Dans le champ de l’enquête, quatre catégories d’entre elles sont plus particulièrement concernées8.
Par lettre du 10 novembre 2015, le président de la commission des affaires sociales du Sénat a informé le Premier président qu’en application de l’article LO. 132-3-1 du code des juridictions financières, celle-ci demandait à la Cour des comptes de réaliser une enquête sur la prévention des conflits d’intérêts en matière d’expertise sanitaire. L’objectif était de dresser un premier bilan de la mise en œuvre en cette matière des dispositions de la loi du 29 décembre 2011 relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé et d’en tirer des enseignements. Par lettre du 25 novembre 2015, le Premier président a fait part de l’accord de la Cour et précisé qu’elle devrait être en mesure de lui transmettre son rapport en mars 2016.
À la suite d’une réunion tenue avec le président de la commission des affaires sociales du Sénat, le champ et les axes d’investigation de cette enquête ont été confirmés par une lettre du Premier président du 21 janvier 20161.
La demande du Sénat s’est inscrite dans le contexte d’un contrôle déjà engagé sur ce même sujet en mai 2015 par la Cour. L’enquête réalisée a cherché à dresser un état des lieux de la mise en œuvre par différentes institutions et organismes d’un dispositif qui s’est considérablement renforcé et que la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé vient tout dernièrement d’actualiser encore.
L’examen de la Cour a porté sur cinq organismes particulièrement concernés par la question sensible de l’impartialité de la décision publique. Trois d’entre eux ont été retenus au regard de leur rôle dans la chaîne du médicament, de manière à pouvoir auditer l’ensemble du processus de décision au regard de la problématique de la prévention des conflits d’intérêts : il s’agit de la Haute autorité de santé (HAS), de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), du Comité économique des produits de santé (CEPS), qui ont pris en 2015 respectivement 1 900, 9 000 (dont 7 000 portant sur des modifications d’autorisations de mise sur le marché), et 5 700 décisions. Ont également été intégrés dans le champ de l’enquête l’Institut national du cancer (INCa), qui présente l’intérêt d’être à la fois une agence sanitaire et un organisme de recherche, et l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) qui prend un millier de décisions individuelles relevant de l’expertise médicale, mais dont les membres des instances décisionnelles en la matière sont soumis à la loi de décembre 2011.
L’examen de la Cour n’a pas porté sur l’administration centrale du ministère de la santé. En effet, la direction des affaires juridiques des ministères sociaux avait sollicité en 2014 l’Inspection générale des affaires sociales pour une mission d’audit sur les dispositifs de prévention des conflits d’intérêts circonscrite aux administrations centrales ayant compétence dans le domaine de la santé. La mission s’est déroulée d’octobre 2014 à décembre 2015. La Cour n’a eu communication du rapport définitif et du plan d’action de l’administration qu’à la fin du mois de janvier 2016.
La mise en œuvre pratique des trois volets de la loi du 29 décembre 2011, à savoir les obligations déclaratives d’intérêts et de publication auxquelles sont soumis les experts sanitaires ainsi que les membres et collaborateurs des organismes et les représentants des administrations centrales dans les différentes instances, l’enregistrement et la publicité des débats, enfin la déclaration des avantages consentis par l’industrie aux acteurs de santé publique, a fait l’objet d’un examen détaillé, de forme et de fond, au sein de chacun des organismes et au sein du Conseil national de l’Ordre des médecins (CNOM) pour les responsabilités qui lui sont dévolues.
Un audit de procédure approfondi a ainsi été conduit dans chacun de ces organismes. Les vérifications de la Cour à ce titre ont porté sur 2 904 déclarations publiques (soit 73 % des déclarations attendues). La responsabilité de chacun dans la gestion des déclarations d’intérêts a amené à vérifier comment les procédures de collecte, de publication, de vérification des déclarations et d’examen des liens d’intérêts ont été mises en place, et à apprécier la traçabilité du dispositif pour chaque organisme.
Ce contrôle a été complété par l’examen de l’organisation retenue pour la gestion des conflits d’intérêts et de son articulation avec la procédure de prise de décision. Pour ce faire, la Cour a procédé à un audit de processus sur un échantillon d’une vingtaine de molécules et de décisions ou recommandations de façon à examiner concrètement la manière dont avaient été respectées les règles relatives à la prévention et à la gestion des conflits d’intérêts. L’enquête a été réalisée par ailleurs par la voie d’entretiens auprès d’interlocuteurs administratifs mais aussi des acteurs ou des observateurs de la prévention des conflits d’intérêts en matière d’expertise sanitaire, ainsi que par la consultation de documents sollicités auprès de ces derniers, et d’informations publiques. La Cour a été destinataire à sa demande d’une extraction de la base de données « Transparence santé », site unique sur lequel les entreprises doivent déclarer les avantages qu’elles consentent, et de celle du Conseil national de l’Ordre des médecins.
Les destinataires du relevé d’observations provisoires ou de ses extraits qui leur ont été adressés le 13 janvier 2016 ont tous répondu à ces documents. Le directeur de la Haute Autorité de la santé, le directeur général de l’Agence nationale de sécurité des médicaments et des produits de santé, la présidente de l’Institut national du cancer, le directeur de l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiale ont été auditionnés le 15 février 2016. Le secrétaire général des ministères chargés des affaires sociales, le directeur des affaires juridiques, le directeur général de la santé et le président du Comité économique des produits de santé l’ont été le 19 février 2016.
La présente communication, qui constitue la synthèse définitive de l’enquête de la Cour, a été délibérée le 19 février 2016 par la Sixième chambre, présidée par M. Durrleman, président de chambre et composée de MM. Diricq, conseiller maître, et Lefas, président de chambre maintenu, contre-rapporteur, les rapporteurs étant Mmes Child et Saurat, conseillères maîtres, M. Parpaillon, rapporteur extérieur, assistés de Mme Koci-Cillario, vérificatrice des juridictions financières.
Elle a été examinée et approuvée le 1er mars 2016 par le comité du rapport public et des programmes de la Cour des comptes, composé de MM. Migaud, Premier président, MM. Durrleman, Briet, Mme Ratte, MM. Vachia, Paul, rapporteur général du comité, Duchadeuil, Piolé, Mme Moati, présidents de chambre, et M. Johanet, procureur général, entendu en ses avis.
La question des conflits d'intérêts dans le champ sanitaire est au cœur des préoccupations de l'opinion publique qui exige que lui soit garantie l'impartialité des décisions prises par les responsables politiques et les agences sanitaires. Elle a pris une acuité particulière à la suite de l’affaire du Mediator. C’est dans ce contexte qu’a été adoptée la loi du 29 décembre 2011 relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé, dont une partie est consacrée à la prévention des conflits d'intérêts dans le champ sanitaire.
Pour exercer les missions qui leur sont confiées en matière de sécurité sanitaire, les agences sanitaires ont besoin de s’appuyer sur les meilleurs experts et doivent s’assurer qu’ils formulent leurs avis et recommandations indépendamment de toute influence Chaque décision, avis ou recommandation doit être pris en toute impartialité et doit être traçable. Il s’agit d’une procédure de contrôle qualité, dont l’objectif est d’éviter que les décisions, recommandations et avis pris ne soient entachés d’un vice de forme ou d’une suspicion légitime au nom de la théorie de l’apparence, la jurisprudence administrative appréciant au cas par cas la nature et l’intensité des liens d’intérêts susceptibles de mettre en cause l’impartialité ou l’indépendance de l’expertise.
Le dispositif est construit sur la base de trois piliers : la généralisation des obligations déclaratives d’intérêts et leur publication, la transparence dans la prise de décision des commissions d’expertise, par l’enregistrement de leurs débats et la publication des comptes rendus, enfin la transparence des avantages consentis par les entreprises aux praticiens notamment, par leur publication sur un site unique.
Les dispositions antérieures relatives à la déontologie étaient dispersées dans le code de la santé publique, voire dans le code de la sécurité sociale, au gré de la création des organismes. Elles étaient hétérogènes et peu lisibles. Désormais, le même dispositif de déclaration publique d’intérêts s’applique sur tout le périmètre : la loi énumère les catégories de personnes assujetties aux obligations de déclaration et de publication de leur contenu. Un décret définit un formulaire de déclaration d’intérêt, identique pour tous les organismes. La loi et ses décrets d’application veillent à l’homogénéisation des pratiques en proposant un cadre unique pour toutes les agences sanitaires (obligation de publication, modèle unique de déclaration, règles de gestion identiques, etc.). Les principes auxquels doivent se conformer les travaux d’expertise sanitaire, notamment au regard de l’impartialité et de la transparence, y sont énoncés et un décret portant charte de l’expertise sanitaire en définit les modalités de fonctionnement pour en garantir la bonne application.
La loi pose également le principe de l’enregistrement des débats des séances d’expertise. La liste des commissions dont les débats donnent lieu à enregistrement n’est cependant pas fixée par voie réglementaire : l’analyse se fait au cas par cas, le critère déterminant consistant à vérifier si la commission est chargée d’une mission d’expertise ou non.
Enfin, elle organise la transparence des liens entre industrie et acteurs du champ sanitaire en imposant la publication des conventions passées entre eux. Ce dispositif est inspiré pour partie du Sunshine Act américain mais avec un champ d’assujettis bien plus large. La mise en œuvre a nécessité de préciser réglementairement les informations susceptibles d’être publiées, un recours devant le Conseil d’État l’ayant conduit à préciser la notion d’avantages en espèces, comme se rapportant aux rémunérations accordées.
Quatre ans après la promulgation de la loi, un temps suffisamment long s’est écoulé pour pouvoir mesurer sur le terrain son application réelle et ses effets. L’enquête a donc porté sur la mise en œuvre de l’ensemble de ses dispositions dans cinq organismes, la Haute autorité de santé (HAS), l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), le Comité économique des produits de santé (CEPS), l’Institut national du cancer (INCa) et l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM). Il en ressort un certain nombre de constatations.
A priori simple, la mise en œuvre des dispositions législatives, rédigées en quatre articles, s’est révélée délicate et largement perfectible. Les difficultés tiennent autant aux questions laissées ouvertes par la loi, telles que la définition de la notion d’expert sanitaire, qu’à des dispositions antérieures que la loi n’a pas remises en cause.
La première difficulté porte sur le champ des assujettis. Le CEPS fait partie de la première catégorie visée par la loi, celle des comités placés auprès des ministres de la santé et de la sécurité sociale intervenant sur des questions de santé publique par des avis, recommandations ou décisions. Or, un arrêté du 2 août 2012 du directeur général de la santé l'exclut du champ de la loi, alors même que le décret du 9 mai 2012 l'y soumet et qu’il bénéficie d’un régime particulier antérieur, non abrogé, et plus souple.
La portée des obligations des groupes internes créés pour préparer les décisions des instances soumises à la loi fait également débat. Certains responsables considèrent de manière incorrecte selon la Cour, que les membres de ces groupes ne sont pas assujettis dès lors qu’ils n'ont qu’une voix consultative, excipant d’une instruction DAJ n° 2012-306 du 2 août 2012 de la ministre de la santé. Enfin, les représentants des administrations centrales, présents dans de nombreuses instances, y participent fréquemment sans avoir déposé au préalable une déclaration d'intérêts auprès de l'établissement. Tous ces éléments auxquels il faut ajouter des difficultés conjoncturelles de gestion de certains organismes, aboutissent à ce que plus de 8 % des déclarations d'intérêts manquaient lors du contrôle de la Cour.
La gestion par les agences des déclarations d'intérêts comporte aussi des insuffisances. En effet, en contrôlant 2 904 déclarations sur un nombre théorique estimé à 3 953 au moment du contrôle, soit plus de 73 %, la Cour a constaté un taux d'anomalies de 22 % et même, s'agissant de l'ONIAM et du CEPS, de plus de 40 %. Les autres organismes contrôlés, HAS, ANSM et INCa, se sont approprié, à des degrés divers, le dispositif prévu par le législateur. Les anomalies portent principalement sur l'absence de déclaration ou de publication de la déclaration, et l'absence de mise à jour annuelle, et, plus rarement, des lacunes en matière de déclaration de liens d'intérêts ou de chiffrage de rémunérations accessoires perçues. Près des deux tiers d’entre elles concernent le défaut de mise à jour annuelle.
La rationalisation de la gestion du dispositif a été freinée par les atermoiements des décisions relatives à l’ouverture du site unique ministériel destinée à recueillir l’ensemble des déclarations d’intérêts. Plus de quatre ans après l'intervention de la loi, le site unique n’existe toujours pas, bien qu’il ait été prévu par le décret du 9 mai 2012. Deux difficultés doivent au préalable être surmontées. D’une part, il est nécessaire d’assurer l’interopérabilité avec les systèmes d’information des organismes pour exploiter les déclarations et organiser les déports nécessaires à chaque séance de leurs instances. D’autre part, le manque de moyens financiers et de maîtrise d’œuvre informatique n’a permis d’engager la phase de développement qu’au premier trimestre 2016, avec pour objectif une mise en place au premier semestre 2017. Or son absence conduit à d'autres conséquences défavorables puisqu'elle limite par exemple la transparence pour le public, laisse perdurer des systèmes informatiques disparates souvent trop permissifs et quelquefois inadaptés aux exigences réglementaires, ce qui est le cas à l'ANSM.
La Cour a pu constater que l’ANSM, l’INCa et la HAS procédaient à l’analyse des liens d’intérêts dans des conditions de traçabilité satisfaisantes. En effet, ils se sont dotés tous les trois des procédures et instances leur permettant d’examiner les liens d’intérêts des personnes assujetties. Elles ont adapté leurs procédures pour se conformer au cadre commun instauré par la loi de 2011. Elles ont soumis à leur collège ou à leur conseil les textes nécessaires pour encadrer le dispositif, et ont élaboré des outils méthodologiques.
Le dispositif sur l’expertise sanitaire n’a, quant à lui, pas atteint un niveau de maturité suffisant.
En effet, la loi prévoit, pour les experts, une gestion des liens différente :
dès qu'un membre d'une instance de gouvernance ou d'un groupe interne, un salarié assujetti à la loi en raison des fonctions exercées de cadre ou d'évaluateur présente un lien d'intérêts, il est exclu des travaux y afférents ;
s'il s'agit d'un expert sanitaire ne participant pas à ces instances ou n’étant pas salarié de l'organisme, ces liens sont analysés pour déterminer le niveau éventuel d’intervention de l’expert dans les travaux, selon l’intensité, l’ancienneté et la nature du lien d’intérêts.
Elle n'a cependant pas explicitement défini la notion d'expert sanitaire, ni précisé que le chapitre concernant l'expertise sanitaire ne visait que les experts invités et extérieurs aux instances. La charte, quant à elle, se contente de manière pragmatique de faire appel à un « expert présentant les compétences et l’expérience nécessaire à la réalisation de l’expertise ».
Il résulte de l’enquête que les agences sanitaires ont fait bénéficier l'ensemble des assujettis, d’une manière que la Cour estime irrégulière, des assouplissements prévus par la charte de l'expertise aux seuls experts sanitaires. La raison invoquée par les agences est de pallier l'absence d'experts sanitaires compétents, pénurie évoquée quelquefois par les agences, mais jamais documentée lors du contrôle ni au cours de la contradiction qui a suivi. Si cette pénurie était avérée, elle concernerait, selon les agences, des cliniciens renommés, dans des spécialités pointues, sans que jamais le besoin des agences ait été défini par des spécialistes ou pharmacologues évaluateurs. En tout état de cause, l'invocation de la charte de l'expertise sanitaire pour les membres des instances de gouvernance va à l’encontre de la volonté du législateur, en permettant à ces personnes de participer aux travaux malgré l'existence de liens d'intérêts.
L’existence de la charte sanitaire induit donc une complexité nouvelle avec la distinction légitimement établie entre les membres des instances et les experts sanitaires à proprement parler.
La publicité des débats répond, en revanche, globalement à la volonté du législateur.
L’enregistrement des débats d’expertise, sous réserve des secrets protégés par la loi, est un outil à la disposition du public qui permet d’éclairer la prise de décision et facilite la résolution d’éventuels contentieux. La liste des commissions dont les débats donnent lieu à enregistrement n’est cependant pas fixée réglementairement : l’analyse se fait au cas par cas, le critère déterminant consistant à vérifier si la commission est chargée d’une mission d’expertise. Les deux plus importantes d’entre elles en termes de nombre de décisions, l’ANSM et la HAS, procèdent comme prévu par la loi, à la publicité de leurs débats. En revanche, les débats du CEPS ne sont ni enregistrés ni publiés alors même que le CEPS peut ne pas suivre l'avis de la commission de transparence de la HAS.
Avec le 3ème pilier, le Sunshine Act à la française, la publication de tous les liens financiers entre industriels et praticiens doit devenir effective. Cet instrument prévu par la loi n'a été mis en œuvre que récemment, en juin 2014, après une période transitoire de gestion par les ordres professionnels, et le recul manque pour apprécier l'efficacité de cet instrument.
Les données consolidées restent lacunaires, seuls les avantages au titre de l’hospitalité et leur montant étant à ce jour publiés (soit 183,7 M€ en 2014).
Le problème principal posé par l'interprétation de la loi a été le refus d'inscrire le montant des rémunérations accordées par les industriels, notamment au profit des investigateurs de recherche, en se fondant sur une soi-disant ambiguïté du terme « avantage ». Cependant, la base « Transparence santé » peut devenir un outil puissant de régulation du secteur sanitaire.
Les dispositions prévues par la loi de modernisation de notre système de santé constituent un nouveau palier d’approfondissement de cette politique de prévention des conflits d’intérêts. En effet, elle précise que les données sont publiées « sur un site internet public unique » et sont réutilisables à titre gratuit dans certaines limites. Elle emporte également l’obligation de publication d’informations détaillées relatives aux conventions passées par les entreprises. La volonté ainsi réaffirmée du Parlement a, de surcroît, trouvé une validation par le Conseil constitutionnel2 qui a jugé que « le législateur a opéré une conciliation qui n’est pas manifestement déséquilibrée entre les principes constitutionnels en cause », à savoir le droit au respect de la vie privée et l’exigence constitutionnelle de protection de la santé et l’objectif d’intérêt général de prévention des conflits d’intérêt. Il n’y a donc plus d’obstacle à la publication des rémunérations perçues depuis 2012.
Au total malgré les progrès réalisés, les trois dispositifs de transparence et de gestion des conflits d’intérêts restent incomplets. Ils ne permettent pas de rendre compte de façon simple et directe des liens entre les professionnels de santé et l’industrie et, dès lors, de garantir l’absence de tout conflit d’intérêts susceptible d’affaiblir la décision sanitaire.
Les constats établis par la Cour montrent que cette politique est prise en charge par les agences sanitaires mais que certaines difficultés ne pourront être levées qu’avec une intervention plus affirmée des administrations centrales du Ministre chargé de la santé. Il en est ainsi de la mise à disposition du site unique de saisie et de publication des déclarations d’intérêts prévue par la loi de 2011, qui devient une urgence plus de quatre ans après sa promulgation. Il en va de même pour la nécessaire clarification des obligations déclaratives d’intérêts. Ces deux éléments seraient des facteurs de simplification et d’acceptabilité du dispositif.
Le plan d’action élaboré par le secrétaire général des ministères en charge des affaires sociales au profit des administrations centrales de santé, à la suite d’une mission d’audit de l’IGAS, pourrait être utilement complété par un accompagnement des agences sanitaires dans le déploiement des déontologues institués par la loi de modernisation de notre système de santé et, plus largement, par un renforcement du pilotage par l’administration centrale.
En appui des agences sanitaires, il paraît nécessaire de développer une véritable politique en faveur de l’expertise sanitaire en coordination avec le ministère chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche.
En premier lieu, la direction générale de la santé doit pouvoir offrir une procédure de règlement des conflits d’intérêts partagée et transparente entre tous les organismes concernés, via le réseau des déontologues par exemple. Cette coordination de la gestion des experts sanitaires et des modalités d’analyse de leurs liens d’intérêts est à la fois nécessaire et souhaitée par les acteurs.
Des modalités de conciliation de la recherche clinique et des exigences de prévention des conflits d’intérêts restent à développer. Le modèle de convention tripartite, associant l’établissement de santé au médecin investigateur et au laboratoire pharmaceutique et excluant le versement direct d’honoraires au médecin investigateur, dessine une voie prometteuse. La recherche d’une meilleure reconnaissance dans les carrières universitaires des activités d’expertise sanitaire et l’examen des conditions de rémunération de l’expertise pourraient faire partie des pistes d’amélioration à étudier.
Mais il manque encore un mécanisme de contrôle des déclarations d’intérêts. En effet, la loi de 2011 avait prévu la création d’une commission éthique chargée de vérifier la véracité des déclarations, qui constituait selon les débats parlementaires le seul moyen d'assurer l'efficacité du système. Or, le décret en Conseil d’État n'a jamais été pris, et aucun intervenant ne se considère comme étant chargé de ce contrôle. Si la loi de modernisation de notre système de santé compense l'absence de contrôle interne par la création d’une fonction de déontologue bénéficiant d’un pouvoir d’injonction, cela ne compense pas pour autant l'absence de vérification du contenu des déclarations d'intérêts.
Or, la nécessité d’un contrôle de la véracité des déclarations d’intérêts s’est progressivement imposée, dans la loi du 11 octobre 2013 qui a créé la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), puis dans le projet de loi relatif à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires qui aura des incidences directes dans le champ sanitaire et nécessitera à tout le moins une articulation avec le dispositif de prévention des conflits d’intérêts en matière d’expertise sanitaire. La question se posera en particulier pour les dirigeants des agences sanitaires, seuls les huit membres du collège de la HAS figurant sur la liste des personnes assujetties à adresser au président de la HATVP une déclaration d’intérêts et une déclaration de situation patrimoniale. Néanmoins, compte tenu des spécificités de l’expertise sanitaire et du haut niveau de technicité du secteur, un tel contrôle ne peut être réalisé que par une autorité indépendante qui pourrait être la Haute Autorité de santé à condition de garantir en son sein l’indépendance de cette nouvelle mission. La création d’un niveau de contrôle supplémentaire ne devrait pas avoir pour effet de déresponsabiliser les organismes de leurs obligations de vérification de la complétude et de l’exactitude des déclarations d’intérêts mais de garantir la crédibilité de leur action tout en garantissant le même niveau d’exigence que celui qui s’imposera dans la haute fonction publique.
L’ensemble de ces constats conduit la Cour à préconiser de veiller, lors de la mise en œuvre des nouvelles dispositions portées par la loi de modernisation de notre système de santé, à redonner une cohérence d’ensemble au système de prévention des conflits d’intérêts dans le champ sanitaire, et à assurer l’articulation avec le projet de loi relatif à la déontologie, aux droits et aux obligations des fonctionnaires.
La plupart des textes d’application devront être revus, comme y invitent les recommandations ci-dessous 1, 2, 3 et 5.
Cette remise à plat du système doit encadrer un ajustement des dispositifs déjà en place dans chaque agence sanitaire, celui-ci devant être de plus ou moins grande intensité en fonction du diagnostic posé par les investigations de la Cour.
Clarifier la gestion des déports
faire respecter rigoureusement l’obligation de déport systématique de tous les membres d’instances collégiales, commissions, groupes de travail et conseils, dès lors qu’ils ont un intérêt, direct ou indirect, à l’affaire examinée (article L. 1451-1 du CSP) et réserver le bénéfice de la charte de l’expertise (art. L. 1542-2 du CSP), qui permet une approche graduée des liens d’intérêts, aux seuls experts sanitaires invités à participer à ces instances, ponctuellement ou avec voix consultative ;
Approfondir le dispositif de transparence
rendre obligatoire sur le formulaire des déclarations d’intérêts la mention du numéro du répertoire partagé des professionnels de santé (RPPS) afin de faciliter le croisement des données avec le site Transparence santé et intégrer à ce formulaire une rubrique pour les mises à jour ;
clarifier l’articulation des dispositions législatives applicables au Comité économique des produits de santé (CEPS) au titre de la prévention des conflits d’intérêts et déterminer en conséquence par voie réglementaire le degré de transparence (enregistrement et publicité) auquel ses travaux et décisions doivent être soumis dans la limite des secrets protégés par la loi ;
rendre obligatoire pour les industriels d’adresser au Conseil national de l’Ordre des médecins, par télétransmission, les projets de conventions “médecins-industrie” et le compte-rendu de toute activité financée dans ce domaine ;
faire remonter à l’année 2012 la date d’effet de l’obligation de publication par les entreprises des avantages de toute nature qu’elles procurent, directement ou indirectement, aux professionnels de santé afin de se conformer à l’exigence constitutionnelle de protection de la santé et de garantir l’indépendance de l’expertise sanitaire et le choix éclairé du patient ;
mettre en place sans plus tarder le site unique de recueil des déclarations d’intérêts permettant à toutes les personnes, assujetties à une telle obligation dans le champ sanitaire, de procéder par télé-déclaration lors de son premier établissement et pour sa mise à jour, à chaque fois que nécessaire et au moins une fois par an ;
Renforcer le pilotage global par l’administration centrale et le contrôle
élargir à l’ensemble des fonctions de direction des agences sanitaires les obligations de transmission au président de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique d’une déclaration de situation patrimoniale et d’une déclaration d’intérêts prévues à l’article 11 de la loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique ;
harmoniser sous l’autorité du secrétaire général des ministères sociaux la politique de prévention des conflits d’intérêts dans le champ sanitaire ;
confier à la Haute Autorité de santé, dans des conditions de nature à garantir l’indépendance de cette nouvelle mission en son sein, le contrôle de la véracité des déclarations d’intérêts dans le champ sanitaire, sans déresponsabiliser les agences sanitaires de leurs obligations de vérification de la complétude et de l’exactitude desdites déclarations d’intérêts ;
engager avec le ministère chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche une réflexion afin de valoriser l’expertise sanitaire dans la carrière des enseignants-chercheurs et praticiens hospitaliers.
Plus encore que dans d’autres secteurs de l’action publique, la définition des grandes orientations de santé publique et les décisions que les pouvoirs publics sont amenés à prendre dans ce champ à différents niveaux s’appuient sur la consultation préalable de professionnels dont les compétences scientifiques et l’expérience dans des domaines spécifiques et complexes sont précieuses pour en éclairer les bénéfices et les risques.
Le recours à des experts apparaît de fait comme une condition nécessaire pour que la décision publique puisse concilier au mieux des connaissances disponibles sécurité pour les patients et accès au progrès médical, en particulier dans le domaine en évolution très rapide du médicament et des produits médicaux.
