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COUR DES COMPTES -------- QUATRIEME CHAMBRE -------- premiere section --------- Arrêt n° 56457 |
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GESTION DE FAIT DES DENIERS DE LA COLLECTIVITE D’OUTRE-MER DE POLYNESIE FRANCAISE
Séance du 22 octobre 2009
Lecture publique du 17 décembre 2009
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LA COUR DES COMPTES a rendu l’arrêt suivant :
LA COUR,
Vu l’arrêt n° 50002 du 29 novembre 2007 par lequel la Cour a annulé, pour ce qui concerne M. X, le jugement n° 2006-14 du 4 avril 2006 de la chambre territoriale des comptes de Polynésie française par lequel ladite chambre l’avait déclaré à titre définitif avec d’autres personnes comptable de fait des deniers de la COLLECTIVITE D’OUTRE-MER DE POLYNESIE FRANCAISE, et évoqué la cause ;
Vu l’arrêt n° 50352 du 29 novembre 2007 par lequel la Cour a déclaré à titre provisoire M. X comptable de fait des deniers de la collectivité de la Polynésie française du 10 juin 1998 au 17 mai 2001, et du 1er août 2001 au 9 juin 2004 et l’a invité à présenter sa défense dans le délai de deux mois ;
Vu le mémoire en défense produit pour M. X par Me Vier, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, enregistré le 2 septembre 2008 au greffe de la quatrième chambre ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu l’article 60 de la loi de finances n° 63-156 du 23 février 1963 modifié ;
GA
Vu l’article 66 de la loi de finances n° 90-1169 du 29 décembre 1990 ;
Vu la loi n° 2008-1091 du 28 octobre 2008 relative à la Cour des comptes et aux chambres régionales des comptes, notamment l’article 34 ;
Vu le code des juridictions financières ;
Vu le rapport de M. Bredin, conseiller référendaire ;
Vu les courriers aux parties à l’instance leur notifiant la date de l’audience et le remplacement de M. Bredin par M. Gourdin, conseiller référendaire, pour présenter le rapport ;
Vu les conclusions du Procureur général ;
Entendu, lors de l’audience publique de ce jour, M. Gourdin, conseiller référendaire présentant le rapport de M. Bredin, M. Feller, avocat général, en ses conclusions, Me Vier et Me Turlan, représentant M. X, ayant eu la parole en dernier ;
Entendu en délibéré, M. Moreau, conseiller-maître, en ses observations ;
Attendu que la Cour a été saisie de l’appel formé contre un jugement du 4 avril 2006 de la chambre territoriale des comptes de Polynésie française par lequel ladite chambre avait déclaré M. X à titre définitif, avec d’autres personnes, comptable de fait des deniers de la collectivité de la Polynésie française ; qu’elle a annulé ledit jugement, pour l’intéressé, en tant qu’il avait été rendu au terme d’une procédure méconnaissant les exigences de la contradiction ;
Attendu qu’après avoir évoqué la cause, la Cour a déclaré M. X comptable de fait, à titre provisoire, des deniers de ladite collectivité ; qu’en effet la Cour a considéré que les faits mis au jour au cours de la première phase de l'instruction, s'ils étaient confirmés, pouvaient montrer que des deniers publics avaient été irrégulièrement extraits de la caisse du comptable de la collectivité de Polynésie française, l'objet véritable des dépenses correspondant à la rémunération perçue par M. X pour sa mise à la disposition de la commune de Papeete lui étant dissimulé ; qu’en effet ce salaire lui était versé en sa qualité de collaborateur de cabinet du président du Gouvernement de la Polynésie française et non au titre des fonctions qu'il occupait dans les services de ladite commune ; que la réunion de ces éléments serait de nature à caractériser l'existence d'une gestion occulte des deniers de la Polynésie française ;
Attendu que la Cour a invité M. X à présenter sa défense dans le délai de deux mois ; qu'il y a lieu, avant de statuer à titre définitif, de discuter les moyens soutenus par l'intéressé dans sa réponse ;
