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Le Premier président
à | Monsieur Michel Sapin | Ministre des finances et des comptes publics | Monsieur Christian Eckert | Secrétaire d'État chargé du budget | ||||
Réf. : S 2016-1210-1 | Objet : Le logement des douaniers par la « Masse des douanes » |
En application des dispositions des articles L. 111-1 et L. 111-3 du code des juridictions financières, la Cour a examiné les comptes et la gestion de l’établissement public national à caractère administratif de la masse des douanes, pour les exercices 2008 à 2014.
La « Masse des douanes » est, depuis 1998, un établissement public national à caractère administratif après avoir été gérée par un service de la direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI). Elle est placée sous la tutelle du ministre chargé des douanes avec la mission de pourvoir au logement des agents de cette administration. L'établissement a pour origine l’obligation de casernement imposée aux agents de la DGDDI affectés aux tâches de surveillance, exigence qui a été supprimée en 1980 mais qui n’a pas entraîné la disparition du parc immobilier dont elle était la justification et qui reste aujourd’hui géré par la « Masse des douanes ». L’existence d’un établissement public administratif agissant comme un bailleur de logements est sans équivalent au sein de la sphère publique.
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À l’issue de son contrôle, la Cour m’a demandé, en application des dispositions de l’article R. 143-1 du même code, d’appeler votre attention sur les observations suivantes :
L'établissement est détenteur d’un parc de logement remis en dotation par l’État. Il peut aussi, par conventions passées avec des bailleurs privés, réserver des logements afin d'adapter son offre aux besoins identifiés. Il possédait, en 2014, 3 324 logements domaniaux et offrait 968 places en logement locatif réservées auprès de bailleurs privés.
La Cour avait constaté, en 2006, dans un référé adressé au ministre de l’économie, des finances et du budget et au ministre délégué au budget et à la réforme de l’État, de nombreuses vacances dans le parc immobilier, un taux d’occupation par les agents des douanes en diminution et une présence significative de locataires qui n’étaient pas des douaniers en exercice. Depuis cette date, la situation s’est encore dégradée : la « Masse des douanes » ne logeait, en 2014, que 1 968 douaniers en activité et leurs familles sur un effectif total pour la direction générale de 16 665 agents, soit un peu moins de 12 % de ces derniers. Le taux d’occupation des immeubles par les douaniers en activité, en diminution régulière, n’est plus que de 59 % en 2014. Ce pourcentage est constaté alors même que la « Masse des douanes » n’a pas, contrairement aux organismes de logement social, déterminé un seuil maximal de rémunération au-delà duquel le demandeur n’est plus éligible à ce type de logements. Pour l’année 2014, au moins 20 % des logements ont ainsi été attribués en Îlede-France à des agents de catégorie A.
La « Masse des douanes » tente, depuis longtemps, de compenser ce faible taux d’occupation en permettant à des retraités de la DGDDI mais aussi à des personnes présentant un lien avec la DGDDI et à des agents publics d’accéder à son parc de logement. Cette politique n’a pas réussi à ramener le taux d’occupation à un niveau approchant la moyenne nationale qui s’établit, selon l’INSEE, à 93 % de l’ensemble du parc immobilier et à plus de 97 % pour le parc immobilier social. Si on tient compte de l’ensemble des occupants, c’est-à-dire des douaniers et des personnes extérieures à la douane qui bénéficient de ces logements le taux global d’occupation est, en effet, de 72 % en 2014. Il n’est même que de 68 % pour le seul parc domanial. Le taux de logements vides, domaniaux ou locatifs, est particulièrement élevé en province. À titre d’exemple, le taux d’occupation (douaniers et nondouaniers) n’est que de 32 % à Leymen (Haut-Rhin), de 40 % à Honfleur (Calvados), de 30 % à Veigy-Foncenex (Haute-Savoie), de 25 % à Delle (Territoire de Belfort) et de 49 % à Arès (Gironde).
Cette situation résulte à la fois des transformations de l’activité et de l’implantation géographique de la douane et de l’évolution des attentes des agents. La forte baisse du taux d’occupation et la proportion décroissante de douaniers logés sont révélateurs de l’inadéquation profonde entre l’offre et la demande. La conséquence est une attrition lente du parc qui a diminué de 12 % en dix ans pour le parc domanial et de 31 % pour le parc locatif. Le nombre de logements est ainsi passé de 4 075 en 2004 à 3 324 en 2014.
