Le
Le Premier président
à | Madame Myriam El Khomri | Ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social | ||||
Réf. : S2016-2876 | Objet : Le régime fiscal et social des indemnités de licenciement et de rupture conventionnelle du contrat de travail |
En application des dispositions de l’article L. 111-3 du code des juridictions financières, la Cour des comptes a examiné le régime fiscal et social des indemnités de licenciement et de rupture conventionnelle du contrat de travail.
À l’issue de son contrôle, la Cour m’a demandé, en application des dispositions de l’article R. 143-1 du même code, d’appeler plus particulièrement votre attention sur les observations suivantes.
Le régime fiscal et social des indemnités de rupture de contrat de travail s’est fondé à l’origine sur la notion jurisprudentielle de réparation d’un préjudice subi, qui entraîne l’exonération de la fraction des indemnités correspondantes.
Ce principe a été consacré par la loi en 1999 et a été depuis lors largement étendu, pour aboutir aujourd’hui à un système complexe et peu lisible, coûteux pour l’État et la sécurité sociale, et qui apparaît comme l’un des plus favorables des pays membres de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) pour ses bénéficiaires.
La Cour estime souhaitable, au terme de son enquête sur les exonérations fiscales et sociales des indemnités de rupture du contrat de travail, de mieux chiffrer la dépense correspondante, de prévenir les risques de dérive du régime applicable aux ruptures conventionnelles et d’harmoniser les différents plafonds d’exonération.
Un régime peu lisible
a) En matière d’indemnités de licenciement, le texte de l’article 3 de la loi de finances pour 2000 a inscrit dans la loi deux principes :
sont exonérées d’impôt sur le revenu les indemnités versées en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, les indemnités de départ volontaire versées en cas de plan social, ainsi que la fraction des indemnités de licenciement ou de mise à la retraite qui n’excède pas le montant prévu par la convention collective de branche, par l’accord professionnel ou interprofessionnel ou à défaut par la loi ;
au-delà du montant correspondant à l’indemnité conventionnelle ou légale, est également exonérée d’impôt sur le revenu la fraction des indemnités n’excédant pas la plus grande des deux sommes suivantes : le double de la rémunération brute perçue l’année précédant la rupture du contrat de travail ou la moitié des indemnités de licenciement versées.
En pratique, en fixant un plafond élevé (deux fois la rémunération annuelle brute) que la très grande majorité des salariés licenciés ne pouvaient atteindre, cette disposition impliquait que la quasi-totalité de l’indemnité de licenciement bénéficierait d’une exonération fiscale.
Depuis 2000, plusieurs mesures législatives ont compliqué le régime ainsi défini, et ont créé des discordances importantes entre le traitement fiscal et le traitement social des indemnités de licenciement :
sur le plan fiscal : afin de limiter la pratique dite des « parachutes dorés », la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2006 a limité le plafond d’exonération fiscale des indemnités de licenciement - versées hors plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) et indemnités de mise à la retraite - à six fois le plafond annuel de la sécurité sociale (PASS) ;
sur le plan social : la loi de financement de la sécurité sociale pour 2009 a instauré un plafond général d’exonération de 30 PASS, conduisant à assujettir aux cotisations sociales, à la contribution sociale généralisée (CSG) et à la contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS) dès le premier euro les indemnités dépassant ce montant. Cette disposition a entraîné une dissociation des plafonds d’exonération applicables aux volets fiscal et social du régime des indemnités.
Ce plafond a été abaissé par la suite à 10 PASS par la loi de financement de la sécurité sociale pour 20121. Par ailleurs, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2011 a abaissé à 3 PASS l’exonération de cotisations sociales, de CSG et de CRDS pour l’ensemble des indemnités de licenciement, sans préjudice du plafond de 30 puis 10 PASS précité. Ce nouveau plafond a été abaissé à 2 PASS en 2012.
b) En matière d’indemnités de rupture conventionnelle2, la loi du 25 juin 2008 portant modernisation du marché du travail qui a instauré cette nouvelle modalité de rupture du contrat de travail a prévu qu’elles bénéficient du même traitement fiscal et social, et notamment des mêmes mesures de plafonnement des exonérations, que les indemnités de licenciement3.
Au total, le régime fiscal et social des indemnités de rupture de contrat de travail apparaît aujourd’hui peu lisible. La complexité de ce régime peut être retracée à partir du tableau suivant.
