairement responsables des contrôles qu'ils sont tenus d'assurer en matière [...] de dépenses [...] dans les conditions prévues par le règlement général sur la comptabilité publique. [...] La responsabilité personnelle et pécuniaire prévue ci-dessus se trouve engagée dès lors [...] qu'une dépense a été irrégulièrement payée [...] » ; qu'aux termes de l'article 19 du décret du 7 novembre 2012 visé ci-dessus, « Le comptable public est tenu d'exercer le contrôle : [...] 2° S'agissant des ordres de payer : [...] d) de la validité de la dette dans les conditions prévues à l'article 20 » ; qu'aux termes de l'article 20 du même décret, « le contrôle des comptables publics sur la validité de la dette porte sur : [...] La production des pièces justificatives » ;

 

2.                  Considérant qu'aux termes de l'article D. 1617-19 du code général des collectivités territoriales dans sa rédaction applicable au moment des paiements en cause : « Avant de procéder au paiement d'une dépense ne faisant pas l’objet d’un ordre de réquisition, les comptables publics des collectivités territoriales [...] ne doivent exiger que les pièces justificatives prévues pour la dépense correspondante dans la liste définie à l'annexe I du présent code » ;

 

3.                  Considérant qu'en application de la rubrique n° 220223 de cette annexe l, le comptable doit notamment exiger, à l'appui du paiement des primes et indemnités du personnel non médical, la « [...] décision individuelle d'attribution prise par le directeur de l'établissement ou, pour les agents contractuels, mention au contrat » ;

 

4.                  Considérant que dans son réquisitoire visé ci-dessus, le procureur financier a relevé que des primes d’encadrement prévues par l'article 1 décret n° 92-4 du 2 janvier 1992 relatif à l'attribution d'une prime d’encadrement aux cadres de santé ont été versées pour un montant de 75 900,45 € à certains personnels non médicaux, en l'absence de toute décision individuelle d'attribution ;

 

5.                  Considérant que le comptable argue, dans sa réponse, du caractère obligatoire de la prime d’encadrement prévue par le décret du 2 janvier 1992 précité, complété par l'arrêté du 2 janvier 1992 fixant le montant de la prime à verser à chaque corps et grade, imposant à l’ordonnateur le versement de ladite prime aux personnels concernés sans faculté, pour ce dernier, d’en moduler l’octroi ou la liquidation ; qu’en outre, le caractère obligatoire de la prime d’encadrement rend superfétatoire la nécessité, pour l’ordonnateur, de prendre une décision individuelle d’attribution compte tenu de l’absence de valeur ajoutée d’une telle décision individuelle par rapport aux dispositions réglementaires, ainsi que de la charge de travail induite par la constitution de ces documents, dans un contexte de recherche de productivité des équipes accrue par une réduction d’effectifs ;

 

6.                  Considérant que le comptable complète son argumentation en affirmant qu’en présence d’un conflit entre deux décrets de même rang dans la hiérarchie des normes, le décret spécifique prime sur le décret généraliste ; qu’en l’espèce, le décret du 2 janvier 1992 précité prime ainsi sur le décret n° 2007-450 du 25 mars 2007 codifié à l’article D. 1617-19 du code général des collectivités territoriales dont l’annexe I prévoit les pièces justificatives des dépenses publiques locales ;

 

7.                  Considérant que le comptable indique que l’ordonnateur a pris, le 14 avril 2017, une décision d’attribution individuelle collective de régularisation pour 2014 ;

 

8.                  Considérant que l’ordonnateur reprend dans les mêmes termes les arguments énoncés par le comptable ; qu’il indique avoir opéré une régularisation au moyen de décisions collectives pour les exercices 2014, 2015 et 2016 et par la prise des dispositions requises par la rubrique n° 220223 précitée à compter de 2017 et pour l’avenir ;

 

9.                  Considérant que le comptable ajoute que la décision individuelle d’attribution n’est à produire qu’à l’appui du premier paiement de rémunération accessoire ; que l’obligation de production de cette pièce justificative ne vaut donc que pour les trois personnels, bénéficiaires de la prime d’encadrement, recrutés au cours de l’exercice ainsi jugé par le juge des comptes ;

 