En dépit de cette évolution, dont rien ne permet de penser qu’elle soit amenée à se ralentir, la « Masse des douanes » a été non seulement maintenue mais juridiquement renforcée. Le décret n° 2015-462 du 23 avril 2015 portant statut de la « Masse des douanes » est venu, en effet, pérenniser cet établissement et rendre légale la pratique ancienne et largement répandue avant la publication de ce texte qui consiste à loger des personnes n’appartenant pas à la DGDDI, au sein des immeubles de la « Masse des douanes ». Il est rappelé que, dans leur réponse à la Cour du 2 mai 2006, les deux ministres en charge des douanes se prononçaient en faveur d’une diminution régulière du nombre de tiers logés par l’établissement. Le choix inverse revient à donner à la « Masse des douanes » une compétence générale en matière de logement puisque son activité dépasse le seul champ du logement des douaniers.
Plusieurs facteurs se conjuguent pour faire de la « Masse des douanes » un établissement coûteux.
Le résultat présenté comme équilibré par la « Masse des douanes » ne reflète pas la réalité des comptes de cet établissement. En effet, conformément à l’accord initial passé avec la DGDDI et confirmé par l’article 3 du décret du 23 avril 2015, la « Masse des douanes » bénéficie du concours de personnels fonctionnaires qui lui sont affectés. Or, la rémunération des 67 agents en équivalent temps plein, pour un montant évalué à 5 M€ pour l’année 2014, n’est pas retracée dans ses comptes : seules figurent les dépenses liées à la masse salariale des contractuels, ce qui enlève toute signification à son compte de résultat. De même, le coût annuel des locaux, moyens et équipements mis à disposition de l’établissement, estimé à 1,8 M€, n’est pas pris en compte. En outre, le résultat de l’établissement bénéficie d’une subvention de 500 000 € de la DGDDI, qui avait même été portée à 1 M€ de 2011 à 2013. Enfin, l’établissement public ne supporte aucune charge d’emprunt ou d’amortissement au titre des immeubles remis en dotation par France Domaine.
En raison du taux de vacance, particulièrement élevé, l’établissement connaît des pertes de recettes sans que ses dépenses d’entretien soient allégées, la « Masse des douanes » n’ayant pas renoncé à réaliser des travaux de rénovation dans des immeubles faiblement occupés, dont ceux mentionnés plus haut à titre d’exemple. En outre, la remise tardive de certains biens totalement inoccupés à France Domaine a induit des coûts de gardiennage et de protection des bâtiments.
La vétusté d’une partie du parc immobilier est problématique : en 2014, la « Masse des douanes » a mandaté 6,8 M€ de travaux alors qu’elle n’a encaissé que 8 M€ de loyers.
La pratique de très faibles loyers entraîne une perte de recettes majeure pour l’établissement. Ces loyers sont très inférieurs à ceux pratiqués sur le marché privé : le loyer moyen au m2 dans le parc de la « Masse des douanes » s’élevait à 4,61 € en 2014 contre 14 € sur l’ensemble du marché locatif (privé et social), soit un montant inférieur de 67 %. Ces loyers sont bien souvent moins élevés que ceux du logement très social (un peu plus de 6 € au m2) alors que la quasi-totalité des agents de la direction générale des douanes et droits indirects n’aurait pas accès à ce logement très social à raison de leur niveau de ressources.
Les données produites par la « Masse des douanes » sur 26 cités administratives en 2015 confirment cette différence. L’écart moyen avec le prix du parc privé est compris entre - 23 % et - 76 % en faveur des loyers pratiqués pour les douaniers. À titre d’exemple, le prix moyen au m2 par mois est de 18,59 € à Marseille dans le parc privé, alors qu’il n’est que de 5,8 € dans les logements de la « Masse des douanes ». Il est de 7,11 € à Metz dans le secteur privé contre 5,44 € dans le parc de la « Masse des douanes ». De tels écarts avec les prix de marché s’apparentent à un avantage en nature qui ne fait l’objet d’aucune déclaration fiscale.
De plus, la « Masse des douanes » conserve un stock de loyers impayés de l’ordre de 400 000 € par an, soit 5 % des loyers encaissés, dont 77 % sont imputables à des agents de la direction générale des douanes et droits indirects et les 23 % restants à des tiers. L’agence comptable de la « Masse des douanes » a dû faire face en 2014 à des échéanciers « autooctroyés » par certains locataires pour leurs dettes. Si l’agence comptable a commencé à mettre en place un plan d’apurement de ces impayés, ces pratiques ne sont pas acceptables de la part d’agents de l’État.
