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Formation plénière Jugement n° 2017-0002
Audience publique du 11 janvier 2017
Prononcé du 15 février 2017 | COMMUNAUTÉ DE COMMUNES DU COMTÉ DE GRIMONT, POLIGNY
(Département du Jura)
CENTRE DES FINANCES PUBLIQUES DE POLIGNY
Exercice 2013 |
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LA CHAMBRE RÉGIONALE DES COMPTES BOURGOGNE-FRANCHE-COMTE,
Vu le réquisitoire en date du 14 septembre 2016, par lequel le procureur financier l’a saisie en vue de la mise en jeu de la responsabilité personnelle et pécuniaire de M. X ..., comptable de la communauté de communes du comté de Grimont, Poligny, au titre d’opérations relatives à l’exercice 2013, notifié le 21 septembre 2016 au comptable concerné ;
Vu les comptes rendus en qualité de comptable de la communauté de communes du comté de Grimont, Poligny, par M. X ..., du 1er février 2012 au 31 décembre 2014 ;
Vu l’article 60 de la loi de finances n° 63-156 du 23 février 1963 ;
Vu le code des juridictions financières ;
Vu le code général des collectivités territoriales ;
Vu la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 modifiée portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, et notamment son article 88 ;
Vu le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique ;
Vu le décret n° 2002-63 du 14 janvier 2002 relatif à l'indemnité forfaitaire pour travaux supplémentaires des services déconcentrés ;
Vu l’arrêté du 26 mai 2003 modifiant l'arrêté du 14 janvier 2002 fixant les montants moyens annuels de l'indemnité forfaitaire pour travaux supplémentaires des services déconcentrés ;
Vu le rapport de M. Samuel Gougeon, premier conseiller, magistrat chargé de l’instruction ;
Vu les conclusions du procureur financier ;
Vu les pièces du dossier ;
Entendu lors de l’audience publique du 11 janvier 2017 M. Samuel Gougeon, premier conseiller en son rapport, M. Jérôme Dossi, procureur financier, en ses conclusions ;
Entendu en délibéré, hors la présence du rapporteur et du procureur financier, M. Pierre Doucet, premier conseiller réviseur, en ses observations ;
Sur la présomption de charge unique soulevée à l’encontre de M. X...
Attendu que, par le réquisitoire susvisé, le procureur financier a saisi la chambre régionale des comptes Bourgogne-Franche-Comté de la responsabilité encourue par M. X ... à raison du paiement présumé irrégulier, au titre de l’exercice 2013, d’indemnités forfaitaires pour travaux supplémentaires versées à Mme Y..., directrice générale des services de la communauté de communes du comté de Grimont Poligny, pour un montant provisoirement estimé à 8 460,72 € ;
Attendu que le procureur financier a estimé, aux termes de son réquisitoire, que ces indemnités forfaitaires pour travaux supplémentaires pouvaient avoir été indûment versées, dans la mesure où le comptable public ne disposait pas d’éléments suffisants lui permettant de s’assurer de l’exacte liquidation de la dette, et que les pièces justificatives qui lui étaient soumises comportaient des incohérences ;
Sur le manquement du comptable public
Attendu qu’aux termes du 1er alinéa du I de l’article 60 de la loi du 23 février 1963 : « (…) les comptables publics sont personnellement et pécuniairement responsables du recouvrement des recettes, du paiement des dépenses, de la garde et de la conservation des fonds et valeurs appartenant ou confiés aux différentes personnes morales de droit public dotées d'un comptable public (…) » ; que ces mêmes dispositions prévoient que cette responsabilité personnelle et pécuniaire « se trouve engagée dès lors qu'un déficit ou un manquant en monnaie ou en valeurs a été constaté, qu'une recette n'a pas été recouvrée, qu'une dépense a été irrégulièrement payée (…) » ;