Pour autant, le secteur sanitaire représente des enjeux financiers et économiques considérables : selon les Comptes nationaux de la santé, la consommation totale de soins et de biens médicaux a atteint, en 2014, 190,6 Md€, la dépense de médicaments (hors établissements de santé) s’établissant pour sa part à 33,9 Md€ (17,8 % du total) et celle en dispositifs médicaux à 13,8 Md€ (7,2 % du total).
Si depuis plus de 70 ans, les pouvoirs publics cherchent à imposer une régulation de la promotion des médicaments auprès des prescripteurs, les premières dispositions ayant pour objectif de garantir l’impartialité des experts sanitaires datent de 1993. C’est à cette période que tirant les conséquences des crises sanitaires des années 80-90 (sang contaminé, contamination par l’amiante) où l’État a été condamné pour « carence fautive » par le Conseil d’État, a été mis en place un système d’agences sanitaires fondé sur la séparation des fonctions d’évaluation et de gestion du risque.
La loi n° 93-5 du 4 janvier 1993 relative à la sécurité sanitaire en matière de transfusion sanguine et de médicament marque un premier pas vers l’indépendance de l’expertise sanitaire en créant l’agence du médicament et l’agence française du sang et en se référant aux obligations auxquelles sont astreints les fonctionnaires. La loi « anti-cadeaux » du 27 janvier 1993 transpose la directive 92/28/CEE du 31 mars 1992 et interdit aux entreprises de consentir des avantages aux prescripteurs. Dès 1995, l’agence du médicament introduit une obligation de déclaration d’intérêts pour tous les membres de commissions et de groupes de travail et crée une cellule de veille déontologique. La loi n° 98-535 du 1er juillet 1998 relative au renforcement de la veille sanitaire et de la sécurité sanitaire des produits destinés à l’homme crée l’agence française de sécurité des produits de santé (AFSSAPS) et introduit une obligation de publicité des déclarations d’intérêts des « collaborateurs externes », une sanction pénale en cas d’absence de sincérité ou d’omission et une obligation de déport des membres des instances s’ils ont un intérêt direct ou indirect à l’affaire examinée. À la suite d’un rapport de l’IGAS et de l’IGF3, l’AFSSAPS s’engage à améliorer la transparence du processus de sélection de ses experts externes (appel à candidatures public et sélection sur des critères objectifs) et à mieux tenir compte de leurs conflits d’intérêts.
La loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades prévoit une déclaration publique d’intérêts pour les commissions placées auprès du ministre de la santé et de la sécurité sociale, obligation codifiée à l’article L. 1451 du code de la santé publique par l’ordonnance n° 2010-331 du 24 mars 2010. La loi n° 2004-800 du 6 août 2004 relative à la politique de santé publique4 qui crée l'agence de biomédecine et la loi n° 2004-810 du 13 août 2004 qui crée la Haute Autorité de santé renvoient aux dispositions du code de la santé publique qui imposent des déclarations publiques d’intérêts aux collaborateurs externes et aux membres des instances collégiales. C’est cette même loi qui impose au comité économique des produits de santé des obligations déclaratives d’intérêts. La loi n° 2007-748 du 26 février 2007 parachève l’évolution juridique en distinguant les personnels d’un organisme sanitaire dont la déclaration d’intérêts n’est pas rendue publique et les collaborateurs occasionnels et les membres des commissions et conseils pour lesquels elle l’est. Aux termes de cette loi, les agences doivent aussi mettre à la disposition du public un rapport d’évaluation des résultats des essais cliniques, rendre publics les règlements intérieurs des commissions d’évaluation, leurs ordres du jour et leurs comptes rendus et donner le détail et les explications de vote.
L’orientation ainsi tracée est claire : les relations naturellement nombreuses entre l’industrie et les professionnels de santé, en particulier pour le développement de nouveaux produits, doivent être transparentes pour prévenir tout risque de mise en cause de l’impartialité du jugement de l’expert sanitaire, voire toute collusion.
L’affaire du Mediator, qui a très fortement compromis la confiance de l’opinion publique dans l’indépendance du processus de décision en matière sanitaire, a montré que ces dispositions n’étaient pas suffisantes.
L’inspection générale des affaires sociales a relevé en janvier 2011 plusieurs graves défaillances au plan de la déontologie :
le fait que deux des responsables les plus importants de l’AFSSAPS, au moins, aient contracté, après avoir quitté leurs fonctions respectives, des liens financiers avec les laboratoires Servier. Dans ces deux cas, il s’agissait de professeurs des universités-praticiens hospitaliers, médecins que le statut mettait hors du champ de compétence de la commission de déontologie ;
la présence d’un représentant institutionnel des laboratoires pharmaceutiques (LEEM, Les entreprises du médicament) dans les commissions et, parfois, dans les groupes de travail de l’agence ;
la présence à une table ronde sur « benfluorex et valvulopathies », dans le cadre des journées européennes de cardiologie, d’experts qui, un an auparavant, avaient été mandatés pour représenter les laboratoires Servier au sein de la Commission nationale de pharmacovigilance et de la commission d’autorisation de mise sur le marché de l’AFSSAPS portant sur le Médiator® (benfluorex).
Cette affaire a conduit les pouvoirs publics à reconsidérer complètement un dispositif qui semblait avoir failli. D’autres rapports parlementaires ont influencé les débats sur les conflits d’intérêts en matière d’expertise sanitaire au plan international. C’est le cas du rapport de la commission d’enquête du Sénat sur la grippe A (H1N1) 5.
La grippe A (H1N1)
Le rapport de la commission des questions sociales, de la santé et de la famille de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE) et les travaux de la commission d’enquête du Sénat soulèvent un certain nombre de questions sérieuses sur l’opacité de la gestion par l’OMS de la crise pandémique, comme sur les conflits d’intérêts de certains de ses experts et leurs conséquences sur les recommandations formulées par l’OMS.
Ce rapport reprend les conclusions d’une enquête de deux journalistes6 publiée dans le British Medical Journal (BMJ). Ceux-ci critiquent le fait que certains conflits d’intérêts apparaissent ignorés : certains experts ayant préparé le premier plan mondial de l’OMS de préparation d’une pandémie grippale publiée en 1999, travaillaient alors pour des firmes pharmaceutiques ; plusieurs auteurs de recommandations de l’OMS en 2004 sur l’utilisation de vaccins et des antiviraux en cas de grippe pandémique avaient également des contrats professionnels avec les laboratoires pharmaceutiques. L’OMS s’expose davantage que d’autres agences aux critiques sur la gestion des conflits d’intérêts en l’absence de publicité des déclarations d’intérêts. En outre, l’exemple le plus manifeste du manque de transparence est l’anonymat des membres du comité d’urgence de l’OMS qui a conseillé l’OMS lors de la pandémie y compris lors du passage d’une phase à l’autre.
Ainsi, faute de procédures transparentes de contrôle des conflits d’intérêts, l’APCE observe que le débat reste ouvert sur la possibilité d’une influence des laboratoires. Il existe en effet un certain nombre de « facteurs éveillant les soupçons d’abus d’influence » : la conclusion d’accords sur des vaccins pré-pandémiques avant le déclenchement de la pandémie, les bénéfices réalisés par les firmes pharmaceutiques à l’occasion de la pandémie grippale, les liens professionnels que peuvent entretenir les membres des conseils consultatifs de l’OMS avec les groupes pharmaceutiques ».
La loi n° 2011-2012 du 29 décembre 2011 relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé, dite « loi Bertrand », et ses textes d’application ont ainsi réorganisé très profondément la prévention des conflits d’intérêts en matière d’expertise sanitaire.
La notion de conflit d’intérêts a désormais reçu une définition législative par la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique dont l’article 2 précise que « constitue un conflit d’intérêts toute situation d’interférence entre un intérêt public et des intérêts publics et privés qui est de nature à influencer ou à paraître influencer sur l’exercice impartial de ses missions ». Le conflit d’intérêts peut ainsi être direct ou indirect, avéré ou simplement potentiel.
L’expertise sanitaire a été définie par le décret n° 2013-413 du 21 mai 2013 portant approbation de la charte de l’expertise sanitaire, comme « les activités qui ont pour objet d’éclairer le décideur et d’étayer sa prise de décision en santé et en sécurité sanitaire, en fournissant une interprétation, un avis ou une recommandation aussi objectivement fondés que possible, élaborés à partir de l’analyse critique des meilleures connaissances disponibles et de démonstrations argumentées sur des critères explicites, accompagnées d’un jugement professionnel fondé sur l’expérience des experts ». L’expertise sanitaire se distingue ainsi de l’expertise scientifique réalisée dans le cadre de projets d’études ou de recherche et de l’expertise médicale portant sur des cas individuels.
Ce texte pose des règles communes à l’ensemble du champ sanitaire et met en place une série de mesures obligatoires et contraignantes destinées à prévenir le risque de conflits d’intérêts, notamment la généralisation de l’obligation de renseigner une déclaration d’intérêts par les personnes parties prenantes à une décision, rendue publique selon certaines modalités ; la définition des règles à suivre en cas de conflits d’intérêts avérés ; la publicité des débats dans les instances collégiales ; la publication des conventions passées entre l’industrie du médicament et les professionnels de santé et des « avantages » qui peuvent leur être attribués dans ce cadre.
Conformément à la demande de la commission des affaires sociales du Sénat, la présente communication examine dans un premier temps les dispositifs et fondements de la loi du 29 décembre 2011 en vue de réguler les liens d’intérêts dans le champ sanitaire (ch. 1). Elle apprécie ensuite la mise en œuvre dans les agences sous revue, les manques et les confusions des règles applicables apparues à l’usage (ch. 2). Elle analyse enfin les mesures pratiques et les adaptations législatives ou réglementaires indispensables à prendre pour donner sa pleine effectivité au dispositif législatif (ch. 3).
La loi du 29 décembre 2011 est fondée sur un principe de transparence qui l’a fait parfois baptiser de « Sunhine Act à la française » par référence au dispositif mis en place aux États-Unis. Ce principe général a été décliné sous trois formes complémentaires, qui imposent aux différents acteurs des obligations déclaratives de leurs liens d’intérêts, le respect de règles strictes dès lors qu’ils se trouvent en situation de conflits d’intérêts selon des modalités de gestion de ces derniers vérifiables et au contrôle facilité par une traçabilité et une publicité des débats, et la déclaration publique des avantages consentis aux professionnels de santé par les entreprises produisant ou commercialisant des produits de santé à usage humain.
Ces dispositions forment un ensemble cohérent et ambitieux, mais le dispositif ainsi construit n’est pas exempt de faiblesses.
Avant l’adoption de la loi de décembre 2011, la déontologie relevait de dispositions dispersées dans le code de la santé publique, voire dans le code de la sécurité sociale, au gré de la création des organismes et institutions. Elles étaient de rédaction non homogène et peu lisible, car renvoyant le plus souvent à des textes concernant un autre opérateur, et d’autant plus facilement perdues de vue au risque de vicier les décisions prises, comme deux arrêts du Conseil d’État à deux mois d’intervalle l’avaient mis en lumière.
Deux arrêts importants du Conseil d’État dans le contexte d’élaboration de la loi
Dans la décision Aquarium n° 319828 du 11 février 2011 le Conseil d’État a jugé que « la simple présence lors des débats, puis lors de la délibération, d’une personne présentant un conflit d’intérêts constitué par des liens, directs ou indirects, mêmes déclarés par lui, suffisamment étroits pour être de nature à affecter son impartialité, suffit ainsi à vicier la procédure ; que l’obligation d’impartialité vaut notamment pour le rapporteur désigné pour instruire une telle demande, qui est chargé de rédiger le rapport initial soumis à la discussion du comité d’experts, ainsi que pour le président de ce comité, auquel il incombe de désigner les rapporteurs dans chaque dossier, de conduire les débats du comité et d’en signer les avis ».
De même la décision Formindep n° 334396 du 27 avril 2011 considère que lorsque le requérant apporte des éléments de nature à établir « l’existence de liens d’intérêts entre certaines personnes ayant participé au groupe de travail et des entreprises ou établissements intervenant dans la prise en charge du diabète », il appartient à l’administration de produire les déclarations d’intérêts de tous les membres du groupe de travail qui y sont astreints de par la loi afin de les soumettre au débat contradictoire ou à défaut de fournir tous éléments permettant « au juge de s’assurer de l’absence ou de l’existence de tels liens et d’apprécier, le cas échéant, s’ils sont de nature à révéler des conflits d’intérêt ». À défaut, la recommandation édictée en l’espèce par la Haute Autorité de santé est regardée comme adoptée à la suite d’une procédure irrégulière.
La loi de décembre 2011 leur a substitué un ensemble de règles d’application générale qui figurent au livre quatrième du code de la santé publique « administration générale de la santé » et regroupées en un titre V spécifique « règles déontologiques et expertise sanitaire »7.
Ces règles traduisent une approche globale. Il s’agit, au-delà du seul lien d’intérêt, de prévenir les situations dans lesquelles des personnes devraient défendre des intérêts antagoniques, en rendant explicite et transparent le processus de décision, en indiquant clairement quelles ont été les parties prenantes et selon quel positionnement, en donnant à comprendre les tenants et aboutissants de ladite décision et en soumettant à l’appréciation des tiers extérieurs son impartialité dans l’intérêt des patients. Le dispositif est construit à cet effet sur trois piliers :
la généralisation des déclarations obligatoires d’intérêts et leur publication ;
la transparence dans la prise de décision des commissions d’expertise, par l’enregistrement de leurs débats et la publication des comptes rendus ;
la clarté sur les avantages consentis par les entreprises aux professionnels de santé notamment, par leur publication en ligne sur un site unique.
Le premier pilier de la loi du 29 décembre 2011 pour prévenir les situations de conflits d’intérêts concerne les obligations déclaratives d’intérêts mises à la charge de différentes catégories de personnes qui, de par leurs fonctions, sont parties prenantes à la décision en matière sanitaire, soit parce qu’elles ont la responsabilité de la prendre, soit parce que par leurs recommandations ou leurs avis ils concourent à cette dernière.
Ces déclarations, qui sont rendues publiques, constituent une obligation préalable à la participation aux travaux des instances ou commissions, car il doit être possible de vérifier l’existence d’un risque de conflits d’intérêts afin que puissent en être tirées chaque fois les conséquences appropriées au regard du dossier concerné.
Les articles L. 1451-1 à 4 et L. 1452-3 du code de la santé publique définissent cinq catégories de personnes qui sont assujetties à l’établissement d’une déclaration publique d'intérêts (DPI), selon un périmètre large au moment de leur prise de fonction. Il est également précisé que ces personnes ne peuvent prendre part aux travaux, aux délibérations et aux votes des instances au sein desquelles elles siègent qu'une fois la déclaration souscrite ou actualisée.
Il est à noter que la loi ne soumet pas les membres des administrations centrales à cette obligation. Une instruction ministérielle du 2 août 2012 invite cependant les directeurs de la direction générale de l’offre de soins (DGOS), de la direction générale de la santé (DGS) et de la direction de la sécurité sociale (DSS), ainsi que les chefs de service, sous-directeurs, et chefs de département, à se soumettre à une déclaration d’intérêts sur le même modèle que celle de la loi.
Dans le champ de l’enquête, quatre catégories d’entre elles sont plus particulièrement concernées8.
Les membres des commissions et conseils siégeant auprès des ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale sont tenus, lors de leur prise de fonctions, d'établir une déclaration d'intérêts. L’arrêté du ministre de la santé du 2 août 2012 précise la liste de ces commissions et conseils dont les membres sont soumis à cette obligation.
Parmi les commissions siégeant auprès des ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale, l’une des plus importantes par les attributions qui sont les siennes et par la portée des décisions qu’elle est amenée à soumettre au ministre est le comité économique des produits de santé (CEPS)9, comité interministériel chargé de mettre en œuvre la politique gouvernementale en matière de tarification du médicament et des produits médicaux.
En effet, les choix tarifaires pour un médicament ou un dispositif médical, le niveau de ce tarif, voire le refus de fixer un tarif portent des conséquences en matière d’équilibre des comptes sociaux mais aussi de qualité des soins assurés à la population. La tarification du traitement innovant de l’hépatite C en est un exemple avec un coût prévisionnel de 700 M€ pour l’assurance maladie en 2015 pour un espoir de guérison de plusieurs dizaines de milliers de patients. Le comité prend ainsi des décisions qui ont une incidence sur la politique de santé publique10. En outre, il peut s’écarter de l’avis de la commission de la transparence de la Haute Autorité de santé (HAS) sur le niveau d’amélioration du service médical rendu d’un médicament lors de la fixation du prix.
Un décret du 9 mai 2012 prévoit ainsi logiquement que ses membres sont soumis aux obligations de déclaration d’intérêts déterminées par la loi de décembre 2011, mais un arrêté du ministre de la santé du 2 aout 2012, contraire à ce texte, l’en exclut. Le CEPS excipe en effet d’un régime particulier résultant de la loi n° 2004-810 du 13 août 2004, codifiée non au code de la santé publique mais à celui de la sécurité sociale11 qui avait instauré un régime de déclaration des liens d’intérêts préfigurant celui de la loi de 2011, mais avec une plus grande souplesse. Ce régime oblige à l’établissement de déclarations d’intérêts, publiées sur le site du comité, mais le modèle et le contenu de la déclaration ne sont pas définis. Aucune mise à jour, aucun contrôle ni aucune sanction en cas de défaut d’établissement des déclarations d’intérêts ou d’anomalies délibérées ne sont prévus, contrairement aux dispositions de la loi du 29 décembre 2011.
Les dirigeants, personnels de direction et personnels et d’encadrement de différentes institutions sanitaires, précisément énumérées par la loi, sont également soumises à déclaration d’intérêts.
L’ONIAM, l’INCa, l’ANSM et la HAS sont concernés par ces dispositions au même titre que notamment l’établissement français du sang, l’agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, l’institut national de veille sanitaire, l’institut national de prévention et d’éducation sanitaire, l’agence de la biomédecine, l’établissement public de préparation et de réponse aux urgences sanitaires et les agences régionales de santé.
Bien que les présidents, les directeurs et les directeurs généraux de la majeure partie des autorités et organismes qui entrent dans le champ de la loi du 29 décembre 201112 soient auditionnés par le Parlement avant leur nomination, ce texte ne les oblige pas à établir leur déclaration d’intérêts préalablement à leur nomination.
Cette procédure est différente de celle de l’Agence européenne du médicament puisque l’établissement de la déclaration y est préalable à la nomination, ce qui permet d’en contrôler le contenu et d’identifier d’éventuels conflits d’intérêts.
Le champ de ces obligations déclaratives se distingue de celui fixé par la loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique. Indépendamment des membres de cabinets ministériels, seuls les membres des autorités publiques indépendantes, ainsi que les personnes exerçant un emploi qui relève d’une nomination en conseil des ministres, sont soumis aux dispositions de ce texte relatives aux déclarations d’intérêts d’une part, patrimoniales de l’autre. Parmi les organismes retenus pour l’enquête, seule est concernée par ce texte la Haute Autorité de santé (HAS), créée13 avec le statut d’autorité publique indépendante à caractère scientifique et dont les huit membres de son collège sont soumis à la loi sur la transparence de la vie publique.
Les autres organismes entrant dans le champ de l’enquête en sont au contraire exclus. L’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM)14 et l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM)15 sont des établissements publics nationaux. L’Institut national du cancer (INCa)16 est un groupement d’intérêt public. Aucun de leurs dirigeants n’est nommé en conseil des ministres. Quant au CEPS, son président est nommé par arrêté interministériel17.
L’article L. 1451-1 du code de la santé publique et le décret pris pour son application, codifié à l’article R. 1451-1 du même code, ne limitent pas l’obligation déclarative aux seuls personnels exerçant des fonctions de direction ou d’encadrement, mais l’étendent également non seulement aux membres des organes dirigeants, mais aussi à tous ceux de leurs autres instances collégiales, commissions, groupes de travail18 et conseils « auxquels la loi, le règlement ou une mesure d'organisation interne confie la mission de prendre des décisions, d'émettre des recommandations, d'établir des références ou de rendre des avis ».
Ces textes disposent que ces différentes catégories de personnes ne peuvent prendre part aux travaux, aux délibérations et aux votes qu’une fois la déclaration d’intérêts souscrite ou actualisée et qu’ils doivent se déporter s’ils ont un intérêt, direct ou indirect, à l’affaire examinée.
Les personnes qui apportent leur expertise dans les domaines de la santé et de la sécurité sanitaire à la demande du ministre chargé de la santé ou des autorités et organismes définis par la loi du 29 décembre, sans être salariés de ces derniers ni membres de leurs instances, commissions ou groupes de travail, relèvent d’un régime particulier que l’article L. 1452-2 du code de la santé publique a renvoyé à une charte de l’expertise, approuvée par décret en Conseil d’État, le soin d’en préciser le cadre de manière à « respecter les principes d’impartialité, de transparence, de pluralité et de contradictoire ».
Ce texte définit la notion de liens d’intérêts comme recouvrant « les intérêts ou les activités, passés ou présents, d’ordre patrimonial, professionnel ou familial, de l’expert en relation avec l’objet de l’expertise qui lui est confiée, et précise que « le conflit d’intérêts naît d’une situation dans laquelle les liens d’intérêts d’un expert sont susceptibles par leur nature ou leur intensité de mettre en cause son impartialité ou son indépendance dans l’exercice de sa mission d’expertise au regard du dossier à traiter ».
Il impose ainsi aux experts prêtant un concours ponctuel de déposer une déclaration d’intérêts, selon le modèle défini pour les autres catégories d’assujettis, de telle manière que l’organisme soit en mesure d’apprécier, au cas par cas, si l’expert présente ou non un lien d’intérêts faisant obstacle à ce que l’évaluation d’un dossier précis lui soit confiée.
Le décret n° 2012-745 du 9 mai 2012 fixe le modèle et le contenu des déclarations d’intérêts, les conditions dans lesquelles elles sont rendues publiques, les modalités de leur actualisation et de leur conservation19.
Il dispose que doivent être déclarés les liens d’intérêts de toute nature, directs ou par personne interposée, que le déclarant a eus, pendant les cinq ans qui précèdent sa prise de fonction, avec des entreprises ou organismes dont le champ de compétence rejoint celui de l’organisme dans lequel il apporte son concours.
Le formulaire type de la déclaration publique d’intérêts a été fixé par un arrêté du ministre des affaires sociales et de la santé du 5 juillet 2012. Ce texte prévoit huit rubriques à remplir :
- activités principales actuelles et anciennes ;
- activités secondaires (expertises, participations à des colloques, travaux scientifiques divers, brevets détenus…) ;
- activités actuelles et anciennes dirigées par l’intéressé et ayant fait l’objet d’un financement par un organisme à but non lucratif du secteur de la santé ;
- participations financières détenues dans des entreprises du secteur de la santé ; activités professionnelles et intérêts financiers de proches parents dans le secteur de la santé ; autres types de liens d’intérêts éventuels ;
- absence de tout lien d’intérêts du déclarant ;
- montant des intérêts détenus ou mentionnés générés au titre des activités précédemment déclarées (hors activité principale).
Les déclarations sont actualisées à l’initiative du déclarant20 dès qu’une « modification intervient concernant ces liens ou que de nouveaux liens sont noués, et au minimum annuellement même sans modification »21
Elles sont établies et actualisées sur un site internet unique ou par le dépôt d’un formulaire22. À ce jour cependant, l’arrêté des ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale, après avis de la CNIL23 pour l’organisation du site unique, n’est toujours pas paru. Dans ces conditions les déclarations d’intérêts sont publiées24 sur le site internet de chaque institution selon des formats et des modalités non harmonisés.
La possibilité de prendre connaissance des déclarations d’intérêts qui en résulte doit rester effective pendant la durée de fonction du déclarant et durant les cinq années suivant la fin de ses fonctions25, de manière notamment à faciliter le contrôle par toutes les parties prenantes, et au-delà par les citoyens, les associations d’usagers et les médias, de la bonne application des obligations déclaratives. Les déclarations doivent par ailleurs être conservées par l’organisme au titre duquel elles sont déposées pendant dix ans26.
Les dispositions prévues dans le champ sanitaire diffèrent27 de celles de la loi du 11 octobre 2013 qui obligent à la déclaration de tous les liens d’intérêts sans restriction de nature. La publicité des déclarations d’intérêts est plus étendue que celle qui résulte de ce texte, seules les déclarations d’intérêt des membres du gouvernement, des députés et sénateurs et des principaux exécutifs des collectivités territoriales transmises à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), étant accessibles au public dans des conditions strictement encadrées.
En cas de conflit d’intérêts avéré, la loi du 29 décembre 2011 a mis en place un double dispositif : soit en règle générale une obligation de déport, se traduisant par l’exclusion de la personne concernée de toute participation aux travaux, soit pour les experts sanitaires en fonction d’une gestion graduée de la participation maintenue s’il est estimé que le conflit d’intérêt n’est pas de nature ou d’intensité susceptible de faire mettre en doute l’indépendance ou l’impartialité de l’expert pour l’expertise considérée.
La combinaison de ces deux modalités de gestion des conflits d’intérêts crée des situations ambigües et facilite une interprétation souple des règles là où leur application stricte est particulièrement requise.
Une obligation de déport très étendue s’impose rigoureusement à toutes les catégories de personnes soumises obligatoirement à déclaration d’intérêts en cas de conflits d’intérêts. L’article L. 1451-1 du code de la santé publique dispose que toutes les personnes soumises par ce même texte à obligation de déclaration d’intérêts, c’est-à-dire « les dirigeants, personnels de direction et d’encadrement et les membres des instances collégiales, des commissions, des groupes de travail et conseils des autorités et organismes » définis par la loi « ne peuvent prendre part aux travaux, aux délibérations et aux votes des instances au sein desquels elles siègent qu’une fois la déclaration souscrite ou actualisée ».
Il précise en outre explicitement que tout conflit d’intérêts crée ipso facto une incompatibilité immédiate, totale et absolue pour siéger et participer aux travaux : (ces personnes) « ne peuvent sous les peines prévues à l’article 432-1 du code pénal, prendre part ni aux travaux ni aux délibérations ni aux votes de ces instances si elles ont un intérêt direct ou indirect à l’affaire examinée ».
L’article L. 1452-2 du code de la santé publique, qui s’applique aux expertises sanitaires réalisées ponctuellement à la demande du ministre de la santé ou des autorités et organismes dans le champ de la loi renvoie à un texte règlementaire portant charte de l’expertise sanitaire le soin de préciser « les modalités de gestion d’éventuels conflits d’intérêts ».
