Par courrier du 7 octobre 2014, sur le fondement de l'article L. 132-5 du code des juridictions financières, le président de l’Assemblée nationale a saisi le Premier président d’une demande d’assistance afin de réaliser, dans le cadre des travaux du Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques (CEC), une enquête évaluative sur « l’impact des téléprocédures sur la modernisation de l’État ». Le Premier président y a répondu favorablement par lettre du 23 octobre 2014.
L'arrêté du 8 décembre 2014 portant création d'une formation interchambres de la Cour relative à cette enquête en a fixé la composition (première et quatrième chambres).
À l’issue de divers travaux préparatoires comprenant des échanges avec le CEC, le Premier président, par lettre du 23 avril 2015 au président de l’Assemblée nationale, a indiqué que cette enquête serait à caractère évaluatif mais ne constituerait pas une évaluation de politique publique au sens strict. L’enquête a donc été conduite sur le fondement de l’article L. 111-3 du code des juridictions financières et selon les dispositions propres au contrôle de la performance d’une activité au sens du paragraphe I.4. des normes professionnelles de la Cour des comptes. Le champ de l’enquête comprend les services du Premier ministre, ceux du ministère de l’économie et des finances et ceux du ministère de l’intérieur.
L’enquête a été menée sur pièces et sur place. Plusieurs déplacements ont été organisés en France par les rapporteurs (Cher, Loire-Atlantique, Loiret et Moselle) ainsi que des échanges avec des services d’autres pays (Allemagne, Danemark, Espagne, Pays-Bas, Royaume-Uni, Estonie, Belgique, Autriche, Luxembourg) ou des organisations internationales (Commission européenne, Organisation de coopération et de développement économiques), dans certains cas accompagnés de déplacements (notamment à Bruxelles)2. Par ailleurs, des réunions ont eu lieu avec les services de la préfecture de police de Paris et vingt-trois préfectures ont été interrogées au moyen d’un questionnaire écrit.
Des entretiens ont également été menés avec les services des ministères économiques et financiers et de l’intérieur ainsi qu’avec les services du Premier ministre, des opérateurs (Agence nationale des titres sécurisés, Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information, Agence nationale de traitement automatisé des infractions, etc.) et des autorités administratives indépendantes (Commission nationale de l’informatique et des libertés, Défenseur des Droits).
Enfin, les rapporteurs ont saisi le Conseil de la consommation afin de recueillir les avis des organisations représentatives des consommateurs et entreprises de France y siégeant. Trois d’entre elles ont répondu.
Le relevé d’observations provisoires a été transmis le 23 octobre 2015, dans son intégralité, au secrétaire général du Gouvernement, à la secrétaire générale pour la modernisation de l’action publique, au secrétaire général des ministères économiques et financiers, au secrétaire général du ministère de l’intérieur, et par extraits à la directrice générale de l’administration et de la fonction publique et au secrétaire général pour la défense et la sécurité nationale. Les réponses de ces différents services administratifs ont été reçues entre le 25 novembre et le 8 décembre 2015, date de la réponse de synthèse du secrétaire général du Gouvernement.
Après qu’ont été auditionnés les 2 et 4 décembre 2015 les secrétaires généraux pour la modernisation de l’action publique, des ministères économiques et financiers et du ministère de l’intérieur, le projet de rapport, tenant compte de l’analyse que la Cour a faite des observations des administrations précitées, a été délibéré le 16 décembre par la formation inter-chambres présidée par M. Vachia, président de chambre, et composée de MM. Chouvet, Maistre, Charpy, Martin, Mme Malgorn, M. Drouet, conseillers maître, les rapporteurs étant Mme Engel, conseillère maître, M. Jouanneau, conseiller maître en service extraordinaire, M. Boullanger, conseiller référendaire, M. Deloye, auditeur, Mme Cellier et M. Leroux, rapporteurs extérieurs, M. Chouvet, conseiller maître, étant le contre-rapporteur. Ont également contribué à ce rapport M. Alix, expert et deux stagiaires3.
Le rapport a ensuite été examiné et approuvé le 5 janvier 2016 par le comité du rapport public et des programmes de la Cour des comptes, composé de M. Migaud, Premier président, MM. Durrleman, Briet, Mme Ratte, MM. Vachia, Paul, rapporteur général du comité, Duchadeuil, Piolé, Mme Moati, présidents de chambre, et M. Johanet, procureur général, entendu en ses avis.
L’administration française n’est pas restée à l’écart des mouvements de fond associés à l’essor du numérique, qui touchent l’ensemble du tissu économique, dans toutes ses dimensions – modes de production, désintermédiation, apparition de nouveaux modes de communication, etc. Sous le terme générique de modernisation numérique de l’État, le fonctionnement des services administratifs et la manière dont s’établit la relation avec les usagers évoluent ainsi incontestablement.
Le bilan global que l’on peut en faire appelle néanmoins un jugement nuancé, au regard notamment de l’ancienneté des ambitions affichées par l’État en la matière. Les études réalisées à l’échelle internationale, et notamment par la Commission européenne, concluent ainsi à une performance honorable de la France : elle atteint en 2015 la 13ème position pour un indice regroupant quatre critères importants (l’offre de services dématérialisés, le nombre d’utilisateurs, le recours aux formulaires pré-remplis et l’ouverture des données), marquant une progression de quatre places par rapport à 2014, assurant une performance légèrement supérieure à la moyenne européenne, au-dessus de l’Allemagne ou du Royaume-Uni mais derrière l’Espagne, les Pays-Bas ou le Danemark. Cette performance est correcte, et cohérente avec la position de notre pays telle qu’elle est mesurée par les principaux indicateurs économiques (notamment le PIB/habitant). Mais elle ne constitue pas une réussite exemplaire, alors que la France a depuis longtemps affirmé son investissement dans un projet de modernisation technologique.
De fait, les services publics numériques ne semblent pas jouer un rôle moteur dans la modernisation de l’État et de sa relation avec les usagers. Ces derniers ne font pas du numérique le mode d’accès privilégié aux services publics, même lorsque cette offre existe. La comparaison avec nos partenaires européens en témoigne : si l’offre de services numériques aux particuliers est correcte, l’usage qu’en font leurs destinataires potentiels est limité, la France se caractérisant par un taux de recours peu élevé au regard de l’ancienneté des services proposés et des fonctionnalités qui les accompagnent, tels le pré-remplissage des formulaires. Ainsi, même si l’usage des services en ligne augmente, y compris dans les catégories de la population où il était encore très faible il y a quelques années, il ne s’est pas généralisé. Les bénéfices pour les usagers en sont pourtant réels en termes de gain de temps et d’économies, comme le montrent les quelques études d’impact réalisées. Ces études restent toutefois peu nombreuses et peu diffusées : l’intérêt du recours aux démarches dématérialisées n’est donc pas suffisamment valorisé. De même, la mesure de la satisfaction des usagers n’est pas systématique et ne permet pas suffisamment d’adapter les services aux attentes.
Quant à l’administration, elle ne semble pas davantage avoir tiré toutes les leçons ni tous les bénéfices du développement des services en ligne. De manière globale, l’organisation des services n’a pas été profondément modifiée, les gains de productivité liés aux services publics numériques restant en deçà de leur potentiel. Alors que la situation des finances publiques impose des trajectoires budgétaires tendues et des réductions d’effectifs, la capacité des réformes numériques à rendre ces contraintes soutenables n’est pas explicitement évaluée ni intégrée dans les moyens de gérer cette situation. Tenir compte de l’impact potentiel des services publics numériques sur l’organisation de l’administration, et notamment de ses réseaux territoriaux, analyser les nouveaux flux dématérialisés et tirer un meilleur parti de la grande quantité de données désormais disponibles pour l’administration supposent que toutes les démarches de modernisation – dématérialisation, simplification, économies budgétaires – soient articulées et coordonnées et qu’une véritable culture du numérique se diffuse au sein des administrations, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui : le développement des services publics numériques n’est pas encore utilisé comme un véritable levier de modernisation de l’État.
Ce constat se trouve confirmé à plusieurs niveaux du fonctionnement des services publics.
En premier lieu, la structuration par l’État du projet de modernisation numérique reste, aujourd’hui encore et malgré une consolidation progressive des instances et des outils de sa gouvernance, inaboutie, alors même que ce projet fait depuis longtemps l’objet d’une volonté politique affichée. D’abord centré sur l’informatisation des administrations (dès 1966), il a été très tôt réorienté pour prendre en compte le numérique (avec l’annonce en 1997 du programme d’action gouvernemental pour la société de l’information) : les notions de réseau et d’interopérabilité ont alors été mises en avant, de même que la relation avec l’usager, ce dernier thème bénéficiant d’une priorité plus haute à partir de 2011 et de 2012.
L’affirmation ancienne de cette volonté politique s’est accompagnée de la consolidation progressive des outils capables d’en assurer la traduction effective, qu’il s’agisse de créer des structures de concertation et d’arbitrage, des normes d’harmonisation, ou des outils de pilotage et de suivi. Après des évolutions nombreuses dans l’organisation de la gouvernance du projet numérique de l’État, ce sont aujourd’hui les services du Premier ministre et en leur sein le secrétariat général pour la modernisation de l’action publique (SGMAP) qui assurent cette fonction de pilotage, à travers notamment la présidence du conseil du système d’information et de communication de l’État, la définition d’un cadre stratégique commun en 2012, le recours obligatoire pour les projets les plus importants à une méthode d’analyse et de remontée de la valeur des projets (MAREVA), préalable au visa conforme des services du Premier ministre.
L’affirmation de l’existence d’un système d’information unique, la définition de référentiels et le lancement de projets transversaux structurants (autour de la notion d’État-plateforme) forment un ensemble cohérent. Son déploiement souffre néanmoins de lacunes, cinq ans après l’engagement de cette démarche. Ainsi, aucun véritable suivi budgétaire n’est à ce jour en place. Le projet numérique de l’État se heurte par ailleurs encore à la prééminence des grandes directions dans les ministères et à la faiblesse des secrétariats généraux ministériels. Surtout, la structuration de la gouvernance est marquée par une instabilité qui ne facilite pas sa diffusion, l’État semblant accorder à la dimension institutionnelle de sa démarche une attention excessive. Afin de conforter la démarche engagée, la priorité devrait donc être de stabiliser le cadre de coordination et de pilotage de la modernisation numérique de l’État.
De plus, l’existence d’un projet de modernisation numérique de l’État ne s’incarne pas dans des choix budgétaires cohérents. D’une part, alors même que les téléprocédures sont identifiées comme constitutives d’un enjeu important de compétitivité internationale, les lacunes en termes de mesure et de suivi budgétaire et économique de la dépense informatique sont patentes. Les choix budgétaires sont ainsi peu documentés en matière informatique et conduisent généralement à privilégier une approche de court terme qui se traduit par un sous-investissement en matière de service public numérique. En effet, sur une base déjà étroite, les budgets informatiques diminuent du fait de la contrainte globale ; la part consacrée à la maintenance et à la mise à jour réglementaire des applications de gestion interne à l’administration étant prépondérante, il reste peu de moyens pour l’investissement et notamment les services numériques de relation à l’usager. Parallèlement, la part de la dépense en personnels augmente, en continuant de privilégier des compétences qui sont amenées à disparaître du fait du développement du numérique. Les services dématérialisés se déploient cependant, mais à un rythme trop lent pour permettre une véritable transformation de la relation à l’usager. La rationalité économique des choix budgétaires n’est donc pas optimale.
En termes de gestion des ressources humaines, l’État n’a pas pleinement intégré les nouveaux besoins liés aux services publics numériques. La gestion des informaticiens reste éclatée dans les corps de chaque direction d’administration, sans mobilité ni rénovation des critères de recrutement. Une réforme récente devrait apporter un peu plus de caractère interministériel à cette gestion mais elle est trop limitée pour porter tous ses effets, dès lors en particulier qu’elle ne concernera ni les agents déjà en poste ni la totalité des employeurs publics.
Malgré ces constats critiques, les conditions sont pourtant réunies pour faire des services publics numériques un levier de transformation de l’État. L’équipement et les pratiques des usagers d’une part, l’engagement de projets structurants d’autre part (relatifs à l’identification et l’authentification des usagers, à l’échange de données entre administrations…) permettent d’envisager une généralisation du recours aux services en ligne. Cette généralisation devrait permettre en retour à la fois de répondre aux attentes des usagers (en termes notamment de gain de temps et de facilité d’accès aux services publics), de maximiser l’effet du recours au numérique sur la réduction du coût et l’amélioration de la productivité de ces services, dans un contexte budgétaire contraint mais aussi d’enrichir les tâches des agents. Cette orientation est cohérente avec la politique conduite depuis plusieurs années en France et notamment ses développements les plus récents.
Conçue comme progressive et tenant compte de la situation des diverses catégories d’usagers, elle consiste à faire du numérique le mode d’accès de droit commun aux démarches administratives. Cet objectif peut être atteint par étapes. Il pourrait s’appliquer en premier lieu aux démarches qui sont déjà entièrement accessibles en ligne, comme l’impôt sur le revenu – ce que vient de décider le Parlement. Les modalités de cette transition peuvent également être définies de manière souple ; plusieurs méthodes pertinentes pour les organiser sont disponibles – par exemple pour différencier les usagers – et ont été explorées dans plusieurs pays. Pour autant, c’est de cette généralisation que dépendent largement l’efficacité et l’efficience de l’investissement consenti. Une démarche volontariste peut seule permettre d’atteindre cet objectif dans des délais raisonnables et de maximiser l’impact de cette transformation. Le principe devrait donc en être explicitement retenu et cette orientation donner lieu à l’élaboration d’une feuille de route assortie d’un calendrier de mise en œuvre à destination de l’ensemble des administrations. Les étapes de sa réalisation devraient faire l’objet d’une présentation régulière au Parlement, afin d’annoncer les changements programmés, de faire le bilan de leur mise en œuvre et, en tant que de besoin, d’adapter le cadre législatif.
Pour développer les services publics numériques et amplifier leur impact sur la modernisation de l’État, il faut également lever les freins réglementaires et législatifs qui les entravent. Les projets récemment engagés vont dans ce sens : il convient d’en assurer le déploiement effectif.
L’identification électronique des usagers doit impérativement être simplifiée, comme y contraint en tout état de cause le règlement européen eIDAS de juillet 2014 : si plusieurs pays européens plus avancés en matière de services publics numériques privilégient la pièce d’identité électronique et la signature électronique (qui offrent une garantie forte en termes d’authentification de la personne et de sécurisation des informations transmises), les services du Premier ministre, compte tenu du droit français, ont été conduits à mettre en place à l’été 2015 un système d’identification, FranceConnect, qui propose aux usagers d’avoir un compte unique certifié.
De même, pour dépasser le problème du cloisonnement des systèmes d’information de l’État, qui se sont développés en silo au rythme de l’apparition des besoins, le déploiement du programme État-plateforme doit permettre de substituer aux demandes redondantes faites aux usagers des flux et requêtes organisés entre les administrations : le programme « Dites-le nous une fois » en est la traduction, qui peut, comme dans d’autres pays, prendre également la forme d’une interdiction de stocker plusieurs fois une information fournie par les usagers (« Stockons-le une fois »). Ceci suppose cependant de lever les obstacles juridiques et financiers aux échanges de données entre administrations, et notamment de régler la question de la facturation des échanges inter-administrations.
Enfin, les usagers des services numériques sont encore aujourd'hui confrontés à la multiplicité des sites publics ou privés : la refonte annoncée pour début 2016 des deux sites et Mon.service-public.fr en un portail unique ne pourra remédier à ce problème que si ce portail devient la bibliothèque exhaustive et unique d’accès aux démarches administratives et à leurs informations. Service-public.fr doit devenir un réflexe pour les usagers.
Pour que l’État puisse faire du développement des services publics numériques un véritable levier de modernisation, d’autres améliorations doivent également être apportées à l’offre déployée. Construites autour de l’usager, elles doivent en premier lieu viser une offre de services entièrement numériques ou, lorsque cela n’est pas possible, avec le maximum de services complémentaires possibles (prise de rendez-vous en ligne, mise à disposition de formulaires, suivi de dossier, télépaiements, etc.). Dans ce processus, le rôle du SGMAP est central : il lui revient de faire émerger les projets interministériels visant à concevoir des solutions techniques utilisant les différents canaux numériques (ordinateurs, smartphones et tablettes). L’administration, plus généralement, doit s’engager à utiliser les outils existants et à développer son offre, notamment à destination des entreprises.
La réussite de la modernisation numérique de l’État dépend enfin de deux séries de conditions.
La première est d’assurer convenablement l’accompagnement des usagers : la fracture numérique doit être considérée non pas comme un état de fait faisant obstacle à toute extension des usages, mais comme une inégalité qu’il convient justement de réduire à l’occasion de la généralisation de ces usages. Pour traiter la question des zones blanches et des personnes n’ayant pas accès à internet à leur domicile, il importe en premier lieu d’offrir à la population un réseau dense d’accès aux services publics numériques, en s’appuyant sur les nombreux réseaux existants, en particulier ceux présents en milieu rural (maison des services au public) et/ou spécialisés dans l’accompagnement des publics fragiles (points information médiation multi-services), et en multipliant les bornes d’accès en libre-service dans les services publics sectoriels accueillant du public (préfectures, mairies, bureaux de poste, bibliothèques, etc.). Il convient aussi de proposer aux usagers une aide individualisée, par une assistance à distance ou par la présence physique de personnels d’aide dans les points d’accès aux services publics numériques, par exemple par l’élargissement du recours aux volontaires du service civique. Enfin, les démarches administratives en ligne ne peuvent être généralisées que si elles sont accessibles de manière universelle, et donc si les sites publics répondent effectivement aux normes d’accessibilité à tous types de handicap.
La seconde condition est d’accroître la confiance dans les services numériques. À cette fin, l’identification des sites publics doit être facilitée par la mise en place d’un portail unique d’accès aux démarches administratives, mais aussi par la possibilité de mieux distinguer les sites publics des sites privés et par une campagne de sensibilisation des usagers. Surtout, le respect des standards et normes en matière de sécurité des systèmes d’information mais aussi de garantie des libertés publiques doit être pris en compte dès l’amont des projets et être rendu plus transparent.
Faire progressivement du numérique le mode d’accès de droit commun aux démarches administratives ; établir à cette fin une feuille de route interministérielle clarifiant le rythme et les étapes de ce processus, en fonction du degré de maturité des services publics numériques et définissant les mesures d’accompagnement des usagers nécessaires à son déploiement serein. Cette feuille de route ferait l’objet d’une présentation régulière au Parlement afin d’en établir le bilan et de débattre des textes nécessaires à sa mise en œuvre.
systématiser les enquêtes de satisfaction relatives aux différents services publics numériques, et les rendre a minima annuelles ;
renforcer les actions de l’administrateur général des données par la constitution d’un réseau de responsables de la donnée au sein des ministères ;
identifier, au sein des crédits relevant de la compétence des secrétaires généraux un budget destiné à venir en appui aux projets de services publics numériques transverses au sein d’un ministère ;
annexer au projet de loi de finances un document de politique transversale sur la transformation numérique de l’État ;
mieux identifier la part des budgets informatiques consacrée aux services numériques de relation avec les usagers et la prioriser à la hauteur des ambitions affichées ;
intégrer au sein du corps interministériel des ingénieurs des systèmes d'information et de communication, toutes les équipes d’informaticiens de l’État en commençant par ceux qui n’atteignent pas dans leurs corps d’origine la taille critique de gestion ;
réétudier l’opportunité de développer une carte nationale d’identité électronique ;
poser le principe de la donnée de référence, selon lequel une seule administration est responsable de la collecte d’une donnée, de son stockage à titre principal, de sa maintenance, de sa mise à jour et de sa mise à disposition des autres administrations ;
réaliser le répertoire des bases de données des administrations couvertes par un secret protégé par la loi, objectiver les contraintes juridiques pouvant en restreindre la diffusion aux administrations et définir un mode opératoire de leur usage à destination de ces administrations ;
faire à terme du futur portail service-public.fr le mode d’accès unique aux démarches administratives et à leurs informations ;
développer, après une étude préalable d’opportunité, des solutions techniques interministérielles de prise de rendez-vous, de suivi des dossiers, de signature électronique, de boîte aux lettres numérique et de télépaiement ;
formaliser au niveau interministériel et décliner aux niveaux ministériels un plan de communication et de formation autour des services publics numériques à destination des usagers, des relais d’opinion et de la presse, en s’appuyant sur les réseaux locaux existants ;
multiplier les points d’accès aux services publics numériques (bureaux de poste, bibliothèques, etc.) en accès libre, équipés notamment d’imprimantes, avec un personnel d’accompagnement et le cas échéant des volontaires du service civique formés ;
traiter et stocker les données des usagers des services publics dans des serveurs informatiques sécurisés conformes aux normes de l’ANSSI et localisés sur le territoire national ;
rendre obligatoire dans chaque ministère la désignation auprès du secrétaire général d’un correspondant informatique et libertés et la labellisation CNIL gouvernance pour tous les sites publics.
Le périmètre et les axes de l’enquête
Le périmètre de l’enquête a été précisé en concertation avec le comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques de l’Assemblée nationale.
Le terme téléprocédures, au sens qui lui est donné dans cette enquête recouvre à la fois :
les télé-services, qui permettent à l’usager d’accéder en ligne à des informations et services mis à sa disposition par l’administration ;
les téléprocédures au sens strict qui permettent à l’usager d’accomplir une démarche obligatoire ou facultative, ou encore de remplir une procédure administrative par l'intermédiaire d'un service en ligne sur internet (télé-déclaration, par exemple).
Dans le cours du rapport, le terme de « service public numérique » sera par convention utilisé de manière générique pour englober les télé-services et les téléprocédures.
Il convient par ailleurs de préciser que les télépaiements correspondent à des paiements réalisés à distance via un site internet, un site mobile ou un serveur vocal.
L’enquête porte à titre principal sur l’évolution des relations numériques entre l’État et ses usagers particuliers et professionnels. Les projets et actions de numérisation concernant les procédures internes à l’administration n’entrent donc pas dans son champ, non plus que les relations numériques entre l’État et ses fournisseurs. Elle ne traite pas non plus spécifiquement des relations entre l’État et les collectivités territoriales, ni, s’agissant de ces dernières, des politiques de modernisation numérique qu’elles ont pu elles-mêmes déployer, parfois avec volontarisme. Ces différents points (notamment les procédures internes, les relations avec les collectivités territoriales, les relations avec les fournisseurs) ont fait l’objet
d’autres travaux de la Cour (services informatiques du ministère de l’intérieur4, informatique financière 5, etc.).
L’enquête a été concentrée d’une part sur les services du Premier ministre – instance de définition de la politique numérique et de pilotage de son application –, d’autre part sur le ministère de l’intérieur et les ministères financiers en raison des enjeux présentés par les téléprocédures qu’ils mettent en œuvre (public couvert, place dans la stratégie numérique de l’État et intensité d’usage des procédures en cause) et qui ont vocation à être utilisées par tous les citoyens. Ces procédures ne couvrent qu’une partie de l’offre dématérialisée déployée en France mais, par leurs caractéristiques, elles permettent de soulever des questions d’ordre général, qui se retrouvent dans tous les secteurs d’intervention de l’État, de ses opérateurs et des collectivités territoriales.
Parmi les procédures déployées dans ces champs ministériels, certaines ont été sélectionnées pour faire l’objet d’un examen particulier :
au titre des services du Premier ministre : le service « servicespublics.fr » et les programmes « Dites-le nous une fois » (DLNUF) et « FranceConnect » ;
pour les ministères financiers : la télé-déclaration et le télépaiement de l’impôt sur le revenu, la déclaration de TVA ainsi que les procédures douanières en ligne ;
pour le ministère de l’intérieur : la délivrance des titres d’identité (passeport, carte d’identité, titres pour les étrangers), les procédures d’immatriculation des véhicules et la gestion des amendes liées à l’utilisation des radars ainsi que la pré-plainte en ligne.
Certaines de ces procédures en ligne ( déclaration d'impôt sur le revenu, demande de documents administratifs – passeport, carte d'identité, permis de conduire, certificats de naissance, de mariage ou de décès –) sont parmi les plus utilisées dans l’Union Européenne.
C’est donc notamment sur la base de l’analyse de ces services publics numériques que la Cour fonde les développements du présent rapport.
Le contexte
L’essor des téléprocédures dans les services publics s’inscrit dans un contexte de généralisation des échanges de toute nature par la voie numérique qui touche tous les secteurs économiques et affecte l’ensemble des relations sociales, avec l’apparition de nouveaux canaux de communication et de distribution venant remplacer les réseaux physiques d’agences, de guichets et de magasins, etc. Ce processus s’accompagne de conséquences de grande ampleur : hausse de la productivité et baisse des coûts de transaction, désintermédiation… Selon divers travaux6, environ la moitié des emplois actuels pourrait disparaître ou être profondément transformée du fait du développement du numérique.
Dans la période la plus récente, des transformations de grande ampleur sont survenues dont les étapes les plus marquantes ont été l’arrivée de la phase dite « Web 2.0. », caractérisée par l’interactivité, le très fort accroissement des possibilités de stockage et de traitement des données qui a favorisé l’émergence de multinationales de l’Internet (Google, Amazon, Facebook, Apple), puis, à partir de 2005, le développement d’un usage mobile d’internet à travers la généralisation des « smartphones » et de leurs applications. L’administration ne peut rester à l’écart de ces bouleversements. Au-delà de la question de la transformation du contenu même des services publics qu’ils induisent, l’organisation et le fonctionnement internes des services, la nature de la relation établie avec les usagers, l’expression de leurs attentes et les usages eux-mêmes en sont affectés : ce sont ces changements qui sont traités dans le présent rapport.
L’impact du développement des services publics numériques est d’ailleurs devenu un thème récurrent de la réforme de l’État – en étroite liaison avec les objectifs de modernisation et de simplification notamment. Cette transformation a fait l’objet de plusieurs études internationales, conduites par exemple au sein de l’OCDE ou au niveau de la Commission européenne.
Le constat est, sur cette base, nuancé. Les conditions sont a priori réunies pour que l’impact des téléprocédures sur le fonctionnement de l’administration soit en France significatif : l’intérêt appuyé pour leurs potentialités, un environnement propice au recours intensif aux procédures dématérialisées (équipement des foyers et qualité du réseau), un processus en principe consensuel puisqu’il doit bénéficier à l’ensemble des parties, État et usagers (gains de temps, d’efficacité et de coût).
Or, cet impact se révèle moins fort qu’attendu. Il est imparfaitement mesuré. Pour limitées qu’elles soient, les données chiffrées disponibles laissent néanmoins apparaître que l’offre de services numériques par l’État souffre encore de certaines lacunes, malgré un investissement méthodologique important, notamment depuis 2011 et 2012, et que ceux qui existent sont relativement sous-utilisés. Malgré ce constat encore insatisfaisant, les conditions d’un progrès sont réunies à condition qu’une démarche cohérente et déterminée soit effectivement mise en œuvre par l’État comme il l’a annoncé.
L’insuffisante généralisation des services publics numériques en France, au regard des meilleures pratiques internationales et de l’ancienneté des ambitions affichées par les gouvernements successifs (chapitre I), s’explique notamment par un pilotage instable du projet de modernisation numérique de l’État et l’absence d’adaptation en profondeur des modalités de fonctionnement de l’administration (chapitre II). Or la dématérialisation des procédures pourrait être un important levier de modernisation si le numérique devenait le droit commun de la relation avec l’usager pour l’accomplissement de ses démarches (chapitre III).
La modernisation numérique de l’État est un processus par nature continu, concomitant de l’évolution des technologies. Il est donc nécessaire de situer la position relative de la France pour apprécier les résultats obtenus, en s’appuyant sur des comparaisons internationales : sa place y apparaît honorable et révèle des progrès réalisés notamment depuis le début des années 2010. Néanmoins, au regard notamment de l’ancienneté de l’engagement affiché par les pouvoirs publics, les performances françaises ne sont pas parmi les plus remarquables. Au-delà du classement général, l’analyse des résultats obtenus conduit à faire le constat d’un recours aux services dématérialisés relativement limité par les usagers, notamment les particuliers (au regard de l’ancienneté de l’offre) et d’un impact relatif du processus de dématérialisation sur l’administration, dont le fonctionnement n’a pas été modifié en profondeur. Ces deux constats sont corrélés car seul un recours intensif aux services en ligne proposés peut produire un effet de masse sur le fonctionnement de l’administration. Ils expliquent en retour la position de la France dans les classements internationaux.
De nombreuses études permettent une comparaison des performances de la France avec celles de pays comparables. Leurs résultats peuvent cependant diverger7 et doivent être maniés avec précaution, car soit les données ne sont pas suivies et ne permettent donc pas d’apprécier l’évolution des résultats obtenus, soit les thèmes couverts sont trop larges pour être exploitables dans le cadre du présent rapport.
Le SGMAP s’est ainsi efforcé de procéder à des comparaisons en termes de modernisation de l’État, en s’appuyant sur une quinzaine d’études produites par la Banque mondiale, l’OCDE, la Commission européenne ou des fondations privées. Il tire de ces travaux, dont l’objet était plus large que la présente enquête – puisqu’il portait sur puisque l’ensemble des démarches de modernisation de l’action publique et non sur leurs seules dimensions numériques -, une conclusion positive, estimant le positionnement de la France « globalement satisfaisant ». Cette appréciation prend appui notamment sur le constat d’une adéquation entre les performances réalisées par la France en termes de PIB/habitant (14ème rang mondial) et en termes de « web index » (14ème rang également selon la World Wide Web Fondation). De ce point de vue, la France ne réalise pas aujourd’hui de contreperformance, alors qu’en 2003, dans un rapport commandé par le gouvernement à Pierre de La Coste8, sa position s’était dégradée à l’échelle internationale, faute d’avoir su mettre en œuvre les recommandations formulées par l’Agence pour les technologies de l’information et de la communication dans l’administration (ATICA), créée deux ans auparavant. On constate ainsi qu’en dix ans, la France a rétabli une situation auparavant dégradée : c’est une trajectoire positive. Néanmoins, tout en se situant dans la moyenne, elle n’atteint pas un résultat à la hauteur de l’engagement politique en faveur de la modernisation numérique et de la présence de conditions de son succès (voir infra).
Trois séries d’indicateurs que le SGMAP a présentées dans une synthèse publiée en juin 20159 fournissent un tableau global.
En premier lieu, une enquête conjointe de l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) et d’Eurostat relative à l’utilisation d’internet par les particuliers dans leurs relations avec l’administration, réalisée en 2014, situe la France en 7ème position parmi les 27 pays de l’UE pour 3 des 4 thèmes étudiés, et en 11ème position pour le 4ème thème10.
En deuxième lieu, l’ONU a établi un classement des pays membres, le « E-government development index (EGDI) », plaçant la France en première position mondiale en 2014 pour l’offre de services publics en ligne, devant Singapour, la Corée du Sud, l’Espagne et les États-Unis. Ce résultat mérite d’être relevé. Pour autant, la méthode d’élaboration11 et les sources de cet indicateur comportent des limites : il semble ne reposer que sur une évaluation superficielle de l’offre d’administration en ligne, en négligeant notamment de prendre en compte la qualité de cette offre et le taux d’utilisation effectif des services numériques.
Le troisième classement retenu par le SGMAP, le plus convaincant sur le plan méthodologique, est celui de la Commission européenne. Il présente l’avantage d’être suivi depuis 2000 et de mettre directement à disposition des observateurs l’ensemble des statistiques sous-tendant le classement des pays. C’est donc la source la plus fiable de comparaisons et celle à partir de laquelle il est possible de qualifier plus précisément les résultats obtenus.
En prenant en considération l’ensemble des données analysées par la Commission européenne publiées en 2015, la France se situe juste au-dessus de la moyenne des pays européens (taux d’utilisation des services numériques de 42 % pour une moyenne de 40 % en Europe) : elle ne fait donc pas partie des pays les plus avancés.
L’examen plus détaillé de certaines données, disponibles depuis plusieurs années, permet d’identifier les points forts et les points de faiblesse de la performance française. Si l’on s’attache à quatre critères - l’offre de service, le nombre d’utilisateurs, le recours aux formulaires pré-remplis et l’ouverture des données (ce dernier point étant toutefois sans rapport direct avec l’offre et l’utilisation de téléprocédures) -, la France se situe en 2015 en 13ème position. Elle gagne quatre places par rapport à 2014 et se situe au-dessus de la moyenne européenne, réalisant une performance meilleure que celle de pays importants en taille et en poids économique comme l’Allemagne et le Royaume Uni mais moins bonne que celles de l’Espagne, des Pays-Bas et du Danemark, pays particulièrement dynamiques en matière de services publics numériques comme l’illustre le graphique ci-dessous. Il est important, pour donner sa juste portée à ce résultat qui n’est pas encore pleinement satisfaisant, de combiner un élément strictement performatif (le classement) avec un élément plus analytique : cela conduit à constater que les pays dont la taille et le poids démographique sont les plus grands et qui disposent par ailleurs de services publics anciens, ne sont pas ceux qui font l’usage le plus intensif des services publics numériques. Ce point est légitimement souligné par les services de l’État. De plus, ces données témoignent des progrès réalisés en France au cours des dernières années. Ainsi, la performance relative de la France parmi cette catégorie de pays, sans être exceptionnelle, apparaît-elle comme le fruit d’un certain volontarisme et d’efforts réels.
indice de service public numérique
Source : Cour des comptes d’après Commission européenne, Digital agenda scoreboard (23 premiers pays), 2015
Une analyse plus fine permet d’identifier des variations de performance en fonction des sujets abordés et des catégories d’usagers – particuliers ou entreprises.
