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Le Premier président

àMonsieur Michel SapinMinistre des finances et des comptes publicsMonsieur Emmanuel MacronMinistre de l’économie, de l’industrie et du numérique
Réf. : S 2016-0028Objet : La modernisation du réseau La Poste

En application des dispositions de l’article L. 1114 du code des juridictions financières, la Cour des comptes a procédé à une enquête sur la modernisation du réseau La Poste.

Le réseau La Poste comprenait, en 2014, 17 075 points de contact, dont 9 574 bureaux de poste et 7 501 points de contact en partenariat (5 440 agences postales communales ou intercommunales et 2 061 relais-poste tenus par des commerçants). Il employait 57 380 agents de La Poste, et ses charges opérationnelles s’élevaient à environ 4,2 Md€.

Ce réseau postal doit satisfaire aux obligations d’accessibilité au service public définies par la directive postale du 15 décembre 19972. Le législateur français, au titre de la participation de La Poste à l’aménagement et au développement du territoire3, lui a imposé des obligations plus lourdes, notamment un nombre minimum de 17 000 points de contact (bureaux de poste, agences postales communales et relais-poste commerçant). La France dispose ainsi du réseau postal le plus dense d’Europe, en nombre de points de contact et proportionnellement à sa population. Le surcoût par rapport aux obligations de la directive postale qui en résulte est évalué par l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) à environ 250 M€ par an, montant supérieur aux abattements fiscaux (170 M€) dont La Poste bénéficie pour les compenser.

Des efforts de modernisation ont amélioré l’accueil dans les bureaux de poste et réduit les délais d’attente : tous bureaux confondus, le temps moyen d’accès au guichet a diminué de près de 44 % entre 2009 et 2014 (de 7,3 à 4,1 minutes). Les structures hiérarchiques territoriales du réseau et de La Banque Postale ont par ailleurs été fusionnées, afin de donner une plus grande place à la banque, considérée comme un axe prioritaire de développement de l’entreprise. Cette orientation implique un effort de formation important pour renforcer les compétences des collaborateurs du réseau en vue de la vente de produits bancaires.

La Cour souhaite toutefois appeler votre attention sur le fait que la baisse importante et continue de son activité va rendre le coût du réseau de moins en moins soutenable pour l’entreprise (I). La restructuration est à peine entamée en zone urbaine et n’est pas achevée dans les territoires ruraux (II). Le pilotage et les critères d’accessibilité au service postal devraient, en outre, être adaptés pour tenir compte des moyens modernes d’accès au service postal (III).

unE baisse d’activité qui n’est pas compensée par une réduction des charges À due proportion

une baisse continue et régulière de l’activité des guichets

Entre 2009 et 2014, une baisse globale de 25 % du temps d’activité des guichets a été constatée, liée en particulier à la diminution du volume du courrier.

Cette baisse a été de 16 % pour les opérations réalisées pour le compte du colis, de 21 % pour celles liées au courrier et de 40 % pour les activités diverses du réseau. Les opérations bancaires réalisées au guichet ont baissé de 31 %. Seule l’activité au profit de La Poste mobile, filiale créée en 2011, est en croissance, mais son poids reste marginal.

Cette tendance ne peut que s’amplifier. En effet, la plupart des activités autrefois concentrées dans les bureaux de poste peuvent dès aujourd’hui emprunter d’autres canaux de distribution : de nombreux services – opérations bancaires, achat et impression de timbres, ou encore envoi de lettres recommandées – sont accessibles sur l’internet ; l’expédition d’un colis peut désormais être préparée en ligne et effectuée depuis sa boîte aux lettres ; sa distribution peut passer par un point-relais ou par une consigne automatique ; le terminal qui équipe les facteurs leur permet enfin d’effectuer certaines des opérations des guichets. Même si les clients utilisent encore peu ces possibilités, cette évolution paraît irréversible.

une réduction des charges qui rencontre des limites

La Poste a, certes, réduit les charges opérationnelles de son réseau, mais dans une proportion moindre : - 8,9 % entre 2009 et 2014, si bien que la productivité des agents au guichet s’est dégradée. Au demeurant, cette baisse des charges rencontre des limites.

Les agents employés dans le réseau représentent, après les facteurs, le deuxième groupe professionnel au sein de La Poste, avec 57 383 agents en 2014, soit un quart des effectifs du groupe, dont plus de 85 % opèrent dans les bureaux de poste. Les charges de personnel sont, de loin, le premier poste de dépenses du réseau, avec 73 % du total en 2014. Elles ont baissé de 6 % entre 2009 et 2014, principalement sous l’effet d’une réduction des effectifs, d’une évolution de la répartition entre les fonctionnaires et les salariés et de mesures d’âge ayant fait sortir des agents du service actif. Il reste que le crédit d'impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) a contribué pour environ un tiers à cette réduction des charges.

