Le

Le Premier président

àMonsieur Michel SapinMinistre des finances et des comptes publicsMadame Marisol TouraineMinistre des affaires sociales et de la santé Madame Myriam El KhomriMinistre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social
Réf. : S 2015-1670Objet : Les caisses de congés du bâtiment et des travaux publics

En application des dispositions des articles L. 111-7 et R. 133-4 du code des juridictions financières, la Cour des comptes a mené une enquête sur les caisses de congés du bâtiment et des travaux publics (BTP)1.

Le réseau des caisses de congés du BTP gère deux régimes distincts, celui des congés payés créé en 1937, et celui du chômage intempéries, créé en 1946.

Ce réseau se compose de 26 caisses : 24 caisses régionales et 2 caisses nationales compétentes respectivement pour les travaux publics (Caisse nationale des entrepreneurs de travaux publics - CNETP) et pour les coopératives ouvrières de production (Caisse nationale des coopératives du réseau congés intempéries BTP). Les caisses régionales projettent de se regrouper pour être en 2020 au nombre de 8 en métropole et de 2 dans les DOM.

En 2013-2014, le réseau des caisses de congés du BTP comptait 218 231 entreprises adhérentes, déclarant environ 1,5 million de salariés pour une masse salariale de 32,4 Md€. Les congés payés représentaient 4,4 millions de paiements d’indemnités pour un montant de 6,5 Md€. Le chômage intempéries a assuré à hauteur de 72 M€ la prise en charge partielle des indemnités versées aux salariés lors des arrêts de travail (8,9 millions d’heures).

À l'issue de ce contrôle, la Cour m'a demandé, en application de l'article R. 143-1 du code des juridictions financières, d'appeler votre attention sur les points suivants, relatifs à chacun de ces régimes et à l’avenir du réseau.

Le régime de chômage intempéries

Entièrement financé par les entreprises du secteur du BTP, le régime de chômage intempéries est complémentaire du régime général de l’activité partielle, cofinancé par l’État et l’Unédic. La Cour estime qu’il n’y a pas lieu de remettre en question la coexistence de ces deux modes de protection contre l'aléa climatique, qui se caractérisent par une bonne articulation au bénéfice des entreprises du BTP et de leurs salariés. Elle formule toutefois deux recommandations concernant les paramètres de ce régime, qui sont arrêtés conjointement chaque année par les ministres chargés du travail et du budget.

L’abattement de masse salariale

Un abattement portant sur la masse salariale2, mis en place depuis 1949, permet de réduire l'assiette de la cotisation de chômage intempéries, mais aussi le droit à remboursement, dans une proportion qui décroît de façon inverse à la taille de l’entreprise. En conséquence, plus des deux tiers des entreprises et près de 30 % des salaires se trouvent exclus du mécanisme de solidarité. Certes, toutes les entreprises déclarent les arrêts pour intempéries pour bénéficier de l’exonération des charges sociales sur les salaires versés pendant ces périodes et pour faire prendre en charge par les caisses la cotisation de congés payés correspondante. Mais le remboursement de ces salaires profite davantage aux grandes entreprises.

Les grandes fédérations professionnelles ont confirmé lors de l’instruction leur attachement à ce mécanisme. Leur argument principal est que les petites entreprises disposent d’une souplesse suffisante pour trouver du travail pour leurs salariés en cas d'intempéries et ne doivent pas être obligées de cotiser sans perspective de contrepartie. Le bien-fondé de cet argument reste toutefois à vérifier.

La Cour recommande une consultation des entreprises sur le niveau de l’abattement et sur l'ouverture d'un accès optionnel aux très petites entreprises. Elle a noté que la délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle (DGEFP) a proposé à l'Union des caisses de France Congés Intempéries BTP (UCF CIBTP) de lancer une telle démarche, dont les travaux seraient engagés dans le courant de 2016.

Le niveau des réserves

Il conviendrait que le niveau de la réserve réglementaire destinée à faire face aux aléas climatiques soit déterminé de façon moins empirique. En avril 2014, après cinq campagnes déficitaires, le régime ne disposait plus que de 26 M€ de réserve, au lieu des 224 M€ exigés par l’arrêté interministériel du 15 juillet 2013 relatif à la cotisation due par les entreprises visées aux articles L. 5424-15 et D. 5424-7 du code du travail, alors en vigueur. Cette situation a conduit les ministres compétents à approuver tardivement des augmentations de taux de cotisation pour reconstituer la réserve. Mais ils ont concédé, en même temps, une diminution du niveau réglementaire de la réserve (un an et demi de dépense moyenne décennale, au lieu de deux ans jusque-là), afin d’éviter un relèvement trop brutal des cotisations. Cette décision paradoxale, consistant à alléger l’exigence de précaution au lendemain d’une série inédite de sinistres, a été prise sans les études préalables nécessaires.

