Communication à la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire de l’Assemblée nationale
Sur le fondement de l’article 58-2° de la loi organique relative aux lois de finances du 1er août 2001, le président de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire de l’Assemblée nationale a demandé à la Cour des comptes de réaliser une enquête sur le rôle des concours financiers de l’État au secteur communal dans l’explication des disparités de dépenses par habitant entre collectivités territoriales comparables. Par lettre du 22 janvier 2016, le Premier président a confirmé l’accord de la Cour et précisé le champ et l’objet de l’enquête.
Cette enquête, confiée à la formation inter-juridictions sur les finances locales, visait notamment à approfondir les constats du rapport sur « la maîtrise des dépenses locales » remis en mai 2010 par un groupe de travail présidé par G. Carrez et M. Thénault1, qui relevait une forte corrélation entre le niveau de la dépense par habitant et celui des ressources des communes, dont les dotations de l’État. Il concluait à la nécessité de renforcer la dimension « péréquatrice » des concours financiers au secteur communal dans le double but de mieux tenir compte du rapport entre leurs profils de ressources et de charges et de contribuer à la maîtrise de la dépense locale.
Au terme d’échanges liminaires avec le président de la Commission des finances de l’Assemblée nationale, il a été convenu que la Cour mesure la relation entre le niveau de dépense locale et une série de facteurs contribuant à caractériser le niveau de charges et de ressources de chaque collectivité inscrite dans le champ de l’étude.
Il a également été prévu que, sur le fondement des données financières des services de l’État, la Cour analyse la répartition des dotations de péréquation en lien avec le niveau de la dépense locale, tenant compte des charges et des ressources des collectivités concernées.
L’étude, menée sur le fondement d’analyses statistiques et quantitatives, devait porter sur les « ensembles intercommunaux », composés par les groupements intercommunaux à fiscalité propre et leurs communes membres.
Les observations provisoires de la Cour ont été communiquées le 15 septembre 2016 à des fins de contradiction à l’ensemble des destinataires suivants : le directeur général des collectivités locales, le directeur général des finances publiques, la directrice générale du trésor, le directeur du budget, les présidents et présidente des associations d’élus des collectivités du secteur communal (association des maires de France, assemblée des communautés de France, association des maires ruraux de France, association des petites villes de France, France Urbaine, villes de France) et les communes d’Épinay-sur-Seine, de Fameck, de Gravelines, de Levallois-Perret, de Martigues et de Megève.
Le présent rapport, qui rassemble les conclusions définitives de l’enquête de la Cour, a été délibéré le 14 octobre 2016 par la formation interjuridictions « finances publiques locales » présidée par M. Martin, conseiller maître, et composée de M. Guibert, Mme Mattei, MM. Terrien, Vallernaud, Basset, Dubois, conseillers maîtres, Advielle, conseiller référendaire, Chauvet, Duguépéroux, présidents de section de chambre régionale des comptes.
Les rapporteurs étaient M. Blondel, conseiller référendaire, et M. Leprince, expert, maître de conférence à l’université de Rennes 1, assistés de M. Pourieux, stagiaire. Le contre-rapporteur était M. Guibert, conseiller maître.
Le rapport a ensuite été examiné et approuvé le 18 octobre 2016 par le comité du rapport public et des programmes de la Cour des comptes, composé de M. Migaud, Premier président, MM. Durrleman, Briet, Mme Ratte, MM. Vachia, Paul, rapporteur général du comité, Duchadeuil, Piolé, Mme Moati, présidents de chambre, M. Johanet, procureur général, entendu en ses avis.
Les dépenses des collectivités locales sont passées de 8,6 à 12 points de PIB au cours des trente dernières années. Seule la moitié de cette augmentation est imputable aux effets de la décentralisation. L’autre moitié renvoie principalement à l’augmentation des charges de fonctionnement des collectivités du secteur communal (communes et établissements publics de coopération intercommunale (EPCI)). Proches de 150 Md€, les dépenses du secteur communal représentent 65 % de la dépense locale. Les communes en concentrent les trois quarts, les EPCI à fiscalité propre un quart.
D’importantes disparités de dépense par habitant entre collectivités comparables
Les dépenses par habitant des collectivités du secteur communal se caractérisent par un très haut degré de dispersion statistique. Une fois neutralisées les valeurs extrêmes, elles varient, dans le cas des communes, du simple au triple, autour d’une moyenne de 989 € par habitant (cette moyenne est de 671 € au titre des seules dépenses de fonctionnement).
Si, à l’échelle des blocs intercommunaux (agrégeant les EPCI et leurs communes membres), cette dispersion est moindre, les dépenses par habitant n’en varient pas moins du simple au double (après neutralisation des valeurs extrêmes) autour d’une dépense moyenne de 1 473 € par habitant (1 071 € au titre des dépenses de fonctionnement).
D’importants écarts de dépenses sont aussi constatés entre collectivités comparables en termes de population ou de potentiel fiscal. Ni l’une, ni l’autre de ces variables, ni même leur combinaison ne suffisent donc à les expliquer.
Les concours financiers de l’État au secteur local : dynamique et évolutions
Le dynamisme de la dépense locale a historiquement été sous-tendu par celui des concours financiers de l’État. Entre 2004 et 2013, le principal d’entre eux, la dotation globale de fonctionnement (DGF) consacrée aux collectivités du secteur communal, a crû de 18 %.
En 2015, l’ensemble des dotations, tel que défini plus haut, s’élevait à 18,5 Md€ pour les communes, 9,9 Md€ pour les EPCI et 23,3 Md€ pour les blocs communaux. Elles représentaient entre un quart et un tiers de leurs recettes réelles de fonctionnement (24 % pour les communes, 37 % pour les EPCI).
Leur structure a évolué au cours des dernières années. Si la part des dispositifs forfaitaires ou « compensateurs » (au regard de suppressions de ressources fiscales ou de transferts de compétences) est restée très majoritaire, celle des dotations et dispositifs à vocation « péréquatrice » s’est significativement accrue. Répondant à un principe inscrit dans la Constitution depuis 2003, ces mécanismes, dont l’objectif est de corriger les inégalités initiales de ressources et de charges entre collectivités, constituent aujourd’hui entre 20 % et 25 % des dotations des collectivités du secteur communal analysées par la Cour.
De fortes inégalités de dotations par habitant principalement dues aux dispositifs forfaitaires
Les montants de dotation par habitant se caractérisent par un niveau de dispersion encore comparable à celui des dépenses. Autour d’une valeur moyenne de 247 € par habitant (communes) et de 312 € par habitant (blocs intercommunaux), elles varient elles aussi du simple au triple, une fois les valeurs extrêmes éliminées.
Ce fort degré de dispersion, plus marqué entre communes qu’entre blocs, affecte l’ensemble des dispositifs étudiés. Si ce constat était attendu, s’agissant des dispositifs « péréquateurs » (par essence sélectifs), il est plus surprenant s’agissant des mécanismes forfaitaires. Les analyses menées par la Cour montrent que la DGF forfaitaire des communes, premier concours financier de l’État au secteur communal, explique à elle seule une part importante de ces écarts : rapportée à la population résidente, la DGF forfaitaire varie ainsi de 0 € à plus de 6 000 € par habitant pour une moyenne de 142 € ; rapportée à la population « DGF », elle oscille entre 0 € et près de 4 800 € par habitant autour d’une moyenne de 123 €.
Fruits de l’histoire et de la compensation de ressources passées, enserrées dans des mécanismes de garantie qui tendent à les rigidifier dans le temps, ces dotations forfaitaires peuvent ainsi être à l’origine d’importants écarts de ressources, y compris entre collectivités comparables en taille ou en richesse fiscale.
Une réduction des dotations de l’État, pensée comme un vecteur d’infléchissement de la dépense locale
La contribution des collectivités locales au redressement des comptes publics, engagée en 2014, a été imputée sur la DGF, principal concours financier de l’État. Dans le secteur communal, elle a été fixée à 7 Md€ au cours de la période 2014-2017 (2,07 Md€ par an à compter de 2015 après une première baisse de 0,84 Md€ en 2014), soit une baisse cumulée de 35 % de la DGF en quatre ans2.
Le dynamisme historique des concours financiers de l’État, ainsi que la part des dotations dans les recettes des collectivités locales expliquent que cette diminution ait été – au moins en partie – conçue comme un moyen de les inciter à maîtriser durablement leurs dépenses de fonctionnement. Les observations récentes de la Cour3 tendent d’ailleurs à confirmer le bien-fondé de cette stratégie puisque les dépenses de fonctionnement des communes et des EPCI à fiscalité propre ont ralenti notablement leur progression en 2015.
Pour autant, une analyse approfondie de la fonction de dépense des collectivités du secteur communal nécessite de bien resituer les dotations comme un déterminant parmi d’autres de la dépense locale.
Les dotations : un déterminant parmi d’autres de la dépense locale
La dépense locale dépend tout d’abord de la nature et du volume des ressources mobilisables (dont les dotations ne sont que l’une des composantes). Différents travaux de la Cour ont ainsi montré qu’en 2014 et 2015, le dynamisme des recettes fiscales du secteur communal a plus que compensé la baisse des dotations, accroissant même le montant des recettes de fonctionnement et celui de dépenses susceptibles d’être ainsi financées.
La dépense dépend ensuite des coûts de production des services publics, dont la grande variabilité génère d’importantes inégalités, inhérentes aux disparités de situation entre collectivités du fait des caractéristiques de chacune d’entre elles.
La dépense dépend enfin des préférences et des choix locaux, opérés par les décideurs élus (degré de mobilisation de la richesse fiscale, modes de gestion et qualité des services publics). L’autonomie de gestion des collectivités territoriales, corollaire de la décentralisation, est constitutionnellement garantie par le principe de libre administration. Différentes analyses de la Cour ont montré comment, en 2014 et 2015, les décideurs locaux ont pu choisir de faire face à la baisse des ressources liées aux dotations principalement par une réduction de leur effort d’investissement même si des efforts de gestion ont été perceptibles en fin de période.
Le nécessaire détour par l’économétrie
C’est l’objet même de l’approche économétrique, développée par la Cour en complément d’outils d’analyse statistique plus classiques, que d’estimer le rôle de chacune des variables potentiellement explicative du niveau de la dépense locale, tout en tenant compte de l’influence de l’ensemble des autres.
En hiérarchisant l’impact de chacune de ces variables dans l’explication des inégalités de dépense, une telle approche permet de limiter les risques de mauvaise interprétation, liés à l’analyse de « corrélations simples » (toujours susceptible de masquer l’influence d’une tierce variable masquée).
Elle permet également de pallier les limites de l’information financière des collectivités qui, aujourd’hui encore, font obstacle à la mesure directe de « coûts standard » des services publics locaux.
Cette approche économétrique, menée en partenariat avec l’Université de Rennes 1 (M. Leprince, maître de conférences), s’appuie sur les acquis de la recherche académique nationale et internationale en la matière. En particulier, elle s’inspire des travaux d’Alain Guengant et Guy Gilbert, pour une part mobilisés dans les conclusions du rapport du groupe de travail sur la maîtrise des dépenses locales, présidé par Gilles Carrez et Michel Thénault en 2010. La démarche de la Cour a ainsi été conçue de manière à pouvoir en comparer les résultats avec ceux de ce rapport. Elle en prolonge les développements en complétant l’analyse des déterminants de la dépense des communes par celle des dépenses des blocs intercommunaux, formés par les EPCI et leurs communes membres, et en cherchant à distinguer l’effet des dotations forfaitaires de celui des dispositifs de péréquation.
L’importance des variables de ressources dans la fonction de dépense locale
Confirmant l’un des constats du rapport de 2010 (données de 2005), les travaux de la Cour, menés sur des données de 2015, indiquent que les variables de ressources expliquent près de 50 % des disparités de dépenses entre communes. Cette contribution est supérieure à celle des variables de charges (21,5 %).
Menée pour la première fois au niveau des blocs intercommunaux, l’analyse de la Cour indique en revanche une contribution équilibrée des variables de charges (38 %) et de ressources (39 %) à ce niveau. Sans doute la neutralisation, à l’échelle des blocs, d’une part importante des disparités de richesse fiscale et de dotations entre communes constitue-t-elle une explication de cette différence.
Les observations de la Cour révèlent une contribution marginale (située entre 0 et 2 %) des variables d’intégration intercommunale à l’explication des disparités de la dépense locale, confirmant l’hypothèse selon laquelle le développement de l’intercommunalité ne s’est pas encore traduit par l’effet de substitution, attendu des pouvoirs publics, des dépenses de l’EPCI à celles de ses communes membres.
Le rôle des dotations dans l’explication des disparités de dépense
Les dotations contribuent, à elles seules, à près de la moitié de l’effet de ressources (46 % dans le cas des communes, 52 % dans le cas des blocs), confirmant là encore l’un des principaux constats du rapport de 2010 (données de 2005).
En 2015, la part des dotations dans l’explication des disparités de dépense des communes reste ainsi supérieure à celle du « ratio fiscal » (variable du modèle retenu, censée représenter le coût du service public, communal ou intercommunal, supporté par le contribuable local). L’impact du revenu par habitant demeure pour sa part marginal.
La part du « ratio fiscal » ressort moindre en 2015 (10 % à 12 % de l’effet ressources) qu’en 2005 (environ 21 %). Outre des considérations de méthode, ce résultat peut en partie s’expliquer par les effets de la réforme fiscale de 2010, qui a privé les élus locaux d’un important pouvoir de taux (le taux de CVAE est fixé au plan national) et a pu contribuer à réduire les disparités qui en résultent.
Plus généralement, les analyses de la Cour tendent à confirmer que si la richesse fiscale initiale explique une part importante de la dépense, un nombre élevé de collectivités comparables à ce titre, exposent des niveaux de dépenses hétérogènes, du fait – notamment – des disparités de dotations dont elles bénéficient.
Un impact des dotations forfaitaires sur la dépense très supérieur à celui des mécanismes de péréquation
Les travaux de la Cour mettent en évidence un impact des dotations forfaitaires très supérieur à celui des dotations de péréquation dans l’explication des disparités de dépense, que l’analyse soit conduite au niveau des communes ou des blocs. Ce résultat pourrait suggérer que la péréquation est utilisée à des fins de modération de l’effort fiscal plus souvent que pour accroître l’offre de service public.
Quoique ce constat, résultat d’une analyse inédite, doive être considéré avec une certaine prudence, les analyses empiriques complémentaires menées par la Cour tendent à le confirmer et à conforter l’interprétation susceptible d’en être faite.
Enfin, ces travaux mettent également en lumière l’effet de redoublement que peuvent avoir les différentes dotations forfaitaires sur les inégalités initiales de richesse fiscale, contribuant à figer les inégalités de dépense par habitant qui en découlent.
L’influence contrastée des variables de charges
Si individuellement, aucune variable de charges ne dispose d’un pouvoir explicatif équivalent à celui des critères de ressources ou même des seules dotations, leur regroupement facilite en revanche la comparaison.
Ainsi, les critères de population (nombre de résidents, part des enfants d’âge scolaire, nombre d’actifs au lieu d’emploi) et l’intensité de la fonction touristique contribuent davantage à l’explication des disparités de dépense que ne le font les variables « territoriales » (zone montagne, de revitalisation rurale, indice de concentration, voirie, superficie).
Par ailleurs, les travaux de la Cour n’ont pas permis de conclure au caractère significatif de plusieurs autres variables, usuellement tenues pour explicatives du niveau de charge des collectivités du secteur communal (critères de centralité, part des bénéficiaires des aides au logement ou nombre de logements sociaux).
La nécessaire poursuite des projets de réforme des concours financiers de l’État
La mission parlementaire mise en place par le Premier ministre en janvier 2015 pour déterminer les principes et les modalités d’une réforme des concours de l’État au secteur local dans un souci de justice et de transparence a formalisé ses constats et propositions dans un rapport établi par Christine Pires Beaune, députée du Puy-de-Dôme et Jean Germain, Sénateur d’Indre-et-Loire.
À l’issue d’un important travail de consultation, ayant associé élus, associations, groupes politiques au Parlement, administrations et le comité des finances locales, ces propositions ont, pour une large part, nourri les dispositions de l’article 150 de la loi de finances initiales pour 2016. Ce dernier, dont l’entrée en vigueur était initialement prévue pour le 1er janvier 2017, prévoyait de réformer l’architecture de la dotation globale de fonctionnement des communes et des EPCI dans le triple objectif d’en réduire les disparités de montant entre collectivités comparables, d’en renforcer la visée « péréquatrice » en lien avec la réalité des charges supportées par les collectivités bénéficiaires et de réduire la part de ses composantes « figées ».
L’importance des bouleversements induits par une telle réforme explique le besoin exprimé par les élus de disposer d’une simulation précise de l’ensemble de ses impacts.
Aussi le Président de la République a-t-il, au mois de juin 2016, annoncé le renvoi de cette réforme à une loi spécifique qui pourrait intervenir en 2017 en vue d’une application en 2018.
La mise en évidence par la Cour des effets des concours financiers de l’État sur les inégalités de ressources et de dépenses du secteur communal confirme le bien-fondé de la stratégie ayant jusqu’ici consisté à imputer principalement la réduction des dotations sur leurs parts forfaitaires et compensatrices.
Mais les travaux de la Cour plaident également, et plus généralement, pour la conduite à son terme d’une réforme plus globale de ces concours financiers, dans le but notamment de réduire la composante « figée » des dispositifs forfaitaires et d’adopter un mode de calcul tenant meilleur compte de la réalité des charges auxquelles sont confrontées les collectivités.
L’intensification et l’évaluation de la péréquation
Les travaux de la Cour suggèrent qu’une intensification des dispositifs « péréquateurs » ne se ferait pas au prix d’une dépense locale nécessairement et significativement accrue. Intensifier l’action correctrice de ces dispositifs sur les inégalités initiales de richesse, à mesure que diminueraient ceux qui en redoublent parfois l’effet, au prix d’une dépense publique potentiellement mieux maîtrisée, serait ainsi triplement justifié.
De ce point de vue, les travaux de la Cour procurent un fondement théorique au renforcement, au sein de la DGF, des dotations de péréquation « verticale », qui sont passées, pour les communes4, de 3,03 Md€ en 2012 à 3,95 Md€ en 2016.
La poursuite de ce mouvement devrait toutefois être soumise à une mesure d’ensemble et régulière de l’efficacité des dispositifs considérés, aujourd’hui insuffisante. La Cour recommande en outre d’y adjoindre un volet permettant de mesurer plus finement les impacts de la péréquation sur la dépense locale.