Ainsi, l’offre de services aux particuliers s’avère correcte sur le périmètre des douze démarches retenues par la Commission européenne pour apprécier les réalisations nationales (elle est en France légèrement supérieure à la moyenne européenne). En revanche, l’écart est important entre l’intensité de cette offre et le taux d’utilisation et notamment plus élevé que dans les pays les plus avancés (Danemark, Pays Bas, Finlande, Suède, Irlande) : il semble donc que les investissements déjà réalisés ne soient pas pleinement rentabilisés12.
niveaux de l’offre et de recours aux services des particuliers
Source : Cour des comptes d’après Commission européenne (UE 15 + moyenne UE 28), 2015
L’exemple de l’impôt sur le revenu illustre bien la situation française et la faiblesse de sa performance en termes de taux de recours aux téléprocédures destinées aux particuliers. Il existe ainsi en Europe une corrélation forte entre la date d’ouverture du service et le pourcentage d’usagers y ayant recours. Or, en France ce pourcentage n’était, pour la télé-déclaration des revenus, que de 20 % en 2011 alors que l’ancienneté du service (2003) aurait dû se traduire alors par un pourcentage de télé-déclarants de près de 60 % si la corrélation avait été en France analogue à celle observée parmi les 28 pays de l’Union13. De même, la corrélation en moyenne assez forte entre pré-remplissage des formulaires et pourcentage de télé-déclaration ne se retrouve pas en France car le pré-remplissage, très développé en France (95 % des formulaires pré remplis) n’a pas été réservé à la déclaration en ligne ce qui a contribué à maintenir les déclarations papier. Ce constat, pour décevant qu’il soit, laisse aussi entrevoir des marges de progrès susceptibles d’être mises à profit sans investissements supplémentaires.
Du côté de l’offre aux entreprises, en revanche, le constat est inverse : sur le périmètre retenu14, l’offre se caractérise par un niveau de recours élevé mais le niveau d’offre se situe en-deçà de la moyenne européenne.
niveaux de l’offre et du recours aux services des entreprises
Source : Cour des comptes d’après Commission européenne (UE 15 + moyenne UE 28), 2015
Les données produites par la Commission européennes permettent également d’apprécier la performance de la France au regard de ses potentialités – en termes de développement économique ou d’équipement. De ce point de vue, le niveau d’utilisation des services numériques apparaît cohérent avec les facteurs de recours et conforte l’idée d’un niveau de performance correct. Ainsi le taux d’utilisation par les particuliers des téléprocédures est nettement corrélé au PIB/habitant et l’envoi de formulaires en ligne par les particuliers l’est au taux de ménage ayant un accès à internet, en cohérence avec le taux moyen de corrélation constaté dans l’ensemble des 28 pays de l’Union européenne.
Au total, la performance de la France, mesurée à l’aide de l’ensemble de ces indicateurs, est cohérente puisqu’elle se situe au 13ème rang pour le PIB/habitant au sein de l’Espace économique européen (EEE) et en 11ème position pour le taux d’accès des ménages à internet.
En somme, la France n’est pas en retard en termes de développement des téléprocédures, au regard des performances de ses partenaires européens et de sa propre position en termes de facteurs de recours au numérique. L’offre de services publics numériques est d’ailleurs d’ores et déjà conséquente : à titre d’exemple, pour les deux ministères étudiés, le recensement des procédures dématérialisées permet d’identifier 23 téléprocédures au ministère de l’intérieur et plus d’une centaine au sein des ministères financiers15.
Ce bilan est donc honorable. Il apparait néanmoins nuancé au regard de l’engagement ancien des autorités publiques dans une démarche affirmée de modernisation de l’État au moyen du numérique. Un autre intérêt de cette comparaison internationale est d’identifier les deux voies de progrès sur lesquelles la France devrait s’engager : l’augmentation du taux d’usage des téléprocédures par les particuliers, et l’accroissement de l’offre de téléprocédures aux entreprises. La pertinence de ces deux orientations est confirmée par le comportement des usagers.
La performance de la France souffre de l’écart entre l’offre mise à disposition des usagers particuliers et l’utilisation qu’ils en font. Par exemple, malgré un taux de satisfaction le plus élevé parmi un échantillon de 11 pays16, la déclaration de revenus en ligne est nettement moins utilisée en France que dans d’autres pays. Une utilisation plus intensive des téléprocédures est donc indispensable pour que la relation entre l’État et l’administré soit transformée de manière significative.
Les enquêtes réalisées par les services de l’État permettent d’identifier les causes – techniques ou sociologiques - de cette trop grande discordance, parmi lesquelles on relève l’insuffisante notoriété de l’offre.
Trois explications sont généralement avancées pour expliquer la relative faiblesse du taux de recours aux téléprocédures en service : l’existence d’un « fossé numérique » entre différentes parties de la population, une préférence affichée pour les modalités traditionnelles d’entrée en relation avec un service public et enfin l’inadaptation du niveau de service offert. Ces trois causes ont tendance à se résorber et ne suffisent donc plus à expliquer les résultats décevants obtenus par la France en termes de taux de recours.
La capacité à utiliser les technologies de l’information et de la communication (TIC) figure désormais parmi les compétences de base, à côté des compétences lire/écrire et calculer/compter, tant dans le socle commun de connaissances et de compétences défini par l’Éducation nationale que dans le socle de connaissances et de compétences professionnelles17. En effet, en raison de la multiplication des démarches aujourd’hui accomplies en ligne (acheter un billet de train, déclarer et percevoir des droits sociaux, etc.), l’utilisation des services en ligne fait désormais partie des actes simples de la vie quotidienne. Or ils ne sont pas à la portée de tous.
Le recours aux services publics numériques est avant tout conditionné par l’accès des usagers à internet.
évolution du taux d’équipement de la population
Source : Credoc (2014)
82 % de la population est considérée comme « internaute »18, et 59 % procède régulièrement à des achats sur Internet mais l’accès à internet varie en fonction de l’âge, du lieu de résidence, du niveau de diplôme et des revenus. Ces inégalités, qui ont pu être décrites parfois comme des « fossés numériques »19 ; rendent difficile l’accès de certaines catégories de la population aux services publics numériques. L’écart entre les catégories de la population faiblement utilisatrices des services publics numériques et l’ensemble de la population s’est toutefois, globalement, nettement résorbé depuis 2007.
évolution des inégalités20 d’utilisation des services en ligne
Source : Cour des comptes d’après données INSEE, juin 2015,
Note de lecture : les inégalités liées à l’âge ont diminué de 8 points de 2007 à 2015
Malgré cette évolution, des inégalités persistent du fait de l’existence d’un illettrisme électronique, fortement lié à l’illettrisme sans que les deux situations se recoupent totalement. En 2011, l’INSEE recensait 2,5 millions de personnes en situation d’illettrisme, soit 7 % de la population âgée de 18 à 65 ans21.
L’illettrisme numérique, ou l’« illectronisme », qui se définit comme le manque des acquis nécessaires à l’utilisation des ressources électroniques, comporte deux aspects différents : les difficultés à manier les outils numériques et leurs périphériques (imprimantes, scanners…) et les difficultés à s’orienter sur le web et à utiliser les services numériques. Environ 90 % du contenu du web étant textuel, l’illectronisme découle de l’illettrisme, mais des personnes sachant lire et écrire peuvent être incapables d’utiliser les outils numériques, particulièrement parmi les personnes âgées. Le Défenseur des droits évalue cet illettrisme numérique entre 12 et 18 % de la population22 et alerte dans son rapport 2013 sur l’existence d’un possible « angle mort du numérique », c'est-à-dire « le seuil incompressible de citoyens qui ne peuvent obtenir de réponse par les divers moyens numériques mis en place, certes avec succès pour le traitement de masse, mais non adaptés aux cas complexes ou pour les personnes en situation « d’exclusion »23.
Cette difficulté peut être traitée au moyen d’actions spécifiques des services publics et des acteurs associatifs et visant à aider et accompagner ce public. Ainsi l’Agence nationale de lutte contre l’illettrisme (ANLCI) propose de s’appuyer sur le réseau des espaces publics numériques (EPN, voir infra) dans la lutte contre l’illettrisme et l’illectronisme24.
Pour les usagers professionnels, la taille des entreprises influe peu sur le taux de recours aux démarches administratives en ligne. Les PME françaises sont ainsi 86 % à avoir effectué une démarche en ligne au cours des 12 derniers mois, ce qui les place en 5ème position européenne25.
L’inégal recours aux téléprocédures peut également s’expliquer par des raisons culturelles ou sociologiques, sans lien technique avec la procédure. La préférence pour la procédure papier est plus forte en France que dans d’autres pays, même si elle varie selon les procédures : ainsi, les Français sont 19 % à justifier leur absence de recours à une procédure en ligne par ce motif contre 1 % des Britanniques ou des Néerlandais26.
personnes n'ayant pas rempli un formulaire en ligne au motif qu'elles ont davantage confiance dans un formulaire papier
Source : Eurostat 2013
Le baromètre relatif aux services publics vus par les usagers27 révèle un mode de contact différent selon les politiques publiques. Dans le domaine de la fiscalité, le taux de contact par internet, égal à celui du contact au guichet (45 %), est le troisième plus élevé parmi les neuf services étudiés. Les attentes sont fortes en matière de développement de démarches à distance, puisque c’est la deuxième priorité exprimée par les sondés. En revanche, le taux de contact par internet avec la police et la gendarmerie nationales est le moins élevé dans l’ensemble des politiques étudiées (13 %), le contact physique restant largement privilégié (64 %). Les forces de sécurité expliquent ce constat par la nature particulière de leurs contacts avec les usagers (recueil de plainte nécessitant parfois une requalification, conseil et écoute de la victime, etc.).
Au-delà des facteurs culturels et des contraintes liées aux missions de sécurité - notamment l’obligation de s’assurer de l’identité de la personne -, ces résultats contrastés sont aussi le reflet du niveau de l’offre de services.
Trois facteurs peuvent être identifiés.
En premier lieu, le taux de recours est naturellement d’autant plus élevé que le service dématérialisé répond aux attentes des usagers, en terme de nature du service offert, de support utilisé et de facilité d’utilisation. Ce facteur explique le succès croissant des applications accessibles sur les smartphones ou les tablettes, telles que la possibilité de payer sur son smartphone les amendes routières. Plus de 110 000 règlements, soit environ 3 % du volume total28, ont été effectués par ce moyen seulement quatre mois après le lancement de l’application en janvier 2015. Conscients de la nécessité de proposer des services sur smartphones, les ministères ont d’ailleurs inscrit cette priorité dans leurs documents stratégiques, qu’il s’agisse du schéma directeur des systèmes d’information du ministère de l’intérieur ou de la stratégie de la relation aux publics de la direction générale des finances publiques29. La DGFiP prévoit même d’associer les usagers aux évolutions des services par smartphones : cette association est un moyen de s’assurer de l’adéquation de l’offre aux attentes des utilisateurs.
En second lieu, on constate une préférence pour les démarches entièrement dématérialisées, pour lesquelles le gain en temps est plus facilement perceptible, et, de manière souvent liée, une aversion pour les démarches qui, tout en étant dématérialisées, complexifient la relation avec l’administration. L’exemple de la demande de casier judiciaire est significatif : 93 % de demandes se faisaient en ligne en 201430. À l’inverse, l’exemple du télé-service « Sanctions financières internationales », qui permet aux banques et aux entreprises françaises d’accomplir leurs demandes d’autorisation de transactions auprès de la direction générale du Trésor, témoigne de l’effet contreproductif d’une téléprocédure trop complexe. La DGT reconnaît ainsi que le service est peu utilisé par les principales banques françaises car le service ne répond pas aux contraintes organisationnelles des banques, qui souhaitent notamment avoir accès à tous les documents transmis par leurs collaborateurs. De même, le taux de recours relativement limité au service « télé-points », qui permet de consulter en ligne les points restants sur son permis de conduire (150 000 utilisations par mois), s’expliquerait par la nécessité préalable et contraignante de solliciter auprès de la préfecture un identifiant (entre 6 000 et 7 000 demandes par mois31). La multiplicité des identifiants et mots de passe, conséquence du développement parfois désordonné des télé-services et téléprocédures, constitue d’ailleurs un obstacle d’ordre général à l’utilisation des télé-services.
Pour autant, un service complétement disponible en ligne ne garantit pas nécessairement un taux d’utilisation élevé, comme en témoigne la part de foyers fiscaux ayant recours à la déclaration d’impôts en ligne (41 % en 2014) ou au changement d’adresse en ligne (20 %), alors que ces procédures sont déployées depuis plusieurs années32.
En troisième lieu, le taux de recours paraît lié à la place qu’occupe l’offre numérique au sein de l’offre globale de services. Un niveau d’offre élevé accélère l’adhésion à ce mode de contact ; à l’inverse, le faible nombre de procédures accessibles en ligne freine le recours aux téléprocédures. Dans certains cas, les usagers cherchent une forme de réassurance33 par rapport à une information ou une démarche réalisée en ligne. Il existe donc une sorte d’effet de seuil.
Une trop faible notoriété est une cause complémentaire importante du recours insuffisant aux télé-procédures.
Une communication insuffisante autour d’un service n’en facilite pas l’utilisation. À titre d’exemple, certaines des préfectures interrogées par la Cour n’avaient pas connaissance de l’existence du service en ligne de pré-demande de changement de titulaire d’un certificat d’immatriculation.
A contrario, les exemples étrangers montrent qu’un effort substantiel de communication produit des effets significatifs (cf. infra le cas du Danemark), qu’il vise simplement à faire connaître l’offre, ou à inciter à l’utilisation des téléprocédures en mettant en avant le bénéfice que l’on peut en tirer. Cette démarche n’est pas négligée par le SGMAP, qui suggère aujourd’hui aux ministères de mentionner dans leurs courriers aux usagers l’existence des télé-services et leurs avantages34.
Mettre en avant l’intérêt du recours aux services publics numériques suppose néanmoins qu’on l’ait mesuré ; améliorer l’offre suppose de même qu’on ait identifié les attentes des usagers. Or, malgré de réels progrès, la mesure et le suivi de l’impact des services publics numériques sur les usagers sont encore insuffisants et devraient être systématisés.
La mesure de l’impact du développement des services numériques sur le service à l’usager est peu documentée. Elle se heurte notamment à l’insuffisance des outils de suivi de la relation avec l’usager, et au fait que les différents canaux par lesquels l’usager peut entrer en contact avec l’administration ne sont pas reliés entre eux, ce qui empêche toute vision globale des attentes et des comportements de l’usager.
Ainsi, à l’exception du cadre fixé pour les études d’impact des mesures législatives35 et réglementaires36, il n’existe pas en France, au sein des ministères financiers de méthodologie commune ni de mesure systématique du temps passé par les usagers à effectuer leurs démarches administratives, que ce soit au niveau des ministères ou du SGMAP.
Selon un sondage effectué en 201437, les Français consacrent en moyennent 1 h 50 par mois aux démarches administratives (54 % des personnes interrogées y consacrant une heure ou moins et 22 % plus de deux heures). Les attentes des usagers sont fortes puisque le temps passé pour accomplir ces démarches est considéré comme du temps perdu pour 9 % des personnes interrogées et comme un « parcours du combattant » pour 28 %. 70 % des personnes interrogées considèrent que le développement des télé-procédures sur smartphones permettrait de gagner du temps. Cet enjeu paraît donc correspondre à un réel besoin des usagers.
Le diagnostic est le même s’agissant des entreprises. Quelques données ponctuelles confirment l’idée selon laquelle les services publics numériques pourraient satisfaire leurs attentes. Selon le SGMAP, le site Marché public simplifié (MPS) mis en place fin 2014 permettrait aux entreprises, par la suppression des pièces justificatives demandées, de gagner deux heures de temps par marché, ce qui pourrait générer une économie de 60 M€ pour 100 000 appels d’offres par an38. Autre exemple, le développement du dédouanement en ligne (DELTA), conjugué à une réforme de la politique de contrôle douanier, a ramené de 13 à 4 minutes le délai d’immobilisation des marchandises entre 2005 et 2014. De même, le développement de la prise de rendez-vous dans les préfectures a réduit le temps d’attente, qui dépassait parfois une heure.
D’autres études fournissent des données partielles, qui gagneraient à être approfondies. Ainsi, selon une étude de 201439, la même entreprise mettait en France 132 heures à déclarer et régler ses impôts et taxes, soit 22 heures de plus qu’au Royaume-Uni mais 43 heures de moins qu’aux États-Unis et 86 heures de moins qu’en Allemagne. Selon cette même étude, l’introduction ou l’amélioration des systèmes de déclaration en ligne ont représenté 30 % des réformes fiscales entreprises en Europe et en Asie centrale depuis 2009. Conjuguées aux autres réformes, celles-ci ont permis depuis 2009 de réduire de 20 heures en moyenne le temps nécessaire à la déclaration et au règlement des impôts.
En tout état de cause, ces études devraient être davantage développées et leurs résultats davantage diffusés. À titre d’exemple, l’État britannique calcule et publie régulièrement le coût unitaire des services dématérialisés40, les gains financiers tirés des télé-services, traduits en termes d’économies budgétaires ou de baisse de redevances41, ainsi qu’en termes de gain de temps. En France, ce type d’information pourrait utilement être annexé au projet de loi de finances dans un document de politique transversale sur la transformation numérique de l’État.
Quelques éléments d’appréciation qualitative sont exploitables. Ainsi, certaines préfectures mènent, dans le cadre de la labellisation « Qualipref 2 », des sondages annuels auprès de leurs usagers. Les titulaires d’un compte « Prodou@ne » auprès du service des douanes peuvent également s’exprimer à l’occasion de trois sondages relatifs à l’environnement informatique, aux télé-services et à l’assistance informatique. La Douane organise également des réunions et procède par courriers-questionnaire avec l’ensemble des syndicats professionnels concernés par ses services. Le résultat de ces consultations est généralement satisfaisant. Plus ponctuellement, notamment à l’occasion du lancement d’un nouveau télé-service ou de la dématérialisation d’une nouvelle procédure, des études sont menées auprès des usagers. Tel a par exemple été le cas pour la pré-plainte en ligne ou pour la déclaration en ligne de création d’une association.
Ces divers travaux ponctuels montrent que les usagers ont des réactions généralement positives. Ainsi, d’après l’étude du SGMAP citée ci-dessus, 89 % des particuliers et 89 % des entreprises sont satisfaits ou très satisfaits d’une démarche réalisée entièrement sur un site internet42. Ces résultats, souvent mis en avant par le SGMAP, doivent néanmoins être nuancés, pour trois raisons.
Tout d’abord, ils ne portent généralement que sur des usagers ayant accompli leurs démarches en ligne43 et ne permettent donc pas, par construction, d’expliquer l’absence du recours à ces télé-procédures. Ensuite, les taux de réponse aux différentes enquêtes sont généralement assez faibles : entre 4,4 % et 13,7 % pour la DGDDI en 2014 par exemple. Il en est de même pour les réponses aux enquêtes de satisfaction des préfectures : généralement entre 100 et 300 usagers. Aucun seuil de représentativité n’est défini par le ministère, même si certaines préfectures évoquent un seuil de 10 % comme « une bonne échelle »44. Enfin, les résultats ne témoignent pas toujours d’une satisfaction des usagers: dès lors que la mesure est élargie aux procédures ne pouvant pas être réalisées complétement en ligne ou à d’autres types de démarche en ligne (recherche d’information, plutôt que mise en œuvre d’une procédure par exemple), les taux de satisfaction sont moins élevés. Dans l’étude du Boston Consulting Group déjà citée45 par exemple, seuls 44 % des usagers sont satisfaits des services de paiement en ligne des taxes douanières.
Le SGMAP s’appuie sur deux enquêtes réalisées à sa demande par BVA et TNS Sofres. Ce baromètre vise à suivre l’utilisation des services publics numériques et à mesurer la satisfaction des usagers à l’égard des procédures les plus courantes. La publication de ce baromètre s’inscrit dans la stratégie du SGMAP visant à amener les ministères à se préoccuper davantage du nombre et de la qualité des services publics numériques proposés aux usagers. Il serait souhaitable de généraliser ces enquêtes de satisfaction, qui permettent non seulement de mieux connaître les profils des usagers en ligne, mais aussi leurs aspirations et les évolutions attendues des services. Ces services doivent en effet évoluer rapidement pour rester constamment au meilleur niveau de rapidité, de fiabilité et d’ergonomie que la technologie permet.
Sans recourir à des enquêtes ad hoc, les services pourraient recueillir par d’autres moyens (boîte fonctionnelle de courriel par exemple) l’avis des usagers et adapter le service en conséquence. Les préfectures pourraient ainsi systématiser, au sein des enquêtes annuelles, des questions relatives aux services publics numériques, ce qui serait simple à mettre en œuvre. Cette démarche s’inscrirait au surplus dans la continuité du déploiement en cours de la charte Qualipref 2.0.
Comme cela se pratique déjà, par exemple à l’Agence nationale de traitement automatisé des infractions (ANTAI), les usagers pourraient également être associés aux évolutions des services en ligne au moyen de réunions de restitution de panels46.
Le SGMAP pourrait, de manière plus générale, fournir aux ministères un outil informatique permettant de réaliser des sondages. Plusieurs directions générales ont d’ailleurs indiqué réfléchir à la systématisation des enquêtes. La prochaine étape doit être la définition du rythme et du périmètre des études, mais surtout de la manière dont ces études s’inscrivent dans la démarche de mesure de la performance.
Bien que l’ordre des causalités ne soit pas facile à identifier, des liens existent entre développement non systématisé de l’offre de services, taux de recours limité et faible impact sur le fonctionnement des services et sur la qualité de la relation établie avec les usagers. De même, l’administration n’a pas utilisé le développement de l’offre dématérialisée comme un levier de sa propre réorganisation, fût-ce pour répondre à la contrainte qui s’imposait à elle en termes budgétaires. Cette relative dissociation entre la diffusion des téléprocédures et la réforme de l’organisation et du fonctionnement de l’administration en limitent les effets.
Le développement des téléprocédures peut être appréhendé de deux manières au regard des schémas d’emplois associés aux trajectoires budgétaires. Il peut commander l’évolution des structures et de l’organisation en étant conçu à fin de réduire les effectifs ; il peut être appréhendé comme le moyen de rendre soutenable des réductions d’effectifs envisagées indépendamment de cette perspective. Cette seconde approche est plus constructive et valorise la volonté de préserver la qualité du service rendu. Mais dans les deux cas, il s’agit d’exploiter rationnellement des outils de gestion convergents. Or cette articulation entre différentes démarches apparaît à ce jour limitée, comme le montrent deux exemples particulièrement significatifs.
La DGFiP utilise certes une méthode d’allocation des emplois du réseau qui tient compte des gains dégagés par les téléprocédures. Le gain d’emplois rendu possible grâce à la télé-déclaration de la TVA et de l’impôt sur le revenu et au télépaiement des impôts a été évalué à environ 350 ETP par an. Cependant, entre 2010 et 2015 les économies ainsi identifiées représentent en moyenne 15 % des suppressions d’ETP de la DGFiP sur la période (12 000). Le recours aux moyens numériques contribue donc à rendre plus soutenable le schéma d’emploi sans pour autant être la source principale d’économies.
Or, à missions constantes, il est loisible de s’interroger sur la capacité de la DGFiP à supprimer 2 000 emplois par an sans accroître très nettement le niveau de dématérialisation. Ne pas utiliser davantage les téléprocédures comme levier de réalisation de la trajectoire budgétaire imposée revient à prendre le risque d’une désorganisation potentielle du service et d’une diminution de la qualité de la prestation rendue. Le simple alignement du taux de télé-déclaration de l’impôt sur le revenu sur la moyenne de l’OCDE pourrait procurer une économie d’environ 1 000 emplois supplémentaires47. La généralisation progressive de l’obligation de télé-déclaration de l’impôt sur le revenu, votée dans la loi de finances pour 2016, devrait permettre de réaliser ces gains.
De même, à la Douane, le graphique ci-dessous sur les taux d’intervention48 par taxe douanière montre qu’en général les taxes les moins dématérialisées sont également celles qui ont les taux d’intervention les plus élevés. Le taux d’intervention ayant un fort impact sur le besoin en emplois, des marges importantes de contribution de la dématérialisation au respect du schéma d’emploi existent donc encore.
taux d’intervention et taux de dématérialisation à la Douane
Source : DGDDI
Le schéma ci-dessus montre la dispersion manifeste qui existe en général entre les taxes les plus dématérialisées (droits de douane, TVA, TICPE) qui ont un taux d’intervention bas et celles qui sont le moins dématérialisées (différents droits indirects : voir annexe n° 15). La dématérialisation des procédures de francisation des navires et de déclaration de la taxe spéciale sur les véhicules routiers (TSVR) est justement prévue pour début 2016. Ces procédures concernant des professionnels et engendrant actuellement des coûts de gestion très élevés, leur dématérialisation obligatoire aurait dû être engagée plus tôt. Il est attendu du projet de dématérialisation de la TSVR, dont la gestion doit être intégrée au sein d’un service national poids lourds de Metz, une économie de 130 ETP. La dématérialisation des contributions indirectes prévue pour 2016 devrait avoir un impact sur le schéma d’emploi évalué à 225 ETP.
L’accélération de l’automatisation des tâches d’exécution permise par les téléprocédures devrait conduire à réduire significativement les moyens humains qui y sont dédiés, relevant de la catégorie C. Ainsi une partie des tâches, au-delà même du traitement des déclarations, peut être simplifiée et automatisée. En matière de TVA, la dématérialisation s’est ainsi accompagnée de la création d’un circuit court de remboursement pour les opérateurs sûrs, afin de fluidifier les opérations. Cette identification de partenaires bénéficiant d’un traitement particulier est également pratiquée par la Douane. Or, les schémas d’emplois ne traduisent pas la réduction des besoins en emplois d’exécution peu qualifiés.
schéma d’emploi du ministère des finances
Source : programmes annuels de performance
La DGFiP a fait depuis 2012 le choix de continuer à recruter à un niveau important des agents de catégorie C. La répartition des recrutements par catégorie ne correspond plus à l’évolution possible des missions, mais à une gestion administrative qui n’a pas tiré les conséquences de l’automatisation du traitement des données et des procédures, en laissant subsister des tâches d’exécution qui pourraient être majoritairement automatisées, comme la mise à jour des bases de la taxe d’habitation ou le traitement des délais de paiement. La poursuite de ces stratégies de recrutement est le signe d’une prise en compte très relative des projets de numérisation dans la gestion des ressources humaines.
Les organisations syndicales mettent en avant le fait que les agents de saisie des déclarations papiers exerçaient un contrôle de cohérence des données lors de la saisie. Or, les contrôles de cette nature peuvent souvent être effectués par des algorithmes qui en améliorent d’ailleurs la qualité. Pour calculer le relevé de solde d’IS, le calcul est ainsi automatisé à l’intérieur d’un même document, avec un premier contrôle bloquant lors du remplissage de la déclaration, puis un second contrôle bloquant au moment de l’intégration dans l’application de gestion fiscale. Même lorsque la mise en place d’un contrôle de cohérence automatisé n’est pas possible, et même si le maintien d’une intervention humaine pour accompagner les déclarants dans leur démarche reste pertinent, la saisie directe des données par les contribuables dans les applications de téléprocédures permet de dégager des gains en emplois. Une partie de la tâche est transférée à l’usager, pour qui la surcharge n’est pas réelle, puisqu’il fournissait déjà l’information en amont de la saisie.
Certes la DGFiP fait valoir que le niveau réel de qualification des agents recrutés dans la catégorie C, le plus souvent surdiplômés, comme les mécanismes de promotion interne permettent de faire évoluer les compétences en fonction de la transformation des métiers, mais cette gestion n’est pas optimale.
De manière globale, la mise en cohérence des différents axes de réforme de l’État – modernisation numérique d’une part, économies budgétaires de l’autre – n’est pas assurée. Cette situation met en évidence les faiblesses de la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) et plus généralement les lacunes d’une démarche d’anticipation des besoins.
La lenteur du déploiement des téléprocédures dans les relations avec les usagers freine la modernisation de l’administration. Alors que les échanges par voie numérique facilitent la simplification des procédures, ils y ont peu contribué ; alors qu’ils modifient les besoins en contacts physiques entre les services administratifs et les usagers, ils ont eu une faible incidence sur la reconfiguration des services déconcentrés et des réseaux territoriaux.
L’exemple des taxes à faible rendement est une illustration significative de l’incapacité à utiliser un levier de simplification.
Un prélèvement fiscal n’a d’intérêt pour l’État que si son coût de gestion est significativement inférieur à son produit. S’il n’est pas dématérialisé, le coût est trop élevé, surtout si le rendement est faible ; s’il n’est pas dématérialisable, ou si la dématérialisation doit être trop coûteuse par rapport au rendement, il faut en envisager la suppression. Les possibilités de dématérialisation constituent donc un test de l’opportunité de maintenir des prélèvements.
C’est à rebours de cette approche que la France a choisi de maintenir de nombreuses taxes à faible rendement. Le faible enjeu fiscal a en fait favorisé l’absence de dématérialisation – jugée trop coûteuse au regard du rendement très limité. Ainsi, une majorité des 141 taxes dont le rendement est inférieur à 150 M€ ne sont pas dématérialisées.
dématérialisation des taxes s dont le rendement est inférieur à 150M €
Source : Cour des comptes, d’après données IGF, Taxes à faible rendement, 2014.
Symétriquement, si la transformation numérique peut accélérer la démarche de simplification, en être l’aiguillon, le processus de dématérialisation doit, pour être efficace, s’accompagner de la recherche d’une simplification préalable des procédures concernées.
Engager un projet de dématérialisation sans envisager préalablement la simplification du cadre législatif ou réglementaire peut en effet s’avérer contreproductif en termes d’économies. Par exemple, le temps passé sur la CVAE (cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises) représente 25 % du temps des agents de la Direction des Grandes Entreprises. Le crédit d’impôt développement durable est aussi une source de complexité pour le déclarant puis de charge supplémentaire en gestion pour les agents. La complexité de la législation fiscale affecte directement la déclaration de l’impôt sur le revenu, passée en 10 ans de 200 à 900 données, parmi lesquelles 25 % ne sont qu’à visée statistique.
La simplification est donc indispensable à une dématérialisation efficiente. Il est souvent coûteux de retranscrire à l’identique les procédures papier existantes les plus complexes dans les systèmes d’information car cela conduit à dupliquer ou alourdir des processus. La télé-déclaration de l’impôt sur le revenu s’est ainsi développée concomitamment à la dispense d’envoi des justificatifs. De même, en matière de TVA, certaines procédures annexes ont été refondues dans la procédure principale. Cette réflexion devrait être poursuivie pour d’autres impôts.
Dans les faits, cette articulation entre dématérialisation et simplification n’est donc assurée que de manière ponctuelle.
Dans les pays examinés, le développement des services à distance permis par les téléprocédures a conduit à resserrer les implantations territoriales administratives de proximité.
Ainsi, au fur et à mesure de l’amélioration de ses services publics en ligne, le Royaume-Uni a réduit considérablement ses implantations territoriales et les heures d’ouverture des guichets. Cela n’a pas encore été le cas en France.
L’inaccessibilité sur l’ensemble du territoire de certaines procédures numériques, et la mise en place de services partiellement dématérialisés ou trop coûteux pour les usagers, semblent justifier le maintien de personnels se consacrant à l’accueil physique – au risque d’une qualité dégradée des services ainsi maintenus, faute de moyens suffisants.
La création de certaines applications de traitement dématérialisé des titres délivrés par le ministère de l’intérieur a accompagné les réductions d’effectifs dans les préfectures. En juin 2015, le ministère de l’intérieur a par ailleurs engagé une démarche pour la modernisation des préfectures, dite plan « Préfecture nouvelle génération », qui vise notamment à répondre aux citoyens avec plus de rapidité et d’efficacité dans la gestion des procédures et l’application des réglementations notamment en matière de délivrance des titres (carte nationale d'identité, passeport, permis de conduire, immatriculation des véhicules). Cette démarche vise bien à dématérialiser les procédures liées aux titres et à recentrer l’activité des personnels des préfectures sur des tâches à valeur ajoutée comme la lutte contre la fraude. Un accompagnement fort en matière de ressources humaines est prévu à ce stade, tant pour la mobilité que pour l’adaptation à la transformation des métiers. Ce projet devrait donc déboucher sur une mise en cohérence du déploiement intensifié de services publics numériques avec une organisation rénovée des réseaux territoriaux. Ses premiers effets sont annoncés pour 2017. Le bilan de sa réalisation ne pourra être fait qu’après cette date.
L’exemple de la délivrance des passeports et des CNI est de plus caractéristique d’une réticence ou d’une impossibilité à renoncer au maintien d’une présence physique sur l’ensemble du territoire. Le dispositif COMEDEC, déployé par l’Agence nationale des titres sécurisés (ANTS), a ainsi été mis en œuvre pour simplifier et sécuriser la délivrance des données de l’état-civil. Il permet l’échange dématérialisé des données d’état civil entre leurs dépositaires (mairies et service central de l’état civil à Nantes pour les Français nés à l’étranger) et les utilisateurs de ces données, administrations et notaires (voir annexe). Or, ce dispositif ne couvre actuellement qu’une partie limitée du territoire. Même les plus grandes agglomérations en sont dépourvues (Paris, Lyon, Marseille), ce qui oblige les usagers à se déplacer à la mairie, à adresser une demande d’acte d’état civil par correspondance postale ou électronique, et à assurer eux-mêmes l’envoi de leurs actes vers l’entité utilisatrice de l’acte. En 2015, 202 communes sont raccordées à cet outil ; l’objectif du ministère de l’intérieur est le raccordement des communes disposant d’une maternité. Le ministère s’est fixé des objectifs intermédiaires de 400 communes d’ici la fin 2015 et de 250 supplémentaires en 2016, ce qui permettrait de couvrir, avec un total de 650 communes adhérentes à COMEDEC, 80 % des demandes d’actes d’état-civil.