10.              Considérant toutefois qu’il n’est pas contesté, ni par le comptable, ni par l’ordonnateur, l’inexistence, au moment du premier paiement, des décisions individuelles d’attribution de la prime d’encadrement aux agents qui l’ont effectivement perçue ; que le contrôle du juge des comptes sur un exercice ne porte pas seulement sur les dépenses nouvelles de l’exercice, mais sur l’ensemble des dépenses afférentes à cet exercice, y compris lorsque leur premier paiement est intervenu antérieurement, ce qui ne limite donc pas, en l’espèce, le contrôle du juge des comptes aux trois recrutements précités de l’exercice 2014 ;

 

11.              Considérant en outre que le caractère obligatoire du versement de la prime d’encadrement ne dispense pas le paiement de cette dépense du contrôle de la validité de la dette prévu à l’article 20 du décret du 7 novembre 2012 précité ; que, contrairement à ce qu’affirment le comptable et l’ordonnateur, les décrets du 2 janvier 1992 et du 25 mars 2007 précités, n’ayant pas le même objet, ne sauraient se contredire, l’un fondant juridiquement le régime des primes d’encadrement tandis que l’autre précise les modalités comptables de leur ordonnancement et de leur mise en paiement ;

 

12.              Considérant que la régularisation postérieure opérée par l’ordonnateur est sans effet sur l’absence de contrôle, par le comptable, de la validité de la dette alléguée par le réquisitoire du 21 mars 2017 du procureur financier près la chambre régionale des comptes Grand Est ;

 

13.              Considérant que les pièces justificatives prévues par la rubrique n° 220223 de l'annexe I de l’article D. 1617-19 du code général des collectivités territoriales n’ont pas été produites ; qu’en payant, au cours de l’exercice 2014, la prime d’encadrement sans disposer, au moment du paiement des mandats en cause, des justificatifs prévus par ladite rubrique, Mme Martine X, comptable public, a commis un manquement de nature à engager sa responsabilité personnelle et pécuniaire ;

 

14.              Considérant qu'aux termes du V de l'article 60 de la loi n° 63-156 du 23 février 1963 de finances pour 1963, « Lorsque […] le juge des comptes constate l'existence de circonstances constitutives de la force majeure, il ne met pas en jeu la responsabilité personnelle et pécuniaire du comptable public » ; que la force majeure est constituée par un événement imprévisible, irrésistible et extérieur ; qu'en l'espèce, le comptable ne mentionne aucun élément constitutif de la force majeure ;

 

15.              Considérant, en conséquence, que la responsabilité personnelle et pécuniaire de Mme Martine X, comptable public, est engagée sur le fondement des dispositions du I de l'article 60 de la loi du 23 février 1963 précitée ;

 

Sur l’existence d’un préjudice financier :

 

16.              Considérant qu'aux termes du VI de l'article 60 de la loi n° 63-156 du 23 février 1963 : « Lorsque le manquement du comptable aux obligations mentionnées au I n'a pas causé de préjudice financier à l'organisme public concerné, le juge des comptes peut l'obliger à s'acquitter d'une somme arrêtée, pour chaque exercice, en tenant compte des circonstances de l'espèce. Le montant maximal de cette somme est fixé par décret en Conseil d'Etat en fonction du niveau des garanties mentionnées au Il. Lorsque le manquement du comptable aux obligations mentionnées au I a causé un préjudice financier à l'organisme public concerné […], le comptable a l'obligation de verser immédiatement de ses deniers personnels la somme correspondante » ;

 

17.              Considérant que le comptable et l’ordonnateur arguent du caractère obligatoire de la prime d’encadrement, sans qu’il soit possible pour l’ordonnateur d’en moduler l’octroi ou la liquidation ; que, sur ce fondement, le comptable réfute l’existence d’un préjudice financier dans ses observations, à l’appui desquelles elle mentionne la jurisprudence Grand Port Maritime de Rouen (Conseil d’Etat, arrêt n° 397924 du 22 février 2017 CTPM de Rouen, Tables) indiquant notamment que, « pour déterminer si le paiement irrégulier d'une dépense par un comptable public a causé un préjudice financier à l'organisme public concerné, il appartient au juge des comptes d'apprécier si la dépense était effectivement due et, à ce titre, de vérifier notamment qu'elle n'était pas dépourvue de fondement juridique » ; que le comptable estime que le versement de la prime d’encadrement constitue une dépense due, sur le fondement de l’article 1er du décret 92-4 du 2 janvier 1992 susvisé ;

 