Régime fiscal et social des indemnités de rupture du contrat (législation 2015)
Impôt sur le revenu | Cotisations sociales | CSG (7,5%) CRDS (0,5%) | Forfait social (20%) | ||||||
INDEMNITES DE LICENCIEMENT | INDEMNITES DE LICENCIEMENT | INDEMNITES DE LICENCIEMENT | INDEMNITES DE LICENCIEMENT | INDEMNITES DE LICENCIEMENT | INDEMNITES DE LICENCIEMENT | ||||
Indemnité de licenciement (légale ou conventionnelle) | PSE (plan de sauvegarde de l’emploi) | Exonération totale | Exonération dans la limite de 2 PASS* | Exonération dans la limite de 2 PASS* | Non assujettie | ||||
Indemnité de licenciement (légale ou conventionnelle) | hors PSE | Exonération dans la limite du montant le plus élevé entre : | - 50% de l’indemnité dans la limite de 6 PASS* ; | - 2 fois la rémunération annuelle brute perçue dans l’année civile précédent le licenciement dans la limite de 6 PASS* | Exonération dans la limite de 2 PASS* | Exonération dans la limite de 2 PASS* | Non assujettie | ||
Indemnité transactionnelle (à ajouter à l’indemnité de licenciement pour apprécier les seuils d’exonération) | PSE | Exonération totale | Exonération dans la limite de 2 PASS* | Assujettissement au-delà de l’indemnité de licenciement | Non assujettie | ||||
Indemnité transactionnelle (à ajouter à l’indemnité de licenciement pour apprécier les seuils d’exonération) | hors PSE | Exonération dans la limite du montant le plus élevé entre : | - 50% de l’indemnité dans la limite de 6 PASS* ; | - 2 fois la rémunération annuelle brute perçue dans l’année civile précédent le licenciement dans la limite de 6 PASS* | Exonération pour la fraction d’indemnité exonérée d’IRPP dans la limite de 2 PASS* | Assujettissement total lorsque l’indemnité versée dépasse 10 PASS** | Assujettissement au-delà de l’indemnité de licenciement | Non assujettie | |
INDEMNITES DE RUPTURE CONVENTIONNELLE | INDEMNITES DE RUPTURE CONVENTIONNELLE | INDEMNITES DE RUPTURE CONVENTIONNELLE | INDEMNITES DE RUPTURE CONVENTIONNELLE | INDEMNITES DE RUPTURE CONVENTIONNELLE | INDEMNITES DE RUPTURE CONVENTIONNELLE | ||||
Salariés pouvant faire valoir leurs droits à la retraite | Salariés pouvant faire valoir leurs droits à la retraite | Assujettissement total | Assujettissement total | Assujettissement total | Assujettissement de 1 € à 2 PASS* | ||||
Salariés ne pouvant pas faire valoir leurs droits à la retraite | Salariés ne pouvant pas faire valoir leurs droits à la retraite | Même régime que les indemnités de licenciement | Même régime que les indemnités de licenciement | Même régime que les indemnités de licenciement | Assujettissement de 1 € à 2 PASS* | ||||
INDEMNITES DE DEPART VOLONTAIRE | INDEMNITES DE DEPART VOLONTAIRE | INDEMNITES DE DEPART VOLONTAIRE | INDEMNITES DE DEPART VOLONTAIRE | INDEMNITES DE DEPART VOLONTAIRE | INDEMNITES DE DEPART VOLONTAIRE | ||||
PSE | PSE | Même régime que les indemnités de licenciement | Même régime que les indemnités de licenciement | Même régime que les indemnités de licenciement | Même régime que les indemnités de licenciement | ||||
Hors PSE (et GPEC de 2007 à 2011) | Hors PSE (et GPEC de 2007 à 2011) | Assujettissement total | Assujettissement total | Assujettissement total | Assujettissement total |
* PASS : plafond annuel de la sécurité sociale - 2 PASS=76 086 € - 6 PASS=228 240 € - 10 PASS=380 400 € (2015) ** Disposition supprimée « par erreur » en LFSS 2016, qui sera ultérieurement rétablie (selon la réponse de la direction du Budget à la Cour)
Source : DG Trésor, Cour des comptes
Une dépense fiscale et sociale mal estimée
La direction générale du Trésor a été chargée en 2008 d’une réflexion sur les effets d’une réforme visant à l’harmonisation du régime fiscal et social des indemnités de rupture. En calculant le surplus de recettes pour l’État qu’occasionnerait cette réforme, cette direction a évalué indirectement pour la première fois le coût de la dépense fiscale et de la niche sociale du régime alors en vigueur, en prenant comme norme de référence un assujettissement des indemnités au-delà du montant conventionnel. Selon les scénarios de réforme, elle concluait à un impact compris entre 0,6 Md€ et 1 Md€ sur les finances publiques, et entre 300 M€ et 500 M€ sur les ménages concernés.