Une réflexion à mener sur les critères d’éligibilité et de répartition des dotations
Les travaux de la Cour soulèvent plusieurs interrogations quant au mode de calcul et au rôle de certains critères utilisés pour déterminer l’éligibilité et le montant de divers dispositifs.
C’est notamment le cas des critères de centralité : aucun élément quantitatif ne permet à ce stade d'étayer l'impact sur les disparités de dépenses de la notion de centralité. En faire l'un des pivots de la future réforme de la DGF supposerait donc, à tout le moins, d’asseoir cette notion sur un indicateur reflétant la réalité des charges qu'elle implique pour les collectivités et d'en simuler précisément les effets sur la répartition des dotations.
En ce qui concerne le mode de calcul de la « population DGF », la Cour a montré qu’il pouvait constituer un important majorant du niveau des dotations par habitant, accentuant dans certains cas de façon sensible l’effet sur les disparités de dépenses des inégalités de richesse fiscale.
Une étude spécifique devrait aussi être conduite sur la portée du critère de revenu moyen par habitant dont la Cour observe que l’importance accrue que souhaitent lui accorder les pouvoirs publics ne repose sur aucun fondement quantitatif pleinement convaincant, compte tenu de son rôle très limité dans l’explication des disparités de dépenses par habitant.
Enfin, l’importance des indicateurs de richesse fiscale dans l’explication du niveau de la dépense locale plaide pour que soient corrigés les défauts et les biais qui en affectent aujourd’hui la lisibilité et la portée.
La Cour formule les recommandations suivantes :
mener à son terme la réforme des concours forfaitaires de l’État aux communes et aux EPCI, en vue de réduire la part de leurs composantes figées au profit d’un mécanisme de répartition tenant meilleur compte de la réalité des charges auxquelles elles sont confrontées, du fait de leurs disparités de situation ;
poursuivre l’intensification des dotations et dispositifs à vocation « péréquatrice », en soumettant ces derniers à une évaluation régulière et d’ensemble de leur efficacité, incluant une mesure plus systématique de leurs impacts sur le niveau de la dépense locale ;
préalablement à ces réformes, revoir les critères d’éligibilité et de calcul des dotations de l’État aux communes et aux EPCI après avoir étudié l’impact du resserrement de la carte des intercommunalités sur les indicateurs de richesse et de charges, l’intérêt éventuel d’un indicateur relatif aux « charges de centralité », l’effet du recours à la « population DGF » en lieu et place de la « population INSEE », la pertinence du « revenu moyen par habitant comme critère de charges », et après avoir remédié aux biais qui affectent aujourd’hui la lisibilité et la portée des indicateurs de richesse fiscale.
Le dynamisme historique des dépenses locales, soutenu par celui des concours financiers de l’État, explique que ce dernier attende de la réduction des dotations aux collectivités locales, engagée en 2014, non seulement la réalisation d’économies budgétaires mais aussi une rationalisation des dépenses de fonctionnement des collectivités.
La forte dispersion des niveaux de dépenses par habitant entre collectivités du secteur communal et l’importance des ressources – à commencer par les dotations – dans l’explication de ces disparités, ont été mises en lumière dans de nombreux travaux ces dernières années.
Plusieurs de ces travaux ont également analysé la structure des dotations de l’État, concluant à la nécessité de renforcer leur pouvoir de péréquation afin de rétablir un meilleur équilibre au regard de leur rôle « compensateur » (compétences transférées, suppression de ressources) dans l’octroi des concours financiers, tout en maîtrisant la dépense publique.
Peu d’éléments scientifiques, permettant de relier les enjeux d’une péréquation accrue et ceux d’une maîtrise renforcée de la dépense locale, étaient toutefois disponibles à ce stade.
Champ des travaux menés par la Cour
L’idée d’actionner le levier des dotations de l’État pour infléchir le dynamisme de la dépense locale est budgétairement fondée sur leur part dans les recettes réelles de fonctionnement des collectivités et des règles d’équilibre budgétaire qui s’imposent à elles.
Les dotations ne constituent pas pour autant le seul déterminant de la dépense, qui en compte trois principaux :
tout d’abord, la nature et le volume des ressources mobilisables (dont le produit de la fiscalité et celui des dotations) qui varient très fortement d’un territoire à l’autre ;
ensuite, des coûts de production des services publics variables, reflets de la grande hétérogénéité de situation des collectivités, générateurs d’inégalités que le principe constitutionnel de péréquation vise à corriger ;
enfin, du pouvoir de décision des assemblées délibérantes et des exécutifs locaux (degré de mobilisation de la richesse fiscale, modes de gestion, qualité et gamme des services publics), garanti par le principe de libre administration des collectivités territoriales.
Aussi l’impact de l’un ou l’autre de ces facteurs ne peut-il être compris et isolé sans analyser celui de chacun des autres. C’est pourquoi, afin de répondre à la question posée par l’Assemblée nationale, il était nécessaire que la Cour :
mesure la réalité de la dispersion des niveaux de dépenses par habitant entre collectivités du bloc communal ;
établisse dans quelle mesure les dotations concourent à cette dispersion ;
compare cet impact des dotations avec celui d’autres variables de richesse et de charges ;
distingue cet impact selon le type de dotations considérées ;
réponde à la question de savoir si l’intensification des concours « péréquateurs » est de nature à permettre une réduction des écarts de situation tout en incitant à une meilleure maîtrise de la dépense locale.
Méthodologie de travail de la Cour
Conformément aux demandes de l’Assemblée nationale, la Cour a établi son rapport en s’appuyant sur une approche quantitative et une analyse statistique.
Une base de données a été constituée avec l’aide du Centre d’appui métier (CAM) de la Cour afin de mettre en regard, au titre de l’année 2015, des données issues des comptes de gestion des collectivités, des fichiers de la direction générale des collectivités locales (DGCL) et des bases de l’INSEE. Cette base de données a permis à la Cour d’analyser les interactions entre une centaine de variables et ratios, appliquées à plus de 36 000 communes et 2 000 établissements publics intercommunaux (EPCI) à fiscalité propre.
Une analyse statistique traditionnelle n’aurait pas été suffisante pour répondre aux questions posées. La multiplicité et la complexité des facteurs pris en compte dans la conduite de cette enquête se prêtent mal à une simple analyse de corrélation entre variables, susceptible de conduire à des conclusions erronées.
Par ailleurs, si les données budgétaires et comptables disponibles permettent d’établir le périmètre et le montant des ressources des collectivités du secteur communal, il n’en va pas de même des différences de coûts de production des services locaux, que les lacunes de la comptabilité fonctionnelle de ces collectivités ne permettent pas de calculer directement.
Enfin, la part des « choix » ou des « préférences locales » dans la constitution des disparités de dépense n’est pas immédiatement quantifiable.
Pour cet ensemble de raisons, la Cour a choisi de réaliser une étude économétrique des déterminants de la dépense locale en s’appuyant notamment sur les travaux d’Alain Guengant et de Guy Gilbert, ainsi que sur les développements de la recherche académique nationale et internationale en la matière.
Conçu et mis en œuvre en partenariat et sous la supervision de M. Matthieu Leprince, maître de conférence à l’Université de Rennes 1, le modèle utilisé par la Cour aborde la fonction de dépense en mobilisant la théorie de « l’électeur médian », appliquée au choix local de dépense publique pour analyser le niveau de service comme une fonction de demande dans les élections locales.
Les choix méthodologiques opérés à ce titre reposent, pour l’essentiel, sur des fondements documentés dans la littérature scientifique. Par rapport aux travaux publiés, le travail de la Cour apporte plusieurs développements nouveaux, en réponse aux attentes exprimées par l’Assemblée nationale.
En particulier, l’analyse a été conduite à un double niveau : celui, classique, des communes (afin notamment de permettre une comparaison des résultats de la Cour avec les travaux antérieurs de G. Gilbert et A. Guengant) mais aussi, de façon inédite, celui des blocs intercommunaux, considérés comme l’agrégation sur un territoire des données relatives aux EPCI à fiscalité propre et à leurs communes membres.
En outre, cette analyse a été menée dans le souci de distinguer l’effet sur la dépense des dotations en fonction de leur nature, que celle-ci soit forfaitaire et « compensatrice » ou, à l’inverse, explicitement « péréquatrice ». Cette option justifie notamment les choix opérés par la Cour quant au périmètre des dépenses et dotations analysées.
Périmètre de la dépense analysée par la Cour
La Cour a retraité les comptes de gestion des communes de métropole et de leurs groupements à fiscalité propre pour analyser les déterminants des dépenses de fonctionnement, des dépenses d’investissement et des dépenses totales. Enfin, pour les besoins du modèle économétrique, un agrégat spécifique a été constitué : il correspond aux dépenses de fonctionnement, augmentées d’une quote-part annualisée de dépenses d’investissement, équivalentes à la valeur ajoutée brute annuelle du capital public local. Établi dans le respect des travaux de modélisation antérieurs sur lesquels s’appuie la Cour, cet agrégat permet une vision plus large que les seules dépenses de fonctionnement tout en neutralisant l’effet de cycle électoral sur les dépenses d’équipement.
Ces retraitements ont fait l’objet de groupes de travail internes dont les conclusions ont été présentées et discutées avec les bureaux compétents de la DGFiP et de la DGCL. Ils sont détaillés en annexe.
Le périmètre des dépenses et recettes étudiées a été limité aux opérations budgétaires réelles, nécessitant l’exclusion des opérations d’ordre ou d’opérations réelles conjointement retracées au compte de résultat et au bilan (cas, notamment, des dépenses d’investissement).
L’agrégation des données comptables des communes et de leurs groupements a nécessité la neutralisation de leurs flux croisés, en recettes comme en dépenses. Aussi, ni les dépenses ni les recettes des blocs intercommunaux ne correspondent à l’addition des données relatives aux entités qui les constituent.
Seuls les budgets principaux ont été pris en compte. Les difficultés techniques de consolidation des budgets principaux et des budgets annexes n’ont pas encore été résolues. Cependant, cette lacune n’obère pas sensiblement la fiabilité des résultats de l’enquête de la Cour. D’une part, une grande partie des dépenses des budgets annexes font l’objet de subventions d’équilibre versées par les budgets principaux des collectivités. D’autre part, l’importance des dépenses et recettes des budgets annexes peut être relativisée à l’échelle des blocs intercommunaux pris dans leur ensemble5.
agrégats de dépense analysés dans le cadre de l’enquête (2015)
En Md€ | Communes | EPCI | Bloc communal |
Dépenses de fonctionnement | 66,8 | 22,1 | 80,3 |
Dont dépenses de personnel | 35,3 | 7,6 | 38,6 |
Dépenses d’investissement | 18,5 | 7,8 | 24,3 |
Dépense totale | 85,3 | 29,9 | 104,6 |
Dépense du modèle économétrique | 77,1 | 26,9 | 94,8 |
Source : données DGFiP, calcul Cour des comptes
Périmètre des dotations prises en compte dans l’analyse
Les dotations dont la Cour a étudié l’impact sur la dépense représentaient en 2015 25 % des recettes réelles de fonctionnement des communes et des blocs intercommunaux analysés (37 % pour les EPCI).
La Cour a regroupé certaines dotations, en fonction de leur objet et de leur montant. Elle en a également distingué la nature selon qu’elle est principalement forfaitaire, « compensatrice » ou « péréquatrice ».
Les dotations retenues dans le champ de l’étude couvrent plus de 80 % des concours financiers de l’État6 au secteur communal, hors outre-mer.
La Cour a par ailleurs choisi d’inclure dans son périmètre d’analyse des dispositifs dits « horizontaux », fonctionnant sur le principe d’une redistribution entre collectivités : fonds national de garantie individuelle des ressources (FNGIR : 2,25 Md€) ; fonds de solidarité des communes de la région Ile-de-France (FSRIF : 0,27 Md€) ; fonds de péréquation des ressources intercommunales et communales (FPIC : 0,78 Md€) ; dotation de solidarité communautaire (un peu moins d’ 1 Md€).
Aussi le terme de « dotations », utilisé dans le présent rapport, doit-il être compris dans une acception large, qui dépasse de loin le périmètre de la seule dotation globale de fonctionnement (DGF). L’acception retenue explique que les dotations puissent présenter, dans certains cas, des montants négatifs (lorsque la contribution aux dispositifs « horizontaux » excède le montant des dotations reçues).
Au total, les dotations étudiées s’élevaient en 2015 à 18,5 Md€ pour les communes, 9,9 Md€ pour les EPCI et 23,3 Md€ pour les blocs communaux (après élimination des flux croisés).
Une présentation détaillée du périmètre des dotations étudiées figure en annexe n° 3.
Les dépenses des communes et de leurs groupements à fiscalité propre se caractérisent à la fois par leur progression rapide (I) et de forts écarts en termes de montants par habitant (II).
Sur longue période, les dépenses publiques locales se caractérisent par un dynamisme que les transferts de charges liées à la décentralisation sont loin d’expliquer intégralement. La hausse des dépenses de fonctionnement, notamment de personnel, des collectivités du secteur communal, est un facteur essentiel de ce dynamisme. À défaut d’intégration suffisante, le développement de l’intercommunalité n’a pas encore permis de réaliser les économies d’échelle qu’en attendaient les pouvoirs publics.
Selon les données de la comptabilité nationale, avec une dépense s’élevant à près de 227 Md€ en 2015, les collectivités locales réalisent près de 20 % des dépenses publiques.
Entre 1983 et 2013, les dépenses des administrations publiques locales (APUL) ont ainsi augmenté en valeur de + 5 % en moyenne annuelle, passant de 8,6 à près de 12 points de PIB. Seule la moitié de cette augmentation est imputable aux transferts de compétences liés à la décentralisation7. La quasi-totalité de l’accroissement des dépenses « hors décentralisation » depuis 1980 est lié à la hausse des dépenses de fonctionnement.
part des collectivités locales dans la dépense publique
Source : Cour des comptes, données INSEE, y.c. budgets annexes, en Md€
Avec près de 150 Md€, le secteur communal représente 65 % de la dépense des collectivités territoriales. Au sein de ce secteur, les communes concentrent 75 % de la dépense, contre 25 % pour les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre (EPCI) à fiscalité propre.
part du secteur communal dans la dépense locale, parts respectives des communes et des EPCI à fiscalité propre
Source : Cour des comptes, données INSEE, budgets principaux, en Md€
La dépense du secteur communal est pour plus des trois quarts composée de dépenses de fonctionnement. Les dépenses de personnel en constituent le premier poste.
L’augmentation sensible des dépenses de fonctionnement des EPCI, du fait du développement de l’intercommunalité, ne s’est pas accompagnée, au cours des dernières années, d’une réduction équivalente des dépenses de fonctionnement des communes.
dépenses réelles (fonctionnement / investissement) communes, EPCI
Source : Cour des comptes, données DGFiP, en Md€, budgets principaux
Alors que les pouvoirs publics attendaient une réduction des dépenses cumulées des communes et de leurs groupements, les travaux menés par A. Guengant et M. Leprince en 2002 ont mis en évidence que la coopération intercommunale pouvait au contraire, conduire à les augmenter. Ainsi, toutes choses égales par ailleurs, les auteurs montrent qu’une augmentation de 10 % des dépenses intercommunales réduit de seulement 1 % celles des communes, voire même les augmente dans les petites communes des groupements urbains.
La Cour a souligné, dans son rapport public sur les finances publiques locales de 2014, l’importance des incitations financières créées à compter de 1999 pour encourager le développement de l’intercommunalité. Celles-ci ont favorisé l’engagement de dépenses nouvelles plutôt que la recherche d’économies d’échelle : « Si l’intercommunalité s’est étendue, l’objectif de rationalisation de l’organisation du secteur communal n’a pas encore été atteint (…) la persistance d’organismes nombreux et variés sur un même territoire rend difficile le partage par les communes d’une vision cohérente et claire de l’action intercommunale. En outre, cette superposition des structures est génératrice de surcoûts administratifs » que traduit notamment la forte progression des effectifs et de la masse salariale des communes et intercommunalités. De 2002 à 2013, les effectifs de la fonction publique territoriale se sont accrus de 27,5 %, soit 405 000 agents supplémentaires. Pour plus de la moitié, cette évolution est venue du secteur communal. Les effectifs des communes et des établissements intercommunaux ont augmenté de 20 %, soit 243 000 agents alors que ces entités n’ont pas fait l’objet de nouveaux transferts de compétences de la part de l’État à la différence des départements et des régions8. Le resserrement de la carte intercommunale engagé en application de la loi NOTRe vise à remédier à cette situation.
Plusieurs autres travaux récents ont également montré qu’à défaut d’une intégration suffisante, le développement de l’intercommunalité s’est traduit par une extension de l’offre et des coûts du service public local, plus que la génération d’économies nettes9.
Les niveaux de dépense par habitant présentent de très importantes inégalités, au niveau des communes comme à celui des blocs intercommunaux, c’est-à-dire des ensembles constitués par les EPCI et leurs communes membres. Ces disparités se retrouvent entre collectivités comparables en taille et en potentiel fiscal. Ni la population, ni la richesse fiscale, ni la combinaison de ces deux critères, ne permettent à eux seuls de les expliquer.
Autour d’une dépense moyenne de 989 € par habitant, le rapport entre la commune dont le niveau est le plus faible (145 € par habitant) et celle dont le niveau est le plus élevé (près de 52.000 € par habitant) est de 1 sur 350. Toutefois 99 % des communes ont une dépense inférieure à 4 000 € par habitant. Les rapports inter-déciles donnent une image plus juste de cette dispersion : 10 % des communes ont ainsi une dépense inférieure ou égale à 483 € par habitant. À l’opposé, 10 % des communes ont une dépense supérieure ou égale à 1 585 €. Entre ces deux valeurs, qui regroupent 80 % des communes, le rapport inter-décile est de 3,3.
dispersion des dépenses totales des communes
Source : données DGFiP, calcul Cour des comptes, dépenses réelles, budgets principaux hors outre-mer, 2015
Autour d’une dépense moyenne de 1 473 € par habitant, le rapport entre le bloc dont le niveau est le plus faible et celui dont le niveau est le plus élevé est de 1 sur 26. 10 % des blocs ont une dépense inférieure à 985 € par habitant. À l’inverse, 10 % ont une dépense supérieure ou égale à 2 001 € par habitant. Entre ces deux valeurs, qui composent l’intervalle où se situent 80 % des blocs, le rapport inter-décile est de 2,03.