18.              Considérant cependant que si le décret du 2 janvier 1992 autorise le versement de la prime d’encadrement aux agents qui y sont éligibles, ceux-ci le sont à raison des fonctions qu’ils exercent, non à raison de leur grade ou de leur corps ; qu’il appartient ainsi à l'ordonnateur de désigner les agents qui exercent les fonctions énumérées à l’article 1er du dudit décret ; que, dès lors, le fondement juridique du versement de la prime d’encadrement ne peut être limité au seul décret du 2 janvier 1992, mais requiert également la transmission au comptable des décisions individuelles d’attribution, seule catégorie d’actes permettant au comptable de s’assurer que les bénéficiaires de la prime d’encadrement exercent réellement les fonctions énumérées l’article 1er dudit décret ;

 

19.              Considérant qu’en l’absence des décisions individuelles d’attribution, la dépense constituée par le paiement de la prime d’encadrement doit être regardée comme dépourvue de fondement juridique ; qu’en conséquence, cette dépense était indue ; que tout paiement indu est constitutif d’un préjudice financier pour l’organisme payeur ;

 

20.              Considérant ainsi qu’en procédant à ce paiement, le comptable a causé un préjudice financier au centre hospitalier de Troyes ; qu'en application du VI de l'article 60 de la loi du 23 février 1963 précité, Mme Martine X est donc constituée débiteur à l'encontre du centre hospitalier de Troyes, pour un montant de 75 900,45  ;

 

21.              Considérant qu'aux termes du VIII de l'article 60 de la loi du 23 février 1963, le débet porte intérêt au taux légal à compter du premier acte de la mise en jeu de la responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables publics ; qu'en l'occurrence, le point de départ du calcul des intérêts est fixé au 30 mars 2017, date à laquelle Mme Martine X a accusé réception du réquisitoire ;

 

22.              Considérant qu'aux termes du IX de l'article 60 de la loi n° 63-156 du 23 février 1963 : « Les comptables publics dont la responsabilité personnelle et pécuniaire a été mise en jeu dans les cas mentionnés au deuxième alinéa du VI ne peuvent obtenir du ministre chargé du budget la remise gracieuse des sommes mises à leur charge. Les comptables publics dont la responsabilité personnelle et pécuniaire a été mise en jeu dans les cas mentionnés au troisième alinéa du même VI peuvent obtenir du ministre chargé du budget la remise gracieuse des sommes mises à leur charge. Hormis le cas de décès du comptable ou de respect par celui-ci, sous l'appréciation du juge des comptes, des règles de contrôle sélectif des dépenses, aucune remise gracieuse totale ne peut être accordée au comptable public dont la responsabilité personnelle et pécuniaire a été mise enjeu par le juge des comptes, le ministre chargé du budget étant dans l'obligation de laisser à la charge du comptable une somme au moins égale au double de la somme mentionnée au deuxième alinéa dudit VI » ;

 

23.              Considérant que la prime d’encadrement payée en 2014 par le comptable du centre hospitalier ne faisait pas partie du contrôle hiérarchisé de la dépense (CHD) 2014 ; que dès lors le comptable était tenu d’opérer de manière exhaustive tous les contrôles réglementaires ; que, le cas échéant, la somme laissée à la charge de Mme Martine X par le ministre chargé du budget ne pourra donc être inférieure à trois pour mille du montant du cautionnement prévu pour le poste comptable ;

 

Sur la deuxième charge : paiement de rémunérations accessoires relatives à la réalisation de temps de travail additionnel par le personnel médical pour un montant total de 138 480,29 €, en l'absence de production des états quadrimestriels récapitulant ces temps de travail  — exercice 2014

 

Sur l’existence d’un manquement du comptable à ses obligations :

 

24.              Considérant qu'aux termes des articles 20 et 21 de l'arrêté du 30 avril 2003 relatif à l'organisation et à l'indemnisation de la continuité des soins et de la permanence pharmaceutique dans les établissements publics de santé et dans les établissements publics d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, le directeur établit un état mensuel pour la participation à la permanence des soins et un état récapitulatif des temps de travail additionnels chaque quadrimestre ;

 

25.              Considérant que la rubrique n° 220224 « service de permanence (personnels médicaux) » de l'annexe I de l'article D. 1617-19 du code général des collectivités territoriales prévoit, dans sa rédaction applicable au cours de l’exercice 2014, que le paiement des rémunérations du personnel médical doit être accompagné de « l'état récapitulatif périodique » et du « tableau mensuel de service (annexe H) annoté des modifications apportées et arrêté par le directeur comme état des services faits » ; que l'annexe H précise : « Le tableau mensuel de service mentionne explicitement, pour chaque mois, le détail des périodes de temps de travail de jour et de nuit et d'astreinte à domicile, en précisant à chaque fois le nom et la qualité du praticien qui en est chargé, qu'il soit personnel enseignant et hospitalier, praticien hospitalier, praticien à temps partiel, assistant, praticien contractuel, praticien adjoint contractuel ou attaché » ; que le comptable doit dès lors exiger, à l'appui du paiement des primes et indemnités du personnel médical, les tableaux de service dûment renseignés et les états périodiques permettant d'attester du service fait et du décompte des droits à indemnisation des praticiens ;