Les faiblesses du niveau de service dématérialisé (dématérialisation partielle, absence de services annexes dématérialisés, complexité ou surcoût lié au recours à la téléprocédure) concourent également à justifier le maintien de services physiques.
Au total, le ministère de l’intérieur évalue à environ 600 ETP le nombre d’agents nécessaires dans les préfectures pour instruire les demandes de passeport ou de carte nationale d’identité, même si ce chiffre devrait évoluer avec le plan Préfectures nouvelle génération.
Au ministère des finances, et malgré le déploiement massif de téléprocédures au profit notamment des entreprises, le maillage territorial n’a que peu évolué et il n’existe pas de projet formalisé et affiché de refonte de l’organisation.
La Douane comptait 109 bureaux en 2013, et le projet stratégique « Douane 2018 » ne définit pas d’objectif cible de réduction. Les bureaux des douanes sont actuellement polyvalents (traitement de l’ensemble des taxes et des tâches d’assiette, de gestion et de contrôle) alors que certains ne comptent que 5 à 7 agents. En dépit des facilités offertes par les télé-services pour le traitement à distance, le regroupement dans de grands bureaux spécialisés par taxes n’est pas prévu de manière systématique : les regroupements déjà opérés (à Metz pour les taxes poids lourds, ou à l’échelle des grandes régions pour les services énergie comme la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) - ou la gestion des tabacs) sont aujourd’hui des exceptions.
À la DGFiP, en 2013, le nombre de points de contact territoriaux était de 4 223 dont 1 710 trésoreries mixtes (recouvrement de l’impôt et gestion des collectivités en milieu rural). La rationalisation du réseau s’est conduite à un rythme très modéré depuis la création de la DGFiP. Ce mouvement ne s’opère pas au même rythme que la dématérialisation des flux, accélérée sur la période 2009-2014. On peut toutefois noter une nette accélération en 2015-2016.
nombre de trésoreries DGFiP
2011 | 2012 | 2013 | 2014 | 2015 | 2016 | |
Trésoreries | 2 716 | 2 672 | 2 638 | 2 615 | 2 582 | 2 488 |
Évolution | - 44 | - 34 | - 23 | - 33 | - 94 | - 118 |
Source : DGFiP
Fin 2015, il reste toutefois encore des trésoreries dans des communes de moins de 1 000 habitants. Le nombre d’ETP affectés à l’accueil physique a été estimé entre 1 500 et 1 800 auxquels il faut ajouter les agents qui consacrent une partie de leur temps de travail à épauler leurs collègues de l’accueil (environ 1000 agents supplémentaires).
La généralisation des regroupements et spécialisations de services ne poserait pourtant pas de problème de gestion pour une partie importante des fonctions assumées (les tâches d’assiette et de gestion des déclarations notamment).
En d’autres termes, le choix implicite est celui d’une dégradation du service49 et des conditions de travail des agents plutôt que d’une réorganisation claire des services prenant appui sur le développement des téléprocédures. Les arguments avancés pour ne pas procéder à ces réorganisations (gestion des déroulés de carrière des agents, besoins résiduels d’accès physique aux services pour les publics fragiles) ne sont pas dénués de toute pertinence mais des solutions alternatives existent, comme le montrent les pratiques d’autres pays (repyramidage de l’encadrement et redéfinition des conditions d’accès à certains grades, redéfinition du périmètre de services de proximité polyvalents comme cela se fait d’ailleurs aussi en France avec les maisons de services publics …). Ainsi, la Douane, pour compenser la réduction du nombre de ses services viticoles dans la région Languedoc-Roussillon, a mis en place des permanences en mairie.
En pratique, l’impact du développement des services publics numériques sur l’organisation des services administratifs n’a jusqu’à ce jour été que limité, ou subi. Au ministère de l’intérieur, c’est ainsi jusque maintenant davantage la nature des tâches au sein des services locaux que l’organisation globale des services ministériels qui a été affectée par le déploiement des services publics numériques. L’enjeu de la reconversion des agents concernés - agents souvent chargés de l’accueil physique ou de tâches simples et routinières et devant à terme évoluer vers des tâches de plus grande complexité -, confrontés au même moment à la réforme de l’administration territoriale alors qu’ils sont jugés souvent peu mobiles, a débouché dans la plupart des cas sur le maintien in situ.
Toutefois, les effets de la numérisation sur l’organisation des services administratifs devraient s’accentuer avec la progression des services numériques proposés aux usagers. Dans ce contexte, les ministères devraient, dès à présent, anticiper le développement des services numériques et réfléchir à des solutions d’accompagnement des personnels concernés en matière de recherche de logement, de recherche d’emploi pour le conjoint ou de scolarisation des enfants. Un accompagnement spécifique pourrait également être mis en place pour les personnels souhaitant opter pour une réorientation professionnelle dans le secteur public ou privé, ou pour une mobilité vers un autre service de l’État. Pour y parvenir, un accompagnement indemnitaire pourrait également être mis en place avec l’ouverture de la prime de restructuration de service pour les personnels amenés à effectuer une mobilité géographique à la suite de la suppression de leur emploi.
En tout état de cause, de tels changements ne peuvent être efficacement conduits que si leur impact sur l’organisation du travail des agents est appréhendé en amont et pris en compte tant en termes de formation que d’accompagnement. A contrario, l’inertie, dans un contexte de réduction des moyens, présente de nombreux inconvénients.
En particulier, le maintien d’une présence physique mais sous la forme d’un service dégradé n’est satisfaisante ni pour l’usager, ni pour les agents. Les services publics numériques peuvent conduire à économiser des emplois en zone à faible densité de population, en permettant aux usagers de réaliser leur démarches sans se déplacer et en supprimant les fonctions d’accueil de proximité, de réception et de traitement des déclarations papier. En revanche, la relation numérique permet de déconnecter le lieu de la demande de celui de son traitement : par conséquent les services publics numériques peuvent créer de l’activité en des endroits nouveaux, lorsqu’y sont installés les centres regroupés de traitement des données ou des centres d’accueil à distance. Le numérique pourrait de cette manière permettre de mieux prendre en compte les enjeux d’aménagement du territoire qu’avec le seul maintien de points de contacts non mutualisés et de recruter des personnels dans les zones en déclin démographique pour traiter à distance les demandes des zones en croissance démographique.
Quelques exemples positifs peuvent être évoqués à ce titre. Des centres de contact ont ainsi été récemment expérimentés à la DGFiP, à Chartres. Peuvent être aussi cités en exemple le centre d’appels de l’ANTS implanté à Charleville-Mézières ou encore l’implantation des plateformes régionales de gestion de la délivrance des passeports du Limousin et de Lorraine dans la Creuse et dans la Meuse.
Plus largement, le ministère de l’intérieur, en lançant en juin 2015 le projet « préfectures nouvelle génération », semble bien proposer un changement de paradigme. Il affiche d’une part une conception positive des services publics numériques en en faisant un outil d’adaptation de l’administration à ses moyens dans le souci de préserver la qualité du service rendu, et non plus une contrainte subie. Il énonce d’autre part un projet de réorganisation complet du réseau territorial, en partant de l’évolution de la relation avec les usagers pour les principaux actes qui les amènent à entre en contact avec les préfectures (CNI, passeports, immatriculation et permis de conduire). Enfin, il déploie un projet global qui prend en compte les dimensions techniques (offre de téléprocédures adaptées), juridiques (adaptation du cadre réglementaire ou législatif), et de gestion des ressources humaines (formation et requalification des agents). Si cette évolution peut paraître tardive au regard de l’ancienneté d’une part des projets de services numériques et d’autre part de la contrainte financière, cette orientation – qui doit se déployer durant les cinq prochaines années pour aboutir dès 2017 à une transformation des guichets – paraît cohérente avec l’évolution du contexte technico-budgétaire.
Autre domaine dans lequel on constate un retard des services de l’État dans l’adaptation aux outils technologiques disponibles, les données fournies par les utilisateurs par le biais des services numériques ne sont pas exploitées par les administrations à la hauteur de leur potentiel, décuplé par rapport aux données stockées dans des tableurs50. Le marché des technologies et services liés au traitement de données en masse (« big data ») connaîtra une croissance annuelle de 26,4 %, soit six fois la croissance du marché de l’informatique51. Cette tendance devrait encore se renforcer avec la montée en puissance des technologies mobiles et des appareils connectés. C’est la richesse la plus précieuse du marché numérique.
Le marché européen du profilage, c'est-à-dire des techniques qui permettent de collecter et d'exploiter le « profil » (données personnelles) des visiteurs d'un site donné, avec l’autorisation expresse de ces derniers, peut être estimé à environ 150 milliards d’euros52.
Si les entreprises investissent de plus en plus dans l’exploitation des données, les administrations françaises semblent encore très en retrait sur ces enjeux qui modifient structurellement l’économie. Les villes sont les administrations qui exploitent le mieux le potentiel des données : les métropoles engagées dans une démarche de « smartcity » (voir annexe à ce sujet), comme Paris, New-York, San Francisco, Toronto, n’hésitent pas à faire appel à des cabinets privés ou à recruter des ressources spécialisées en interne pour réutiliser les données collectées. Il est d’ailleurs stipulé dans les conditions générales d’utilisation de tous les télé-services qu’en utilisant le service, l’utilisateur consent au traitement informatisé de toutes les données communiquées dans le respect du cadre légal. Les données ainsi traitées doivent bien sûr l’être dans le respect de la loi de 1978 sur l’informatique et les libertés et sous le contrôle de la CNIL.
Une des premières réutilisations des données est la communication ciblée : grâce aux informations recueillies, il est possible d’envoyer des messages (sur messagerie électronique, sur des comptes utilisateurs ou par sms) à un public spécifiquement concerné. Par exemple, la ville de Paris utilise les informations recueillies grâce à ParisConnect pour identifier les automobilistes et leur envoyer des informations sur le stationnement.
Un nombre croissant de villes se sert aussi des services numériques pour réguler les usages. San Francisco a par exemple développé une carte interactive « Sfpark » qui permet aux usagers de consulter en temps réel les places de stationnement disponibles et donc d’équilibrer la demande et l’offre de stationnement et de réduire la congestion due aux véhicules cherchant une place53.
Les données issues des services numériques peuvent aussi permettre d’élaborer des analyses tendancielles. New York a par exemple collecté de nombreuses données pour concevoir des algorithmes permettant de prévenir les incendies. L’exploitation des données peut également conduire à de nombreuses utilisations dans le domaine du développement durable : connaître, grâce à des compteurs communicants, les pointes d’utilisation de l’électricité par les ménages, peut permettre de développer un réseau de distribution d’électricité « intelligent » (« smartgrid ») pour optimiser la production, la distribution et la consommation d’électricité54.
Malgré ces potentialités considérables, l’exploitation sélective de grandes quantités de données (« data mining » en anglais) par les administrations d’État est encore balbutiante et est souvent laissée à l’initiative isolée de certaines directions. Ainsi, en matière de contrôle, le ministère de l’intérieur, l’administration fiscale55 ou la Douane commencent en ordre dispersé à exploiter des données en masse afin d’affiner le ciblage et la détection des dossiers frauduleux, ce qui permet de les alléger sur les personnes dont l’exploitation des données ne conduit pas à identifier de risque significatif. En matière d’amélioration du service public, le pré-remplissage des déclarations pourrait également encore progresser grâce à l’exploitation des données.
En revanche, ce sujet n’est pas encore systématiquement traité au niveau ministériel. Le ministère de l’intérieur a nommé très récemment56 un administrateur ministériel des données qui a notamment pour mission d’animer un réseau des administrateurs des données au sein des directions. La DSIC du ministère de l’intérieur a en outre recruté deux experts en sciences des données (« data scientists ») et un architecte. A contrario, le secrétariat général des ministères financiers et économiques ne dispose d’aucun administrateur général des données et aucune coordination n’existe au niveau ministériel. La France a néanmoins été la première en Europe à se doter, par le décret du 16 septembre 201457, d’un administrateur général des données (AGD), placé sous l’autorité du Premier ministre au sein du SGMAP, dont la mission est de bâtir une « gouvernance de la donnée » au sein de l’État. Pour cela, l’AGD mène des actions de pédagogie (rencontre avec des directions d’administrations, participation à des séminaires, mise en ligne d’un blog) et doit effectuer le recensement des bases de données des administrations. Ses moyens sont cependant limités puisqu’il n’est doté que de 4 ETP, alors que la seule ville de Chicago a embauché 20 experts en sciences des données, et il ne dispose pas encore de véritable relais dans les administrations. Pour compenser le manque de personnel qualifié dans les ministères, il a lancé une procédure d’accord-cadre auprès des entreprises de data-sciences afin de répondre rapidement aux besoins des administrations en matière de constitution de bases de données, de développement de modèles prédictifs et de tableaux de bords interactifs. Il est impératif de renforcer les actions entreprises au niveau interministériel et de permettre la diffusion d’une véritable culture de la donnée au sein des ministères, par exemple par la constitution d’un réseau de « responsables de la donnée » nommés dans chaque administration. Un programme de formations techniques et juridiques proposé aux administrations pourrait aussi permettre de faire progresser la gouvernance, la circulation et l’intégration de la donnée comme aide à la décision.
La diffusion de la culture de la donnée est une des composantes majeures de la diffusion de la culture numérique au sein de l’État, annoncée dans la stratégie numérique du gouvernement présentée par le Premier ministre le 18 juin 2015. Elle doit prendre en compte les inquiétudes que les citoyens expriment en termes de protection des données, mais elle ne peut être absente de la réflexion de l’État, dès lors qu’elle irrigue l’ensemble du fonctionnement économique aujourd’hui.
CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS
Des différentes études permettant d'effectuer des comparaisons à l'échelle internationale, il ressort que les performances de la France sont honorables et en progrès. Le classement établi par la Commission européenne, le plus complet sur le plan des indicateurs, situe la France en 2015 en 13ème position, au-dessus de la moyenne européenne et en progression de quatre places par rapport à 2014. Cette performance est relativement plus satisfaisante si on limite la comparaison aux pays de poids démographique comparable et dotés de structures administratives anciennes. Elle est cohérente avec les performances économiques générales de la France (au 13ème rang pour le PIB par habitant). Cependant, elle n’est pas remarquable à l’aune de l’engagement ancien dans cette démarche de modernisation que revendiquent les pouvoirs publics. Elle révèle un taux d’usage encore trop faible par les particuliers (alors qu’ils bénéficient d’une offre satisfaisante), et symétriquement une offre très utilisée mais insuffisante pour les entreprises.
Les raisons de cette faiblesse du taux de recours des usagers aux services publics numériques doivent être analysées afin d’améliorer cette performance. Une partie des obstacles traditionnellement invoqués pour expliquer ces résultats insatisfaisants – liés à la fracture numérique – sont en voie d’être levés puisque les écarts entre les catégories de la population faiblement utilisatrices de SPN et l’ensemble de la population se sont fortement réduits depuis 2007. D’autres facteurs explicatifs doivent être pris en compte tels que la qualité des services offerts (intérêt au recours, facilité d’usage, ergonomie, complétude de l’offre dématérialisée…) et la notoriété de l’offre. La partie de la population touchée par l’illectronisme, qui serait d’environ 15 %, doit faire l’objet d’un accompagnement spécifique. Surtout, la valorisation du recours aux services publics numériques suppose que l’impact potentiel soit mesuré et communiqué, ce qui n’est que trop rarement le cas aujourd’hui. Des études partielles engagées, il apparaît pourtant que les utilisateurs de services publics numériques sont satisfaits. Leur satisfaction sera d’autant mieux garantie qu’elle sera mesurée et que les attentes et les réactions des usagers pourront être prises en compte dans la conception même et l’amélioration des services offerts.
Quant à l’impact des services publics numériques sur l’administration, le développement des dispositifs se fait à un rythme et selon des modalités qui n’ont pas encore permis d’en tirer tous les bénéfices tant en termes d’économies budgétaires que de modernisation. En effet, les téléprocédures sont venues pour l’essentiel se superposer aux procédures existantes sans réingénierie profonde des processus et des structures. L’exploitation des données, désormais recueillies en plus grand nombre, n’est encore que très limitée au regard de son potentiel d’amélioration du service. Les récentes décisions prises notamment par le ministère de l’intérieur, sur ces deux points, signalent une évolution très récente qui doit être soutenue. L’enjeu majeur consiste à mieux articuler les différents exercices de modernisation de l’État et à utiliser les services publics numériques non comme une contrainte mais comme un outil d’adaptation des services publics aux attentes des usagers et un moyen de s’adapter à la contrainte budgétaire sans dégrader l’ensemble des services.
Il ressort de ce premier examen que la France sous-exploite encore l’apport potentiel des téléprocédures, tant à l’amélioration des relations entre l’administration et les usagers qu’à l’adaptation de l’administration. Malgré des avancées non négligeables, elle n’est pas parvenue jusqu’à aujourd’hui à enclencher un cercle vertueux entre le développement de l’offre et la généralisation des usages.
Il convient donc de rechercher les causes de cette situation dans la manière dont le projet numérique de l’État a été conçu et mis en œuvre.
La Cour formule les recommandations suivantes :
La volonté politique de procéder à la modernisation numérique de l’État est en phase avec l’évolution technologique. Les modifications de la gouvernance de cette politique ont néanmoins été trop fréquentes et toutes les conditions de sa mise en œuvre n’ont pas été réunies. Que l’on raisonne en termes de choix d’investissements ou de gestion des ressources humaines, l’impact des services publics numériques sur le fonctionnement de l’État demeure encore limité : si le développement des services numériques est effectivement une des composantes de la réforme de l’État, il n’en constitue pas à ce jour un axe structurant.
L’État s’est doté progressivement d’un cadre de gestion et d’outils qui témoignent de l’intérêt porté à la démarche de modernisation numérique et plus largement de la prise en compte des enjeux liés au développement du numérique. Mais l’instabilité du dispositif institutionnel en a freiné le déploiement qui reste aujourd’hui encore inabouti. Surtout, les grandes directions d’administration centrale ont largement préservé leur autonomie dans les choix informatiques. Il importe donc de stabiliser le cadre d’action et de consolider les projets transversaux, au sein même des ministères.
Trois phases se sont succédé dans l’affirmation des objectifs de la politique de modernisation numérique.
La première, de 1966 à 1997, a été centrée sur l’informatisation des administrations : elle a commencé avec la création, en 1966, d’une délégation à l’informatique placée sous l’autorité du Premier ministre (transformée en 1974 en délégation interministérielle à la réforme de l’État - DIRE) et a abouti en 1997 à l’annonce du Programme d’action gouvernemental pour la société de l’information (PAGSI).
1997 est une année charnière, qui marque l’affirmation nette du passage de l’informatique au numérique et se traduit, en termes de gouvernance, par la création d’une mission interministérielle de soutien technique pour le développement des technologies de l’information et de la communication dans l’administration (MTIC), remplacée en 2001 par l’Agence pour les technologies de l’information et de la communication dans l’administration (ATICA). À partir de cette date, la finalité n’est plus seulement d’informatiser les administrations mais aussi de définir une conception d’ensemble des différents services produits par l’État en prenant en compte la notion de réseau et en mettant de ce fait l’accent sur les notions d’interopérabilité et d’harmonisation ; en intégrant davantage le point de vue de l’usager dans la définition même des services, démarche dont témoignent notamment la création en 2000 du portail d’information administrative service.public.fr et la démarche par « évènement de vie ».
La troisième période, la plus récente, a débuté en 2011- 2012. Elle est marquée par une attention plus grande encore portée aux usagers. Cette prise en compte n’est bien sûr pas nouvelle – la DGME avait ainsi déjà eu pour mission de promouvoir « les actions destinées à mieux prendre en compte les usagers » – mais elle est dorénavant systématisée, concrète et inscrite dans la méthodologie de conduite des projets58. Ce tournant s’accompagne d’un mouvement de concentration et de centralisation qui voit le retour aux services du Premier ministre du pilotage de la politique de modernisation numérique et la réunification de l’ensemble des perspectives (technique, de modernisation, de relation avec les usagers qui y sont associés). Deux initiatives ont marqué ce processus : la création de la direction interministérielle des services d’information et de communication de l’État (DISIC)59 – chargée de la dimension technique du projet numérique –, puis son rattachement au secrétariat général pour la modernisation de l’action publique (SGMAP)60 nouvellement créé, au côté de la direction interministérielle pour la modernisation de l’action publique (DIMAP) – davantage tournée vers l’adaptation des relations entre l’administration et les usagers.
Comme le résume le tableau ci-dessous, la politique informatique interministérielle des services publics a donc connu depuis ses origines de nombreux changements.
l’histoire des structures de gouvernance informatique
Dates | Structures | Rattachement | Objectifs principaux | |||||||||
1966 | Délégation à l’informatique | Premier ministre | Équiper les administrations en grands outils informatiques pour les moderniser | |||||||||
1974 | 1978 | Direction des industries de l’informatique et de l’électronique | mission à l’informatique | ministère de l’industrie | Équiper les administrations en grands outils informatiques pour les moderniser | |||||||
1986 | comité interministériel de l’informatique et de la bureautique | Premier ministre | Équiper les administrations en grands outils informatiques pour les moderniser | |||||||||
1997 | - délégation interministérielle à la réforme de l’État (DIRE) | mission interministérielle (MTIC) | Premier ministre | Généralisation des sites internet publics et de la mise en ligne des formulaires administratifs, création d’un point d’entrée personnalisé | ||||||||
2001 | Agence (ATICA) | Premier ministre | Sécurité et interopérabilité des systèmes d’information, protection des données personnelles, dématérialisation et simplicité des procédures administratives, développement de standards communs, centralisation de la maîtrise d’ouvrage | |||||||||
2003 | Agence (ADAE) | Sécurité et interopérabilité des systèmes d’information, protection des données personnelles, dématérialisation et simplicité des procédures administratives, développement de standards communs, centralisation de la maîtrise d’ouvrage | ||||||||||
2005 | 2011 | Direction générale de la modernisation de l’État (DGME) | Direction interministérielle des systèmes d’information et de communication (DISIC) | ministère de l’économie, des finances et de l’industrie et Premier ministre | Impulsion à la dématérialisation des procédures administratives ; | Anticipation des nouvelles technologies, maîtrise des coûts des téléprocédures au service des besoins des usagers; évolution vers une collecte unique des informations ; mutualisation des projets au niveau interministériel ; politique d’achat comme levier de standardisation ; sécurité des systèmes | ||||||
2012 | Secrétariat général pour la modernisation de l’action publique (SGMAP) | Premier ministre | Impulsion à la dématérialisation des procédures administratives ; | Anticipation des nouvelles technologies, maîtrise des coûts des téléprocédures au service des besoins des usagers; évolution vers une collecte unique des informations ; mutualisation des projets au niveau interministériel ; politique d’achat comme levier de standardisation ; sécurité des systèmes |
Source : Cour des comptes
Cette instabilité du cadre institutionnel ne parait pas totalement justifiée par l’évolution des objectifs affichés. Elle est révélatrice des hésitations sur la démarche à suivre, qui ont porté sur deux points :
l’attribution de la responsabilité de la conduite du projet numérique de l’État, soit aux services du Premier ministre soit aux ministères économiques et financiers ;
le regroupement ou la distinction des organes ou des instances responsables des différentes dimensions de la modernisation de l’État, que l’on retrouve aujourd’hui sous les vocables de numérique, de simplification et de réduction des coûts.
Ces évolutions appellent trois remarques.
En premier lieu, elles se sont accélérées au fil du temps. Le tableau ci-dessus montre qu’il y a eu autant de changements institutionnels au cours de la première décennie de ce siècle qu’au cours des 35 années qui l’ont précédée. Or, l’instabilité institutionnelle, outre qu’elle conduit les services de l’État à consacrer une part trop importante de leur activité à des restructurations qui ne sont pas forcément substantielles et productives, empêche chacun des schémas d’organisation successifs de porter ses fruits, et fait obstacle à l’évaluation de son efficacité, faute de recul.
L’analyse des exemples étrangers, y compris des pays dans lesquels le développement des services publics numériques a été particulièrement performant, montre qu’il n’y a pas de modèle-type. Ces projets sont portés soit au niveau des services du chef du gouvernement (Royaume-Uni, Espagne), soit par le ministère de l’intérieur (Allemagne, Pays-Bas), soit par le ministère des finances (Danemark). Mais le positionnement administratif des instances de pilotage ne paraît nulle part déterminer la qualité des résultats.
En troisième lieu, le facteur institutionnel compte beaucoup moins que l’harmonisation du cadre technique de déploiement. Une centralisation affirmée des outils de suivi, du cadre stratégique et des référentiels est indispensable. Le positionnement de la gouvernance transversale l’est beaucoup moins. De plus, en France comme ailleurs, et de manière constante, la compétence de chaque ministre a toujours été pour l’essentiel préservée, afin de permettre à chaque administration de s’approprier la démarche de modernisation numérique, principe qui n’a pas lieu d’être remis en cause.
En d’autres termes, la France a consacré trop de temps aux réformes institutionnelles. L’objectif premier devrait être aujourd’hui de stabiliser durablement le cadre organique de déploiement du projet numérique de l’État et de s’abstenir de toute nouvelle remise en cause du mode de gouvernance.
Or le Gouvernement vient, par décret n° 2015-1165 du 21 septembre 2015, de modifier de nouveau l’organisation du SGMAP, alors qu’aucun lien ne pouvait être valablement établi entre les choix d’organisation faits en 2012 et un rythme jugé trop lent de développement des services publics numériques. La DIMAP devient ainsi la direction interministérielle pour l’accompagnement des transformations publiques (DIAT), en conservant un axe d’intervention tourné vers les usagers mais fortement réduit. La DISIC devient de son côté la direction interministérielle du numérique et du système d’information et de communication de l’État (DINSIC), ajoutant à ses missions techniques liées aux infrastructures informatiques qui constituaient son cœur de métier, une double dimension, téléprocédures d’une part jusque-là assumée par la DIMAP, et gestion des données publiques d’autre part, se dotant dans ce but d’une mission « incubateur des services numériques ».
Parallèlement à la redéfinition progressive des objectifs, les instances et les outils de suivi du projet numérique de l’État ont été progressivement consolidés, et inscrits dans des textes législatifs et réglementaires.
Les étapes majeures en ont été les suivantes : en 1986, la création du premier comité interministériel chargé de suivre les projets numériques ; en 1997, à l’initiative de la MTIC, la première formalisation de standards techniques et de référentiels supposés s’appliquer de manière harmonisée à l’ensemble des projets conduits par les ministères ; en 2001, la première inscription des principes énoncés dans un texte de niveau réglementaire, reprenant et formulant les exigences d’harmonisation (sécurité des systèmes d’information, protection des données personnelles, interopérabilité, accessibilité, etc.) ; en 2003, la création d’une maîtrise d’ouvrage centralisée confiée à l’Agence pour le développement de l’administration électronique (ADAE) ; en 2005, l’affichage d’un lien entre projets numériques et économies budgétaires.
Ces efforts convergent, à partir de 2011-2012, dans l’affirmation de la volonté de conduire un projet de modernisation numérique susceptible d’irriguer l’ensemble de l’action gouvernementale.
Sur le plan normatif, deux séries d’initiatives significatives ont été prises.
D’une part, l’État s’est doté d’un « cadre stratégique commun du système d’information de l’État ». Ce document61 affirme l’unicité dudit système, par opposition à l’idée prévalant jusqu’alors d’une fédération de systèmes d’information ministériels. Il aborde tous les volets de la transformation numérique de l’État : anticipation des nouvelles technologies ; maîtrise des coûts (savoir investir dans un système d’information chaque fois qu’il crée une valeur pertinente et qu’il permet de réduire d’autres dépenses) ; passage des télé-services aux téléprocédures ; évolution vers une collecte unique des informations ; mutualisation des projets au niveau interministériel ; gestion des ressources humaines avec une prévision à horizon de cinq à dix ans ; planification budgétaire ; politique d’achat comme levier de standardisation ; sécurité des systèmes.
D’autre part, trois ordonnances62, qui ont fait l’objet d’une validation législative, instituent notamment le droit pour les usagers de saisir l’administration par voie électronique, avec les mêmes garanties que les envois recommandés, depuis novembre 2015 pour l’État et à partir de novembre 2016 pour les collectivités locales : il s’agit d’accélérer le processus de modernisation numérique en le systématisant.
La formalisation progressive d’une politique de modernisation numérique s’appuie sur l’affirmation d’instances de coordination et de pilotage mais aussi sur le déploiement d’outils d’harmonisation et d’aide à la décision, dans un cadre réglementaire consolidé. Parmi les instances de coordination, le conseil des systèmes d’information et de communication (SIC), présidé par le DISIC devenu DINSIC, valide les orientations du cadre stratégique et en supervise la mise en œuvre en s’appuyant sur les secrétaires généraux des ministères qui en sont membres. Ce conseil se réunit effectivement tous les six mois et est relayé par un comité technique des SIC, le « CSI-Tech », également institué par le décret du 21 février 2011, qui réunit chaque mois les directeurs des systèmes d’information des ministères. Ce cadre général doit être décliné au sein de chaque ministère, où les DSI ministérielles doivent voir leur position renforcée en étant associées le plus en amont possible à la planification stratégique de leur département ministériel, à la construction budgétaire et aux études d’impact.
S’agissant des outils de pilotage, la DINSIC détient en premier lieu un pouvoir d’audit et de recommandation : aucun projet supérieur à 9 millions d’euros ne peut être lancé sans son avis conforme (article 3 du décret constitutif), et elle fait des audits à la demande lorsqu’un ministère exprime un besoin de sécurisation (article 8). Elle a la faculté d’adresser au Premier ministre et aux ministres concernés toute recommandation utile pour une meilleure maîtrise de la conduite et du coût des projets et dispose aussi d’un pouvoir d’alerte à l’égard du Premier ministre. Elle dispose enfin d’un pouvoir d’évaluation permanente des performances des systèmes d’information et de communication des administrations.
Le cadre stratégique commun tient une place centrale.
Sa première version a été validée lors de la première réunion du comité interministériel de modernisation de l’action publique, le 18 décembre 2012, et annexé à la circulaire du Premier ministre n° 5639 du 7 mars 2013 relative aux plans ministériels de modernisation et de simplification. Document de 36 pages, il établit un état des lieux critique, recensant lacunes et atouts, et fixe vingt objectifs pour cinq ans, qui couvrent tout le spectre de la modernisation des services publics par l’informatique. Ils posent des principes dont l’ensemble forme bien une politique, parmi lesquels la priorité donnée à la prise en compte des attentes des usagers, la mise en place du « Dites-le nous une fois » (voir infra), l’importance de l’interopérabilité des systèmes, le lien à faire avec la planification budgétaire. Ce cadre commun fait de la DINSIC le « pivot » de la gouvernance de la transformation numérique de l’État.
En revanche, le déploiement des outils de suivi et d’aide à la décision reste inabouti.
Ainsi, la méthode d’analyse et de remontée de la valeur estimée à l’évaluation (MAREVA) des projets SI de l’État a été conçue par l’ADAE dès 2005, reprise par la DGME, perfectionnée par la DISIC (MAREVA 2). Cette démarche permet d’évaluer la valeur d’un projet au regard des ambitions d’un ministère en termes de service rendu, ainsi que le retour sur investissement. Il vise donc à sécuriser les projets SI de l’État et concourt à la professionnalisation des personnels responsables des SI dans les ministères. Les projets sont évalués selon deux critères d’impact (impact stratégique, impact financier), et trois critères de faisabilité (gouvernance, méthodes utilisées, calendrier). Les projets sont classés selon un feu vert, orange ou rouge. Or, jusqu’à la diffusion de MAREVA2, son utilisation par les ministères est restée limitée. Aujourd’hui, néanmoins, des mesures sont appliquées pour que cette démarche d’évaluation irrigue au maximum les services ministériels compétents : sessions de sensibilisation s’appuyant sur des présentations très didactiques, « boîtes à outils » éditées et diffusées par la DISIC, animation par celle-ci d’un réseau de référents (« club MAREVA »). Les services en connaissent aujourd’hui l’existence et en revendiquent l’utilisation. Au surplus, l’utilisation de MAREVA a été rendue obligatoire pour les projets requérant l’avis conforme de la DISIC. Dans les deux ministères examinés par la Cour, la mise en œuvre systématique de l’outil MAREVA est récente : les projets lancés depuis un an respectent cette obligation ; son utilisation est plus ancienne dans les ministères économiques et financiers, en tout cas pour les grands programmes de gestion (COPERNIC et CHORUS notamment).
En revanche, contrairement à certains autres pays examinés (Royaume-Uni, Danemark, Pays-Bas), l’harmonisation des instruments de mesure de la performance des SIC, prévue par le cadre commun de gestion de la performance décrit dans le décret du 21 février 2011 et qui devait permettre une évaluation permanente du SIC dans toutes ses composantes administratives et la préparation de rapports annuels de performance annexés aux projets de lois de finances, n’a pas été effectuée.