La Cour recommande que la direction générale du Trésor, chargée de la supervision des régimes d'assurance, définisse les normes d'une gestion sécurisée du régime intempéries au regard de la sinistralité observée sur une longue période.

2. Le régime de congés payés

Les caisses de congés du BTP ont été créées en 1937, après l’adoption de la loi du 20 juin 1936 sur les congés payés, pour assurer la portabilité des droits à congés dans un secteur caractérisé à l'époque par la discontinuité de l'emploi. Cette époque est révolue, et le secteur du BTP ne présente plus de particularités faisant apparaître la nécessité de telles caisses. Pour autant, le service rendu par les caisses de congés est, à une large majorité, jugé satisfaisant par les entreprises et les salariés.

Dans son organisation actuelle, le régime appelle quatre observations de la Cour.

La règle du prorata

La profession a obtenu en 1997 que soit pris un décret visant à faciliter le recouvrement des cotisations en retard, en obligeant les caisses à suspendre, au prorata des impayés, le versement des indemnités de congés aux salariés des employeurs défaillants. Cette disposition, qui n'existe pas dans les autres secteurs dotés de caisses de congés, entre en contradiction avec le caractère inconditionnel des droits à congés pour les salariés.

La Cour recommande la suppression de cette règle du prorata.

Les commissions paritaires

Le code du travail prévoit, en cas de contestation portant sur les droits à congés, une représentation des salariés auprès de chaque caisse de congés payés. Or les commissions paritaires correspondantes n’ont jamais été constituées.

Il convient de remédier à cette omission : la Cour a pris note de l’intention, exprimée par la direction générale du travail, de régulariser cette situation dans le courant de l’année 2016.

Les règles prudentielles de placement

Les caisses de congés du BTP disposent d’une trésorerie importante, qui fluctue au cours de l'année entre 4 Md€ et 6,5 Md€, en raison du décalage d’un an entre la collecte des cotisations et le versement des indemnités de congés. Pour la gestion de cette trésorerie, l’UCF CIBTP a adopté des règles prudentielles, applicables à toutes les caisses du réseau et approuvées en 2007 par le ministère chargé du travail.

Toutefois, la Cour a relevé, dans une des caisses contrôlées, un dépassement délibéré du plafonnement imposé pour les actifs placés dans certains produits : elle a constaté que cette situation traduisait une divergence d’appréciation sur la pertinence des règles de placement.

Compte tenu de l’importance des sommes en jeu, la Cour recommande que des décisions soient prises afin d’obtenir une stricte conformité entre les pratiques des caisses et les règles de placement.

Le versement anticipé des cotisations sociales exigibles sur les indemnités de congés

L’article 23 de la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2015 a généralisé à l’ensemble des cotisations sociales exigibles sur les indemnités versées par les caisses de congés le principe adopté en 2013 pour le versement transport et la contribution au Fonds national d’aide au logement (FNAL) : chaque employeur acquitte ces prélèvements directement et par avance aux Urssaf.

Pour le versement transport et la contribution au FNAL, il a été toutefois décidé que ce versement prendrait la forme d’une majoration forfaitaire de 11,5 % des contributions dont l’employeur est redevable chaque mois sur les salaires d’activité : ce versement est libératoire, même si le calcul en volume et en valeur des droits d’un salarié n’est définitif qu’au moment de la prise de congés. Or ce n’est pas ce qu’a prévu l’article 23 de la LFSS pour 2015 s’agissant des cotisations sociales exigibles sur les indemnités versées par les caisses de congés : le prélèvement anticipé forfaitaire aura le caractère d’un acompte, ce qui imposera des opérations de régularisation, une fois connu le montant effectif des indemnités versées.

