Le
Le Premier président
à | Monsieur Bernard Cazeneuve | Ministre de l’intérieur | |
Réf. : S 2016-0954 | Objet : la gestion des logements de fonction du ministère de l’intérieur |
En application des dispositions de l’article L. 113-3 du code des juridictions financières, la Cour a contrôlé la gestion des logements de fonction du ministère de l’intérieur, pour les exercices 2012 à 2014.
Le régime des logements de fonction des fonctionnaires a été réformé par un décret du 9 mai 20121. Cette réforme, que la Cour avait appelée de ses vœux par un référé du 22 juillet 20022, s’est inscrite dans les démarches promouvant un État exemplaire. Ainsi, le Président de la République, dans sa lettre du 20 juin 2010 au Premier ministre, lui demandait en particulier que les avantages en nature concédés à certains fonctionnaires soient strictement circonscrits à l’exercice de leurs fonctions.
Le contrôle de la Cour a porté sur les logements de fonction concernés par les arrêtés interministériels d’application du décret du 9 mai 20023.
À l’issue de ce contrôle, la Cour m’a demandé, en application des dispositions de l’article R. 143-1 du même code, d’appeler votre attention sur ses observations relatives aux conditions d’application de la réforme au sein du ministère de l’intérieur, qui sont en retrait par rapport à la volonté exprimée en 2010.
Au ministère de l’intérieur, le nombre de logements de fonction est passé de 1 140 avant la réforme à 735 en application de l’arrêté interministériel du 15 décembre 2015, soit une réduction d’un tiers.
Toutefois, cette réduction globale s’est accompagnée d’une hausse du nombre de fonctions ouvrant droit à concession de logement par nécessité absolue de service, c’est-à-dire à l’attribution d’un logement en exonération du paiement de tout loyer ou redevance par son occupant, a augmenté de 412 à 699, soit de 70 %. En particulier, 525 responsables de la police ont désormais droit à être logés par nécessité absolue de service alors qu’ils n’étaient que 113 dans ce cas avant la réforme.
Le mouvement de réduction globale a été rendu possible par la suppression des 728 concessions de logements pour utilité de service, auxquelles ont succédé seulement 36 concessions d’occupations précaires avec astreinte.
Un coût accru
Comme la concession de logements pour utilité de service faisait l’objet d’une redevance égale à 54 % de la valeur locative payée par leurs bénéficiaires, la suppression pour l’essentiel de cette forme de concession a amputé les recettes correspondantes, sans compensation du fait de l’accroissement du nombre de concessions par nécessité absolue de service, gratuites pour leurs occupants.
Par ailleurs, le parc de logements domaniaux du ministère de l’intérieur4 ne répondant pas aux besoins de tous les titulaires des fonctions ouvrant droit à être logé par nécessité absolue de service, l’État doit louer des logements à des tiers.
Ainsi, début 2015, sur 548 logements de fonction attribués, 321 étaient domaniaux et 227 pris à bail, le nombre de ces derniers ayant augmenté depuis 2002.
Perte de recettes du budget général d’un côté, augmentation des dépenses de location de l’autre : la réforme a été coûteuse même si les montants restent modestes à l’échelle des charges de fonctionnement du ministère de l’intérieur (un peu moins de 4 M€ en 2013). En outre, son coût pourrait encore augmenter ; en effet, si les fonctionnaires, ayant droit à être logés gratuitement par l’État et qui ne l’étaient pas encore début 2015 (cf. infra 2), faisaient valoir ce droit, il en résulterait des dépenses de location supplémentaires, faute de logements domaniaux disponibles ; le cas échéant, la prise à bail qui devrait être l’exception deviendrait la règle.
Un défaut d’analyse préalable des nécessités du service
Selon le code général de la propriété des personnes publiques5, un logement ne peut être concédé par nécessité absolue de service qu’à un agent ne pouvant « accomplir normalement son service, notamment pour des raisons de sûreté, de sécurité ou de responsabilité, sans être logé sur son lieu de travail ou à proximité immédiate ».
Or, début 2015, 219 responsables de la police nationale, y compris à la préfecture de police, qui avaient droit, en raison de leurs fonctions, à être logés par nécessité absolue de service depuis fin 2012, n’avaient pas fait valoir ce droit, tandis que 296 autres l’avaient fait valoir6. Ainsi, à Paris, où les fonctions de commissaire central d’arrondissement donnent droit à être logé par nécessité absolue de service, début 2015, douze commissaires sur vingt n’avaient pas demandé à être logés gratuitement par l’État.