Attendu que les comptables publics sont personnellement et pécuniairement responsables des contrôles qu'ils sont tenus d'assurer en matière de recettes, de dépenses et de patrimoine dans les conditions prévues par le règlement général sur la comptabilité publique ; qu’en vertu des dispositions des articles 19 et 20 du décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 susvisé, le comptable public est tenu d’exercer, en matière de dépenses, le contrôle de la validité de la dette ; que ce contrôle porte notamment sur la production des pièces justificatives et sur l’exactitude de la liquidation de la dette ;
Attendu qu'il résulte de ces dispositions que, pour apprécier la validité des créances, les comptables doivent notamment exercer leur contrôle sur la production des justifications ; qu’à ce titre, il leur revient d’apprécier si les pièces fournies présentent un caractère suffisant pour justifier la dépense engagée ; que pour établir ce caractère suffisant, il leur appartient de vérifier, en premier lieu, si l’ensemble des pièces requises au titre de la nomenclature comptable applicable leur ont été fournies et, en deuxième lieu, si ces pièces sont, d’une part, complètes et précises, d’autre part, cohérentes au regard de la catégorie de la dépense définie dans la nomenclature applicable et de la nature et de l’objet de la dépense telle qu’elle a été ordonnancée ; que si ce contrôle peut conduire les comptables à porter une appréciation juridique sur les actes administratifs à l’origine de la créance et s’il leur appartient alors d’en donner une interprétation conforme à la réglementation en vigueur, ils n’ont pas le pouvoir de se faire juges de leur légalité ; qu’enfin, lorsque les pièces justificatives fournies sont insuffisantes pour établir la validité de la créance, il appartient aux comptables de suspendre le paiement jusqu’à ce que l’ordonnateur leur ait produit les justifications nécessaires ;
Attendu que Mme Y... a perçu, au cours de l’année 2013, des IFTS pour un montant total de 17 287,92 €, soit 1 440,66 € mensuels ; que pour justifier du montant des indemnités versées à Mme Y..., le comptable public a produit la délibération du conseil communautaire en date du 12 octobre 2004 décidant d’instaurer l’indemnité forfaitaire pour travaux supplémentaires (IFTS) des attachés au taux de 0 à 8 pour le poste de direction, un arrêté du président de la communauté de communes en date du 20 avril 2007 accordant à Mme Y... le bénéfice d’une « IFTS de 1ère catégorie des attachés principaux de préfecture, taux 6 avec enveloppe supplémentaire », et un arrêté du président de la communauté de communes en date du 7 juillet 2010 promouvant Mme Y... au grade de directeur territorial et fixant l’IFTS « au taux de 6 sans changement » ;
Attendu qu’il résulte des dispositions de l’arrêté du 26 mai 2003 modifiant l'arrêté du 14 janvier 2002 fixant les montants moyens annuels de l'indemnité forfaitaire pour travaux supplémentaires des services déconcentrés que le montant maximal pouvant être versé pour la catégorie des attachés principaux et des directeurs, s’élevait à 735,60 € mensuels pour un coefficient 6 ; que pour justifier la différence entre cette somme et les 1 440,66 € mensuels d’IFTS versés à Mme Y... au cours de l’année 2013, le comptable public fait valoir que la communauté de communes avait mis en place un dispositif permettant une multiplication du montant de l’IFTS allant jusqu’à trois, un taux de deux ayant en l’espèce été retenu s’agissant de l’intéressée ; que selon les explications apportées par le comptable public, l’existence de cette majoration résulte de la mention d’une « enveloppe supplémentaire » dans l’arrêté du président de la communauté de communes en date du 20 avril 2007 ; que, toutefois, une telle mention n’est pas suffisamment précise pour justifier la majoration du taux de l’indemnité versée à cet agent ; que le dispositif de majoration de l’IFTS tel que décrit par M. X... est, par ailleurs, contraire à la réglementation en vigueur, en ce qu’il a permis de faire bénéficier à l’agent d’un coefficient de 12, soit un taux supérieur