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Jugement n° 2017-0020
Audience publique du 11 octobre 2017
Prononcé du 15 novembre 2017 | COMMUNAUTE DE COMMUNES DU VAL DE MORTEAU
(Département du Doubs)
CENTRE DES FINANCES PUBLIQUES DE MORTEAU
Exercice 2013 |
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LA CHAMBRE RÉGIONALE DES COMPTES BOURGOGNE-FRANCHE-COMTE,
Vu le réquisitoire en date du 2 mars 2015, par lequel le procureur financier l’a saisi en vue de la mise en jeu de la responsabilité personnelle et pécuniaire de M. X ..., comptable de la communauté de communes du Val de Morteau au titre d’opérations relatives à l’exercice 2013, notifié le 20 mars 2015 au comptable concerné ;
Vu les comptes rendus, en qualité de comptable de la communauté de communes du Val de Morteau, par M. X ..., du 2 janvier 2012 au 31 décembre 2013 ;
Vu l’article 60 de la loi de finances n° 63-156 du 23 février 1963 ;
Vu le code des juridictions financières ;
Vu le code général des collectivités territoriales ;
Vu la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, et notamment ses articles 61 et suivants ;
Vu le décret n° 2008-580 du 18 juin 2008 relatif au régime de la mise à disposition applicable aux collectivités territoriales et aux établissements publics administratifs locaux ;
Vu le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique ;
Vu le décret n° 2012-1386 du 10 décembre 2012 portant application du deuxième alinéa du VI de l’article 60 de la loi de finances de 1963 modifié dans sa rédaction issue de l’article 90 de la loi n° 2011-1978 du 28 décembre 2011 de finances rectificative pour 2011 ;
Vu le rapport de M. Pierre Doucet, premier conseiller, magistrat chargé de l’instruction ;
Vu les conclusions du procureur financier ;
Vu les pièces du dossier ;
Entendu lors de l’audience publique du 11 octobre 2017 M. Pierre Doucet, premier conseiller, en son rapport, M. Jérôme Dossi, procureur financier, en ses conclusions ;
Entendu en délibéré, hors la présence du rapporteur et du procureur financier, Mme Mélody Desseix, premier conseiller réviseur, en ses observations ;
Sur la responsabilité du comptable
Attendu qu’aux termes du 1er alinéa du I de l’article 60 de la loi du 23 février 1963 : « (…) les comptables publics sont personnellement et pécuniairement responsables du recouvrement des recettes, du paiement des dépenses, de la garde et de la conservation des fonds et valeurs appartenant ou confiés aux différentes personnes morales de droit public dotées d'un comptable public (…) » ; que ces mêmes dispositions prévoient que cette responsabilité personnelle et pécuniaire « se trouve engagée dès lors qu'un déficit ou un manquant en monnaie ou en valeurs a été constaté, qu'une recette n'a pas été recouvrée, qu'une dépense a été irrégulièrement payée (…) » ;
Attendu que les comptables publics sont personnellement et pécuniairement responsables des contrôles qu'ils sont tenus d'assurer en matière de recettes, de dépenses et de patrimoine dans les conditions prévues par le règlement général sur la comptabilité publique ; qu’en vertu des dispositions des articles 19 et 20 du décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 susvisé, le comptable public est tenu d’exercer, en matière de dépenses, le contrôle de la validité de la dette ; que ce contrôle porte notamment sur la production des pièces justificatives ;
Sur la présomption de charge unique soulevée à l’encontre de M. X ...