La charte préconise que chaque organisme recourant à des experts sanitaires établisse un « guide d’analyse des intérêts déclarés », permettant d’évaluer le risque de conflit d’intérêts. L’existence d’un lien d’intérêt ne disqualifie pas automatiquement l’expert. La charte impose au préalable une analyse des liens d’intérêts, de leur nature et de leur intensité au regard du dossier à traiter pour apprécier et décider en conséquence du niveau de participation de l’expert.
La charte de l’expertise sanitaire, tout en rappelant au préalable que « l’identification d’un conflit d’intérêts au regard d’une expertise donnée conduit l’organisme à exclure la participation de cet expert », définit en effet une approche plus souple dans deux cas :
si la nature ou l’intensité du conflit d’intérêts n’est pas telle qu’elles puissent être susceptibles de faire douter de l’indépendance ou de l’impartialité de l’expert, l’organisme peut l’associer à la réalisation de l’expertise, dans des conditions qu’il détermine en fonction du sujet et du type d’expertise et sous réserve d’en informer les autres participants à l’expertise si celle-ci est collégiale et de veiller à ce que le rapport, l’avis ou la recommandation qui en résulte décrive les liens d’intérêts ainsi décelés ;
à titre exceptionnel, un expert en situation de conflit d’intérêts peut intervenir à deux conditions cumulatives : l’intérêt scientifique et technique du dossier, et l’absence d’experts de même compétence dépourvus de liens d’intérêts. L’expert ainsi sollicité, malgré sa situation de conflits d’intérêts, ne peut cependant « en aucun cas participer à la rédaction des conclusions ou des recommandations de l’expertise ».
Cette approche graduée se justifie au nom du principe de réalisme face à un vivier étroit d’experts de haut niveau dans certaines spécialités médicales pointues.
Encore convient-il qu’elle reste étroitement circonscrite au périmètre, strictement défini par la loi, du recours à des experts « à la demande » en vue d’une expertise spécifique, par opposition aux experts désignés comme membres d’« instances collégiales, commissions, groupes de travail et conseils » pour lesquels comme pour tous les autres membres une situation de conflits d’intérêts ne saurait se traduire que par un complet déport.
Même si la loi utilise le terme générique d’ « instances » pour les « commissions, groupes de travail et conseils », aucun de leurs membres, quelle que soit leur qualité, ne bénéficie du régime de l’expertise sanitaire, réservé aux experts ponctuels, ainsi que le reconnaît pleinement la direction des affaires juridiques du ministère de la santé.
La Cour a procédé à l’analyse du cadre réglementaire applicable à la prévention et à la gestion des conflits d’intérêts dans trois agences européennes ayant un pouvoir d’édiction de normes et de décisions : l’Agence européenne du médicament (European Medicines Agency : EMA), l’Autorité européenne de sécurité des aliments (European Food Safety Authority : EFSA) et l’Agence européenne des produits chimiques (European Chemicals Agency : ECHA).
Le règlement n° 726/2004, qui fonde l’Agence européenne des médicaments, prévoit l’élaboration d’un code de conduite28 afin d’établir les règles concrètes en matière d’indépendance et de transparence. Il a introduit des politiques et des procédures spécifiques en matière de déclaration, d’évaluation et de gestion des conflits d’intérêts, notamment en ce qui concerne les risques liés à l’industrie. L’EMA a également adopté une politique en matière de traitement des conflits d’intérêts des membres et des experts du comité scientifique29.
Le règlement n° 178/2002, qui fonde l'Autorité européenne de sécurité des aliments, prévoit expressément l’obligation d’établir une déclaration publique d’intérêts, renouvelée annuellement, pour les membres du conseil d’administration, ainsi que pour les membres du comité scientifique et des groupes scientifiques. Il est également prévu que les membres du conseil d'administration, le directeur exécutif, les membres du forum consultatif, les membres du comité scientifique et des groupes scientifiques ainsi que les experts externes participant à leurs groupes de travail déclarent, lors de chaque réunion, les intérêts qui pourraient être considérés comme préjudiciables à leur indépendance par rapport aux points à l'ordre du jour. L’EFSA a également adopté un code de bonne conduite administrative le 16 septembre 2003, une politique concernant les déclarations d’intérêts et des modalités d’exécution de la politique en matière de déclarations d’intérêts30.
Le règlement n° 1907/2006, instituant une agence européenne des produits chimiques, a prévu l’obligation de présenter une déclaration écrite d’intérêts pour les membres du conseil d'administration, le directeur exécutif et les membres des comités et du forum ; elles doit pouvoir être consultée sur demande aux bureaux de l’Agence. Il est également prévu que les membres du conseil d'administration, le directeur exécutif, les membres des comités et du forum, ainsi que les experts éventuellement présents déclarent les intérêts qui pourraient être considérés comme étant de nature à compromettre leur indépendance en ce qui concerne l'un quelconque des points inscrits à l'ordre du jour31. L’ECHA s’est aussi dotée d’orientations sur les conflits d’intérêts, les invitations et les cadeaux, ainsi que sur les déclarations d’engagement, de confidentialité et d’intérêts32, d’un code de bonne conduite administrative33 et d’une politique de gestion des conflits d’intérêts potentiels34.
En 2011 le Parlement européen a invité la Cour des comptes européenne à « entreprendre une analyse globale des approches adoptées par les agences européennes pour gérer les situations de conflits d’intérêts potentiels »35. Cette dernière a constaté que l’EMA et l’EFSA avaient déployé les procédures de gestion de conflits d’intérêts les plus élaborées, tandis que celles de l’ECHA étaient incomplètes. Elle n’en a pas moins relevé à l’EMA et à l’EFSA des insuffisances, voire des incohérences. Elle a relevé que les restrictions imposées aux experts lorsque leur organisation ou eux-mêmes recevaient des fonds versés par l’industrie pharmaceutique étaient trop limitées : le bénéficiaire d’un financement assuré par une entreprise pouvait jouer le rôle de (co)rapporteur responsable des médicaments de cette entreprise.
À la suite de cet audit, les agences européennes ont été conduites à revoir en profondeur leurs procédures. Elles contrôlent désormais les déclarations d’intérêts avant toute nomination ou engagement. Ce contrôle est destiné à détecter les conflits d’intérêts potentiels qui n’empêcheront pas le déclarant de participer aux activités de l’Agence mais conduiront à limiter sa participation aux cas identifiés par les politiques de l’agence.
Le deuxième pilier de la loi du 29 décembre 2011 (art. L. 1451-1-1 du code de la santé publique) consiste à assurer la transparence et la traçabilité des débats dans les instances collégiales d’expertise sanitaire mais aussi celle de la procédure de prévention des conflits d’intérêts.
Les textes d’application disposent que sont obligatoires l’enregistrement intégral - les participants sont informés au plus tard en début de séance que leurs interventions sont enregistrées - et la diffusion des procès-verbaux qui concernent les débats conduisant à l’adoption d’un avis sur une question de santé publique ou de sécurité sanitaire recueillie à titre obligatoire ou facultatif préalablement à une décision administrative.
Ces enregistrements ainsi que les procès-verbaux qui retracent notamment l’ordre du jour, le compte rendu des débats, le détail des explications des votes, y compris les opinions minoritaires, sont susceptibles d’une diffusion en ligne. Ils doivent demeurer accessibles en ligne pour une durée minimum36 d’un an et être archivés pendant dix ans. Les textes37 rappellent la limite imposée à ces diffusions en raison de l’obligation de respecter « les secrets protégés par la loi ».
La liste des instances et commissions dont les débats donnent lieu à enregistrement n’a pas été fixée dans un texte réglementaire. L’analyse se fait ainsi au cas par cas, le critère déterminant consistant à vérifier si l’instance considérée est chargée d’une mission d’expertise ou non.
La loi n° 93-121 du 27 janvier 1993 portant diverses mesures d’ordre social38, dite loi « anti-cadeaux »39, avait interdit aux membres des professions médicales de recevoir des avantages en nature ou en espèces, sous quelque forme que ce soit, directs ou indirects, procurés par des entreprises assurant des prestations, produisant ou commercialisant des produits sanitaires remboursés par les régimes obligatoires de sécurité sociale40, à l’exception des conventions ayant pour objet explicite et but réel la recherche ou l’évaluation scientifique et des conventions d’hospitalité lors de manifestations de promotion ou de manifestations à caractère exclusivement professionnel et scientifique41. Ces conventions devaient être transmises au préalable au conseil départemental de l’ordre des médecins et notifiés, quand il s’agit de conventions de recherche ou d’évaluation, effectués dans un établissement de santé, au responsable de cet établissement. Un dispositif de contrôle et de sanctions était prévu.
Les contrôles de la DGCCRF
Depuis 2002, consécutivement au rétablissement de ses pouvoirs de contrôle par la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002, la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) a lancé une série d’enquêtes annuelles approfondies, secteur par secteur, permettant de mettre à jour de nombreuses pratiques discutables. Dès 2005, elle a lancé des enquêtes en planifiant chaque année un secteur précis d’activité. Jusqu’en 2009, trois pratiques vont limiter les investigations de la DGCCRF :
- des entreprises prestataires de service s’interposent pour l’organisation des manifestations, ce qui introduit un écran supplémentaire et rend plus complexe la recherche de preuves de cadeau illicite ;
- des filiales étrangères prennent en charge certaines dépenses relatives à des congrès organisés hors du territoire, ce qui permet de réduire le coût total de la manifestation ;
- des subventions sont versées à des associations de médecins, qui vont alors faire office d’écran.
Toutes ces enquêtes mettent en évidence le développement de pratiques visant à masquer les dérives mais aussi le niveau de complexité auquel les enquêtes doivent faire face. Elles n’aboutiront qu’à peu de suites contentieuses et à de rares condamnations.
Aussi, à partir de 2010, les enquêtes sont-elles réorganisées. Elles ne sont plus lancées à partir d’indices portant seulement sur des pratiques dites « anti-cadeaux » mais à partir d’indices dits pertinents. Au bout de deux ans, le résultat est tout aussi mitigé. Depuis 2012, en raison de leur niveau de complexité, ces enquêtes relèvent du service national des enquêtes de la DGCCRF. Cependant une seule condamnation importante a été signalée à la Cour en 2014 pour un congrès reconnu comme non professionnel42, et la sanction s’est élevée à 100 000 €. Cette condamnation a été confirmée en appel en 2015.
La DGCCRF déplore l’absence de définition par le code de la santé publique de la notion d’entreprise par rapport à celle de personne physique ou morale (difficulté résolue par la loi de modernisation de notre système de santé). Elle critique aussi les confusions possibles entre les conventions de recherche et d’évaluation scientifique et les contrats de consultants. Elle fait enfin état des difficultés de collecte des éléments de preuve qui ne mettent pas le juge en situation de prononcer la sanction pénale prévue par la loi. Elle cite en particulier la difficulté à distinguer, pour les pharmaciens notamment, un avantage d’un rabais, d’une ristourne ou d’une remise relevant de la coopération commerciale.
La loi du 4 mars 2002 a étendu l’obligation de transmission à tous les ordres de professions médicales et introduit la compétence du conseil national compétent si le champ d’application de ladite convention dépasse le cadre du département. Elle a renvoyé à un décret en Conseil d’Etat les modalités de transmission de ces conventions et imposé l’obligation de transmission des avis ordinaux défavorables aux professionnels de santé concernés. La loi n° 2004-810 du 13 août 2004 a étendu ces dispositions aux membres et collaborateurs du CEPS. La loi n°2007-248 du 26 février 2007 a restreint le champ des conventions d’hospitalité aux manifestations à caractère principalement professionnel et scientifique et aux seuls professionnels directement concernés.
La loi du 29 décembre 2011 a introduit une autre logique, celle de l’obligation de transparence des avantages consentis aux professionnels de santé en s’inspirant du « Sunshine Act » américain. Les deux dispositifs ont le même objectif de transparence, mais utilisent des mécanismes différents dans leur périmètre, leur mode de gestion et les sanctions applicables en cas de non-respect. L’obligation de publication aux Etats-Unis étant intervenue, pour la première période de trois ans, en 2013, le recul est encore insuffisant pour comparer l’efficacité des deux approches.
Le dispositif américain dispose d’un champ à la fois plus restreint, s’agissant des personnes concernées, médecins et hôpitaux universitaires, et plus large, s’agissant des obligations de publication qui concernent toutes les conventions sans exclusive et toutes les modalités d’attribution d’avantages, y compris sous forme de détention de titres.
Par ailleurs, le secrétaire à la santé et aux services humains, équivalent du ministre de la santé en France, doit communiquer au Congrès les informations inscrites dans la base de données au cours de la dernière année, les mesures coercitives prises pour faire exécuter l’obligation de déclaration et les éventuelles sanctions imposées. Le dispositif français n’a prévu aucune obligation de ce type.
Ces dispositions ont un impact direct sur la présentation et l’accès aux données du site « Open payment ». La page d’accueil présente les statistiques de la base données qui est facilement téléchargeable et exploitable43, ce qui n’est pas le cas de la base de données du site « Transparence santé » en raison de la protection des données à caractère personnel imposée par la CNIL. La possibilité de retraitements statistiques à partir de la base de données française se trouve limitée Il s’agit d’une des différences majeures entre les deux systèmes.
L’obligation s’impose à toutes les entreprises produisant ou commercialisant des produits (médicaments, dispositifs médicaux, produits cosmétiques, etc.) soumis à autorisation de l’ANSM pour les conventions passées avec un ensemble très large de parties prenantes :
professionnels de santé relevant de la quatrième partie dudit code, médecins, chirurgiens-dentistes, sages-femmes, pharmaciens, préparateurs en pharmacie, auxiliaires médicaux, aides-soignants, auxiliaires de puériculture et ambulanciers ;
associations de professionnels de santé ;
étudiants dont les études destinent aux professions relevant de la quatrième partie du code de la santé publique ainsi que les associations et groupements qui les représentent ;
associations d’usagers du système de santé ;
établissements de santé relevant de la sixième partie du code de la santé publique ;
fondations, sociétés savantes et sociétés ou organismes de conseil intervenant dans le secteur des produits et prestations mentionnés dans la circulaire de 201344.
La loi impose désormais à l’entreprise d’informer l’instance ordinale si la convention qui lui a été soumise pour avis a été mise en application. Elle renvoie à un décret en Conseil d’Etat la nature des informations qui doivent être rendues publiques et les conditions dans lesquelles les instances ordinales sont associées à cette publication. Ces obligations qui ont été précisées par le décret n° 2013-414 du 21 mai 2013 sont les suivantes45 :
en ce qui concerne les conventions, l’identité des cocontractants, la date de leur signature, leur objet et, le cas échéant, le programme de la manifestation ;
en ce qui concerne les avantages, l’identité du bénéficiaire, leur montant, la date et la nature de chaque avantage perçu ainsi que le semestre au cours duquel l’avantage a été consenti.
Ce même décret prévoit que ces informations sont rendues publiques et demeurent accessibles pendant cinq ans sur un site internet unique46, dont l’autorité responsable est, aux termes de l’arrêté du 3 décembre 2013, le ministre chargé de la santé. Il prévoit également une période transitoire pendant laquelle le Conseil national de l’Ordre des médecins (CNOM)47 assure la publication sur son propre site de toutes les informations relatives aux conventions passées par les laboratoires avec des praticiens, jusqu’à ce qu’à la publication de l’arrêté ministériel.
Après parution de cet arrêté le 3 décembre 2013, le site dénommé « Transparence santé » a pu démarrer en juin 2014, soit deux ans et demi après la promulgation de la loi qui l’instituait. Ce délai peut paraître long au regard des enjeux et de l’importance qu’y attachait le législateur.
Les dispositions nouvelles ainsi mises en place font peser sur les différents acteurs des exigences justifiées par la sensibilité même des décisions à prendre dans le domaine de la santé publique. La législation française va plus loin que le droit communautaire dans la transparence sur les avantages attribués par des entreprises du secteur de la santé. Les règles applicables dans les agences européennes se limitent à l’interdiction de « primes, avantages pécuniaires ou en nature », et ouvrent une exception d’hospitalité sans imposer en pareil cas une déclaration publique des avantages consentis dans ce cadre. Le dispositif de prévention des conflits d’intérêts issu de la loi du 29 décembre 2011 n’est pourtant pas dénué de faiblesses de nature à en amoindrir la portée et à entraver sa bonne mise en œuvre.
La loi avait prévu l’organisation d’un contrôle des déclarations d’intérêts, mais la non-mise en œuvre de ce contrôle a largement privé de son effectivité le dispositif de sanctions pénales en cas de non-respect des obligations déclaratives. En outre, l’obligation de déclarations des avantages perçus par les professionnels de santé a été limitée dans sa mise en œuvre.
Les déclarations d’intérêts et leur actualisation sont sous la responsabilité des personnes assujetties qui sont tenues de déclarer de manière exhaustive et sincère les liens d’intérêts qui peuvent les concerner. Cependant, la loi de décembre 2011 avait prévu la création d'une commission éthique48 dans chaque institution afin de contrôler la véracité des informations figurant sur les déclarations d’intérêts qui lui étaient adressées. Le décret d’application n’a pas été pris, et cette disposition qui n’allait pas jusqu’à accorder des pouvoirs d’investigation à cette instance est restée lettre morte.
Plutôt que de compléter sur ce point la loi de décembre 2011, l’article 178 de la loi de modernisation de notre système de santé du 26 janvier 2016 a procédé à une réécriture complète de l’article L. 1451-4 du code de la santé publique.
Il supprime les commissions éthiques pour confier à chaque organisme la vérification du respect des obligations en matière de déclaration publique d’intérêts et de prévention des conflits d’intérêts49. Chaque organisme entrant dans le champ de la loi doit ainsi désigner un déontologue chargé de veiller au respect du dispositif, d’établir un rapport annuel sur les conditions de son application, et de le publier sur un site internet. Ce dernier a le droit d’exiger des informations auprès des personnes concernées, mais sans conséquence en cas d’absence de réponse. Il veille, au moins une fois par an, à ce que les déclarations soient à jour.
Ce dispositif, dont les modalités de mise en œuvre seront précisées par un décret en conseil d’État, est très en retrait par rapport à l’objectif initial d’un contrôle de la véracité des informations déclarées.
Aucune des deux autres mesures de transparence, le premier sur les avantages consentis, le second sur la publication des débats des commissions d’expertise sanitaire, n’est par ailleurs soumise à contrôle spécifique.
Alors même que le contrôle des obligations n’est pas assuré, la loi de décembre 2011 a prévu des dispositions pénales en cas de non-respect de celles-ci. Ainsi, l’omission volontaire d'une déclaration d’intérêts ou de sa mise à jour et la déclaration d’une information mensongère qui porte atteinte à sa sincérité sont sanctionnées50 par une amende. De même, se dispenser délibérément de rendre publics les conventions et les avantages directs et indirects sur le site « Transparence santé » est passible de sanctions51.
D’autres peines complémentaires sont prévues selon la gravité de l’infraction52. S’agissant des personnes physiques, l’amende peut être notamment complétée par la publication de la condamnation, l’interdiction des droits civiques, l’interdiction de l’exercice d’une fonction publique, une profession commerciale ou industrielle. S’agissant des personnes morales, l’amende peut être quintuplée et associée notamment à une publication de la condamnation, une interdiction temporaire ou définitive d’exercer une activité professionnelle, un placement sous surveillance judiciaire, une fermeture temporaire ou définitive, l’exclusion temporaire ou définitive des marchés publics.
Le système américain est plus strict, car il sanctionne non seulement l’omission volontaire de déclaration, mais aussi la simple absence de déclaration.
Par défaut de contrôle institutionnalisé, l’effectivité du dispositif de sanctions risque de demeurer illusoire, sauf découverte fortuite d’informations lacunaires ou mensongères. En tout état de cause, aucune enquête judiciaire, en l’absence d’information portée à la connaissance des procureurs de la République, n’a été à ce stade diligentée au titre de présomption d’infraction sur le fondement de déclarations d’intérêts délibérément erronées.
L’article 180 de la loi du 26 janvier 2016 tire cependant les conséquences de ce constat et prévoit qu’une ordonnance, prise dans un délai d’un an, harmonisera et mettra en cohérence les dispositions du code pénal, du code de la santé publique et du code de la sécurité sociale relatives aux sanctions pénales ou administratives instituées en cas d’infractions et adaptera les prérogatives des autorités chargées de constater les infractions et manquements.
L’article L. 1453-1 du code de la santé publique a prévu que les entreprises du secteur sanitaire déclarent « tous les avantages en nature ou en espèces que ces dernières procurent, directement ou indirectement », à des personnes et à des acteurs institutionnels de santé.
Le texte pris pour son application, codifié à l’article R. 1453- 2 du code de la santé publique, a restreint son champ en disposant que « cette obligation ne s’applique pas aux conventions régies par les dispositions du code de commerce qui ont pour objet l’achat de biens ou services entre ces mêmes personnes », limitant de ce fait la déclaration aux cadeaux, dons de matériels, invitations, frais de restauration, prise en charge de voyages d’agrément, ou des commissions, ristournes, ou des remboursements de frais », selon la circulaire ministérielle du 29 mai 2013, à l’exclusion de toute rémunération en espèces. Le site « Transparence santé » n’a de de ce fait apporté qu’une transparence limitée par rapport à l’objectif posé par la loi.
Le Conseil d’État53 a cependant précisé, en février 2015, la notion controversée « d’avantages en espèces » en disant pour droit que le législateur a, « en mentionnant les avantages en espèces, entendu soumettre à l’obligation [de publicité] les rémunérations accordées ». Dans un avis au ministre n° 389 579 du 26 mars 2015, il a estimé qu’une disposition législative n’était pas nécessaire mais que le pouvoir réglementaire devrait tirer les conséquences de son arrêt précité.
Les pouvoirs publics ont choisi néanmoins de limiter les risques de contestation en fondant sur une disposition législative ad hoc, prise aux termes de l’article 178 de la loi de modernisation de notre système de santé, l’obligation explicite qui s’impose aux entreprises de publier les « rémunérations » qu’elles versent aux personnes physiques ou morales dans le cadre de « conventions relatives à la conduite de travaux d’évaluation de la sécurité, de vigilance ou de recherche biomédicale » (cf. infra).
CONCLUSION
En incluant dans le champ de la prévention des conflits d’intérêts l’ensemble des parties prenantes aux décisions prises en matière sanitaire, le dispositif issu de la loi du 29 décembre 2011 se caractérise par son ambition et sa cohérence.
Les membres des instances des agences sanitaires ou organismes chargés d’émettre des avis ou des recommandations ou de prendre des décisions, et les experts sollicités pour les y aider ne peuvent participer à ces travaux qu’après avoir déposé une déclaration d’intérêts qui est rendue publique et qui permet à l’organisme de les exclure des travaux si des liens d’intérêts existent au regard de l’affaire à traiter.
Les débats des instances en matière d’expertise sont enregistrés et sont rendus publics comme les comptes rendus des séances.
Enfin, les entreprises du secteur sanitaire doivent déclarer sur un site internet ministériel leurs liens avec les professionnels de santé, directement ou via les personnes morales destinataires de fonds, et les avantages en nature et en espèces qu’ils leur accordent.
Les dispositifs portés par la loi du 29 décembre 2011 sont plus exigeants que la réglementation européenne quant à leur champ : le même dispositif de déclaration d’intérêts s’applique à tout le champ sanitaire et la base « Transparence santé », en portant à la connaissance du public les avantages en nature ou en espèces, directs ou indirects, va plus loin que le dispositif européen.
Plusieurs problèmes d’interprétation et de mise en œuvre sont cependant venus perturber cette construction.
Dans quelques cas en effet, la superposition de la loi du 29 décembre 2011 et des dispositions législatives antérieures qui n’avaient pas été abrogées a créé des marges d’interprétation. Ainsi le CEPS a pu, en excipant d’une disposition antérieure du code de la sécurité sociale moins contraignante, se soustraire aux nouvelles prescriptions.
De même, le champ des assujettis à la loi « anti-cadeaux » a été élargi et des obligations de publication ont été imposées pour les avantages consentis par les industriels, sans pour autant que l’administration de la preuve de manquements s’avère possible. La loi de modernisation de notre système de santé vise à corriger ce défaut sans cependant prévoir l’organisation d’un contrôle effectif de la complétude et de l’exactitude de ces déclarations.
Le double mécanisme de gestion des conflits d’intérêts, imposant le déport lorsque qu’on est expert membre d’une instance mais autorisant pour les experts invités ou ayant voix consultative une gestion graduée et différenciée selon la nature et l’intensité des conflits en cause pour des raisons scientifiques, si elle apparaît justifiée, a brouillé la compréhension des règles. Il a facilité la généralisation d’une interprétation souple des conséquences à tirer du constat d’un conflit d’intérêts pour les professionnels de santé membres d’instances collégiales, commissions ou groupes de travail.
La mise en œuvre de la loi a été, en outre, contrariée par les retards de publication des décrets et autres dispositions réglementaires nécessaires : la charte de l’expertise sanitaire, au cœur du dispositif, n’a été publiée qu’en mai 2013 ; le site « Transparence santé » n’a été opérationnel qu’en juin 2014 ; la publication des rémunérations accessoires n’est toujours pas effective cinq ans après la promulgation de la loi malgré la clarté de l’arrêt du Conseil d’État de février 2015.
Le décret nécessaire à la création d’une commission éthique par organisme, chargée du contrôle de la véracité des déclarations d’intérêts, n’a pas été publié, alors que les travaux préparatoires à la loi montrent clairement la volonté du Parlement de mettre en place un contrôle de la véracité des déclarations d’intérêts. En prévoyant la nomination d’un déontologue dans chaque organisme en lieu et place de la commission éthique, la loi de modernisation de notre système de santé est en retrait sur ce point par rapport à l’ambition initiale de la loi du 29 décembre 2011.
La mise en œuvre de la loi a aussi été rendue malaisée par l’absence de site ministériel unique prévu par la loi qui seul aurait permis une gestion centralisée et homogène des déclarations d’intérêts.
Au total ces défauts de conception et ces difficultés d’interprétation n’ont pu que peser négativement sur la mise en œuvre du dispositif de prévention des conflits d’intérêts.
L’examen de la mise en œuvre des dispositifs de prévention des conflits d’intérêts au sein des cinq organismes sous revue a porté systématiquement sur la collecte des déclarations d’intérêts des assujettis, les outils mis en place et les procédures d’examen des liens d’intérêts. Le champ de l’enregistrement et la publication des débats de chacun ont été également vérifiés. Enfin, le contenu de la base « Transparence santé » a été examiné.