Sur l’existence de la gestion de fait
Sur le caractère public des deniers maniés
Attendu que l'exposant soutient que « une fois régulièrement perçues, sur le fondement de ces contrats [de travail] et en contrepartie de l'exercice effectif de ses fonctions, les sommes versées à l'exposant à titre de rémunération ont perdu leur caractère de deniers publics » ;
Attendu que l'argumentation de l'arrêt provisoire se fonde sur le caractère fictif des mandats ayant permis le versement d'une rémunération à M. X durant sa mise à disposition, sans discuter la régularité du recrutement non plus que la réalité du service fait ; qu'en effet, une dépense fictive ne saurait entraîner consommation valable des crédits ; que, par suite, les fonds correspondants ont conservé le caractère de deniers publics ; qu'ainsi, le moyen doit être rejeté ;
Sur l’absence de titre à manier les deniers de la gestion occulte
Attendu que M. X prétend que « il disposait d'un titre suffisant pour percevoir régulièrement les rémunérations prévues par (ses) contrats » de travail ;
Attendu que si les contrats par lesquels M. X a été recruté en qualité d’attaché de cabinet et engagé à titre personnel comme collaborateur du président du Gouvernement de la Polynésie française, une première fois le 2 juillet 1998 puis le 8 août 2001, peuvent avoir constitué, pour l'intéressé, un titre à percevoir une rémunération durant sa mise à la disposition de la commune de Papeete, du 10 juin 1998 au 17 mai 2001, et du 1er août 2001 au 9 juin 2004, ils ne sauraient lui avoir conféré un titre à manier des deniers du Territoire, à quoi était seul régulièrement habilité le comptable de la collectivité de Polynésie ; que le moyen ne peut qu’être rejeté ;
Sur le maniement des deniers
Attendu que l'exposant prétend n’avoir « jamais participé aux opérations de liquidation, de mandatement et de paiement de (sa) rémunération » ;
Attendu que le maniement, par M. X, de deniers publics du Territoire est caractérisé par la détention matérielle, qui n'est pas contestée, des deniers correspondant aux rémunérations perçues durant sa mise à disposition, et sa participation active aux opérations constitutives de la gestion de fait, qui est discutée ensuite ; que le moyen est donc inopérant ;
Sur la preuve de la dissimulation du dispositif à l’origine de la gestion de fait au comptable du Territoire
Attendu, en premier lieu, que M. X prétend que la gestion occulte ne serait caractérisée « qu'à la condition que la communication de l'information [au comptable public] omise soit obligatoire » ;
Mais attendu que la dissimulation ne provient pas de la violation d'une obligation de transmission, mais du fait que les actes régissant la situation réelle de M. X n'ont pas été portés à la connaissance des autorités auxquelles avaient été adressés, auparavant, les actes régissant sa situation apparente ;
Attendu, en deuxième lieu, que l’exposant soutient que « c’est en qualité de collaborateur du cabinet du président du Gouvernement, la seule que lui ont conférée les contrats qu’il a conclus et qu’il n’avait nullement perdue par suite de sa mise à disposition, en cette qualité de collaborateur de cabinet, que M. X a perçu la rémunération attachée à cette qualité » et que dès lors, « il n’y avait ici aucune fraude, ni aucune fausse cause et les crédits affectés à la rémunération de M. X n’ont pas été détournés de leur fin, qui était de rémunérer un collaborateur du cabinet du président, lequel pouvait décider dans quelles conditions ce collaborateur exercerait ses fonctions » ;
Attendu cependant que l'arrêt provisoire ne se fonde pas sur ce que l’intéressé ne pouvait plus être rémunéré comme collaborateur de cabinet du président du Gouvernement dès lors qu’il aurait été mis à la disposition de la commune de Papeete, mais sur ce qu’il a perçu une rémunération sur la foi de mandats de paiement dont l’objet véritable, comme il a été dit, n’a pas été indiqué au comptable du Territoire ;