Le ralentissement, en 2013 et 2014, de la baisse des effectifs constitue un facteur de risque, d’autant que plusieurs mesures propres à accroître les dépenses de personnel pourraient menacer à terme les efforts accomplis : l’élargissement du dispositif interne de préretraite aux sites n’étant pas en situation de sureffectif (les préretraités étant alors remplacés), ; le rattrapage des rémunérations des personnels salariés sur celles des fonctionnaires ; la revalorisation des rémunérations des personnels guichetiers en contrepartie de l’acquisition de nouvelles compétences, notamment commerciales et financières.

Deuxième poste de charges du réseau, les dépenses immobilières sont passées de 9,7 % du total de ces charges en 2008 à 13,2 % en 2014. En dépit de diminutions de surfaces, pour l’essentiel en zones rurales, cette augmentation est la conséquence d’une révision des modes de calcul des coûts immobiliers (facturations internes plus proches des coûts réels, amortissement des investissements…) et des investissements entrepris ces dernières années pour moderniser les bureaux de poste et y améliorer l’accueil.

Une organisation territoriale qui reste inadaptée

La Poste française n’est pas le seul opérateur contraint de se transformer en raison de la chute du volume du courrier. En Europe et dans les principaux pays industrialisés, la mutation a obéi à deux modèles opposés : le premier correspond aux opérateurs qui, en développant l’activité bancaire, ont pu conserver un réseau propre de bureaux de poste (Italie, Espagne et Belgique) ; le second s’est traduit par une externalisation totale des points de contact (Allemagne et Royaume-Uni).

La Poste fait coexister les deux modèles : elle a maintenu certains bureaux de poste, elle a en a transformé d’autres en points de contact externalisés, mais le rythme de cette transformation est lent, surtout en zone urbaine.

un retard dans la restructuration du réseau urbain

Les contrats de présence territoriale signés entre La Poste et l’État, le dernier en janvier 2014, n’évoquent pas le réseau urbain, hormis pour les zones socialement sensibles. Il représente pourtant un enjeu important, tant en termes d’économies potentielles que d’amélioration du service.

Un réseau urbain très dense et parfois en sous-activité

Le réseau postal urbain comprend 6 815 points de contact en 2014. Dans les grandes agglomérations, il se caractérise ainsi par une forte densité, supérieure aux critères d’accessibilité au service public résultant des règles communautaires, mais aussi de la loi française. Dans les 14 plus grandes agglomérations métropolitaines (hors ÎledeFrance), la majorité de la population réside à moins de 1,5 kilomètre d’un point de contact. La densité est encore supérieure à Paris et sa « Petite couronne », où l’on constate une distance moyenne inférieure à un kilomètre.

La forte densité du réseau en zone urbaine se traduit par des écarts significatifs de volume d’activité entre bureaux de poste. Comme les bureaux annexes situés à proximité du bureau principal n’offrent pas la même gamme de produits et services ni la même amplitude horaire d’ouverture, cette organisation engendre des surcoûts sans toujours garantir la qualité du service.

En 2014, on dénombrait ainsi dans les zones urbaines 965 bureaux de poste ayant une faible activité (inférieure à trois heures quotidiennes), dont 173 n’avaient d’activité que pendant moins d’une heure. Du fait de la baisse continue de l’activité des guichets, le nombre des bureaux concernés s’accroît de 11,3 % en moyenne chaque année depuis 2010. Le phénomène s’est accéléré en 2014 avec une augmentation de plus de 26 % par rapport à 2013.

La nécessité de repenser le réseau des points de contact urbains

La répartition du réseau en zone urbaine, essentiellement constitué de bureaux de poste, demeure ainsi fortement marquée par le poids du passé et n’a que très peu évolué. La restructuration du réseau en milieu urbain ne doit pas seulement viser à s’adapter à la baisse d’activité des guichets : elle doit viser à mieux répondre aux besoins de la clientèle, qui varient selon les quartiers, et à tirer les conséquences de la diversité des canaux permettant d’atteindre les clients. Compte tenu des coûts élevés de l’immobilier en zone urbaine, elle est de nature à dégager des économies substantielles.

En 2014, 10,4 % seulement des points de contacts du réseau urbain (soit 712) s’appuient sur des partenariats. 21 nouveaux partenariats ont été conclus en 2014 et 40 en 2015 (à la fin de septembre), ce qui reste modeste. Il est impératif d’accélérer le processus d’externalisation des bureaux de poste pour les transformer en points de contact en partenariat, afin d’éviter à La Poste de supporter des coûts opérationnels devenus inutiles en raison de la baisse durable et continue de l’activité des guichets.