 

26.              Considérant que, dans son réquisitoire du 21 mars 2017 susvisé, le procureur financier a relevé que des temps de travail additionnels ont été payés à des médecins de l'établissement, en l'absence de décompte de ces temps additionnels sur les tableaux de service récapitulant le temps de travail des médecins et en l'absence d'états quadrimestriels, pour un montant de 138 480,29  ;

 

27.              Considérant que le comptable et l’ordonnateur rappellent, dans leurs réponses, que le décret du 25 mars 2007 susvisé fixant la liste des pièces justificatives des dépenses publiques locales, dans sa rubrique n° 220224 relative au service de permanence des personnels médicaux, fixe comme pièces justificatives obligatoires un état récapitulatif périodique et le tableau mensuel de service ; qu’ils précisent que pour l'état récapitulatif, le décret ne fixe ni périodicité, ni forme particulière, et qu’en conséquence cet état récapitulatif ne peut être assimilé stricto sensu à l'état quadrimestriel visé dans l'arrêté du 30 avril 2003 précité ;

 

28.              Considérant que l’ordonnateur complète sa réponse en précisant que, depuis l’année 2016, sont transmis au comptable à l'appui du temps additionnel des médecins, chaque mois, un tableau récapitulatif du temps additionnel mandaté et, chaque quadrimestre, un état récapitulatif du temps de travail additionnel définitif, pour chaque service et pour chaque médecin, appuyé des tableaux mensuels de service définitifs du quadrimestre ; que, dans sa réponse, le comptable évoque également cette régularisation des pratiques de l’ordonnateur, et l’attribue à l’inscription du contrôle de la paye dans le thème national de contrôle hiérarchisé de la dépense de la direction générale des finances publiques en 2016 ;

 

29.              Considérant, en premier lieu, que ni le comptable, ni l’ordonnateur, ne produisent à l’appui de leurs observations un état périodique attestant le temps de travail additionnel réalisé par les personnels médicaux et justifiant le versement à ces derniers d’indemnités pour temps de travail additionnel au cours de l’exercice 2014 ;

 

30.              Considérant, en deuxième lieu, que les articles 20 et 21 de l’arrêté du 30 avril 2003 précité concernent « les indemnités de sujétion et les indemnités de garde » d’une part, qui sont versés mensuellement après constatation des périodes de permanence des soins effectuées, et « les indemnités pour temps de travail additionnel » d’autre part, versés au terme de chaque quadrimestre ; qu’en application de ces articles, l’ordonnateur produit chaque mois un état périodique relatif aux périodes de permanence de soins effectuées par les personnels médicaux et, au terme de chaque quadrimestre, un état récapitulatif du temps de travail additionnel définitif ; que, dès lors, l’ordonnateur est conduit, au terme de chaque quadrimestre, à produire deux états périodiques, l’un mensuel, relatif à la permanence des soins du mois écoulé, l’autre quadrimestriel, permettant de vérifier la liquidation des temps de travail additionnel ; que, pour cette raison, l’annexe n° 220224 précitée prévoit la production du tableau de service mensuel et d’un état récapitulatif périodique, qui est soit mensuel pour les indemnités liées à la permanence des soins, soit quadrimestriel pour celles relatives au temps de travail additionnel ;

 

31.              Considérant ainsi qu'en payant, au cours de l'exercice 2014, des indemnités de temps de travail additionnel à du personnel médical du centre hospitalier de Troyes pour un montant total de 138 480,29 €, sans disposer, au moment du paiement des mandats en cause, des justificatifs prévus à la rubrique n° 220224 de l'annexe I à l'article D. 1617-19 du code général des collectivités, Mme Martine X, comptable public, a commis un manquement de nature à engager sa responsabilité personnelle et pécuniaire ;

 