Attendu que, par le réquisitoire susvisé, le procureur financier a saisi la chambre régionale des comptes Bourgogne-Franche-Comté de la responsabilité encourue par M. X ... à raison du paiement irrégulier, au titre de l’exercice 2013, de compléments de rémunération au profit de cinq agents de la commune de Morteau mis à disposition de la communauté de communes du Val de Morteau, pour un montant total de 32 068,40 €, dont 29 638,40 € de complément de rémunération mensuelle, et 2 430 € de gratifications semestrielles ;
Attendu que le procureur financier a estimé, aux termes de son réquisitoire, que des compléments de rémunération mensuels et semestriels versés aux agents de la commune de Morteau mis à disposition de la communauté de communes l’ont été indûment, dans la mesure où le comptable public ne disposait ni des pièces attestant du recrutement des cinq agents concernés par la communauté de communes, ni des arrêtés individuels décidant de leur attribuer les indemnités en litige ;
Sur le manquement du comptable public
En ce qui concerne les compléments de rémunération mensuels :
Attendu qu’aux termes de l’article 61 la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale : « La mise à disposition est la situation du fonctionnaire qui demeure dans son cadre d'emplois ou corps d'origine, est réputé y occuper un emploi, continue à percevoir la rémunération correspondante, mais qui exerce ses fonctions hors du service où il a vocation à servir (…) » ; qu’aux termes de l’article 2 du décret n° 2008-580 du 18 juin 2008 relatif au régime de la mise à disposition applicable aux collectivités territoriales et aux établissements publics administratifs locaux : « I. - La convention de mise à disposition conclue entre la collectivité territoriale ou l'établissement public d'origine et l'organisme d'accueil définit notamment la nature des activités exercées par le fonctionnaire mis à disposition, ses conditions d'emploi, les modalités du contrôle et de l'évaluation de ses activités. La convention peut porter sur la mise à disposition d'un ou de plusieurs agents (…) » ; qu’aux termes de l’article 9 du même texte : « Le fonctionnaire mis à disposition continue à percevoir la rémunération correspondant à son grade ou à l'emploi qu'il occupe dans son administration ou son établissement d'origine. Sans préjudice d'un éventuel complément de rémunération dûment justifié, versé selon les règles applicables aux personnels exerçant leurs fonctions dans l'organisme d'accueil, le fonctionnaire mis à disposition peut être indemnisé par le ou les organismes d'accueil des frais et sujétions auxquels il s'expose dans l'exercice de ses fonctions suivant les règles en vigueur dans ce ou ces organismes. La convention précise, lorsqu'il y a lieu, la nature du complément de rémunération dont peut bénéficier le fonctionnaire mis à disposition » ; que ces dispositions ne font pas obstacle à ce que des agents publics mis à disposition perçoivent un complément de rémunération versé par l’organisme d’accueil, sous réserve que la convention de mise à disposition conclue entre la collectivité territoriale ou l'établissement public d'origine et l'organisme d'accueil le prévoie ; qu’ainsi, la circonstance que la communauté de communes n’était pas l’employeur des agents qui ont bénéficié des indemnités litigieuses n’était pas, à elle seule, de nature à faire obstacle à leur paiement ; que le comptable public n’était, par suite, pas tenu de solliciter de pièce justificative attestant du recrutement des agents concernés par la communauté de communes du Val de Morteau ;
Attendu que selon l’article D. 1617-19 du code général des collectivités territoriales (CGCT) : « Avant de procéder au paiement d'une dépense ne faisant pas l'objet d'un ordre de réquisition, les comptables publics des collectivités territoriales, des établissements publics locaux et des associations syndicales de propriétaires ne doivent exiger que les pièces justificatives prévues pour la dépense correspondante dans la liste définie à l'annexe I du présent code » ; qu’il résulte de la rubrique n° 2164 « Mise à disposition de personnel par une autre collectivité publique » de cette annexe qu’au moment du paiement d’une dépense de cette nature, le comptable doit disposer d’une délibération autorisant la conclusion de la convention, d’une convention de mise à disposition, et des états liquidatifs ;