L’existence de zones urbaines sensibles doit, à cette occasion, être mieux prise en compte, afin d’y organiser des modalités d’accueil spécifiques pour des publics vulnérables, de limiter les délais d’attente anormaux à certaines périodes, ainsi que l’exposition du personnel à des situations de forte tension. Une partie des gains résultant de l’externalisation à des partenaires des bureaux de poste à faible activité dans les grandes agglomérations devrait servir à améliorer le service dans ces zones urbaines sensibles.

une restructuration inachevée du réseau rural

Une externalisation à poursuivre

Entre 2010 et 2014, alors que le nombre total de points de contact en zone rurale n’a pas varié, 477 bureaux de poste ont été transformés en partenariats – dans 75 % des cas en agences postales communales ou intercommunales et pour les 25 % restant en relais-poste commerçants, si bien que les partenariats représentent plus de 66 % des points de contact ruraux. Le rythme des transformations pendant cette période a été moins élevé que durant les années antérieures à 2010. Il a toutefois connu une reprise en 2015, où 185 nouveaux points de contact en partenariat en zone rurale ont été créés durant les neuf premiers mois.

Cette évolution n’a toutefois pas empêché le nombre de bureaux à très faible activité (moins d’une heure par jour) de s’accroître : il est passé de 705 en 2012 à 796 en 2013 et 992 en 2014. Ces situations où les coûts fixes sont sans commune mesure avec l’activité nécessitent de faire évoluer beaucoup plus rapidement le réseau en zone rurale.

La poursuite des transformations en partenariat – agence postale communale ou relais-poste commerçant – apparaît ainsi indispensable. Sa mise en œuvre gagnera de plus à être complétée par la recherche, en liaison avec l’État et les collectivités territoriales, de solutions permettant la réduction des coûts pour les bureaux maintenus en activité.

De nouveaux modes de mutualisation à déployer

Dans certaines zones rurales où la transformation des bureaux de poste en point de contact en partenariat n’est pas envisageable, une mutualisation des coûts entre les branches du groupe est possible grâce aux facteurs-guichetiers, qui exercent alternativement une activité de distribution des courriers et colis et une fonction de guichetier. Ce dispositif a été expérimenté à partir de la fin de l’année 2011. Il est prévu que 1 000 postes de ce type auront été créés d’ici à 2018 par transformation d’emplois de facteurs, en offrant tous les services habituels du guichet en bureau de proximité et en proposant une partie de l’offre bancaire correspondant au minimum disponible dans les agences postales communales.

Le nombre d’emplois de cette nature était de 155 à la fin de septembre 2015. Le déploiement de ce dispositif est jusqu’à présent intervenu trop lentement, ce qui est regrettable dès lors qu’il présente l’avantage, par rapport aux agences postales communales et intercommunales, de limiter le transfert de charges vers les collectivités territoriales.

Il en va de même des projets de maisons de services au public4, dont l’objet est de mutualiser une partie des charges, notamment immobilières, avec d’autres services publics tout en assurant le maintien de la présence des administrations en zone rurale. Dans ce cadre, le partenariat conclu en juin 2015 entre l’État et La Poste visant à ce que celle-ci accueille une maison de services au public dans 500 bureaux de poste à faible activité situés en zone rurale5 constitue une démarche dont la réalisation et les effets restent à venir.

Un mode de pilotage et Des critères d’accessibilité à adapter

La Poste n’a donc pas encore pris la pleine mesure des évolutions qui obligent à repenser ses modes de relation avec le client, en combinant, d’une manière adaptée à chaque produit et à chaque segment de clientèle, la visite au bureau de poste, les automates, les services en ligne, l’intervention du facteur et le cas échéant celle d’autres acteurs.

Plusieurs mesures peuvent contribuer aux transformations nécessaires.

un meilleur suivi de la performance de chaque point de contact

La Poste n’analyse la performance des bureaux que par terrain, pour un ensemble de points de contact regroupés autour d’un bureau principal. C’est à partir de cette subdivision que La Poste mesure l’efficience et assure le pilotage du réseau.

Un suivi à un niveau plus fin devrait permettre, à tout le moins pour le réseau des bureaux de poste, de mesurer précisément le résultat propre à chaque point de contact, par une affectation précise des coûts induits, en mettant à part les dépenses liées au soutien et à l’encadrement des partenariats.