Plus surprenant encore, le suivi budgétaire des dépenses informatiques de l’État n’est toujours pas assuré. En effet, si les dépenses de fonctionnement et d’investissement sont globalement identifiées, sans toutefois toujours être rattachées à une fonction, les dépenses de personnel ne le sont pas ou le sont très imparfaitement, en nombre d’agent mais pas en masse salariale. Et si les ministères financiers réalisent un suivi pour leurs propres dépenses depuis 2008, il a fallu attendre la circulaire du Premier ministre du 20 janvier 2015 pour concrétiser la volonté de la DISIC de constituer un instrument de suivi précis, rapproché et centralisé des dépenses informatiques pour l’ensemble des ministères, homogénéiser au niveau interministériel et accélérer la professionnalisation de ce suivi. La DINSIC devrait pouvoir disposer en principe dès janvier 2016 d’un instrument de suivi lui permettant de mener un dialogue continu sur les portefeuilles de projets et d’activités et de définir une cible annuelle d’économies.
C’est à l’échelle ministérielle que le déploiement des orientations portées par le SGMAP reste le plus incomplet.
L’exemple des deux ministères étudiés montre que l’impulsion donnée par le SGMAP est effective, qu’il s’agisse de comitologie, d’outils de suivis, d’outils d’aide à la décision ou de méthodologie. Tel est le cas à ce dernier titre, de la diffusion de la méthode dite « agile » dans les ministères : ce terme traduit la volonté d’agir de manière souple, réactive et rapide, en évitant les approches systémiques et en tenant compte à chaque étape des processus de production de l’avis des usagers. Il existe donc un réel changement dans l’approche et le traitement des projets numériques. Pour autant, ces déploiements sont encore inégaux et, dans les ministères financiers notamment, ne permettent pas encore de favoriser une approche ministérielle.
C’est en effet au niveau de chacune des directions que le déploiement des outils est affiché. La DGFiP s’est par exemple dotée en 2013 d’un « comité stratégie numérique, usagers » qui a pour mission de développer l'offre de téléprocédures pour tous les publics à partir d’expérimentations. Elle utilise depuis 2014 l’outil d’accompagnement MAREVA et une mission de contrôle de gestion a également été créée pour valider les études d’impact ex ante et vérifier ex post les effets réels produits par les projets informatiques6361. L’outil numérique est dorénavant conçu comme un moyen de redéfinition de la relation avec les usagers64. La DGFiP a mis en place, à travers le service « Cap numérique », créé mi-2013 et directement rattaché au DG, une vision plus transversale des projets. Enfin, elle revendique le recours au « mode agile »65, utilisant les retours d’expérience de l’utilisateur avant la fin du développement, et prend explicitement appui sur les projets du SGMAP (FranceConnect et DLNUF) pour développer ses projets.
De même, à la direction générale des douanes et des droits indirects, le développement de la dématérialisation est l’un des axes du Plan stratégique 2018 et s’inscrit désormais dans la trajectoire d’évolution du système d’information de ce service. La DGDDI formalise ces projets au sein d’un comité stratégique présidé par la directrice générale, dispose d’un schéma directeur dont le suivi est assuré dans le cadre de réunions trimestrielles d’analyse de la trajectoire d’évolution du système d’information (TESI). Comme la DGFiP, la DGDDI a recours à l’expérimentation au niveau des directions interrégionales, consulte les organisations syndicales et préconise la méthode « agile ».
Au-delà de cette vision directionnelle, les ministères économiques et financiers ont mis en place fin 2013 un comité stratégique des systèmes d’information ministériels. Il est toutefois à craindre que si le critère d’examen à ce niveau reste le coût du projet, les téléprocédures n’y soient que rarement évoquées : ce comité semble avoir vocation à centraliser l’information davantage qu’à devenir le lieu d’arbitrage des investissements.
Quant au ministère de l’intérieur, il dispose désormais d’un schéma directeur informatique qui permet une plus grande transparence et une cohérence à l’échelon ministériel des projets et des budgets. Le comité stratégique chargé de suivre ce schéma directeur se réunit effectivement. Une mission de gouvernance ministérielle, chargée d’assurer la cohérence des projets informatiques du ministère et de veiller au lancement des projets, a par ailleurs été créée en 201366 ; elle est responsable de la politique de développement de l’administration électronique et des relations avec le SGMAP et notamment la DINSIC. L’adaptation des outils de gouvernance semble donc avoir été plus volontariste que dans les ministères financiers.
La politique informatique de l’État s’est longtemps concentrée sur la mise en place de grands projets informatiques, transversaux (Chorus, ONP, etc.) ou « métier » (impôt sur le revenu, sécurité, etc.). Cette approche, centrée sur les outils de production, n’est évidemment pas antinomique d’une attention portée à la relation avec les usagers : les grands programmes peuvent en effet permettre d’accélérer le développement des téléprocédures et constituent un socle souvent indispensable à la modernisation de la gestion administrative. Ainsi, de 2001 à 2012, le programme Copernic de la DGFiP a contribué au développement de la télé-déclaration de l’impôt sur le revenu et de la TVA : grands projets « métier » et téléprocédures sont souvent fortement imbriqués.
Mais l’approche par direction conduit néanmoins à limiter l’investissement consacré aux téléprocédures et à ne pas valoriser leur apport, y compris en termes budgétaires.
Ainsi, le faible degré de priorité accordé aux téléprocédures se traduit dans l’absence de suivi spécifique de ces dépenses : aucune donnée statistique n’est directement exploitable. En extrapolant les données budgétaires fournies, à la demande de la Cour, par les ministères étudiés sur l’ensemble du budget de l’État, on peut néanmoins prendre la mesure de la faiblesse de l’investissement consenti : les crédits consacrés aux téléprocédures représenteraient moins de 300 M€/an pour un budget informatique global d’environ 3,2 Md€ en 2014.
Ces orientations traduisent la prééminence des grandes directions et la prévalence de leurs priorités propres. Celle-ci s’exerce aux dépens des secrétaires généraux des ministères, encore dépourvus de la capacité d’engager des projets de services publics numériques de portée transversale.
Les conséquences ne sont pas négligeables.
Le programme Copernic67 est resté limité aux seuls besoins de la DGFiP alors qu’une approche « usager » - par type de contribuables par exemple - aurait pu conduire à envisager des mutualisations avec la gestion de recettes recouvrées par la Douane. Parallèlement, et malgré l’ampleur et le caractère pluriannuel des moyens consacrés à ce programme, il n’a pas permis de rénover le cœur du système d’information, pourtant en voie d’obsolescence.
Du côté du ministère de l’intérieur, force est de relever la prééminence, dans le domaine de la sécurité, des deux grandes directions générales de la police nationale et de la gendarmerie nationale au regard du pouvoir de coordination dévolu au secrétariat général. Selon le décret du 12 août 2013, la gouvernance des projets informatiques est ainsi partagée entre le secrétariat général d’une part, au sein duquel la direction des systèmes d’information et de la communication est chargée des systèmes d’information du ministère, et le service des technologies et des systèmes d’information de la sécurité intérieure (ST(SI)²) d’autre part. Ce dernier est chargé depuis 2013 de mettre en œuvre la politique des SI dans le domaine de la sécurité intérieure mais aussi de concevoir, de conduire et d’organiser les projets relatifs à la gendarmerie et à la police nationales.
La mise en œuvre des nouveaux principes de gouvernance numérique s’est trouvée retardée par ces situations bien connues.
Ainsi les ministères économiques et financiers n’ont toujours pas de schéma directeur ni de plan d’investissement informatique ministériel. Ils n’ont pas mis en place un suivi précis des moyens au niveau du secrétariat général. Dans l’attente de ce plan, la stratégie de déploiement des téléprocédures ainsi que les éventuelles règles en rendant l’usage obligatoire restent fixées par chaque direction, après concertation avec les représentants des entreprises le cas échéant, mais sans coordination ministérielle. En dehors des textes transversaux en matière de simplification, coordonnés par la direction des affaires juridiques, il n’existe aucune stratégie concertée inter-directionnelle par type d’usagers (particuliers, entreprises).
De même, au ministère de l’intérieur, le passage à des méthodes plus formalisées ne s’est pas accompagné de l’unification de la gouvernance des projets informatiques. Dans plusieurs travaux récents, la Cour a ainsi fait le constat des difficultés de pilotage et de bonne mise en œuvre des projets informatiques au sein du ministère. Elle a notamment attribué la responsabilité de ces déficiences à la pluralité des structures en charge de cette politique, à l’absence de volonté du ST(SI)² de s’inscrire dans une logique ministérielle et à l’absence de connaissance fine des moyens dédiés aux projets. Cette difficulté n’est toutefois pas propre à la DSIC mais se retrouve également dans d’autres administrations d’État comme l’indique un rapport de plusieurs inspections de 201268. La mise en place de la mission de gouvernance ministérielle des SIC, créée en 2013, rattachée au secrétaire général du ministère69, n’a pas encore permis de régler toutes les difficultés liées à la coexistence de deux services informatiques au sein d’un même ministère, ni de mener à bien le chantier des décroisements.
Enfin, cette prééminence des directions se retrouve même dans les modalités de mise en œuvre de dynamiques interministérielles. Ainsi le programme d’investissement d’avenir, s’il permet d’orienter plus sûrement les crédits vers de nouveaux projets et de promouvoir les collaborations entre ministères, préserve dans ses circuits d’instruction l’autonomie des directions et ne donne pas aux secrétariats généraux de rôle de coordination.
Sans avoir nécessairement à revenir sur l’organisation administrative des ministères, dès lors que les dernières réformes sont encore récentes, la mise en œuvre de la politique numérique de l’administration devrait donc être l’occasion de conforter le rôle des secrétariats généraux, seuls à même de porter une vision réellement transversale des enjeux numériques. En particulier, la prise en compte des besoins des usagers communs à plusieurs directions et la nécessité de mettre en place des portails et identifiants communs, renforce le besoin d’une approche commune. Or, en l’absence de levier, notamment budgétaire, les secrétariats généraux peinent à faire progresser concrètement la mutualisation des systèmes d’information ministériels. Il conviendrait de donner une pleine portée au décret du 24 juillet 2014 relatif aux secrétaires généraux des ministères, qui leur confie notamment la responsabilité de « la fonction financière ministérielle » et de « la politique de développement des systèmes d'information »70.
Le déficit de gouvernance du projet de modernisation numérique se retrouve à l’échelle des outils de suivi, tant des budgets que de la gestion des ressources humaines. Ces lacunes font peser des risques sur la pertinence des décisions. Elles affaiblissent l’articulation entre les différents exercices de modernisation et de réforme de l’État – dématérialisation, simplification, réduction de la dépense. Enfin, l’effort d’investissement est insuffisant pour produire à terme un impact significatif sur le coût des services publics grâce au développement des téléprocédures.
Le principe du développement d’outils de mesure de la performance était bien prévu dans le décret de 2011 portant création de la DISIC. Or, en 2015, ces outils ne sont toujours pas déployés.
La dépense informatique concerne désormais une très large part de l’action publique et elle est souvent présentée comme un levier de transformation.
Pourtant, elle n’est que peu documentée, tant dans le cadre des arbitrages budgétaires, que dans la présentation des programmes budgétaires, alors que d’autres dépenses « support » – comme par exemple l’immobilier – font l’objet d’un document de politique transversale annexé au projet de loi de finances. Un document de ce type devrait être élaboré pour la dépense informatique. En son sein, le développement des services numériques pourrait être particulièrement identifié, car ce volet de la dépense informatique est aujourd’hui bien moins détaillé par les projets annuels de performance (PAP) et les rapports annuels de performance (RAP) que les dépenses de fonctionnement courant.
La mise en place du suivi budgétaire au niveau du SGMAP, telle que la prévoit la circulaire du premier ministre de janvier 2015, en constitue la condition préalable : respecter le calendrier de son déploiement, cinq ans après la création de la DISIC, est impératif. Le Parlement doit également avoir les moyens d’exercer pleinement son pouvoir de contrôle.
Selon certaines études internationales, le coût du traitement d’une demande est vingt fois moins élevé à travers un service numérique que par un canal traditionnel71. En Espagne, d’après le ministère des finances72, le coût moyen d’une procédure au guichet par usager est de 80 euros (le coût d’une démarche au guichet comprend de nombreux facteurs, tel que le temps d’attente, les déplacements, l’obligation de se déplacer pendant les heures de travail, etc.). Ce coût est 16 fois supérieur à celui d’une téléprocédure (5 €) : l’économie potentielle du passage à la téléprocédure serait donc de 75 € pour chaque démarche.
En France également, certains projets récents ont fait l’objet d’une étude d’impact détaillée mettant en évidence des gains importants. Ainsi la dématérialisation des factures des fournisseurs des personnes publiques devrait permettre de dégager un gain potentiel de 710 M€ par an (374 M€ pour l’administration et 335 M€ pour les entreprises73) lorsque le dispositif aura été généralisé (2021). De même, le paiement en ligne des amendes a permis des économies estimées à 3,5 M€ par an par la DGFiP, avec une économie potentielle de 7 M€ par an si le taux de paiement par internet atteignait 100 %. Par ailleurs, le paiement en ligne permet de diminuer les espèces détenues dans les trésoreries et les coûts qui y sont liés (transports de fonds et sécurité des locaux), mais également de réduire la charge de travail des équipes dans la gestion du paiement des amendes.
D’autres projets n’ont pu être menés à leur terme. L’article 46 du projet de loi de finances pour 2015 visant à dématérialiser l’envoi de la propagande électorale a ainsi été rejeté. Or, selon un rapport de l’inspection générale de l’administration74, une dématérialisation de 80 % de la propagande permettrait, sur la période 2015-2017, d’économiser 379 M€ soit 126 M€ par an75. Dans ce scénario, les électeurs pourraient consulter la propagande des candidats sur un site internet. 20 % de la propagande continuerait d’être imprimée et serait disponible en mairie pour les personnes ne disposant pas d’une connexion ou du savoir-faire nécessaire pour consulter celle-ci en ligne. Le projet d’une dématérialisation de la propagande électorale, dont les deux premières versions ont été rejetées par le Parlement76, n’est toutefois pas abandonné. Après le succès d’une expérimentation dans cinq départements lors des élections départementales de 201577, le ministère de l’intérieur a mis en place pour les élections régionales une plateforme de consultation de la propagande et des bulletins de vote des candidats dans l’ensemble des régions. Si le bilan en est positif, le dispositif gagnerait à être proposé à nouveau au Parlement et étendu à l’ensemble des élections. La Cour appuie une telle demande. S’il existe bien des données de comptabilité analytique associées aux projets de dématérialisation, la démarche n’est ni systématique ni agrégée, ce qui ne facilite pas la hiérarchisation de ce type de projets dans les arbitrages budgétaires. En la matière, la France marque un réel retard.
Ainsi, à partir des données issues de la comptabilité analytique, le Royaume Uni a avancé des données globales associées à la modernisation numérique. Il a, par exemple, évalué à environ 2 Md € l’économie annuelle qui serait générée par un doublement du taux de recours aux services numériques des particuliers. Ce taux tendrait alors vers les 80 % de la population pour lesquels il n’est pas identifié d’obstacle aux démarches en ligne78. Le coût moyen de traitement, le volume et le taux de dématérialisation de la plupart des procédures sont suivis dans ce pays au niveau central et sont rendus publics. L’agrégation de ces données fait ressortir des économies majoritairement liées aux réductions ou réallocations d’effectifs (77 %).
économies liées à la dématérialisation des services au Royaume Uni
Source : Gouvernement du Royaume Uni, Digital efficiency report, novembre 2012
En France en revanche, les lacunes du système de suivi budgétaire, qu’il soit global ou analytique, rendent impossible l’analyse précise de l’impact des services publics numériques sur le coût de fonctionnement de l’administration. Sur la base des données budgétaires disponibles, il est néanmoins possible de relever que l’investissement dans les services publics numériques reste limité au regard de l’impact qui pourrait en être retiré.
Les téléprocédures se développent en cohérence avec les orientations générales tant techniques que financières des systèmes d’information de l’État, mais leur caractère récent et leur poids modéré limitent les données disponibles sur ce domaine précis. Les caractéristiques communes à l’ensemble des domaines des systèmes d’information seront donc analysées dans un premier temps avant d’y situer plus spécifiquement les téléprocédures.
L’effort budgétaire en faveur des systèmes d’information reste modéré en France au regard des autres pays de l’OCDE.
dépenses informatiques en pourcentage des dépenses de l’État, au sein de l’OCDE
Source : Enquête de l'OCDE sur les dépenses en matière de TIC, 2010-2011 (données 2008 pour la France)
Les faiblesses du suivi budgétaire empêchent un chiffrage précis. Le dernier rapport parlementaire sur l’informatique de l’État79 évaluait la dépense en 2004 à 2,3 Md€, soit 0,9 % du budget de l’État. Elle serait d’environ 3,2 Md€ en 2014, soit 1 % du budget de l’État.
Compte tenu de l’absence de généralisation d’une analyse précise de l’efficacité de cette dépense, la contrainte qui s’exerce sur la dépense publique peut conduire les responsables de programme à reporter ou étaler dans le temps les dépenses relatives aux projets de dématérialisation des procédures. Ces projets présentent en effet la double caractéristique de coûter immédiatement sans que le retour sur investissement ne soit perceptible pendant la phase de développement et de pouvoir être fortement réduits sans conséquence sociale. En effet, les réductions de dépenses affectent les contractants de l’État et non les agents. Dès lors, la tentation est grande pour les responsables de programmes, confrontés aux réductions des crédits, de limiter les investissements en-deçà du niveau nécessaire à l’amélioration de l’efficience de la gestion. Ce choix équivaut à privilégier des économies à court terme de faible montant, plutôt que de maintenir une dépense porteuse d’une économie plus importante mais devant être réalisée seulement à long terme. Ainsi les crédits informatiques relatifs aux impôts des particuliers ne représentent que 1 % du coût de leur gestion80, constitué à 78 % de masse salariale. Entre 2014 et 2015 cette dernière a diminué de 3 % alors que les crédits informatiques ont baissé de 66 %, pour les impôts des particuliers. Sur ce même champ, l’investissement n’est que de 150 000 € pour 2015.
De manière générale, la dématérialisation déforme la traditionnelle courbe des coûts décroissants en fonction de la longueur des séries, en une courbe de production en équerre avec un fort investissement sur l’innovation et le prototypage, et des coûts de reproduction quasi-nuls81.
Les arbitrages en faveur du court terme ont pour conséquence de maintenir un nombre élevé d’agents affectés à l’accueil ou à la saisie manuelle de données alors que les systèmes d’information auraient pu être développés pour automatiser ces tâches. L’analyse de la répartition de la dépense informatique de l’État en fonction de la nature de la dépense, effectuée à partir des éléments budgétaires communiqués par les secrétariats généraux et la direction du budget illustre ce point.
Le graphique ci-dessous montre qu’au sein des budgets informatiques, l’arbitrage est de nouveau favorable à la dépense de personnel au détriment de la dépense de fonctionnement et d’investissement. Si le niveau de dépense de personnel peut traduire une ré-internalisation - qui est effectivement menée, par exemple à la DGFiP -, son maintien traduit plus sa rigidité qu’une véritable stratégie. Au demeurant, la réduction de l’externalisation à partir d’un niveau en général déjà assez faible éloigne encore plus la France des niveaux constatés à l’étranger. Il est donc peu probable que cette évolution à la baisse des dépenses informatiques hors personnel soit favorable au développement de nouvelles téléprocédures.
évolution des dépenses informatiques de l’État (Md€)
Source : Cour des comptes, d’après données direction du budget
En fait, la France est l’un des pays de l’OCDE dont la dépense informatique de l’État est la plus intensive en dépenses de personnel :
part des dépenses informatiques consacrées aux ressources humaines
Source : OCDE, Atelier sur les indicateurs de l’administration électronique, décembre 2012
Les dépenses de personnel sont devenues majoritaires par rapport aux dépenses de fonctionnement et d’investissement depuis 2010, du fait de la diminution de ces dernières et de la rigidité de la masse salariale, qui a continué à progresser, notamment du fait de la hausse du coût des pensions. Cette analyse se confirme pour les deux ministères étudiés.
dépenses informatiques des ministères économiques et financiers82 (M€)
Source : Cour des comptes, d’après données ministère des finances
dépenses informatiques du ministère de l’intérieur en M€
Source : Cour des comptes, d’après données ministère de l’intérieur
Comme le montre toutefois le tableau ci-dessous, portant sur les directions du ministère de l’économie et des finances, les évolutions peuvent être plus contrastées au sein des ministères. La Douane a augmenté ses moyens de fonctionnement et d’investissement informatiques afin de rattraper son retard, alors que la DGFiP, partant d’un niveau nettement plus élevé, suit la tendance générale.
évolution des crédits de fonctionnement et d’investissement informatiques des administrations financières
M€ | 2010 | 2011 | 2012 | 2013 | 2014 | 2014/2010 |
DGFiP | 299 | 277 | 242 | 245 | 212 | - 29 % |
DGDDI | 27 | 26 | 28 | 37 | 40 | + 48 % |
Source : Cour des comptes, d’après données ministère des finances
La Douane a en effet longtemps concentré son investissement sur les moyens aéro-maritimes de surveillance au détriment des investissements informatiques83. Les applications informatiques de gestion des droits indirects étaient devenues de ce fait obsolètes et se caractérisaient par la dématérialisation insuffisante de nombreuses tâches de gestion84. À rebours de la plupart des administrations comparables des pays voisins de l’Union européenne, les données d’assiette et de liquidation des taxes gérées par la DGDDI sont encore trop souvent saisies, non par les contribuables professionnels sur internet mais par les services à partir de déclarations adressées par les redevables en format papier. La DGDDI a pris acte de son retard par rapport à ses homologues étrangers dans son projet stratégique douanier « Douane 2018 » (novembre 2013). Sur vingt actions, quatre visent à compléter et améliorer l’offre de service dématérialisée : fiscalité des transports, taxe générale sur les activités polluantes, fiscalité viticole, mise en cohérence des applications. Concomitamment, le budget d’investissement informatique a nettement progressé, qui passe de 10 à 14 M€. Étant donné le retard encore important en matière de dématérialisation des contributions indirectes, cette réorientation doit être maintenue.
Cependant, la diminution des dépenses informatiques, hors masse salariale, prévue par la circulaire du Premier ministre du 20 janvier 201585 risque d’accroître encore le poids des dépenses de personnel au sein de la fonction informatique. Il est indispensable d’envisager cette contrainte de manière moins mécanique. Elle peut certes inciter à mieux orienter les choix d’investissement mais il aurait été préférable de rationaliser les dépenses, y compris de personnel, en tenant compte du taux de rentabilité interne des projets envisagés.
Le programme investissements d’avenir a ouvert fin 2014 un fonds dédié à la transition numérique de l’État. Doté de 126 M€, il a alloué 7,5M€ en 2015 à 42 projets dont 12 concernent des téléprocédures. Ces crédits n’étant pas inscrits dans les programmes annuels de performance des ministères, on peut craindre un manque de lisibilité sur l’attribution et la consommation des crédits.
Certains services de l’État fonctionnent encore en utilisant des langages informatiques qui remontent aux années 197086. Ces applications archaïques coûtent cher à entretenir, d’autant que les personnels qui maîtrisent ces formats se font de plus en plus rares. Le coût de maintien opérationnel de ces systèmes augmente chaque année : c’est ce qu’on appelle « la dette technique de l’État ».
Le budget des systèmes d’information du ministère de l’intérieur est ainsi marqué par une rigidité significative, puisque 75 % sont dédiés à la continuité du fonctionnement, alors que le taux moyen des autres départements ministériels est de l'ordre de 60 %87.
À la Douane de même, le développement de nouvelles solutions applicatives n’est pas facilité par la structure historique du système d’information centrée sur le référentiel ROSA, base de données de l’ensemble des opérateurs en lien avec la Douane, encore récemment sous Windows 2000. Les applications de relation à l’usager dépendant de ce référentiel ayant plus de 15 ans, elles ne peuvent être que difficilement modernisées.
Cette hausse du coût de la dette, dans un contexte où les budgets sont en décroissance, crée un effet de ciseaux : le coût de la maintenance des applications anciennes de gestion interne des processus administratifs contribue à ralentir le développement et l’amélioration de nouveaux services numériques aux usagers.
Même s’il n'existe pas de suivi systématique des dépenses informatiques contribuant au développement des services publics numériques, les données disponibles permettent de constater que les montants consacrés aux services numériques sont très faibles : environ 4 % du montant de l’investissement pour les nouveaux projets du ministère de l’intérieur (soit de l’ordre de 3 M€/an)88, et moins de 10 % au ministère des finances selon un chiffrage informel transmis par les services (soit de l’ordre de 4 M€/an)89. En extrapolant ces données et estimations partielles, il est possible d’estimer que les téléprocédures ne représenteraient pas plus de 300 M€ sur les 3,2 Md€ de dépenses informatiques de l’État.
La comparaison avec les banques est éclairante : comme l’administration, elles sont devenues très dépendantes de l’informatique et ont également essuyé des échecs importants dans leurs grands projets de refonte interne. Elles se réorientent toutefois rapidement aujourd’hui vers la modernisation de leurs relations avec leurs clients, en se consacrant à des projets plus modestes mais plus aisés à mettre en œuvre et plus tangibles pour leur clientèle. Par exemple, la Société Générale a abandonné début 2015 son projet de fusion des systèmes d’information de ses réseaux bancaires lancé en 201090. Les moyens ainsi libérés, environ 75 % des investissements informatiques annuels, ont été réorientés vers des services numériques de relation avec les clients. La forte évolution des pratiques de ces derniers a ainsi accéléré la transformation de leur relation avec la banque : en 2015, ils sont 76 % à effectuer des opérations bancaires sur l’Internet fixe, contre 24 % en agence et 21 % sur l’Internet mobile (+5 points depuis 2014)91.
Le conseiller bancaire est entré dans une logique d'écran partagé avec son client, ce qui modifie la structure de son poste de travail. De même le développement des services numériques dans l’administration commence à faire évoluer le poste de travail vers un double écran, ce qui améliore les conditions de travail des agents, mais cette évolution doit encore être généralisée afin de pouvoir achever la bascule numérique.
Une réallocation semblable des moyens semble désormais indispensable pour l’État. Elle devrait être rendue possible par une meilleure identification des crédits dédiés aux téléprocédures au sein des budgets informatiques.
L’adaptation au numérique concerne tous les fonctionnaires. En effet, l’essor de cette technologie s’accompagne de modifications des organisations (travail en équipe ou en réseaux, autonomie des agents, assouplissement des lignes hiérarchiques) qui touchent le secteur public comme l’ensemble des secteurs d’activité. Cette évolution peut « conduire à de nettes améliorations (travail facilité, voire enrichi, réduction du temps consacré à la gestion documentaire au profit du temps de contact avec le public, etc.) » mais aussi à « détériorer les conditions de travail (contrôle accru des tâches et des missions, isolement au travail) »92. S’ajoutent à ces inconvénients l’instantanéité des consignes, l’augmentation du rythme, la traçabilité de toutes les opérations et donc le renforcement du contrôle de l’activité93.
C’est pourquoi, certains pays européens étudiés (voir annexe) ont prévu un programme interministériel ambitieux de formation aux conséquences du numérique sur l’organisation administrative, en ciblant plus spécialement l’encadrement supérieur de tous les ministères (ex : séminaires GDS au Royaume-Uni). A contrario, cette action n’est pas développée en France, à l’exception d’une table ronde numérique organisée en 2015 par la DINSIC au séminaire des directeurs d’administration centrale.
Il est ainsi surprenant de constater que les grands projets transversaux portés par le SGMAP (autour de la notion d’État-plateforme) ne s’accompagnent pas d’un tel programme de formation et de suivi, bien que le SGMAP lui-même souligne l’importance de cette dimension dans la conduite de projets aussi novateurs. Interrogés, les services du Premier ministre estiment que cette dimension relève de l’unique responsabilité des ministères et que l’acculturation des administrations aux téléprocédures et la mise en place de l’État plateforme se réaliseront moins par l’impulsion hiérarchique que par la promotion de projets expérimentaux concrets par des équipes informatiques pionnières au sein des administrations94. Cette vision, bien repérée dans les processus d’innovation, intervient néanmoins tardivement par rapport à l’engagement de l’État dans une démarche de modernisation numérique qui supposerait d’avoir déjà dépassé le stade des pionniers. En tout état de cause, l’absence de programme concerté, de propositions méthodologiques et d’appréciation de la capacité des ministères à prendre en charge cette question y compris dans ses incidences budgétaires constituent une véritable lacune.
L’adaptation de la fonction publique au numérique implique aussi des évolutions dans la gestion des corps d’informaticiens de l’État. Or elles sont restées limitées jusqu’à présent.
La France est, comme vu supra, l’un des pays de l’OCDE dont la dépense informatique de l’État est la plus intensive en dépenses de personnel. La DISIC a parmi ses missions la bonne gestion des compétences informatiques de l’État. Pour autant, il n’existe pas de filière informatique interministérielle.
Si des qualifications communes sont énoncées dans un décret de 1971, chaque ministère, et même chaque direction d’administration centrale gère de manière autonome ses informaticiens. Les concours de recrutement de fonctionnaires sont organisés indépendamment par chaque administration. Les régimes indemnitaires, bien que soumis aux catégories de qualifications établies par le décret de 1971, ne sont pas harmonisés. Tous les informaticiens sont rattachés à un corps et un grade d’un des corps du ministère et leur qualification supplémentaire leur donne accès à un régime de primes particulier. Le nom des métiers exercés prend dès lors des appellations différentes selon le corps auquel est rattaché le fonctionnaire. Ainsi un personnel de catégorie B programmeur de systèmes d’exploitation sera appelé technicien des systèmes d’information et de communication au ministère de l’intérieur et contrôleur des finances publiques programmeur à la DGFiP. En 2011, la DGME a dénombré environ 40 000 agents affectés à des activités en lien avec les SI, répartis dans une centaine de corps différents95.
Si la question des intitulés n’est pas en soi déterminante, cette situation crée néanmoins plusieurs difficultés en matière de gestion prévisionnelle des emplois publics et d’adaptation des métiers de la fonction publique :
un manque d’attractivité pour les postes de haut niveau et de perspectives de déroulement de carrière ;
l’absence de taille critique : si elle est atteinte dans certains cas comme à la DGFiP où travaillent quelque 5 000 informaticiens, elle ne l’est pas par exemple à la Douane ou au ministère de l’intérieur, ce qui rend la gestion des ressources humaines particulièrement complexe ;
l’incapacité à faire face à des besoins nouveaux, en permanente mutation, par la formation continue et le recrutement ;
une insuffisante identification des 16 métiers du domaine fonctionnel « systèmes et réseaux d’information et de communication » dans le répertoire interministériel des métiers de l’État (RIME) qui sera refondu à partir de 2016.
L’impact des fonctions nouvelles met particulièrement en relief les insuffisances des systèmes de gestion des ressources humaines.
Les corps de fonctionnaires des filières informatiques ont en effet été constitués à l’origine pour créer et maintenir des applications de gestion interne. Les nouvelles compétences associées au déploiement des services numériques n’ont pas été formellement intégrées dans les fonctions des informaticiens de l’État, qui restent régies par le décret de 1971, non modifié depuis 1989 malgré les demandes récurrentes de mise à jour exprimées par les directions ministérielles. Certains volets de ce décret apparaissent en décalage par rapport aux besoins actuels96. Dans certains cas, dès le concours, le décalage existe entre les épreuves de sélection et les besoins. Le résultat de cette situation est que les fonctions nouvelles ne peuvent pas toujours être remplies par les agents en place, qu’il s’agisse de la gestion des applications, du contrôle de la qualité et de la régularité des prestations dématérialisées, de la conduite des projets de dématérialisation, ou du développement des sites sous l’angle de la facilité d’utilisation pour les usagers (ergonomes, webmestre et experts « UX »)97 ou d’audit des algorithmes d’exploitation des données de masse.
La nécessité de cette dernière fonction s’impose dans la continuité de la création de la fonction d’administrateur général des données98. Ces auditeurs auraient vocation à contrôler la bonne transposition de la législation dans les programmes informatiques. En effet un nombre croissant de décisions publiques sont désormais prises ou prédéfinies par des algorithmes qui, sur la base des éléments déclarés par les administrés, leur communiquent la décision qui découle des règles de gestion définies par l’administration, sur la base des lois, règlements et circulaires. On peut citer par exemple la procédure d’admission post bac99 ou le simulateur d’aides ».
Pour faire face à des besoins en constante évolution, et si l’on écarte un recours trop important à l’externalisation (voir infra en C), les administrations doivent arbitrer entre concours et recrutements de contractuels. Les concours, soit généraux avec spécialisation ultérieure des lauréats, soit spécialisés, sont peu attractifs ne serait-ce qu’à cause du délai entre la réussite au concours et l’entrée effective dans le corps, qui peut aller jusqu’à deux ans. De plus, ces concours figent des choix de recrutement qui peuvent s’avérer rapidement inadaptés. Le recrutement d’agents contractuels est quant à lui coûteux compte tenu du faible niveau de chômage dans les métiers de l’informatique et de la nécessité de s’aligner de ce fait, au moins en début de carrière, sur les prix du marché.
Face à ces difficultés, des mesures statutaires internes à la fonction publique doivent être envisagées. Le rattachement des informaticiens à un corps ministériel est l’une des options possibles.