Dispersion des dépenses totales des blocs
Source : données DGFiP, calcul Cour des comptes, dépenses réelles, budgets principaux hors outre-mer, 2015
La dépense d’investissement contribue à amplifier les écarts tout en rendant leur analyse délicate, compte tenu des déterminants propres à cette catégorie de dépenses (et notamment l’effet de cycle électoral). Or, si l’analyse des seules dépenses de fonctionnement (75 % des dépenses réelles des communes et des blocs) conduit à réduire l’amplitude des écarts, elle ne remet pas en cause le constat de leur très inégale distribution.
dispersion des dépenses de fonctionnement des communes et des blocs
Source : données DGFiP, calcul Cour des comptes, dépenses réelles, budgets principaux hors outre-mer, 2015
L’existence de fortes inégalités de dépense par habitant se vérifie, y compris entre collectivités de taille comparable.
Ainsi, le rapport inter-décile conserve une valeur élevée, que l’analyse soit faite sur le seul périmètre des communes de moins de 500 habitants ou celui des communes de 500 à 50 000 habitants. Une dispersion un peu moins forte s’observe toutefois parmi les communes de plus de 50 000 habitants.
De telles inégalités de dépense par habitant se retrouvent également entre collectivités comparables en termes de richesse fiscale.
Ce constat est valable au niveau des communes, comme à celui des blocs.
disparités de dépenses entre collectivités selon la population et le potentiel fiscal
Source : données DGFiP, calcul Cour des comptes, dépenses réelles, budgets principaux hors outre-mer, 2015
CONCLUSION
Les dépenses des administrations publiques locales, d’un montant total de 227 Md€ en 2015, atteignent près de 20 % des dépenses publiques. Avec 150 Md€, les collectivités du secteur communal (les communes et leurs groupements à fiscalité propre) représentent près des deux tiers de cet ensemble. Leurs dépenses, pour plus des trois quarts constituées de charges de fonctionnement, se caractérisent sur longue période par un dynamisme que les transferts de charges liés à la décentralisation sont loin d’expliquer intégralement. Elles se caractérisent également par de très fortes disparités. En témoigne la très importante dispersion des niveaux de dépenses, en euros par habitant, qui affecte l’ensemble des communes, y compris celles qui sont comparables en termes de taille démographique ou de richesse fiscale. Ces disparités sont moins marquées lorsqu’elles sont mesurées à l’échelle des blocs intercommunaux (qui agrège les données relatives aux groupements à fiscalité propre et à leurs communes-membres). Elles n’en demeurent pas moins très significatives.
Les dotations analysées par la Cour, dont le périmètre ne coïncide pas avec celui des concours financiers de l’État (I), constituent une ressource importante des collectivités du secteur communal, dont la fonction « péréquatrice », quoique toujours seconde, tend à s’affirmer (II), et qui présentent de puissantes inégalités de répartition (III).
Les concours financiers de l’État aux collectivités territoriales et à leurs groupements rassemblent les dotations versées sous la forme de prélèvements sur recettes ainsi que les subventions versées à partir des crédits du budget général relevant de la mission Relations avec les collectivités territoriales. Ils constituent une ressource budgétaire libre d’emploi.
Ces dispositifs ont été créés pour compenser les suppressions de ressources fiscales des collectivités et leur permettre d’assumer les charges nées de la décentralisation. Leur évolution est généralement encadrée par des mécanismes de garantie afin d’éviter des ruptures de ressources au fil des réformes dont elles font l’objet. Les concours financiers « forfaitaires » ou « compensateurs » inclus dans l’analyse de la Cour sont les suivants :
la dotation globale de fonctionnement forfaitaire des communes (10,4 Md€ en 2015) ;
la dotation de compensation des EPCI (4,5Md€) ;
la part forfaitaire de la fraction de base de la dotation d’intercommunalité (0,9 Md€) ;
les dotations de compensation d’exonération de fiscalité directe locale (1,8 Md€) correspondant aux exonérations de niveau législatif, prises en charge par l’État ;
diverses compensations des réformes de la fiscalité professionnelle10 (1,8 Md€) ;
enfin, la catégorie des « autres dotations forfaitaires » (0,5 Md€), qui regroupe un nombre important de concours de faible montant11.
Ces dispositifs visent à corriger les inégalités de situation auxquelles sont confrontées les collectivités. Les dotations de péréquation répondent en cela à un objectif constitutionnel. Les concours « péréquateurs » inclus dans le champ d’analyse de la Cour sont les suivants :
la dotation de solidarité rurale des communes (1 Md€) ;
la dotation de solidarité urbaine des communes (1,6 Md€) ;
la dotation nationale de péréquation des communes (0,7 Md€) ;
la dotation « élu local » (0,06 Md€) ;
la part « péréquation » de la dotation d’intercommunalité (1 Md€).
La Cour a choisi de ne pas comptabiliser en tant que « dotations » plusieurs concours financiers tels que les versements du fonds de compensation de la TVA et du fonds de soutien à l’investissement local ainsi que la dotation d’équipement des territoires ruraux (DETR).
Pour l’essentiel, ces concours constituent des recettes d’investissement calculées à due proportion de la dépense afférente. Ils diffèrent ainsi par nature des ressources « libres d’emploi » alimentant le fonctionnement des collectivités bénéficiaires et sur lesquelles la Cour a choisi de focaliser la présente enquête.
A l’inverse, la Cour a choisi d’inclure dans le périmètre des « dotations » plusieurs dispositifs n’ayant pas le caractère de « concours financiers ».
Ces dispositifs, dits « horizontaux », sont conçus comme des outils de redistribution entre collectivités. Ils fonctionnent sur la base d’un mécanisme de prélèvement / reversement. Ce mécanisme est retracé dans les comptes de gestion des comptables publics locaux en recettes (comptes 732X et 7392X).
Trois de ces dispositifs « horizontaux », inclus dans l’analyse de la Cour, ont une vocation « péréquatrice ».
le fonds de péréquation des ressources communales et intercommunales (FPIC) dont les modalités de calcul (versement et prélèvement) sont territorialisées (établies à l’échelle d’un « bloc » avant partage entre communes et EPCI) : 0,8 Md€ en 2015 ;
le fonds de soutien des communes de la région Île-de-France (FSRIF) : 0,25 Md€ ;
la dotation de solidarité communautaire correspondant à un versement des EPCI à leurs communes membres, dont les modalités de calcul varient sensiblement d’un territoire à l’autre (0,9 Md€) ;
Exclure ces dispositifs du champ de l’étude, dans le contexte de la poursuite de la montée en puissance du FPIC (1 Md€ en 2017) aurait en effet conduit à amputer l’analyse de la péréquation d’une part essentielle de ses composantes dynamiques.
L’un de ces dispositifs peut toutefois être considéré comme ayant une vocation « forfaitaire » ou « compensatrice » : le fonds national de garantie individuelle des ressources (FNGIR) d’un montant de 2,2 Md€ pour le secteur communal. Le FNGIR constitue, avec la dotation de compensation de la réforme de la taxe professionnelle (DCRTP)12, l’un des deux instruments mis en place en 2010 pour assurer la neutralité budgétaire de la réforme de la fiscalité locale des entreprises. Un FNGIR est ainsi institué au sein de chaque catégorie de collectivités (régions, départements et Paris, bloc communal hors Paris). Ces fonds sont abondés par un prélèvement auprès des collectivités lorsqu’un excédent est constaté entre le panier de ressources avant réforme et après réforme en tenant compte du versement éventuel de la DCRTP. FNGIR et DCRTP servent donc conjointement un même objectif : celui de compenser les effets de la réforme. Seul leur mode de financement diffère. Par souci de cohérence, la Cour a dès lors choisi de n’écarter aucun des deux.
L’ensemble des dotations et dispositifs inclus dans le périmètre d’analyse de la Cour sont détaillés à l’annexe n° 3.
L’agrégation au niveau des blocs intercommunaux des dotations correspondant à des versements entre entités d’un même territoire (cas, par exemple, de la dotation de solidarité communautaire) permet d’éviter leur double comptabilisation.
L’addition de dispositifs horizontaux aux concours verticaux peut conduire à accroître ou minorer sensiblement le montant des « dotations forfaitaires » ou « de péréquation » d’une collectivité, selon la situation de contributeur ou de bénéficiaire dans laquelle elle se trouve.
Le périmètre retenu par la Cour permet de donner une image plus complète et fidèle des dispositifs financiers à vocation forfaitaire et compensatrice, dont bénéficient les collectivités locales. Par exemple, la prise en compte du FNGIR, même si elle est de nature à faire apparaître, dans certains cas, des dotations « négatives », se justifie pleinement par son objet même qui est de compenser des pertes de recettes liées à la réforme de la fiscalité professionnelle locale, au même titre que la compensation de la « part salaire » qui constitue un compartiment essentiel de la DGF forfaitaire des communes, ou que la DCRTP qui constitue aussi un concours financier ayant le même objet.
Les dotations et les divers dispositifs inclus dans le champ d’analyse de la Cour représentent un quart des recettes de fonctionnement des collectivités du secteur communal. Cette part est plus affirmée dans les recettes des EPCI (37 %) que dans celle des communes (24 %).
dotations et recettes de fonctionnement du secteur communal, 2015
Source : Cour des comptes, données DGFiP, budgets principaux, hors outre-mer
Ces dotations ont contribué à la hausse, entre 2003 et 2014, des transferts financiers de l'État au secteur local (+ 36 % sur la période, hors mesures de décentralisation), comme l’illustre, sur cette même période, l’évolution du principal concours de l’État au secteur communal, la dotation globale de fonctionnement (DGF).
évolution de la DGF totale (communes et EPCI)
Source : DGCL (en M€)
Le dynamisme de la dépense locale, soutenu par celui des concours financiers de l’État, ainsi que la part des dotations dans le panier de recettes des collectivités expliquent l’association de ces dernières aux efforts de maîtrise des déficits publics.
En sus de la réalisation d’économies budgétaires, la diminution des concours financiers de l’État, engagée en 2014, a été conçue comme un moyen d’inciter les collectivités à maîtriser durablement leurs dépenses de fonctionnement pour réduire leur besoin de financement sans pénaliser excessivement l’investissement.
La loi de finances initiale pour 2008 avait mis en place un « contrat de stabilité » limitant à l’inflation la progression des concours de l’État.
Les lois de finances initiales de 2011 à 2013 ont instauré la stabilisation en valeur à périmètre constant des concours de l’État, hors FCTVA et dotations de compensation de la réforme de la taxe professionnelle.
La loi de finances pour 2014 a prévu une baisse de 1,5 Md€ de la dotation globale de fonctionnement (DGF). La loi du 29 décembre 2014 de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019 a accru la contribution des collectivités territoriales au redressement des comptes publics en prévoyant des diminutions successives des concours financiers de l’État de 3,42 Md€ en 2015, de 3,66 Md€ en 2016 et de 3,67 Md€ en 2017, soit une baisse cumulée de 10,75 Md€ en trois ans.
Chaque année, la baisse de la DGF est répartie entre catégories de collectivités (communes, EPCI, départements et régions) proportionnellement à leur poids dans les recettes locales. Pour le bloc communal, la réduction est de 7 Md€, (-2,07 Md€ par an à compter de 2015 après une première baisse de 0,84 Md€ en 2014), soit une baisse de 35 % en quatre ans.
Le 2 juin 2016, le Président de la République a toutefois indiqué son intention de réduire de moitié la contribution du bloc communal en 2017, sans préciser s’il s’agissait d’un étalement sur une année supplémentaire ou d’une réduction pérenne (qui aurait pour effet de ramener à 30 % la réduction sur la période considérée).
L’article 72-2 de la Constitution fixe le principe de « dispositifs de péréquation destinés à favoriser l'égalité entre les collectivités territoriales ». Si l’égalité entre collectivités n’est pas précisément définie par la Constitution, la jurisprudence constitutionnelle a permis de préciser qu’elle doit concilier le principe de liberté avec celui d’égalité par l’instauration de mécanismes de péréquation financière. La réduction des écarts de richesse et de charges entre collectivités vise, de fait, l’égalisation du rapport entre offre de services publics et effort fiscal.
La part des dispositifs à visée « péréquatrice » bénéficiant au secteur communal s’est globalement accrue au cours des dernières années, sous le triple effet de :
la progression des enveloppes des dotations de péréquation verticale ;
la montée en puissance de la péréquation « horizontale » des communes, pour une part gagée sur la réduction de concours « forfaitaires » (en 2015 et 2016, la hausse des enveloppes de péréquation (297 M€ pour la DSR et la DSU) a été financée, pour moitié, au sein de la DGF (dispositif d’écrêtement de la dotation forfaitaire des communes), et, pour moitié, par la baisse des allocations compensatrices d’exonérations fiscales servant de variables d’ajustement) ;
la stabilisation puis la réduction en valeur des dotations forfaitaires depuis 2014.
évolution des péréquations verticale et horizontale du secteur communal
Source : DGCL, en M€
Si, globalement, dans le secteur communal, la péréquation a progressé ces dernières années, elle demeure limitée par rapport au total des dispositifs et dotations dont bénéficient les collectivités concernées, tels que les a comptabilisés la Cour.
Entre 2013 et 2015, cette part est passée de 18 % à 20 % pour les blocs intercommunaux. D’un côté, elle a progressé de 22 % à 27 % pour les communes mais, de l’autre, elle a reculé de 14 % à 12 % pour les EPCI : l’imputation sur la dotation d’intercommunalité (dont la vocation est « péréquatrice » à plus de 50 %) de leur contribution au redressement des finances publiques s’est ainsi traduite par un accroissement de la part relative des dispositifs « forfaitaires ».
évolution des parts « péréquatrice » et forfaitaire des dotations des collectivités du secteur communal
Source : Cour des comptes, données DGFiP, budgets principaux, hors outre-mer, en Md€
L’efficacité des dispositifs de péréquation a été analysée par plusieurs rapports13 au cours des dernières années.
Compte tenu de leurs montants encore limités, leur efficacité reste soumise à leur concentration sur des situations précisément définies. Or, dans son rapport public thématique de 2014 sur les finances publiques locales14, la Cour évoquait un système reposant sur la superposition de dispositifs mal articulés : « Les mécanismes de péréquation (…) constituent un ensemble peu lisible dont l’évaluation est complexe, compte tenu de la pluralité des critères d’éligibilité et de répartition, de l’insuffisante sélectivité des dispositifs et de l’existence de garanties de ressources qui en réduisent la portée ».
La nécessaire mise en cohérence de ces dispositifs, l’insuffisant ciblage et les effets de seuil des deux principaux d’entre eux, la dotation de solidarité rurale (DSR) et la dotation de solidarité urbaine (DSU), ont été largement documentés dans plusieurs travaux récents15. Les travaux de la Cour au titre de la présente enquête montrent pour leur part :
que les communes bénéficiant des plus hauts montants de péréquation sont en majorité – comme on doit s’y attendre – les moins favorisées en termes de potentiel fiscal par habitant ; ces constats sont encore plus marqués au niveau des blocs ;
mais aussi qu’une part non négligeable des communes et des blocs fiscalement « riches » bénéficient eux aussi d’un niveau important de péréquation.
analyse croisée des dotations de péréquation et du potentiel fiscal
Source : Cour des comptes, données DGFiP, budgets principaux, hors outre-mer, en Md€
En jaune : la majorité (57 %) des communes et des blocs (69 %) appartenant au 5ème quintile de péréquation par habitant (soit les collectivités les plus aidées) appartiennent aux deux premiers quintiles de potentiel fiscal par habitant (soit les collectivités les moins riches). De la même manière, 83 % des communes (91 % des blocs) les moins aidées (1er quintile de péréquation) appartiennent aux deux quintiles les plus riches en termes de potentiel fiscal par habitant. L’exigence de ciblage global semble donc respectée pour ces collectivités.
En rouge : pour autant, 25 % des communes (17 % des blocs) bénéficiant des plus hauts niveaux de dotation de péréquation (5ème quintile) font également partie des collectivités les plus favorisées en termes de potentiel fiscal. Quoique les dispositifs de péréquation n’aient pas pour seul objectif d’aider les collectivités les moins favorisées en termes de richesse fiscale, ces résultats montrent un ciblage perfectible des dispositifs de péréquation analysés par la Cour.
La DGF, dans ses diverses composantes, demeure de loin la principale dotation des collectivités du bloc communal telles que la Cour les a analysées. Elle demeure une dotation principalement forfaitaire et « compensatrice ».
part et structure de la DGF dans les dotations du secteur communal
Source : Cour des comptes 2016, données DGFiP, hors budgets annexes, métropole uniquement
Au cours des dernières années, la très inégale distribution des dotations forfaitaires et leur rôle dans le maintien d’écarts injustifiés de richesses entre collectivités comparables ont été mis en lumière dans plusieurs rapports16.
Fruits de l’histoire et de la compensation de ressources passées, enserrées dans des mécanismes de garantie qui tendent à les figer, ces dotations créent, selon C. Pires-Beaune et J. Germain, « des écarts plus importants entre communes comparables qu’entre communes de strates différentes ».
Depuis la loi de finances pour 2015, la DGF forfaitaire des communes regroupe une dotation de base et cinq concours financiers aux vocations hétérogènes, dont les composantes « figées » (compléments de garantie, complément part salaires, compensation des baisses de dotations de compensation de la taxe professionnelle) représentent plus de 90 %.
L’article 150 de la loi de finances pour 2016 prévoyait l’entrée en vigueur, en 2017, d’une réforme de la DGF visant à mieux arrimer sa part forfaitaire à la réalité des charges auxquelles font face les collectivités du secteur communal.
En clôture du Congrès des maires, le 2 juin 2016, le Président de la République a toutefois annoncé le renvoi cette réforme à une loi spécifique de financement des collectivités pour 2018.
L’article 150 de la LFI pour 2016 prévoyait de réorganiser la DGF des communes autour de trois composantes :
1/ une dotation de base, égale au produit de la population par un montant fixe ;
2/ une dotation de ruralité (estimée par une mesure de la densité de population) ;
3/ une dotation partagée entre communes et EPCI prenant en compte les charges des communes-centre liées à l'utilisation de leurs équipements par les habitants de communes voisines.
La LFI pour 2016 prévoyait par ailleurs de fusionner les dotations d’intercommunalité et de compensation des ECPI et de les ventiler en trois composantes :
1/ une dotation de péréquation progressive au profit des EPCI à faible potentiel fiscal, calculée en fonction de la population, du CIF et du potentiel fiscal ;
2/ une dotation d’intégration calculée en fonction du CIF et de la population de l’EPCI ;
3/ une dotation de centralité, partagée avec les communes.