Attendu qu’au moment du paiement des indemnités mensuelles litigieuses, le comptable disposait de la délibération en date du 28 juin 2001 par laquelle le conseil communautaire autorisant la passation d’une convention de mise à disposition de cinq agents de la commune de Morteau, de la convention conclue le 29 juin 2001 entre le maire de la commune de Morteau et le président de la communauté de communes du Val de Morteau pour la mise à disposition des agents litigieux prévoyant le principe du versement des indemnités mensuelles et leur montant, ainsi que leur montant, et l’ensemble des avenants à cette convention ; que le comptable public, qui disposait de l’ensemble des pièces justificatives nécessaires au paiement des compléments de rémunérations litigieux, n’a commis aucun manquement dans le contrôle de la validité de la dette ;
Attendu qu’il résulte de ce qui précède qu’il n’y a pas lieu d’engager la responsabilité personnelle et pécuniaire du comptable à raison du paiement des compléments de rémunération mensuels ;
En ce qui concerne les compléments de rémunération semestriels :
Attendu que sur les mandats n° 449 et n° 946, le comptable a versé, le 20 juin et le 20 novembre 2013, des indemnités semestrielles aux agents mis à dispositions de la communauté de communes du Val de Morteau par la commune de Morteau pour un montant de 2 430 €, dont le détail est présenté dans le tableau en annexe ;
Attendu que pour justifier de ce paiement, le comptable public a indiqué s’être fondé sur la délibération du 28 juin 2001 par laquelle le conseil communautaire autorisé son président à signer une convention de mise à disposition de cinq agents de la commune de Morteau ; que toutefois, cette délibération ne prévoit pas le versement aux agents concernés de compléments de rémunérations semestriels ; que l’indication selon laquelle il est proposé « de maintenir le système de fonctionnement actuel ainsi que le mode de rémunération » ne saurait s’analyser comme une décision relative au paiement d’indemnités semestrielles au profit des agents mis à disposition, dès lors que les parties n’ont produit aucune délibération antérieure avalisant un tel mode de rémunération ; qu’ainsi, le comptable public ne disposait pas des pièces justificatives nécessaires au paiement de ces indemnités ; qu’au surplus, en l’absence de toute pièce justificative, il ne disposait d’aucun élément permettant le contrôle de l’exacte liquidation de la dette ; qu’en procédant au paiement de ces indemnités semestrielles, le comptable public a manqué à ses obligations de contrôle et engagé sa responsabilité personnelle et pécuniaire ;
Sur l’existence d’un préjudice financier
Attendu qu’en application de l’article 60 de la loi de finances du 23 février 1963 susvisé, lorsque la responsabilité du comptable public est mise en jeu, il a obligation de verser immédiatement de ses deniers personnels la somme correspondante, sauf si le manquement dont il s’est rendu responsable n’a pas causé de préjudice financier à la collectivité, auquel cas le juge des comptes peut l’obliger à s’acquitter d’une somme arrêtée, pour chaque exercice, en tenant compte des circonstances de l’espèce ; qu’il y a lieu, ainsi, de rechercher si le manquement ci-dessus défini a causé un tel préjudice à la communauté de communes du Val de Morteau ; que le préjudice financier résulte d'une perte provoquée par une opération de décaissement ou un défaut de recouvrement d'une recette, donnant lieu à une constatation dans la comptabilité de l'organisme et se traduisant par un appauvrissement patrimonial définitif de la personne publique non recherché par cette dernière ;
Attendu que même si l’ordonnateur de la communauté de communes estime pour sa part que la collectivité n’a pas subi de préjudice financier, cette appréciation ne lie pas le juge des comptes ; que la volonté de l’assemblée délibérante, seule compétente pour décider du versement aux agents concernés d’un complément de rémunération, ne saurait être présumée faute d’une délibération complète et précise ; qu’en l’absence d’une telle délibération, les compléments de rémunération semestriels versés aux agents de la commune de Morteau mis à disposition de la communauté de communes n’étaient pas dus et que leur paiement a, du seul fait de leur caractère indu, entraîné un préjudice financier pour la collectivité ;
Sur le lien de causalité entre le manquement du comptable et le préjudice financier
Attendu que si le comptable n’avait pas manqué à son obligation de contrôle, le paiement des indemnités indues aurait été suspendu ; qu’il existe donc un lien de causalité entre son manquement et le préjudice financier subi par la communauté de communes du Val de Morteau ;
Sur le débet à prononcer
Attendu que le préjudice financier subi par la communauté de communes du Val de Morteau correspond au paiement irrégulier des compléments de rémunération semestriels versés en juin 2013 et novembre 2013 à cinq agents mis à sa disposition par la commune de Morteau, pour un montant total de 2 430 € ;