Cette option repose sur une logique de cohésion interne et privilégie la connaissance des métiers de l’administration d’appartenance. Elle a la faveur des organisations syndicales qui lui donnent la préférence par rapport à l’élargissement du vivier qu’apporterait un corps interministériel. Elle soulève néanmoins des difficultés, notamment en termes de formation : le passage obligatoire dans ce cadre de concours internes, dont les épreuves sont majoritairement de nature juridique, paraît inadapté et interdit de facto aux informaticiens de bénéficier des mécanismes de promotion interne. Pour parer cet écueil et se doter d’outils de pilotage, le ministère de l’intérieur a rénové le statut des ingénieurs en technologies de l’information et de la communication, notamment en revalorisant leur rémunération et leur déroulement de carrière (voir ci-après). Il existe donc des solutions qui mériteraient d’être généralisées.
La création d’un corps interministériel d’informaticiens à gestion ministériel (CIGeM), par fusion de corps spécialisés et intégration des agents relevant de différents corps administratifs est une seconde possibilité.
Cette option permettrait de constituer un vivier de compétences interministériel. Le modèle statutaire serait celui du corps interministériel des attachés d’administration de l’État. Un corps interministériel à gestion ministérielle relève du Premier ministre mais la nomination et la gestion des membres est déléguée à l’autorité de rattachement auprès de laquelle sont affectés ces personnels100. Une commission administrative paritaire (CAP) est placée auprès de chacune de ces autorités de rattachement. Il n’existe pas de CAP interministérielle nationale. Les crédits de rémunération de ces agents sont affectés aux les ministères qui les emploient mais le recrutement, la formation continue et les affectations et mobilités dans les différents ministères relèveraient de la DGAFP en lien avec le SGMAP. L’existence de ce corps unique serait a priori de nature à accélérer la diffusion des bonnes pratiques dans les différentes administrations, relaierait les priorités de la stratégie informatique du gouvernement et assurerait la cohérence des initiatives directionnelles et ministérielles en matière de téléprocédures (solutions techniques compatibles, portail commun, principe du « dîtes-le nous une fois »).
La possibilité de créer un corps interministériel est évoquée depuis une dizaine d’année mais n’entre pas dans les faits en raison de l’absence de consensus entre les différentes directions concernées, notamment de la DGFiP qui souhaite conserver son corps spécifique d’inspecteurs des finances publiques analystes. Le niveau d’interministérialité a même régressé. En effet, en raison de ses trop faibles effectifs (12 en 2006101), le concours d’attaché d’administration analyste a été fermé en externe et ces postes réservés aux contractuels. De même, le corps des polytechniciens Télécoms, qui a pourtant constitué l’armature d’encadrement de l’informatique d’État depuis quarante ans, a été intégré dans le corps des mines.
Toutefois, à l’occasion de la revalorisation du corps des informaticiens du ministère de l’intérieur, a été adopté le décret n° 2015-576 du 27 mai 2015102 portant statut particulier du corps des ingénieurs des systèmes d'information et de communication (SIC). Ce décret crée un corps de fonctionnaires qui bien que relevant du ministre de l'intérieur a une vocation interministérielle. Les jeunes diplômés (bac +5 : diplôme d’ingénieur ou master 2 dans le domaine des SIC) ainsi recrutés pourront se voir affecter dans tous les services de l'État, ses établissements publics ou autorités administratives. L'organisation en cours du premier concours externe d'ingénieur consécutif à la publication du nouveau statut a donné lieu à l'ouverture de postes au sein de quatre ministères, outre le ministère de l'intérieur, ministères associés à l'élaboration d'une charte commune de gestion. Ainsi, à titre expérimental, les ministères économiques et financiers affecteront dans leurs services en 2016 quatre informaticiens recrutés dans ce nouveau corps (un en administration centrale et trois à la douane).
Ce cadre interministériel ayant été créé par ce décret, il conviendrait a minima d’intégrer dans ce nouveau corps tous les informaticiens de l’État répartis aujourd’hui dans les différents corps ministériels mais qui n’y constituent pas un nombre suffisant pour permettre une gestion dynamique, en termes de renouvellement de compétence et de déroulement de carrière. Cette intégration ne peut se réaliser uniquement par le flux des nouveaux recrutements mais devrait également être réalisée par l’absorption progressive au sein du corps des ingénieurs des systèmes d'information et de communication des informaticiens actuellement rattachés à leurs divers corps ministériels.
Les rares ministères ou directions (DGFiP) disposant d’une taille critique de gestion satisfaisante pourraient dans un premier temps conserver leur organisation actuelle.
Le recours à la sous-traitance est inhérent à la conduite des projets informatiques, qui mobilisent des corps de métier d’une grande technicité. Il est très répandu au sein de l’OCDE.
recours à l’externalisation informatique au sein de l’OCDE
Source: OECD Survey on Digital Government Performance (2014)
Note de lecture : 50 % des États externalisent entre 80 et 100 % de leur informatique
En France, l’équilibre entre compétences internes et recours à la sous-traitance varie fortement suivant les ministères et les directions pour une moyenne qui, au regard de la comparaison internationale, paraît très faible puisqu’elle s’élève à 10 %. Il n’y a pas de données suivies solides et la question de l’externalisation est trop souvent superposée à celle de la contractualisation. Cette superposition est bien sûr trompeuse, car les contractuels intégrés à l’organisation interne des services ne sauraient être assimilés à des sous-traitants et n’emportent pas les mêmes conséquences en termes d’indépendance des administrations.
taux de contractuels sur des fonctions informatiques
Source : Cour des comptes, d’après données DISIC, 2012
S’agissant du recours à la sous-traitance, on peut néanmoins exploiter les informations transmises par les services eux-mêmes.
Ainsi, la DGFiP a fait le choix de développer ses outils pour l’essentiel en interne. Elle ne dépend qu’à hauteur d’environ 20 % de l’externalisation pour lancer de nouveaux projets. Cette option stratégique peut être appliquée grâce à l’existence, de longue date, d’un des plus importants contingents d’informaticiens de l’administration. À l’opposé, le Danemark a externalisé 80 % de son informatique fiscale. La Douane a opéré de son côté un récent rééquilibrage, afin d’internaliser une partie des projets en renforçant ses compétences internes et en basculant sur des logiciels libres. Ce choix permet de réduire les coûts et de ne pas dépendre de prestataires pour les projets prioritaires et pour des technologies que l’administration ne maîtriserait pas.
Lorsqu’il n’est pas maîtrisé, le choix de l’externalisation soulève le problème de la perte des compétences et de la dépendance vis-à-vis du fournisseur, et peut constituer une « erreur stratégique (risque de perte de maîtrise à moyen terme de la conception et de l’architecture d’ensemble), à un moment où l’informatique est devenue le principal outil de production de l’État, et où les données sont devenues un enjeu de souveraineté103 ».
Le ministère de l’intérieur a ainsi rencontré de grandes difficultés pour mener à bien d’importants projets104, dont certains ont dû être abandonnés, en partie voire même en totalité. Pour surmonter leurs insuffisances dans le domaine de la maîtrise d’ouvrage, les directions « métiers » recourent souvent à des cabinets de conseil en systèmes d’information, chargés de les accompagner dans des missions de base de la gestion de projet. Par ailleurs, les ressources humaines intervenant sur les applications relèvent aujourd’hui pour un tiers de prestataires extérieurs, ce taux moyen d’externalisation étant très disparate d’un ministère à l’autre, voire d’un projet à un autre. Par exemple, en 2013-2014, parmi les personnes travaillant au sein de la direction des systèmes d’information et de communication, 17 étaient des personnels des prestataires et 29 étaient des exploitants issus de la sous-direction de la supervision et de la production. La préservation de la mémoire indispensable à la transmission de la connaissance n’est plus assurée.
Les pays qui recourent davantage que la France à l’externalisation semblent en dresser un bilan plutôt négatif105. Ainsi, au Royaume-Uni et au Québec les défaillances dans les grands projets informatiques des années 2000 ont été en grande partie imputables à l’externalisation excessive et à la dilution des responsabilités qui s’en est suivie, notamment dans la définition des besoins. Le suivi des relations contractuelles n’a pu limiter les risques. Finalement, ces pays font le constat d’une dérive importante des budgets. Le coût de développement de l’informatique publique au Royaume Uni, ramené au PIB, est le double de la moyenne européenne. De ce fait un programme de ré-internalisation a été engagé.
A contrario, le choix de l’internalisation quasi-totale, tel que le pratique en France la DGFiP mais également de grandes entreprises internationales interagissant avec leurs clients principalement via Internet, peut limiter le renouvellement des compétences et l’innovation. De plus, il se révèle contraignant en termes de recrutement et ne permet que difficilement de bénéficier des compétences les plus pointues dans des délais compatibles avec les projets.
En fait, les craintes d’une perte d’autonomie, exprimées de manière radicale par les services et notamment par la DISIC, ne sont pas toutes justifiées au vu des données quantitatives propres à la France. Une approche qualitative est indispensable pour peser les avantages et inconvénients de l’externalisation selon la nature de la dépense (développements propriétaires, achat de licences, compétences de maîtrise d’ouvrage, application de gestion utilisée par un grand nombre d’acteurs ou application métier spécifique et critique pour l’exercice d’une mission de service public …). Si le taux d’externalisation peut constituer un risque en lui-même, le risque provient également de la façon dont l’externalisation est réalisée. Les compétences techniques internes à l’administration doivent être mobilisées de façon suffisante pour piloter efficacement le prestataire, la réversibilité doit toujours rester possible et les clauses contractuelles ne doivent pas priver l’administration des droits de propriété intellectuelle sur les produits des travaux. Un équilibre entre internalisation et externalisation est souhaitable et doit être appréhendé de manière fine. Il suppose en tout état de cause le déploiement d’une GPEC plus performante.
CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS
La création en 2011 de la DISIC (devenue DINSIC), puis celle en 2012 du SGMAP marquent une étape importante dans le déploiement d’une politique de modernisation numérique de l’État. Les services du Premier ministre ont alors repris la conduite de cette démarche, établissant un équilibre satisfaisant entre le maintien indispensable dans chaque ministère de ses compétences dans ce domaine et un pilotage interministériel solide. La centralisation affirmée des outils de suivi, du cadre stratégique et des référentiels est un gage d’efficacité ; la prise en compte des besoins des usagers est inscrite dans la méthodologie de conduite des projets, marquant une évolution positive de la conception de cette politique. Ces changements sont le signe d’une réflexion aboutie et adaptée. Mais, sur le plan de la gouvernance transversale, la recherche d’une stabilisation doit désormais, et avant tout, être la priorité. Elle est seule de nature à en garantir l’efficacité dans son rôle d’impulsion vis-à-vis de l’ensemble des services administratifs.
Concernant les outils de déploiement des services publics numériques, le cadre stratégique commun mis en place en 2012 représente un réel progrès. Le recours à la méthode d’analyse des projets MAREVA, déjà mise en œuvre par les ministères économiques et financiers pour les gros programmes de gestion, s’étend peu à peu aux autres administrations et aux autres investissements informatiques. Le suivi budgétaire des dépenses informatiques de l’État, mal assuré jusqu’ici, devrait être enfin renforcé à partir de 2016 en application de la circulaire du Premier ministre du 20 janvier 2015. Des progrès sensibles ont donc été réalisés.
En revanche, en termes de déclinaison du projet de modernisation numérique de l’État, la Cour constate que les grandes directions dans les ministères continuent de faire prévaloir leurs priorités propres, au détriment d’une démarche plus transversale. La Cour recommande à ce titre de renforcer le rôle des secrétaires généraux, au niveau desquels peuvent être pris en compte les besoins des usagers communs à plusieurs directions, et mis en place des portails et identifiants communs.
De même, la traduction de l’affichage d’une politique volontariste de modernisation numérique ne se retrouve pas dans les choix budgétaires opérés. La dépense en matière de services publics numériques n’est d’ailleurs pas véritablement suivie. La structuration de la dépense informatique n’est elle-même pas propice au développement des téléprocédures. Le cadre d’arbitrage budgétaire est contraint, compte tenu notamment du poids des charges de personnel, et n’est pas appréhendé dans une perspective stratégique. Au regard des données disponibles, le retard en matière de services publics numériques peut s’expliquer par un arbitrage défavorable aux dépenses d’investissement dans un contexte de nette diminution des budgets informatiques hors dépense de personnel et mise à jour des systèmes existants. Ce constat révèle une préférence implicite pour les économies de court terme sans impact structurant sur le niveau de dépense de l’État, aux dépens d’économies à moyen ou long terme.
Par ailleurs, la dématérialisation des procédures administratives modifie en profondeur l’organisation et le travail des services publics et donc à terme la gestion des ressources humaines. Cette mutation a été insuffisamment prise en compte au sein de l’État dans la formation des cadres et dans le recrutement, la gestion de carrière et l’emploi des métiers d’informaticiens. L’internalisation ou l’externalisation du développement de nouvelles téléprocédures s’apprécie au cas par cas mais le pragmatisme de la démarche doit s’appuyer sur une stratégie de sous-traitance qui reste à élaborer. La dimension interministérielle des ressources humaines doit être renforcée, notamment au travers du corps des ingénieurs des systèmes d'information et de communication.
Globalement, la transformation numérique des procédures apparaît donc davantage comme subie que comme moteur de la transformation de l’État. Une meilleure articulation entre les différents exercices de modernisation serait de nature à créer une dynamique favorable tant à l’administration qu’à ses agents et aux usagers.
Au total, l’absence de lien raisonné entre numérisation et modernisation de l’organisation des services administratifs, l’absence de vision dynamique de la gestion des ressources humaines, l’absence de conception d’ensemble des changements et réformes potentiellement induits par la généralisation des téléprocédures accentuent la perception négative d’un développement subi ou du moins mal maîtrisé des téléprocédures. Un changement de logique, analogue à celui enregistré dans le cas de la télé-déclaration dans le domaine fiscal et plus récemment pour le déploiement du projet « préfectures nouvelle génération », qui peuvent susciter l’adhésion des agents, doit être clairement opéré pour que le développement des services publics numériques devienne un levier de la modernisation de l’État.
La Cour formule les recommandations suivantes :
Les fondements d’un véritable changement de perspective et d’approche dans la logique de modernisation numérique de l’État sont aujourd’hui en place. Les usagers sont de plus en plus pris en compte dans le développement des services. Plutôt qu’une approche descendante centrée sur la simplification des missions des administrations, retenue dans les années 1990, les ministères partent depuis les années 2000 des besoins des usagers, recueillis par exemple à l’occasion de sondages ou d’ateliers usagers106, pour développer ou améliorer les services en ligne. La prise en compte du parcours que doit réaliser l’usager à l’occasion d’un événement de vie, qu’il s’agisse d’un usager individuel (« je perds mon autonomie », « je scolarise mes enfants », « j’accède à la propriété ») ou d’une entreprise107, conduit à appréhender ensemble la procédure qu’il s’agit de dématérialiser (téléprocédure) et les services complémentaires qui permettent d’en faciliter ou d’en simplifier le déroulement pour l’usager (télé-services).
Il devient donc envisageable de ne plus considérer les canaux numériques comme des modes complémentaires d’accès aux démarches administratives – ce qui a pour conséquence, comme l’analyse de l’impact des réformes engagées en France depuis plusieurs décennies en témoigne, d’en limiter et d’en retarder l’effet – mais d’en généraliser l’usage afin d’en faire un instrument efficace de la modernisation de l’État.
Une telle démarche est novatrice en ce qu’elle ne considère pas la fracture numérique, exposée dans le premier chapitre, comme un frein en soi qu’il faudrait lever intégralement avant toute extension des téléprocédures, mais comme une inégalité qu’il convient de traiter et de chercher à réduire à l’occasion de la généralisation des services publics numériques, notamment par des mesures d’accompagnement adaptées. C’est cette logique qui prévaut dans les pays étudiés par la Cour qui sont parvenus à généraliser les services publics numériques et à tirer tous les bénéfices de cette démarche.
Ce changement de perspective mérite à tout le moins d’être appréhendé comme une option possible pour l’État (I), à la mise en œuvre de laquelle les conditions de réussite doivent être clairement examinées, qu’il s’agisse de lever les obstacles à l’utilisation optimale du numérique (II), d’examiner les améliorations qu’il conviendrait d’apporter à l’offre de services (III) ou d’identifier les besoins et les préoccupations des usagers qu’il faudra impérativement prendre en compte (IV).
L’enjeu crucial consiste aujourd’hui à exploiter pleinement les ressorts des évolutions et des investissements engagés pour faire du numérique un véritable levier de modernisation, tant du fonctionnement même des services que des relations de l’État entre l’État et les usagers. Sous ces deux angles, l’impact des services publics numériques demeure limité s’ils ne sont déployés qu’à titre subsidiaire : tant que le choix restera possible entre les canaux traditionnels (physique, courrier papier, téléphone) et les canaux numériques (Internet, tablettes, smartphones), une part importante des usagers préfèrera les premiers, plus connus donc plus rassurants. Or, le maintien de cette dualité emporte une double conséquence : les économies attendues dans le fonctionnement des administrations sont réduites du fait du maintien d’une offre de services dont la gestion est plus coûteuse ; dans la mesure où l’État ne le fait pas lui-même, les usagers ne sont pas incités à s’inscrire pleinement dans la logique d’une démarche dématérialisée.
La voie alternative consiste donc à faire progressivement du numérique le mode d’accès de droit commun aux démarches administratives. Elle n’exige pas de nouveaux investissements de grande ampleur, mais requiert plutôt de rentabiliser ceux qui ont d’ores et déjà été consentis, dans un souci d’efficacité et d’efficience.
Ce changement d’optique ne signifie pas qu’aucun autre mode d’accès à l’administration ne soit plus envisageable, ni qu’aucune condition – notamment de progressivité et d’accompagnement des usagers – ne doive être remplie. Mais, au vu des résultats insuffisants obtenus jusqu’à présent et des expériences positives conduites, en France108 comme à l’étranger, en termes d’obligation de recours à des procédures dématérialisées, une telle perspective constitue une option sérieuse.
Le Danemark a rendu obligatoire 10 procédures en 2012 (ex : changement d’adresse, permis de chasse), puis 29 en 2013 (ex : demande de passeport ou de casier judiciaire, impôt sur le revenu, etc.), 27 en 2014 (ex : demandes d’état civil ou de pension publique …) et 25 en 2015 (ex : demande de prorogation de permis de séjour) soit 91 au total à ce jour. Afin d’optimiser cette bascule vers une relation avec l’administration dont le droit commun serait le numérique, le parlement danois a voté en juin 2012 une loi rendant obligatoire, en 2013 pour les entreprises, et en 2014 pour les particuliers, l’utilisation d’une messagerie électronique unique de contact avec l’administration. Un décret a fixé la liste des catégories de citoyens pouvant demander une exemption, à savoir les personnes ayant un handicap les empêchant d’utiliser un ordinateur, les personnes qui n’ont pas un accès internet à leur domicile et les personnes ayant des difficultés de maîtrise du danois.
Les citoyens n’ayant pas obtenu une exemption et ne s’étant pas spontanément enregistrés l’ont été automatiquement au 1er novembre 2014. Les exemptés permanents ne représentent que 8 % des usagers mi-2015.
La réussite du modèle danois repose sur une disposition législative adoptée en amont de l’obligation, qui lui a donné de la crédibilité en posant le principe d’un basculement numérique des relations avec l’administration. La montée en charge du dispositif a été conduite par l’ensemble des administrations et notamment les communes, responsables de l’accompagnement de proximité (à travers notamment le réseau de bibliothèques et le recours au tissu associatif). Des dispositifs d’incitation ont accompagné ce mouvement général : l’agence pour l’administration électronique danoise a ainsi communiqué chaque mois le taux d’enregistrement spontané de chaque commune, offrant une tablette numérique aux communes les plus avancées.
Cette orientation générale découle au demeurant logiquement des choix faits par l’État depuis 1997, dont il ne s’agirait que de tirer les pleines conséquences. Elle s’inscrirait dans la logique du projet de loi pour une République numérique déposé au Parlement en décembre 2015. L’un des trois piliers de ce projet de loi dite « loi numérique », l’accès de tous au numérique, doit en effet établir un droit au maintien de la connexion, afin que les foyers en difficulté financière puissent continuer à bénéficier de la connexion Internet même en cas de non-paiement de l’abonnement. La connexion à Internet pourrait ainsi devenir un droit fondamental, au même titre que l’électricité, l’eau ou le téléphone, pour lesquels les foyers en difficulté ont le droit à une aide de la collectivité et, dans l’attente de cette aide, au maintien du service (restreint pour le téléphone) en cas de non-paiement109. La reconnaissance d’un droit à la connexion Internet viendrait conforter la proposition de faire du numérique le mode d’accès de droit commun aux démarches administratives.
Cette option rejoint également l’évolution de l’attitude des Français face à l’usage du numérique, qui, selon un sondage de septembre 2015 sur « Les Français et la transformation numérique de l’État »110, estiment à 75 % qu’il est prioritaire que l’État utilise de plus en plus Internet et la technologie et se disent prêts, pour 90 % d’entre eux, à y participer en effectuant leurs démarches sur Internet, quitte à renoncer à certaines habitudes, y compris les plus âgés (86 % des 65 ans et plus).
Elle est enfin cohérente avec l’impulsion que donne aujourd’hui l’Europe à ces démarches.
La Commission européenne poursuit l’objectif d’un marché unique numérique européen à travers un plan d’action, « l’agenda digital d’Horizon 2020 ». Ce programme de recherche et d'innovation de l'Union, adopté par le Conseil européen en 2013, fixe un cadre de travail qui s’impose à l’ensemble des États-membres pour faciliter la libre circulation des biens et des services grâce à la dématérialisation. L’agenda digital établit donc un lien explicite entre le développement des téléprocédures et le marché unique, en faisant de l’interopérabilité des téléprocédures nationales utiles à la libre concurrence et à la libre circulation l’objet d’une politique communautaire. Les priorités définies par cet agenda sont les suivantes :
l’interopérabilité des plateformes nationales d’information sur les marchés publics dont la mise en place permettrait, selon les évaluations de la Commission européenne, 75 à 100 Md€ d’économies pour les entreprises et les administrations à l’échelle européenne. Le programme Horizon 2020 dispose d’un fonds destiné à financer l’interconnexion de ces différentes plateformes d’achats publics en Europe (plateforme des États, des collectivités locales, des entreprises publiques,…) ;
l’ouverture des données des services publics au profit des entreprises, « Open data » (40 Md€ d’économies) ;
le traitement des plaintes commerciales de faible montant (ex : contre les compagnies aériennes) ;
l’échange d’informations judiciaires sur les entreprises (E-codex) ;
l’interopérabilité des registres du commerce ;
la mise en place du guichet unique des démarches administratives prévu par la directive « Services » de 2006111.
Ces priorités s’ajoutent à celles relatives à la libre circulation des produits dans le cadre de la mise en place du marché unique européen le 1er janvier 1993, comme par exemple les applications d’échanges numérisées d’informations fiscales (TVA, accises) et douanières.
La Commission mène également des travaux afin de mettre en place un identifiant unique lié à une carte d’identité numérique pour toutes les personnes interagissant avec l’UE, quelle que soit la politique commune concernée (entreprises fournisseurs, organismes subventionnés par l’Union européenne).
Pour rendre compatibles le dynamisme différencié des États en matière de création des télé-services et la nécessité de développer des outils communs cohérents entre eux, la méthode de la Commission consiste à :
créer un outil qui réponde au cahier des charges du groupe de pays le plus avancé et qui dispose de potentialités d’extension pour les futurs besoins (ex : identifiant unique) ;
mettre en place une gouvernance de coordination ;
élargir progressivement le périmètre des utilisateurs de l’outil et ses fonctionnalités ;
distinguer entre les composants qui doivent être communs (portail d’accès aux outils) et développés de manière centralisée et ceux qui peuvent être développés en misant sur les initiatives nationales (outils sectoriels).
Cette vision volontariste est en harmonie avec les démarches entreprises par le SGMAP - qui est d’ailleurs actif dans les instances européennes - et constitue un aiguillon efficace. Les projets développés par la direction générale des douanes ont ainsi été guidés par la nécessité de se mettre en conformité avec les orientations communautaires. Plus largement, les projets en cours s’inscrivent pleinement dans le cadre européen.
Une obligation de recours à une procédure dématérialisée devrait s’accompagner d’un certain nombre de précautions pour être acceptée et efficace.
Elle ne signifie pas ainsi que tous les usagers devront impérativement effectuer leurs démarches en ligne de chez eux, mais plutôt que les procédures par papier ont vocation à disparaître au profit du numérique : les usagers, notamment ceux qui ne disposent pas d’un accès internet chez eux (soit 18 % de la population112), doivent avoir la possibilité de faire leurs démarches en dehors de chez eux, soit en étant accompagnés, soit de façon autonome sur des bornes en libre accès (voir infra). Le principe d’égalité, mis en avant par le SGG pour justifier de ne pas s’engager dans une telle voie, serait dès lors respecté.
On peut considérer que le succès dépend de quatre éléments : une bascule relativement rapide, une démarche néanmoins progressive (quant au nombre de procédures concernées notamment), la mise en place d’un accompagnement de proximité, un dispositif de communication massif et prolongé.
En d’autres termes, le principe du recours obligatoire aux services publics numériques doit pouvoir être affiché rapidement et fermement, mais mis en œuvre de manière progressive. Plusieurs possibilités sont envisageables, en combinant plusieurs critères, selon la procédure ou le public visé.
L’obligation pourrait ainsi concerner en premier lieu les services dont le fonctionnement est entièrement dématérialisé et ceux dont le fonctionnement a déjà été testé pendant une ou plusieurs années : le principe de l’obligation ne peut s’accommoder d’une dimension d’expérimentation quant à la qualité de la téléprocédure et doit donc concerner en premier lieu les procédures dématérialisées bénéficiant d’un certain degré de maturité. On peut notamment cibler en priorité l’impôt sur le revenu – et c’est d’ailleurs le choix qui vient d’être fait en France. Ce service est ouvert depuis 2003 mais la stagnation du taux de télé-déclaration entraîne encore le traitement de 22,5 millions de déclarations et d’avis papier tous les ans. L’économie potentielle générée par la généralisation du recours à la procédure dématérialisée est estimée à 78 M€. On peut noter que l’obligation de dématérialisation existe déjà pour la déclaration ou le paiement dans une douzaine de pays113.
L’article 76 de la loi de finances pour 2016 rend la télédéclaration obligatoire pour les ménages dont la résidence principale est équipée d’un accès internet:
en 2016 pour les contribuables aux revenus supérieurs à 40 000 € ;
en 2017 pour les contribuables aux revenus supérieurs à 28 000€ ;
en 2018 pour les contribuables aux revenus supérieurs à 15 000€ ;
en 2019 pour tous les contribuables.
De plus, le seuil de paiement dématérialisé des impôts recouvrés par voie de rôle (impôt sur le revenu et impôts locaux) est progressivement abaissé de 30 000 à 10 000 € en 2016 puis 2 000 € en 2017, 1000 € en 2018 et 300 € en 2019.
Les ménages ne disposant pas d’un accès internet ou n’étant pas en mesure de télédéclarer (handicap notamment) cocheront une case indiquant cette situation à l’administration. Pour les autres, à compter de la deuxième année au cours de laquelle un manquement est constaté une amende de 15€ sera due.
Outre l’impôt sur le revenu, les autres procédures qui pourraient faire, à court terme, l’objet d’une obligation de recours sont celles de nature déclarative (par exemple les déclarations de création, de modification ou de dissolution d’une association, la déclaration de cession d’un véhicule, l’opération « tranquillité vacances », les déclarations de changements de coordonnées), celles se limitant à une information des usagers (la propagande électorale114, la consultation des points de permis de conduire) ou au traitement de demandes simples (demande de certificat de non-gage, demande de certificat d’immatriculation). Le ministère de l’intérieur entend d’ailleurs rendre le recours aux procédures dématérialisées obligatoire pour l’ensemble des titres produits par les préfectures dans le cadre du projet « préfectures nouvelle génération ». Le principe d’obligation de recours sert bien en ce sens de simple accélérateur.
Mais la progressivité peut aussi se concevoir par type d’usager, ce qui permet de mieux faire accepter l’obligation. L’introduction d’un critère d’âge, voire d’un critère d’ancienneté dans le recours à la démarche, permet de tenir compte de l’aptitude présumée des usagers à recourir aux services publics numériques. La première phase pourrait ainsi s’appliquer aux seuls nouveaux usagers et usagers de moins de 60 ans115, la deuxième phase à tous les usagers actifs116, avant la généralisation à l’ensemble des usagers. De même, afin de tenir compte de l’imparfaite couverture du territoire dans l’accès à internet, l’obligation pourrait ne concerner dans un premier temps que les zones couvertes par le haut débit117, qui regroupent 75 % de la population118. Un critère financier peut également être retenu. Comme le montre l’exemple de l’impôt sur le revenu en France, plusieurs critères peuvent être combinés.
Par ailleurs, afin d’accompagner l’obligation légale, le recours à une méthode permettant d’orienter, efficacement mais sans contrainte juridique, vers le choix du numérique (méthode américaine dite du « nudge »119) permettrait de faciliter la transition. Il s’agit d’une méthode consistant à inciter les usagers à changer leur comportement en jouant par exemple sur leur choix par défaut. Cette méthode, qui peut s’avérer très efficace, reste trop peu utilisée par les administrations françaises, alors qu’elle est de plus en plus répandue dans les pays anglo-saxons où les gouvernements l’utilisent souvent pour modifier les comportements des usagers dans un but de simplification ou d’optimisation120. Elle permet notamment de limiter le coût des campagnes d’incitation. Il s’agit ainsi dans un premier temps d’établir que le canal par défaut de toute démarche administrative est le canal numérique, les usagers ne voulant pas l’utiliser devant le manifester de façon explicite121. On peut également concevoir des mécanismes d’incitation liés à la qualité relative du service numérique par rapport à celui rendu par d’autres canaux : le pré-remplissage des formulaires pourrait ainsi être réservé aux formulaires en ligne. Cette orientation pourrait par exemple utilement être appliquée à l’impôt sur le revenu car le pré-remplissage de la déclaration papier est considéré comme un frein au développement de la déclaration en ligne.
Enfin, « nudge » et progressivité doivent être complétés par une série de mesures d’accompagnement destinés aux usagers (voir infra). Cependant, la progressivité et l’accompagnement devraient être conçus comme des moyens d’accélérer la démarche de dématérialisation, non d’en retarder l’aboutissement : les expériences étrangères prouvent que les délais de transition doivent être courts pour obtenir de bons résultats. Le Danemark s’est ainsi donné quatre ans, de 2012 à 2016, pour généraliser à l’ensemble des procédures l’obligation de dématérialisation.
Si certaines procédures se prêtent aisément à la dématérialisation (par exemple tout ce qui est de l’ordre du déclaratif : déclarations de revenu, de création d’association, etc.), les ministères étudiés présentent certaines autres procédures comme incompatibles avec une dématérialisation totale.
Pour justifier cette position, des raisons techniques sont le plus souvent avancées. La vérification de l’identité de l’usager suppose ainsi la vérification de l’authenticité de la pièce d’identité présentée et notamment la confrontation de la photo avec la personne présente. La prise de données biométriques (par exemple la prise des empreintes digitales pour le passeport biométrique) impose de même que la personne soit effectivement présente.
Des raisons juridiques peuvent également être invoquées. La réglementation exige parfois la présence physique de la personne et notamment la production d’une signature manuscrite pour en attester, alors qu’un système d’authentification à distance pourrait parfois suffire.
Enfin, la nature même du service peut justifier la confrontation physique. Un entretien de visu, par exemple dans le cadre du dépôt d’une plainte, d’une instruction ou d’une confrontation en cas de suspicion de fraude, parait être légitimement imposé.
Ces justifications doivent être examinées afin de dégager les solutions et d’écarter les contraintes qui s’avèrent souvent non dirimantes. On notera que, sur l’essentiel des points abordés, les projets engagés aujourd’hui par l’État poursuivent précisément ces objectifs et apportent des réponses qu’il s’agit de mettre effectivement en œuvre ou d’approfondir.
Les lois et règlements ne prennent pas pleinement en compte l’objectif de dématérialisation et continuent souvent d’exiger un service physique. Cette exigence repose parfois sur des motifs probants, par exemple la nécessité de signer certains actes ou de les communiquer par lettre recommandée, mais elle n’est pas toujours justifiée.
Le cas de la plainte est éclairant, car elle se matérialise par un procès-verbal signé par l’agent et par le déposant122, ce qui suppose une unité de lieu entre le déposant et l’agent recueillant la plainte, attestée par la signature manuscrite. Ainsi, la pré-plainte en ligne, qui ne porte que sur les atteintes aux biens dont l’auteur est inconnu, n’est, à ce stade, qu’une préparation d’entretien qui permet au déposant de structurer son propos et d’obtenir un rendez-vous pour vérifier et signer sa déposition. Le contact de visu permet certes à l’agent de vérifier les propos, de qualifier les faits, de les exprimer dans un langage réutilisable par l’administration pour l’enquête et pour le renseignement des bases de données (sur les objets volés par exemple). La préfecture de police de Paris envisage néanmoins d’étendre la dématérialisation de la pré-plainte aux mains courantes : l’enjeu est de désengorger les services de police des démarches très nombreuses, comme le vol de téléphone portable, et donc très chronophages, mais pour lesquelles la valeur ajoutée de l’intervention humaine est limitée, afin de recentrer l’activité des agents sur leur cœur de métier. Cependant, pour que la démarche puisse se faire entièrement en ligne, il est nécessaire de mettre en place un système d’authentification électronique, une signature électronique123, et aussi de modifier les textes juridiques régissant le dépôt de plainte.
La démarche consistant à modifier le cadre juridique pour l’adapter aux services publics numériques devrait être systématisée.