Pris dans leur ensemble et tels que mesurés par la Cour sur les bases précisées supra, les niveaux de dotations, en euros par habitant, présentent des disparités comparables à celles constatées pour les dépenses, quoique moins importantes entre blocs intercommunaux qu’entre communes.
indices de dispersion du montant des dotations par habitant
Source : données DGFiP, calcul Cour des comptes, dépenses réelles, budgets principaux hors outre-mer, 2015
Impact du périmètre élargi retenu par la Cour sur les montants de dotation par habitant :
Le périmètre des dotations et dispositifs retenu par la Cour explique pour une part l’importance de ces écarts et l’existence de montants négatifs. C’est notamment le cas de collectivités dont la contribution aux dispositifs « horizontaux » excède le montant des dotations reçues. Ici, le chiffre de - 32 190 € par habitant constitue une valeur extrême : la commune de Paluel (Seine-Maritime), qui accueille d’importantes installations de production d’énergie, dispose d’une forte richesse fiscale, pour une population de seulement 591 habitants. Elle ne touche ni DGF forfaitaire, ni dotation de péréquation, elle contribue en revanche de manière très significative au FNGIR et au FPIC. Les rapports inter-déciles permettent de neutraliser l’impact des valeurs extrêmes.
L’importante inégalité des niveaux de dotations de péréquation en euros par habitant n’est pas en soi surprenante, compte tenu du caractère sélectif de leur attribution et des critères de leur calcul. En revanche, les dotations « forfaitaires » présentent, elles aussi, un profil très fortement dispersé.
dispersion des dotations par habitant (péréquation / forfaitaire)
Source : données DGFiP, calcul Cour des comptes, dépenses réelles, budgets principaux hors outre-mer, 2015
Ces écarts ne sont pas, pour l’essentiel, imputables aux particularités du périmètre des dotations et dispositifs retenu par la Cour.
Ainsi, la DGF forfaitaire explique une large part de ces inégalités, qu’on la rapporte à la population INSEE (comme le fait la Cour) ou à la « population DGF » que retient l’administration pour son allocation.
dispersion des montants de DGF forfaitaire par habitant (communes)
Source : données DGFiP, calcul Cour des comptes, dépenses réelles, budgets principaux hors outre-mer, 2015
La commune de Martigues est un pôle secondaire, économique et touristique des Bouches-du-Rhône. Elle compte environ 50 000 habitants. Elle dispose d’un montant de dotations forfaitaires par habitant quatre fois moins important que la moyenne de la strate (94 € contre 391 €). Cet écart est dû, pour une très large part au niveau de DGF forfaitaire par habitant qui lui est attribué (43 €), soit le niveau le plus faible de la strate.
D’une population comparable, la commune de Levallois-Perret, située dans la petite couronne de la région parisienne est celle dont le montant de DGF forfaitaire par habitant est le plus élevé (582 €), soit plus de 10 fois celui dont dispose Martigues.
Cet écart est dû au poids des composantes figées de la DGF. Alors que les deux communes bénéficiaient en 2014 d'une dotation de base équivalente (117 € et 114 € par habitant), la « part salaire » instituée en 1999, en compensation des pertes de bases liées à la réforme de la taxe professionnelle, représentait 535 € par habitant à Levallois-Perret (soit 80 % de sa DGF forfaitaire) et 0 € à Martigues, dont la DGF forfaitaire est à 99 % composée de sa seule dotation de base.
La réforme de la DGF en 2015 a globalisé ces différents compartiments, cristallisant les disparités initiales de de dotations par habitant qui en résultent.
Il convient cependant de noter que, dans le cadre de la présente enquête, la prise en compte par la Cour des montants prélevés au titre des différents dispositifs « horizontaux » (FPIC, FSRIF et FNGIR auxquels contribue la commune de Levallois) conduit à ramener ses dotations à un niveau inférieur (193 € contre 391 € en moyenne pour la strate).
L’analyse, à des fins illustratives, de quelques situations individuelles (cf. annexe n° 8), montre non seulement l’importance des écarts de dotations par habitant, mais aussi la très grande diversité de structure qui les caractérise, d’une collectivité à l’autre.
La commune de Gravelines, située au nord de la France, accueille d’importantes installations de production d’énergie. Elle dispose d’un montant de dotations de 191 € par habitant contre 285 € en moyenne pour l’ensemble de la strate. La commune, qui ne touche pas de DGF forfaitaire, reçoit en revanche des dotations compensant la perte de ressources fiscales et le coût des exonérations de fiscalité locale. Non éligible à la péréquation nationale, elle bénéficie néanmoins de la dotation de solidarité communautaire, qui constitue d’ailleurs à elle seule la quasi-totalité de ses dotations. Ces dernières ne représentent toutefois que 4 % de ses recettes réelles de fonctionnement.
La commune de Fameck, située dans un ancien bassin industriel de l’Est de la France, reçoit des dotations d’un montant de 441 € par habitant (285 € en moyenne pour la strate). Ces dotations représentent 51 % de ses recettes réelles de fonctionnement. La péréquation (essentiellement la DSU) y concourt pour presque la moitié.
CONCLUSION
Le montant des dotations et autres dispositifs financiers pris en compte dans l’enquête de la Cour s’élève à 18,5 Md€ pour les communes, 9,9 Md€ pour les EPCI à fiscalité propre et plus de 23 Md€ pour les blocs intercommunaux. Il représente plus du quart de leurs recettes réelles de fonctionnement et sa croissance, au cours des quinze dernières années, en a favorisé le dynamisme. Aussi les lois de finances successives ont-elles commencé en 2008 à encadrer l’augmentation des concours financiers de l’État aux collectivités locales avant de les diminuer à compter de 2014. Premier de ces concours, la dotation globale de fonctionnement (DGF) aura ainsi été réduite d’environ 30 % entre 2013 et 2017. Les mécanismes de péréquation ont été développés depuis dix ans mais la part des dotations ayant une vocation essentiellement forfaitaire ou « compensatrice » (de pertes de recettes fiscales sous l’effet des réformes passées) reste dominante : elle atteignait 73 % pour les communes en 2015, 88 % pour les EPCI et 80 % pour les blocs intercommunaux.
L’ensemble des dotations et autres dispositifs étudiés par la Cour se caractérisent par des disparités en euros par habitant, plus grandes encore que celles des dépenses, entre communes comme entre blocs intercommunaux. Ces disparités résultent dans une large mesure de la DGF forfaitaire des communes qui comporte, en son sein, des dispositifs de compensation qui ont cristallisé des inégalités de richesse fiscale. C’est principalement la réduction de ces parts « figées », au profit d’une répartition tenant meilleur compte de la réalité des niveaux de charges des collectivités du secteur communal, que visait la réforme de la DGF inscrite à l’article 1450 de la loi de finances initiale pour 2016, dont le projet de loi de finances initiale pour 2017 prévoit l’abrogation après l’annonce au printemps dernier par le Président de la République du renvoi de cette réforme à une loi spécifique.
Si les dotations versées aux collectivités locales constituent l’un des déterminants de leurs dépenses (II), il est nécessaire de recourir à l’approche économétrique pour mesurer leur rôle dans l’explication de la grande disparité des niveaux de dépenses par habitant (II).
À compter de 2014, l’évolution comparée de la DGF et des dépenses réelles de fonctionnement des communes (stabilisées en 2015 après une hausse de 2,9 % en 2013 et 1,9 % en 2014) semble vérifier le lien entre dotations et dépenses. Il en va de même s’agissant des EPCI, dont le dynamisme des dépenses de fonctionnement s’est ralenti (+1,5 % en 2015) après trois années de forte augmentation (+ 6,8 % en 2012, + 4,7 % en 2013 et 2014).
évolution comparée de la DGF et des dépenses de fonctionnement
Source : Cour des comptes, données DGFiP, budgets principaux.
NB : Afin de raisonner à champ constant, la dépense des EPCI a été calculée en 2014 hors communauté urbaine de Lyon et en 2015 hors métropole de Lyon
La dépense des communes et de leurs groupements dépend de trois facteurs principaux :
la nature et le volume des ressources mobilisables (dont la fiscalité et les dotations), dont le montant par habitant varie beaucoup d’un territoire à l’autre ;
les coûts des services publics locaux, fortement variables, générateurs d’inégalités entre collectivités que le principe constitutionnel de péréquation vise à corriger ;
des choix des élus locaux (degré de mobilisation de la richesse fiscale, modes de gestion et qualité des services publics), l’autonomie de gestion des collectivités étant garantie par le principe de libre administration inscrit dans la Constitution.
L’ajustement de la dépense locale résulte ainsi d’un arbitrage dont les dotations ne constituent qu’un des termes, comme l’illustre l’analyse des évolutions des collectivités du secteur communal au cours des derniers exercices.
En 2014 et 2015, le dynamisme des recettes fiscales du secteur communal a largement compensé la baisse des dotations, accroissant du même coup le montant des recettes de fonctionnement et celui de dépenses susceptibles d’être ainsi financées.
évolution des recettes de fonctionnement (communes, EPCI)
Source : Cour des comptes, données DGFiP, budgets principaux, en Md€
De 2012 à 2015, l’accroissement du produit des impôts locaux dont les collectivités votent les taux a résulté d’un effet-base (86 % de la hausse des recettes pour les communes, 57 % pour les EPCI) plus que d’un effet-taux.
La revalorisation forfaitaire des valeurs locatives cadastrales des biens immobiliers votée, comme chaque année en loi de finances initiale, a contribué en 2016 pour plus de 330 M€ à taux constants à cet effet dans le secteur communal. Elle a ainsi eu pour effet de compenser (à la charge du contribuable local) 16 % de la baisse de la DGF. Si les mesures de revalorisation forfaitaire des bases d’imposition, décidées annuellement par le Parlement, peuvent paraître avantageuses pour les collectivités par rapport au rythme de l’inflation constatée, il convient toutefois de les mettre en regard avec l’absence de révision générale des bases depuis 1970.
À recettes fiscales constantes, et dès lors qu’elle n’est pas intégralement répercutée sur la baisse des dépenses de fonctionnement, la baisse des dotations réduit l’épargne brute des collectivités, et donc l’autofinancement de leur section d’investissement. Il en résulte un choix entre renoncer à l’investissement ou le maintenir au prix d’un recours accru à l’endettement. La réduction importante des investissements, observée depuis 2014 dans les communes et les EPCI, a ainsi contribué à modérer l’évolution de la dépense globale.
taux d’évolution comparés des dépenses du bloc communal
Source : Cour des comptes, données DGFiP, budgets principaux, en Md€
De récents travaux de la Caisse des dépôts et consignations corroborent l’existence d’un lien entre dotations et dépenses d’investissement des communes. Les résultats issus d’un modèle économétrique17 indiquent ainsi qu’une baisse de 1 % des dotations de l’État entraîne la première année, toutes choses égales par ailleurs, une contraction de l’investissement comprise entre 0,1 % et 0,4 %.
Il convient, quoi qu’il en soit, d’aborder avec une certaine prudence le postulat du lien entre la baisse des dotations de fonctionnement et celle de l’investissement. Comme la Cour l’a rappelé dans son rapport public thématique sur les finances publiques locales en 2015, les dépenses d’investissement des collectivités fluctuent et s’inscrivent dans le cycle électoral. Après deux années de baisse, l’investissement des communes et de leurs regroupements pourrait être de nouveau orienté à la hausse en 2016.
Les nombreuses variables potentiellement explicatives des variations de dépense doivent être mobilisées dans l’analyse. Or, leurs interactions mutuelles nécessitent que le rôle de chacune soit estimé en tenant compte de l’influence de l’ensemble des autres.
L’analyse statistique des corrélations entre dépenses par habitant et une série de variables peut être conduite au moyen de mesures standard telles que le « coefficient de Pearson » qui indique l’existence d’une corrélation linéaire ou encore le « rang de Spearman » qui indique l’existence d’une « corrélation de rang » entre variables.
Leur interprétation doit toutefois rester prudente. Le lien entre deux variables peut n’être qu’apparent et résulter d’une corrélation « cachée » avec une tierce variable. À titre d’illustration, le lien entre la « fonction touristique » d’une collectivité et son niveau de dépense peut laisser entendre l’existence de surcoûts spécifiques. Or ce lien peut aussi masquer l’existence d’une corrélation entre, d’une part, cette « fonction touristique » et le surcroît de ressources qui en résulte pour la collectivité et, d’autre part, entre le niveau des ressources et celui de la dépense. Dans ce cas précis, départager l’effet « charges » et l’effet « ressources » nécessite d’analyser le poids de chaque variable, en tenant compte de l’effet de la totalité des autres.
C’est précisément l’objectif de la démarche économétrique que de permettre d’appréhender le rôle de chacune de ces variables.
D’un point de vue microéconomique, la dépense est toujours le produit d’un « coût de production des services publics » et d’un niveau de service. Or ce coût n’est pas directement observable et ne peut être comparé à un quelconque « coût standard », compte tenu des insuffisances de la comptabilité fonctionnelle du secteur communal.
Comprendre les disparités de dépense nécessite donc d’en réaliser une « estimation » en mobilisant l’ensemble des variables (dites « de charge ») susceptibles d’influer sur la dépense au sein d’un modèle économétrique, tout en contrôlant les variables de ressources.
Il en va de même des « préférences locales », qui reflètent l’autonomie de choix des décideurs élus. Les résultats du modèle économétrique tiennent compte de ce déterminant de la dépense locale, que les seules variables de situation (de richesse et de charges) ne sauraient intégralement expliquer.
Le titre 2 du tome 1 de l’instruction M14 précise que la nomenclature fonctionnelle a « été conçue comme un instrument d’information destiné à faire apparaître, par activité, les dépenses et les recettes d’une commune. La ventilation des dépenses ou des recettes par fonction est établie selon la finalité de l’action envisagée ». Elle ne s’impose toutefois qu’aux seules communes de 3 500 habitants et plus. La nomenclature fonctionnelle n’est donc pas de nature à répondre au besoin d’une évaluation directe de la fonction de dépense des collectivités du bloc communal.
Plusieurs exemples étrangers invitent néanmoins à considérer l’intérêt d’une telle démarche.
L’Italie a choisi en 2009 de calculer des « besoins de financement standard », mesurant précisément le coût de fourniture d’un service public local dans chaque collectivité afin de répartir en conséquence les fonds de péréquation. Douze services publics fondamentaux ont été identifiés (gestion des déchets, éducation, etc.), ainsi que treize facteurs de coût (prix des intrants, caractéristiques du territoire, démographie, etc.), alimentés par 122 critères (prix au m² des bureaux, nombre de bénéficiaires d’une allocation d’invalidité, etc.).
En Suisse, l’estimation des charges des communes et le calcul de la péréquation financière reposent sur un indice synthétique, construit à partir de 10 fonctions, réparties en catégories (transports, enseignement, soins aux personnes âgées, aide sociale, etc.) auxquelles sont associées des indicateurs (nombre d’enfants scolarisés, de personnes âgées, etc.). La « moyenne des besoins » qui permet de situer une commune par rapport aux autres à des fins de répartition de l’enveloppe « péréquatrice » est estimée selon une nomenclature fonctionnelle fine des dépenses de communes.
Les premiers travaux de modélisation économétrique des comportements de dépense des communes en France ont été publiés en 1998 par A. Guengant18, dont l’objectif était alors d’évaluer l’influence des variables de charges sur la dépense, dans le contexte d’une progressive montée en puissance des dispositifs de péréquation financière.
Ces travaux, poursuivis conjointement par A. Guengant et G. Gilbert, ont été mobilisés en 2004 par le Commissariat général au plan afin d’évaluer le pouvoir correctif de ces dispositifs sur les inégalités initiales de richesse et de charges des communes.
Le modèle conçu dans le cadre de cette étude de référence19 a également été utilisé dans le cadre du rapport du groupe de travail sur la maîtrise des dépenses locales, présidé par G. Carrez et M. Thénault 20.
Ce rapport relevait, en 2010, le rôle majeur des variables de ressources dans la formation des inégalités de dépenses locales, supérieur à celui des variables de charges :
les variables de ressources expliquent 62 % des disparités de dépense des communes ;
les dotations constituent la variable de ressource la plus explicative de ces disparités (28% pour les communes) ;
l’effet des variables de « charges » (21 % pour les communes) se révèle significatif mais moins important que celui des dotations.
C’est à la poursuite et à l’approfondissement de ces travaux précités que l’Assemblée nationale a demandé à la Cour de procéder.
Pour analyser la fonction de dépense des collectivités du bloc communal, la Cour est repartie des modèles développés par Alain Guengant21 et de Guy Gilbert22. Elle en a repris les principales spécifications tout en s’appuyant sur les développements de la recherche académique nationale et internationale en la matière23.
La dépense communale par habitant est le produit d’un coût par habitant du service public local (appelé encore « indice de charge » et noté p) et du niveau de service public local noté z. Cette fonction de dépense équivaut donc à d = p * z.
L’approche microéconomique standard aborde généralement cette fonction de dépense en mobilisant la théorie de « l’électeur médian » appliquée au choix local de dépense publique24 pour analyser le niveau de service z comme une fonction de demande dans les élections locales.
Le modèle de « demande » retenu par la Cour suppose notamment que les choix locaux de dépenses s’ajustent aux demandes de l’électeur médian. Une autre approche aurait été possible, consistant à retenir un modèle « d’offre ». Ce dernier tient compte d’une asymétrie d’information entre le décideur et le contribuable, qui crée une moindre dépendance du choix de dépenses aux demandes de l’électeur médian. Dans ce modèle, c’est d’abord la richesse fiscale de la collectivité (et non la part du coût fiscal qui échoit à l’électeur médian) qui influe sur le niveau de services publics. Ce modèle pourrait être plus adapté à la situation des grandes collectivités où la distance entre l’électeur et le décideur peut être plus importante.
Plusieurs raisons ont toutefois conduit la Cour à retenir, au titre de la présente enquête, un modèle de « demande ». D’une part, l’exigence de comparabilité des résultats des travaux menés par la Cour avec ceux du rapport de 2010 précité, fondés sur ce même modèle, a été prise en considération. D’autre part, le modèle de « demande » fait l’objet d’un large consensus théorique dans ses fondements alors que le modèle « d’offre » donne lieu à différentes formulations selon les auteurs. Enfin, l’essentiel des travaux publiés sur le comportement de dépense des collectivités locales repose sur un modèle où la demande de services publics augmente avec le revenu de l’électeur médian (dont les dotations sont un élément) et décroît avec le « prix fiscal » de ces services, c’est-à-dire la part de la fiscalité qui lui échoit.