32.              Considérant qu'aux termes du V de l'article 60 de la loi n° 63-156 du 23 février 1963 de finances pour 1963, « Lorsque […] le juge des comptes constate l'existence de circonstances constitutives de la force majeure, il ne met pas en jeu la responsabilité personnelle et pécuniaire du comptable public » ; que la force majeure est constituée par un événement imprévisible, irrésistible et extérieur ; qu'en l'espèce, le comptable ne mentionne aucun élément constitutif de la force majeure ;

 

33.              Considérant, en conséquence, que la responsabilité personnelle et pécuniaire de Mme Martine X, comptable public, est engagée sur le fondement des dispositions du I de l'article 60 de la loi du 23 février 1963 précitée ;

 

Sur l’existence d’un préjudice financier :

 

34.              Considérant que le comptable et l’ordonnateur estiment, dans leurs réponses, qu’en liquidant et en ordonnançant cette dépense, l’ordonnateur reconnaît le service fait, qu’en signant le bordereau de mandat l’ordonnateur certifie le service fait ; qu’en conséquence cette dépense revêt un caractère obligatoire et n’est pas indue, de sorte que son paiement ne peut occasionner de préjudice financier à la collectivité ;

 

35.              Considérant que le comptable invoque le jugement n° 2015-0012 du 17 avril 2015 par lequel la chambre régionale des comptes Aquitaine Poitou-Charentes a jugé que la signature des bordereaux de mandats par l’ordonnateur ayant validé la rémunération des indemnités pour temps de travail additionnel, le manquement du comptable n’a pas causé de préjudice financier au centre hospitalier de Cadillac ;

 

36.              Considérant que l’ordonnateur fournit, à titre d’exemple pour illustrer l’absence d’un préjudice financier, des états quadrimestriels relatifs au temps de travail additionnel de personnels du centre hospitalier au cours de l’exercice 2014 ;

 

37.              Considérant toutefois, en premier lieu, que le manquement du comptable à ses obligations ne porte pas sur la justification du service fait dont le contrôle est prévu à l’article 20 du décret du 7 novembre 2012 susvisé, mais sur le contrôle de la production des pièces justificatives prévu au même article 20 dudit décret ; qu’en deuxième lieu, si la signature des bordereaux de mandats de paiements afférents témoigne de la volonté de l’ordonnateur d’effectuer une dépense, ni la certification du service fait, ni la signature des bordereaux de mandats par l’ordonnateur, ne sont de nature à démontrer l’absence de préjudice financier ;

 

38.              Considérant que le fait qu’une chambre régionale des comptes se soit prononcée ne doit pas conduire systématiquement une autre chambre régionale des comptes à adopter une solution identique, comme l’a notamment rappelé la Cour des comptes dans son arrêt  69810 du 14 mai 2014 Communauté de communes du Bellêmois ; que, dès lors, la chambre régionale des comptes Grand Est n’est pas tenue d’adopter une solution identique à celle retenue par la chambre régionale des comptes Aquitaine Poitou-Charentes dans son jugement n° 2015-0012 du 17 avril 2015 précité ;

 

39.              Considérant que les états quadrimestriels portant sur le temps de travail additionnel de personnels au cours de l’exercice 2014, produits par l’ordonnateur à titre d’exemple pour illustrer l’absence de préjudice financier, sont certes visés par l’arrêté du 30 avril 2003 précité, mais ne concernent pas les personnels dont le bénéfice d’indemnités de temps de travail additionnel est objet de cette deuxième charge ;

 

40.              Considérant ainsi qu’il demeure que l’ordonnateur devait produire les pièces justificatives prévues par la rubrique n° 220224 de l'annexe I de l'article D. 1617-19 du code général des collectivités, et que le comptable devait en exiger la production ; qu’en l’absence de ces pièces, le comptable n’était pas en mesure de contrôler la validité de la dette en vérifiant le solde des périodes de temps de travail additionnel ; qu’en l’absence des états quadrimestriels, le comptable ne pouvait vérifier que cette dépense était due ; que, dès lors, cette dépense doit être regardée comme indue ;

 

41.              Considérant que le comptable qui procède au paiement d'une prime ou indemnité, sans disposer, au moment du décaissement, des pièces justifiant leur versement, commet un manquement à ses obligations aboutissant à faire supporter une charge patrimoniale indue à l'organisme public concerné ; que tout paiement indu est constitutif d'un préjudice financier pour celui-ci ; qu'en procédant à ce paiement, le comptable a causé un préjudice financier à l'établissement ; qu'en application du VI de l'article 60 de la loi du 23 février 1963 précité, Mme Martine X, comptable public, a donc causé un préjudice financier au centre hospitalier de Troyes et est donc constituée débiteur à l'encontre de celui-ci, pour un montant de 138 480,29 € ;