Les personnes assujetties doivent fournir une déclaration d’intérêts qui doit être publiée avant qu’elles soient autorisées à prendre part aux travaux de l’instance à laquelle elles appartiennent ou qu’elles participent à l’expertise pour laquelle elles sont sollicitées. Il revient donc aux organismes de recueillir ces déclarations, de procéder à leur analyse afin de déterminer l’existence de liens d’intérêts, puis de les publier.
Le contrôle de la publication des déclarations d’intérêts a concerné les membres des instances, les salariés visés par la loi de décembre 2011 ainsi qu’un échantillon d’experts sanitaires « externes ».
Les vérifications de la Cour ont ainsi porté sur 2 904 DPI sur un nombre théorique estimé à 3 953, soit un taux de vérification élevé de plus de 73 % qui a donc un caractère totalement probant. Le taux d’anomalies54 trouvées dépasse 20 %, ce qui dans une procédure de certification des comptes serait rédhibitoire. Il masque néanmoins de profondes disparités entre agences et au sein des agences par catégorie d’assujettis et type d’anomalies.
Précisions méthodologiques
Les membres des instances de gouvernance en fonction au moment du contrôle ont fait l’objet d’un contrôle systématique, alors même que certains conseils étaient en cours de renouvellement : c’est le cas du conseil scientifique de l’ANSM ou des commissions de la HAS. Le nombre de déclarations d’intérêts (DI) examinées est de ce fait inférieur au nombre théorique de membres.
Les déclarations publiques d’intérêts (DPI) des salariés ont été contrôlées systématiquement, sauf pour celles de l’ANSM. En effet, s’agissant de cette agence, le service de déontologie conduisait concomitamment une vérification qualitative, dont les résultats ont été communiqués à la Cour le 20 novembre 2015 et ont été intégrés dans le tableau récapitulatif ci-dessous.
Au sein de la catégorie « salariés », figure une proportion non négligeable d’experts sanitaires, en particulier ceux qu’on appelle les évaluateurs. À la HAS, ils représentent 158 personnes sur 194 salariés soumis à DPI et à l’ANSM 322 sur 616.
Les experts « externes » ou « invités », qui ne sont ni membres d’une instance de gouvernance, ni salariés, mais sont sollicités ponctuellement sur un dossier et participent à un groupe de travail d’experts, constituent une catégorie dont le nombre varie en fonction des besoins. Pour l’ANSM, le contrôle a porté à la fois sur les experts des quatre commissions principales suivies régulièrement par le service de déontologie mais aussi sur les membres des groupes de travail non examinés par le service de déontologie ainsi que sur les dernières nominations d’experts « externes » Cela représente 640 DPI examinées sur un total de 1 205 experts, soit plus de la moitié.
L’INCa a fait l’objet d’un examen de 94 experts sur 333, soit 28 %, la HAS de 141 sur 92255, soit 15 %. Ces chiffres n’incluent pas l’examen des DI de groupes d’experts dans le cadre du contrôle « au fond » de décisions concernant les médicaments de l’échantillon retenu.
Les contrôles menés à l’ANSM ont porté, pour l’essentiel, sur les DPI et non sur les DI. La question de la complétude de la DI n’est pas traitée, ce qui rend plus difficile la comparaison entre agences. Les contrôles menés par le service de déontologie ont été réalisés selon la même méthode.
Enfin les constats ont été arrêtés au moment du contrôle, de juillet à septembre 2015 pour l’essentiel. Certains organismes, notamment l’ONIAM, ont mis en œuvre des régularisations successives pendant le contrôle. Dès lors, les constats seraient sans doute différents à ce jour.
Selon les pratiques constatées, les cinq organismes inclus dans le champ de l’enquête de la Cour (ANSM, HAS, INCa, ONIAM et CEPS), peuvent se classer en deux groupes.
Le premier comprend l’ONIAM et le CEPS. Leurs responsables se limitent pour l’essentiel à assurer la mise en ligne sur leur site internet des déclarations d’intérêt (DI) reçues. Le contrôle formel demeure restreint, aucun suivi du dépôt des DI ou de leur mise à jour annuelle n’est assuré, et la vérification du fait que les déclarations d’intérêts sont complètes est insignifiante. A fortiori aucun contrôle de la qualité des informations communiquées, voire de leur véracité, n’a été instauré. Ces organismes ne mènent pratiquement aucune réflexion sur les liens d’intérêts susceptibles de générer un conflit d’intérêts. Elles ne se sont pas dotées, avant que la loi ne l’impose, d’un déontologue qui viendrait en appui des responsables de l’organisme, laissant aux déclarants la gestion de leur éventuel déport. C’est dans ce premier groupe qu’on relève le plus grand nombre d’anomalies.
Le second groupe comprend l’INCa, la HAS et l’ANSM. Ces organismes sont conscients de l’importance du dispositif déclaratif des liens d’intérêts pour le bon accomplissement de leurs missions. Elles sont cependant à des stades différents d’appropriation du dispositif. En outre, aucune ne se considère comme autorisée à vérifier la véracité des déclarations d’intérêts qui leur sont transmises.
Chaque organisme a un stock très hétérogène de déclarations d’intérêts à gérer pour les personnes en fonction assujetties. La gestion des mises à jour multiplie le nombre de déclarations par personne. L’obligation de conserver en ligne les déclarations des personnes qui ne sont plus en fonction, pendant les cinq ans qui suivent la fin de ces fonctions, alourdit encore cette gestion.
Le tableau ci-dessous fait état du nombre de déclarations à gérer au regard des éléments fournis par les organismes.
nombre de déclarations d’intérêts à gérer en 2015
ANSM | HAS | INCa | ONIAM | CEPS | Total | |
Total des DI attendues | 1 558 | 1 296 | 546 | 723 | 72 | 4 195 |
Source : Cour des comptes
Le volume des DPI à gérer par organisme dépend du champ des personnes assujetties, du nombre d’experts sanitaires et des modalités de gestion de l’obligation de maintien en ligne des DPI pendant cinq ans.
Ne figurent pas dans le fichier, parce qu’ils ne sont pas assujettis à la loi du 29 décembre 2011, les experts auxquels recourt l’INCa dans le cadre de travaux de recherche ou d’appels à projets. En sont également exclus les experts de l’ONIAM qui établissent des expertises médicales sur des cas individuels, notamment les experts sollicités par les commissions d’indemnisation et de conciliation (CCI). En revanche, les médecins membres du collège d’experts de l’ONIAM, chargé du dossier du benfluorex (Médiator®), sont membres d’une instance de l’établissement et, à ce titre, soumis à déclaration publique d’intérêts.
Le nombre de DPI des membres en fonction et/ ou participant à des groupes de travail « actifs », des salariés assujettis et des experts « externes » pour les cinq organismes dépasse légèrement le chiffre de 4 000 déclarations en 2015.
Les organismes contrôlés sont tenus d’utiliser le formulaire publié en annexe à l’arrêté du 5 juillet 201256 portant fixation du document type de la déclaration publique d'intérêts mentionnée à l'article L. 1451-1 du code de la santé publique. Tous ne s’y conforment pas totalement.
La HAS et l’INCa, pour leur part, s’en tiennent strictement aux exigences et au format de l’arrêté susmentionné.
L’ANSM a un système d’information qui ne fait pas apparaître les rubriques attestant de l’absence de liens d’intérêts. Dans ces conditions, elle ne se conforme pas complètement à l’arrêté précité.
L’ONIAM complète le formulaire avec le souci d'aider le déclarant et de rendre la déclaration plus claire et complète. Il distingue en son sein conseils et commissions. Le formulaire comprend des tableaux pour que l’intéressé déclare ses liens avec les assurances ou ses travaux d’experts devant les tribunaux administratifs ou judiciaires.
Le CEPS utilise le formulaire réglementaire sauf quand il entend un expert auquel il demande de remplir une fiche dans laquelle l’expert entendu présente son lieu d’exercice et l’institution dont il est membre, le sujet sur lequel il est auditionné et les liens d’intérêts. Toutefois les informations communiquées à ce titre restent très sommaires ; seuls des noms de laboratoire sont cités mais rien n’indiquent la nature réelle de ces liens. En revanche, la personne s’engage à ce que son intervention ne présente aucun conflit d’intérêts, le document étant daté et signé par l’intervenant.
Le formulaire ne comporte pas une rubrique pour la mise à jour de la déclaration. À chaque mise à jour, c’est un nouveau formulaire qu’il convient de remplir, rubrique par rubrique. Il pourrait être proposé une solution demandant aux assujettis de déclarer ce qui a changé d’une année à l’autre.
Enfin, il est à noter que le formulaire réglementaire ne prévoit pas pour les professionnels de santé, qui sont soumis à l’obligation déclarative d’intérêts, la mention de leur numéro du répertoire partagé des professionnels de santé (RPPS), rendant difficile les croisements de données avec le site « Transparence santé ». Cette mention pourrait faire l’objet aisément d’un ajout dans le document type annexé à l’arrêté du 5 juillet 2012.
Ces précisions ne sont pas purement formelles, car le dépôt et l’analyse du formulaire rempli par le déclarant constituent la base du contrôle de tout le dispositif de prévention des conflits d’intérêts.
La publicité des DI est assurée « pendant la durée des fonctions ou de la mission au titre desquelles elles ont été établies et les cinq années suivant la fin de ces fonctions ou de cette mission »57. Cette obligation se cumule avec celle de la mise à jour annuelle, même en l’absence de modification de la situation des assujettis.
La mise en œuvre par les agences pose quelques difficultés.
En théorie, le dossier de chaque personne assujettie devrait comprendre une DPI avec la mention de la mise à jour annuelle. Cette DPI a vocation à être maintenue dans le fichier pendant cinq ans à la sortie de fonctions. Cette obligation de maintien pendant cinq ans peut expliquer le volume important de DPI figurant sur le site de certaines agences quand elles se conforment à ces règles. C’est le cas de la HAS et de l’INCa. L’ANSM, en revanche, les archive (plus de 10 000) dans son intranet mais s’est engagée vis-à-vis de la Cour à combler cette lacune pour le deuxième trimestre 2016. À l’ONIAM et au CEPS, l’obligation du maintien en ligne n’est pas respectée.
Pour la mise à jour, la HAS et l’INCa demandent le renouvellement ab initio de la DI chaque année, ce qui complique la prise de connaissance des intérêts d’une personne sur la période, tout en multipliant le volume du fichier de DPI à gérer, puisqu’un assujetti a autant de DI publiées que d’années de fonctions au sein de l’agence. L’ANSM est la seule à faire procéder par les personnes assujetties à une simple mise à jour du document initial.
Cette diversité des situations tient à la fois à l’architecture des sites des agences sanitaires et au formulaire réglementaire qui ne prévoit pas de rubrique de mise à jour et qui devrait être modifié.
En définitive, le volume du fichier est à la fois artificiellement gonflé par les mises à jour et anormalement réduit par une mauvaise interprétation du champ des assujettis.
Le tableau ci-dessous retrace les constats globaux des contrôles, par catégorie principale d’assujettis, membres d’instance de gouvernance ou de groupes créés par l’organisme, salariés et experts « externes ».
bilan global des vérifications des déclarations d’intérêts dans les cinq organismes contrôlés
Vérification Cour | Nombre DI attendues | DI manquantes | DI reçues mais non publiées | Taux de DI manquantes ou non publiées (3+4)/2 | Nombre | > 1an | autres anomalies | total anomalies | anomalies/DPI 9/6 | anomalies/DI attendues (9+3+4)/2 |
1 | 2 | 3 | 4 | 5 | 6 | 7 | 8 | 9 | 10 | 11 |
Instances de gouvernance : | Instances de gouvernance : | Instances de gouvernance : | Instances de gouvernance : | Instances de gouvernance : | Instances de gouvernance : | Instances de gouvernance : | Instances de gouvernance : | Instances de gouvernance : | Instances de gouvernance : | Instances de gouvernance : |
ANSM | 59 | 1 | 0 | 1,7 % | 58 | 4 | 0 | 4 | 6,9 % | 8,5 % |
CEPS | 63 | 16 | 4 | 27 ,1 % | 43 | 4 | 7 | 11 | 25,6 % | 45,8 % |
HAS | 180 | 19 | 4 | 12,8 % | 157 | 28 | 4 | 32 | 20,4 % | 30,6 % |
INCa | 107 | 2 | 0 | 1,9 % | 105 | 14 | 27 | 41 | 39,4 % | 40,2 % |
ONIAM | 675 | 163 | 59 | 32,9 % | 453 | 55 | 17 | 72 | 15,9 % | 43,6 % |
TOTAUX | 1084 | 201 | 67 | 24,4 % | 816 | 105 | 55 | 160 | 19,6 % | 39,3 % |
Experts sanitaires (échantillons) : | Experts sanitaires (échantillons) : | Experts sanitaires (échantillons) : | Experts sanitaires (échantillons) : | Experts sanitaires (échantillons) : | Experts sanitaires (échantillons) : | Experts sanitaires (échantillons) : | Experts sanitaires (échantillons) : | Experts sanitaires (échantillons) : | Experts sanitaires (échantillons) : | Experts sanitaires (échantillons) : |
ANSM | 612 | 14 | 1 | 2,5 % | 597 | 28 | 0 | 28 | 4,7 % | 7,0 % |
CEPS (rapporteur) | 5 | 0 | 0 | 0,0 % | 5 | 0 | 0 | 0 | 0,0 % | 0,0 % |
HAS | 141 | 0 | 37 | 26,2 % | 104 | 0 | 0 | 0 | 0,0 % | 26,2 % |
INCa | 94 | 6 | 0 | 6,4 % | 88 | 2 | 25 | 27 | 30,7 % | 35,1 % |
ONIAM | 27 | 2 | 0 | 7,4 % | 25 | 1 | 1 | 2 | 8,0 % | 14,8 % |
TOTAUX | 879 | 22 | 38 | 6,8 % | 819 | 31 | 26 | 57 | 7,0 % | 13,3 % |
Personnels soumis à DPI : | Personnels soumis à DPI : | Personnels soumis à DPI : | Personnels soumis à DPI : | Personnels soumis à DPI : | Personnels soumis à DPI : | Personnels soumis à DPI : | Personnels soumis à DPI : | Personnels soumis à DPI : | Personnels soumis à DPI : | Personnels soumis à DPI : |
ANSM source contrôle interne | 616 | 4 | 1 | 0,8 % | 611 | 11 | 0 | 11 | 1,8 % | 2,6 % |
CEPS | 8 | 0 | 0 | 0,0 % | 8 | 1 | 1 | 2 | 25,0 % | 25,0 % |
HAS | 194 | 15 | 7 | 11,3 % | 172 | 45 | 1 | 46 | 26,7 % | 35,1 % |
INCa | 106 | 0 | 8 | 7,5 % | 98 | 2 | 0 | 2 | 2,0 % | 9,4 % |
ONIAM | 21 | 0 | 0 | 0,0 % | 21 | 0 | 2 | 2 | 9,5 % | 9,5 % |
Totaux | 945 | 19 | 16 | 3,7 % | 910 | 59 | 4 | 63 | 6,9 % | 10,4 % |
Total général | 2 908 | 242 | 121 | 12,4 % | 2 545 | 195 | 86 | 280 | 11 % | 22,0 % |
Source : Cour des comptes
Les déclarations d’intérêts d’un assujetti sur cinq (22 %) présentent au moins une anomalie. 8,2 % (238/2 904) des déclarations d’intérêts attendues sont manquantes. Si l’on y ajoute les DI établies mais non publiées, il manque dans les fichiers des agences contrôlées 12,4 % des DPI (359).
La situation est contrastée par organisme.
À l’ANSM, les quelques DI manquantes ou absentes (moins de 2 %) des sites internet correspondent à des personnes ayant démissionné – dont la DI aurait néanmoins dû rester publiée - ou à des DI de personnes dont les noms incomplets ou mal orthographiés posent des difficultés d’identification.
À été également constaté dans une proportion parfois importante le retard ou l’absence de publication des déclarations d’intérêts déposées (4,2 %) auprès des organismes. Au moment du contrôle, cette anomalie concernait essentiellement la HAS et l’ONIAM. Dans ce dernier organisme, le total des DI manquantes ou non publiées s’établit à 31 % (224/723).
Les anomalies constatées concernent plus d’une DPI sur 10 (280/2545), soit 11 %. Néanmoins, près de 70 % (195/280) de ces anomalies proviennent de l’absence de mise à jour des déclarations, soit 7,6 % des DPI (2545).
Avant de traiter de la typologie des anomalies existantes, il convient de souligner que 12,4 % des DPI attendues sont manquantes ou non publiées, les anomalies portent sur les 87,6 % DI publiées.
À catégorie des experts sanitaires « externes » présente globalement peu d’anomalies, en raison probablement de la prise de conscience par les agences sanitaires que les risques éthiques se concentrent sur eux et qu’en conséquence, un examen plus approfondi est nécessaire sur cette catégorie. Le taux d’anomalies est ramené à 13,3 %. L’absence de publication des DI constatée à la HAS (26 %) est liée à un problème conjoncturel dans un service.
Au CEPS, des experts sont entendus au nom d’un industriel et, dans ce cas, n’ont aucune déclaration à établir. Il arrive par ailleurs que quelques experts soient entendus. Dans ce cas ils signent un formulaire très sommaire, non publié, où ils déclarent leurs liens d’intérêts sans en préciser la nature et attestent ne pas être en situation de conflit d’intérêts. Cette formalité ne saurait être considérée comme suffisante, car ces experts sont tous tenus de déposer une DI selon le modèle fixé par l’arrêté du 7 juillet 2012, et qui doit être rendue publique par le comité.
À l’ONIAM, le comité d’experts, composé de 27 membres, est chargé de la gestion des dossiers des victimes du Benfluorex (notamment commercialisé sous la marque Mediator®). L’établissement traite régulièrement leurs DPI en tant que membres d’un conseil de l’établissement.
L’INCa fait appel à des experts, soit pour des travaux de recherche, soit pour de l’expertise sanitaire. Seuls ces derniers relèvent du champ de l’enquête. Au nombre de 333 en 2015, ceux-ci participent aux groupes de travail relevant de la direction des recommandations, des médicaments et de la qualité de l'expertise en vue d’élaborer des recommandations et des guides à usage médical. L’établissement leur demande d’établir une DI conforme au modèle réglementaire qui est ensuite publiée.
La HAS et l’ANSM sont les deux organismes les plus concernés par l’expertise sanitaire, à la fois au regard de l’importance du vivier à gérer et de l’impact sur leurs missions. L’obligation des DPI s’impose naturellement à eux.
La catégorie des salariés, dans laquelle figurent les évaluateurs des agences, enregistre les meilleurs résultats (10,4 %), l’essentiel des anomalies résultant de l’absence de mise à jour réglementaire.
Au total, la catégorie des membres des instances de gouvernance se caractérise de manière surprenante par un taux important d’anomalies de près de 40 %. Ce taux doit néanmoins être relativisé par le poids prépondérant des DI manquantes ou non publiées, notamment à l’ONIAM. Ce problème particulier à l’ONIAM est dû à un délai anormal entre la nomination des membres des commissions de conciliation et d’indemnisation et l’établissement des déclarations d’intérêts par ces derniers. Même si l’organisation territorialisée de l’établissement constitue une contrainte objective, le nombre de DI manquantes est difficilement acceptable. Au moment du contrôle en juillet 2015, il manquait 165 DI sur 723 attendues, soit un taux de 23 %. En février 2016, l’ONIAM indiquait qu’il lui manquait encore 141 DI dont 8 sur les 34 membres du conseil d’administration.
Il s’y ajoute les problématiques particulières du CEPS. En son sein ont été créés trois groupes de travail qui, s’ils ne sont pas décisionnaires, apportent pour les deux premiers cités une aide à la décision. Ils jouent un rôle important dans le processus qui va conduire à la détermination du prix de vente et du taux de remboursement d’un médicament.
Le comité du suivi des génériques définit la politique de tarification et de révision des prix des génériques, conformément à l’article 13 de l’accord cadre du CEPS/LEEM du 5 décembre 2012 en vigueur jusqu’au 31 décembre 2015 et reconduit par l’accord cadre de 2016-2018 (articles 1 et 19). Ses membres sont des représentants de syndicats professionnels (LEMM, GEMME, union nationale des pharmaciens, union des syndicats des pharmaciens d’officine, fédération des syndicats de pharmaciens ou chambre syndicale des répartiteurs). À l’ANSM, les représentants de syndicats professionnels, membres de commissions, produisent une DI qui est publiée sur le site de l’agence. Ce n’est pas le cas pour les membres de ce comité.
Le comité de suivi des études en vie réelle effectue des études préparatoires pouvant aboutir à une révision de l’ASMR. Il doit permettre d’arrêter certaines décisions de tarification conformément à l’article 11 de l’accord cadre reconduit également par le nouvel accord cadre (article 29), Les membres ne produisant pas, à ce jour, une DI sont les représentants de la HAS, de l’ANSM et de la DREES.
Enfin, la cellule d’information et d’échange relative à l’économie internationale des produits de santé, qui s’est réunie pour la première fois le 19 novembre 2013, a vocation à fournir un éclairage contextuel et éventuellement des éléments d’analyse précis en appui à la prise de décision du CEPS.
Le CEPS n’exige pas des douze participants à ces groupes, qui ne sont pas membres du comité, la production de déclarations d’intérêts.
La publication des déclarations d’intérêts des membres des deux premiers groupes de travail conduirait à une plus grande transparence des conditions dans lesquelles les avis du CEPS sont émis et ne ferait qu’aligner sa pratique sur celle des agences sanitaires.
Enfin, il convient de souligner la question des représentants des administrations centrales pour lesquels l’établissement des déclarations d’intérêts et leur publicité sont souvent défaillantes. En effet, dans plusieurs organismes, notamment le CEPS et la HAS, les déclarations d’intérêts des représentants des administrations centrales ne sont pas toujours déposées ni a fortiori publiées sur le site de l’organisme, soit en raison de l’obligation mal respectée de multi-déclarations de suppléants non formellement désignés ou de l’absence de demande de l’organisme, soit par une interprétation inappropriée de l’instruction ministérielle du 2 août 2012 qui exclut du champ les participants avec voix consultative. Ce constat de la Cour rejoint celui de l’audit de l’IGAS sur les administrations centrales.
Deux anomalies principales sont relevées : l’absence de mise à jour des DPI et des formulaires incomplets.
L’absence de mise à jour représente deux tiers des anomalies des DPI.
Les anomalies les plus fréquentes résident dans l’absence de mise à jour annuelle obligatoire, représentant 7,7 % (195) des DPI (2 545) et 69,6 % des anomalies (280). Il s’agit pourtant d’une anomalie significative, une DPI « périmée » pouvant être en effet considérée en cas de contentieux comme une DPI manquante.
Cette fréquence trouve diverses explications au-delà des négligences des assujettis ou des agences. L’absence de système de télé-déclaration est à cet égard un handicap sérieux.
La mise à jour annuelle n’est pas une obligation de niveau législatif. Dès lors, au titre de la simplification du dispositif, une obligation d’actualisation des DPI, fondée sur l’intervention d’une modification dans les liens d’intérêts, serait sans doute plus adaptée, ainsi que le suggère le secrétaire général des ministères chargés des affaires sociales. Il est également probable qu’une fois l’habitude prise et les systèmes d’information adaptés pour émettre des relances, la question de l’annualité de la mise à jour devrait disparaître. Un système de télé-déclaration sur un site unique présente l’incontestable avantage de ne laisser aucune marge d’appréciation aux acteurs sur la nécessité ou non de produire une nouvelle déclaration.
L’incomplétude des formulaires est la deuxième source d’anomalies.
Ces anomalies constituent 3,3 % (86) des DPI (2545) et près du tiers des anomalies (280). Il s’agit essentiellement de l’absence de mention des liens d’intérêts sur les DPI et des rémunérations sur les DI.
L’enquête a mis en évidence l’absence de remplissage des cases prévues dans le formulaire attestant de l’absence de liens d’intérêts à déclarer pour chacun des items. Or le formulaire réglementaire oblige le déclarant à attester sur l’honneur qu’il est bien exempt de liens d’intérêts. Certaines DPI restent vierges de toute croix dans les cases prévues, laissant un doute sur la négligence du déclarant ou sur sa pudeur à déclarer des liens d’intérêts.
À l’ANSM, le service de télé-déclaration (eFides) prévoit une attestation sur l’honneur que le déclarant a bien répondu à chaque rubrique, le déclarant devant valider le fait qu’il a pris connaissance des étapes du formulaire avant de poursuivre la saisie de sa déclaration, ce qui correspond, selon l’ANSM, à un engagement sur l’honneur de remplir toutes les rubriques qui le concernent. Ce détour, compréhensible pour des raisons liées à l’ancienneté du logiciel, ne répond qu’imparfaitement à l’exigence des textes réglementaires.
Dans les déclarations d’intérêts constatées comme étant incomplètes, une erreur fréquente consiste en l’absence de mention d’un montant de rémunérations éventuellement versé, soit directement au praticien, soit à la structure employeur.
Les agences ont mis en place des procédures souvent sophistiquées de vérification des liens d’intérêts susceptibles de générer des conflits d’intérêts. Cependant l’absence de contrôle des dates et de la complétude des DPI par les agences, en l’absence de système automatisé, fragilise la qualité des fichiers.
Au total, au plan formel, le bilan de cet examen est peu flatteur, en grande partie en raison de divergences d’interprétation sur le champ d’application de la loi (CEPS) et sur les modalités d’application de la réglementation. À ces raisons s’ajoutent l’effet des contraintes administratives qui pèsent notamment sur les représentants des administrations centrales soumis à des multi-déclarations, la difficulté à recourir à une procédure normalisée de télé-déclaration et l’absence de site unique, pourtant prévu par les textes par le décret précité de 2012.
Ces trois organismes ont mis en place des procédures de prévention des conflits d’intérêts, en particulier des experts sanitaires, qui sont actionnées quelquefois très en amont des décisions des instances. Sans attendre l’adoption de mesures législatives contraignantes, l’ANSM, l’INCa, et la HAS ont créé des dispositifs internes d’appui, sous différentes formes.
Héritière de l’AFSSAPS, l’ANSM a défini une politique d’internalisation de l’expertise sanitaire et pris le sujet de la déontologie de l’expertise à bras le corps Lors de la séance du 28 mars 2012, le conseil d’administration de l’ANSM a créé un comité de déontologie et un service de déontologie de l’expertise.