Par la suite, des travaux de l’Inspection générale des finances sur les dépenses fiscales et sociales (annexe A du rapport Guillaume de 2011) ont abouti pour leur part à un chiffrage du coût de la mesure de 308 M€ pour le champ fiscal et de 1,23 Md€ pour le volet social, en prenant comme norme de référence un assujettissement au premier euro.
La direction de la législation fiscale considère pour sa part que l’exonération fiscale en vigueur a pour objet de porter forfaitairement sur la fraction des indemnités qui ne couvre pas la perte d’un revenu, mais qui correspond à un préjudice. Cette exonération ne correspond donc pas pour elle à une dérogation aux principes généraux d’imposition des traitements et salaires, de nature à justifier de la qualifier de dépense fiscale et d’en chiffrer le montant. Le champ de la dépense fiscale n°120138 est donc, pour cette direction, circonscrit aux indemnités versées au titre des seules ruptures conventionnelles, pour lesquelles il n’est pas certain que le salarié subisse un préjudice distinct de la perte de revenu. Le montant a été finalement chiffré dans le projet de loi de finances pour 2016 à 285 M€.
Contrairement au projet de loi de finances, le projet de loi de financement de la sécurité sociale chiffre bien dans une annexe 5 la niche sociale des exonérations d’indemnités de rupture du contrat de travail. Cette évaluation s’élève à 1,18 Md€ (dont 60 M€ pour les ruptures conventionnelles). La Cour a pris bonne note de ce que la direction de la sécurité sociale allait mener des travaux en 2016 pour préciser ce chiffrage. La direction du budget souhaite également élargir ce chiffrage aux pertes de CSG et CRDS, que la direction de la sécurité sociale avait évaluées à 108 M€ en 2010.
Au total, en fonction des différentes normes de référence choisies pour effectuer les calculs, le coût de la dépense fiscale et de la niche sociale est compris entre 1 et 2 Mds€ selon les estimations disponibles. Cette fourchette devrait être mieux précisée par l’administration.
La variable la plus importante à cet égard est le choix de la norme de référence, qui varie aujourd’hui selon les administrations et la nature de la dépense, fiscale ou sociale. En fait, deux normes de références sont envisageables : le chiffrage de la dépense fiscale au premier euro, qui revient à estimer que les indemnités de licenciement sont un prolongement du salaire et devraient être imposables ; le chiffrage de la dépense fiscale par référence à l’indemnité légale et conventionnelle, qui consiste à considérer les indemnités de licenciement comme la réparation d’un préjudice, ce qui correspond mieux aux évolutions de la jurisprudence et de la loi.
Il convient, en tout état de cause, de reconnaître le caractère de dépense fiscale et de niche sociale des exonérations dont bénéficient les indemnités de rupture de contrat de travail et de se donner les moyens de les chiffrer.
Le régime fiscal et social des indemnités de rupture conventionnelle : une progression sensible qui appelle un examen attentif
Le nombre de ruptures conventionnelles, en augmentation constante, s’est élevé en 2015 à 358 000. En 2013, les ruptures conventionnelles représentaient déjà 17 % des fins de CDI, après les démissions (56 %) et les licenciements pour motif personnel (20 %), mais avant les licenciements pour motifs économiques (7 %). L’objectif de sécurisation juridique des ruptures de contrat de travail semble avoir été atteint, avec un contentieux des licenciements en baisse auprès des conseils des prud’hommes4.
En revanche, une étude de la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares)5 sur les ruptures conventionnelles fait ressortir certaines limites, comme la faiblesse des garanties procédurales pour les salariés. Si 50 % des salariés interrogés évoquent une « acceptation commune », 29 % estiment qu’en définitive ils ont été contraints par leurs employeurs à quitter l’établissement. En 2011, 40 % des rares refus d’homologation étaient motivés par une indemnité de rupture inférieure à l’indemnité minimum, ce qui en faisait le principal motif de rejet par le ministère du travail. Une autre étude6 montre que, même quand la rupture est à l’initiative des salariés, les raisons du départ sont de nature conflictuelle dans la moitié des cas.
Ces données établissent également que pour les salaires inférieurs à 2 500 € mensuels, le montant de l’indemnité de rupture conventionnelle ne s’éloigne que très peu de l’indemnité légale, quelle que soit l’ancienneté des salariés. En revanche, pour les salaires supérieurs à 2 500 €, l’indemnité servie est sensiblement supérieure à l’indemnité légale, avec un gain compris entre 50 % et 70 % entre 4 et 33 ans d’ancienneté.
Les ruptures conventionnelles intervenant dans un contexte de réorganisation doivent donc faire l’objet d’une vigilance particulière de la part de l’administration, afin notamment de ne pas priver le salarié des dispositions d’indemnisation et de reclassement prévues dans le cadre du licenciement économique. Les ruptures conventionnelles sont d’ailleurs interdites dans le cadre d’un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE).