Un frein important à l’extension de l’utilisation des services publics numériques par les usagers est la multiplicité des comptes utilisateurs et des mots de passe qu’un même usager doit retenir. En effet, selon un baromètre 2015 réalisé par l’IDATE pour la Caisse des dépôts et l’ACSEL124, les internautes ont en moyenne 15,4 comptes en ligne, tous secteurs confondus (administration, banque, commerce, réseaux sociaux, etc.).
Au sein de l’administration, voire d’un même ministère, il existe des cloisonnements entre les procédures s’adressant à la même catégorie d’usagers – c’est le cas au ministère des finances en matière fiscale avec l’existence de deux sites parfaitement étanches, « impots.gouv.fr » et « Prodou@ne », dans lesquels les modalités d’agrément ainsi que les obligations déclaratives et de télépaiement ne sont pas harmonisées. La direction de l’information légale et administrative (DILA) a recensé huit sites publics officiels qui s’occupent de la gestion des étrangers en France (dont Campus France). Pour utiliser les 36 téléservices mis à disposition par le ministère de l’intérieur, l’usager doit naviguer entre 14 portails d’accès et disposer de 17 identifiants125.
Les marges de progrès sont donc significatives et plusieurs solutions existent.
Parmi les pays étudiés par la Cour, les plus avancés en termes de services publics numériques proposent aux usagers un compte administratif personnel unique, accessible par un identifiant et un mot de passe uniques et permettant, via une boite aux lettres numérique et/ou un portail d’accès unique à l’administration, de recevoir des courriers officiels de l’administration et d’effectuer des demandes, des déclarations et des paiements. Le compte unique permet à l’usager d’être reconnu par l’ensemble des administrations partie-prenantes. Ainsi l’administration peut s’assurer de la bonne identité de l’usager lors de la circulation de ses informations, et l’usager peut exercer un contrôle sur ses données lorsqu’elles sont échangées. Cette méthode est appliquée en Espagne avec le service Cl@ve126, au Royaume-Uni avec la plateforme numérique (GOV.UK) et au Danemark avec le portail Borger.dk. La détention de ce compte personnel numérique peut être rendue obligatoire : c’est le cas au Danemark pour les citoyens âgés de plus de 15 ans. Ce modèle est également en cours de mise en place en Allemagne. L’approche « Government as a platform » est utilisée par plusieurs États et constitue une synthèse des bonnes pratiques en cours127.
Selon le baromètre IPSOS Digital Gouv’2015 « Les Français et le numérique », 87 % des Français souhaitent disposer d’un compte unique sécurisé donnant accès à tous les services en ligne. C’est dans cette direction que travaille le SGMAP.
Le service d’identification FranceConnect, créé en juillet 2015, a justement vocation à répondre à cette attente, tout en contournant les blocages pesant sur la carte d’identité électronique et le numéro d’identification unique. Il propose une fédération d’identités (liaison entre les identités d’un même utilisateur dans différents systèmes d’information) et une certification par le biais du RNIPP (répertoire national d’identification des personnes physiques). Cette technique permet aux usagers de posséder une identité électronique unique sans recours au numéro d’inscription au répertoire national des personnes physiques128 (NIR), ni même création d’un identifiant unique permanent connu de plusieurs entités. Les systèmes d’identification des futurs fournisseurs d’identité partenaires de FranceConnect129 ont vocation à être notifiés à la Commission européenne dans le cadre du règlement e-IDAS.
Cette solution permet à un même usager de n’avoir qu’un seul compte mais une certaine complexité demeure dans la mesure où un usager ne disposant pas déjà d’un compte fourni par les partenaires de FranceConnect devra choisir entre plusieurs fournisseurs d’identité. De plus, ces fournisseurs d’identité garantissent des niveaux de sécurité différents au sens du règlement e-IDAS, par exemple de faible niveau pour l’administration fiscale (avec simple identifiant et mot de passe), de niveau substantiel pour La Poste. Or des ministères régaliens comme le ministère de l’intérieur seront amenés à développer des services demandant une authentification d’un niveau de sécurité fort, car touchant aux fondements de la République, comme les demandes de procuration de vote.
Un des freins le plus souvent évoqué par l’administration (notamment le ministère de l’intérieur) est la nécessité de vérifier l’identité de la personne physique par la comparution physique personnelle et la présentation d’une pièce d’identité valide. De manière symétrique, le risque d’erreur sur l’identité est le premier frein cité par les internautes pour l’utilisation des services administratifs en ligne (42 % des internautes interrogés)130. La levée de cet obstacle est donc déterminante. Dans le cadre du règlement européen eIDAS qui vise à fixer un cadre aux transactions électroniques, différents systèmes d’identification et d’authentification existent131 (voir annexe sur ce sujet), dont deux semblent se dégager dans les pays européens étudiés : le numéro unique ou l’identification par la pièce d’identité.
Le développement de solutions unifiées d’identification en ligne est d’autant plus incontournable que le règlement européen « eIDAS » sur l’identification et les transactions électroniques132 a justement pour but d’harmoniser la sécurité des transactions électroniques au sein de l’Union européenne en permettant aux ressortissants européens (particuliers et professionnels) d’utiliser une identité numérique que les autres États membres devront reconnaître pour l’accès à leurs services en ligne, selon trois niveaux d’authentification : faible, substantiel et fort. À partir du deuxième semestre 2015 de manière facultative et de 2018 de manière obligatoire, un citoyen de l’Union pourra utiliser une identité numérique déjà acquise pour accéder aux services publics en ligne d’un autre pays européen pour lequel un moyen d’identification est nécessaire, dès lors que le fournisseur d’identité s’inscrira dans un schéma d’identification notifié à la Commission européenne.
Le Royaume-Uni a été le premier pays à annoncer la notification de son mode d’identification133, le système UK.gov VERIFY134, entré en vigueur le 21 Septembre 2015, associé à un contrat d’assurance le couvrant pour les risques liés à une utilisation frauduleuse de l’identité numérique ainsi créée. Tout ressortissant européen pourra donc créer une identité numérique à partir de ce système afin d’effectuer ses démarches en ligne, tant administratives que commerciales. Dans la mesure où les enjeux financiers de l’identification numérique sont très importants135, la France a tout intérêt à développer rapidement un système unifié et sécurisé d’identification.
La plupart des pays avancés en matière de services publics numériques ont recours à un identifiant unique propre à chaque personne physique, utilisé pour les différents services numériques : c’est le cas de la Suède, du Danemark, des Pays-Bas, de l’Espagne, de l’Italie et de la Suisse136. D’autres pays en revanche sont opposés à la création d’un numéro unique d’identification (interdit par la Constitution portugaise ou par la Cour constitutionnelle fédérale en Allemagne).
En France, la CNIL a développé une doctrine de sectorisation des fichiers et des identifiants, selon laquelle chaque sphère d’activité (fiscalité, éducation nationale, banques, police…) doit être dotée d’identifiants sectoriels, afin de multiplier les protections à l’encontre de toute forme d’abus sur les fichiers (vol d’identité, création d’un fichier informatique géant). Il existe cependant des solutions techniques, de cryptage, de hachage ou de conversion, permettant de garantir la sécurité et le respect des libertés publiques. Ainsi, le Conseil d’État souligne en 2014 que « des États dont le respect des droits fondamentaux ne peut être mis en doute n’appliquent pas du tout les mêmes restrictions à l’emploi de numéros nationaux d’identification »137. Il propose de « mettre à l’étude la création d’un numéro national unique non signifiant138 » en évaluant son intérêt pour la conduite des politiques publiques et la simplification des démarches administratives139.
L’authentification directe par une pièce d’identité électronique est un des systèmes les plus développés, qui permet à l’utilisateur de s’identifier sur un service en ligne et de prouver qu’il est bien la bonne personne par la présentation de sa pièce d’identité électronique munie d’une puce électronique. C’est le système mis en place au Luxembourg, en Belgique, en Allemagne, en Espagne, en Suède et en Italie. L’identification à partir de la pièce d’identité permet aux utilisateurs de se connecter facilement à un service en ligne, et aux administrations de vérifier l’identité de la personne, tout en évitant la création d’une base de données centrale.
Or en France, la censure par le Conseil constitutionnel de la loi sur la carte nationale d’identité électronique (CNIé) du 27 mars 2012 a marqué l’arrêt de tout projet de carte d’identité électronique. Le Conseil n’a pas censuré la création d’une CNIé elle-même, mais deux dispositions inscrites dans la loi du 27 mars 2012 relative à la protection de l’identité : la création d’une base de données contenant les informations détenues dans ces puces (article 5) portant sur la quasi-totalité de la population et interrogeable notamment par les services de police et de gendarmerie (article 10 de la loi précitée), ainsi que la possibilité pour le titulaire de la carte d’y faire figurer des données permettant de s’identifier sur des réseaux de communication électronique et de mettre en œuvre sa signature électronique. Ces deux dispositions ont été censurées non sur leur principe mais pour incompétence négative, le législateur ne détaillant pas suffisamment les garanties apportées à l’utilisation de ces dispositifs140.
Malgré ce blocage, l’Agence nationale des titres sécurisés (ANTS) est en train de développer un prototype (ALICEM) permettant d’utiliser une pièce d’identité électronique (le passeport biométrique actuellement) pour s’identifier via son smartphone141, de confronter la photo avec l’utilisateur par reconnaissance faciale et de créer ainsi un compte utilisable par de nombreux services partenaires. Cette expérimentation, très prometteuse, doit bénéficier d’un financement dans le cadre du nouvel appel à projet du programme d’investissements d’avenir lancé en juin 2015. Le SGMAP a d’ailleurs signalé qu’il envisageait d’inclure ALICEM parmi les fournisseurs d’identité de FranceConnect, ce qui permettrait de proposer aux usagers une authentification d’un niveau de sécurité fort au sens du règlement e-IDAS. Ce projet justifierait la relance d’un projet de carte nationale d’identité électronique dont les modalités soient pleinement conformes à la Constitution, sur la base d’une analyse approfondie de l’opportunité, des coûts et des conséquences d’un tel développement, afin de ne pas réserver une telle possibilité aux seuls détenteurs d’un passeport.
La présentation physique reste aujourd'hui nécessaire à la prise de données biométriques, telles que les empreintes digitales pour le passeport par exemple, mais les nouvelles générations de smartphones, qui peuvent enregistrer l’empreinte digitale de leur propriétaire afin de déverrouiller l’appareil, laissent entrevoir à terme des possibilités de vérification de l’identité par prises d’empreinte digitale à distance. Ceci pourrait permettre par exemple de supprimer l’exigence de double comparution pour l’élaboration du passeport (la première au moment de la demande avec enregistrement des empreintes digitales, et la seconde pour retirer le passeport avec vérification de l’identité notamment par les empreintes digitales).
La multiplicité des sites administratifs et les redondances dans les demandes des administrations constituent un troisième frein important à l’extension de l’usage des services publics numériques. Or, cette complexité du « front office » est révélatrice du cloisonnement encore très grand qui régit les systèmes d’information des administrations, construits de manière dispersée, au fil des besoins, et organisée par « silos administratifs » (cf. supra). Le gouvernement, conscient de cette lacune, a engagé plusieurs projets dont le déploiement est programmé pour les prochaines années. Le respect de ce calendrier sera déterminant pour améliorer l’impact des téléprocédures sur le fonctionnement de l’administration et la qualité de la relation établie avec les usagers.
Une étape importante du décloisonnement entre services est l’unification du système d’information de l’État inscrite dans le décret n° 2014-879 du 1er août 2014 relatif au système d'information et de communication de l'État. Ce décret pose le principe d’une mutualisation de toutes les infrastructures, réseaux inclus, comme de tous les services et logiciels. Seules quelques exceptions demeurent pour des raisons pratiques comme les systèmes de gestion de crise et de sécurité civile.
Conçu comme un espace de partage de l’information et d’interaction entre les différentes composantes administratives de l’État, ce système d’information unique doit nourrir le projet d’« État-plateforme »142. Le concept d’« État-plateforme » guide la stratégie de transformation numérique de l’État. Il s’agit de concevoir l’État, en matière de gestion des services publics comme une plate-forme d’échanges entre administrations, et comme interface de programmation ouverte aux collectivités, aux entreprises et aux citoyens pour développer de nouveaux services.
L’État-plateforme propose aussi un ensemble de ressources, notamment un magasin pour référencer les interfaces de connexion (« application programming interface » ou API) disponibles, la nature des données qu’elles recouvrent et les contrats de service associés. Une « forge » sera également mise à disposition des développeurs pour favoriser la réutilisation de composants logiciels nécessaires à la construction de services. Enfin le référentiel général d’interopérabilité (RGI)143 et le cadre d’architecture de l’État-plateforme permettront aux concepteurs d’API de s’appuyer sur les mêmes protocoles d’échanges. Le SGMAP projette de mutualiser l’identification dans les multiples comptes utilisateurs en ligne.
La démarche de rationalisation et de mutualisation des infrastructures matérielles et logicielles de l’État sur lesquelles repose le traitement des procédures dématérialisées, doit être encouragée et renforcée. Elle doit permettre à terme à l’État de disposer de systèmes d’information cohérents et capables d’échanger entre eux et de dégager des économies de l’ordre de 500 à 800 M€ en 3 à 5 ans sur l’ensemble des ministères. Les marges ainsi dégagées pourraient être en partie redéployées pour investir dans de nouvelles démarches de modernisation du système d’information, d’innovation et de simplification.
Le manque de coordination entre les systèmes d’information des administrations conduit aujourd’hui à juxtaposer ou superposer des procédures contraignant les usagers à fournir plusieurs fois les mêmes données.
Par exemple, les textes fixant les modalités de versement des allocations familiales ou des aides communales réservent l’accès à ces dispositifs à certaines personnes en fonction de leur revenu. Ils continuent d’exiger la production par l’usager d’un avis d’imposition ou de non-imposition au lieu de prévoir une consultation du revenu fiscal par l’administration. Or 92 % des internautes français souhaitent ne pas avoir à fournir à l’administration les mêmes informations plusieurs fois144. De même, pour plus de trois entreprises sur quatre, le traitement de la redondance doit être la priorité numéro un de l’administration. L’enjeu est considérable sur le plan économique : le coût total de la charge administrative pesant sur les entreprises est estimé entre 3 % et 5 % du PIB.
Le contexte actuel est favorable au développement des transmissions de données entre les services administratifs : les techniques d’interface de programmation permettent d’interroger un fichier extérieur sur le strict objet d’une requête sans ouvrir l’accès à tout le fichier. Les interconnexions de fichier sont certes encadrées par la loi145, comme tout traitement de données, et doivent faire l’objet d’une déclaration à la CNIL146. Mais la CNIL n’a, éventuellement après aménagement des projets présentés, opposé aucun refus à une demande d’interconnexion de fichiers au cours de ces trois dernières années.
En termes d’acceptabilité, on constate que 60 % des internautes français, soit la moitié de la population, ont d’ores et déjà confiance dans les échanges de données entre administration147. Ce résultat confirme la nécessité de garantir la mise en œuvre de règles de sécurité optimales et d’en faire connaître le déploiement (voir infra). Pour autant, les caractéristiques des projets en cours comme la place qu’y tiennent les usagers en matière de contrôle de la circulation des informations les concernant, sont de nature à répondre à cette exigence et à améliorer de ce fait le degré de confiance des Français. La résolution des lacunes qui affectent encore aujourd’hui les échanges de données entre administrations devrait en tout cas pouvoir être engagée.
Le programme « Dites-le-nous une fois » (DLNUF) vise précisément la réduction de la charge administrative des entreprises en réduisant, et à terme en supprimant la redondance des informations qui leur sont demandées. À partir de la définition, avec l’ensemble des administrations concernées, des potentiels de dématérialisation, de réingénierie et d’échanges de données entre administrations, démarche par démarche, l’objectif est de permettre aux entreprises, d’ici 2017, de ne plus avoir à fournir qu’une seule fois leurs données d’identité (identifiant unique par le numéro de SIRET), sociales et comptables (chiffre d'affaires, effectif, et états financiers) ainsi que toute pièce justificative. Plusieurs modules de simplification ont d’ores et déjà été déployés : réponse aux marchés publics, recrutement d’un salarié, traitement des obligations fiscales.
La question du stockage des données doit être traitée conjointement avec celle de leur échange.
La Commission européenne a relevé dans plusieurs pays (Pays-Bas, Danemark, Estonie, Royaume-Uni) que les administrations donnaient désormais la priorité à un programme de type « stockons-le une fois ». L’idée centrale est de s’assurer que les données concernant les usagers ne sont stockées qu’une seule fois et seront ensuite accessibles à l’ensemble des opérateurs autorisés. Ce principe peut être mis en œuvre au moyen d'une interface unique comportant des liens vers les différents opérateurs, qui ont la responsabilité de stocker la partie des données des usagers les concernant. Un programme « stockons-le une fois » est plus aisé à réaliser, dans un premier temps, qu’un programme « dites-le nous une fois », notamment lorsqu’il s’agit d’étendre ce principe aux particuliers, car il est plus facile pour une administration de s’interdire d’alimenter une base de données, lorsqu’elle a besoin d’une information qu’elle demande à une personne, que de se priver de cette information. Avec le temps, la réduction des demandes s’opère naturellement et l’objectif « dites-le nous une fois » se trouve atteint assez naturellement, les administrations ayant pris l’habitude de consulter les bases de données existantes dans les autres administrations avant de demander l’information aux usagers. De plus, ce principe permet de répartir la charge de la gestion des données sur les administrations qui en ont a priori le plus grand besoin.
Comme le souligne le SGG dans sa réponse à la Cour, une administration peut néanmoins avoir besoin de stocker une donnée dont elle n’est pas directement responsable, à des fins d’archivage, d’historisation, mais aussi à des fins d’optimisation des analyses de données, pour permettre à des experts en sciences des données d’effectuer des traitements lourds sans perturber le système de gestion courant, par le biais d’un stockage dans un infocentre ou dans un autre logiciel d’analyse des données. Il importe en revanche que soit respecté le principe selon lequel une seule administration est responsable d’un type de donnée et fournit la donnée de référence, en assumant la responsabilité de maintenir la base de données, de la mettre à jour et de la mettre à la disposition des autres administrations par le biais d’API. Cette responsabilité devrait se traduire en termes budgétaires, l’administration responsable de la donnée de référence devant logiquement disposer des moyens correspondants ; corrélativement, il importe de limiter au strict nécessaire d’éventuels stockages parallèles, qui devraient rester exceptionnels et temporaires
Ce principe implique que les administrations aient connaissance de la liste des données stockées par les autres administrations : le référencement et la documentation des bases de données des administrations est justement l’une des missions assignées à l’administrateur général des données et il importe qu’elle soit menée à bien rapidement. Elle suppose aussi que les informations fournies par les usagers soient stockées par des applications sectorielles interrogeables par les autres administrations (par API par exemple), ou bien stockées sur des serveurs accessibles aux autres administrations (de type « cloud » sécurisé).Cette responsabilité doit se traduire budgétairement, l’administration responsable de la donnée de référence devant logiquement concentrer les moyens qui y sont rattachés, d’où l’importance de limiter au strict nécessaire d’éventuels stockages parallèles, qui doivent rester exceptionnels et temporaires. Il importe aussi, pour des raisons de confidentialité et de sécurité que le stockage et le traitement des données des usagers soient localisés sur le territoire de l’Union européenne, voire français (voir infra p. 118 sur la sécurité des systèmes d’information).
À ce jour, la facturation des échanges de données entre administrations demeure largement pratiquée. Le rapport rendu en novembre 2015 au Premier ministre sur « Les échanges de données réalisées à titre onéreux entre les administrations »148, montre que, si les impacts budgétaires sont limités149, la facturation des données publiques, mais aussi l’absence de connaissance des données disponibles, conduit les administrations à renoncer à les rechercher et à préférer les reconstituer de leur côté voire à s’en passer.
Ce rapport préconise par conséquent d’instaurer par la loi le principe de gratuité des échanges de données entre administrations, avec certaines exceptions (données « à façon » nécessitant un retraitement des données brutes avant transmission). Il constate aussi l’existence de freins aux échanges autres que budgétaires, liés à l’existence de dispositions légales définissant plusieurs catégories de secrets (secrets statistique, fiscal, défense, données personnelles protégées par la CNIL). Ces freins non budgétaires doivent être précisément analysés : ils ne sont pas nécessairement bloquants, comme l’affichent parfois trop rapidement les administrations, mais supposent d’être recensés et un mode opératoire explicitant leur impact doit être diffusé afin de permettre aux administrations d’avoir accès à des données couvertes par un secret protégé par la loi.
Le portail d’information administrative, service-public.fr, créé en 2000 par la direction de la documentation française, a été pensé dès le départ comme un portail d’information permettant aux usagers de connaître leurs droits et de les guider dans leurs démarches administratives. Le site fédère les informations préparées par les ministères et offre aux administrations les moins bien dotées en équipes informatiques des procédures de mise en ligne standardisées. L’approche à partir des besoins des usagers se matérialise par une entrée par sous-portails s’adressant à trois catégories d’usagers (particuliers, entreprises, associations).
Cependant la plupart des ministères ou opérateurs conservent leur propre site, dont les informations font ainsi doublon avec les informations du portail service-public.fr, ce qui accroît les risques de défaut de mise à jour. Par exemple, un usager qui recherche sur un moteur de recherche la démarche à effectuer pour se faire établir un passeport doit choisir entre cinq sites publics différents : service-public.fr, le site de l’Agence nationale des titres sécurisés (ANTS), celui du ministère de l’intérieur, celui du ministère des affaires étrangères et celui de la préfecture de police. Ces cinq sites présentent la description de la procédure, les pièces à fournir, le coût, les formulaires du centre d’enregistrement et de révision des formulaires administratifs (CERFA)…sans que la présentation ne soit unifiée, avec seulement quelques liens interactifs d’une de ces pages à une autre.
Le site service-public.fr ne permettant pas une connexion individualisée, un autre site a été créé par la DILA en 2008, mon.service-public.fr, permettant aux usagers d’ouvrir un compte, d’y enregistrer des documents, de suivre l’avancement de leurs démarches, de disposer d’un calendrier et d’alertes entreprises, de disposer de tous les formulaires CERFA, de bénéficier du remplissage simplifié150. Ce site permet aussi et surtout aux usagers d’accéder par une seule connexion aux services en ligne des partenaires publics par le biais d’une fédération ou liaison de comptes151. Les sites partenaires peuvent être des administrations centrales (impots.gouv.fr), des collectivités territoriales (département du Tarn), des organismes de sécurité sociale (Caisse d’allocations familiales) ou des opérateurs. Ces partenaires sont cependant en nombre limité actuellement : sur les 11 partenariats cités, seuls six étaient effectifs en septembre 2015.
Malgré l’intérêt des services offerts aux usagers par « mon.service-public.fr », outre la difficulté pour les usagers de distinguer deux portails aux objets et aux noms proches, la relative confidentialité de celui-ci en limite actuellement la portée. Le projet de la DILA de fusionner les deux sites en janvier 2016 doit permettre d’offrir à l’usager un parcours unique personnalisé, de l’information à la démarche personnelle en ligne, sans l’obliger à passer d’un site à l’autre, comme il doit le faire aujourd’hui.
La fusion des deux portails, conjuguée avec la constitution d’un compte administratif unique (voir supra), devrait constituer une avancée significative dans la simplification des démarches en ligne de l’usager, à condition de veiller à ce que tous les sites publics soient à terme référencés sur ce portail, y compris ceux des collectivités territoriales, des organismes de sécurité sociale et des opérateurs publics : le partage des compétences et des tâches entre les différents organismes doit être rendu transparent pour les usagers. Dans cette même logique de simplification, il importe de mettre fin à la redondance des informations à fournir aux différentes administrations pour une même démarche : les administrations doivent suivre le principe de « Disons-le une fois » et renvoyer à une seule page web, celle du portail unique pour toutes les informations concernant une même démarche152.
Le SGG envisage une portée plus limitée du portail fusionné, qui viserait l’exhaustivité des démarches recensées sans devenir pour autant un passage obligé pour les usagers. Pour autant, afin de favoriser la simplification des démarches administratives, d’intensifier radicalement le référencement du portail service-public.fr, de crédibiliser la notion de « compte unique » et d’éviter le déploiement de projets développés par chacune des administrations, il serait préférable de privilégier plus nettement la notion d’entrée unique.
C’est ce même enseignement que l’on peut tirer des exemples étrangers. Le gouvernement britannique a ainsi mis en place dès 2012 un portail unique « Gov.uk » qui a vocation à constituer à terme le point d’entrée unique de l’ensemble des services en ligne proposés aux citoyens et aux entreprises par les administrations publiques, les agences étatiques et les structures parapubliques. Il repose sur une interface unique qui est construite selon une logique de substitution et non d’addition, le passage d’une information ou d’un service sur Gov.uk conduisant à la fermeture des pages précédemment existantes sur les autres sites. Le processus de simplification est donc triple : une page d’accueil simplifiée, une mise en page unifiée et très sobre, ainsi que par l’élimination des pages non consultées. Outre la facilitation pour les usagers, les gains en gestion ont été évalués à 62M de livres sterling par le service numérique britannique153. Les principales critiques faites à ce portail unique portent sur l’appauvrissement des contenus et des fonctionnalités et la perte d’expertise. Or cette critique peut aussi se retourner dans la mesure où l’ajout de précisions et de fonctionnalités conduit aussi à contredire l’objectif de simplification. Le portail unique permettrait de faire de la dématérialisation des procédures non seulement un outil direct de simplification pour les usagers, mais un véritable levier de simplification à destination des administrations.
De même, l’utilisation de Service-public.fr doit devenir un réflexe pour tous les usagers. Ce mode d’accès unique offrirait une sécurité essentielle aux usagers en leur évitant d’effectuer par erreur des démarches sur des sites privés (voir infra sur ce sujet). L’ANSSI souligne le fait qu’un portail unique risquerait d’entraîner une augmentation régulière du nombre d’attaques informatiques afin de le rendre indisponible (attaques dites en « déni de service »), mais à l’inverse il est aussi plus aisé de concentrer les moyens de sécurité sur un seul portail, plutôt que de les disperser sur une multitude de sites. Un tel portail unique serait en outre plus visible sur les moteurs de recherche154. Sa mise en place doit s’accompagner d’une campagne de communication (voir infra p. 107). Enfin il est impératif de respecter le calendrier de refonte annoncé.
Suite à l’échec des projets de grandes applications centralisatrices et face à la nécessité de rendre les systèmes interopérables et cohérents entre eux dans un souci d’efficacité et de facilitation pour les usagers, la stratégie de l’État en matière de services publics numériques, à travers l’action du SGMAP, consiste donc à développer des outils et des portails réutilisables par les administrations à partir des applications existantes. Les nouvelles technologies relatives au traitement des données (API notamment) permettent en outre de créer des interfaces entre les applications qui ne sollicitent que les informations requises, sans avoir à transmettre des jeux de données dans leur ensemble.
Cette conception nouvelle, consistant à exploiter les synergies possibles entre les projets de modernisation numérique, est mise en pratique par la plupart des pays européens étudiés ; elle apparait comme la mieux adaptée aux contraintes et aux besoins actuels. Il semble cependant nécessaire d’aller plus loin encore pour optimiser les investissements réalisés ou entrepris, faire de l’e-administration une réalité et un levier de modernisation.
Une première règle de méthode est de donner toute sa place à l’usager dans le processus même de développement des services publics numériques. Il est aujourd’hui impératif, et le SGMAP insiste à juste titre sur cette dimension de prendre en compte « l’expérience utilisateur » dans l’ergonomie des services numériques et dans leur amélioration.
Conformément à cette approche, deux axes de travail peuvent être approfondis :
le développement des services numériques complémentaires qui permettent d’intégrer pleinement les besoins des usagers ;
l’extension de l’offre de téléprocédures en donnant la priorité à celles concernant les entreprises et aux domaines dans lesquels la France accuse un retard, démarche à mettre en lien direct avec la simplification des procédures.
Si les services doivent être facilement accessibles et répondre à un besoin identifié par les usagers, il est aussi indispensable de prendre en compte la facilité d’utilisation et l’ergonomie des services publics numériques. En effet, la proportion d’usagers ayant recours à ce type de services ne peut que s’accroître dès lors que le service est perçu comme simple d’utilisation. Un effort particulier sur le design, comme cela se fait déjà pour les sites internet du secteur privé (notamment les banques), est d’autant plus important que le bouche-à-oreille, lorsqu’il est positif, constitue un vecteur efficace et peu coûteux de communication autour des services publics numériques.
Pour ce faire, il convient d’utiliser les remontées des usagers (questionnaires en ligne, études de satisfaction dont la Cour suggère la généralisation, cf. supra) mais aussi d’étudier les modalités de travail avec des experts dans le domaine. Un partenariat autour du design dans les services publics a par exemple été monté entre le SGMAP et l’École nationale supérieure de la création industrielle (ENSCI). L’« expérience utilisateur » (user experience ou UX en anglais), telle que définie par la norme ISO 9241-210155, consiste à ne pas se limiter au caractère pratique du service proposé, mais à le rendre aussi « agréable » à l’utilisation, et à anticiper les besoins des utilisateurs, afin de leur donner spontanément envie de l’utiliser156.
Par services complémentaires, on entend tous les services qui accompagnent l’accomplissement d’une démarche administrative (demandes de renseignements, prises de rendez-vous, etc.).
À l’instar de l’Allemagne qui a, dans un premier temps, développé des solutions techniques, puis fait voter une loi obligeant les administrations, y compris les Länder, à utiliser ces solutions, la démarche concernant les administrations pourrait consister à :
accélérer le développement d’outils communs, tels que ceux évoqués supra (mode d’identification et d’authentification, signature électronique, compte administratif unique) ;
inclure dans ces outils communs les services « complémentaires » aux téléprocédures.
L’objectif serait de lever les réticences des administrations, notamment celles ayant la charge de la gestion de procédures qui ne peuvent être entièrement dématérialisées : cette impossibilité, quand elle est justifiée, ne doit pas en effet conduire à renoncer au principe même de dématérialisation, dès lors que les services complémentaires apportent beaucoup de souplesse et de confort aux usagers et induisent de véritables modifications de l’organisation administrative. Symétriquement, une des conditions de l’appropriation des services publics numériques par les usagers est la satisfaction de leurs besoins dans leur globalité : il ne s’agit plus seulement de proposer une téléprocédure isolée, mais bien d’offrir par le même canal numérique un bouquet de services mettant l’usager en mesure tout à la fois de trouver les informations qu’il recherche sur sa démarche, de préparer son dossier en ligne, de prendre rendez-vous si nécessaire et de suivre l’avancement de son dossier. Cette offre globale de service est autant nécessaire pour les téléprocédures que pour certaines procédures pour lesquelles la dématérialisation n’est pas possible. Il s’agit, en d’autres termes, de passer de la simple téléprocédure à un véritable service public numérique. Cette approche comporte plusieurs points d’application.
L’administration fiscale a développé à travers l’espace fiscal numérique sécurisé unifié (ENSU) un outil dont l’intérêt et le bon fonctionnement montrent qu’il pourrait être généralisé à l’ensemble des administrations.
Cet instrument offre à l’usager, avec un dispositif d’identification simplifié et unifié pour l’ensemble des procédures, la possibilité d’échanger avec l’administration et de suivre ses paiements à destination de toutes les administrations, dans un espace sécurisé et à l’aide d’un tableau de bord personnalisé.
Il est ainsi possible de passer d’une téléprocédure fiscale (flux entrants) à un service complet gérant la majorité des relations avec l’usager (obtention en ligne de documents justificatifs comme les attestations fiscales, gestion des flux sortants comme l’ensemble des paiements aux administrations, envoi des pièces jointes…).
Ce projet fait application de l’article 34 de la loi du 20 décembre 2014 simplifiant la vie des entreprises, qui permet de déroger à la loi DCRA de 2000 (la signature n’est plus requise) et de l’article 5 de l’ordonnance du 6 novembre 2014 (un document déposé dans un espace sécurisé a la même valeur qu’une lettre avec accusé de réception).
Il en est attendu la diminution de moitié, à l’horizon de cinq ans, des dépenses d’affranchissement de la DGFiP (202 M€ en 2014157).
Outre la question de l’identification évoquée plus haut, cette notion de services intégrés qui permettent de répondre aux besoins d’un usager tout au long de sa démarche peuvent recouvrir plusieurs services.
La mise en ligne d’informations sur internet est l’un des moyens d’améliorer la qualité du service proposé à l’usager mais aussi de réduire son temps d’attente. En effet, elle permet d’identifier les interlocuteurs pertinents, de se réorienter vers une démarche en ligne ou encore de prendre connaissance des pièces qui seront exigées à chacune des étapes de la procédure, et donc de pouvoir préparer en amont son dossier. Le volume et la qualité des informations mises en ligne ne conditionnent pas toujours le nombre de déplacements au guichet : les usagers cherchent parfois à obtenir au guichet la confirmation d’une information qu’ils ont obtenue par d’autres canaux, par exemple en ligne158. Néanmoins, il s’agit d’un moyen simple et peu coûteux d’informer l’usager en amont de ses démarches, mais aussi de décharger les agents de tâches à faible valeur ajoutée. La facilité d’accès à l’information constitue d’ailleurs un des items mesurés chaque année dans le cadre des enquêtes de satisfaction des préfectures159 et dont il est rendu compte devant les comités locaux des usagers. L’analyse des résultats de ces enquêtes160 révèle un taux élevé de satisfaction des usagers quant aux informations disponibles sur les sites internet, variant généralement entre 80 et 95 %. Le projet de portail unique évoqué ci-dessus doit permettre de répondre à cette exigence.