Le comité de déontologie, placé auprès du directeur général, lui apporte son aide pour la gestion des conflits d’intérêts les plus complexes et constitue l’instance de référence en la matière. Le comité comprend des personnes qualifiées ainsi que des membres issus des conseils de l’agence et des cadres dirigeants dont le directeur général58.
Le service de déontologie de l’expertise assure le secrétariat du comité et lui apporte un conseil effectif et une expertise juridique dans des délais très brefs. Ce service assure des missions de conseil, d’accompagnement et de formation en matière de déontologie mais aussi de contrôle interne et d’audit interne des procédures décisionnelles et des DI. Il organise en particulier un programme d’audit qui vise à s’assurer du respect des règles déontologiques en matière d’expertise interne et externe. Un bilan est présenté annuellement au comité de déontologie avant d’être soumis au conseil d’administration.
Un contrôle des DI est réalisé en amont des recrutements et nominations au sein de l’agence.
Le service de déontologie procède à des contrôles sur un échantillon de DI, et le croisement des données avec le site « Transparence santé est assuré par une seule direction depuis juin 2015.
L’agence examine les liens d’intérêts à partir d’une grille d’analyse en classant ces liens selon trois niveaux de risques de conflit d’intérêts, ainsi que la charte de l’expertise59 l’y autorise. Ces éléments sont disponibles sur le site internet de l’agence. La situation de niveau 1 est sans incidence sur la participation de l’expert, ce lien étant porté à la connaissance du président et des membres du groupe de travail. La situation de niveau 2 oblige l’expert à sortir de séance lors de l’examen du dossier pour lequel des liens d’intérêts ont été identifiés. Le niveau 3, où les liens sont les plus intenses, conduit à exclure la personne de la commission ou du groupe. Le procès-verbal de la commission retrace ces liens et leur gestion.
Cet examen est effectué par la direction qui assure le secrétariat de l’instance. Pour les instances consultatives, les DI sont analysées au moment de la nomination des membres par les directions métiers et les directions produits, la direction des ressources humaines et le service de déontologie. Pour les experts « externes », les directeurs vérifient les DI au moment de la désignation.
La grille d’analyse est conservée dans le dossier de l’instance et mention est portée au procès-verbal de la séance, ces deux éléments permettant d’assurer la traçabilité de la décision.
En prenant la suite de l’AFSSAPS en 2012 et pour mettre en place les nouvelles commissions, l’ANSM a examiné l’ensemble des situations des experts présents et a décidé d’en écarter 167 sur 711, soit près d’un quart, qui se trouvaient en situation de liens d’intérêts « majeurs », incompatible avec l’exercice d’un mandat dans une commission ou avec la participation à des travaux. 57 ont pu cependant être maintenus après désengagement des liens existants. Le service de déontologie de l’expertise est sollicité pour le renouvellement ou les recrutements d’experts supplémentaires extérieurs à l’agence. Il est intervenu près de 600 fois en 2014.
L’ANSM affirme chercher à internaliser au maximum l’expertise sanitaire. Le service de déontologie et de l’expertise intervient avant le recrutement des évaluateurs salariés et analyse le risque de conflit d’intérêts. En 2014, il est intervenu pour 41 dossiers de candidats et 29 dossiers d’internes en pharmacie. La gestion proprement dite des DPI des experts, pour ceux qui ont été nommés depuis janvier 2015, soit un total de 195, est dans l’ensemble satisfaisante, seules 7 DI présentant des anomalies (3,6 %). L’examen auquel a procédé la Cour a fait apparaître que sur 612 experts membres de commissions, le taux d’anomalies était de 7 %, essentiellement en raison de l’absence de mise à jour des DPI dans le délai réglementaire.
Un problème particulier concerne cependant la gestion des conflits d’intérêts d’experts dans des domaines hautement spécialisés.
Il arrive en effet que l’ANSM fasse appel à des experts occasionnels sur des thèmes très spécialisés, alors qu’ils sont en situation de conflit d’intérêts. Ceux-ci remplissent une déclaration d’intérêts qui n’est ni intégrée dans le fichier des experts ni publiée. Leurs liens d’intérêts ne sont pas systématiquement précisés dans le procès-verbal, mais ils ne participent ni aux débats ni au vote. Si la charte de l’expertise autorise par dérogation l’audition d’experts en conflits d’intérêts, cette participation doit être dûment motivée dans le procès-verbal de la réunion, ce qui n’est pas le cas. En outre, l’absence de publication des DI, au motif qu’ils ne peuvent pas être des experts, est en contradiction avec l’exigence de transparence voulue par le législateur60 et les principes qui en découlent. C’est le cas notamment des experts entendus lors de la procédure sur le Sovaldi®.
La fixation du tarif du Sovaldi® n’a pas été exempte de défaut dans la mesure où une agence et le CEPS ont auditionné des experts sans publier leurs déclarations d’intérêts.
Les laboratoires intéressés sont: GILEAD, ABBVIE et Bristol-MyersSquibb (BMS).
Au cours de cinq des neuf réunions du CEPS pour la fixation du prix de ce médicament, neuf experts ont été entendus. Les mêmes experts ont été également entendus par l’ANSM pour une décision d’autorisation temporaire d’utilisation dans l’attente de la négociation du prix.
Seule l’ANSM a collecté les DI des huit experts entendus, soit en utilisant sa déclaration, soit en prenant en compte celle fournie à l’ANRS. Certains de ces experts ont des liens d’intérêts importants avec au moins de ces laboratoires. Le neuvième expert, dont la DI n’est pas disponible, a certainement des liens, puisqu’on trouve dans la base Transparence santé 10 conventions d’honoraires avec Gilead pour participer au conseil d’administration ou à des réunions médicales et une avec BMS.
Après avoir procédé à l’examen des liens, l’ANSM a décidé de les entendre, arguant de leur expertise incontournable et majeure sur le sujet et de son incapacité à trouver des experts de compétence équivalente dans le domaine concerné, sans conflit d’intérêts. Cependant, les DI n’ont pas été publiées et le compte rendu public sur le site de l’ANSM ne précise pas les raisons du recours à ces experts, contrairement aux exigences de la charte de l’expertise.
Quant au CEPS, n’ayant pas procédé lui-même à cet examen, il n’avait apparemment pas connaissance de ces liens au moment de leur audition.
L’INCa s’est doté, dès le 10 juillet 2007, d’une charte de déontologie, publiée sur son site internet. Cette charte qui ne comporte pas de dispositions proprement opérationnelles, est conforme à la charte réglementaire de l’expertise sanitaire61, l’ensemble constituant le socle éthique de l’INCa en ce domaine. L’institut a procédé aussi à un travail de réflexion significatif qui l’a conduit à établir une procédure de gestion des risques de conflit d’intérêts, déclinée dans un document intitulé « procédure de mobilisation des experts ».
À ce document est annexée la grille d’analyse des intérêts, actualisée en 2014. Cette grille définit les liens de l’expert selon leur nature, « majeure » ou autre, avec le dossier. Pour chaque lien déclaré, l’intensité du lien est appréciée en fonction de la nature des travaux effectués, de l’activité de l’organisme dans lequel est impliqué l’expert, du niveau d’implication de l’expert et du type d’engagement (durable, ponctuel), du caractère actuel ou passé, enfin de la rémunération (directe, indirecte, inexistante).
Ainsi, à la constitution d’un groupe de travail, la gestion des conflits d’intérêts s’effectue dans une phase amont lors du recrutement de l’expert. Sollicité, celui-ci fournit une DI qui est analysée avec soin, ce qui permet de valider sa participation au groupe d’experts.
Préalablement à la constitution d’un groupe d’experts, un tableau synthétique d’analyse des DI est élaboré.
Dans ce cas, l’INCa publie à la fois les DI et la composition des groupes. Au début de chaque réunion, l’établissement procède à la vérification des liens d’intérêts et de la mise à jour des DI. Toutefois il n’est pas tenu de comptabilité du nombre de déports enregistrés pour les experts sanitaires. En outre, des anomalies persistent dans la pratique. Ainsi, sur un échantillon de 94 experts sanitaires sur 333, soit plus du quart d’entre eux, 6 DI étaient manquantes et 33 comportaient des anomalies, soit un taux de plus du tiers.
Il est à noter que l’INCa ne dispose d’aucune procédure de contrôle de la véracité des DI, arguant du risque de transfert de responsabilité juridique de la fausse déclaration du déclarant vers l’Institut.
Bien que n’ayant pas de déontologue en titre, l’INCa a, depuis plusieurs années, mis en place un comité de déontologie et d’éthique sur le fondement d’une décision du conseil d’administration du 10 juillet 2007. Outre l’examen d’un bilan annuel du dispositif mis en place, le comité est appelé à se prononcer sur le choix d’indicateurs pertinents pour évaluer les actions de l’INCa, à analyser diverses questions éthiques posées et, plus généralement, à donner son avis sur toute question relative à la déontologie, en matière d’expertise, d’allocation de financements ou de partenariat avec le privé. La direction de l’INCa peut également s’appuyer sur un groupe transversal intitulé « groupe DPI »62, constitué en interne en 2011, pour suivre les questions de prévention de conflits d’intérêts sur les différents aspects, principalement sur la gestion des normes internes. Ces procédures souffrent cependant d’exceptions, comme ce fut le cas pour l’avis donné sur les lymphomes anaplasiques à grandes cellules du 4 mars 2015. Elles révèlent en tout cas un défaut de traçabilité des vérifications faites en amont des avis et décisions.
Parallèlement aux suites judiciaires dans l’affaire des implants mammaires PIP en 2011, un suivi particulier des implants mammaires avait été mis en place par la DGS, l’ANSM, l’INCa et la HAS. L’INCa avait été saisi en vue d’élaborer une recommandation sur les prothèses mammaires, dès 2011 et une deuxième fois en 2014. Un réseau de surveillance des lymphomes anaplasiques à grandes cellules (LAGC) par des anatomopathologistes avait également été constitué.
Une augmentation brutale du nombre de cas de LAGC parmi les femmes ayant des implants mammaires a alerté le ministère qui a souhaité recueillir un avis d’expert le plus rapidement possible afin d’éviter que de « mauvais messages » ne se répandent. Le processus est, au regard des délais (moins de deux semaines), très inhabituel.
L’avis a été produit en deux étapes.
Tout d’abord, un questionnaire écrit a été diffusé à un ensemble d’experts sélectionnés dans le vivier de l’INCa ou après consultation de la base Transparence santé ainsi que de la base des DPI déposées à la HAS et disponibles sur son site Internet. L’INCa a demandé le 25 février aux personnes sollicitées de renseigner ou actualiser leur DI, et ce avant le début de la réunion du 4 mars. Il n’existe pas de document retraçant cette étape du processus.
Ensuite, une réunion s’est tenue le 4 mars 2015 au cours de laquelle l’avis a été débattu et approuvé. Pour cette réunion, les experts, différents de ceux sélectionnés pour le questionnaire, avaient fait l’objet d’une pré-analyse de leurs intérêts par consultation des mêmes bases de données. Ils ont établi une DPI qu’ils ont signée le jour de la réunion (un cas) ou très peu de temps avant. Il n’a été retrouvé aucune analyse matricielle des liens d’intérêts mettant en lumière des conflits potentiels. Les échanges semblent avoir été essentiellement oraux.
L’INCa a considéré que l’avis d’expert demandé n’était en lien avec aucun médicament particulier et que, par voie de conséquence, les liens avec l’industrie pharmaceutique n’étaient, a priori, pas source de conflit d’intérêts. Seuls devaient être incriminés les liens avec un fabricant de prothèse. Dans ce cadre, aucun expert n’était en situation de conflit d’intérêts au regard de l’affaire concernée.
L’analyse de la procédure par la Cour conduit au constat des anomalies suivantes :
- le nombre de DI en anomalies s’élève au tiers des experts sanitaires ;
- toutes ces anomalies concernent des lacunes de déclarations de liens d’intérêts ou de montant des rémunérations perçues ;
- l’examen des DI n’a été fait que le jour de la réunion, même si les membres du groupe de travail ont été sélectionnés auparavant sur la base d’indices d’absence de conflits d’intérêts ;
- l’analyse des intérêts n’a pas été formalisée, ce qui induit un défaut de traçabilité de la procédure de gestion des intérêts ;
- enfin, un contrôle de cohérence interne des DPI, réalisé par la Cour, montre pour l’un au moins des membres du groupe de travail une absence de déclaration des montants de rémunérations accessoires.
La HAS n’a pas désigné de déontologue à proprement parler, mais dès sa séance du 19 novembre 2008, son collège a adopté une charte de déontologie instituant un comité « déontologie et indépendance de l’expertise » chargé des questions de déontologie et placé auprès du président et du directeur. Ce comité, présidé par un conseiller d’État, et composé d’un professeur agrégé de droit, de deux membres de l’académie de médecine et d’un ancien président d’association dans le domaine médical, peut s’appuyer sur le service juridique. Il rend des avis sur l’appréciation des liens d’intérêts mais fait également des études, procède à la révision de la charte de déontologie et actualise le guide des déclarations d’intérêts et de prévention des conflits d’intérêts.
L’objet de cette charte interne est de « fournir un cadre de référence aux personnes apportant leur concours à la HAS pour les comportements et pratiques à adopter dans l’accomplissement de leurs missions » (I-1 1er alinéa). À ce titre, ce document-cadre explicite les principes déontologiques, reprend les dispositions générales relatives à la prévention et la gestion des conflits d’intérêts et édicte des règles déontologiques propres aux membres du collège, aux experts et aux agents, dans l’exercice de leurs fonctions et après qu’elles ont pris fin.
La HAS a annexé à sa charte de déontologie un guide des déclarations d’intérêts et de gestion des conflits d’intérêts, rédigé en 2006, actualisé en 2010, puis en juillet 2013, pour tenir compte des évolutions imposées par la loi du 29 décembre 2011. Il est très précis sur les différents niveaux de liens d’intérêts et sur les conséquences à en tirer. Ce guide introduit la notion de liens d’intérêt majeur à différencier des autres liens. Il s’agit d’alerter sur une présomption de conflit d’intérêts. Par exemple, être investigateur principal d’une étude pour un produit ou service en cours d’évaluation, ou d’un concurrent, quelles qu’en soient les sources de financement, privées ou publiques, constitue un lien majeur, et dans ce cas particulier, quelle qu’en soit l’ancienneté (dans la limite de cinq ans).
La HAS procède, par ailleurs, de manière non systématique à des contrôles de cohérence entre les informations publiées sur le site « Transparence santé » et les informations figurant dans les DI.
La HAS a également mis en place, pour prévenir les conflits d’intérêts des experts, une organisation qui est commune à celle prévue pour les autres assujettis à DPI. La procédure d’analyse des déclarations d’intérêts est détaillée dans le guide des déclarations d’intérêts et de prévention des conflits d’intérêts. L’examen va cependant plus loin que les obligations issues du décret du 21 mai 2013 portant approbation de la charte de l’expertise sanitaire. Le champ en est, en effet, sensiblement plus large et comprend notamment une grille d’analyse des liens déclarés qui distingue ceux qui sont susceptibles de constituer un conflit d’intérêts, alors qualifiés de « majeurs », des autres liens d’intérêts.
Aucun expert ne peut être sélectionné en l’absence de sa déclaration d’intérêts et aucune étude ne lui est confiée avant l’analyse d’éventuels liens d’intérêts au regard du dossier à examiner. Pour la constitution de chaque groupe de travail, la Haute Autorité établit un tableau récapitulatif des experts présélectionnés avec mention de leurs liens d’intérêts qui est présenté au bureau de la commission spécialisée concernée qui accepte ou non la nomination desdits experts.
Le contrôle de l’actualisation annuelle des DI est effectué, pour les experts, par le chef de projet qui a la charge du groupe de travail, et pour les membres des commissions, par le secrétariat de la commission sous la responsabilité de son président.
Au vu de l’ordre du jour de chaque commission, les liens d’intérêts des membres sont examinés par un responsable du service, avec l’appui du service juridique et/ou du conseiller chargé de la déontologie le cas échéant. Le compte rendu de séance mentionne la procédure de gestion des conflits d’intérêts, en précisant a minima, pour chaque dossier étudié, les membres qui ont déclaré un nouveau lien d’intérêts en début de séance et ceux qui ont dû se déporter.
En dépit des précautions prises, l’examen par la Cour des DPI de 141 experts au sein de 12 groupes de travail a mis en évidence que s’ils détenaient tous une DI complète, près d’un quart d’entre elles n’étaient pas accessibles sur le site internet de la HAS.
La HAS respecte une procédure similaire avant le recrutement d’experts sanitaires « externes », sollicités pour un dossier particulier. L’expert doit au préalable déposer une déclaration d’intérêts, qui est présentée au bureau de la commission spécialisée qui décide ou non du recours à ce dernier, après une analyse éventuelle du service juridique ou du conseiller chargé de la déontologie. La publication de la DI n’est effectuée qu’après analyse des liens d’intérêts éventuels.
À ce jour l’ONIAM est dépourvu de tout service d’appui au conseil ou au contrôle qualitatif de déontologie ou éthique. Aucun agent n’est donc habilité au sein de l’office à analyser les liens d’intérêts déclarés. En l’absence de contrôle qualitatif organisé, chaque assujetti en fait son affaire, les présidents de commissions de conciliation et d’indemnisation (CCI) rappelant néanmoins à leurs membres de veiller à se déporter en cas de conflit d’intérêts.
Il n’a été trouvé ni guide de bonnes pratiques ni service d’appui. Les responsables de l’office se sentent peu concernés. La commission nationale des accidents médicaux qui les pilote a rédigé un « livret de l’expert » qui a pour objet de rappeler un certain nombre de règles et les points spécifiques de l’expertise dans le cadre des commissions de conciliation et d’indemnisation de l’ONIAM. Bien que les experts concernés n’entrent pas dans le champ de la loi du 29 décembre 2011, ce livret rappelle qu’il appartient à l’expert, avant d’accepter une mission, de vérifier qu’il ne s’expose pas à un conflit d’intérêts.
Le CEPS est dans une situation similaire, à la différence près que le vivier d’assujettis à gérer est de petite taille. Le règlement intérieur du CEPS ne prévoit pas la gestion des liens d’intérêts ni des conflits d’intérêts de ses membres. Il revient à chacun de veiller à actualiser sa DI et de gérer son déport en fonction de l’ordre du jour.
Par voie de conséquence, au CEPS et à l’ONIAM, le déport relève de la responsabilité de l’intéressé. Dans les commissions de conciliation et d’indemnisation rattachées à ce dernier un rappel est fait en début de séance et, depuis septembre 2015, soit en pleine enquête de la Cour, il figure dans les convocations aux réunions.
À l’ONIAM la Cour a établi que les déports n’ont concerné que les séances de CCI. Les vérifications sur les procès-verbaux des réunions, ont permis de relever un total de deux déports sur une moyenne de 12 membres présents, sur les 145 séances étudiées.
Comme déjà indiqué, la loi de modernisation de notre système de santé prévoit qu’un déontologue soit désigné au sein de chaque organisme, y compris à l’ONIAM. Les ministres auprès desquels est placé le CEPS, organisme interministériel, devront désigner un déontologue pour ce dernier. La mise en œuvre de ces dispositions devrait participer à l’amélioration de la gestion du processus des DI/DPI au sein du CEPS.
La gestion des liens d’intérêts doit distinguer les personnes assujetties en général et les experts sanitaires « externes » qui bénéficient des dispositions plus souples de la charte de l’expertise sanitaire. La difficulté pour les organismes réside dans le fait qu’une partie de leurs salariés et certains membres de leurs instances de gouvernance ont des fonctions ou la qualité d’expert. Pour les premiers, l’existence d’un lien d’intérêt, direct ou indirect, à l’affaire examinée interdit de prendre la moindre part aux travaux, alors que pour les experts externes une appréciation graduée des liens d’intérêts peut permettre une participation aux travaux dans des termes à définir.Sur les cinq organismes inclus dans le champ de l’enquête, le recensement suivant a pu être établi. La population des experts « internes » et « externes », recrutés depuis le 1er janvier 2015, atteint 2 800 personnes, soit les deux tiers du fichier global.
vivier des experts en fonctions en 2015
Experts sanitaires | Extérieurs à l'organisme | Internes à l'organisme (salariés) | Membres d’instances (conseils, groupes de travail, etc.) | Experts sur dossiers individuels de malades et/ou participant à recherche | Totaux |
HAS | 922 | 158 | 150 | 1 230 | |
ANSM | 215 | 322 | 668 | 1 205 | |
CEPS (rapporteurs) | 5 | 5 | |||
INCa | 106 | 333 | oui | 439 | |
ONIAM | 27 | oui | 27 | ||
Totaux | 1 142 | 586 | 1 178 | =2 906 |
Source : Cour des comptes
40 %, soit 1 142 personnes au total ou 27 % du total des assujettis à des obligations déclaratives, bénéficient de la charte de l’expertise.
Le CEPS entend rarement des experts et se contente de leur demander un engagement à n’avoir aucun lien d’intérêts. L’ONIAM dispose d’un collège d’experts mais ne se donne pas les moyens de s’assurer de l’absence de liens d’intérêts ni de la nécessité de déports.
La HAS, l’ANSM et l’INCa mobilisent de façon importante des experts. Or, il s’avère que les procédures mises en place sont source de confusion entre les experts sanitaires « externes » et les autres catégories de personnes assujetties.
La graduation autorisée par la charte de l’expertise pour les experts sanitaires « externes » a été étendue aux autres personnes assujetties, soit 1 178 personnes notamment à l’ANSM, à la HAS et à l’INCa, ce qui est contraire aux textes.
En pratique, des membres d’instances ou des salariés pourraient participer, en tout ou en partie, à des travaux dont ils devraient normalement être exclus de par leur statut de personne assujettie. En effet, un membre d’instance qui a un lien d’intérêt avec un dossier examiné par l’instance se déporte. Si ce membre d’instance est assimilé à un expert sanitaire, l’intensité du lien d’intérêt va être examinée, et si le vivier d’experts ne permet pas de recourir à un autre expert, il pourra être autorisé à siéger. Cette situation est potentiellement source de confusion et de risque.
Ce point majeur est à clarifier sans délai, comme s’y est engagé devant la Cour le secrétaire général des ministères chargés des affaires sociales. Il devrait faire l’objet d’un rappel ferme des textes du directeur général de la santé, du directeur général de l’offre de soins (pour les agences régionales de santé), et du secrétaire général des ministères sociaux.
Les investigations conduites dans chaque organisme font apparaître une gestion inégalement efficiente où se mêlent à la fois des difficultés d’organisation interne, propres aux organismes, et des problèmes de rationalisation des systèmes d’information, dont la responsabilité ne leur est que partiellement imputable.
En l’absence d’un site ministériel unique de recueil des déclarations d’intérêts, les organismes ont dû utiliser leurs propres moyens. La gestion informatique des différents organismes contrôlés est de ce fait même hétérogène. Elle va du dépôt des DI sous format papier au CEPS ou à l’ONIAM, qui sont ensuite scannées et publiées sur leur site, jusqu’à la télé-déclaration qui est effective à l’ANSM et à la HAS, y compris les rappels de mise à jour.
L’INCa occupe une situation intermédiaire en cours d’évolution. Les DPI sont centralisées au service « plateforme appels-à-projet » (PAAP). Tous les services complètent, pour ce faire, une « demande interne d’enregistrement » qui indique les éléments de publication. Les DI complètes sont ensuite retraitées pour être transformées en DPI publiables. Les fichiers pdf correspondant aux DI sont alors transmis à la direction de la communication pour publication sur le site de l’institut. Depuis 2009 le fichier des DPI est organisé autour de l’outil Access. L’année 2015 a vu l’installation d’un nouveau logiciel, dénommé GIPSI63. La phase opérationnelle a débuté en mai 2015 par la migration d’une partie des données de la base Access sur le nouvel outil. L’INCa a annoncé, au cours de la deuxième semaine d’octobre 2015, que l’application était désormais pleinement opérationnelle, ce qui permettra la gestion dématérialisée des DPI et la télé-déclaration.
Le site eFides de l’ANSM permet la télé-déclaration des DI et alimente la base de données FIDES qui constitue la base de données-source. Néanmoins, les déclarations manuscrites sont encore acceptées et sont ressaisies par le service des ressources humaines qui est administrateur du site.
La base de données-source permet de faire apparaître, à chaque mise à jour d’une DPI, sa date et les modifications qui y ont été apportées. Cette méthode présente l’avantage de mettre à disposition de tout lecteur, une fiche récapitulative par déclarant au lieu d’un dossier d’une dizaine de pages pour chaque actualisation de la déclaration. Il permet également de gérer le maintien en ligne pendant le délai réglementaire de cinq ans sans multiplier le nombre de DPI du fichier. La base facilite le recueil des informations relatives aux instances collégiales d’expertise et aux experts externes. L’application FidRh permet de relancer collectivement les experts et agents ayant une DPI échue au moment du contrôle. La DRH est chargée de relancer tant les experts que les agents, relance qu’elle effectue une fois par mois.
Si l’ergonomie du logiciel d’enregistrement des DI est satisfaisante, le système n’apporte cependant pas de garantie suffisante sur la qualité des données saisies. La DI est validée, même si elle n’est pas mise à jour ou est incomplète, en particulier si elle ne comporte pas d’indication de montant d’avantages ou de rémunérations ni de précision sur le type de convention. Seule l’absence de date bloque l’enregistrement. Le logiciel demeure permissif et ne garantit pas la complétude des informations. Sa conception est ancienne et ne permet pas de respecter les rubriques du formulaire réglementaire. Les personnes assujetties sont ainsi dispensées de certifier qu’elles n’ont pas de liens d’intérêts puisqu’aucune case n’est prévue à cet effet. Ce système ne peut donc perdurer en l’état.
La HAS a mis en place un système informatisé performant
La HAS utilise deux applications informatiques reliées entre elles, l’une pour la gestion des experts (Refex), l’autre pour la déclaration des liens d’intérêts (ESDI). Refex est un outil de gestion des experts qui permet notamment l’attribution de droits d’accès à ESDI ainsi que le traitement et l’analyse des déclarations d’intérêts. Il permet l’analyse des DI avant leur publication. Il permet aussi de savoir si la personne a rempli une DI, si elle a été publiée et est à jour. ESDI permet la saisie, puis l’actualisation en ligne des déclarations d’intérêts des agents, des membres du collège et de l’ensemble des collaborateurs occasionnels. Le système de télé-déclaration est généralisé.