Attendu, en dernier lieu, que l’intéressé défend que « la preuve n’est pas rapportée d’une dissimulation au payeur du Territoire de l’objet réel des mandats correspondant à la rémunération de M. X », c’est-à-dire d’un « accord occulte entre les parties pour dissimuler, de façon concertée, au payeur du Territoire l’objet réel des mandats correspondant à la rémunération de M. X » ;
Attendu au contraire que l'arrêt provisoire a successivement relevé que l’intéressé, recruté au cabinet du président du Gouvernement de la Polynésie française mais mis, dans le même temps, à la disposition de la commune de Papeete, reconnaissait sa situation administrative ; que le recrutement de M. X comme attaché de cabinet a été immédiatement suivi de sa mise à disposition ; qu’enfin, après une première mise en œuvre en 1998, ce dispositif s’est répété en 2001 ;
Attendu que ces éléments, qui ne sont pas utilement contestés par l’exposant dans la présente instance, établissent l’existence d’un dispositif aboutissant, de façon concertée, à laisser le comptable du Territoire dans l’ignorance de l’objet véritable des mandats correspondant à la rémunération de M. X ;
Attendu, en conséquence, que le moyen doit être rejeté en ses trois branches ;
Sur le moyen tiré du comportement qu’aurait eu le comptable si l’objet réel des dépenses lui avait été connu
Attendu que l’exposant soutient que « le comptable de la Polynésie française aurait-il eu connaissance complète des circonstances qui, selon la Cour, lui ont été dissimulées, il n’aurait pu refuser ou suspendre le paiement de la rémunération due, après service fait non contesté, à M. X » ;
Attendu, au contraire, que le comptable du Territoire n’a pas été mis en mesure d’exercer les contrôles auxquels il était juridiquement tenu ; qu’il était dans la méconnaissance de l’objet véritable des dépenses qu’il payait ; que le moyen, ainsi formulé, ne conteste pas utilement l’argumentation proposée par la Cour et doit donc être rejeté ;
Sur la participation de M. X à la gestion de fait présumée
Attendu tout d’abord que l’exposant soutient que l'arrêt provisoire reposerait sur « le postulat implicite qu’un agent recruté en qualité de collaborateur de cabinet du président du Territoire ne peut, en cette qualité, être mis à disposition d’une autre collectivité » ;
Attendu cependant que le moyen manque en fait ;
Attendu par ailleurs que M. X prétend, pour contester la motivation proposée par la Cour, que « la prétendue conscience (qu’il) aurait eue de ne pouvoir exercer ses fonctions au sein du cabinet du président » ne saurait caractériser sa participation à la gestion de fait, c’est-à-dire « la dissimulation d’informations qui auraient dû être données au comptable » ; qu’il ajoute que « sa participation à la prétendue gestion de fait ne peut résider que dans la signature des contrats par lesquels le Territoire l’a embauché. Or, cette signature ne suffit pas à révéler que l’intéressé a pu avoir connaissance de ce qui constitue la gestion de fait, c’est-à-dire la dissimulation au comptable de sa mise à la disposition de la ville de Papeete » ;
Attendu que la conscience qu’avait l’intéressé de ne pouvoir exercer ses fonctions au sein du cabinet du président, au moment où il y était recruté, dès lors, comme le mentionnait l’arrêt provisoire, qu’il devait occuper le bureau de l’officier d’état civil « de 7h30 à midi et l’après-midi jusqu’à 15h30 ou 16h00 et ce du lundi au vendredi », est un élément permettant de caractériser la participation de M. X à la gestion de fait ;