Cette approche permettrait de mieux fonder les propositions de transformation des bureaux de poste en point de contact en partenariat. Elle favoriserait la spécialisation de chaque bureau en fonction de son bassin de chalandise et aiderait à adapter en conséquence l’offre de services. Au-delà, elle répondrait à la nécessité de mieux articuler le réseau physique avec les autres canaux : internet, automates, facteurs équipés de terminaux électroniques mobiles.

Au surplus, une connaissance des coûts ou de données opérationnelles pertinentes pour chaque point de contact serait utile pour recouper les hypothèses et les résultats du modèle d’évaluation des surcoûts liés aux obligations de présence territoriale.

des critères d’accessibilité à rénover

La plupart des activités autrefois concentrées dans les bureaux de poste peuvent aujourd’hui, comme mentionné supra, emprunter d’autres canaux de distribution.

Cette évolution conduit à ne plus définir l’accessibilité seulement par le nombre et la densité des points de contact. Certes, dans les zones rurales et les zones urbaines sensibles, la présence physique des guichets postaux reste nécessaire pour affirmer la présence du service public et pallier diverses formes de vulnérabilité sociale. Cependant, l’accessibilité résulte aussi de la disponibilité effective des services, tous moyens confondus. C’est notamment le cas dans les zones urbaines où les horaires d’ouverture des bureaux, notamment à l’heure du déjeuner, le soir et le samedi, ainsi que le nombre de guichetiers présents méritent une attention égale à celle portée à la densité des points de contact sur le territoire concerné.

D’une manière générale, il s’agit de mieux répondre aux besoins d’utilisateurs désormais en mesure d’accéder au service public postal par le biais de l’internet et des terminaux mobiles, et qui attendent des services plus ciblés et mieux adaptés à des rythmes professionnels divers.

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Alors que la baisse de l’activité rend les charges du réseau de moins en moins soutenables pour La Poste, l’État peut l’aider à les réduire non seulement en l’accompagnant dans les transformations de bureaux de poste en points de contact en partenariat, mais aussi en aménageant les critères de l’accessibilité. À cette fin, et sans remettre en cause ni le service universel, ni les objectifs d’aménagement du territoire, ces critères devraient être différenciés, notamment entre les zones rurales et les zones urbaines.

Les contrats de présence territoriale conclus entre l’État, l’Association des maires de France et présidents d’intercommunalité (AMF) et La Poste, le dernier pour les années 2014 à 2016, sont principalement consacrés à la présence postale dans les zones rurales, les zones urbaines sensibles et les départements d’outre-mer, notamment en ce qui concerne l’affectation du fonds de péréquation de la présence territoriale.

Le contrat de présence territoriale pourrait être complété de deux manières : d’une part, il serait utile d’élargir son objet à la présence de La Poste dans les grandes agglomérations, en organisant un dispositif de concertation avec les autorités locales concernées en vue de la transformation des bureaux de poste à faible activité en points de contact externalisés ; d’autre part, il serait souhaitable de définir pour ces zones des critères d’accessibilité fondés sur les besoins des clients et tenant compte de l’offre présente sur les réseaux numériques.

La Cour formule donc les recommandations suivantes :

Recommandation n° 1 : améliorer la mesure de la performance et des résultats financiers de chaque point de contact ;

Recommandation n° 2 : redéfinir les critères d’accessibilité en zone urbaine en prenant en compte les besoins de la clientèle postale et bancaire ;

Recommandation n° 3 : transformer les bureaux de poste à faible activité en zone urbaine en d’autres formes de points de contact et organiser à cet effet une concertation avec les autorités locales concernées ;

Recommandation n° 4 : poursuivre les transformations de bureaux de poste à faible activité en zone rurale en d’autres formes de points de contact.

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Je vous serais obligé de me faire connaître, dans le délai de deux mois prévu à l’article L. 143-5 du code des juridictions financières, la réponse que vous aurez donnée à la présente communication6.

Je vous rappelle qu’en application des dispositions du même code :

deux mois après son envoi, le présent référé sera transmis aux commissions des finances et, dans leur domaine de compétence, aux autres commissions permanentes de l’Assemblée nationale et du Sénat. Il sera accompagné de votre réponse si elle est parvenue à la Cour dans ce délai. À défaut, votre réponse leur sera transmise dès sa réception par la Cour (article L. 143-5) ;

dans le respect des secrets protégés par la loi, la Cour pourra mettre en ligne sur son site internet le présent référé, accompagné de votre réponse (article L. 143-1) ;

l’article L. 143-10-1 prévoit que, en tant que destinataire du présent référé, vous fournissiez à la Cour un compte rendu des suites données à ses observations, en vue de leur présentation dans son rapport public annuel. Ce compte rendu doit être adressé à la Cour selon les modalités de la procédure de suivi annuel coordonné convenue entre elle et votre administration.

Didier Migaud