Une fois l’usager informé, il convient de faciliter la constitution des dossiers en ligne, par la généralisation des CERFA accessibles en ligne et surtout par la possibilité de les remplir en ligne et de les télétransmettre. Certains CERFA, comme celui pour le passeport, doivent en effet être imprimés par l’usager avant d’être ressaisis par les agents. D’autres ne sont accessibles que dans une version qui ne peut être complétée en ligne.
Une étape dans la facilitation de la préparation du dossier a été franchie avec la mise en place, en mars 2015, de la vente en ligne des timbres fiscaux pour les passeports. Bien que cette initiative ne soit pas encore connue dans toutes les préfectures, près de 75 000 timbres fiscaux dématérialisés ont été achetés en ligne entre mars et avril 2015. Ce service, qui existait déjà pour d’autres démarches161, a vocation à être élargi à la totalité des timbres fiscaux. La politique de communication sur cette possibilité sera essentielle pour son développement. À cet égard, il pourrait par exemple être envisagé d’en informer les usagers devant renouveler leur passeport dans les six mois.
Dès lors que le dossier est constitué mais qu’un déplacement de l’usager est nécessaire, la généralisation de l’accueil sur rendez-vous apparaît souhaitable. Outre le fait qu’elle permet de réguler les flux au guichet et donc de diminuer l’attente des usagers, la prise de rendez-vous en ligne apaise les relations entre usagers et agents.
Ainsi, depuis que la préfecture de police de Paris a mis en place ce système pour les certificats d’immatriculation, les actes d’incivilité (50 à 60 par an) ont quasiment disparu. Pour être performant, le système de fixation des rendez-vous doit tenir compte de la disponibilité des agents mais aussi de la demande (le délai varie ainsi entre 3 et 30 jours pour une demande de passeport à la préfecture de police) ainsi que des éventuels phénomènes de report vers d’autres préfectures, trésoreries ou mairies en cas de délai trop élevé.
À l’heure actuelle, le ministère de l’intérieur est plus avancé dans cette démarche que les ministères économiques et financiers. Au sein du ministère de l’intérieur, 7 des 20 préfectures ayant répondu à l’enquête de la Cour, soit 35 %, proposaient des prises de rendez-vous en ligne, celles-ci étant généralement limitées à certaines démarches, notamment le renouvellement de titre pour les personnes étrangères en situation régulière. La préfecture de l’Hérault apparaît comme particulièrement avancée : elle a mis en place, à partir d’un système technique qu’elle a développé elle-même, ce type de service pour les titres de séjour mais également pour les certificats d’immatriculation et pour les commissions médicales. Une généralisation du dispositif est en cours, conformément aux engagements Qualipref 2.0. Plusieurs des préfectures ne disposant pas encore d’un module de prise de rendez-vous ont indiqué que celui-ci serait en place d’ici la fin de l’année 2015. Les préfectures pourront s’appuyer sur la solution technique mise à leur disposition par le ministère (Ezbooking). Cette généralisation est tout à fait souhaitable, notamment pour les titres aux étrangers, dès lors qu’elle permettra d’éviter que les demandeurs ne soient contraints de faire la queue pendant plusieurs heures.
Les rendez-vous en ligne sont moins développés dans le réseau de la DGFiP, même si deux expérimentations ont été menées, l’une dans l’Aube et l’autre dans le Val-de-Marne. Leur développement permettrait pourtant de limiter l’attente des usagers, parfois pour obtenir un simple document (avis de non-imposition), et de fluidifier leur accueil. Dans le rapport de 2013 relatif à l’accueil des particuliers à la DGFiP précité, l’inspection générale des finances relève d’ailleurs que « le flux de l’accueil physique apparaît subi » et suggère que l’accueil sur rendez-vous soit testé pour les sujets les plus complexes. La DGFiP est toutefois consciente de la nécessité de développer la prise de rendez-vous. Il est ainsi prévu que soit inclus dans les nouveaux services développés par la DGFiP sur smartphone, un service de prise de rendez-vous en ligne avec géolocalisation du service des impôts dont dépend l’usager162. Cela permettrait d’améliorer le service aux usagers.
Dans l’ensemble des périmètres ministériels, la généralisation des rendez-vous devrait s’accompagner, comme préconisé ci-dessus, de la mise en place d’outils de mesure de la satisfaction et de la prise en compte des retours des usagers.
Afin de limiter au maximum les déplacements inutiles, les services de suivi en ligne des dossiers et d’information des usagers par sms/courriels devraient être développés. Il est ainsi déjà possible de connaître l’état d’avancement du traitement de sa demande de titres (carte d’identité, passeport, permis de conduire), de certificat d’immatriculation ou de sa contestation d’une infraction routière. L’utilisation de ces services est en forte augmentation : l’ANTS a ainsi enregistré 105 846 consultations uniques de l’état d’avancement des demandes de passeport au mois d’avril 2015, soit 61 % de plus qu’en janvier 2015. La hausse est moins marquée pour les permis de conduire (+ 25 %) et les certificats d’immatriculation (+ 15 %), le volume de consultations pour ces derniers restant par ailleurs très faible : moins de 35 000 sur 638 167 changements de titulaires, soit environ 5 % du volume total. La disponibilité des titres est en outre indiquée par sms au demandeur. Plus de 5 millions de sms sont adressés par l’ANTS aux demandeurs chaque année, pour un coût de 520 000 euros.
La diffusion d’information générale par sms ou courriel (dite « information poussée »), notamment en cas d’erreur de l’administration, est en outre en projet au sein des ministères économiques et financiers. Dans la mesure où elle permet de limiter les déplacements des usagers ainsi que les demandes d’information par téléphone ou courriel, elle est bénéfique pour l’ensemble des acteurs. Ce mode d’information est d’ailleurs attendu par les opérateurs économiques, comme en atteste un document de 2009 du Mouvement des entreprises de France (MEDEF) dans ce domaine.
Une part importante des téléprocédures inclut un télépaiement, compte tenu de la nature des procédures concernées : fiscalité, amende, redevances. L’offre progresse de manière satisfaisante et devrait entraîner une restructuration globale des télé-services financiers. Dans les pays les plus avancés (ex : Danemark), cette évolution est allée jusqu’à unifier le compte de télépaiement des usagers pour permettre les flux financiers dans les deux sens : des usagers vers l’État (fiscalité, cotisations sociales) et inversement (prestations sociales, remboursements, subventions).
Le paiement par carte bancaire est particulièrement adapté pour les particuliers qui effectuent des paiements non récurrents (amendes, timbres fiscaux163) ou pour les plus petits opérateurs professionnels. En 2015, la plupart les guichets de la DGFiP sont équipés d’un terminal de paiement par carte bancaire. La loi de finances pour 2014 a limité à 300 € les règlements en espèces aux guichets (au lieu de 3 000 €). Ce seuil devrait être abaissé afin de limiter les coûts liés à l’encaissement en espèces. Tant le droit au compte164 que le très fort développement des comptes en débit de tabac165 permettent de généraliser l’obligation de paiement dématérialisé au niveau du recouvrement amiable, comme en Allemagne et en Suède. Le traitement d’un chèque coûte en moyenne 0,5 € par chèque166 contre un coût quasi nul pour un paiement par prélèvement ou virement. Le paiement par chèque a d’ailleurs vocation à disparaître : par exemple, il n’existe plus en Belgique depuis des années ; il pourrait être supprimé en France, dans un premier temps pour le paiement des prélèvements obligatoires.
La dématérialisation des paiements permet des gains pour le contribuable : absence de frais au titre de ces prélèvements167, délais de règlement (par exemple, dates de paiement postérieures à la date normale d’échéance pour leurs impôts).
Pour certains impôts, ont été maintenus à ce jour des seuils en dessous desquels il est encore possible de ne pas télépayer. Il existe aussi des catégories d’impôts et de taxes pour lesquels le télépaiement n’est pas encore possible. Ces exceptions et dérogations sont particulièrement pénalisantes en termes de productivité puisqu’elles concernent les redevables professionnels les plus nombreux, dont le montant des taxes est faible.
les télépaiements des professionnels au 12 mai 2015
Impôts à payer | Saisie en ligne (mode EFI) | Envoi d’un fichier (EDI) | Paiement dématérialisé obligatoire |
TVA, Impôt sur les sociétés, taxe sur les salaires, CVAE | Oui | Oui | Oui |
CFE, Taxes foncières < 30 000 € | Oui | / | Non |
Taxes foncières > 30 000 € | Oui | / | Oui |
Revenus de capitaux mobiliers | / | Oui | Non |
Droits de douane, TICPE, TVA, TVA pétrole et TSVR | Oui | Oui | Oui pour taxes>7 600 € |
Droits de circulation sur les vins, DAFN | Non |
Sources : Cour des comptes d’après données DGFiP, Douane.
Du côté des particuliers, plus de 75 % des foyers fiscaux ont un contrat de paiement par prélèvement ou par échéance pour l'impôt sur revenu (40 % environ pour les impôts locaux).
Afin d'enrichir sa palette de services, la DGFiP a décidé de mettre en œuvre dans le cadre de sa démarche stratégique 2015-2018 une nouvelle offre de paiement adossée au prélèvement bancaire.
Le projet Pay-Fip, inspiré par le système Pay-pal, permettrait à l’usager de régler par prélèvement sur son compte bancaire l’ensemble des prélèvements obligatoires et des factures au Trésor public auprès de tous collecteurs publics. Il ne passerait plus que par l’identification de son compte fiscal (identifiant / mot de passe impots.gouv.fr), via lequel il serait prélevé, les sommes étant reversées ensuite par la DGFiP à l’entité envers laquelle l’usager est redevable. La solution Pay-FiP est simple, sans frais et sécurisée.
De nombreuses villes françaises, dont Paris, Nantes, Boulogne-Billancourt ou Le Havre, ont aussi mis en place un système de paiement du stationnement par téléphone168 : ce système est très simple pour les usagers, qui n’ont plus besoin de prévoir de la monnaie ou une carte prépayée de stationnement, ni même de se déplacer jusqu’à l’horodateur. Le temps de stationnement peut être prolongé à distance ou interrompu si l’usager souhaite reprendre son véhicule plus tôt. Cette simplicité contribue à améliorer le taux de paiement du stationnement qui est particulièrement bas en France169.
De fait, l’offre de télé-services doit prendre en compte le développement des nouveaux canaux numériques (tablettes, smartphones, voire objets connectés comme les montres et téléviseurs connectés). C’est d’autant plus important que de nombreux usagers des services publics, tout en n’ayant pas d’ordinateur, peuvent en revanche disposer d’un autre objet connecté. Les smartphones en particulier, par leur coût d’acquisition modéré, leur petite taille, leur mobilité et la généralisation progressive de leur utilisation170, représentent un outil parfaitement adapté à certaines démarches simples, comme le paiement de petites sommes, d’amendes ou redevances simples, les prises de rendez-vous.
De nombreuses administrations européennes ont développé un système de boîte aux lettres unique et sécurisée pour tous leurs échanges avec les usagers. C’est le cas de l’Allemagne avec son système DeMail, système de messagerie électronique mis en place par l’administration (loi « De-Mail » du 3 mai 2011) et qui sécurise l’identité de l’expéditeur et du destinataire, ainsi que les informations et documents transmis. Le Danemark (voir annexe) a de même inscrit dans la loi depuis le 1er novembre 2014 une boîte aux lettres numérique, unique pour toutes les administrations et obligatoire pour les citoyens âgés de plus de 15 ans.
Une première étape a été franchie en France dans le même sens avec l’ordonnance du 6 novembre 2014, relative au droit des usagers de saisir l’administration par voie électronique171. Le ministère de l’intérieur a ainsi mis en place un formulaire de contact qui couvre tout le champ ministériel (préfectures, police, gendarmerie) ainsi que les directions départementales interdirectionnelles (DDI). Cette démarche serait à étendre à l’ensemble des ministères et à un nombre croissant de procédures172. Il s’agirait aussi de transformer ce formulaire de contact à sens unique (l’usager vers l’administration) en un véritable outil de communication personnalisée entre l’administration et les usagers qui puisse traiter l’ensemble des contacts électroniques et pas seulement une première saisine ou une demande complémentaire sur un dossier donné173. Enfin, cet échange à ce stade n’est pas sécurisé, alors que certaines procédures peuvent justifier de faire l’objet d’échanges sécurisés.
Pour répondre aux attentes des usagers en matière de simplification et de sécurisation de ses échanges avec l’administration, il serait ainsi souhaitable que l’ensemble des administrations mette à disposition de leurs usagers, sous l’égide du SGMAP, une boîte mail unique sécurisée entre l’administration et les usagers qui puisse traiter l’ensemble des contacts électroniques personnalisés avec les usagers.
La signature électronique permet de garantir l’authenticité de l’expéditeur et de vérifier l’intégrité du message reçu174. Elle consiste en un cryptage par un tiers de confiance (organisme habilité à mettre en œuvre des signatures électroniques). La loi du 13 mars 2000 portant adaptation du droit de la preuve aux technologies de l’information et relative à la signature électronique175 dispose que « l'écrit sur support électronique a la même force probante que l'écrit sur support papier » (article 1316-3 du code civil) et donne à la signature électronique la même force probante que la signature manuscrite.
Pourtant, peu de sites publics proposent une signature électronique. L’obstacle le plus souvent énoncé est celui du coût. Or cet obstacle est largement relatif. D’une part, la conception d’un programme de signature électronique est en elle-même très peu coûteuse du fait de l’existence de nombreuses applications en logiciel libre. C’est en réalité le référencement des certificats sur les différents logiciels existants (Adobe par exemple) qui est souvent facturé à un prix élevé par les entreprises. Or, et d’autre part, les coûts peuvent aussi varier entre les signatures normales et les signatures qualifiées ayant une valeur probatoire plus importante selon la nouvelle réglementation européenne eIDAS et le recours à la signature électronique, a fortiori avec un niveau élevé de qualification, peut être réservé aux échanges nécessitant un degré élevé de sécurité. Des solutions sont donc envisageables. Le projet ALICEM développé par l’ANTS propose ainsi une signature électronique pour signer des contrats, qui a été développée à un coût très modeste (7 000 €), car réutilisant des programmes en logiciel libre et les travaux mis à disposition par la Commission européenne. Il importe aussi que soit développé, au niveau interministériel, un système de signature électronique mis à disposition des administrations.
À la suite de l’insertion au rapport public annuel de la Cour de 2013176, qui soulignait la lourdeur et la complexité des procédures concernant les étrangers, le ministère de l’intérieur met en place, après l’adoption en 2015 de la loi relative au droit des étrangers qui a créé notamment un titre de séjour pluriannuel de quatre ans, un nouveau système d’information des étrangers en France (SIEF). Ce dernier devrait permettre à terme d’offrir aux étrangers des services numériques intégrés. Grâce à la création d’un dossier unique par étranger (là où il y en a six actuellement, un par application), à l’identification via FranceConnect et à la connexion au futur portail commun service-public.fr, l’étranger pourra, dans le modèle cible, effectuer par voie numérique une demande de titre de séjour, prendre rendez-vous en ligne pour la vérification de son identité et la prise de ses données biométriques, payer les droits en ligne, suivre l’avancement de son dossier, être informé par sms et courriel de la disponibilité de son titre. Il pourra ensuite, par le même compte personnel, effectuer sa demande de changement de statut (par exemple un étudiant qui reçoit une proposition d’embauche à l’issue de ses études), mais aussi une demande de naturalisation ou de regroupement familial, sans avoir à re-fournir les pièces justificatives déjà transmises. Ce projet a pu être développé en quelques mois par la méthode agile grâce à une « surcouche web » qui ne se substitue pas dans l’immédiat aux six applications existantes, mais les met en cohérence et convertit en flux les données nécessaires. Les études ayant commencé début 2015, le SIEF doit être déployé dès le premier semestre 2016 (voir annexe).
Selon un rythme respectant les contraintes budgétaires et de conduite du changement, et donc en procédant de manière raisonnée dans le choix des priorités, le développement de l’offre de services numériques doit pouvoir se poursuivre.
Les services numériques aux entreprises bénéficient, du fait de l’obligation de recours, d’un taux d’utilisation proche de 100 %. En revanche, le niveau d’offre n’est pas pleinement satisfaisant, notamment par comparaison avec les autres pays européens. Il conviendrait donc à court terme d’accroître significativement à leur profit l’offre simplifiée et entièrement dématérialisée, démarche d’autant plus importante qu’elle permet de réduire le poids et les coûts administratifs pour les entreprises, et donc d’avoir un impact positif sur l’économie. Les ressources d’investissement nécessaires à cette fin pourraient être trouvées notamment en réduisant les coûts de la maintenance et du fonctionnement des services et infrastructures existantes. La priorité pourrait être étendue aux services aux personnes morales (associations, collectivités), qui, de manière générale, recourent plus spontanément aux services numériques que les particuliers.
Le deuxième axe privilégié devrait être de réaliser des progrès rapides dans les domaines où l’administration accuse d’importants retards : par exemple l’administration des étrangers177 ou l’administration douanière. Ces priorités sont d’ailleurs bien identifiées par les services.
Au-delà, l’extension de l’offre pourrait s’appliquer aux démarches s’adressant à un grand nombre de particuliers (par exemple le recensement178), recélant un potentiel d’économies important pour un coût limité.
Le droit des usagers de saisir l’administration par voie électronique établi par l’ordonnance du 6 novembre 2014, constitue un premier pas vers l’obligation pour les services publics de développer des services numériques.
L’ordonnance du 6 novembre 2014, relative au droit des usagers de saisir l’administration par voie électronique179, est applicable depuis le 7 novembre 2015 pour l’État et ses établissements publics, et à compter du 7 novembre 2016 pour les autres personnes publiques. Elle a introduit le droit des usagers d’adresser par voie électronique une demande, une déclaration, un document ou une information et d’obtenir une réponse par cette même voie. Ce droit permet donc une saisine par simple courriel lorsque l’administration ne propose pas de téléprocédure. Une généralisation de l’exercice de ce droit risque donc de conduire à un engorgement des boîtes aux lettres électroniques. Or, ces dernières ne peuvent pas être un outil de traitement de masse des demandes des administrés. Les flux d’information, s’ils ne sont pas canalisés via un espace usager en ligne, ne sont pas suffisamment structurés, ni fiabilisés, pour permettre un traitement optimisé. Il est donc souhaitable que l’ensemble des administrations mettent à disposition de leurs usagers, comme cela existe dans d’autres pays de l’OCDE, un espace en ligne dans lequel l’usager peut à la fois réaliser des procédures et recueillir de l’information. Une telle formule évite de transposer dans le domaine numérique la logique du courrier papier, afin de tirer parti des opportunités propres du numérique. L’ordonnance de 2014 constitue donc un aiguillon puissant et contraignant à la mise en œuvre d’outils plus adaptés aux attentes des usagers.
La dernière étape pourrait consister à inscrire le service public numérique dans la loi pour en faire un principe de l’administration, charge à elle de justifier le maintien de toute procédure ne pouvant pas faire l’objet d’une dématérialisation totale (nécessité d’un entretien de visu notamment).
La généralisation des services publics numériques nécessite des mesures d’accompagnement pour répondre aux besoins de tous les types d’usagers, et pallier les disparités dans l’équipement et la maîtrise du numérique.
L’appétence du public pour les procédures dématérialisées et sa confiance dans ces procédures croissent proportionnellement aux campagnes d’information sur ce sujet. Ainsi les nombreux articles de presse relayant ou discutant les messages du gouvernement danois relatifs à l’obligation de recourir à une messagerie électronique administrative ont joué un rôle dans la progression des enregistrements volontaires des particuliers, comme le montre le graphique ci-dessous. On y constate ainsi que dans la région du Midtjylland, le nombre plus élevé d’articles locaux traitant du sujet par rapport au Nordjylland a conduit à une progression plus forte des enregistrements volontaires. Ainsi, les régions dans lesquelles les collectivités territoriales ont communiqué sur la messagerie électronique administrative et donc les régions dans lesquelles les retombées dans la presse, positives ou négatives, ont été les plus importantes ont connu le taux d’enregistrement spontané des citoyens le plus élevé.
impact de la presse sur l’adhésion à la messagerie électronique administrative danoise
Source: Cour des comptes d’après Helle Zinner Henriksen, Scrutinizing open government data to understand patterns in eGovernment uptake, Electronic Government 14th IFIP conference, EGOV 2015, septembre 2015
Or les budgets de communication des ministères ont été parmi les plus touchés par la réduction des dépenses publiques ces dernières années. Ainsi, la campagne d’information sur la télé-déclaration de l’impôt sur le revenu effectuée en 2014 (1 M€) n’a pas été reconduite en 2015.
À l’occasion de la mise en place du compte unique FranceConnect et du nouveau portail refondu « mon.service-public.fr » et « service-public.fr », une seule et même campagne généraliste pourrait être menée pour faciliter ou accélérer le déploiement de ces projets, qu’il y ait ou non application du principe d’obligation.
Pour limiter les coûts, la communication peut prendre la forme de communiqués de presse ou de campagnes ciblées via des relais d’opinion, surtout dans le cas des publics de professionnels. Ainsi, dans la perspective de la mise en service de l’application « Side-car web » pour la gestion des remboursements de TICPE, la Douane a adressé une lettre aux fédérations professionnelles concernées afin de leur demander d’informer leurs 25 000 redevables.
À l’instar des cabines téléphoniques qui ont jalonné les paysages tant urbains que ruraux à une époque où tout le monde n’était pas équipé du téléphone, il importe de veiller au développement d’un réseau de proximité d’accès public à Internet, qui permette à toute personne non équipée à domicile (ou éloignée de son domicile équipé) d’utiliser les services publics numériques.
Plusieurs solutions peuvent être envisagées.
La première consiste à s’appuyer sur les réseaux existants.
Les maisons de services au public (MSAP) – anciennement Relais services publics – ont vocation à constituer un premier niveau de maillage en milieu rural car ce sont des espaces mutualisés de services au public, labellisés par les préfets de département. Constituées autour d’une structure porteuse (collectivité territoriale, association, groupement d’intérêt public) qui réunit plusieurs opérateurs nationaux ou locaux, chargés d’une mission de service public ou privés180, elles proposent un ensemble de services publics à destination des particuliers comme des entreprises, consistant en un accueil généraliste et la permanence d’agents des services spécifiques, par téléphone ou par visioconférence. Ces MSAP proposent un accès Internet en libre accès, des imprimantes et scanners pour permettre à tous les usagers d’accéder aux démarches administratives en ligne. Au 31 décembre 2014, le ministère du logement, de l’égalité des territoires et de la ruralité recensait 363 MSAP en fonctionnement, réparties dans 67 départements métropolitains, l’objectif fixé par le Premier ministre étant de parvenir à 1 000 MSAP d’ici fin 2016. Cet objectif devrait être atteint grâce à l’engagement pris par le groupe La Poste d’accueillir une MSAP dans 500 bureaux situés en zone rurale ou de montagne. Ce mouvement gagnerait à être poursuivi et les 17 000 points de contact du réseau postal181 transformés en véritables points d’accès aux services publics, en s’appuyant sur les nouvelles technologies (voir infra sur les cabines de service public). Le réseau national des MSAP sera animé par la Caisse des dépôts, qui doit mettre en place un plan national de formation et une plateforme collaborative pour tous les partenaires, sur lesquels les administrations centrales pourront s’appuyer pour diffuser des tutoriels ou des supports d’aide à l’utilisation des télé-services et faire remonter les difficultés éventuelles.
Parallèlement, le cadre associatif offre, avec le soutien de programmes de financement publics, des réseaux qui peuvent former de véritables leviers de promotion des services publics numériques.
Les espaces publics numériques (EPN), anciennement dénommés « lieux publics d’accès à Internet », développés et coordonnés par la Délégation aux usages de l’Internet (DUI)182 à travers le programme Netpublic183 en partenariat avec les collectivités territoriales, sont des lieux d’initiation et d’accompagnement de proximité aux multiples usages des outils numériques, dont l’e-administration. 2 500 espaces ont ainsi reçu le label EPN, dont la charte repose sur la déconcentration et la proximité, ainsi que sur l’accompagnement qualifié aux usages de l’internet et du numérique auprès de l’ensemble de la population. Ces espaces s’adressent à une population large de personnes qui ont besoin d’un accès Internet, voire d’un accompagnement pour l’utilisation des outils numériques, mais qui sont relativement autonomes dans leurs démarches mêmes.
Enfin, les points information médiation multi-services (PIMMS) sont les structures associatives dont l’objectif est de faciliter l’accès des populations dites fragiles aux services publics et aux droits sociaux. Fonctionnant sur des partenariats de proximité, ils offrent un accès à Internet et accompagnent les usagers en difficulté dans l’utilisation autonome des services publics (y compris numériques) et dans la connaissance et la gestion de leurs droits sociaux. En 2014, le réseau identifiait 63 points d’accueil gérés par 37 associations, principalement en milieu urbain.
Si ces réseaux ont un objectif différent (service public en milieu rural pour les MSAP, accès internet pour les EPN, public en difficulté pour les PIMMS), ils ont naturellement tous vocation à être des relais pour l’accompagnement de la généralisation des services publics numériques, par le biais de campagnes de communication, voire de formation des personnels. S’appuyer sur ces réseaux permet de cibler les publics plus éloignés des services en ligne (publics fragiles socialement, milieu rural ou périurbain). Des démarches spécifiques à destination des personnes âgées pourraient également être envisagées, soit en mobilisant des services ou des établissements spécialisés, soit en s’appuyant sur les initiatives menées par les communes, notamment celles qui se sont vues attribuer le label « ville internet »184 et les autres collectivités locales.
En sus de ces lieux généralistes où les usagers peuvent effectuer des démarches administratives, de nombreux services sectoriels ont installé dans leurs points d’accueil une borne d’accès à leurs services. La mise en place de telles bornes figure dans les recommandations des chartes Marianne et Qualipref 2.0., qui couvrent l’ensemble des préfectures185. Mais ces bornes ne sont pas toujours adaptées aux besoins, voire peu utilisées. Ainsi, la DRFIP de la région Centre n’a mis deux ordinateurs à la disposition des usagers, avec l’aide de stagiaires, qu’en 2015 et uniquement le temps de la campagne d’impôt sur le revenu. Il serait souhaitable que la mise à disposition d’ordinateurs se généralise dans les services accueillant le public afin de le sensibiliser à l’usage des services en lignes.
Pour que ces bornes soient effectivement utilisées, elles doivent être configurées de manière à garantir la confidentialité de ce type de démarche. En outre une borne au moins doit être accessible aux personnes à mobilité réduite (voir infra).
Par ailleurs, il importe de généraliser des bornes qui ne soient pas limitées aux services proposés dans l’administration d’accueil (préfecture, mairie…), mais constituent de véritables points d’accès à tous les services publics numériques. C’est la politique mise en œuvre depuis plusieurs années par les caisses primaires d’assurance maladie, qui offrent en permanence des services en ligne à partir de bornes accessibles depuis l’espace public.
Afin de développer un réseau dense de points d’accès aux services publics numériques, notamment en milieu rural, il importe d’y associer le plus grand nombre possible d’administrations disposant encore d’accueils physiques (mairies, préfectures, DRFIP, maisons de services au public, maisons de l’État, etc.), en incluant les collectivités territoriales et les organismes chargés d’une mission de service public (mairies, bureaux de postes, gares, etc.).
Un accompagnement personnalisé devrait pouvoir être mis en place pour aider les usagers qui ne sont pas familiers des téléprocédures mais qui, avec l’expérience, pourraient les utiliser de façon autonome grâce à la formation qui leur serait, dans ce cadre, proposée.
Le développement de la dématérialisation, corrélatif à la réduction des services d’accueil physique, entraîne un report des activités vers les usagers, l’objectif étant que l’usager effectue sa démarche à son domicile, donc sans être accompagné, et en n’y consacrant pas davantage de temps, ou moins de temps, qu’à une démarche « classique ». Cela implique de développer des systèmes d’aide qui peuvent être regroupés en deux catégories : celles où l’utilisateur trouve seul la réponse à sa question (foires aux questions, tutoriels186, forums), et celles où une réponse personnalisée lui est fournie.
Si le développement de solutions de la première catégorie est en général assez peu coûteux, les réponses personnalisées sont fortement consommatrices en ressources humaines. L’existence du service « Allô Service public 3939 », qui reçoit 1,3 million d'appels par an, est un atout sur lequel il peut être possible de s’appuyer pour répondre aux questions d’utilisation des services publics numériques.
L’ANTS a ainsi été amenée à développer un centre d’appels187, qui prend aussi en charge les demandes par courriel et courrier.
À l’instar de ce que la Poste a mis en place dans ses bureaux de poste lors de l’installation des bornes « self-service » pour l’affranchissement et l’achat de timbres, des personnels d’accueil de premier niveau doivent pouvoir accompagner les usagers novices dans leur démarche en ligne. Un nombre croissant de préfectures188 utilisent des volontaires du service civique à l’accueil, pour accompagner les usagers dans leurs démarches, et notamment pour les aider à utiliser les bornes numériques mises à leur disposition. Cela suppose que ces personnels soient formés à l’accompagnement dans les démarches en ligne du secteur de la structure d’accueil.
Dans les pays les plus avancés dans l’obligation de recourir aux téléprocédures existantes, notamment aux Pays-Bas, la législation permet aux personnes fragiles, notamment aux personnes âgées, de désigner par une déclaration administrative simple ou une procuration, un tiers de confiance (profession réglementée : avocat, notaire, etc.) ou un parent proche, souvent un descendant, pour réaliser à sa place ses obligations déclaratives numérisées.
En France, la législation actuelle permet déjà largement le recours à cette délégation pour les personnes qui le souhaiteraient, que ce soit par l’intermédiaire des dispositions sur les tiers de confiance numérique189, les tiers de confiance fiscal190 ou les dispositions générales du droit en matière de mandat ou procuration191.
Ces dispositions ouvrent une alternative efficace aux personnes qui ne pourraient avoir recours seules aux services publics numériques, qui ne pourraient pas s’appuyer sur l’assistance à distance ou les points d’accès des services publics numériques mais qui bénéficieraient d’un soutien familial ou de la possibilité de rémunérer un professionnel.
De telles dispositions pourraient notamment être mises à profit par des personnes âgées, en particulier celles résidant dans des établissements d’hospitalisation pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) ou qui sont dans une situation de perte d’autonomie. La coopération avec le réseau associatif ainsi que les collectivités, notamment les administrations départementales qui sont en contact quotidien avec ces structures et leurs résidents, pourrait être intensifiée.
En complément de ce réseau d’accès aux services publics numériques via des bornes classiques dans des lieux d’accueils de l’administration, il pourra être intéressant d’étudier l’intérêt et la faisabilité d’installer des cabines de services publics, comme il en existe déjà à Nice. Ces cabines virtuelles192 permettent d’être en contact direct avec un agent via un écran, et d’effectuer les démarches les plus simples, grâce à un système d’impression et de scan qui peuvent être commandés directement par l’agent, à distance.
Ce système peut permettre d’accroître le maillage territorial des points d’accès aux services publics à un coût maîtrisé, car il ne nécessite pas la présence d’agent sur place. De tels outils peuvent être installés dans divers lieux : les maisons de services au public193 afin de compléter en milieu rural l’offre présentielle lorsque des services trop peu sollicités ne justifient pas une permanence ; les caisses d’assurance retraite et de santé au travail (CARSAT) ; les bureaux de poste (voir supra) ; voire les gares ou les centres commerciaux.
L’INSEE évalue entre 10 et 20 % la part de la population française en situation de handicap194. Or si le numérique offre une meilleure accessibilité des services aux personnes à mobilité réduite (PMR), le handicap moteur seul touche moins de la moitié des personnes handicapées (41 % des personnes bénéficiant de la prestation de compensation du handicap – PCH – en 2010195). Les personnes souffrant d’une déficience intellectuelle, psychique ou cognitive (21 % des allocataires de la PCH), d’un handicap sensoriel (14 %) ou multiple (20 %), peuvent se trouver en incapacité d’utiliser les services publics numériques, du fait de la non-conformité des sites aux normes d’accessibilité (formats non compatibles avec les logiciels d’accessibilité, langage ou procédures trop complexes).
L’incapacité à utiliser Internet pour des raisons de déficience croît avec l’âge : selon une enquête réalisée en 2008 par la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) et l’INSEE196, plus de 1 % des personnes âgées de 20 à 59 ans rencontrent des difficultés ou des impossibilités à utiliser un ordinateur en raison de déficiences temporaires ou permanentes ; ce taux s’élève à plus de 6 % pour les personnes âgées de plus de 60 ans.
Il importe donc non seulement d’assurer l’accessibilité des PMR aux points publics d’accès aux services numériques évoqués ci-dessus (avec une borne au moins qui leur soit adaptée), mais aussi de veiller à ce que les sites publics et leurs services soient accessibles à tous les types de handicapés (notamment sensoriels et intellectuels, psychiques et cognitifs).
En application d’une résolution du Parlement européen « eEurope 2002 : Accessibilité des sites web publics et de leur contenu »197, qui oblige les États membres à respecter les normes internationales en la matière pour leurs sites publics, l’article 47 de la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées fait de l’accessibilité une exigence pour tous les services de communication publique en ligne de l’État, les collectivités territoriales et les établissements publics qui en dépendent198.
Le SGMAP a ainsi élaboré un référentiel général d’accessibilité pour les administrations (RGAA) : il ne s’agit pas de développer des solutions techniques spécifiques et de doubler les sources d’information, mais bien de permettre à tous d’accéder aux mêmes contenus et fonctionnalités, quelle que soit la manière pour l’utilisateur d’accéder à ce contenu (clavier sans souris, lecteur d’écran couplé à un clavier en braille, etc.).