Attendu en outre que M. X savait être payé par le comptable du territoire, ainsi qu’il le reconnait dans ses écritures ; qu’il ne pouvait ignorer que le payeur n’était pas informé de son affectation réelle, à la disposition de la commune de Papeete, dans la mesure où, ainsi qu’il était relevé dans l’arrêt provisoire et n’est pas contesté, les mentions portées sur ses fiches de paie retraçaient des imputations budgétaires et une affectation administrative au cabinet du président du Gouvernement ; qu’enfin l’intéressé a pris part à la répétition, à compter du 1er août 2001, du dispositif ayant permis le paiement des mandats fictifs et a signé un second contrat de recrutement comme attaché au cabinet du président ; que l’ensemble de ces éléments constituent des présomptions graves, précises et concordantes de la connaissance qu’avait M. X de la fictivité des mandats de paiement supports de la gestion occulte, pour en avoir perçu le produit, que constitue sa rémunération, et connu l’irrégularité, c’est-à-dire la discordance entre les mentions figurant sur ses bulletins de paie et la réalité de sa mise à disposition de la commune de Papeete ;
Attendu enfin que l’intéressé soutient qu’il était dépourvu de moyens pour faire cesser les opérations de la gestion de fait ;
Attendu toutefois que M. X n’apporte aucune preuve qu'il se soit opposé aux pratiques relevées par la Cour ; qu’il n’a, en particulier, pas refusé de percevoir sa rémunération alors qu’il en connaissait l’origine irrégulière, ni tenté d’obtenir une clarification de sa situation ; que ces éléments, ajoutés à ceux relevés dans l’arrêt provisoire, permettent d’établir que M. X n’a pas été seulement bénéficiaire de la gestion occulte mais y a joué un rôle actif ;
Attendu qu’il y a lieu, en conséquence, de retenir M. X dans les liens de la gestion de fait ;
Sur le principe selon lequel « toute peine mérite salaire »
Attendu que M. X soutient que, le service ayant été fait auprès de la commune de Papeete, « il avait par conséquent le droit de percevoir la rémunération attachée à l’exercice de ces fonctions et on ne saurait, sans méconnaître le principe selon lequel "tout peine mérite salaire", lui imposer de restituer ces rémunérations » ;
Attendu que par la déclaration de gestion de fait, le juge des comptes établit sa compétence sur des personnes, pour une période et des opérations données ; que tant la constitution en débet des gestionnaires de fait que le prononcé d'une amende pour immixtion dans les fonctions de comptable public sont des suites de la procédure dont il ne peut être préjugé à ce stade ; qu’ainsi le moyen est inopérant ;
Par ces motifs,
STATUANT DEFINITIVEMENT
ORDONNE :
Article 1er : M. X est déclaré comptable de fait des deniers de la collectivité d’outre-mer de la Polynésie française du 10 juin 1998 au 17 mai 2001, et du 1er août 2001 au 9 juin 2004 ;
Article 2 : la chambre territoriale des comptes de Polynésie française donnera telle suite qu’il appartiendra à l’affaire.
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Fait et jugé en la Cour des comptes, quatrième chambre, première section, le vingt deux octobre deux mil neuf. Présents, MM. Pichon, président, Cazanave, président de section, Ganser, Thérond, Moreau, Vermeulen, Martin, Mmes Gadriot-Renard, et Démier, conseillers maîtres.
Signé : Pichon, président, et Reynaud, greffier.
Collationné, certifié conforme à la minute étant au greffe de la Cour des comptes.
En conséquence, la République mande et ordonne à tous huissiers de justice, sur ce requis, de mettre ledit arrêt à exécution, aux procureurs généraux et aux procureurs de la République près les tribunaux de grande instance, d’y tenir la main, à tous commandants et officiers de la force publique, de prêter main-forte, lorsqu’ils en seront légalement requis.
Délivré par moi, secrétaire générale.
Pour la Secrétaire générale
et par délégation
le Chef du greffe central par intérim
Catherine PAILOT-BONNÉTAT
Conseillère référendaire