La disparité des modes de gestion informatique des déclarations d’intérêts n’est pas seulement un obstacle à une approche transversale de ces dernières et à leur traitement homogène d’une institution à l’autre. Elle oblige aussi les personnes assujetties à multiplier les déclarations d’intérêts et les obligations d’actualisation en fonction des organismes qui les sollicitent et des instances souvent nombreuses auxquelles ils participent. Il peut en résulter un phénomène de lassitude devant ce qui apparaît parfois comme une exigence purement bureaucratique, pouvant conduire à risquer progressivement de tarir le vivier des experts acceptant d’être missionnés, sans préjudice des anomalies involontaires dans des déclarations d’intérêts qui se multiplient.
Des coûts mal identifiés
La DGS avait tenté d’évaluer les coûts induits par la mise en œuvre des DPI en mai 2013 et, hors coût d’investissement initial, avait estimé le coût de revient direct par DPI à 129 € pour l’ANSM, 18 € pour la HAS et 36 € pour l’INCa.
La Cour, au cours de son enquête, est parvenue à des estimations sensiblement plus élevées.
L’INCa estime le coût pour l’année 2014 de la gestion des DI à 2,04 ETP, soit environ 157 312 € charges comprises ou encore un coût unitaire de 163 €, pour ce qui est de la masse salariale afférente. Ce coût n’est pas très éloigné de celui affiché par l’ANSM de 145 € par DPI.
Les charges annuelles de fonctionnement ont été évaluées par la HAS à 103 500 €, soit moins de 80 € par DPI. Il n’a pas été tenu compte dans ce chiffrage du coût d’analyse des déclarations d’intérêts en vue de la tenue des réunions des commissions et groupes de travail.
L’ONIAM ramène le coût de gestion du dispositif à un tiers-temps de l’assistante, soit 14 500 €64 ou environ 20 € par DPI.
Le CEPS, quant à lui, n’a donné aucun élément d’appréciation du coût du dispositif.
En dépit de ces incertitudes liées à la méconnaissance des coûts complets par les organismes, on peut raisonnablement estimer à moins de 180 € par DPI le coût annuel des obligations déclaratives des membres en fonction pour les organismes ayant véritablement mis en œuvre le dispositif. Sur la base de ce coût maximum appliqué à l’ensemble du vivier des cinq organismes contrôlés, la dépense annuelle totale serait de l’ordre de 800 000 €.
Aucun organisme n’a pu chiffrer le coût marginal de chaque DPI supplémentaire.
L’organisation de la gestion administrative par les différentes instances est variable, mais aucun des cinq organismes n’a créé de service de gestion ad hoc.
Ainsi à l’ONIAM, la gestion est confiée à l’assistante de direction, parmi toutes les autres tâches qui lui incombent, et celle-ci ne reçoit aucune consigne écrite.
Le CEPS considère que l’établissement de déclarations d’intérêts est l’affaire de chaque intéressé sans qu’il ait véritablement à intervenir, le secrétaire général étant chargé de vérifier annuellement l’existence des DI, à les publier après en avoir fait un examen superficiel et à procéder à l’archivage du fichier informatique des déclarations.
Pour les trois autres agences, la gestion est répartie entre plusieurs services, en fonction notamment de la catégorie des déclarants. La direction des ressources humaines est chargée de collecter et de gérer les DI des salariés. Les DI des membres des organes de gouvernance, des comités ou groupes de travail et des experts occasionnels sont, en général, collationnées par les différents responsables de service ou présidents des formations diverses.
Ainsi à l’ANSM, la direction scientifique et de la stratégie européenne prend en charge les instances de gouvernance et celles des quatre commissions, la gestion des autres groupes étant répartie dans une dizaine de directions.
À la HAS, le contrôle de la mise à jour est confié au secrétariat des instances permanentes pour leurs membres et au chef de projet pour les experts extérieurs.
L’INCa a mis en place une gestion des DPI, également différenciée selon les catégories de personnes assujetties. Ce choix d’organisation s’explique par la nécessité d’analyser les liens d’intérêts au regard du domaine d’expertise.
Aucun des organismes contrôlés ne tenait de statistiques des déports en l’absence de centralisation de ces données.
À la suite du contrôle de la Cour, l’ANSM a décidé de procéder à une centralisation des données relatives aux déports pour les deux instances de gouvernance (conseil d’administration et conseil scientifique) et les quatre commissions principales sur la période 2014 jusqu’à la fin du 1er semestre 2015. Les tableaux fournis par l’ANSM montrent que les 26 réunions de 2014 n’ont donné lieu qu’à 5 déports, et les 14 réunions du 1er semestre 2015 à seulement 4 déports. Finalement, 80 % des réunions ont pu se réaliser sans déport en 2014 et 70 % pour le 1er semestre 2015. L’agence a indiqué qu’il serait dorénavant procédé à l'établissement d'un tel tableau.
L’ANSM, l’INCA et la HAS ont admis l’intérêt de le faire, notamment pour les déports et les refus de candidature en amont des recrutements. Ces indicateurs permettront de mesurer l’efficacité de l’ensemble du dispositif au regard des objectifs affichés par le législateur et de s’assurer de l’impartialité des décisions dans le domaine de l’expertise sanitaire et même de l’apparence de cette impartialité. La DGS, en tant que pilote du dispositif, indique qu’elle examinera avec les agences sanitaires au sein du comité d’animation du système d’agences (CASA) la possibilité de construire de tels indicateurs.
Dans l’esprit du législateur la publicité des séances avait pour objet de permettre au public de connaître les conditions de prise d’une décision ainsi que les professionnels de santé impliqués.
L’article L. 1451-1-1 du CSP impose l'enregistrement des débats des instances statuant en matière d’expertise sanitaire et leur conservation. Elle prévoit, le cas échéant, la diffusion en ligne de l'enregistrement audiovisuel des débats, l'établissement de procès-verbaux comportant l'ordre du jour, le compte rendu des débats, le détail et les explications de votes, y compris les opinions minoritaires, et la diffusion gratuite en ligne de ces procès-verbaux sur les sites internet du ministère de la santé ou des autorités, établissements ou organismes concernés. À ce jour, chaque organisme concerné utilise son propre site.
Si les agences auxquelles ces dispositions s’appliquent indiscutablement semblent bien s’en acquitter, la rédaction des procès-verbaux et l’absence de recueil des votes nominatifs peuvent présenter des difficultés en termes de transparence.
À l’ONIAM, seuls les débats du collège d’experts sont enregistrés sur bande audio mais ne sont pas rendus publics. Il est vrai que ce collège traite essentiellement des dossiers individuels de victimes du benfluorex et ne relève pas de l’expertise sanitaire au sens de la charte de l’expertise, mais de l’expertise médicale, justiciable des tribunaux judiciaires.
Le CEPS n’enregistre pas les débats de ses instances et n’en publie aucun.
À l’INCa les réunions des groupes de travail et instances qui relèvent de l’expertise font l’objet d’une publication sur le site internet. En 2014 seuls quatre procès-verbaux et trois avis ont été publiés, ce qui semble a priori faible au regard de son activité. Dans tous les cas de figure, les enregistrements sont accessibles après formulation d’une demande. Le coût est estimé par l’INCa, en 2014, pour une durée moyenne de trois heures par séance et une moyenne de trois séances par an, à 4 847 € y compris les charges de personnel.
La HAS enregistre chacune des séances du collège, de la commission de la transparence, de la commission nationale d’évaluation des dispositifs médicaux et technologies de santé (CNEDiMTS) et de la commission d’évaluation économique et de santé publique (CEESP). Aucun enregistrement vidéo n’est réalisé, notamment pour des raisons de coût. Au 6 novembre 2015, au titre des réunions tenues depuis le début de l’année, 51 procès-verbaux avaient été publiés pour les 6 commissions de la HAS et 23 pour le Collège.
L’ANSM publie sur son site les comptes rendus des débats des commissions consultatives, en les expurgeant des sujets portant sur des secrets protégés par la loi. Les enregistrements se limitent aux débats donnant lieu à avis, dans le respect strict de l’article R 1451-6 du code de la santé publique Pour réduire les délais de mise en ligne liés à la nécessité d’attendre l’approbation du compte rendu, un relevé d’avis dénommé « retour de séance » est publié sous 48 heures. Ainsi en 2014, sur les 20 réunions tenues par les quatre principales commissions, 56 sujets différents ont été abordés représentant plus de 64 vidéos et totalisant plus de 45 heures de débats filmés.
Au titre de la transparence, l’enregistrement des séances, la rédaction des procès-verbaux, leur mise en ligne et leur archivage, entraînent, selon l’évaluation de mai 2013 de l’ANSM lors de l’étude déjà évoquée conduite par la DGS, un coût annuel de fonctionnement de 350 000 €. Dans cette même étude, déjà ancienne, la HAS avait évalué la charge à 180 000 € et l’INCa à 10 800 €.
Parmi les outils instaurés par la loi du 29 décembre 2011, l’enregistrement des débats est sans conteste efficace, les prises de position de chacun étant mises à la disposition du public. Il permet la traçabilité des décisions et de leurs acteurs.
La Cour a cherché à vérifier la réalité de la traçabilité de la chaîne du médicament65 sur un échantillon de 14 molécules.
Elle a constaté qu’il était tout à fait possible, grâce aux procès-verbaux publiés, de disposer de la liste des participants aux différentes réunions de commissions et d’avoir accès à leurs déclarations publiques d’intérêts directement sur le site de la HAS. Cependant si le nom d’un éventuel rapporteur est bien mentionné, il n’est pas associé dans le procès-verbal au médicament, ce qui ne permet donc pas au public de s’assurer qu’il n’est pas en conflit d’intérêts.
La lecture même des procès-verbaux peut s’avérer délicate, notamment dans le cas d’inversion de position entre deux séances de la commission de la transparence. Le mode de rédaction retenu peut prêter à confusion et conduire à des erreurs d’interprétation, même si des efforts de clarification sont visibles et constants, comme le reconnaît la HAS.
Enfin, la parfaite adéquation entre le résumé des caractéristiques du produit et l’avis de la commission de la transparence n’est pas toujours assurée. Si dans quelques cas, l’évolution dudit résumé est tracée dans l’avis de la commission, dans d’autres cas la rédaction du résumé des caractéristiques du produit évolue sans qu’il soit certain qu’elle soit en conformité avec l’avis des autorités sanitaires. La HAS applique en effet la règle suivante : quand les modifications du résumé des caractéristiques du produit (RCP) induisent une modification de l’appréciation du produit par la commission de la transparence par rapport à son précédent avis, la commission présente systématiquement le tableau de suivi des évolutions du RCP. Ce point pourrait être porté à la connaissance du public pour le clarifier.
La piste d’audit ne peut être poursuivie cependant au niveau du CEPS, celui-ci ne publiant pas de PV de ses séances.
Le CEPS, qui prend 5 700 décisions par an, fait valoir à cet égard qu’il relève du code de la sécurité sociale, qu’il n’a été l’objet que d’un très petit nombre de demandes de communication à des tiers, et en particulier à ce jour n’a reçu aucune demande d’associations d’usagers.
Pourtant, le CEPS répond à la définition des commissions et conseils siégeant auprès des ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale telle qu’énoncée au premier alinéa de l’article L. 1451-1 du code de la santé publique. Il fait appel à des rapporteurs pharmacologues, Il ne refait pas d’expertise sanitaire, mais peut commander des expertises sanitaires supplémentaires et faire appel à des experts sanitaires. Il n’est au demeurant pas tenu de suivre l’avis de la commission de transparence sur l’amélioration du service médical rendu, même s’il ne s’en est pas écarté depuis 2012.
Sans méconnaître les enjeux financiers stratégiques du CEPS et la dimension essentielle de secret des affaires, il n’en demeure pas moins que l’absence quasi complète de transparence ne permet pas de vérifier si l’intérêt public prévaut dans tous les cas. Pour se prémunir contre les risques de contentieux, la conservation des enregistrements peut en tout état de cause s’avérer utile.
Cette précaution revêt d’autant plus d’importance qu’en application de l’article 182 de la loi de modernisation de notre système de santé, qui insère un nouvel article L. 167-17-4-2 dans le code de la sécurité sociale, le CEPS va devoir organiser le nouveau cadre de relations institutionnelles avec les associations représentant les malades et les usagers du système de santé,
Dans ce contexte, il paraît nécessaire de clarifier l’articulation des dispositions législatives applicables au CEPS et de déterminer en conséquence par voie réglementaire le degré de transparence (enregistrement et publicité) auquel ses travaux et ses décisions devraient être soumis dans la limite des secrets protégés par la loi.
Depuis la loi « anti-cadeaux » de 1993, l’Ordre des médecins veille à la prévention des conflits d’intérêts en donnant un avis consultatif sur les deux exceptions à l’interdiction d’avantages que sont les conventions d’hospitalité accordées à l’occasion de manifestations à caractère exclusivement professionnel ou scientifique, et les conventions de recherche ou d’évaluation.
Cette antériorité a permis au Conseil national de l’Ordre de prendre en charge en urgence la publication des avantages accordés dans le cadre de ces exceptions à la loi « anti-cadeaux ». Le relais a ensuite été pris par le ministère de la santé, mais les blocages sont nombreux.
La Cour avait dressé en 201266 un bilan des conditions d’exercice du contrôle des relations médecins-industrie par le CNOM. En particulier, elle avait montré les faiblesses de l’Ordre national des médecins dans la prévention des conflits d’intérêts, et recommandé de doter le Conseil de l’Ordre de pouvoirs renforcés en matière de contrôle des relations des médecins avec l’industrie et d’établir un protocole d’échange d’informations entre l’Ordre et la DGGCRF afin de renforcer la transparence et le contrôle des relations entre médecins et industries.
Depuis lors, les missions des conseils départementaux et de l’ordre national dans le champ de la prévention des conflits d’intérêt ont été élargies. Aux termes de la loi du 29 décembre 2011, le Conseil départemental ou le Conseil national, lorsqu’il s’agit de conventions dont le champ d’application est interdépartemental ou national, a à connaître des conventions d’hospitalité, des conventions d’études et, désormais, des conventions d’honoraires conformément à l’article L. 4113-6 du code de la santé publique. Son avis, s’il est défavorable, est motivé et notifié à l’entreprise qui doit en informer le ou les professionnels intéressés67.
La Cour a procédé à une analyse des données collectées sur la base informatique du Conseil national de l’Ordre des médecins. Le CNOM a eu connaissance de 37 795 conventions de toutes catégories en 2014 : 2 901 conventions d’étude, 17 009 conventions d’honoraires et 17 885 conventions d’hospitalité (dites de prise en charge – PEC). Il estimait en 2012 que l’ensemble des conseils départementaux et lui-même traitaient chaque année environ 80 000 dossiers. Il aurait donc connaissance de la moitié des dossiers.
Les données transmises font apparaître que le nombre des conventions d’honoraires soumises au CNOM avait doublé entre 2014 et 2015 (à la date du 5 novembre 2015).
Les conventions d’hospitalité (21,4 M€) et d’honoraires (78,9 M€) représentent un total de 100,3 M€ en 2014. Cependant ce montant n’est pas comparable à celui qui ressort de la base « Transparence santé » pour trois raisons :
aucun montant de conventions n’est publié sur la base « Transparence santé » ;
il s’agit ici de montants prévisionnels alors que sur la base Transparence santé il est rendu compte de prestations réalisées, ce qui induit un décalage dans le temps ;
les avantages peuvent être liés ou non à une convention d’hospitalité : un repas, une nuit d’hôtel ne le sont pas le plus souvent, mais la participation à un congrès avec transport fait l’objet d’une convention d’hospitalité.
Selon les informations communiquées à la Cour par le CNOM68, les avis conformes sur les conventions d’hospitalité prédominent (91 % en 2014, 95 % en 2015). Les avis défavorables tiennent au non-respect de la procédure (dossiers hors délais, pièces manquantes), plus rarement au fond (non-respect du code de déontologie médicale, qualité insuffisante du contenu de certaines manifestations de formation médicale). Pour les conventions d’honoraires les avis défavorables sont apparemment beaucoup plus nombreux (41 % en 2014, 71 % en 2015). Les causes les plus fréquentes sont l’absence de communication de l’autorisation hiérarchique par l’agent public intéressé et le caractère jugé excessif du montant des honoraires par rapport à la charge de travail demandée au médecin. Pour les conventions de recherche, les causes les plus fréquentes d’avis défavorable sont des honoraires jugés inadaptés, des honoraires versés sur des comptes d’associations, des dossiers incomplets ou des soumissions tardives par rapport à la date de démarrage des travaux.
Le CNOM a eu à connaître, à partir de juin 2014, du refus de certains industriels de soumettre aux instances ordinales des contrats de recherche signés entre l’industriel et le directeur de l’établissement de santé au motif que la convention ne rentre pas dans le champ de compétence de l’instance ordinale, que la signature du professionnel de santé chargé de mener la recherche n’est pas apposée ou que la contrepartie de la somme incitative dans le contrat est l’inclusion d’un ou plusieurs patients dans une recherche. L’absence d’information des patients sur ces sommes est considérée, à juste titre, comme inacceptable au regard du code de déontologie médicale.
La loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé dispose, dans son article 155, que les conventions-type de recherche doivent désormais être transmises au Conseil national de l’Ordre et non plus aux conseils départementaux. Les modalités de mise en œuvre effective de ce renforcement des compétences du Conseil national seront définies par ordonnance (article 212 de la loi du 26 janvier 2016).
Le Conseil national se doterait alors d’un service national des relations médecins-industrie qui recevrait l’ensemble des dossiers aujourd’hui traités par les conseils départementaux de l’Ordre. Dans les dispositions qui seront prises par ordonnance, l’obligation de procéder aux échanges avec les industriels par télétransmission devrait être posée.
Le nombre de conventions télétransmises progresse régulièrement. En 2014, 4 656 conventions d’honoraires sur 17 009 étaient télétransmises. Pour 2015, 17 306 avaient d’ores et déjà été transmises à la date du 5 novembre. Ce progrès est essentiel pour assurer l’exhaustivité et la fiabilité des données, comme le souligne le CNOM.
Dans le cas des conventions de recherche, leur transmission reste très majoritairement sur support papier, ce qui ne permet pas une analyse pertinente des seuls éléments télétransmis. En outre, le caractère non automatique de la transmission génère soit des lignes dont les montants sont à zéro (la moitié des lignes concernant les conventions de recherche sont dans ce cas), soit des erreurs de saisie qui polluent la désignation des entreprises en l’absence de référentiels, rendant extrêmement délicate toute consolidation. La Cour a dû y renoncer.
La Cour avait émis une recommandation dans le RALFSS 2012 ainsi libellée : « créer une obligation pour les industriels d’adresser par voie électronique à la base de données des ordres de professionnels de santé concernés les projets de conventions « médecins-industrie » et le compte-rendu de toute activité financée dans ce domaine, dans des conditions permettant les croisements et les totalisations de données ». Or, les deux articles69 organisant la transmission des conventions pour avis et pour rendre compte de l’exécution, ouvrent la possibilité d’utiliser « tout moyen permettant d’en accuser réception ». Ces dispositions conduisent l’Ordre national à relever que ces modalités de transmission des conventions restent trop imprécises. Par voie de conséquence, les Ordres sont destinataires d’informations pour partie difficilement exploitables.
Le site internet « Transparence santé » a été ouvert le 26 juin 2014, soit deux ans et demi après le vote de la loi.
La base « Transparence santé », malgré son caractère encore incomplet, apparaît comme un outil riche de potentialités pour la régulation des liens d’intérêts dans le champ sanitaire.
Les liens entre les professionnels de santé et les entreprises du secteur de l’industrie du médicament et des dispositifs médicaux doivent être publiés sur le site internet « Transparence santé », accessible à partir du portail du ministère de la santé.
L’article R. 1453-4 I, pris en application de l’article L. 1453-1 du code de la santé publique, dispose que « les informations mentionnées à l’article R. 1453-3 sont rendues publiques, en langue française, sur un site internet public unique et sont transmises à l’autorité responsable de ce site ». Les articles R. 1453-5 à R. 1453-7 précisent les modalités de transmission des informations par les entreprises et les responsabilités en matière de protection des données et des libertés de l’autorité responsable du site internet.
Le dispositif est complété par une circulaire70 du 29 mai 2013 qui interdit l’indexation des données et fixe diverses dispositions sur l’accès aux données sur le site internet. Enfin, l’arrêté du 3 décembre 2013 relatif aux conditions de fonctionnement du site internet public unique précise notamment les modalités d’alimentation du site.
Le cadre actuel n’autorise pas la réutilisation des données gratuitement. Or celle-ci est nécessaire pour permettre aux citoyens d’exercer le droit à la transparence des liens d’intérêts reconnu par la loi. À ce jour, l’accès aux données se fait par le nom d’un professionnel de santé ou d’une entreprise. Il est ensuite possible d’exporter les données vers un tableur mais quasiment impossible, sauf à ressaisir toutes les données, d’avoir une vision globale du contenu du site.
La circulaire de la direction générale de la santé rappelle que la loi oblige à publier l’existence des conventions, et non pas les conventions elles-mêmes, et propose d’en publier l’objet catégoriel » sans définir pour autant une typologie obligatoire. Elle fixe également les modalités de publication et, en particulier, le calendrier de transmission des données : transmission des avantages au plus tard au 1er août pour les avantages alloués ou versés au cours du premier semestre de l’année en cours et au plus tard le 1er février de l’année suivante pour les avantages alloués ou versés au cours du second semestre de l’année en cours.
D’ores et déjà et malgré son incomplétude et le fait qu’elle n’inclut pas encore les rémunérations versées aux professionnels de santé par les entreprises, la base « Transparence santé » apparaît comme un outil de transparence et d’assainissement des pratiques des entreprises.
La Cour a pu procéder à l’examen des données brutes disponibles dans la base au 30 juin 2015.
Le site publie 415 522 conventions en 2013 et 727 086 en 2014. Cette très forte hausse d’une année à l’autre correspond à la montée en charge de la base.
En 2014, 91,5 % lient une entreprise et un professionnel de santé qui sont à 80 % des médecins (identifiés par leur numéro de RPPS).
Trois millions d’avantages pour un total de 324 M€ sont répertoriés dans la base dont 1,7 million d’avantages pour 183,7 M€ en 2014 et un million d’avantages pour 119,9 M€ en 2013.
Il y avait, en 2013, 776 entreprises déclarantes. Elles étaient 967 en 2014, soit une augmentation d’un quart, ce qui semble correspondre à une entrée dans le dispositif de déclaration d’avantages de nouvelles entreprises. Il est à noter cependant que si de 2013 à 2014, le montant moyen de l’avantage déclaré diminue de 111,34 € à 105 €, le nombre moyen de déclarations par entreprise croît de 30 %, passant de 1 388 à 1 802.
Les professionnels de santé représentent, en 2014, 94 % des bénéficiaires en nombre et 83,34 % en montant, Les médecins reçoivent 93,7 % des avantages (en montant).
Sur l’exercice 2014, on dénombre 187 576 médecins71 bénéficiaires d’avantages, soit 84 % de la profession. Le montant moyen perçu par bénéficiaire est de 102 €. Par spécialité, ce montant moyen varie de 55 € pour les spécialistes en médecine générale (ou 66 € pour les médecins qualifiés en médecine générale) et 199 € pour les radiologues. Cependant les écarts à la moyenne sont importants.
répartition par spécialité médicale des avantages publiés en 2014 (nombre d’avantages accordés)
Source : base Transparence santé – traitement Cour des comptes
36 % des bénéficiaires (en montant) sont des médecins généralistes, 9 % des cardiologues et 8 % des chirurgiens. On trouve ensuite les ophtalmologues, les pneumologues et les psychiatres pour 4 %. Les « autres spécialités » regroupent les spécialités qui perçoivent moins de 4 % des avantages.
La base « Transparence santé » permet de procéder à des recherches individuelles (sur des noms), via le site internet, ou à des recherches plus sophistiquées quand on dispose de la base, à condition de protéger l’anonymat des personnes.
À pu ainsi être établie la liste des dix premiers bénéficiaires d’avantages, qui ont touché entre 74 135 € et 35 000 € en 2014.
les dix premiers bénéficiaires d’avantages publiés dans la base Transparence santé en 2014
Bénéficiaires | Nombre d’avantages | Montants (€) |
Endocrinologue, spécialiste du diabète | 20 | 74 135 |
Gastroentérologue-hépatologue | 75 | 63 040 |
Chirurgien cardio-vasculaire | 153 | 59 821 |
Chirurgien orthopédique | 72 | 52 000 |
Cardio-angiologue | 89 | 49 932 |
Pneumologue | 68 | 39 659 |
Cardiologue | 54 | 37 387 |
Radiologue, radiothérapeute | 95 | 36 899 |
ORL chirurgie cervico- –faciale | 57 | 35 023 |
Hématologue | 47 | 34 998 |
Source : base Transparence santé – traitement Cour des comptes
On dénombre, sur l’exercice 2014, 967 entreprises à l’origine de la distribution de 183 M€ d’avantages. La Cour ne dispose pas d’éléments lui permettant d’indiquer si toutes les entreprises se sont conformées à leurs obligations de publication des conventions signées.