Créé en 2009 par un décret (n° 2009-546) le rendant obligatoire, le RGAA repose sur quatre principes de l’accessibilité numérique :
Le site doit être perceptible par tout utilisateur et par tous les sens (avec notamment des équivalents textuels de tous les contenus, afin de rendre possible une synthèse vocale ou une transcription en braille, grands caractères, audiodescription, versions de remplacement aux médias, langage simplifié, mise en page simplifiée, etc.)
Il doit être utilisable : toutes les fonctionnalités doivent être accessibles au clavier, l’utilisateur doit pouvoir disposer de suffisamment de temps pour lire et utiliser le contenu, etc.
Il doit être compréhensible, avec un contenu lisible, l’utilisateur doit pouvoir éviter et corriger les erreurs de saisie, etc.
Il doit être robuste et compatible avec les technologies d’assistance.
Le SGMAP, par l’intermédiaire de la DISIC, est en charge de sa mise à jour et de son application. Dans le cadre du Plan d’accessibilité numérique 2014-2016, une nouvelle version, le RGAA 3.0, est entrée en vigueur fin avril 2015, pour prendre en compte les évolutions technologiques, simplifier et proposer des outils d’accompagnement.
Or, selon une étude BrailleNet réalisée en mars 2014199, seuls 18 % des sites Internet de l’administration affichaient une déclaration de conformité avec le référentiel général d’accessibilité pour les administrations, et 4 % présentaient une attestation de conformité200. Le site du ministère de l’économie et des finances se contente de citer le référentiel et d’annoncer un objectif de mise en conformité d’ici fin 2011201. Le site du ministère de l’intérieur se contente aussi d’une rapide mention de la loi du 11 février 2005 et du référentiel. Sur ces deux sites, pour lesquels n’a pas été faite de déclaration de conformité, il est seulement proposé de formuler les remarques concernant l’accessibilité sur une boîte de contact.
Face à ce constat, la DISIC a mis en place un Plan d’accessibilité numérique 2014-2016, avec un budget de 4,5 M€ financé pour partie par le Fonds pour l'insertion des personnes handicapées dans la fonction publique (FIPHFP), qui a permis la mise à jour du référentiel RGAA, le déploiement de mesures d’accompagnement pour aider à mobiliser les administrations et la création d’un label E-accessible adossé au référentiel mais valorisant les démarches en cours, y compris lorsque le niveau défini par la loi n’est pas encore atteint.
La gouvernance du programme « Accessibilité numérique » a été confiée à la DISIC, qui est chargée de coordonner les travaux des administrations centrales sur l’accessibilité numérique, en lien avec le FIPHFH qui peut cofinancer la mise en accessibilité des sites.
Cet enjeu est d’autant plus important que la mise en accessibilité numérique, parce qu’elle vise une simplification et une plus grande facilité d’utilisation et d’accès aux informations et services, bénéficie à tous les publics – personnes âgées dont les capacités diminuent avec l’âge, personnes fragiles socialement pour qui la complexité administrative et/ou d’utilisation des sites peut être un obstacle, mais également tout utilisateur en difficulté technique temporaire (souris en panne, écran mal éclairé, etc.) ou à la recherche d’une démarche simplifiée : elle accompagne, plus largement, la demande de simplification. De nombreux standards d’accessibilité – titrage des pages, possibilité d’agrandissement du texte, présence d’un moteur de recherche, messages d’erreur permettant d’identifier les erreurs de saisie dans les formulaires, possibilité d’utiliser toutes les fonctionnalités sans souris, choix des contrastes pour accroître la lisibilité, etc. – facilitent pour tous la navigation.
Malgré l’obligation légale et les actions mises en place par le SGMAP pour promouvoir l’accessibilité des sites publics, les administrations restent très en retard.
Les coûts de mise en accessibilité d’un site peuvent être très variables. Le guide d’accompagnement du RGAA mentionne les coûts de formation et de communication, de conseil et d’assistance, de développement et de mise en conformité, et de recettes, audit et suivi. Or, à l’instar de l’accessibilité physique, le coût de l’accessibilité numérique peut être considérablement réduit lorsqu’il est inclus dès le départ dans la conception (« accessible by design »)202. Ainsi, le département du Pas-de-Calais, dont le site internet a été le premier, le 25 juin 2015, à recevoir le nouveau label e-accessible de la DISIC, a travaillé sur l’accessibilité dès 2008 à l’occasion de la refonte totale de son site, devenu totalement obsolète. Grâce à cette démarche, il peut offrir un bon niveau d’accessibilité pour un coût marginal réduit grâce à l’intégration des exigences précises d’accessibilité dès l’élaboration du cahier des charges, qui trouve son prolongement dans l’attention accordée à cette dimension dans les mises à jour du site.
La généralisation de l’usage des services publics numériques suppose enfin de garantir de manière encore plus forte qu’aujourd’hui la sécurité des systèmes et des données ainsi que le respect des libertés publiques, point de sensibilité croissant des usagers.
Selon un baromètre 2015 de la confiance des Français dans le numérique réalisé par l’IDATE pour la Caisse des dépôts et l’ACSEL203, 89 % des internautes interrogés utilisaient Internet pour des usages administratifs, taux stable depuis 2009 et comparable à celui de l’utilisation de sites de commerces (89 %) et des banques (86 %). Le taux de confiance reste bon pour l’administration en ligne (67 %, deuxième position après la banque), mais il se dégrade (il était de 86 % en 2009). 60 % des personnes interrogées ont confiance dans les échanges de données entre administrations, mais seules 21 % sont favorables à l’échange entre administrations et acteurs privés. Le premier risque évoqué pour l’administration, outre le risque d’erreur sur l’identité, est l’utilisation abusive des données personnelles (cité par 42 % des internautes interrogés), la consultation des données personnelles par un tiers étant citée en troisième (33 %). Sans surprise, la réticence à communiquer des attributs d’identité en ligne augmente : elle était de 5 % en 2009 et atteint 21 % en 2015.
Selon ce même baromètre, plusieurs leviers favorisent la confiance dans les échanges par voie numérique : en premier lieu la crédibilité du site (par exemple 49 % font confiance à des sites de commerce connus), ainsi que, pour les sites administratifs, la confiance dans l’administration en général (34 %). Le label CNIL est également un levier important (31 %).
En d’autres termes, les internautes français ont confiance dans les sites administratifs mais ils réclament des garanties d’identification et de respect des libertés publiques.
Pour éviter que la confiance dans les services publics numérique ne se dégrade et assurer la qualité des services publics numériques, l’enjeu est de déployer les moyens susceptibles de garantir un niveau de sécurité satisfaisant.
De ce point de vue, il convient non seulement de déployer les dispositifs adéquats de protection, mais encore de les faire connaître des usagers afin de les rassurer. L’exemple de la télé-déclaration d’impôt en est une bonne illustration : la DGFiP a, dès l’origine, mis en place un dispositif d’identification, sophistiqué et sécurisé, qu’elle a progressivement adapté aux exigences des usagers. Ce dispositif n’a connu depuis douze ans aucune faille de sécurité, mais sans que les usagers n’en aient conscience. Une communication sur la fiabilité des applications de télé-services de l’administration est donc nécessaire pour accroître la confiance.
Au-delà, et sans épuiser toutes les solutions ni sans aborder tous les aspects d’un sujet qui dépasse le cadre de la présente enquête, quelques orientations sont à mentionner.
Il importe en premier lieu de se prémunir du risque de confusion entre les sites officiels et les sites privés. En effet, cette confusion expose les usagers à être victimes d’une fraude, d’un abus (par exemple prestations payantes pour des services délivrés gratuitement par les pouvoirs publics) ou d’une réutilisation frauduleuse de leurs données personnelles. Ainsi, plusieurs préfectures interrogées par la Cour font mention de la difficulté qu’ont les usagers à reconnaître les sites officiels des sites privés se faisant passer pour un site officiel. Depuis la mise en place du service d’immatriculation des véhicules (SIV), de nombreux sites proposent un service d’immatriculation frauduleux (les personnes paient et n’obtiennent pas leur titre et leurs plaques d’immatriculation), une délivrance de certificats de situation (non-gage et non-opposition)204. L’aide aux étrangers s’installant en France fait aussi l’objet d’une multitude de sites, parmi lesquels seule une minorité est publique. Il est donc très difficile pour les usagers, a fortiori étrangers à l’environnement administratif français, de s’y retrouver.
Les autorités publiques disposent de plusieurs moyens d’action pour empêcher des sites privés de se faire passer pour des sites publics. Le code pénal protège certes le sceau de l’État (logo Marianne tricolore avec la devise de la République)205, mais il existe, selon le ministère de l’intérieur, « une latitude d'utilisation de l'effigie de la République dès lors qu'elle n'emprunte pas à la matière du sceau de l'État réglementairement fixée depuis 1870 »206 : s’ils ne peuvent utiliser le logo de la République lui-même, les sites privés peuvent donc en toute légalité reprendre l’image de Marianne, le bandeau tricolore ou tout autre logo susceptible de les faire passer pour des émanations des pouvoirs publics auprès d’un public non averti. À défaut d’une protection pénale efficace, les pouvoirs publics peuvent poursuivre les sites se livrant à des pratiques commerciales trompeuses de détournement des marques de l’administration sur la base des articles L. 121-1 à L. 121-7 du code de la consommation. En cas de signalement d’une pratique litigieuse, les interventions du ministère de l’intérieur et de l’Agence du patrimoine immatériel de l’État (APIE) se limitent généralement à l’envoi d’une lettre demandant la suppression de l’insigne incriminé, ce qui suffit dans la majorité des cas à l’obtenir207. Le troisième moyen d’action dont dispose l’APIE concerne les noms de domaine déposés par des personnes privées mais reproduisant le nom d’une institution ou d’une politique publique : l’APIE peut alors récupérer le nom de domaine concerné ou en obtenir la suppression208.
Cependant, tous ces moyens d’action ne peuvent être mis en œuvre que si les pratiques incriminées sont détectées. Or, face à l’activité journalière foisonnante des sites privés, les administrations ne disposent pas des moyens humains nécessaires à la détection et à la surveillance de tout le web, y compris avec l’aide de moteurs de recherche. Une solution efficace et collaborative consisterait à permettre aux usagers eux-mêmes de détecter ces sites, par exemple par la plateforme PHAROS de signalement des contenus illicites sur internet209, gérée par la police nationale, qui permet aujourd'hui de signaler des escroqueries et des spams, mais non des sites dont l’apparence peut être trompeuse et qui n’ont pas obligatoirement des pratiques illicites.
Les actions doivent donc porter prioritairement sur la prévention et la sensibilisation des usagers, qui peuvent, par un comportement éclairé et responsable, contribuer à la lutte contre ces pratiques. En premier lieu, l’identité visuelle des sites publics doit être mieux distinguée celle des sites privés, au moyen soit d’une interdiction stricte d’utilisation de l’effigie Marianne et du bandeau tricolore par les sites privés, soit d’une obligation de mention « site privé » en cas de confusion possible210.
En deuxième lieu, la création d’un portail unique d’accès à tous les services publics constituera un important levier de confiance, en particulier s’il s’accompagne d’une uniformisation de l’identification visuelle des différentes pages auxquelles l’internaute pourra accéder à partir du portail.
Enfin, troisième élément, le grand public doit disposer des moyens de reconnaître les sites officiels et de signaler les sites privés trompeurs, grâce à une campagne large de sensibilisation d’une part, et par le développement de moyens de signalement d’autre part.
La sécurité des systèmes d’information, mais aussi des bases de données et de leur transmission, est à la fois une préoccupation majeure et une condition essentielle de la généralisation de l’utilisation des services publics numériques211. Dans ce domaine, l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI), dont les missions sont orientées sur les services de l’État et les organismes d’intérêt vital pour la nation (OIV), dont certains sont pourvoyeurs de services publics aux usagers212, contribue à la stratégie numérique du gouvernement. Elle a notamment publié à l’été 2015 la stratégie nationale pour la sécurité du numérique.
Outre les spécificités techniques du projet FranceConnect, qui apportent des réponses aux préoccupations des Français, deux points méritent une attention particulière.
Le référentiel général de sécurité (RGS)213 est le cadre règlementaire permettant d’instaurer ou de renforcer la confiance dans les échanges au sein de l’administration et avec les citoyens. Il propose une homologation pour responsabiliser les autorités vis-à-vis de leurs SI, ainsi que des règles et bonnes pratiques que doivent mettre en œuvre les administrations lorsqu’elles recourent à des prestations spécifiques : certification et horodatage électroniques, audit de sécurité. Le respect de ces obligations est de nature à garantir un niveau de sécurité adéquat aux usagers des services publics numériques.
Pour autant plusieurs freins ralentissent l’application effective des normes de sécurité par les administrations : d’une part, les administrations ne sont pas assez sensibilisées à ces problématiques, d’autre part l’ANSSI ne dispose pas de réel pouvoir de sanction.
En effet, les administrations d’État disposent toutes d’un fonctionnaire de la sécurité des systèmes d’information (FSSI), mais ce dernier ne dispose souvent pas du positionnement, voire des connaissances techniques pour intégrer ces problématiques SSI aux projets numériques dès leur conception, condition première de leur bonne prise en compte et de la limitation des coûts induits. De fait, le respect des normes de sécurité en la matière dépend souvent de la volonté et de la culture du ministère : les ministères de la défense et de l’intérieur s’avèrent dans ce domaine des partenaires particulièrement précieux pour l’ANSSI, notamment par la mise en place de dispositifs de gestion du réseau et de surveillance de leurs système d’information (NOC : network Operation center et SOC : security operation center) ; la gendarmerie nationale est proactive dans ce domaine et dispose même d’un centre national de formation aux systèmes d'information et de communication (CNFSICG). A contrario, l’ANSSI, dans sa réponse à la Cour, regrette que le site de télé-déclaration de l’impôt sur le revenu ne propose plus aux usagers de certificat d’authentification.
De plus, l’ANSSI publie à destination des administrations et des OIV des guides et des recommandations, mais son travail avec les OIV est entravé par le fait que leur liste est classifiée « confidentiel défense » par les ministères : les personnels, voire les dirigeants de ces organismes ignorent que leur organisme fait partie des OIV, et ne sont donc pas sensibilisés à ces problématiques de sécurité. Or les lacunes de sécurité constatées par l’ANSSI peuvent certes être le fait de failles structurelles des systèmes (cloisonnement insuffisant des réseaux permettant à une attaque de se propager au sein des réseaux, ou ouverture excessive d’accès externes pour des besoins de nomadisme, de télétravail ou de télé-administration des systèmes), mais sont aussi souvent dues à l’absence de vigilance des administrateurs et utilisateurs des SI (absence de mise à jour des correctifs de sécurité, gestion trop laxiste des mots de passe et des droits d’accès, sensibilisation insuffisante des utilisateurs et des dirigeants face aux risques). Cette classification « confidentiel défense » n’a pas de caractère obligatoire214 et résulte d’une pratique des ministères qui date de la guerre froide. Or, selon l’ANSSI, sur les quelque 220 OIV (dont environ 40 % d’acteurs publics), seul un petit nombre mériterait de figurer sur une liste classifiée, l’appartenance des autres organismes à cette catégorie relevant de l’évidence.
D’autre part, l’ANSSI n’a pas les moyens, en l’état actuel du droit, de s’assurer du plein respect des normes de sécurité. En effet, le décret de création de l’ANSSI215 lui donne une mission d’inspection qu’elle exerce tous les trois ans sur des organismes choisis par les ministères. De plus, l’article 22 de la loi de programmation militaire216 dispose que les OIV doivent mettre en place des règles de sécurité fixées par l’ANSSI, mais cette dernière ne dispose d’aucun pouvoir de sanction. À défaut, la transparence et l’information doivent pouvoir prendre le relais. Or l’unique information publique qui existe est l’indicateur figurant dans les rapports annuels de performance sur le degré de maturité globale de la sécurité des systèmes d’information, mais cet indicateur est succinct et ne figure pas à un emplacement qui permette une véritable sensibilisation à ces sujets. Il semble donc nécessaire de trouver un véritable outil de transparence, par exemple une présentation par l’ANSSI devant le Parlement d’un rapport annuel (public ou présenté devant une commission habilitée « confidentiel défense »), qui pourrait être, dans sa totalité ou sous une forme synthétique, le rapport que l’ANSSI transmet au Premier ministre sur la mise en œuvre de la politique de sécurité des systèmes d’information (PSSIE), prévue par la circulaire du Premier ministre du 17 juillet 2014217, qui s’applique à l’ensemble des ministères. Ce rapport présente de manière simplifiée et compréhensible par des non-spécialistes l’état d’application des mesures prévues par la PSSIE, par exemple en termes de gouvernance, de maîtrise des risques, de maîtrise et protection des systèmes, ou de gestion des incidents.
L’ANSSI évoque aussi dans sa réponse à la Cour la nécessité de localiser sur le territoire de l’Union européenne, voire national pour les plus sensibles, le stockage et les données des usagers, notamment celles à caractère personnel. De fait, les deux ministères étudiés par la Cour (finances et intérieur) stockent déjà leurs données sur le territoire français. Ils sont en outre engagés dans une démarche de rénovation et de regroupement de leurs sites, y compris au niveau interministériel. Il importe cependant de veiller à ce que les bonnes pratiques en matière de stockage des données personnelles soient respectées par l’ensemble des administrations.
Le stockage sur le territoire national des données sensibles est un des principes de sécurité des systèmes d’information rappelés dans le PSSIE (circulaire précitée) : pour sécuriser d’avantage les démarches effectuées par les usagers des services publics et limiter les risques de piratage de leurs données, mais aussi garantir la maîtrise nationale de ces informations, les données à caractère personnel collectées dans ce cadre pourraient être considérées systématiquement comme des données sensibles et donc être localisées sur le territoire français. De plus, ce stockage et ces traitements devraient être faits dans un nuage informatique (cloud) sécurisé conforme au référentiel élaboré par l’ANSSI.
Autre condition de la confiance des usagers dans les services publics numériques, le respect des libertés publiques en matière de SI est garanti par la loi du 6 janvier 1978, dite « Informatique et libertés ». Elle encadre la création, la détention et l’utilisation des traitements de données à caractère personnel, et donne à la CNIL un pouvoir d’appréciation large qui permet une adaptation aux nouveaux enjeux et aux nouvelles technologies. Ainsi, depuis 2013, sur l’ensemble des demandes d’avis et engagements de conformité adressés par des administrations à la CNIL, cette dernière n’a opposé aucun refus218 et oriente son activité de plus en plus vers le conseil et l’accompagnement en amont. Or, si la loi ne présente pas en soi un frein au développement des services numériques, y compris publics, les administrations ne s’approprient pas assez les outils mis à leur disposition par la CNIL.
En effet, afin de limiter les coûts supplémentaires et de garantir le respect des libertés publiques, il importe de prendre en compte la protection des données dès le stade du développement des projets et tout au long de leur cycle de vie. Ce principe, désigné par l’expression anglaise « privacy by design », que l’on peut traduire par « protection de la vie privée dès la conception », est en règle générale respecté lorsqu’il existe au sein de l’organisme un correspondant informatique et libertés (CIL), qui peut être associé dès le début des projets de département ou de restructuration de services en ligne.
Or, aucun ministère n’a désigné de CIL, contrairement à de nombreuses collectivités, établissements publics et entreprises219. Bien que de nombreuses institutions de l’État et institutions administratives disposent d’un CIL220, le Gouvernement a opposé à cette demande un refus de principe, mettant en avant une difficile compatibilité entre l’indépendance des CIL et le principe de l’autorité hiérarchique, et arguant du fait que les correspondants du commissaire du Gouvernement auprès de la CNIL, désignés dans chaque ministère, assurent la coordination de l’application de la loi du 6 janvier 1978221. Or ces correspondants ont des positionnements hiérarchiques divers qui, souvent, ne permettent pas la prise en compte des problématiques de sécurité et de respect des libertés publiques dès l’amont des projets. De plus, l’absence de CIL prive l’administration de la simplification offerte par ce biais (recueil des déclarations simples au CIL avec tenue d’un registre) et de l’accès à toutes les prestations associées au CIL (correspondance téléphonique dédiée, actions de sensibilisation et de formation gratuite222, etc.). Enfin, l’argument de l’indépendance se retrouve dans d’autres domaines – par exemple l’hygiène et la sécurité – dans lesquels l’administration a appris à l’accepter. Finalement, il n’est pas démontré que l’organisation qui prévaut aujourd’hui permet de prendre en charge les objectifs de la loi de 1978 le plus en amont du déploiement des projets numériques, mettant les services administratifs dans une position défensive et potentiellement contre-productive dès lors qu’elle les contraint à retravailler ex-post à leurs projets.
Outre la fonction d’exemplarité qui incombe au Gouvernement dans ce domaine, l’ampleur des nouveaux enjeux liés au développement des services publics numériques et du traitement en masse des données personnelles qui en sont issues (voir supra sur les méga données) plaide donc en faveur d’une obligation de désigner un CIL dans le secteur public afin notamment d’intégrer dès l’engagement d’un processus de numérisation les principes posés par la législation. On peut relever d’ailleurs qu’une telle obligation existe, depuis 2011, dans quatre pays d’Europe dont l’Allemagne223 et que la fonction assumée par les CIL devrait prochainement recevoir une nouvelle base juridique dans le nouveau règlement européen sur la protection des données adopté politiquement le 15 décembre 2015 : ce texte prévoit la mise en place du « Privacy by design » et surtout la responsabilisation des organismes (accountibility) : ceux-ci devront être capables de prouver leur conformité aux dispositions du règlement, la désignation d’un délégué à la protection des données (data protection officer ou DPO), équivalent du CIL, devenant quasiment obligatoire. La notion de privacy by design et la responsabilisation des acteurs, qui tendent à se substituer à la logique déclarative, visent à permettre la valorisation de la donnée dans le respect des libertés publiques. Il importe que les ministères ne restent pas en dehors de ce mouvement général déjà entamé en France dans la plupart des entreprises et des collectivités territoriales et qui sera conforté par le nouveau règlement européen.
Le commissaire du gouvernement pourrait, dans ce contexte, se voir confier la fonction d’animateur du réseau des CIL, ce qui supposerait de faire évoluer son rôle de défenseur des projets des administrations devant la CNIL224 à celui de garant, au sein de l’administration, du respect des libertés publiques dans le développement des projets numériques.
Enfin, la désignation d’un CIL est le prérequis principal pour l’obtention du label CNIL gouvernance225, qui constitue en retour, pour les usagers, un fort levier de confiance. Ce label CNIL gouvernance a été créé en 2015 et a été délivré au premier organisme à l’automne 2015, plusieurs autres dossiers étant en cours d’instruction à la CNIL226. Il implique de satisfaire à un référentiel de 25 critères qui se recoupent pour la plupart avec la présence active d’un CIL formé dans l’entité. La Cour propose donc, toujours dans un souci d’exemplarité, mais aussi comme gage de confiance vis-à-vis des usagers, de rendre aussi obligatoire cette labellisation pour les sites des administrations publiques.
CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS
Faire de la dématérialisation des procédures un levier de la modernisation de l’État suppose en premier lieu de lever les obstacles juridiques qui freinent leur déploiement et de faire aboutir quelques projets structurants déjà engagés. À ce titre, l’identification électronique des usagers doit être à la fois simplifiée et sécurisée, ne serait-ce que pour se mettre en conformité avec le règlement européen e-IDAS de juillet 2014. Le système d’identification et d’authentification FranceConnect que le SGMAP met actuellement en place repose sur la fourniture d’identité via le passeport biométrique (système développé par l’Agence nationale des titres sécurisés). L’étape suivante devrait être de développer une carte nationale d’identité électronique pour en étendre l’usage, comme l’ont déjà fait la plupart des pays européens.
En outre, la simplification des services publics numériques ne peut se faire que si les systèmes d’informations des administrations peuvent communiquer entre eux. C’est la finalité du déploiement du programme État-plateforme. Dans ce cadre, le programme « Dites-le nous une fois » doit permettre de substituer aux demandes redondantes faites aux usagers des flux et requêtes organisés entre les administrations, ce qui suppose que les freins financiers et juridiques aux échanges de données soient levés et qu’une seule administration soit responsable d’un type de données qui deviendrait la donnée de référence. Enfin, pour que les informations et les démarches administratives ne soient plus éparpillées entre une multiplicité de sites publics, voire privés, il importe que le futur portail « service-public.fr » constitue une bibliothèque exhaustive d’information et d’accès aux démarches et devienne le point d’entrée principal aux démarches pour tous les usagers.
Au total, les projets développés aujourd’hui par l’État s’inscrivent dans une stratégie cohérente de modernisation numérique. Ils doivent être déployés dans leur plénitude et dans un calendrier resserré.
Mais il existe au-delà de ces projets des marges de manœuvre pour maximiser les effets de la démarche ainsi engagée. La Cour identifie quatre axes de travail pour favoriser le développement des téléprocédures et leur appropriation par les usagers.
Tout d’abord, les services numériques doivent être conçus pour les usagers, voire avec eux. Les outils proposés ne doivent donc pas se limiter à la seule procédure mais comprendre toute une série de services complémentaires à la procédure afin de répondre aux besoins des usagers tout au long de leurs démarches ; les usagers seront d’autant plus portés à adopter les téléprocédures qu’elles leur permettront non seulement de gagner du temps, en n’ayant plus à aller au guichet, en trouvant sur les sites publics tous les documents nécessaires à une procédure mais aussi de suivre leurs dossiers et de payer en ligne. Pour rendre les outils et portails ergonomiques, il importe de prendre en compte « l’expérience utilisateur » dans la construction et l’amélioration des services numériques. Par ailleurs, la Cour encourage les administrations à poursuivre le développement de l’offre de services numériques en donnant la priorité à ceux destinés aux entreprises.
Mais si l’existence et la qualité de l’offre de services est d’évidence une condition nécessaire à l’engagement d’une démarche de modernisation structurante, elle n’est pas une condition suffisante. C’est pourquoi la Cour estime souhaitable de systématiser une approche plus volontariste en faisant progressivement du numérique le mode d’accès de droit commun aux démarches administratives. La mise en œuvre de ce principe serait progressive et assortie d’un accompagnement des usagers. Elle devrait faire l’objet de la présentation au Parlement d’un bilan régulier de sa réalisation et des textes nécessaires à sa mise en œuvre.
Pour la Cour, la réussite de la généralisation des services publics numériques passe enfin par des mesures d’accompagnement. Il s’agit d’abord d’une communication renforcée vis-à-vis des usagers, le taux d’usage d’un service étant corrélé à sa notoriété. Par ailleurs, la Cour insiste sur la nécessité de rendre le service accessible à tous, quel que soit le lieu d’habitation (avant tout en utilisant les réseaux existants : maisons de services au public, espaces publics numériques, etc.) ou le handicap éventuel (en veillant à l’accessibilité des sites à tous les types de handicap). Enfin, la Cour souligne l’importance d’un accompagnement des usagers, en ligne ou à distance mais aussi d’un accompagnement humain dans les points d’accès aux services publics numériques, avec une attention particulière pour les publics les plus éloignés a priori de l’utilisation de ces services.
L’État doit enfin répondre aux exigences légitimes et croissantes des usagers en matière de sécurité et de respect des libertés publiques. Pour cela, l’identification des sites publics devrait être facilitée par la mise en place d’un portail unique d’accès aux démarches administratives, mais aussi par la possibilité de mieux distinguer visuellement les sites publics des sites privés et par une campagne de sensibilisation des usagers. Les données des usagers doivent aussi être protégées et faire d’objet de traitements et de stockages sécurisés et localisés sur le territoire national. En outre, le respect par les administrations des standards et normes en matière de sécurité des systèmes d’information devrait être plus transparent. De même, le respect des libertés publiques doit être pris en compte dès l’amont des projets, ce que permettrait la nomination d’un correspondant informatique et libertés dans chaque administration, une labellisation CNIL des sites publics permettant de compléter le dispositif en garantissant aux usagers une bonne gouvernance dans ce domaine.
La Cour retient l’orientation générale suivante :
Faire progressivement du numérique le mode d’accès de droit commun aux démarches administratives ; établir à cette fin une feuille de route interministérielle clarifiant le rythme et les étapes de ce processus, en fonction du degré de maturité des services publics numériques, et définissant les mesures d’accompagnement des usagers nécessaires à son déploiement serein. Cette feuille de route ferait l’objet d’une présentation régulière au Parlement afin d’en établir le bilan et de débattre des textes nécessaires à sa mise en œuvre.
Elle formule les recommandations suivantes :
La césure introduite par la création de la DISIC (devenue depuis DINSIC en septembre 2015) en 2011, puis du SGMAP en 2012, marque une véritable étape dans la construction du projet de modernisation numérique de l’État, en apportant une conception nouvelle de la place du numérique dans le fonctionnement de l’administration et dans la relation établie avec les usagers. La prise en compte des enjeux associés au numérique est réelle, comparable à ce qu’elle est dans les autres États, ou les grandes entreprises. Pourtant, l’effet concret de cette évolution, sur l’administration comme sur les usagers dans leur relation avec elle, demeure encore limité : les usagers, en tout cas les particuliers, ne privilégient pas le canal numérique pour entrer en contact avec l’administration ; celle-ci, de son côté, ne capitalise pas en priorité sur cette technologie pour accélérer ou faciliter les projets de réformes qu’elle doit mettre en œuvre. Alors que les conditions d’une modernisation numérique plus poussée sont réunies – notamment les conditions de déploiement technologique –, l’impact des services publics numériques sur la modernisation de l’État reste insuffisant.
De l’expérience internationale, mais aussi de l’histoire du déploiement de ce projet numérique en France, se dégagent six points d’attention, examinés dans le présent rapport.
Il n’y a pas de modèle type favorisant la réussite d’un projet de modernisation numérique. La question institutionnelle devrait être secondaire car elle n’est pas déterminante. Or, c’est précisément sur cette question – et en 2015 encore une fois – que l’attention des pouvoirs publics semble se focaliser. Il y a là un risque de gaspillage d’une énergie et d’un temps administratifs qui deviennent une matière rare ; et un risque de ralentissement de la diffusion des règles énoncées, les acteurs devant à intervalle trop réduit se réorganiser et s’adapter à un nouvel environnement institutionnel. Cette approche de la réforme est finalement largement improductive.
Ce point est bien pris en compte par les services du Premier ministre. Il est essentiel. Le cadre stratégique unique, les différents référentiels, et plus récemment les projets fédérateurs autour de la notion d’État-plateforme sont susceptibles d’influencer fortement et durablement le fonctionnement de l’État et la forme que prend sa relation avec les usagers. En assurer le déploiement et la diffusion effectifs, à tous les niveaux de l’administration, est déterminant. En approfondir les éléments constitutifs (signature et identité électroniques, bibliothèque exhaustive et unifiée d’accès aux démarches administratives dématérialisées à partir du portail « service-public.fr », application du principe « stockons-le une fois » pour les données gérées par les services de l’État …) pour faire aboutir pleinement le projet de modernisation numérique de l’État serait de nature à en renforcer l’efficacité.
De ce point de vue, les marges de progression sont importantes, vis-à-vis des usagers d’abord, mais plus encore au sein de l’administration. Or, la prise en charge de la conduite du changement est un angle mort du projet de modernisation numérique de l’État. Les questions statutaires sont certes complexes mais, en amont, la prise en charge de la formation des agents et de l’évolution de leur métier est déjà une question centrale, qui n’est pas véritablement traitée. Le SGMAP estime que ces questions relèvent de la responsabilité des ministères. Une telle position n’est pas en soi discutable, mais l’absence de soutien méthodologique et logistique, dans la logique même de la démarche de modernisation numérique, est une lacune du dispositif.
La thématique de la réforme est omniprésente et les services de l’État engagent de fait de très nombreux projets, dont l’activité législative témoigne. De manière transversale, les objectifs de réduction du poids de l’État, de modernisation numérique, de simplification, relèvent tous de l’autorité arbitrale du Premier ministre, mais souffrent de n’être pas suffisamment articulés les uns aux autres. L’absence de suivi budgétaire de l’investissement informatique et numérique comme le défaut d’analyse des effets produits par les réformes engagées, à partir de la comparaison entre les réalisations et les prévisions, en témoignent, tout comme l’incapacité à faire de la réforme numérique un levier du respect des trajectoires budgétaires imposées par ailleurs. Le risque est, là encore, d’une activité intense mais peu productive, alors qu’une meilleure articulation entre ces différents exercices devrait permettre d’en améliorer la soutenabilité.
C’est là encore un point faible de la mise en œuvre du projet numérique de l’État, qui explique largement les insuffisances des résultats obtenus. De ce point de vue, le passage progressif à un régime d’obligation paraît le seul à même de produire les effets attendus. La décision récente de rendre obligatoire la télédéclaration pour l’impôt sur le revenu en 2016 va dans ce sens. Cette contrainte peut être « douce » : progressive, accompagnée et orientée par des mécanismes d’incitation forte ; elle suppose que la qualité des services numériques soit solide ; elle n’en constitue pas moins l’adjuvant déterminant d’un impact réel de cette démarche.
La généralisation des services publics numériques, indissociable des exigences de sécurité, de respect des libertés publiques, mais aussi d’accessibilité, suppose que le respect de ces standards soit pris en compte dès l’amont des projets, afin d’en réduire les coûts marginaux et d’en garantir la qualité. Elle implique aussi, en particulier dans ces trois domaines auxquels les usagers sont particulièrement attentifs, que les projets de modernisation concernés répondent à une exigence légitime de transparence.