La spécification de ces deux termes clés (« revenu » et « prix ») est tirée de la résolution du programme microéconomique de l’électeur décisif.
Le « prix fiscal » est la part de p, le coût par habitant du service public communal, supportée par l’électeur décisif en tant que contribuable local. C’est pourquoi cette part, appelée aussi « ratio fiscal », est calculée comme le rapport entre le potentiel fiscal de la taxe d’habitation et le potentiel fiscal de l’ensemble des taxes locales dont le taux est fixé par la collectivité. Dans l'optique de la demande, le décideur est en effet supposé attentif au partage de l'impôt entre les contribuables électeurs d'une part, et non électeurs (pratiquement, les entreprises) d'autre part. Le choix des dépenses intègre par conséquent la répercussion du prélèvement fiscal sur les votants et en premier lieu sur le votant médian25.
Cette modélisation avait permis à Alain Guengant et Guy Gilbert le calcul d’un « indice de charge » tenant compte des effets sur la dépense des coûts de production du service public et des modes de partage de ce service entre groupes d’usagers, ces deux dimensions étant par exemple approchées par des variables telles que la superficie, la longueur de la voirie, la population, le nombre de lits touristiques, etc.
L’objectif de l’estimation économétrique du modèle de dépense retenu dans l’enquête de la Cour est de préciser quels sont, en moyenne et à effets donnés des critères de charges, les effets de chacune des autres variables explicatives et, plus particulièrement, ceux des dotations, sur le niveau de leur dépense par habitant.
Reposant sur la mobilisation de plusieurs méthodes (Moindres Carrés Ordinaires, méthodes des variables instrumentales), cette démarche suppose une relation linéaire entre la variable expliquée (la dépense) et les variables explicatives, que permet l’utilisation des propriétés du logarithme. Aussi la fonction prend-elle la forme suivante :
Log(d) = k0 + A * log(V) + B * log (PFTH / PF) + C * log (ym) + D * log (g)
Avec :
d la dépense
k une constante du modèle
V une variable de « charge » pour illustration
PFTH/PF le prix (ou « ratio ») fiscal
ym le revenu de l’électeur médian
g les dotations
L’analyse de la Cour est conduite à un double niveau : d’une part, celui des communes (à l’image des travaux antérieurs dont s’inspire le modèle de la Cour) et, d’autre part, pour la première fois, celui des « blocs » intercommunaux (correspondant à l’agrégation des données des EPCI et de leurs communes membres).
Le modèle utilisé par la Cour a ainsi été complété par un terme supplémentaire spécifique à chaque échelon d’analyse :
dans le cas des communes, les dépenses par habitant, à population, ratio fiscal et revenus donnés, sont analysées en tenant compte du niveau de dépense intercommunale (di) : Log(d) = k + A*log(P) + B*log(PFTH / PF) + C*log(ym) + D*log(g) + E*log(di)
dans le cas du bloc communal, la dépense par habitant, à population, ratio fiscal et revenus donnés, doit être analysée en tenant compte de la répartition des compétences entre les deux échelons, approchée par le coefficient d’intégration fiscale ou le taux d’intégration intercommunale en dépense (ici noté Int).
Log(d) = k + A*log(P) + B*log(PFTH / PF) + C*log(ym) + D*log(g) + E*log (Int)
Par ailleurs, la Cour a distingué les modalités de calcul du ratio fiscal, en tenant compte du régime de chaque EPCI (le potentiel fiscal communal de taxe d’habitation est ainsi rapporté à un potentiel fiscal « 3 taxes » en fiscalité professionnelle unique et « 4 taxes » en fiscalité additionnelle).
L’analyse de la Cour distingue l’effet propre aux dotations et dispositifs forfaitaires, d’une part, et de péréquation, d’autre part.
Dans les études existantes, ces effets sont habituellement agrégés alors que les objectifs poursuivis sont différents et qu’on peut penser qu’il en va de même de leurs effets sur la dépense. La Cour a procédé à l’estimation économétrique de plusieurs modèles, distinguant le niveau d’agrégation des différentes dotations afin d’affiner progressivement l’analyse de l’impact de chacune d’entre elles sur la dépense locale par habitant.
Enfin, la Cour a proposé un traitement spécifique, dans le modèle, des variables susceptibles de prendre des valeurs nulles ou négatives (dépense intercommunale pour une commune isolée, commune non-éligible à la péréquation, dotations négatives, etc.). S’inspirant pour cela des publications économétriques disponibles sur ce sujet26, la Cour a associé à chacune de ces variables une variable « indicatrice » valant 1 ou 0.
Les modèles économétriques testés par la Cour permettent d’estimer l’élasticité de la dépense à une série de variables présumées comme statistiquement explicatives et significatives. L’élasticité permet de hiérarchiser l’impact de chacune de ces variables sur la dépense « toutes choses égales par ailleurs », c’est-à-dire en comparant des communes comparables. Elle limite ainsi le risque d’une corrélation masquée avec une tierce variable. Dans l’équation linéaire de la dépense figurant supra, les coefficients A, B, C… accolés à chaque variable correspondent à la mesure de leur élasticité.
Les modèles utilisés par la Cour permettent également de comprendre quelles sont les variables les plus « performantes » dans l’explication des disparités de dépenses par habitant27 (ce qui diffère de l’identification des variables ayant le plus fort impact sur la dépense, toutes choses égales par ailleurs). La « contribution d’une variable à l’explication des disparités de dépenses » est d’autant plus importante que le degré de correspondance entre les « dispersions » de la dépense et celle de cette variable explicative est élevé. Ainsi, la « contribution » d’une variable renseigne sur la « cartographie comparée » des dépenses par habitant (et de leurs disparités) et de la variable explicative analysée, leurs géographies propres (en termes de disparités) étant proches quand la contribution à l’explication des dépenses est forte.
Le modèle explique 70 % des disparités de dépense des communes en 2015 et 78 % de celles des blocs intercommunaux, ce qui constitue un résultat statistiquement satisfaisant.
La qualité des estimations économétriques a été contrôlée par des tests conduits sous la supervision d’universitaires qualifiés en conformité avec la pratique scientifique courante (test de Student, test de White, index du « Variance inflation factor »), au regard de phénomènes (hétéroscédasticité et multicolinéarité, en particulier) qui auraient pu les altérer.
Il n’existe pas en revanche, à ce stade des travaux, de réponse simple quant à la méthode à mobiliser pour éliminer tout risque « d’endogénéité28 » des variables de dotations dans le modèle de dépense publique locale. L’élaboration d’une telle réponse nécessiterait des développements économétriques complémentaires, le collationnement de données nouvelles et la conduite d’investigations incompatibles avec les délais de réalisation de la présente enquête. La Cour considère néanmoins que la méthodologie employée permet de réduire ce risque à un niveau raisonnable, au regard de la prudence d’interprétation des résultats obtenus.
CONCLUSION
Le dynamisme et l’importance des dotations expliquent que les pouvoirs publics attendent de leur réduction une rationalisation des dépenses de fonctionnement des collectivités du secteur communal. L’année 2015 a d’ailleurs permis de constater leur ralentissement après plusieurs années de forte augmentation. Pour autant, l’analyse des déterminants de la dépense ne saurait s’en tenir à celle des dotations, qui ne constituent que l’un facteur de leurs évolutions. Toutes les variables potentiellement explicatives doivent être mobilisées et leurs interactions mutuelles prises en considération. Pour évaluer le rôle de chaque variable tout en tenant compte de l’influence de l’ensemble des autres, la Cour a élaboré un modèle économétrique inspiré de ceux utilisés dans le champ académique depuis vingt ans. Dans ce modèle, la dépense locale est analysée comme le produit d’un niveau de service public par son coût marginal, le niveau de service public étant considéré comme une fonction de demande. Conçu et mis en œuvre sous la supervision d’universitaires qualifiés, le modèle retenu par la Cour a été appliqué à l’échelon communal et, pour la première fois, à celui des blocs intercommunaux. Il permet d’estimer la contribution aux disparités de dépenses d’un ensemble de critères de ressources (ratio fiscal, dotations, revenu par habitant, autres ressources), de variables représentatives des charges liées aux caractéristiques géographiques, sociales et démographiques des collectivités (population, voirie, nombre d’enfants en âge scolaire, part des bénéficiaires d’aides sociales, fonction de centralité, situation en zone montagne, etc.) et du degré d’intégration intercommunale (coefficient d’intégration fiscale, taux d’intégration en dépense).
Le modèle économétrique dont les caractéristiques ont été précisées au chapitre précédent fournit des enseignements (I) sur la part des dotations dans l’explication des disparités de dépenses en fonction de leur nature, forfaitaire ou « péréquatrice ». Ces enseignements conduisent à esquisser des perspectives d’évolution souhaitables (II).
Conformément à l’objectif assigné à son enquête, la Cour a comparé l’impact respectif des disparités de ressources et de charges sur les disparités de dépenses des collectivités du secteur communal. Si l’effet « ressources » a été mesuré à partir de leurs montants constatés comptablement, l’effet « charges », en revanche, a été estimé à partir de différents indicateurs représentatifs de la contrainte budgétaire plus ou moins forte que les caractéristiques démographiques, géographiques ou sociales du territoire des communes et de leurs groupements sont de nature à exercer sur leurs dépenses (cf. annexe n° 7).
Les résultats des modèles économétriques développés par la Cour montrent que, dans le cas des communes, les disparités de dépense sont davantage déterminées par les variables de ressources que par les variables de charges. Les travaux de la Cour confirment l’un des principaux constats du rapport du groupe de travail sur la maîtrise des dépenses locales de 2010, issu des travaux d’Alain Guengant et Guy Gilbert (données 2005).
contribution des différentes catégories de variables à l’explication des disparités de dépense des communes
Le rôle des variables de ressources (48 % en 2015) apparaît relativement plus faible qu’en 2005 (62 %), même si la hiérarchie des facteurs est globalement respectée.
Le rôle des variables de charges apparaît quant à lui très stable (21,5 % contre 20,6 %)
La part des disparités de dépense « non expliquée » par le modèle est plus importante en 2015 (30 %) qu’en 2005 (15,2 %). Dans les deux cas, néanmoins, le part « expliquée » atteint un niveau statistiquement convaincant. Pour mémoire, la part « non expliquée » reflète en partie le jeu des « préférences locales » et les choix de dépense qui en résultent.
Enfin, les résultats de la Cour sur 2015 sont proches de ceux obtenus en mobilisant les modèles sur des exercices antérieurs, cette stabilité étant à porter au crédit de l’enquête.
contribution des différentes catégories de variables à l’explication des disparités de dépense des « blocs »
Menée pour la première fois au niveau des blocs intercommunaux, l’analyse de la Cour indique une contribution équilibrée des variables de charges (38 %) et de ressources (39 %) à l’explication des disparités de dépense.
Sans doute la neutralisation, à l’échelle d’un bloc territorial, d’une part importante des disparités initiales de richesse et de dotations entre communes membres tend-elle à réduire les disparités de ressources entre blocs, ce qui contribue à augmenter la contribution relative des facteurs de charges.
La portée explicative du modèle, supérieure à celle des communes (78 % contre 70 %) apporte du crédit à ce résultat.
Ni l’analyse des coefficients de corrélation ni les résultats du modèle économétrique (détaillés en annexe) ne permettent de conclure à l’existence d’un lien significatif entre le degré d’intégration intercommunale et les disparités de la dépense locale. Les variables d’intercommunalité n’expliquent qu’une part marginale des disparités de dépense.
Ce résultat se vérifie, que l’analyse soit menée au niveau des blocs (contribution de 2,2 %) ou des communes (contribution de 0,4 %), et quelle que soit la mesure employée (coefficient d’intégration fiscale, part de l’EPCI dans les dépenses du bloc). Il tend à confirmer l’hypothèse selon laquelle le développement de l’intercommunalité ne s’est pas encore, à ce stade, traduit par « l’effet de substitution », attendu des pouvoirs publics, des dépenses des EPCI à celles de leurs communes membres.
L’effet des critères de ressources dans l’explication des disparités de dépense par habitant peut être appréhendé au travers de quatre grandes catégories de variables.
Les « dotations » regroupent l’ensemble des concours financiers et dispositifs analysés par la Cour. Le périmètre de cet agrégat est détaillé supra (chapitre II).
Le revenu par habitant pris en compte correspond à la somme des « revenus fiscaux de référence » des foyers fiscaux de la collectivité considérée. Il est rapporté à la population INSEE. Dans un modèle de demande, le revenu est un critère de ressources en fonction duquel doit croître la demande de services publics.
Le ratio fiscal est ici estimé en « structure du potentiel fiscal » : conformément aux spécifications du modèle, il mesure le rapport entre les impositions échéant à l’électeur médian (taxe d’habitation) et l’ensemble de la richesse fiscale mobilisable par le décideur élu. Il capte à la fois « l’effet prix fiscal » en fonction duquel doit décroître la demande de service public (son élasticité est donc logiquement négative, cf. résultats en annexe) et un effet « richesse » (l’importance de la richesse globale réduit la « part fiscale » de l’électeur médian). Les modalités de calcul des termes du ratio fiscal sont précisées en annexe.
Les autres ressources auxquelles font référence les résultats ci-après sont composées de deux sous-ensembles, constitués dans le respect des choix méthodologiques opérés par les travaux antérieurs et dont les modalités de calcul sont précisées en annexe.
Les « ressources proportionnelles » (16 % des recettes réelles de fonctionnement des communes et des blocs) correspondent essentiellement à des concours proportionnels à la dépense (dotation d’équipement des territoires ruraux, participations, etc.), à des recettes de production (coûts facturés à l’usager) et à divers produits exceptionnels.
Les « autres recettes fiscales » (18 % des recettes réelles de fonctionnement des communes, 9 % de celles des blocs) correspondent principalement à des taxes sur lesquelles les élus locaux n’ont pas une totale liberté de fixation des taux (hors CVAE). Elles incluent les attributions de compensation des communes, lesquelles sont logiquement neutralisées au niveau des blocs.
Au niveau des communes, les résultats du modèle économétrique développé par la Cour mettent en lumière le rôle des dotations dans l’explication des disparités de dépense par habitant. Contribuant à près de la moitié de l’effet « ressources » (46 %), les dotations en constituent la principale variable explicative. Ces résultats confirment, en 2015, ceux du groupe de travail sur la maîtrise des dépenses locales de 2010 (données de 2005).
décomposition de l’effet « ressource » dans les communes (2015 et 2005)
En 2015, comme en 2005, la part des dotations dans l’explication des disparités de dépense des communes est supérieure à celle du « ratio fiscal » (mesuré par la « structure du potentiel fiscal »).
Ce résultat mérite un bref développement. Les résultats détaillés du modèle en annexe indiquent en effet une forte élasticité de la dépense au ratio fiscal (qui contraste avec la faible contribution de cette variable à l’explication des disparités de dépense par habitant, au regard notamment des dotations). Cela signifie qu’un nombre élevé de collectivités, dont les structures de potentiel fiscal sont comparables, exposent des niveaux de dépenses fortement hétérogènes, du fait– – notamment – des disparités de dotations dont elles bénéficient.
En outre, la réforme fiscale de 2010 pourrait expliquer l’affaiblissement de la contribution au résultat du ratio fiscal entre 2005 (21 % de l’effet « ressources ») et 2015 (10 %). La fixation par l’État des taux de CVAE a en effet privé les collectivités locales d’un important pouvoir de décision et a pu contribuer à réduire les disparités de richesse fiscale dont la cartographie épouse moins bien celle des disparités de dépense en 2015 qu’en 2005. Par ailleurs, le choix fait par la Cour de différencier le calcul des termes du ratio fiscal en fonction du régime des EPCI de rattachement peut aussi contribuer à expliquer une part des différences entre 2005 et 2015.
L’impact des dotations est légèrement supérieur à celui des « autres ressources ».
L’importante contribution explicative des « autres ressources » (43 % de l’effet ressources) est un résultat attendu, conforme à ceux des travaux antérieurs. Au sein de cet agrégat, ce sont les « autres ressources fiscales » (sur lesquelles la collectivité n’a pas de prise directe, y compris les attributions de compensation29) qui ont le plus fort impact (29,7 % de l’effet ressources). Pour autant la somme des contributions du ratio fiscal et des « autres recettes fiscales » (40 %) reste inférieure à celle des dotations (46 %).
Enfin, la part du revenu par habitant dans l’explication des disparités de dépense (inférieure à 1%) reste marginale, en 2015 comme en 200530.
Sensible au niveau de richesse fiscale et, dans une moindre mesure, à celui du revenu par habitant, la dépense locale se traduit par de fortes inégalités entre communes que les dotations contribuent autant, si ce n’est bien mieux, à expliquer que les autres critères de ressources.
Les résultats du modèle économétrique appliqué aux blocs confirment globalement cette hiérarchie des facteurs.
L’impact des dotations est plus élevé. L’écart entre leur part dans l’explication des disparités de dépense des blocs et celle des « autres ressources » (52 % contre 33 %) est plus important que dans le cas des communes (46 % contre 43 %).
La neutralisation, au niveau des blocs, des attributions de compensation, est sans doute l’un des éléments à l’origine de cette variation de la part des dotations dans l’explication des disparités de dépenses. Dans le modèle, ce flux « intra-bloc » est en effet retracé en tant « qu’autres ressources fiscales » au niveau des communes. Aussi contribue-t-il nécessairement, compte tenu de ses montants (8,7 Md€), à accentuer la variabilité des ressources analysées à ce niveau et donc leur rôle dans l’explication des disparités de dépense.
Si les ressources, dans leur ensemble, contribuent moins dans le cas des blocs que dans celui des communes à expliquer les disparités de dépense, les dotations jouent en définitive un rôle équivalent, avec une contribution de l’ordre de 20 % à 23 %.
Les analyses économétriques de la Cour montrent une influence des dotations forfaitaires trois fois supérieure à celle des dotations de péréquation dans l’explication des disparités de dépenses, que l’analyse soit faite au niveau des communes ou des blocs. Parmi les dotations forfaitaires des communes, c’est la DGF forfaitaire qui possède la plus forte contribution explicative et l’élasticité la plus élevée, devant les autres dispositifs de même nature (compensation d’exonérations de fiscalité locale, compensations liées aux réformes de la fiscalité professionnelle, autres dotations forfaitaires, FNGIR).
part des différentes dotations dans l’effet « ressources »
Cette plus forte contribution à l’explication des inégalités de dépenses se double d’une plus forte élasticité de la dépense aux variations des dotations forfaitaires : 0,29 contre 0,08 dans le cas des communes, 0,19 contre 0,03 dans le cas des blocs.