Enfin, l’attention est appelée sur l’utilisation particulière de la rupture conventionnelle comme « mesure d’âge ». L’étude précitée de la Dares sur « les ruptures conventionnelles de 2008 à 2012 » montre qu’entre 2009 et 2012, la part des ruptures conventionnelles dépasse de 25 % la moyenne pour les salariés âgés de 58 à 60 ans. Certaines entreprises ont encouragé la conclusion de ruptures conventionnelles, qui permettent de bénéficier d’une prime au moins équivalente à l’indemnité légale ou conventionnelle exonérée, et de transférer le coût de la pré-retraite à l’assurance chômage jusqu’à la retraite des salariés concernés.
Le caractère dérogatoire du régime des ruptures conventionnelles par rapport au droit du travail, aux règles d’imposition et au cumul possible avec l’assurance chômage, explique son succès, que n’a pas freiné l’imposition au forfait social au 1er janvier 2013. Le régime de la rupture conventionnelle est en effet similaire à celui des indemnités de licenciement, alors que, selon les termes de la direction de la législation fiscale, « les indemnités versées dans ce cas ne sont pas représentatives d’un préjudice moral, sont cumulable avec les indemnités chômage et financent, dans certains cas, des situations de chômage ou de pré-retraites choisies ».
La Cour appelle l’attention sur ces risques de dérive, en particulier en matière de financement de situations de chômage ou de pré-retraites choisies. Si les travaux approfondis menés par l’administration, concluaient à un recours abusif à ce régime, il conviendrait de réexaminer l’exonération fiscale appliquée aux ruptures conventionnelles, comme le suggère d’ores et déjà la direction de la législation fiscale.
L’harmonisation souhaitable du régime fiscal et social des indemnités
La dissociation existant depuis 2010 entre les modalités respectives de calcul des exonérations fiscales et sociales du régime des indemnités de rupture du contrat de travail est problématique.
Facteur d’opacité, ce dispositif complexe, dont le régime juridique a au surplus varié, ne facilite pas la négociation du montant de l'indemnité de rupture du contrat par le salarié face à l'employeur. En outre, l’exonération fiscale totale dont bénéficient les indemnités de licenciement versées dans le cadre d’un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) fait ressortir par défaut le régime moins favorable des salariés licenciés dans les plus petites entreprises (moins de 50 salariés) ou lorsque les licenciements concernent moins de 10 salariés sur une période de 30 jours.
En tout état de cause, les objectifs d’égalité de traitement et de lisibilité des règles applicables devraient inciter à une harmonisation générale du régime fiscal et social des indemnités de licenciement, ce qui conduit la Cour à formuler deux recommandations :
Recommandation n° 1 : mettre fin à la disjonction des plafonds d’exonération entre le volet fiscal et le volet social, au profit d’un plafond unique au-delà duquel la fraction supérieure des indemnités serait imposable. Ce plafond pourrait être aligné sur le plafond social, soit deux PASS (plafond annuel de la sécurité sociale), comme l’a suggéré la direction de la législation fiscale dans sa réponse aux observations de la Cour ;
Recommandation n° 2 : appliquer cet abaissement du plafond d’exonération à toutes les indemnités de licenciement, dans le cadre d’un PSE ou non. En effet, les licenciements économiques intervenant en dehors d’un PSE ne bénéficient pas en droit7 des mêmes avantages.
-=o0o=-
Je vous serais obligé de me faire connaître, dans le délai de deux mois prévu à l’article L. 143-5 du code des juridictions financières, la réponse que vous aurez donnée à la présente communication8.
Je vous rappelle qu’en application des dispositions du même code :
deux mois après son envoi, le présent référé sera transmis aux commissions des finances et, dans leur domaine de compétence, aux autres commissions permanentes de l’Assemblée nationale et du Sénat. Il sera accompagné de votre réponse si elle est parvenue à la Cour dans ce délai. À défaut, votre réponse leur sera transmise dès sa réception par la Cour (article L. 143-5) ;
dans le respect des secrets protégés par la loi, la Cour pourra mettre en ligne sur son site internet le présent référé, accompagné de votre réponse (article L. 143-1) ;
l’article L. 143-10-1 prévoit que, en tant que destinataire du présent référé, vous fournissiez à la Cour un compte rendu des suites données à ses observations, en vue de leur présentation dans son rapport public annuel. Ce compte rendu doit être adressé à la Cour selon les modalités de la procédure de suivi annuel coordonné convenue entre elle et votre administration.
Didier Migaud