à celui fixé par l’article 2 du décret n° 2002-63 du 14 janvier 2002 relatif à l'indemnité forfaitaire pour travaux supplémentaires des services déconcentrés, qui prévoit que « le montant des attributions individuelles ne peut excéder huit fois le montant moyen annuel attaché à la catégorie à laquelle appartient l'agent » ; qu’il appartenait au comptable public de donner aux pièces justificatives en sa possession une interprétation conforme à la réglementation en vigueur, laquelle ne comportait, contrairement à ce qui est soutenu, aucune ambiguïté sur le plafond que constitue le coefficient de 8 pour la modulation des IFTS ; qu’ainsi, en assurant le paiement de mandats par lesquels étaient versées à Mme Y... des IFTS pour un montant supérieur à celui prévu par les éléments de liquidation en sa possession, le comptable public, qui a ouvert sa caisse en ne s’assurant ni de l’exactitude des calculs de liquidation ni de la cohérence des pièces justificatives, a commis un manquement de nature à engager sa responsabilité personnelle et pécuniaire ;
Sur l’existence d’un préjudice financier
Attendu qu’en application de l’article 60 de la loi de finances du 23 février 1963 susvisé, lorsque la responsabilité du comptable public est mise en jeu, il a obligation de verser immédiatement de ses deniers personnels la somme correspondante, sauf si le manquement dont il s’est rendu responsable n’a pas causé de préjudice financier à la collectivité, auquel cas le juge des comptes peut l’obliger à s’acquitter d’une somme arrêtée, pour chaque exercice, en tenant compte des circonstances de l’espèce ; qu’il y a lieu, ainsi, de rechercher si le manquement ci-dessus défini a causé un tel préjudice à la communauté de communes du comté de Grimont Poligny ; que le préjudice financier résulte d'une perte provoquée par une opération de décaissement ou un défaut de recouvrement d'une recette, donnant lieu à une constatation dans la comptabilité de l'organisme et se traduisant par un appauvrissement patrimonial définitif de la personne publique non recherché par cette dernière ;
Attendu qu’appelé à faire valoir son point de vue sur l’existence d’un préjudice financier, l’ordonnateur a estimé que la communauté de communes n’avait pas subi de préjudice financier du fait des paiements en cause ; que toutefois, le constat de l’existence ou non d’un préjudice financier, au sens des dispositions précitées, relève de l’appréciation du juge des comptes, lequel n’est pas lié par le point de vue des parties ;
Attendu qu’en l’espèce, à défaut de précision sur les modalités de liquidation de « l’enveloppe supplémentaire » de l’indemnité forfaitaire pour travaux supplémentaires (IFTS), tant dans la délibération de l’assemblée délibérante du 12 octobre 2004 que dans les arrêtés concernant la situation individuelle de Mme Y..., la différence entre le montant d’IFTS au taux de 6 et le montant effectivement versé n’était pas dû ; que leur paiement a, du seul fait de son caractère indu, entraîné un préjudice financier à la communauté de communes du comté de Grimont, Poligny, pour la partie dépassant le coefficient 6 de l’IFTS ;
Sur le lien de causalité entre le manquement du comptable et le préjudice financier
Attendu que si le comptable n’avait pas manqué à son obligation de contrôle, le paiement des indemnités indues aurait été suspendu ; qu’il existe donc un lien de causalité entre son manquement et le préjudice financier subi par la communauté de communes du comté de Grimont, Poligny ;
Sur le débet à prononcer
Attendu que le préjudice financier subi par la communauté de communes du comté de Grimont, Poligny correspond à la différence entre le montant des indemnités forfaitaires pour travaux supplémentaires pouvant être versé au taux 6, lequel s’élevait à 735,60 € par mois, et le montant de 1 440,66 € effectivement versé, soit une somme mensuelle de 705,06 € ; que le manquement s’étant répété sur chacun des mois de l’exercice 2013, le montant de l’indu correspondant à la somme versée en trop à la directrice générale des services doit être arrêté à la somme totale de 8 460,72 € ;