Une certaine prudence s’impose néanmoins : la différence d’impact des deux agrégats (forfaitaires et péréquation) s’explique au moins en partie par l’écart des montants en jeu (les dotations forfaitaires représentent 73 % des dotations des communes et 80 % de celles des blocs communaux). Enfin, l’approfondissement des effets de la péréquation sur les comportements de dépense (ici appréhendée pour la première fois) nécessiterait, en soi, la mise en œuvre d’un travail de modélisation spécifique, incompatible avec les délais de la présente enquête. Aussi l’interprétation ci-dessous doit-elle, à ce stade, être considérée comme un résultat provisoire que des travaux ultérieurs devront étayer plus avant
L’une des interprétations possibles pourrait être que les dotations forfaitaires, du fait de leur poids, de leur nature et de leur très grande disparité de distribution, contribuent à entretenir d’importants écarts de richesse entre collectivités comparables et les fortes inégalités de dépense par habitant qui en résultent.
Même si le modèle ne le démontre pas explicitement, la moindre sensibilité de la dépense aux dispositifs de péréquation et la plus faible contribution de ces derniers à l’explication des disparités de dépense par habitant pourraient suggérer qu’une part de la ressource qu’ils procurent est utilisée à des fins de modération de l’effort fiscal demandé aux contribuables plutôt qu’à l’accroissement de l’offre de services publics et de la dépense afférente.
Plusieurs travaux menés par la Cour, en complément de son analyse économétrique et développés infra, donnent toutefois également des indices en ce sens.
Les tableaux suivants mesurent la dépense par habitant en fonction du niveau des dotations forfaitaires et de péréquation (appréciés par quintiles).
dépenses réelles de fonctionnement (en € par habitant) en fonction des niveaux de dotations forfaitaires et de péréquation
Source : Cour des comptes, données DGFiP, budgets principaux hors outre-mer, en Md€
Ils montrent qu’au niveau des communes comme à celui des blocs, la dépense réelle de fonctionnement par habitant est plus de deux fois supérieure dans les collectivités conjuguant un faible niveau de péréquation (1er quintile) et un haut niveau de dotations forfaitaires (5ème quintile), par rapport aux collectivités présentant le profil inverse (faible niveau de dotations forfaitaires et haut niveau de péréquation) : la dépense y est respectivement de 1 393 € contre 677 € pour les communes et de 1 783 € contre 860 € pour les blocs.
Ils montrent également qu’à niveau de dotations forfaitaires comparable, l’intensité des concours « péréquateurs » ne se traduit pas par un niveau de dépense accru. À l’inverse, à niveau de péréquation comparable, la dépense croît avec l’intensité des dotations forfaitaires.
Ces tableaux contredisent enfin l’hypothèse selon laquelle le faible impact des dotations de péréquation sur la dépense résulterait de leur allocation à des collectivités dont le niveau de dépense est par nature peu élevé. Une telle relation ne se vérifie pas ici.
La Cour a étudié les caractéristiques des 355 communes de la strate 8 (10 000 à 15 000 habitants) sous le double angle de leur niveau de dépense et des dotations dont elles bénéficient31.
Le total des dotations dont bénéficient les 10 % de communes les mieux « dotées » par les dispositifs de péréquation les situe largement au-delà de la moyenne de la strate (560 € par habitant contre 285 € en moyenne). Cet écart provient bien pour l’essentiel des dotations de péréquation qui leur sont allouées (3,5 fois plus élevées qu’en moyennes). Or cet écart ne se traduit pas par une dépense proportionnellement accrue : la dépense moyenne de ces collectivités n’est que supérieure à celle de la strate que de 8,8 %.
De manière générale, l’analyse des caractéristiques des collectivités de la strate 8, rapportées à la population résidente (INSEE), montre que les communes dont la dépense par habitant est la plus élevée sont non seulement les plus riches fiscalement, mais aussi celles qui disposent du plus haut niveau de dotations forfaitaires.
Ainsi, les 10 % de communes dont le niveau de dépense par habitant est le plus haut bénéficient parallèlement d’un montant de dotations supérieur d’un tiers à la moyenne de la strate (390 € par habitant contre 285 €). Cet écart est imputable aux dotations forfaitaires : celles-ci sont supérieures de 80 % à la moyenne de la strate (363 € contre 203 €) et deux fois plus élevées que dans les collectivités les moins dépensières.
caractéristiques des 10 % de collectivités de la strate 8 dont le niveau de dépense est le plus élevé, rapportées à la population INSEE
Source : Cour des comptes, données DGFiP, budgets principaux, en Md€
La prise en compte de la population résidente explique pour une part l’ampleur de ces écarts. Parmi les communes dont le niveau de dépense est le plus élevé figurent en effet un grand nombre de collectivités dont la fonction touristique est importante. Dans ces communes, la population « résidente » est souvent très inférieure à la population « DGF » sur laquelle se fonde l’administration pour calculer la DGF forfaitaire.
Mais, d’une part, l’ampleur des inégalités de dotation qu’entraîne la « population DGF » pose question en tant que telle, notamment lorsqu’elle favorise des collectivités qui disposent d’une richesse fiscale très supérieure à la moyenne.
D’autre part, la même analyse, conduite en référence à la population « DGF » ne conduit pas à remettre en question la totalité des constats ci-dessus, quoique l’ampleur des écarts de dotation soit moindre.
caractéristiques des 10% de collectivités de la strate 8 dont le niveau de dépense est le plus élevé, rapportées à la population DGF
Source : Cour des comptes, données DGFiP, budgets principaux, en Md€
Ainsi, les 10 % de communes dont le niveau de dépense par habitant est le plus haut disposent d’un potentiel fiscal supérieur de 61 % à la moyenne de la strate. Elles bénéficient parallèlement d’un montant de dotations supérieur de 8 % à la moyenne (283 € par habitant contre 262 €). Cet écart est essentiellement imputable aux dotations forfaitaires, supérieures de 9 % à la moyenne de la strate (197 € contre 180 €).
Les analyses empiriques menées par la Cour illustrent l’influence des inégalités initiales de richesse fiscale sur le niveau de la dépense. Elles illustrent également l’effet de redoublement que peuvent avoir les dotations forfaitaires sur ces inégalités. Les modalités de calcul de ces dotations, et notamment la notion de « population DGF » conduisent, dans certains cas, à majorer les écarts de ressources de façon significative.
Ces analyses tendent par ailleurs à accréditer l’hypothèse, soulevée par l’analyse économétrique, d’un moindre impact sur la dépense des dispositifs de péréquation, par rapport aux mécanismes forfaitaires. Ils contredisent enfin l’explication selon laquelle ce « moindre impact » serait dû à l’allocation prioritaire de la péréquation à des collectivités caractérisées par un faible niveau de dépense lié à des ressources limitées.
Le pouvoir explicatif des variables de charges est inférieur à celui des variables de ressources dans le cas des communes (21,5 % contre 48 %), leurs contributions respectives s’équilibrent dans le cas des blocs intercommunaux (respectivement 38 % et 39 %). Les différentes variables, de charges n’ont cependant pas une influence équivalente.
Les variables dont l’influence est la plus déterminante sont, dans le cas des communes, le nombre d’actifs au lieu d’emploi (30 % de l’effet « charges ») et l’intensité de la fonction touristique des collectivités (19 %). La situation en « zone montagne » et l’importance de la population et des enfants d’âge scolaire arrivent ensuite (11 % et 12 %). Ni la superficie, ni la longueur de la voirie (4 %), ni la situation en zone rurale (1 %) ne jouent un rôle significatif.
L’analyse conduite au niveau des blocs donne des résultats proches de ceux des communes, quant au rôle respectif de chaque variable. L’intensité de la fonction touristique contribue à hauteur de 29 % à l’effet « charges » et le nombre d’actifs au lieu d’emploi pour 24 %. Viennent ensuite la population (12 %) et la situation en « zone montagne » (10 %).
Les autres variables (indice de concentration de la population dans les différentes communes de l’EPCI, polarisation des activités au sein de bassins de vie, nombre d’enfants scolarisés, voirie, superficie, situation en zone de revitalisation rurale) contribuent plus marginalement à l’effet « charges ».
contribution à l’explication des disparités de dépense par habitant, décomposition de l’effet « charges » (communes et blocs)
Si individuellement, aucune variable de charge ne dispose d’un pouvoir explicatif équivalent à celui des critères de ressources ou même des seules dotations, leur regroupement peut en revanche faciliter les comparaisons.
Quoique cette distinction soit par nature discutable, les variables « de population » se révèlent contribuer à l’explication des disparités de dépense de manière plus significative que les variables « territoriales »32. L’intensité de la fonction touristique joue, pour sa part et à elle seule, un rôle comparable à ces variables territoriales.
contributions comparées à l’explication globale des disparités de dépense
Dans le cas des communes, l’influence des dotations est, à elle seule, comparable à celle de l’ensemble des variables de charge. Au niveau des blocs, si la contribution explicative des dotations est stable, la part relative des variables de charge augmente sensiblement. L’effet des dotations est légèrement supérieur (mais comparable en ordre de grandeur) à celui des variables « de population ».
L’étude par strate de la dépense communale par habitant montre que celle-ci est globalement une fonction croissante de la population, confirmant ainsi les observations de plusieurs travaux antérieurs34.
communes : dépenses par habitant selon la strate
Source : données DGFiP, calcul Cour des comptes, dépenses réelles, budgets principaux hors outre-mer, 2015
L’estimation des élasticités issues du modèle économétrique développé par la Cour confirme pour sa part la forte sensibilité de la dépense aux variations de population, une fois contrôlé l’effet des autres variables et toutes choses égales par ailleurs.
En dépit de cette importante élasticité – et à l’image du ratio fiscal – la population contribue moins que d’autres variables de charge ou que les dotations à expliquer les disparités de dépenses par habitant.
Ce résultat s’explique : la population influe fortement sur le niveau de dépense par habitant, mais de nombreuses collectivités de population comparable exposent des niveaux de dépenses fortement hétérogènes du fait du jeu d’autres variables de ressources ou de charges.
Les résultats du modèle indiquent enfin le caractère statistiquement non significatif de plusieurs variables généralement tenues pour explicatives du niveau de charges des collectivités du bloc communal.
Il en est ainsi des différents critères dits « de centralité » testés par la Cour (les différentes variables utilisées pour tenter d’appréhender l’impact des charges de centralité sont détaillées en annexe n° 7).
Il en est de même des critères de « pauvreté » que constituent la part des ménages bénéficiaires des aides au logement et celle des logements sociaux dans l’ensemble du parc locatif.
L’ensemble des travaux menés par la Cour au titre de la présente enquête montre l’importance des critères de ressources dans la détermination du niveau de la dépense locale.
Ces travaux mettent notamment en lumière le pouvoir explicatif des dotations forfaitaires sur les disparités de dépenses.
Ils tendent à confirmer l’hypothèse selon laquelle, l’effet de ces dotations redoublant celui des inégalités de richesse fiscale, leur dimension principalement « compensatrice » contribue à figer dans le temps les inégalités de dépense par habitant qui en résultent.
S’ils conduisent à s’interroger sur le choix fait d’imputer la réduction des concours de l’État sur la dotation d’intercommunalité des EPCI (pour moitié « péréquatrice »), ces constats procurent à l’inverse un fondement à la stratégie engagée depuis 2014, consistant à faire peser sur la DGF forfaitaire des communes leur contribution au redressement des comptes publics
Toutefois, dans ses rapports annuels successifs sur les finances publiques locales, la Cour a souligné que les modalités de calcul de la réduction de la DGF, proportionnelle aux recettes de fonctionnement de chaque commune ou EPCI, tiennent insuffisamment compte de leurs niveaux respectifs de richesses et de charges.
De plus, le choix de la seule DGF forfaitaire pour appliquer la contribution des collectivités au redressement des comptes publics pourrait avoir atteint ses limites. Son montant n’y suffit plus dans un nombre encore minoritaire mais rapidement croissant de collectivités. Cette contribution doit alors s’imputer sur leurs compensations d’exonérations fiscales et, en outre, si nécessaire, prendre la forme d’un prélèvement sur leurs produits fiscaux. Ces collectivités ne contribuent alors plus au financement du développement de la péréquation alors qu’elles comptent souvent parmi les plus riches fiscalement35.
L’ensemble de ces constats plaident pour que soient poursuivis et menés à leur terme les projets de réforme des concours financiers de l’État au secteur communal.
L’occasion de cette réforme devrait être saisie pour réduire la composante figée des dispositifs forfaitaires au profit d’un mode de calcul tenant meilleur compte de la réalité des charges auxquelles sont confrontées les collectivités.
La progression annoncée, en 2017, des enveloppes de péréquation de la DGF (+297 M€ en 2017 pour la DSU et la DSR) et du FPIC (1 Md€ en 2017) s’inscrit dans un mouvement d’affirmation progressive des mécanismes visant à réduire les inégalités de situation entre collectivités, dans une optique d’équité territoriale.
Les résultats de la présente enquête indiquent que cette recherche d’équité territoriale ne se ferait pas nécessairement au prix d’une dépense locale significativement accrue.
Les constats de la Cour tendent en effet à montrer que l’impact des dotations de péréquation sur la dépense serait moindre que celui des dotations forfaitaires.
Ils conduisent à écarter l’hypothèse selon laquelle ce moindre impact serait dû à leur ciblage sur des collectivités par nature « moins dépensières » qu’en moyenne.
Ils constituent enfin une première réponse à la question jusqu’ici indéterminée de savoir si les dotations de péréquation ont principalement pour effet de permettre aux collectivités bénéficiaires d’augmenter le niveau de services et la dépense locale afférente ou, à l’inverse, d’alléger l’effort fiscal nécessaire à la production de ces services. Ici, c’est bien le second effet qui semblerait l’emporter.
Dès lors, accroître l’action correctrice de ces dispositifs sur les inégalités initiales de richesse tandis que diminue l’intensité de ceux qui en redoublent l’effet, au prix d’une dépense publique potentiellement mieux maîtrisée, présenterait un triple avantage.
L’intensification des dispositifs de péréquation devrait être soumise à une évaluation plus systématique de leur efficacité.
Le caractère insuffisamment discriminant de certains dispositifs (que les constats de la Cour contribuent à mettre en lumière) et les effets de seuil qui en affectent le calcul, ont été largement documentés ces dernières années. Ils appellent des réponses.
Les orientations arrêtées par le Comité des finances locales le 12 juillet 2016, visant à recentrer la dotation de solidarité urbaine (DSU) et à mieux la répartir en réduisant les écarts d’attributions des communes éligibles, semblent à cet égard appropriées.
Elles ne résolvent pas pour autant la question d’une mesure d’ensemble et régulière de l’efficacité péréquatrice des concours financiers de l’État, telle que les travaux d’A. Guengant et G. Gilbert en avaient formalisé la méthode en 200436. Or, comme le relevaient l’IGA et l’IGF en 201337, l’année 2006 est la dernière pour laquelle l’ampleur de la correction des inégalités entre collectivités permises par les dotations de l’État a été analysée.
La Cour suggère en outre qu’y soit inclus un volet permettant de mesurer dans quelles proportions les dotations de péréquation sont utilisées pour accroître l’offre de services et la dépense qui en résulte ou, à l’inverse, maintenir une offre équivalente au prix d’un effort fiscal réduit. Si plusieurs indices rassemblés dans le cadre du présent rapport suggèrent que c’est le second de ces effets qui l’emporte, un tel résultat reste à étayer.
Les modalités d’octroi de la « fraction bourg-centre » de la dotation de solidarité rurale (DSR) ou encore la pondération de certains paramètres de la dotation forfaitaire des communes visent à tenir compte des charges de centralité (assumées par les communes les plus peuplées d’un territoire donné au profit des habitants des communes voisines).
Pour des raisons liées aux données disponibles, les auteurs du rapport parlementaire de 2015 sur la réforme de la DGF38 avaient écarté le recours à un critère fondé sur le nombre d’équipements collectifs recensés par commune. Ils avaient proposé que la nouvelle « dotation de centralité » soit calculée en fonction de la population de l’ensemble intercommunal puis répartie entre les communes en fonction de leur poids démographique au sein de leur groupement avec une prime à la plus peuplée d’entre elles.
Dans le cadre de la loi de finances initiale pour 2016, il a finalement été retenu que seraient conjointement pris en compte la « population DGF pondérée » et le coefficient d’intégration fiscale de l’EPCI pour la mesure des charges de centralité et le calcul de leur répartition au sein du bloc communal.
Or, aucune des mesures de « centralité » testées par la Cour (et détaillées en annexe du présent rapport) ne s’est révélée constituer une variable explicative des disparités de dépenses par habitant. Aucune d’entre elles ne paraît non plus liée à la dépense locale par une corrélation ou une sensibilité significative.
Aucun élément quantitatif ne permet à ce stade d'étayer l'impact sur les disparités de dépense de la notion de centralité. En faire l'un des pivots de la future réforme de la DGF supposerait donc à tout le moins de l'asseoir sur un indicateur reflétant la réalité des charges qu'elle implique pour les collectivités et d'en simuler précisément les effets sur la répartition des dotations.
La Cour constate qu’à ce stade, la « population » constitue certainement le critère le plus approprié pour estimer les charges liées à la fonction « centrale » des collectivités. Pour autant, la manière dont la population est aujourd’hui prise en compte dans le calcul des dotations du secteur communal, pose plusieurs questions de fond, sur lesquelles la Cour suggère d’engager une réflexion approfondie.
La population « DGF », en référence à laquelle sont déterminés l’éligibilité et le montant d’un nombre important de dotations et dispositifs financiers, est constituée par la population résidente (dite population « Insee ») majorée en tenant compte du nombre de résidences secondaires et d’emplacement de caravanes39.
Les travaux menés au titre de la présente enquête ont mis en lumière l’impact de ce mode de calcul : l’écart entre la population DGF et la population INSEE constitue un important majorant du montant des dotations par habitant, dont la Cour observe qu’il redouble dans certains cas d’importantes inégalités de richesse fiscale.