 

42.              Considérant qu'aux termes du VIII de l'article 60 de la loi du 23 février 1963, le débet porte intérêt au taux légal à compter du premier acte de la mise en jeu de la responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables publics ; qu'en l'occurrence, le point de départ du calcul des intérêts est fixé au 30 mars 2017, date à laquelle Mme Martine X a accusé réception du réquisitoire ;

 

43.              Considérant que le versement d’indemnités pour la réalisation d’un temps de travail additionnel en 2014 par le comptable du centre hospitalier ne faisait pas partie du contrôle hiérarchisé de la dépense (CHD) 2014 : qu’en conséquence le comptable était tenu d’opérer de manière exhaustive tous les contrôles réglementaires ; que, le cas échéant, la somme laissée à la charge de Mme Martine X par le ministre chargé du budget ne pourra donc être inférieure à trois pour mille du montant du cautionnement prévu pour le poste comptable, conformément au IX de l'article 60 de la loi du 23 février 1963 précité ;

 

 

Par ces motifs, décide :

 

Article 1 : La responsabilité de Mme Martine X, comptable public, est engagée au titre de l'exercice 2014 pour le paiement irrégulier :

-          de primes d’encadrement à du personnel non médical à hauteur de 75 900,45   (première charge) ;

-          de primes de temps additionnel à du personnel médical pour 138 480,29 €  (deuxième charge)

 

Article 2 : Les manquements du comptable ayant causé un préjudice financier au centre hospitalier de Troyes, Mme Martine X, comptable public, est constitué débiteur :

-          pour un montant de soixante-quinze mille neuf cent euros et quarante-cinq centimes (75 900,45 €), somme augmentée des intérêts légaux à compter du 30 mars 2017 (première charge) ;

-          pour un montant de cent trente-huit mille quatre cent quatre-vingt euros et vingt-neuf centimes (138 480,29 €), somme augmentée des intérêts légaux à compter du 30 mars 2017 (deuxième charge).

 

Article 3 : Le plan de contrôle sélectif de la dépense n'ayant pas été respecté, une éventuelle remise gracieuse devra laisser à la charge du comptable une somme ne pouvant être inférieure à 3 0/00 du montant du cautionnement prévu pour le poste comptable, pour chacun des deux débets prononcés.

 

Article 4 : Il est sursis à décharge de Mme Martine X pour sa gestion au titre de l'exercice 2014 jusqu’à apurement de ses débets.

 

Article 5 : le présent jugement sera notifié à Mme Martine X, comptable public, au directeur du centre hospitalier de Troyes, ordonnateur, ainsi qu'au ministère public près la chambre.

 

Fait et jugé à la chambre régionale des comptes Grand Est, hors la présence du rapporteur et du procureur financier, le treize septembre deux mille dix-sept, par M. Dominique ROGUEZ, président de la chambre, président de séance, Mme Laurence MOUYSSET, M. Franck DAURENJOU, présidents de section, Mmes Axelle TOUPET et Anne-Claude HANS, M. Thomas GROS, Mme Sophie SIMON, premiers conseillers, MM. Mathieu MARCEAU et William AUGU, conseillers.

 

 

La greffière de séance,

 

 

Signé

 

Carine COUNOT

 

 

Le président de la chambre,

président de séance,

 

Signé

 

Dominique ROGUEZ

 

 

La République française mande et ordonne à tous huissiers de justice, sur ce requis, de mettre ledit jugement à exécution, aux procureurs généraux et aux procureurs de la République près les tribunaux de grande instance d'y tenir la main, à tous commandants et officiers de la force publique de prêter main forte lorsqu'ils seront légalement requis.

 

En foi de quoi, le présent jugement a été signé par le président de la chambre régionale des comptes Grand Est et par la secrétaire générale.

 

 

La secrétaire générale,

 

Signé

 

Juliette FOURES

Le président de la chambre,

 

Signé

 

Dominique ROGUEZ

 

 

 

 

 

 

En application des articles R. 242-19 à R. 242-24 du code des juridictions financières, les jugements prononcés par la chambre régionale des comptes peuvent être frappés d’appel devant la Cour des comptes dans le délai de deux mois à compter de leur notification selon les modalités prévues aux articles R. 242-22 à R. 242-24 du même code.

3-5 rue de la Citadelle - 57000  METZ T 03 54 22 30 49 – E-mail : grandest@crtc.ccomptes.fr