Attendu qu’aux termes du paragraphe VIII de l’article 60 de la loi du 23 février 1963 susvisée, « les débets portent intérêt au taux légal à compter du premier acte de la mise en jeu de la responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables publics » ; qu’en l’espèce, la date du premier acte de la mise en jeu de la responsabilité personnelle et pécuniaire du comptable est celle à laquelle le réquisitoire susvisé lui a été notifié, soit le 20 mars 2015 ;
Sur le respect des règles de contrôle sélectif de la dépense
Attendu qu’aux termes du paragraphe IX de l’article 60 de la loi du 23 février 1963 susvisée, « (…) Hormis le cas du décès du comptable ou du respect par celui-ci, sous l’appréciation du juge des comptes, des règles de contrôle sélectif des dépenses, aucune remise gracieuse totale ne peut être accordée au comptable public dont la responsabilité personnelle et pécuniaire a été mise en jeu par le juge des comptes (…) » ;
Attendu qu’au cours de l’instruction du dossier, seul un plan de contrôle portant sur l’année 2012 a été produit, sans que la preuve de sa prorogation en 2013 ne soit apportée ;
Attendu que ce plan de contrôle mentionne, au titre des contrôles de la paie : « calendrier thématique non suivi (départ d’un agent non remplacé) » ; qu’en ne prévoyant aucune modalité de contrôle sélectif pour cette catégorie de dépense, le plan de contrôle hiérarchisé des dépenses doit être regardé comme impliquant un contrôle exhaustif des ordres de payer afférents à la paie ; qu’il est manifeste que ces contrôles n’ont pas été réalisés, le comptable n’ayant pas détecté d’anomalie et n’ayant pas suspendu le paiement des compléments de rémunération semestriels litigieux ; qu’ainsi, en admettant même que ce plan de contrôle ait été applicable en 2013, aucune remise gracieuse totale ne saurait être accordée au comptable public ;
Attendu que le montant du cautionnement constitué par M. X ... au titre de l’année 2013 s’élève à 151 000 € ; que, par suite, pour l’application des dispositions du second alinéa du paragraphe IX de l’article 60 de la loi du 23 février 1963 susvisée, le montant de la remise gracieuse dont il pourra bénéficier devra comporter un laisser à charge qui ne pourra être inférieur à 453 € ;
Par ces motifs,
DÉCIDE :
Article 1er : M. X ... est constitué débiteur de la communauté de communes du Val de Morteau, au titre de l’exercice 2013, d’une somme de 2 430 €, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 20 mars 2015.
Article 2 : Pour l’application des dispositions du second alinéa du paragraphe IX de l’article 60 de la loi du 23 février 1963 susvisée, le montant de la remise gracieuse qui pourra lui être accordée au titre du débet prononcé à l’article 1 ci-dessus, devra comporter un laisser à charge qui ne pourra être inférieur à 453 €.
Article 3 : La décharge de M. X ... au titre de l’exercice 2013 ne pourra être donnée qu’après apurement du débet fixé à l’article 1 ci-dessus.
Fait et jugé à la chambre régionale des comptes Bourgogne-Franche-Comté en séance plénière.
M. Nicolas Onimus, président de séance, président de section,
M. Frédéric Guthmann, président de section,
M. Samuel Gougeon, premier conseiller,
M. Nicolas Bonneau, premier conseiller,
Mme Milada Pantic, premier conseiller,
Mme Mélody Desseix, premier conseiller, réviseur,
Mme Valérie Rhein-Talard, premier conseiller.
Signé : Mireille GREGOIRE, greffière et Nicolas ONIMUS, président de séance, président de section de la chambre régionale des comptes Bourgogne-Franche-Comté.
Collationné, certifié conforme à la minute déposée au greffe de la chambre régionale des comptes Bourgogne-Franche-Comté.
La secrétaire générale,
Marie-Christine MEYER
En conséquence, la République mande et ordonne à tous huissiers de justice, sur ce requis, de mettre ledit jugement à exécution, aux procureurs généraux et aux procureurs de la République près les tribunaux de grande instance d’y tenir la main, à tous commandants et officiers de la force publique de prêter main-forte lorsqu’ils en seront légalement requis.
Voies et délais de recours
La présente décision juridictionnelle peut être déférée en appel devant la Cour des comptes dans un délai de deux mois à compter de la date de sa notification (articles L. 242-6 et R. 242‑19 à 28 du code des juridictions financières).
Annexe : Détail des indemnités semestrielles versées en juin et novembre 2013
En euros | Juin 2013 (mandat n° 449) | Novembre 2013 (mandat n° 946) |
Mme Y ... | 348 | 404 |
M. Z ... | 230 | 230 |
A ... | 198 | 228 |
M. B ... | 186 | 216 |
Mme C ... | 180 | 210 |
Sous-total | 1 142 | 1 288 |
Total | 2 430 |
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