Symétriquement, cet écart a pour effet de minorer le potentiel fiscal par habitant des collectivités concernées, au point d’en rendre un certain nombre éligibles à des dispositifs de péréquation, dont la référence à leur seule « population résidente » ne leur aurait pas permis de profiter.
Les diligences menées au titre de la présente enquête ne permettent pas de dresser une conclusion générale sur les cas où ces écarts sont, ou non, fondés. Toujours est-il que les enjeux de cette question justifieraient qu’elle fasse l’objet d’une réflexion spécifique.
Ainsi, la population INSEE 2015 compte 64 838 811 habitants. La population DGF compte, pour la même année, 68 004 785 habitants, soit 3,16 millions d’habitants de plus. À ne considérer que le principal concours de l’État, la DGF forfaitaire, l’ancienne dotation de base (sur laquelle repose encore son calcul) est établie sur une base allant de 64,46 € à 128,93 € par habitant. L’enjeu de la majoration liée à la « population DGF » est donc, a minima, compris entre 200 M€ et 400 M€ par an.
La notion de « revenu par habitant » intervient dans la détermination de l’éligibilité à plusieurs dotations et dans le calcul de leur répartition (DSU, DSR, FPIC, FSRIF, etc.)
Le revenu pris en compte correspond à la somme des « revenus fiscaux de référence ». Il est rapporté à la population INSEE. Il vise à estimer les capacités contributives réelles des redevables. Le fait qu’il constitue un bon indicateur de la situation socio-économique d’un territoire n’est généralement pas remis en question.
Le comité des finances locales du 12 juillet 2016 a souhaité majorer le rôle du revenu moyen par habitant dans la détermination de l’éligibilité à la DSU (le faisant passer de 10 % à 25 %) au détriment du potentiel fiscal, dont la part dans ce calcul serait ramenée de 45 à 30 %.
Si la Cour ne minimise pas la portée des critiques dont fait aujourd’hui l’objet la notion de potentiel fiscal (du fait notamment du vieillissement des bases d’imposition), elle relève le rôle plus significatif que jouent les critères de richesse fiscale par rapport à celui du revenu par habitant dans l’explication du niveau et des disparités de dépense locale.
Ainsi, l'étude économétrique montre que l'élasticité de la dépense au revenu par habitant n'est pas nulle : communes : 0,24 contre 0,29 pour la DGF forfaitaire et -0,91 pour le ratio fiscal ; blocs : 0,30 contre 0,20 pour les dotations forfaitaires et -0,64 pour le ratio fiscal.
Cependant, le revenu par habitant contribue moins que les dotations ou que le ratio fiscal à l'explication des inégalités de dépense (contributions à l’explication des disparités de dépense des communes : 0,5 % contre 22 % pour les dotations et -0,91 pour le ratio fiscal ; blocs : 0,7 % contre 20,2 % pour les dotations forfaitaires et 4,8 % pour le ratio fiscal).
Ces mesures indiquent que, bien que son effet sur la dépense ne soit pas nul, le revenu par habitant ne constitue pas l’un des principaux facteurs explicatifs des disparités de dépenses constatées entre collectivités comparables. Ce constat conduit la Cour à s’interroger sur la tendance à recourir de plus en plus souvent à cet indicateur dans la mise en œuvre des mécanismes de péréquation « verticale » ou « horizontale ».
Si les analyses empiriques de la Cour mettent en lumière l’importance du « potentiel fiscal » dans la détermination du niveau de la dépense locale, elle n’en minimise pas pour autant les critiques dont cet indicateur fait légitimement l’objet.
D’une part, il pâtit de l’obsolescence des bases taxables dont la Cour recommande de mettre en œuvre la réforme d’actualisation, engagée en 201040. D’autre part, il intègre aujourd’hui un ensemble d’éléments hétérogènes ou non déterminés par une décision prise au niveau de la collectivité considérée : le potentiel fiscal des communes inclut non seulement une part des recettes fiscales perçues par l’EPCI de rattachement mais aussi diverses dotations telles que la DCRTP, la part CPS de la DGF forfaitaire, le FNGIR. Ce sont d’ailleurs ces défauts qui, dans le cadre de la présente enquête, ont conduit la Cour à reconstituer un potentiel fiscal adapté aux besoins du modèle économétrique, assis sur les seuls impôts dont le taux est réellement fixé par la collectivité considérée et tenant compte du régime fiscal d'appartenance de l'EPCI.
Aussi apparaît-il nécessaire aujourd’hui, compte tenu de son importance, de réformer l’indicateur actuel en procédant prioritairement à l'actualisation des bases locales et en s'inspirant, si les pouvoirs publics le jugent utile, des méthodes mises en œuvre par la Cour dans la présente étude pour en redéfinir le périmètre et en préciser les modalités de calcul, en lien avec la réalité des contributions perçues par les différents niveaux de collectivité.
Les dépenses des collectivités du secteur communal se caractérisent par leur importance au sein de l’ensemble des collectivités locales, leur dynamisme et leur grande disparité en termes de montants par habitant. Les dotations et autres dispositifs financiers analysés par la Cour sont également marqués par une distribution très inégale entre collectivités comparables, qui résulte largement de la part encore majoritaire des dispositifs forfaitaire à vocation « compensatrice », notamment des composantes « figées » de la DGF forfaitaire des collectivités du secteur communal. L’évolution de ces dotations a soutenu la croissance des budgets de fonctionnement des collectivités du secteur communal, dont elles représentent plus du quart des recettes. Ce constat explique qu’à travers leur diminution, les pouvoirs publics visent une rationalisation des dépenses de fonctionnement des collectivités concernées.
Les dotations ne constituent toutefois que l’un des déterminants de la dépense locale dont l’analyse des disparités nécessite de mobiliser l’ensemble des variables potentiellement explicatives et d’estimer le rôle de chacune d’entre elles en tenant compte de l’influence de l’ensemble des autres. À cette fin, la Cour a mis au point un modèle économétrique dont les résultats, obtenus à partir des données de l’année 2015, confirment le constat dressé dans le rapport sur « la maîtrise des dépenses locales » remis en 2010 au Premier ministre, qui concluait, sur la base de données de 2005, au rôle prédominant des variables de ressources dans l’explication des disparités de dépense entre communes. L’enquête de la Cour démontre qu’en revanche, au niveau des blocs intercommunaux (ensembles constitués des EPCI et de leurs communes-membres), les contributions respectives des variables de ressources et des variables de charges s’équilibrent. Dans les deux cas, cependant, les dotations représentent, au sein des variables de ressources, le premier facteur déterminant des disparités de dépenses par habitant, qui découlent aussi, mais dans une moindre mesure, de la « part fiscale » échéant aux ménages contributeurs ou encore du revenu par habitant.
Les dotations forfaitaires et compensatrices contribuent, bien plus que les dotations et autres dispositifs de péréquation, à expliquer les niveaux de dépense locale et leurs variations. Du fait de leur poids, de leur nature et de leur très inégale distribution, les dotations forfaitaires contribuent à entretenir d’importants écarts de richesse entre collectivités comparables, eux-mêmes générateurs de fortes disparités de dépenses. De manière générale, les collectivités dont la dépense par habitant est la plus élevée sont non seulement plus riches fiscalement mais disposent aussi d’un plus haut niveau de dotations forfaitaires. À l’inverse, les collectivités les plus bénéficiaires de la péréquation ne se caractérisent pas par un niveau de dépense par habitant proportionnellement plus élevé.
La contribution des variables de charges, retenues dans l’étude de la Cour, apparaît contrastée au niveau communal comme à celui des ensembles intercommunaux. Les variables de « population » (population INSEE, actifs au lieu d’emploi, part des enfants d’âge scolaire) semblent exercer une influence significativement plus grande sur les disparités de dépenses que les variables de « territoire » (voirie, superficie, situation en zone de montagne, en zone de revitalisation rurale, etc.). Enfin, l’analyse de la Cour n’a pas permis de confirmer le caractère statistiquement significatif de l’impact sur les disparités de dépenses de plusieurs variables généralement tenues pour explicatives du niveau de charges des collectivités du bloc communal (poids des charges de centralité, part des bénéficiaires d’aides au logement, part des logements sociaux).
De même, aucune des variables testées par la Cour n’a permis de conclure à l’existence d’un lien entre le degré d’intégration intercommunale et la dépense locale des communes, des groupements ou même des blocs intercommunaux, ce qui pourrait s’expliquer par les effets ambivalents du développement de l’intercommunalité, marqué, d’une part, par des mutualisations propices à la réalisation d’économies d’échelle et, d’autre part, à court terme, par le développement des services publics locaux.
L’ensemble de ces résultats paraît justifier, au regard de l’objectif de meilleure maîtrise des dépenses des collectivités locales, le bien-fondé de la stratégie suivie depuis 2014, consistant à faire porter leur contribution au redressement des comptes publics sur la composante forfaitaire de la DGF. Toutefois, le montant de la DGF forfaitaire étant devenu insuffisant dans un nombre croissant de collectivités, du fait de sa baisse déjà sensible, le périmètre de la réduction des concours financiers de l’État pourrait être élargi à d’autres dotations forfaitaires et « compensatrices ».
L’analyse statistique justifie aussi le renforcement engagé des dispositifs de péréquation qui exercent une action correctrice sur les inégalités de richesse, parallèlement à la baisse des dotations forfaitaires qui les redoublent souvent. Cette stratégie nécessite cependant un effort accru d’évaluation de l’efficacité de la péréquation ainsi qu’une meilleure articulation des logiques de péréquation « verticale » et « horizontale », appliquées aujourd’hui indépendamment l’une de l’autre.
Plus généralement, la mise en œuvre de ces réformes nécessite au préalable de remédier aux défauts des indicateurs employés dans les mécanismes d’éligibilité et de calcul des dotations et autres dispositifs en faveur des collectivités du secteur communal. Certains de ces indicateurs, comme le potentiel fiscal, sont devenus obsolètes ; d’autres (existants ou envisagés) se voient accorder une importance non justifiée par l’analyse statistique, comme le revenu par habitant ou le niveau des charges de centralité. La définition de la nouvelle carte intercommunale, arrêtée au 1er janvier 2017, qui va modifier profondément la répartition des richesses et des charges entre les blocs intercommunaux, constitue une occasion unique d’asseoir leur mesure sur des indicateurs appropriés.
CIF : le Coefficient d’Intégration Fiscale utilisé par la Cour est identique à celui calculé par l’administration, c’est-à-dire comme le rapport entre la fiscalité levée par l’EPCI et le total de la fiscalité levée dans l’ensemble intercommunal (données DGCL). Pour pallier aux critiques dont cet indicateur fait parfois l’objet, la Cour a recouru à plusieurs mesures alternatives de l’intégration intercommunale. Le taux d’intégration se fonde ainsi sur un rapport de dépense plutôt que sur un rapport de fiscalité, permettant d’évaluer la part de services publics rendus par l’EPCI au sein de l’ensemble intercommunal. La Cour a également testé les effets d’une variable comptabilisant le nombre de communes membres de l’ensemble intercommunal (données DGCL). Pour une présentation détaillée des variables explicatives testées par la Cour, cf. annexe 7.
Coefficients de corrélation : l’analyse statistique des corrélations entre dépenses par habitant et une série de variables peut être conduite au moyen de mesures standard telles que le « coefficient de Pearson » qui indique l’existence d’une corrélation linéaire ou encore le « rang de Spearman » qui indique l’existence d’une « corrélation de rang » entre variables. Plus le résultat s’approche de 1, plus il atteste de l’existence d’une corrélation. Plus il s’approche de 0, et moins il permet de conclure à une telle corrélation, tout au moins sous la forme (« linéaire » ou « de rang ») que cherche à capter l’indicateur. L’existence d’une corrélation apparente ne permet pas de conclure à une relation de « causalité », le lien entre deux variables étant susceptible de résulter de leur lien conjoint à une tierce variable « masquée ». Pour une appréhension détaillée des résultats des mesures effectuées par la Cour au titre de la présente enquête, cf. annexe 6.
Collectivités du secteur communal : les collectivités du secteur communal incluses dans le champ d’analyse de la Cour comprennent 2100 établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre et les 36 000 communes qui en sont membres (ainsi que les communes « isolées » dont le nombre devient marginal).
Composantes figées de la DGF : elles constituent une part des compartiments qui la composaient jusqu’en 2015. Elles correspondent à la compensation de pertes de recettes suite à des réformes fiscales et des modes de financement des collectivités. Ces parts figées comprenaient, jusqu’en 2015, les compléments de garantie, la compensation de la part salaires, les dotations de garantie des baisses de dotations de compensation de la taxe professionnelle. « Figées », ces dotations n’en contribuaient pas moins au financement de la hausse des enveloppes de péréquation par le biais d’un écrêtement annuel (processus dit de « répartition interne » de la DGF).
Contribution à l’explication des disparités de dépense : les modèles économétriques testés par la Cour permettent de comprendre quelles sont les variables les plus « performantes » dans l’explication des disparités de dépenses par habitant (ce qui diffère de l’identification des variables ayant le plus fort impact sur la dépense, toutes choses égales par ailleurs). La « contribution d’une variable à l’explication des disparités de dépenses » est d’autant plus importante que le degré de correspondance entre les « dispersions » de la dépense et celle de cette variable explicative est élevé. Ainsi, la « contribution » d’une variable renseigne sur la « cartographie comparée » des dépenses par habitant (et de leurs disparités) et de la variable explicative analysée, leurs géographies propres (en termes de disparités) étant proches quand la contribution à l’explication des dépenses est forte. Pour une présentation détaillée des spécifications du modèle, cf. rapport p. 42. Pour une appréhension consolidée des résultats du modèle, cf. annexe 5. Pour une présentation détaillée des variables explicatives testées par la Cour, cf. annexe 7.
DGF : dotation Globale de Fonctionnement. Principal concours financier de l’État aux collectivités du secteur communal, elle comprend en 2015, pour les communes : la DGF forfaitaire (10,4 Md€ en 2015) et trois compartiments explicitement « péréquateurs » : dotation de solidarité rurale (DSR, 1 Md€) ; dotation de solidarité urbaine (DSU, 1,6 Md€) et dotation nationale de péréquation des communes (DNP, 0,7 Md€). Pour les EPCI à fiscalité propre : la dotation d’intercommunalité (1,9 Md€) et la dotation de compensation (4,5 Md€). Pour une présentation détaillée des dotations et dispositifs financiers pris en compte par la Cour au titre de la présente enquête, cf. rapport p. 25 et annexe 3.
DGF forfaitaire des communes : la DGF forfaitaire des communes (10,4 Md€ en 1015) forme l’essentiel de la DGF des collectivités du secteur communal. Elle correspond à la globalisation dans un concours unique à compter de l’année 2015 des 5 compartiments distincts qui la composaient jusqu’alors. En 2014, ces compartiments comprenaient ainsi : une dotation de base calculée au prorata de la population « DGF » (51,5 %) ; les « compléments de garantie » calculé de manière à garantir que chaque commune retrouve en 2005, le montant de sa dotation forfaitaire 2004 (36 %) ; une part correspondant à l’ancienne compensation « part salaires » de la taxe professionnelle (9,2 %) instituée en 1999 en compensation des pertes liées à la réforme de cette taxe ; une part correspondant à la compensation des baisses de dotation de compensation de la taxe professionnelle, intégrées depuis 2004 dans la dotation forfaitaire (1,5 %) ; les dotations « superficiaire » et « parc nationaux » (1,5 %).
Élasticité : de manière générale, l'élasticité mesure la variation d'une grandeur provoquée par la variation d'une autre grandeur. Les modèles économétriques testés par la Cour permettent d’estimer l’élasticité de la dépense à une série de variables présumées comme statistiquement explicatives et significatives. L’élasticité permet de hiérarchiser l’impact de chacune de ces variables sur la dépense « toutes choses égales par ailleurs », c’est-à-dire en comparant des communes comparables. Dans l’équation linéaire de la dépense, les coefficients accolés à chaque variable correspondent à la mesure de leur élasticité. Pour une appréhension consolidée des élasticités mesurées par le modèle, cf. annexe 5.
Endogénéité : l’endogénéité de certaines variables explicatives du modèle économétrique de dépense locale, notamment des dotations, peut provenir de deux sources principales. D’une part, le modèle pourrait omettre une variable qui serait à la fois explicative de la dépense et liée à la variable de dotation. D’autre part, la variable de dotation pourrait en réalité être elle-même expliquée par la dépense, induisant un problème de causalité inverse.
EPCI : « Établissements publics de coopération intercommunale ». La Cour a inclus dans le champ de son analyse les quelque 2 100 EPCI à fiscalité propre existant en 2015. Aussi appelés Groupements à fiscalité propre (obéissant à des régimes fiscaux différents : fiscalité propre unique, fiscalité additionnelle ou de zone), ils sont les maillons de l’intercommunalité et comprennent, en 2015, 1 884 communautés de communes ; 226 communautés d’agglomération ; 11 métropoles ; 9 communautés urbaines ; 3 syndicats d’agglomération nouvelle. Ils regroupent 94 % de la population. Au 1er janvier 2016, la carte intercommunale a évolué, du fait notamment du nombre de fusions, dissolutions et transformations résultant de la loi MAPTAM et de la loi NOTRe (mise en place des métropoles) et la quasi-disparition des communes dites « isolées ». Au 1er janvier 2017, une nouvelle et forte inflexion devrait résulter de la mise en œuvre de la réforme de la carte intercommunale impliquant une réduction drastique (par regroupement) du nombre d’EPCI à fiscalité propre et la poursuite de l’augmentation de la part de la population en fiscalité propre unique.
Multicolinéarité : dans une régression (ici, linéaire), la multicolinéarité est un problème qui survient lorsque certaines variables explicatives du modèle sont corrélées à d'autres variables analysées. Une multicolinéarité prononcée peut rendre instables et difficiles à interpréter les résultats du modèle.