Cette complexité a paru justifier une période transitoire : le prélèvement direct auprès des employeurs n’est prévu par la loi que pour 2018 au plus tard. À cette échéance, les Urssaf devront procéder à ces régularisations pour environ 220 000 entreprises. Cette opération sera particulièrement malaisée dans le cas des salariés ayant eu plusieurs employeurs dans l’année d’acquisition : en effet, les droits à congés se calculent sur la base de l’activité totale de la période de référence et en fonction de la date de prise de congés, sans que leur valeur puisse être rattachée à chacun des emplois déclarés.

La direction de la sécurité sociale et les caisses ont mis au point les procédures du régime transitoire, qui ont été activées en septembre 2015. La réflexion sur la mise en œuvre du dispositif définitif n’est, quant à elle, pas engagée. La Cour ne méconnaît pas l’argument selon lequel le dispositif cible prévu par la loi aurait pour avantage de se rapprocher du droit commun, notamment pour le calcul des allégements de charges patronales. Elle recommande toutefois de réexaminer d’ici à 2018 la pertinence du passage du dispositif transitoire au dispositif cible, compte tenu des difficultés techniques qui pourraient subsister, même après l’introduction du nouveau système de déclaration sociale nominative.

3. L'avenir du réseau

Le coût des frais généraux représentés par les caisses de congés du BTP s’est élevé, pour la profession, à un montant de 96 M€ en 2013-2014 (soit 0,3 % de la masse salariale du secteur). Ce coût est couvert par les produits du placement de la trésorerie confiée aux caisses par leurs adhérents, qui se sont élevés à 132 M€. Le reliquat de ces produits financiers et une proportion non négligeable de congés non pris par les salariés - de l'ordre de 3 %, soit chaque année environ 200 M€ d’indemnités non versées - permettent en définitive de fixer un niveau de cotisation inférieur au coût technique des congés.

Ces caractéristiques expliquent l’attachement de la profession à ce réseau. Elles ne permettent pas, toutefois, d’éluder les questions posées par son évolution.

3.1. La question de la pérennisation du régime de congés payés

Le régime de congés payés est en pleine mutation. Les contributions sociales sont, dorénavant, celles du droit commun. Le rendement des placements financiers est tombé à un niveau durablement bas.

En outre, le prélèvement anticipé des cotisations sociales sur les indemnités de congés payés, décidé en 2015, entraîne une contraction de 30 % des masses financières gérées par les caisses et donc des intérêts qu’elles perçoivent sur le placement de ces sommes. Le réseau a vécu l’adoption de cette mesure comme un signal d’incertitude sur son avenir.

Alors que les motifs qui avaient justifié la création des caisses ont disparu, leur équilibre financier futur risque de rendre nécessaires des taux de cotisation plus élevés. La Cour souligne la nécessité, au vu de tous ces éléments, de réexaminer le bilan coût-avantages du régime.

Il appartient, en effet, aux ministères compétents de procéder à une analyse contradictoire avec les parties prenantes, puis de prendre clairement position sur le maintien ou la suppression de ce régime. Le débat devrait porter sur les simplifications et économies qui pourraient être attendues d’un retour au droit commun et sur l’impact d’une telle évolution sur la protection des droits à congés des salariés.

L’unification des taux de cotisation de congés payés

Si le maintien du régime est confirmé, il sera nécessaire de mettre fin aux disparités territoriales des taux de cotisation de congés payés entre les différentes caisses du bâtiment, alors même que de telles disparités n'existent ni pour les travaux publics, ni pour les sociétés coopératives ouvrières de production, ni pour le régime intempéries géré par l’UCF CIBTP. En 2014-2015, l’écart des taux de cotisation de congés payés était, par exemple, de 1,45 point de masse salariale entre la caisse de Provence et la caisse Velay, Forez, Vivarais, sa voisine.

Cette différenciation des charges pesant sur les entreprises n’est pas objectivement justifiée par un coût technique différent. Elle tient, selon les caisses, à l’historique de la politique d’alimentation des réserves réglementaires, aux performances de la gestion financière et à l’importance variable des indemnités de congés non versées. Cette hétérogénéité est critiquable, s’agissant d’un service social d’intérêt général chargé d’assurer sur tout le territoire des prestations découlant de l’application des mêmes dispositions légales ou conventionnelles.