S’agissant des 219 agents n’ayant pas fait valoir leurs droits, dont ces douze commissaires, ils sont propriétaires de leur logement ou le louent à leurs frais, à proximité ou non de leurs lieux de travail, sans que la Cour ait eu connaissance de dysfonctionnements opérationnels dus à ces situations. Dès lors que des titulaires de certaines fonctions peuvent les exercer correctement sans être logés gratuitement par l’État, l’impossibilité que tous les autres exerçant les mêmes fonctions ou des fonctions analogues ne puissent faire de même manque de justification.
Au demeurant, la Cour n’a pas eu connaissance d’une étude préalable des fonctions exercées et des conditions de leur exercice permettant d’apprécier si les critères réglementaires étaient réunis pour justifier la concession systématique de logements par nécessité absolue de service à tous les responsables de la police concernés.
DES INÉGALITÉS DE TRAITEMENT RÉSULTENT DE LA DÉFINITION IMPRÉCISE DU CRITÈRE DE « PROXIMITÉ IMMÉDIATE » ET DE LA DISPERSION DES SERVICES GESTIONNAIRES
Des inégalités de traitement dans l’application du critère de « proximité immédiate » aux logements de fonction
Selon une circulaire du 6 février 2013 du ministre chargé du budget7, à défaut de se trouver sur le lieu de travail, le logement de fonction doit être suffisamment proche de ce lieu pour que le fonctionnaire concerné puisse s’y rendre dans un délai maximal d’un quart d’heure, dans des conditions de circulation normales, en dehors des heures de travail8. De plus, les administrations peuvent fixer des règles de localisation du logement plus restrictives en fonction des nécessités de service associées à chaque fonction.
La pratique administrative, au ministère de l’intérieur, favorise au contraire une application extensive du critère de la « proximité immédiate ». Ainsi, la Cour a constaté que des logements avaient été concédés par nécessité absolue de service alors qu’ils étaient distants de plus de 30 km du lieu de travail de leurs bénéficiaires, ce qui interdit manifestement à ces derniers, quand le besoin se présente, de rejoindre leur lieu de travail en moins d’un quart d’heure comme prescrit par la circulaire précitée.
Des omissions de facturation des charges et de déclaration de l’avantage en nature
Les bénéficiaires de logements domaniaux concédés par nécessité absolue de service doivent rembourser à l’État (France Domaine) les charges locatives afférentes à ce logement ainsi que, le cas échéant, les prestations accessoires (eau, électricité, gaz, chauffage, etc.), au besoin déterminées de façon forfaitaire.
Par ailleurs, une concession de logement par nécessité absolue de service procure un avantage en nature à son bénéficiaire qui doit être déclaré par son « employeur »9.
La Cour a constaté que ces règles étaient diversement appliquées. Il en résulte, quand elles ne le sont pas, des pertes de recettes pour l’État, domaniales (les charges locatives et les prestations accessoires) et fiscales (l’impôt sur le revenu), et pour la sécurité sociale (les cotisations sociales). En outre, cette diversité crée des inégalités de traitement entre agents publics qui peuvent atteindre plusieurs milliers d’euros par an et par agent.
Il importe dès lors que, sous l’égide du secrétaire général du ministère à qui cette mission devrait clairement incomber, vos services veillent à une application uniforme de ces dispositions sur l’ensemble du territoire national.
Compte tenu de ces constats, la Cour formule les recommandations suivantes :
Recommandation n° 1 : charger les inspections générales compétentes d’examiner objectivement les contraintes attachées aux fonctions pour déterminer la nécessité d’une concession de logement par nécessité absolue de service en application des critères réglementaires ;
Recommandation n° 2 : appliquer rigoureusement l’exigence réglementaire de proximité immédiate pour les logements de fonction loués par l’État ;
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Je vous serais obligé de me faire connaître, dans le délai de deux mois prévu à l’article L. 143-5 du code des juridictions financières, la réponse que vous aurez donnée à la présente communication10.
Je vous rappelle qu’en application des dispositions du même code :
deux mois après son envoi, le présent référé sera transmis aux commissions des finances et, dans leur domaine de compétence, aux autres commissions permanentes de l’Assemblée nationale et du Sénat. Il sera accompagné de votre réponse si elle est parvenue à la Cour dans ce délai. À défaut, votre réponse leur sera transmise dès sa réception par la Cour (article L. 143-5) ;
dans le respect des secrets protégés par la loi, la Cour pourra mettre en ligne sur son site internet le présent référé, accompagné de votre réponse (article L. 143-1) ;
l’article L. 143-10-1 prévoit que, en tant que destinataire du présent référé, vous fournissiez à la Cour un compte rendu des suites données à ses observations, en vue de leur présentation dans son rapport public annuel. Ce compte rendu doit être adressé à la Cour selon les modalités de la procédure de suivi annuel coordonné convenue entre elle et votre administration.
Didier Migaud