Attendu qu’aux termes du paragraphe VIII de l’article 60 de la loi du 23 février 1963 susvisée, « les débets portent intérêt au taux légal à compter du premier acte de la mise en jeu de la responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables publics » ; qu’en l’espèce, la date du premier acte de la mise en jeu de la responsabilité personnelle et pécuniaire du comptable est celle à laquelle le réquisitoire susvisé lui a été notifié, soit le 21 septembre 2016 ;
Sur le respect des règles de contrôle sélectif de la dépense
Attendu qu’aux termes du paragraphe IX de l’article 60 de la loi du 23 février 1963 susvisée, « (…) Hormis le cas du décès du comptable ou du respect par celui-ci, sous l’appréciation du juge des comptes, des règles de contrôle sélectif des dépenses, aucune remise gracieuse totale ne peut être accordée au comptable public dont la responsabilité personnelle et pécuniaire a été mise en jeu par le juge des comptes (…) » ;
Attendu que les paiements concernés étaient couverts par le plan de contrôle hiérarchisé de la dépense pour 2012, applicable jusqu’au 27 mai 2013, validé par le directeur départemental des finances publiques du Jura le 28 mai 2013 ; que ledit plan ne prévoyait pas de contrôle du régime indemnitaire des agents incluant le versement de l’IFTS ; que, dès lors, le comptable n’avait pas l’obligation de procéder à leur contrôle ; que, dans ces conditions, M. X... devrait pouvoir prétendre à une remise gracieuse de la totalité du débet, conformément au paragraphe IX de l’article 60 de la loi du 23 février 1963 susvisée, dans la mesure où il a respecté le plan de contrôle sélectif applicable ;
Par ces motifs,
DÉCIDE :
Article 1er : M. X ... est constitué débiteur de la communauté de communes du comté de Grimont, Poligny, au titre de l’exercice 2013, d’une somme de 8 460,72 €, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 21 septembre 2016.
Article 2 : Pour l’application des dispositions du second alinéa du paragraphe IX de l’article 60 de la loi du 23 février 1963 susvisée, les paiements à l’origine du débet prononcé à l’article 1 ci-dessus n’entrant pas dans une catégorie de dépenses dont le contrôle était obligatoire en vertu des règles de contrôle sélectif applicables, la remise gracieuse susceptible de lui être accordée au titre dudit débet pourra être totale.
Article 3 : La décharge de M. X ... au titre de l’exercice 2013 ne pourra être donnée qu’après apurement du débet fixé à l’article 1 ci-dessus.
Fait et jugé à la chambre régionale des comptes Bourgogne-Franche-Comté en séance plénière.
M. Pierre VAN HERZELE, président,
M. Nicolas ONIMUS, président de section,
M. Pierre DOUCET, premier conseiller, réviseur,
M. Vladimir DOLIQUE, premier conseiller,
M. Nicolas BONNEAU, premier conseiller.
Signé : Mireille GREGOIRE, greffière et Pierre VAN HERZELE, président de la chambre régionale des comptes Bourgogne-Franche-Comté.
Collationné, certifié conforme à la minute déposée au greffe de la chambre régionale des comptes Bourgogne-Franche-Comté.
La secrétaire générale,
Marie-Christine MEYER
En conséquence, la République mande et ordonne à tous huissiers de justice, sur ce requis, de mettre ledit jugement à exécution, aux procureurs généraux et aux procureurs de la République près les tribunaux de grande instance d’y tenir la main, à tous commandants et officiers de la force publique de prêter main-forte lorsqu’ils en seront légalement requis.
Voies et délais de recours
La présente décision juridictionnelle peut être déférée en appel devant la Cour des comptes dans un délai de deux mois à compter de la date de sa notification (articles L. 242-6 et R. 242‑19 à 28 du code des juridictions financières).
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