La Cour note que la direction générale du travail partage son avis sur l’évolution à terme vers un taux unique de cotisation des caisses régionales du bâtiment et vers le regroupement des caisses nationales et territoriales, qui pourrait en être le corollaire. Toutefois, cette administration n’envisage pas de prendre des initiatives en ce sens avant l’achèvement de la réorganisation en cours du réseau autour de huit caisses territoriales : les fédérations professionnelles, à l’exception de la Confédération de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment (CAPEB) qui se déclare d’ores et déjà favorable à l’application immédiate d’un taux unique national, souhaitent, en effet, inscrire dans le temps ce processus de convergence des taux, au motif qu’il conviendrait de ne pas déstabiliser l’économie du secteur par des alignements trop rapides.

En cas de maintien du régime de congés payés, la Cour recommande pour sa part d’adopter sans attendre le principe de l’unification des taux et d’engager ce processus de convergence dès la constitution des huit caisses régionales cibles prévue pour 2017. Dans un deuxième temps, cette réforme pourrait se poursuivre par un regroupement dans une caisse nationale unique, commune aux entreprises du bâtiment, des travaux publics, des coopératives et de l’outre-mer3.

-=o0o=-

La Cour formule donc les recommandations suivantes :

Chômage intempéries

DGEFP

Recommandation n° 1 : Engager une consultation sur l’abattement de masse salariale qui affecte le calcul des cotisations de chômage intempéries et celui des remboursements aux adhérents, en y incluant les hypothèses d’une accélération du calendrier des remboursements et de l’ouverture d’un accès optionnel aux TPE.

DGEFP, direction du budget et UCF CIBTP

Recommandation n° 2 : Faire réaliser une expertise sur les règles prudentielles à appliquer pour sécuriser le régime face aux aléas climatiques.

Congés payés

Direction générale du travail

Recommandation n° 3 : Afin de rétablir l’inconditionnalité des droits acquis, supprimer la disposition réglementaire autorisant les caisses à suspendre au prorata des impayés le paiement des indemnités de congés des salariés dont l’employeur n’est pas à jour de ses cotisations.

Direction générale du travail et direction de la sécurité sociale

Recommandation n° 4 : Pour assurer le recouvrement anticipé des cotisations sociales afférentes aux indemnités de congés payés, prévu par l’article 23 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2015, réexaminer, d’ici à 2018, la pertinence du passage du dispositif transitoire au dispositif cible, compte tenu des difficultés techniques qui pourraient subsister.

Direction générale du travail

Recommandation n° 5 : Constituer les commissions paritaires prévues par le code du travail auprès de chaque caisse et de l’UCF CIBTP.

Direction générale du travail et UCF CIBTP

Recommandation n° 6 : Rétablir une stricte conformité entre les pratiques et les règles de placement dans toutes les caisses du réseau.

Avenir du réseau

Direction générale du travail et UCF CIBTP

Recommandation n° 7 : Réexaminer le bilan coûts-avantages du régime de congés payés sur la base d'une analyse contradictoire des ministères compétents avec les parties prenantes, puis prendre clairement position sur son maintien ou sa suppression.

Recommandation n° 8 : Au cas où le régime des congés payés du BTP serait maintenu, accélérer la convergence des outils de gestion et des politiques de placements financiers des caisses du bâtiment, pour aboutir à un taux unique de cotisation, et mener à bien le regroupement des caisses nationales et territoriales jusqu’à une caisse unique.

-=o0o=-

Je vous serais obligé de me faire connaître, dans le délai de deux mois prévu à l’article L. 143-5 du code des juridictions financières, la réponse que vous aurez donnée à la présente communication4.

Je vous rappelle qu’en application des dispositions du même code :

deux mois après son envoi, le présent référé sera transmis aux commissions des finances et, dans leur domaine de compétence, aux autres commissions permanentes de l’Assemblée nationale et du Sénat. Il sera accompagné de votre réponse si elle est parvenue à la Cour dans ce délai. À défaut, votre réponse leur sera transmise dès sa réception par la Cour (article L. 143-5) ;

dans le respect des secrets protégés par la loi, la Cour pourra mettre en ligne sur son site internet le présent référé, accompagné de votre réponse (article L. 143-1) ;

l’article L. 143-10-1 prévoit que, en tant que destinataire du présent référé, vous fournissiez à la Cour un compte rendu des suites données à ses observations, en vue de leur présentation dans son rapport public annuel. Ce compte rendu doit être adressé à la Cour selon les modalités de la procédure de suivi annuel coordonné convenue entre elle et votre administration.

Didier Migaud