Enfin, la « Masse des douanes » confie la maîtrise d’ouvrage de travaux de rénovation à des mandataires et leur octroie des avances qui, dans plusieurs cas constatés par la Cour, demeurent inemployées pendant plusieurs mois, avec un coût élevé pour la trésorerie de l’établissement.
Il est légitime que, pour l’intérêt du service et le bien être des agents, la DGDDI se préoccupe du logement de ses agents les moins bien rémunérés, lorsqu’ils sont appelés à servir dans des zones où le coût de l’immobilier est élevé. Cette démarche doit cependant reposer sur une identification des besoins réels et non sur la volonté de maintenir ou de développer une politique et une structure administrative héritées du passé et devenues profondément inadaptées.
Les contraintes professionnelles des agents des douanes, notamment lorsqu’ils ne participent pas aux brigades de surveillance, ne sont guère différentes de celles des autres fonctionnaires de l’État. En outre, la DGDDI, dont les missions et l’implantation géographique évoluent, doit disposer d’une offre souple et modulable pour sa politique de logement de ses personnels. La détention d’un parc domanial que l’établissement peine à entretenir, aggravant sa faible attractivité pour les douaniers en exercice, n’est plus, de toute évidence, une solution adaptée aux besoins des agents ni aux exigences d’une gestion publique rigoureuse.
Par ailleurs, alors que l’État souhaite, de façon générale, développer le logement social et cherche à mobiliser du foncier dans cette perspective, l’absence de mise à disposition auprès de France Domaine de biens faiblement ou pas occupés, à l’exemple non exclusif - de bâtiments de la cité La Joliette à Marseille, n’est pas acceptable.
Les difficultés structurelles rencontrées par la « Masse des douanes » devraient donc conduire l’État à tirer rapidement les conséquences d’une situation qui ne peut que se dégrader sous l’effet conjugué d’une vacance élevée et de loyers trop faibles pour permettre un entretien satisfaisant des logements, et à rechercher une solution tout à la fois plus efficiente et plus adaptée aux besoins.
Plusieurs pistes complémentaires d’évolution pourraient à cet égard être étudiées et faire l’objet de décisions rapides, même si leur mise en œuvre peut passer par des phases transitoires.
La première serait de recourir aux services de l’Association pour le logement du personnel des administrations financières (ALPAF) qui loge plus d’un quart des agents des ministères économiques et financiers. Cette association fournit d’ailleurs d’ores et déjà des logements à de nombreux agents des douanes et pourrait se substituer à la « Masse des douanes » en matière de réservation de logements.
S’agissant du parc domanial, celui-ci pourrait être cédé ou remis en gestion à la Société Nationale Immobilière (SNI) qui gère des logements pour les ministères de la défense, de la justice, de la santé et de l’éducation nationale, ou à un autre bailleur social.
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Au terme de son contrôle, la Cour formule une recommandation :
Recommandation : Concevoir puis mettre en œuvre, dans un délai de trois ans, une politique de logement en faveur des douaniers impliquant la disparition de la « Masse des douanes ».
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Je vous serais obligé de me faire connaître, dans le délai de deux mois prévu à l’article L. 143-5 du code des juridictions financières, la réponse que vous aurez donnée à la présente communication1.
Je vous rappelle qu’en application des dispositions du même code :
deux mois après son envoi, le présent référé sera transmis aux commissions des finances et, dans leur domaine de compétence, aux autres commissions permanentes de l’Assemblée nationale et du Sénat. Il sera accompagné de votre réponse si elle est parvenue à la Cour dans ce délai. À défaut, votre réponse leur sera transmise dès sa réception par la Cour (article L. 143-5) ;
dans le respect des secrets protégés par la loi, la Cour pourra mettre en ligne sur son site internet le présent référé, accompagné de votre réponse (article L. 143-1) ;
l’article L. 143-10-1 prévoit que, en tant que destinataire du présent référé, vous fournissiez à la Cour un compte rendu des suites données à ses observations, en vue de leur présentation dans son rapport public annuel. Ce compte rendu doit être adressé à la Cour selon les modalités de la procédure de suivi annuel coordonné convenue entre elle et votre administration.
Didier Migaud