Le montant moyen versé par entreprise s’élève à 190 038 € et le montant médian est de 12 242 €. L’écart existant entre le montant moyen et le montant médian traduit le fait qu’un petit nombre d’entreprises tirent à la hausse la moyenne des avantages versés. En fait, 86 premières entreprises versent 80 % des avantages. Plus encore, 37 entreprises versent 60 % des avantages.
part des entreprises déclarantes dans le montant des avantages
Nombre d’entreprises | % d’avantages |
2 | 10 % |
5 | 20 % |
16 | 40 % |
37 | 60 % |
86 | 80 % |
Source : base Transparence santé – traitement Cour des comptes
Le tableau ci-dessus montre combien d’entreprises, par tranche, participent au versement d’avantages. Les deux premières entreprises ont versé 17 489 421 €, soit 9,55 % des avantages.
les entreprises qui déclarent plus de deux millions d’euros d’avantages en 2014
Entreprise | Secteur d'activité | Nombre d'avantages | Montant des avantages (€) |
NOVARTIS PHARMA SAS | Médicaments | 82 783 | 10 493 378 |
ASTRAZENECA | Médicaments | 114 717 | 6 996 043 |
BAYER HEALTHCARE SAS | Médicaments | 46 317 | 6 061 413 |
MSD FRANCE | Médicaments | 61 594 | 6 047 213 |
ROCHE SAS | Médicaments | 38 581 | 5 695 246 |
SANOFI AVENTIS FRANCE | Médicaments | 71 239 | 5 377 908 |
BRISTOL-MYERS SQUIBB | Médicaments | 50 907 | 4 467 933 |
MEDTRONIC FRANCE S.A.S | Dispositifs médicaux | 30 053 | 3 921 001 |
LABORATOIRE GLAXOSMITHKLINE | Médicaments | 57 490 | 3 727 171 |
ABB VIE | Médicaments | 30 920 | 3 424 639 |
JANSSEN-CILAG | Médicaments | 27 878 | 3 342 823 |
LES LABORATOIRES SERVIER | Médicaments | 31 350 | 3 308 188 |
ASTELLAS PHARMA | Médicaments | 13 146 | 3 194 852 |
GILEAD SCIENCES | Médicaments | 14 569 | 2 829 068 |
BOSTON SCIENTIFIC SAS | Dispositifs médicaux | 13 234 | 2 657 894 |
MERCK SERONO | Médicaments | 29 134 | 2 655 344 |
AMGEN SAS | Médicaments | 20 637 | 2 430 608 |
LILLY FRANCE SAS | Médicaments | 26 582 | 2 314 859 |
ALLERGAN FRANCE | Médicaments | 20 305 | 2 265 089 |
LUNDBECK SAS | Médicaments | 19 790 | 2 263 773 |
St JUDE MEDICAL FRANCE SAS | Dispositifs médicaux | 11 111 | 2 208 720 |
GUERBET FRANCE | Médicaments | 6 185 | 2 085 601 |
Source : base Transparence santé – traitement Cour des comptes
Trois d’entre elles sont des entreprises qui commercialisent des dispositifs médicaux, les autres sont des laboratoires pharmaceutiques. On trouve à la fois sept des dix premières entreprises pharmaceutiques mondiales72 et six laboratoires qui commercialisent les produits les plus vendus dans le monde73.
Malgré le caractère récent et incomplet du site « Transparence santé », la richesse des informations d’ores et déjà disponibles révèle la puissance majeure de cet outil en termes de transparence et de prévention des conflits d’intérêts.
L’ouverture des données à titre gratuit nécessitait a minima l’abrogation de la circulaire de la DGS du 29 mai 2013. Saisi par le ministère de la santé, le Conseil d’État a rendu un avis en assemblée générale le 26 mars 2015 qui confirme la nécessité d’une disposition législative, eu égard aux données personnelles concernant les professionnels de santé : « Une disposition législative peut, dès lors, autoriser la réutilisation de données personnelles contenues dans une base publique, en dispensant l’autorité détentrice des données du recueil du consentement des personnes intéressées ou de l’anonymisation des données. Une telle disposition législative semble satisfaire aux conditions de la jurisprudence du Conseil constitutionnel (décision n° DC 2003-467 du 13 mars 2013) ».
La loi de modernisation de notre système de santé du 26 janvier 2016, en son article 178, complète l’article L. 1453-1 du code de la santé publique en précisant que les données sont publiées « sur un site internet public unique ». Un nouvel alinéa précise : « Les informations publiées sur le site internet public unique mentionné au I du présent article sont réutilisables, à titre gratuit, dans le respect de la finalité de transparence des liens d’intérêts et dans les conditions prévues aux articles 10 à 13 de la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 portant diverses mesures d’amélioration des relations entre l’administration et le public et diverses dispositions d’ordre administratif, social, et fiscal et, lorsque cette réutilisation donne lieu à un traitement de données, dans les conditions prévues par la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, notamment à ses articles 7, 38 et 40 ».
Cet article autorise donc la réutilisation à titre gratuit des données, tout en posant des limites pour préserver les libertés individuelles.
Sous réserve des textes d’application, la base pourra être ainsi utilisée pour disposer d’un éclairage complet sur les liens financiers entre les entreprises du secteur et les professionnels. À cet effet, il pourrait être demandé, comme cela se fait sur le site « Open payment » américain, au gestionnaire du site de présenter les statistiques de la base de données sur les pages d’accueil du site, et d’établir un rapport d’activité annuel sur le site qui pourrait être communiqué au Parlement.
En outre, les agences sanitaires ou l’administration centrale du ministère de la santé pourraient procéder à des comparaisons plus aisées des données disponibles dans les déclarations d’intérêts et dans la base « Transparence santé » sous réserve que cette possibilité soit bien prévue dans les textes d’application. Cela nécessitera aussi de modifier le formulaire des déclarations d’intérêts afin d’y inclure le numéro du répertoire partagé des professionnels de santé.
Même si le Conseil d’État avait jugé qu’une disposition législative n’était pas nécessaire, cet article précise que « Les entreprises produisant ou commercialisant des produits mentionnés au II de l’article L.5311-1 ou assurant des prestations associées à ces produits sont tenues de rendre publiques, au-delà d’un seuil fixé par décret, sur le site mentionné au I, les rémunérations versées à des personnes physiques ou morales dans le cadre des conventions mentionnées au même I ».
Un décret d’application est prévu pour fixer le montant minimum.
Le même article précise que ce n’est plus seulement l’existence des conventions qui doit être rendue publique mais « l’objet précis, la date, le bénéficiaire direct et le bénéficiaire final, et le montant ». La volonté ainsi réaffirmée du Parlement a, de surcroît, trouvé une validation par le Conseil constitutionnel74 qui a jugé que « le législateur a opéré une conciliation qui n’est pas manifestement déséquilibrée entre les principes constitutionnels en cause », à savoir le droit au respect de la vie privée et l’exigence constitutionnelle de protection de la santé et l’objectif d’intérêt général de prévention des conflits d’intérêt.
La publication des informations contenues dans les conventions dépend donc désormais de la publication du décret d’application, de l’adaptation du site « Transparence santé » afin qu’il comporte des champs obligatoires pour permettre un traitement de masse des conventions et, in fine, des industriels qui sont à la source de l’information. Les organisations professionnelles ont adopté une position attentiste en mettant en avant les risques juridiques potentiels liés à la publication de montants financiers et l’absence de position claire et homogène sur la nature des informations à publier.
En toute rigueur, les obstacles juridiques étant désormais levés, les entreprises devraient transmettre les données relatives aux conventions conclues au cours de l’année 201275.
Ainsi, pour les experts sanitaires, outre la publication de leur déclaration d’intérêts, les montants financiers relatifs aux avantages mais surtout les conventions d’honoraires ou de recherche seront directement accessibles sur le site « Transparence santé ». Il sera également possible de disposer de données de synthèse, ce qui permettra de disposer d’un éclairage global sur les liens entre les praticiens et l’industrie. Cette transparence devrait conduire à une nouvelle phase d’assainissement de ces relations.
Cette transparence est la condition nécessaire à la reconstitution d’une expertise sanitaire indépendante de premier plan. Elle suppose, pour être effective, une volonté sans faille de la puissance publique, un effort de pédagogie vis-à-vis des professionnels de santé et des industriels pour les convaincre de la prééminence de l’intérêt public sur les intérêts particuliers, mais aussi des moyens de contrôle renforcés.
CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS
Le CEPS et l’ONIAM, pour des raisons différentes, ne disposent pas aujourd’hui d’un cadre de gestion des conflits d’intérêts à la hauteur des ambitions du législateur et de l’exigence constitutionnelle de protection de la santé.
Trois agences, la HAS, l’ANSM, et l’INCA se sont dotées des procédures et des systèmes d’information leur permettant de répondre à leurs obligations. Elles sont certes à des stades différents d’appropriation, mais le dispositif de prévention des conflits d’intérêts est opérationnel. Les procédures existent, les déclarations publiques d’intérêts sont publiées, même si le nombre d’anomalies reste élevé, l’examen des déclarations d’intérêts avant une réunion est tracée ainsi que le déport d’un membre, les procès-verbaux sont rendus publics. Cependant, elles partagent deux points de faiblesses :
la volonté que l’instruction soit menée par un service à même de juger de l’existence ou pas d’un lien, de d’être capable de le qualifier, a pour conséquence, que des contrôles de base, tels que la vérification de la complétude d’une déclaration d’intérêts ne sont pas toujours réalisés ;
les déclarations d’intérêts des représentants des administrations centrales ne sont pas toujours disponibles pour diverses raisons, à régler par les administrations centrales.
La gestion de l’expertise sanitaire présente un bilan en demi-teinte. Il ressort des investigations de la Cour que la charte de l’expertise sanitaire a conduit pour les trois agences les plus concernées, HAS, ANSM et INCa, à une forme d’harmonisation des procédures :
une exigence générale de production par les experts sanitaires d’une déclaration d’intérêts conforme au modèle réglementaire, sauf à l’ANSM ;
une analyse des liens d’intérêts avant le recrutement ou la nomination dans un groupe de travail ;
une vérification avant le début de séance des déports éventuels ;
enfin une traçabilité dans les procès-verbaux, avec l’appui d’un service de déontologie ou d’expertise sanitaire à l’ANSM et à la HAS et une procédure décentralisée à l’INCa ;
un suivi statistique centralisé des déports qu’elles vont mettre en place.
De la nature et de l’intensité des liens découle pour l’expert concerné la décision d’exclusion, de participation sans réserve ou de participation pour une partie seulement, sans voix délibérative. Néanmoins, l’extension de cette dérogation à tous les membres des instances constitue une irrégularité importante au regard de la lettre et de l’esprit de la loi.
L’audit de décisions prises a permis de vérifier la complétude du dispositif et notamment sa traçabilité, sous réserve de quelques ajustements.
Enfin, la base Transparence Santé, après quelques années de mise au point pourrait se révéler un outil puissant de régulation des professions de santé dans leurs relations avec l’industrie du médicament, comme le montrent les données déjà publiées. Néanmoins les atermoiements constants dans l’application de la loi de 2011 retardent de fait la publication des données.
La loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé est le deuxième acte de la séquence ouverte par le drame du Médiator. Elle porte la possibilité de donner leur pleine force aux dispositions en germe dans la loi du 29 décembre 2011. Avec l’ouverture des données et leur réutilisation à titre gratuit, avec la publication de l’objet des conventions mais surtout de leurs montants, une étape importante sur la voie de l’assainissement des pratiques des industriels et l’émergence d’une expertise indépendante de qualité pourrait être franchie dans les prochains mois en matière de transparence.
En conséquence, la Cour formule les recommandations suivante :
Les failles relevées dans la conception du dispositif de prévention et dans sa mise en œuvre appellent des mesures pratiques et des adaptations législatives ou réglementaires.
La Cour a pris connaissance tardivement du rapport de l’IGAS sur la prévention des conflits d’intérêts dans l’administration centrale de la santé76. L’audit avait pour objet d’évaluer les dispositifs de prévention et de gestion du risque de conflit d’intérêts mis en œuvre par les trois directions intervenant sur le champ de la santé (direction générale de la santé, direction générale de l’offre de soins et direction de la sécurité sociale), et de définir des pistes d’actions permettant de sécuriser et d’améliorer l’existant. Le périmètre de la mission couvrait également les instances collégiales placées auprès des ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale, dont le secrétariat est assuré par ces directions, et le comité économique des produits de santé (CEPS).
La mission a procédé à l’analyse de la totalité des déclarations d’intérêts remplies par les agents des trois directions auditées et des membres du CEPS, et a sélectionné six instances dont elle a examiné l’ensemble des déclarations d’intérêts, soit environ 300 DI. Elle a constaté que le dispositif était inégalement appliqué selon les directions et que le bon fonctionnement du dispositif se heurtait à une pratique contestable de la représentation. Elle a aussi relevé des lacunes dans la qualité et l’exhaustivité du remplissage des déclarations d’intérêts et une absence de doctrine stable et partagée d’analyse et de traitement des conflits d’intérêts, comme en témoignent le défaut de traçabilité de vérification de la règle de déport. Enfin, elle a relevé qu’à la date de l’audit, les déclarations d’intérêts des membres des instances collégiales n’étaient pas publiées sur le site Internet du ministère.
Les recommandations de l’IGAS et le plan d’action de l’administration centrale
Les recommandations de l’IGAS ont donné lieu à un plan d’action en sept axes :
1 - instaurer un comité de déontologie ministériel couvrant dans un premier temps les trois directions sanitaires, les instances dont elles assurent le secrétariat, le secrétariat général et le CEPS ;
2 - instaurer un dispositif incitatif invitant l’ensemble des agents exposés au risque de conflit d’intérêts à remplir une déclaration d’intérêts non publique ;
3 - soumettre préalablement à leur recrutement tout nouvel entrant au renseignement d’une pré-déclaration ;
4 - pour les instances collégiales, faire évoluer les pratiques par la désignation préalable de deux représentants et la traçabilité de la mise en œuvre des déports ;
5 - mettre en place un référent « déontologie » au sein de chaque direction sanitaire ;
6 - instaurer une application rigoureuse et une traçabilité de la doctrine de gestion des conflits d’intérêts.
7 - mettre en ligne sur le site Internet du ministère les déclarations d’intérêts des membres de commissions et conseils.
Ce plan d’action en sept points est essentiellement tourné vers les administrations centrales sanitaires mais a vocation à s’étendre à l’ensemble des ministères sociaux. Il est convergent avec les recommandations de la Cour sur l’axe 4 en particulier. Il part cependant du principe que les administrations sanitaires doivent s’organiser autour de la prévention des conflits d’intérêts en adoptant des pratiques déjà mises en œuvre dans les agences sanitaires, ce qui présuppose que ces pratiques soient toutes vertueuses. Dès lors ce plan pourrait être utilement complété par un volet consacré à l’appui que les administrations centrales pourraient apporter aux agences sanitaires en particulier. Il conviendrait en ce sens de mettre l’accent sur les trois points suivants :
le déploiement des déontologues au niveau des agences sanitaires ;
l’articulation avec le projet de loi sur la déontologie et les droits et obligations des fonctionnaires ;
le renforcement du pilotage par l’administration centrale de la politique de prévention des conflits d’intérêts.
La loi de 2011 prévoyait un contrôle de la véracité des DPI par une commission éthique à créer dans chaque organisme, mais le décret d’application n’ayant pas été pris, chaque responsable d’organisme a mis en place les contrôles qu’il estimait être habilité à réaliser ou qu’il était dans l’obligation de mettre en œuvre. Cette application dispersée et non coordonnée par l’administration centrale explique pour une large part les lacunes et carences constatées au cours de l’enquête de la Cour.
La loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé, en son article 179, complète le dispositif des déclarations d’intérêts en précisant : « Chaque autorité compétente veille, pour les personnes relevant d’elle et mentionnées à l’article L. 1451-1 au respect des obligations de déclaration des liens d’intérêts et de prévention des conflits d’intérêts définies au présent chapitre ». La nouvelle rédaction de cet article est moins ambitieuse que celle de la loi de 2011 puisqu’elle ne prévoit pas explicitement le contrôle de la véracité des déclarations d’intérêts, mais elle corrige néanmoins une des faiblesses relevées dans l’application du dispositif.
Chaque agence pourra s’appuyer sur un déontologue en lieu et place de la commission éthique qui devait être créée dans chaque organisme mais dont le décret d’application n’est jamais paru. Celui-ci sera chargé, selon la rédaction définitive de la loi, de « s’assurer au moins annuellement, auprès de chaque personne tenue à déclaration de ses liens d’intérêts, que cette déclaration est à jour » et que les « personnes mentionnées à l’article L. 1451-1 du présent code sont tenues de répondre aux demandes d’information que leur adresse, dans l’exercice de sa mission, le déontologue de l’autorité ou de l’organisme dont elles relèvent ».
En outre, le caractère public du dispositif dans le champ sanitaire et la volonté de transparence des pouvoirs publics conduisent à orienter le rôle du déontologue vers celui d’auditeur interne, habilité à vérifier que l’application des dispositions législatives et réglementaires est effective. Il est tenu de remettre chaque année, au plus tard le 31 mars, « un rapport sur les conditions d’application des dispositions relatives à la transparence et aux liens d’intérêts », rapport « qui est publié sur le site internet de l’autorité ou de l’organisme concerné ». Il est également doté d’un pouvoir d’injonction qui lui permettra de demander des informations complémentaires au déclarant. Il sera enfin responsable de la déontologie de l’expertise sanitaire, ce qui l’obligera, sur le fondement de la charte de l’expertise sanitaire, à porter une appréciation sur l’intensité des liens d’intérêts et sur leur caractère éventuel de conflit d’intérêts.
Un décret en Conseil d’État est prévu sur les conditions de désignation et d’exercice des fonctions de déontologue.
Alors que les agences ont le plus souvent opté pour une organisation déconcentrée de la collecte des déclarations d’intérêts, le dispositif est, en partie, reconcentré auprès de l’autorité compétente.
Bien que dotés de pouvoirs limités, les déontologues pourraient devenir, avec l’appui de leur direction générale, un instrument de fiabilisation du contenu des déclarations publiques, en procédant à des contrôles de cohérence entre les données des déclarations d’intérêts et celles de la base « Transparence santé ».
Ils seront, en outre, conduits à la fois à émettre des avis sur l’appréciation des liens d’intérêts, et des préconisations pour faire évoluer le dispositif. Le comité dont dispose la HAS et, plus récemment, le comité de déontologie placé auprès du directeur général de l’ANSM, exercent déjà ces missions.
La loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique assujettit les membres du gouvernement et les membres de leur cabinet à de nouvelles obligations déclaratives (déclarations d’intérêts et de situation patrimoniale) et soumet un certain nombre d’autres catégories de personnels aux mêmes obligations.
Pour sa mise en œuvre, le secrétaire général des ministères chargés des affaires sociales avait établi une note77 pour les ministres précisant l’organisation retenue au sein des ministères. Le secrétaire général relevait alors que ce dispositif s’ajoutait au corpus législatif issu de la loi du 29 décembre 2011, en soulignant que chaque dispositif avait sa propre logique et requérait la mise en œuvre de procédures appropriées.
Néanmoins, il était proposé que chaque direction se dote d’un référent « déontologie », premier interlocuteur des déclarants, qui aurait vocation à travailler en réseau avec la chargée de mission « prévention des conflits d’intérêts » de la direction des affaires juridiques.
Le projet de loi relatif à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires, tel qu’il a été adopté par l’Assemblée Nationale le 7 octobre 2015 puis au Sénat le 2 février 2016, en particulier son titre 1er sur la déontologie, fixe les obligations des fonctionnaires en matière de respect des principes déontologiques. Son article 478 étend le périmètre des assujettis à la loi de 2013 et crée une nouvelle obligation, comme suit : « La nomination dans l’un des emplois dont le niveau hiérarchique ou la nature de fonctions le justifient, mentionné sur une liste établie par décret en Conseil d’État, est conditionnée à la transmission préalable par le fonctionnaire d’une déclaration exhaustive, exacte et sincère de ses intérêts à l’autorité investie du pouvoir de nomination ». Après sa nomination, l’autorité hiérarchique s’assure du respect par l’agent des règles déontologiques et apprécie au cas par cas la compatibilité des intérêts déclarés et la conduite effective des missions. En cas de doute elle peut saisir la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.
Ces nouvelles dispositions vont imposer aux ministères chargés des affaires sociales d’articuler les deux dispositifs en s’appuyant sur un article de coordination ainsi rédigé à ce stade de la procédure parlementaire79 : « Les décrets mentionnés au I des articles 25 quater et 26 sexies peuvent prévoir, lorsque certains agents sont déjà astreints, par des dispositions législatives spécifiques, à des obligations de déclaration similaires à celles prévues à ces mêmes articles, que les déclarations faites au titre des dispositions spécifiques tiennent lieu des déclarations prévues par la présente loi ».
Ainsi, sous réserve que le projet de décret prévu à l’article 25 quater le prévoie, la déclaration d’intérêts établie par un déclarant au titre de la loi du 29 décembre 2011 n’aura pas à être à nouveau produite au titre de la loi sur la déontologie et les droits et obligations des fonctionnaires.
Le dispositif mis en place par le secrétaire général sera renforcé grâce à la nomination d’un référent « déontologie » dans chaque direction ou délégation, la constitution d’un comité de déontologie, la diffusion de bonnes pratiques, notamment en matière de gestion des commissions administratives, et à la mise en place de dispositifs déclaratifs des liens d’intérêts pour les personnes exerçant des fonctions présentant un risque de conflit d’intérêts identifié.
C’est également sous l’égide du secrétaire général que la rédaction des décrets d’application des deux lois permettra d’assurer la coordination des dispositifs de suivi et de contrôle, en particulier pour ce qui concerne la liste des assujettis.
Dans ce contexte, ces nouvelles dispositions devraient concerner, en particulier, certains dirigeants des autorités sanitaires. En effet, ainsi que cela a été relevé dans le premier chapitre, ceux-ci ne relèvent pas de la liste des assujettis appelés à adresser au président de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique une déclaration de situation patrimoniale et une déclaration d’intérêts du fait du statut des organismes ou des conditions de nomination. C’est notamment le cas du directeur général de l’ANSM, du directeur de l’ONIAM, de la présidente de l’INCa et du président du CEPS. Ces obligations pourraient aussi être étendues à certaines fonctions dans ces agences pour lesquelles le risque métier est jugé suffisamment important pour justifier d’être astreint à ces obligations déclaratives.
La direction générale de la santé est le point de référence pour l’application de la loi du 29 décembre 2011 dans les agences sanitaires. Or, avec la mise en œuvre de la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé, le renforcement de la coordination entre les responsables juridiques des agences sanitaires est nécessaire.
La DGS doit trouver une bonne articulation entre son rôle de tutelle sur le réseau des agences sanitaires et leur autonomie, sachant que ces agences se sont déjà dotées, pour la plupart, de dispositifs en matière de déontologie (comité de déontologie, informatisation des déclarations, etc.) et disposent d’une antériorité avérée en la matière. L’article 166 de la loi de modernisation de notre santé qui autorise le gouvernement à prendre par ordonnance toutes mesures visant à « assurer, sous l’autorité de l’État, la coordination de l’exercice des missions des agences nationales compétentes en matière de santé publique et de sécurité sanitaire, en veillant à la cohérence des actions mises en œuvre dans ces domaines », offre la possibilité de renforcer la coordination des agences dans ce domaine.
Néanmoins, même si la direction générale de la santé est la direction la plus avancée en matière de prévention des conflits d’intérêts, qu’elle est légitime en tant que direction « métier » sur les sujets tels que la coordination de l’expertise sanitaire en particulier, il est notable que, sur certains sujets, elle a besoin du concours de la direction de la sécurité sociale (pour le CEPS ou la HAS par exemple), de la DGOS et du secrétariat général des ministères sociaux.
Dès lors, il semble plus efficace de confier cette fonction de pilotage au secrétaire général des ministères sociaux, d’autant qu’il pourra agir également sur la prévention des conflits d’intérêts au sein des agences régionales de santé, opérateurs qui étaient en dehors du champ de la présente enquête mais dont le pilotage appelle des directives claires.
Une de ses premières tâches devra être de veiller à une approche partagée entre les déontologues des agences de leurs grilles d’analyse des liens d’intérêts et de tendre vers un traitement homogène des liens d’intérêts d’une agence à l’autre.
L’expertise obéit à trois règles : transparence, indépendance et compétence. Il convient pour les agences sanitaires de pouvoir mobiliser les meilleurs experts de la question, de s’assurer qu’ils formulent leurs recommandations hors de toute influence, de la part de gouvernements comme d’intérêts privés, et que l’expertise qu’ils formulent ne comporte pas de biais de nature à mettre en cause l’impartialité de leur jugement. La qualité de l’expertise sanitaire est essentielle au travail des agences sanitaires sur lequel s’appuiera la décision politique et, par conséquent, à la sécurité sanitaire. Plusieurs voies mériteraient d’être explorées.
Renforcer le vivier d’experts sanitaires de haut niveauLes dirigeants des agences notent la difficulté pour eux de recruter des experts sanitaires. Sur ce point il n’a pas été possible de quantifier le phénomène : les agences contrôlées ne décomptent pas les taux de déports ni les taux de refus de recrutement d’un expert sanitaire pour cause de conflit d’intérêts. En outre, l’absence de site unique dans lequel tous les experts déposeraient leur déclaration publique d’intérêts n’a pas permis d’établir une cartographie de l’expertise sanitaire. Il n’en est pas moins certain que sur certaines spécialités médicales très pointues, le recrutement d’un expert peut effectivement s’avérer difficile.
Le constat d’une faible valorisation, tant financière que professionnelle, des activités d’expertise sanitaire est récurrent depuis plus de 15 ans. L’Inspection générale des affaires sociales avait bien documenté ce point81, tout en reconnaissant que le nombre d’experts externes auxquels recouraient les organismes témoignait de l’attractivité, principalement intellectuelle, de ces missions. Elle avait jugé non pertinente compte tenu des contraintes de finances publiques, leur revalorisation financière. mais estimé possible de développer la reconnaissance professionnelle des activités d’expertise en développant les relations bilétérales entre les organismes et les établissements d’enseignement supérieur et de recherche.
L’absence de reconnaissance de l’activité d’expertise dans la carrière des enseignants-chercheurs et des praticiens hospitaliers a été soulignée par l’ensemble des interlocuteurs de la Cour comme étant un facteur très pénalisant pour la constitution du vivier d’experts.
La réflexion devrait être relancée au sein du comité d’animation du système d’agences (CASA) qui réunit les principaux opérateurs nationaux des politiques de prévention et de sécurité sanitaire sous la présidence du directeur général de la santé.. Ce comité pourrait se saisir des questions de revalorisation financière de la fonction, de parangonnage avec les partenaires européens, de débouché des travaux dans le cadre de publications scientifiques et de déroulé de carrière. Il pourrait associer le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche.
En instituant une politique de prévention des conflits d’intérêts touchant tous les secteurs, le législateur impose à l’administration de revoir d’autres politiques telles que celle relative à la formation initiale. En effet, en intégrant les étudiants ainsi que les associations et les groupements qui les représentent dans le périmètre de publication des avantages et des conventions sur le site « Transparence santé », le législateur a pris en compte le fait que les relations entre les professionnels de santé et les entreprises du secteur peuvent se nouer pendant les années d’études.
Il a également prévu à l’article 115 de la loi du 26 janvier 2016 que « les membres des professions médicales qui ont des liens avec des entreprises et des établissements produisant ou exploitant des produits de santé ou avec les organismes de conseil intervenant sur ces produits, sont tenus de faire connaître ces liens au public lorsqu’ils s’expriment sur les produits lors d’une manifestation publique, d’un enseignement universitaire ou d’une action de formation continue ou d’éducation thérapeutique, dans la presse écrite ou audiovisuelle ou par toute publication écrite ou en ligne ».