Rapport interdécile : la répartition d’un échantillon en déciles (regroupant chacun un dixième de l’échantillon) permet de calculer des rapports interdéciles. Dans le cas de cette étude, le rapport D9/D1 met en évidence l'écart entre le haut et le bas de la distribution ; c'est une des mesures de l'inégalité de sa distribution
Ratio fiscal : appelé également « prix fiscal » ou encore « structure du potentiel fiscal » : dans le modèle de la Cour, cette notion correspond à la part du coût par habitant du service public communal, supportée par l’électeur décisif en tant que contribuable local. C’est pourquoi il est calculé comme le rapport entre le potentiel fiscal de la taxe d’habitation et le potentiel fiscal de l’ensemble des taxes locales dont le taux est fixé par la collectivité. Dans l'optique de la demande, le décideur est en effet supposé attentif au partage de l'impôt entre les contribuables électeurs d'une part, et non électeurs (pratiquement, les entreprises). La Cour a distingué les modalités de calcul du ratio fiscal, en tenant compte du régime de chaque EPCI (le potentiel fiscal communal de taxe d’habitation est ainsi rapporté à un potentiel fiscal « 3 taxes » en fiscalité professionnelle unique et « 4 taxes » en fiscalité additionnelle). Pour une présentation détaillée de la notion, cf. rapport p. 42, 47 et annexe 7.
Recettes et dépenses réelles de fonctionnement : la Cour a retraité les comptes de gestion des comptables publics pour analyser les déterminants des dépenses de fonctionnement, des dépenses d’investissement et des dépenses totales. Le périmètre des dépenses et recettes étudiées a été limité aux opérations budgétaires réelles, nécessitant l’exclusion des opérations d’ordre ou d’opérations réelles conjointement retracées au compte de résultat et au bilan (cas, notamment, des dépenses d’investissement). Pour les besoins du modèle économétrique, un agrégat spécifique a été constitué : il correspond aux dépenses de fonctionnement, augmentées d’une quote-part annualisée de dépenses d’investissement, équivalentes à la valeur ajoutée brute annuelle du capital public local. Seuls les budgets principaux des collectivités de métropole ont été pris en compte. Pour une présentation détaillée des retraitements opérés par la Cour au titre de la présente enquête, cf. annexe 2.
Les données sont calculées sur le périmètre des collectivités de métropole, sur le fondement des budgets principaux. Les budgets principaux représentent près de 90 % de la dépense réelle des communes et environ 70 % de celle des EPCI.
Plusieurs dotations « horizontales » (FPIC, FSRIF et FNGIR) fonctionnent sur la base de montants prélevés (en fonction de critères distincts selon les dotations) redistribués sous la forme de reversements entre collectivités (qui peuvent ou non être du même niveau). Présenter le « solde net » de ces dotations conduirait à en annuler l’essentiel des montants, dès lors que les prélèvements équilibrent les reversements. Présenter ces dotations sous l’angle des seuls montants reversés conduirait à déformer leur impact, dès lors qu’une collectivité peut être à la fois prélevée et bénéficiaire (cas du FNGIR et du FPIC). À des fins de présentation, les tableaux suivants retracent la somme des « attributions nettes » des seules collectivités bénéficiaires. Nécessaire à l’appréciation du poids de chacune de ces dotations, cette présentation conduit toutefois à majorer le montant des recettes des niveaux de collectivités considérées d’un montant équivalent à celui des « contributions nettes » des autres collectivités. Aussi le total des dotations (forfaitaires et de péréquation) est-il parallèlement recalculé en « solde net », c’est-à-dire corrigé des effets de cette présentation.
Le montant des dotations de garantie des fonds départementaux de péréquation de la taxe professionnelle (FDPTP) sont inclus dans les « dotations de compensation des pertes de fiscalité », c’est-à-dire au rang des dotations à vocation « forfaitaire ». Conséquence de la réforme de la fiscalité directe locale, cette dotation a été créée à compter de 2011 pour garantir l’alimentation des anciens fonds départementaux de péréquation de la taxe professionnelle (FDPTP). Ce mécanisme de garantie justifie d’assimiler ces dotations à celles, imputées dans les mêmes sous comptes de la nomenclature M14, que constituent la dotation de compensation de la réforme de la taxe professionnelle (DCRTP) ou encore la dotation unique de compensation spécifique de la taxe professionnelle (DUCSTP).
La dotation d’intercommunalité des EPCI a été scindée en une part forfaitaire (dotation de base) et une part péréquatrice. Ces deux montants ont été établis sur le fondement d’une clef résultant du calcul spontané de chacune de ces parts et appliquée au montant définitif de la dotation, après intervention des majorations, écrêtements, garanties et contribution au redressement des finances publiques.
Les montants figurant au titre des « blocs » ne résultent pas de l’addition des montants des communes et des EPCI de rattachement. Cette différence s’explique par une différence de périmètre (les blocs excluent la prise en compte des 70 communes isolées, qui regroupaient encore, en 2015, 4 M d’habitants soit 6 % de la population). Par ailleurs certaines dotations correspondent à des versements intra bloc (c’est en particulier le cas de la dotation de solidarité communautaire), logiquement neutralisés lors de l’agrégation des données financières au niveau du bloc communal.
Afin d’éviter les biais liés à l’interprétation des données calculées par habitant au niveau des plus petites communes, la Cour a analysé, à des fins d’illustration, les caractéristiques des 355 communes de la strate 8 (10.000 – 15.000 habitants), sous le double angle de leur niveau de dépense et des dotations dont elles bénéficient.
Analyse par la dépense
Entre les 10 % de communes ayant la dépense par habitant la plus élevée et les 10 % où elle est la plus faible, le rapport varie de 684 € à 2 922 € par habitant, soit un rapport de 1 à 4,5.
Cette dispersion du niveau de dépense par habitant est très liée aux inégalités de richesse fiscale: les communes ayant le plus haut niveau de dépense bénéficient d’un potentiel fiscal supérieur de 40% à la moyenne de la strate près de deux fois supérieur à celui des communes dont le niveau de dépense est le plus faible (des écarts en termes de revenu par habitant existent, mais sont nettement moins significatifs)
Cette différence résulte également de l’écart entre la population « INSEE » à laquelle sont rapportés les niveaux de dépense et la « population DGF » dont l’importance croît avec la fonction touristique. Parmi les communes dont le niveau de dépense est le plus élevé, l’indice touristique est sept fois plus élevé que la moyenne de la strate.
Les 10 % des communes dont la dépense par habitant est la plus haute et la plus basse ont un effort fiscal modéré (respectivement 1.14 et 1.13 contre 1.25 en moyenne pour l’ensemble de la strate).
Les communes à haut niveau de dépense par habitant bénéficient parallèlement d’un niveau de dotations (également rapportées à la population résidente) supérieur de plus d’un tiers à la moyenne (390 € par habitant contre 285 € pour l’ensemble de la strate). Ce montant est supérieur de moitié à celui dont bénéficient les communes dont le niveau de dépense est le plus faible.
Cet écart est imputable aux dotations forfaitaires, supérieures de près de 80 % à la moyenne de la strate (363 € contre 203 €). Les dotations forfaitaires dont disposent les communes dont la dépense est la plus élevée sont ainsi plus de deux fois supérieures à celles dont bénéficient les communes dont la dépense est la plus faible (363 € contre 163 €). Les dotations de compensation de pertes de fiscalité professionnelle redoublent les effets de la DGF forfaitaire.
Analyse par les dotations
Les 10 % de communes dont le niveau de dotations de péréquation est le plus élevé sont plus pauvres qu’en moyenne (leur revenu par habitant est inférieur de 30 % et leur potentiel fiscal de près de 15 % à celui de la strate, la part des logements sociaux y est deux plus élevée qu’en moyenne). Ce sont aussi les communes dont l’effort fiscal est le plus élevé (1.45 contre 1.25 en moyenne).
Le total des dotations dont elles bénéficient les situe très largement au-delà de la moyenne de la strate (560 € par habitant contre 285 € en moyenne). Cet écart provient des dotations de péréquation (3,5 fois plus élevées qu’en moyennes), plus que des dotations forfaitaires qui leur sont attribuées (supérieures de 33 % à la moyenne).
Le niveau de dépense de ces collectivités n’est pour sa part que légèrement supérieur à la moyenne de la strate (+ 8.8 %)
Il n’en va pas de même pour les 10 % de collectivités bénéficiant des montants de DGF forfaitaire les plus importants.
Ces communes disposent d’un revenu par habitant et d’un potentiel fiscal légèrement au-dessus de la moyenne.
Marquées par l’importance de leur fonction touristique, elles disposent d’un total de dotations par habitant supérieur de 77 % à la moyenne de la strate. Cet écart résulte presque intégralement des montants de DGF forfaitaires dont elles bénéficient, plus de deux fois supérieures à la moyenne.
L’intégralité de ces constats demeure valable à échelle des 600 blocs de 10.000 à 19.000 habitants dont la Cour a analysé les caractéristiques dans la même optique
Les résultats retracés ci-dessous sont issus de mesures réalisées par la Cour sur le fondement d’agrégats (RRF, dépenses de fonctionnement, dotations) et de variables documentées dans le cadre du présent rapport. Un coefficient de Pearson élevé mesure l’existence d’une corrélation linéaire entre deux variables. Un coefficient de Spearman élevé mesure l’existence d’une corrélation de « rang » entre plusieurs variables. Les coefficients ont été portés au carré afin de pouvoir les hiérarchiser en valeur absolue (certaines corrélations étant négatives)
Variables de ressources
Le ratio fiscal auquel se réfèrent les travaux menés dans le cadre de la présente enquête correspond, conformément aux spécifications du modèle, au rapport entre les impositions échéant à l’électeur médian (taxe d’habitation) et l’ensemble la richesse fiscale mobilisable par le décideur élu.
Son mode de calcul diffère de celui du potentiel fiscal calculé par l’administration, qui intègre aujourd’hui un ensemble d’éléments hétérogènes, ou non déterminés par une décision prise au niveau de la collectivité considérée : ainsi le potentiel fiscal des communes inclut des recettes fiscales de l’EPCI, des dotations de compensation, etc.
Pour les besoins de l’analyse économétrique, qui repose sur la modélisation du comportement des élus locaux, la Cour a reconstitué un indicateur excluant du potentiel fiscal des communes la fiscalité perçue par les EPCI d’une part, et certaines dotations de compensation qui y sont aujourd’hui incluses d’autre part.
Au niveau du bloc communal une démarche similaire a été conduite, en y intégrant naturellement les produits fiscaux perçus par les EPCI.
Le mode de calcul de cet agrégat a donc également été différencié selon le régime fiscal des EPCI de rattachement
Recentrée sur les produits dont le montant dépend de la décision de l’échelon considéré, cette démarche permet bien de comparer la structure et la richesse fiscale des EPCI et de leurs communes membres tout en neutralisant l’impact des choix locaux de taux41.
Les « autres ressources » prises en compte au titre du modèle économétrique sont composées de deux sous-ensembles, constitués dans le respect des choix méthodologiques opérés par les travaux antérieurs et dont les modalités de calcul sont précisées en annexe.
Les « ressources proportionnelles » (16 % des recettes réelles de fonctionnement des communes et des blocs) correspondent essentiellement à des concours proportionnels à la dépense (dotation d’équipement des territoires ruraux, participations…), à des recettes de production (coûts facturés à l’usager) et à divers produits exceptionnels.
Les « autres recettes fiscales » (18 % des recettes réelles de fonctionnement des communes, 9 % de celles des blocs) correspondent principalement à des taxes sur lesquelles les élus locaux n’ont pas une totale liberté de fixation des taux (hors CVAE). Elles incluent les attributions de compensation des communes, lesquelles sont logiquement neutralisées au niveau des blocs.
Variables de situation
La population à laquelle se réfèrent les travaux menés dans le cadre de la présente enquête correspond à la population résidente de la commune ou de l’ensemble intercommunal telle que calculée par l’INSEE (source : DGCL). Le choix de cette référence, conforme aux exigences du modèle économétrique s’imposait pour deux raisons. En premier lieu, cette option est cohérente avec l’objectif de ne pas mêler au sein d’un même critère les effets de plusieurs variables que la Cour cherchait précisément à distinguer (la notion de population DGF additionne ainsi les effets de la population résidente à celle de sa fonction d’accueil touristique). En second lieu, un impératif de comparabilité des résultats avec ceux obtenus dans le cadre des travaux de recherche précédents, qui se réfèrent à cette notion de population « INSEE ».
La longueur de la voirie comptabilise l’étendue en mètres de la voirie de chaque collectivité ou ensemble de collectivités, en la ramenant à la population (source : DGCL).
La superficie est calculée par collectivité ou ensemble de collectivités en hectares puis ramenée à la population (données DGCL).
Les « logements sociaux » sont calculés en mesurant la part de logements sociaux dans l’ensemble des logements soumis à la taxe d’habitation de la commune ou de l’ensemble intercommunal (données DGCL). Ils constituent un indicateur de pauvreté dont il est attendu qu’il accroisse le niveau de charge.
La part des bénéficiaires des Aides Personnalisées au logement (APL) est une variable comptabilisant le nombre de bénéficiaires d’une collectivité ou groupe de collectivité en le ramenant à la population (source : DGCL). C’est un indicateur dont le sens est comparable à celui des logements sociaux.
La population en âge d’être scolarisée est une variable comptabilisant part des individus âgés de 3 à 16 ans dans la population résidente de la collectivité ou du groupe de collectivités (chiffres INSEE). Elle sert à approximer la proportion d’élèves de la commune, à défaut d’un indicateur plus fin disponible sur l’ensemble du périmètre d’analyse. Il est attendu qu’elle majore les charges (accueil, transport) des collectivités.
Le nombre d’actifs au lieu d’emploi (c’est-à-dire le nombre d’actifs travaillant sur le territoire de la commune) est calculé en référence à la population résidente de la collectivité ou groupe de collectivité. Les données utilisées sont extraites de l’exploitation complémentaire de l’INSEE en adéquation avec les objectifs de la présente étude. Cette variable peut constituer un marqueur d’attractivité économique et un témoin des charges qu’elle implique.
La fonction touristique d’une collectivité ou groupe de collectivité est calculée en approximant la capacité d’accueil à partir de la notion de « taux de fonction touristique d’une zone » telle que définie par l’INSEE (DGCIS, Enquêtes de fréquentation dans l'hôtellerie et l'hôtellerie de plein air). Elle nécessite en premier lieu la construction d’une variable comptabilisant le nombre de « lits touristiques », c’est-à-dire la somme des lits destinés à l’accueil des touristes (lits en villages vacances, en résidences de tourisme et en auberges de jeunesse) , auxquels on ajoute le nombre de chambres d’hôtel, le nombre d’emplacements de camping et le nombre de résidences secondaires respectivement affectés d’un facteur 2, 3 et 5 (le choix des pondérations est identique à celui effectué par l’INSEE en la matière). Le nombre obtenu est ensuite rapporté à la population résidente. Formellement le calcul est donc le suivant : (nombre de lits en villages vacance + nombre de lits en résidences de tourisme + nombre de lits en auberges de jeunesse + 2 x nombre de chambres d’hôtel + 3 * nombre d’emplacements de camping + 5 * nombre de résidences secondaires) / population
La variable « ZRR » vaut 1 si la collectivité est renseignée comme appartenant à une « Zone de Revitalisation Rurale » et 0 sinon (données DGCL). Pour l’analyse des blocs communaux la variable correspond à la part de population de l’ensemble intercommunal résidant en ZRR (c’est-à-dire la somme des populations des communes membres de chaque ensemble pour les communes renseignées comme appartenant à une Zone de Revitalisation Rurale). À l’image des communes en zone « montagne », les communes en ZRR sont supposées faire face à des charges spécifiques, liées à leur situation.
La variable « zone Montagne » vaut 1 si la commune est renseignée comme étant en « zone montagne » et 0 sinon (données DGCL). Pour l’analyse des blocs communaux la variable correspond à la part de population de l’ensemble intercommunal résidant en zone montagne (c’est-à-dire la somme des populations des communes membres de chaque ensemble pour les communes renseignées comme étant en zone montagne).
Critères de centralité
La variable « Centralité » est calculée en rapportant la population de la commune à la population de l’ensemble intercommunal pondérée par l’importance de l’Établissement Public de Coopération Intercommunale au sein de l’ensemble, évaluée par l’intermédiaire du Coefficient d’Intégration Fiscale. Cet indicateur a été établi dans la logique suivante : plus la population d’une commune membre d’un EPCI faiblement intégré est élevée, plus il y a lieu d’attendre qu’elle fasse face à des charges de centralité importantes. Formellement le calcul est le suivant : (1 – CIF) * population de la commune / population du bloc communal
La Cour a également analysé la part de la dépense de chaque commune dans la dépense de l’ensemble intercommunal, comme une possible mesure de sa centralité « financière ».
La variable « Polarisation » constitue une mesure alternative des charges de centralité, calculée en se fondant sur la notion de « bassins de vie » de l’INSEE. C’est une variable dichotomique qui vaut 1 si la commune est un bassin de vie, et 0 sinon. La logique n’est plus celle d’une mesure de l’importance de la commune au sein de son ensemble de rattachement, mais celle d’une mesure reposant sur le nombre d’équipements dont dispose chaque commune, la rendant susceptible d’attirer les populations des communes voisines dans lesquels ces équipements font défaut. C’est une notion reposant ainsi davantage sur une logique « territoriale » que sur une logique « administrative ». Au niveau de l’ensemble intercommunal, la variable comptabilise le nombre de communes renseignées comme « bassins de vie ».
L’IHH (Indice d’Herfindahl-Hirschman) mesure le degré de concentration d’un ensemble intercommunal. Elle est construite selon une définition analogue à l’Indice d’Herfindahl-Hirschman mesurant le degré de concentration d’un marché. Ici il s’agit de déterminer si la population d’un ensemble intercommunal est concentrée dans quelques villes importantes ou au contraire répartie de façon plus homogène sur son territoire (plus l’indice est élevée plus la population est concentrée). Formellement le calcul est le suivant : ∑i (population de la commune i / population du bloc communal) ².
Variables d’intégration intercommunale
Au niveau communal, la variable de « dépense intercommunale » correspond à la dépense par habitant annualisée de l’EPCI. Son intensité est un critère d’intégration de l’ensemble intercommunal dont il y aurait normalement lieu d’attendre qu’elle modère la dépense communale.
Le Coefficient d’Intégration Fiscale utilisé par la Cour est identique à celui calculé par l’administration, c’est-à-dire comme le rapport entre la fiscalité levée par l’EPCI et le total de la fiscalité levée dans l’ensemble intercommunal (données DGCL).
Le taux d’intégration est une mesure alternative au coefficient d’intégration fiscale qui permet d’apprécier le degré d’intégration du bloc communal en se fondant sur un rapport de dépense plutôt que sur un rapport de fiscalité, permettant ainsi d’évaluer la part de services publics rendus par l’EPCI au sein de l’ensemble intercommunal.
La Cour a également testé les effets d’une variable comptabilisant le nombre de communes membres de l’ensemble intercommunal (données DGCL).