Les modalités d’application de cet article, en ce qui concerne l’enseignement supérieur, ne sont pas encore connues, mais leur importance apparaît déterminante.
L’examen du contenu des déclarations publiques d’intérêts des professionnels de santé, à la fois experts sanitaires et engagés dans des conventions de recherche clinique financées par l’industrie pharmaceutique, montre qu’il est possible, en utilisant le cadre légal existant, de concilier recherche clinique, expertise sanitaire et formation continue des professionnels de santé.
À cet égard, la direction générale de l’offre de soins a diffusé, en juin 2014, un modèle de convention dénommé « contrat unique pour les recherches biomédicales ». Il s’agit d’un contrat tripartite associant l’établissement de santé au médecin investigateur et au laboratoire pharmaceutique et qui exclut le versement direct d’honoraires au médecin investigateur. Ceci contribue à introduire plus de transparence dans les financements émanant de l’industrie pharmaceutique. La direction de l’établissement de santé disposerait ainsi de l’information lui permettant de vérifier les règles de cumul d’activité pour le personnel hospitalo-universitaire, bien souvent investigateur principal ou co-investigateur de ces recherches.
La mise en place des fondations hospitalières : un apport de transparence
L’article L. 6141-7-3 du code de la santé publique, créé par la loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009, autorise les établissements publics de santé à créer une ou plusieurs fondations hospitalières, dotées de la personnalité morale, résultant de l'affectation irrévocable à l'établissement intéressé de biens, droits ou ressources apportés par un ou plusieurs fondateurs pour la réalisation d'une ou plusieurs œuvres ou activités d'intérêt général et à but non lucratif, afin de concourir aux missions de recherche mentionnées à l'article L. 6112-1.
Comme le soulignait le rapport de la commission d’enquête sur le rôle des firmes pharmaceutiques dans la gestion par le gouvernement de la grippe A (H1N1), le développement des fondations hospitalo-universitaire de recherche cogérée par l’hôpital et les médecins peut contribuer à améliorer la transparence des flux financiers entre l’industrie, les établissements et les praticiens.
Ce mouvement est désormais engagé. Ainsi, l’AP-HP, qui annonce réaliser « environ la moitié de la recherche clinique en France », a créé la fondation de l’AP-HP dont les statuts ont été approuvés par décret n° 2015-532 du 13 mai 2015, et effectivement mise en place en octobre 2015.
Un regroupement des circuits de financement autour d’un organisme unique gestionnaire du développement professionnel continu permettrait de supprimer tous liens directs entre industries pharmaceutiques et professionnels de santé au titre de leur formation professionnelle personnelle.
Le bilan réalisé par la Cour montre que le résultat en matière de recueil des déclarations d’intérêts pourrait être sensiblement amélioré si les assujettis bénéficiaient d’un site unique de dépôt de leur déclaration et si les règles d’assujettissement étaient clarifiées.
À ce jour, l’arrêté des ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale, prévu par le décret n° 2012-745 du 9 mai 2012 qui prévoyait un site unique de déclaration, de mise à jour et de publication des déclarations d’intérêts, n’a pas été publié et le site unique n’existe pas.
Le site unique devrait grandement faciliter la gestion et le traitement des déclarations publiques d’intérêts, tant pour les déclarants que pour l’administration : chaque assujetti établira une déclaration unique, avec diffusion pertinente aux agences sanitaires pour qu’elles puissent l’intégrer à leur système de gestion des liens d’intérêts. Les assujettis n’auront plus qu’une déclaration d’intérêts à établir et à actualiser chaque fois que nécessaire. Ils ne seront pas pour autant dispensés de s’assurer, à chaque nouvelle sollicitation, que leur déclaration est bien complète pour l’expertise qui leur est demandée. L’acceptabilité de ces obligations déclaratives s’en trouvera améliorée.
Le travail des agences sanitaires et, en particulier de leur déontologue, s’en trouvera aussi facilité.
Il convient de veiller cependant à ce que l’interface de saisie comporte l’ensemble des champs obligatoires en conformité avec le modèle de déclaration d’intérêts et que la déclaration soit certifiée et horodatée.
La publication des déclarations d’intérêts sur un seul site améliorera grandement la transparence vis-à-vis du public qui n’aura plus à consulter qu’un seul site pour s’assurer de l’activité d’un intervenant. Ce site pourrait être accessible en données ouvertes afin d’en faciliter la réutilisation.
La préparation de ce site unique de recueil des déclarations est pilotée par le secrétariat général des ministères sociaux et, plus particulièrement, par la direction des affaires juridiques qui coordonne les problèmes de déontologie pour l’ensemble des deux ministères.
Le retard pris dans la réalisation de ce site unique tient tout autant au nombre de personnes assujetties qu’à la difficulté de convaincre les agences sanitaires de se défaire de leur système de collecte des déclarations. Il tient aussi à la difficulté de gager sur le budget du ministère de la santé les ressources budgétaires (1,3 M€) et humaines (1 ETP) qui soient à la hauteur de la complexité du projet. Une étude préalable a été confiée à un prestataire extérieur qui a remis son rapport à la mi-2014. Les travaux ont peu avancé au cours de l’année 2015. La promulgation de la loi de modernisation de notre système de santé a relancé le projet et facilité les arbitrages. Le secrétariat général des ministères sociaux estime désormais que le projet pourrait démarrer avant la fin du premier trimestre 2016, ce qui autoriserait une ouverture du site unique au premier semestre 2017, soit plus de cinq ans après la publication de la loi du 29 décembre 2011.
L’enquête a montré que la collecte des déclarations d’intérêts comportait des lacunes, soit parce que les assujettis ne se pliaient pas à cette obligation, soit parce qu’une interprétation des textes a minima pouvait conduire à ne pas leur réclamer de déclaration d’intérêts.
L’ouverture du site unique permettra de corriger les insuffisances constatées en ce qui concerne les représentants des directions d’administration centrale au sein des agences sanitaires. Ceci revient à proposer que tous les personnels susceptibles de représenter leur directeur dans une instance déclarent leurs intérêts aux agences via le site unique. En attendant, cette obligation doit être rappelée aux intéressés.
Les manquements constatés pour les experts entendus par les agences sanitaires concernaient pour une part significative les réunions organisées à l’initiative de l’administration centrale. Le directeur général de la santé a, par note du 20 mai 201582, rappelé que la participation à des réunions informelles de groupes de travail « ne dispensait toutefois pas les personnes invitées par l’administration de l’obligation d’établir une DPI en application de l’article L. 1452-3 (experts sanitaires), dès lors qu’elles participent à ces travaux en qualité d’expert au sens de la charte de l’expertise sanitaire, qui considère l’expertise comme un avis académique sur une question de fait qu’il est demandé d’éclaircir scientifiquement ». Ce rappel, destiné aux seules structures dépendant de l’administration centrale, doit être étendu à l’ensemble des acteurs du champ sanitaire tant au niveau national que régional.
Enfin, une clarification de l’instruction du 2 août 201283 s’impose afin de lever les confusions introduites par ce texte, notamment pour les personnes assistant aux réunions des instances avec voix consultative sans en être membres. Il convient de préciser que ces personnes sont également soumises à l’obligation de déclaration et de publication.
En 2011 le projet de loi déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale ne comportait aucun contrôle de la véracité des déclarations d’intérêts. Le gouvernement le considérait comme difficile à faire accepter par les professionnels de santé et, au bout du compte, inutile puisque chaque déclarant était responsable de la complétude et de l’exactitude de sa déclaration d’intérêts. Poussé à l’extrême, il revenait aux seuls déclarants de s’assurer qu’ils sont en règle.
Le projet de loi initial prévoyait seulement :
« Art. L. 1451-3. - Les conditions d'application des dispositions du présent chapitre, et notamment le modèle et le contenu de la déclaration d'intérêts, les conditions dans lesquelles elle est rendue publique ainsi que ses modalités de dépôt, d'actualisation et de conservation, sont fixées par décret en Conseil d’État ».
Un premier amendement, déposé le 11 septembre 2011 (par M. Jean-Luc Preel, Nouveau Centre) et rédigé comme suit : « Les déclarations de lien doivent être déposées auprès du Comité Ethique de l’agence » est motivé ainsi « « Le système mis en place ne peut être légitime et son efficacité avérée que s’il existe un contrôle éthique des informations délivrées par les acteurs effectuant leur déclaration d’intérêt, ce qui implique de préciser qui reçoit les déclarations et est chargé de les étudier ».
La commission des affaires sociales le mardi 20 septembre 2011 rejette l’amendement en le jugeant incomplet sans pour autant y substituer un dispositif de contrôle effectif. Le nouvel amendement du 23 septembre 2011, qui sera finalement adopté définitivement, avec l’accord du Gouvernement, présente l’exposé des motifs ainsi : « Le système mis en place ne peut être légitime et son efficacité avérée que s’il existe un contrôle éthique des informations délivrées par les acteurs effectuant leur déclaration d’intérêt. » dont la rédaction est reprise dans la loi finalement promulguée :
Art. L. 1451-4 (nouveau). – « Un décret en Conseil d’État fixe les conditions selon lesquelles une commission éthique, mise en place au sein de chaque agence, contrôle la véracité des informations délivrées dans la déclaration d'intérêts ».
Le décret en Conseil d’Etat n’a pas été pris, et l’intention du législateur d’instaurer une certaine forme de contrôle de la véracité des déclarations d’intérêts est restée lettre morte. Le dispositif de prévention des conflits d’intérêts se trouvait ainsi fragilisé.
Faute d’avoir conféré aux agences sanitaires des pouvoirs d’investigation, le décret relatif aux commissions éthiques, quand bien il aurait été pris, n’aurait pu utilement encadrer les modalités de contrôle de la véracité des déclarants. Cette lacune n’est pas comblée par la loi du 26 janvier 2016, même si la création de la fonction de déontologue instaure de fait, un contrôle de premier niveau. Encore faut-il, pour que ce premier contrôle soit efficace, qu’il puisse saisir en tant que de besoin une instance indépendante.
Chaque agence ou autorité compétente est tenue de veiller au respect des obligations de déclarations des liens en s’appuyant sur le déontologue qu’elle aura nommé. Celui-ci est doté d’un pouvoir d’injonction aux assujettis afin qu’ils se soumettent à leurs obligations déclaratives. Il pourra également se livrer à des vérifications à partir de données directement accessibles sur Internet, à commencer par le croisement des données avec celles disponibles sur la base « Transparence santé », comme commence à le faire l’ANSM.
Rattaché au directeur général de l’agence, le déontologue doit pouvoirs s’appuyer dans sa mission sur la direction générale de l’agence, ce qui justifie un rattachement au plus haut niveau de l’organisme. Son rapport d’activité doit être débattu dans l’organe délibérant de l’organisme.
Dans certains cas, par exemple quand des rémunérations sont déclarées perçues mais que les montants afférents ne sont pas fournis, si le déclarant refuse de les préciser, il pourrait être nécessaire de disposer d’un pouvoir d’investigation leur permettant d’avoir accès à des informations des services fiscaux ou des URSSAF.
Cette fonction ne semble pas pouvoir être assurée au sein des organismes, car ce serait, selon leurs dirigeants, un facteur dissuasif pour recruter des experts sanitaires.
La centralisation de cette fonction au secrétariat général des ministères chargés des affaires sociales ne semble pas plus une option, l’indépendance nécessaire pour assurer ces fonctions ne pouvant être assurée au sein même de l’administration. Elle est d’ailleurs écartée par l’administration centrale du ministère.
Dès lors il y a lieu d’examiner la possibilité de confier cette nouvelle attribution à une autorité administrative indépendante.
La mission commune d'information sur le Mediator du Sénat proposait que les déclarations d'intérêts des experts et des membres des commissions et collèges des agences sanitaires soient désormais adressées non plus aux agences elles-mêmes, mais à une instance extérieure indépendante. Il était précisé que ce pourrait être l’autorité chargée de la prévention des conflits d’intérêts dans la vie publique alors prévue dans un projet de loi relatif à la déontologie et la prévention des conflits d'intérêts dans la vie publique, qui crée une Autorité de déontologie. La mission suggérait que celle-ci soit chargée du contrôle de l'expertise de santé publique. Il était précisé que les principales missions de cette autorité indépendante de l'expertise seraient, en matière de santé publique, les suivantes : la rédaction de la charte de l'expertise, la définition des règles de recrutement des experts (de toutes les agences sanitaires), la mise en place de la formation des experts, le contrôle de l'indépendance des structures de formation et le contrôle des déclarations publiques d'intérêts (DPI). Le dispositif de la loi de 2011 a confié la plupart de ces responsabilités aux dirigeants des agences sanitaires.
La Haute autorité pour la transparence de la vie publique, consultée par la Cour, estime pour sa part « primordial de mettre en œuvre un mécanisme de contrôle, destiné à la fois à s’assurer que les obligations déclaratives sont satisfaites et que les situations de conflits d’intérêts font effectivement l’objet d’un traitement par les agences sanitaires ». Elle considère que « seule l’existence d’une institution de contrôle permet de garantir le respect des règles en matière d’intégrité des responsables publics ».
Elle note par ailleurs que le dispositif instauré par la loi de 2011 « répond à ses logiques propres, tenant notamment à l’extrême technicité des questions traitées par les experts. Compte tenu de ces particularités, il apparaît pertinent de faire perdurer un système spécifique de prévention des conflits d’intérêts, parallèlement au dispositif plus général mis en œuvre par la Haute autorité ». Dans ces conditions, elle souligne que « confier une telle mission à une institutions extérieure, totalement indépendante de ceux qu’elle est chargée de contrôler, pourrait constituer à cet égard un gage supplémentaire d’efficacité, compte tenu des enjeux économiques et de santé publique en cause ».
Il n’est pas contestable que la qualification des liens d’intérêts nécessite une connaissance approfondie du secteur de la santé. Il importe en effet d’être en mesure de distinguer un lien d’intérêts « positif » (un expert a un lien d’intérêt avec l’entreprise concernée par l’affaire examinée) et un lien d’intérêts « négatif » (un expert a un lien d’intérêt avec une entreprise qui est directement concurrente d’une autre dont le dossier est à l’ordre du jour). Par exemple, pour les médicaments, cette analyse ne peut se limiter à une approche globale par laboratoire pharmaceutique mais doit se faire au niveau du médicament : classe thérapeutique du produit, indications qui peuvent être identiques à celles de médicaments appartenant à une classe thérapeutique différente, niveau de la concurrence entre produits. Les agences ont résolu cette difficulté en confiant aux directions « métiers » chargées des dossiers le soin de préparer l’examen des conflits d’intérêts des experts sanitaires.
Plusieurs dispositifs sont envisageables, soit qu’on confie cette mission de contrôle à la HATVP, au besoin dans un collège ad hoc, soit en créant une nouvelle autorité administrative, ou encore en l’adossant à une autorité indépendante préexistante dans le champ sanitaire.
Dans cette dernière hypothèse, qui apparaît préférable dans la mesure où la HATVP souligne la spécificité de ce domaine et la nécessité de disposer d’une connaissance approfondie du secteur, la Haute Autorité de santé, autorité indépendante à caractère scientifique dont la légitimité est désormais reconnue par les acteurs du monde de la santé publique, pourrait se voir confier cette nouvelle attribution par élargissement de ses missions actuelles au champ déontologique.
Il est à noter que la HAS a piloté un groupe de travail constitué au sein du comité d’animation du système d’agences (CASA) sur le thème de la déontologie. Il avait pour objectif d’élaborer une charte de déontologie de l’expertise en santé publique précisant les règles déontologiques communes aux institutions sanitaires en matière d’expertise et les obligations déontologiques des experts.
Ses missions et son expérience pourraient lui permettre d’étendre ses compétences en la dotant des pouvoirs de vérification nécessaires au contrôle des déclarations d’intérêts des assujettis à la loi du 29 décembre 2011, selon une organisation interne garantissant, le cas échéant par un collège ad hoc, une stricte étanchéité entre ses missions actuelles et ce rôle nouveau de manière à éviter toute interférence.
Confier cette attribution à la HAS suppose naturellement de veiller à l’articulation de ce contrôle avec ceux qui incombent aux organismes eux-mêmes pour éviter de décharger ceux-ci de leurs responsabilités. De ce point de vue, elle devrait être l’instance à laquelle les déontologues institués dans chaque agence renverraient les situations qu’ils estimeraient problématiques, au regard notamment d’une suspicion d’incomplétude de certaines déclarations ou lorsque leur injonction de produire une déclaration d’intérêts serait demeurée sans effet, et les difficultés d’appréciation des conflits d’intérêts auxquels il pourraient être confrontés.
CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS
Pour assurer un fonctionnement plus efficace du système de prévention des conflits d’intérêts en matière d’expertise sanitaire, il conviendrait que le site unique de recueil et de publication des déclarations d’intérêts soit mis en place dans les plus brefs délais, afin d’éviter les démarches multiples. Il conviendrait aussi que les obligations déclaratives soient clarifiées.
En créant un déontologue dans chaque agence sanitaire, la loi du 26 janvier 2016 dessine une structuration du pilotage du dispositif de prévention. Celui-ci pourrait être conforté par un échelon central, à même de coordonner les agences sur l’expertise sanitaire et d’élaborer une politique permettant de mieux concilier recherche clinique et exigence de prévention des conflits d’intérêts et de prémunir les administrations centrales contre le soupçon de partialité. Cependant, ce n’est que lorsqu’un dispositif indépendant et externe de contrôle de la véracité des déclarations d’intérêts sera mis en place qu’on pourra estimer que le système de prévention repose sur des bases solides. En attendant, il convient de ne pas laisser les autorités sanitaires en dehors du droit commun porté par la loi de 2013, élargi par le projet de loi en cours de discussion sur la déontologie et les obligations des fonctionnaires.
En conséquence, la Cour formule les recommandations suivantes :
Les investigations conduites dans le cadre de cette enquête permettent de mettre en évidence les progrès importants accomplis dans le domaine de la prévention des conflits d’intérêts depuis la loi du 29 décembre 2011. Les défaillances relevées dans la mise en œuvre des dispositifs conduisent cependant à un bilan en demi-teinte et dessinent les marges de progrès qu’il importe que les administrations et les organismes se fixent pour se conformer pleinement à la lettre et à l’esprit de la loi.
Si le bilan de cette enquête est plus négatif pour l’ONIAM et le CEPS où plusieurs défaillances ont été relevées, les trois agences sanitaires, HAS, ANSM et INCa, disposent, pour leur part, des procédures leur permettant de répondre à leurs obligations en matière de prévention des conflits d’intérêts, en particulier pour la gestion de l’expertise sanitaire. Néanmoins, certaines anomalies de portée variable ont été relevées, comme l’absence des déclarations de certains membres d’instances, en particulier celles des représentants des administrations qui ne sont pas toujours disponibles pour des raisons diverses, ou l’absence de mise à jour annuelle. Plus problématique, l’extension de l’application de la charte sanitaire à tous les experts, y compris tous les membres des instances, conduit à une interprétation de la loi qui est extensive et, pour la Cour, irrégulière. Une clarification est donc nécessaire.
Le cadre désormais unifié d’un site unique de recueil des déclarations publiques d’intérêts, associé à la publication des avantages et des rémunérations accessoires sur le site « Transparence santé », offre des perspectives renforcées d’assainissement des relations entre les industriels et les professionnels de santé.
Un enjeu central, même si les dispositions de la loi de 2011 couvrent un champ plus large, est de permettre aux agences sanitaires de disposer des experts sanitaires compétents susceptibles de les aider à remplir leur mission dans les meilleures conditions, au service de la sécurité sanitaire. L’objectif doit donc être de poursuivre jusqu’à son terme la politique d’assainissement des liens financiers qui existent entre l’industrie et les professionnels de santé, en faisant évoluer les contrats de recherche clinique mais aussi en développant une véritable politique de soutien à l’expertise sanitaire indépendante et de qualité, qui suppose une juste rémunération de l’activité d’expertise sanitaire et une reconnaissance de son importance dans la carrière professionnelle. Les laboratoires et industriels du secteur de la santé y trouveront leur compte.
Les propositions de recommandations formulées dans la présente communication visent à améliorer les outils existants (procédures mises en place dans les agences sanitaires, système de recueil des déclarations d’intérêts, bases de données publiques, etc.).
Aller plus loin supposerait d‘asseoir un contrôle plus affirmé, prenant pour modèle les pouvoirs conférés dès sa création à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, et les pouvoirs encore étendus et renforcés dans le projet de loi sur la déontologie et les droits et obligations des fonctionnaires.
Les déontologues que la loi du 26 janvier 2016 instaure auprès de chaque autorité constituent le premier niveau de vérification qui permettra de faire disparaitre les anomalies les plus courantes (absence de déclaration, retard dans la mise à jour et déclaration incomplète notamment) et qui assurera un pilotage resserré du dispositif de prévention.
Mais ils ne trouveront leur pleine efficacité que si les organismes peuvent s’appuyer sur une instance susceptible de les assister, lorsque c’est nécessaire, dans leur analyse des liens d’intérêts, dans le choix d’experts compétents et indépendants dans des domaines où ils sont rares, ou dans la conduite de contrôles poussés. Cette instance devrait être une autorité administrative, indépendante de l’administration et disposant d’une fine connaissance du champ sanitaire. La Haute Autorité de santé est toute désignée pour assumer cette fonction éminente.
Avec la transparence généralisée, l’existence d’un mécanisme de contrôle abouti permettrait de garantir l’intégrité des acteurs du champ sanitaire et l’impartialité des décisions prises dans le champ de la santé publique qui relèvent en dernier ressort du ministre de la santé.
Annexe n° 1 : lettre du Président de la Commission des affaires sociales du Sénat au Premier président du 10 novembre 2015
Annexe n° 2 : lettre du Premier président au Président de la Commission des affaires sociales du Sénat du 25 novembre 2015
Annexe n° 3 : lettre du Premier président au Président de la Commission des affaires sociales du Sénat du 21 janvier 2016
Annexe n° 4 : procédures d’autorisation, de remboursement et de fixation du prix d’un médicament
Annexe n° 5 : contenu des lignes directrices de l’OCDE pour la gestion des conflits d’intérêts dans le service public
Les lignes directrices fixent un certain nombre d’orientations pour l’élaboration de la politique publique à mener en matière de conflits d’intérêts :
décrire de façon claire et réaliste les circonstances et les relations susceptibles de créer une situation de conflit d’intérêts ;
veiller à ce que la politique de gestion des conflits d’intérêts soit épaulée par des stratégies et pratiques organisationnelles permettant de repérer tout l’éventail des situations de conflit d’intérêts ;
veiller à ce que les agents publics soient informés de leurs obligations en matière d’identification et de déclaration des situations de conflit d’intérêts ;
définir clairement ce qu’on attend des agents publics dans le traitement des conflits d’intérêts ;
veiller à ce que les organismes publics s’emploient à faire appliquer efficacement la politique de gestion des conflits d’intérêts ;
bien faire connaître et faire comprendre la politique de gestion des conflits d’intérêts ;
rechercher dans les domaines à risques les situations potentielles de conflits d’intérêts ;
identifier les mesures préventives à appliquer pour éviter les situations de conflit d’intérêts ;
favoriser l’instauration dans l’administration d’une culture ouverte où le traitement des conflits d’intérêts peut être librement évoqué et débattu ;
mettre en place des procédures sanctionnant le délit de conflit d’intérêts et proportionner les sanctions notamment disciplinaires à la gravité de la faute ;
élaborer des mécanismes de surveillance pour déceler les infractions à la politique adoptée et pour prendre en compte les gains ou les avantages retirés du conflit d’intérêts ;
créer des partenariats pour l’intégrité avec les entreprises et le secteur à but non lucratif en les faisant participer à l’élaboration et à l’exécution de la politique en matière de conflits d’intérêts applicables aux agents publics ;
anticiper les situations potentielles de conflits d’intérêts lorsque les organismes font appel à la participation de personnes représentant les entreprises et le secteur à but non lucratif ;
faire mieux connaître la politique relative aux conflits d’intérêts dans les rapports avec d’autres secteurs, et prévoir des mesures de protection contre les situations potentielles de conflits d’intérêts en cas de coopération avec les entreprises ou les organismes à but non lucratif.
DI loi 2013 HATVP | DPI loi 29 décembre 2011 | |||||||||
Lien d’intérêts/ conflit d’intérêts | Rappel de la définition du conflit d’intérêts adopté par la loi de 2013 | Il n’y a pas de définition de conflit d’intérêts. | Définition d’un lien d’intérêts | Rappel de l’obligation de se déporter en cas de conflit d’intérêts | ||||||
Domaine | Tous les domaines | Domaine sanitaire | ||||||||
Activités professionnelles/ activités principales et secondaires | Doivent être renseignées les activités professionnelles à la date de l’élection ou de la nomination, ainsi que celles des 5 dernières années | Le nom et l’adresse de l’employeur ne sont pas demandés contrairement aux DPI. | Ici sont distinguées les activités principales des activités secondaires (celles actuelles, ainsi que des 5 dernières années). | De plus, pour l’activité principale, les activités salariales sont distinguées d’autres activités (bénévolat…) contrairement aux DI. | ||||||
Déclarations similaires | Activités de consultant | Participation aux organes dirigeants | Participations financières directes dans le capital d’une société | Activités professionnelles exercées par le conjoint, le partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou le concubin | Activités de consultant, de conseil ou d’expertise | Participation à une instance décisionnelle | Participations financières dans le capital d’une société | Proches parents salariés et/ou possédant des intérêts financiers dans toute structure dont l’objet social entre dans le champ sanitaire | ||
Déclarations distinctes | Les fonctions bénévoles susceptibles de faire naître un conflit d’intérêts | Les fonctions et mandats électifs | Participation à des travaux scientifiques et études pour des organismes publics et/ ou privés | Rédaction d’articles, intervention dans des congrès, conférences, colloques, réunions publiques diverses ou formations organisés ou soutenus financièrement par des entreprises ou des organismes privés | Inventeur ou détenteur d’un brevet ou d’un produit, procédé ou toute autre forme de propriété intellectuelle non brevetée | Activités du déclarant dirigées et qui ont bénéficié d’un financement par un organisme à but lucratif dont l’objet social entre dans le champ de compétence | Autres liens d’intérêt |
Ce tableau établit une comparaison entre les déclarations d’intérêts instaurée par la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique et les déclarations publiques d’intérêts de la loi n° 2011-2012 du 29 décembre 2011 relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé.