Le
Le Premier président
à | Madame Najat Vallaud-Belkacem | Ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche | Monsieur Michel Sapin | Ministre des finances et des comptes publics | Monsieur Thierry Mandon | Secrétaire d’État chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche | ||||||||||
Réf. : S 2015-1294 | Objet : l’insertion professionnelle des jeunes docteurs |
En application des dispositions de l’article L. 111-3 du code des juridictions financières, la Cour des comptes a examiné la politique nationale du doctorat et les conditions d’insertion professionnelle des diplômés.
À l’issue de son contrôle, la Cour m’a demandé, en application des dispositions de l’article R. 143-1 du même code, d’appeler votre attention sur les observations suivantes.
Le doctorat universitaire français a été progressivement réformé à partir de la fin des années 1990 et inscrit dans le processus de Bologne2. Il faut souligner que cette politique publique a été continûment conçue, mise en œuvre et suivie par les pouvoirs publics en concertation avec les milieux académiques dans un cadre souple, apte à préserver la diversité des formations associées à chaque discipline et à dégager des résultats tangibles.
Les universités ont pu se saisir de la rénovation du doctorat, correspondant au plus haut grade universitaire, comme d’un instrument d’attractivité face à la concurrence des grandes écoles et des organismes de recherche. L’attractivité internationale du diplôme a été également renforcée. La part de doctorants étrangers en France augmente ainsi de dix points au cours de la décennie 2000 et représente 40 % des effectifs en 2008. Elle est deux fois supérieure à celle observée en Allemagne ou au Japon.
Les doctorants, mieux encadrés grâce à la mise en place des écoles doctorales, s’engagent dans des thèses plus courtes et dans l’ensemble mieux financées au moyen du contrat doctoral institué en 2009. Ils sont désormais davantage insérés dans un statut de jeunes chercheurs acquérant une première expérience professionnelle.
L’évaluation des écoles doctorales, dans le cadre de la procédure d’accréditation et de contractualisation, pourrait cependant être mieux référencée. Le processus d’évaluation s’appuie, en effet, sur des questionnaires appelant, de la part de l’école, une réponse dans un format libre. Il n’y a donc pas jusqu’ici de grille d’évaluation homogène et quantifiée qui permette de comparer, point par point, les différents écoles doctorales et établissements entre eux. La perspective d’un recours accru à l’auto-évaluation imposerait pourtant une formalisation plus forte des grilles d’évaluation.
Les enquêtes quantitatives relatives au doctorat souffrent aujourd’hui d’une trop grande dispersion et d’un manque d’unité méthodologique. En outre, des zones d’ombre demeurent concernant, par exemple, l’activité salariée des doctorants non financés ou les conditions de financement des doctorants étrangers.
Cette situation n’est pas satisfaisante : les institutions qui portent les politiques publiques ne disposent pas, en effet, de l’information indispensable pour, notamment, mieux en situer les résultats dans les comparaisons internationales. Les établissements peinent à apprécier leur position relative sur une échelle de comparaison de leurs méthodes et résultats, et les étudiants ne disposent pas des éléments utiles à une meilleure détermination de leurs projets académiques et professionnels.
Pourtant, l’information disponible pour la licence et le master montre que le ministère dispose de toute l’expertise nécessaire pour mener des enquêtes plus approfondies et mieux normalisées.
Le coût du financement des doctorants peut être approché en additionnant les dotations suivantes : contrats doctoraux financés par le ministère, subventions CIFRE – conventions industrielles de formation par la recherche - versées par l’Association nationale de la recherche et de la technologie (ANRT), contrats doctoraux accordés par les organismes de recherche et les collectivités territoriales, crédits inscrits dans le programme d’investissements d’avenir (PIA).
La Cour estime ainsi à un peu moins de 600 M€ la dépense publique consacrée au financement des doctorants en 2013. À ces montants, il conviendrait d’ajouter la dépense fiscale induite par les doublements d’assiette du crédit d’impôt recherche en faveur des jeunes docteurs, estimée à 71 M€ en 2011.
Par ailleurs, aux salaires versés aux doctorants, s’ajoutent les budgets de formation, d’animation scientifique et de gestion administrative des écoles doctorales.
Peu d’établissements ont tenté de mesurer le coût global de gestion du doctorat. L’université Pierre-et-Marie-Curie (UPMC) a calculé un coût moyen de 5 100 € par doctorant et par an. Hors dépenses de personnel, ce coût est évalué à 787 € par doctorant et par an, proche des 867 € calculés à partir du système de répartition des moyens à la performance et à l’activité de l’État aux universités (SYMPA - Système d’allocation des moyens aux universités).
En extrapolant ce coût moyen de 787 € aux 76 840 doctorants dénombrés en 2013-2014, la dépense nationale de formation, d’animation scientifique et de gestion administrative du doctorat peut être évaluée à un minimum d’environ 60 M€ (390 M€ en incluant les dépenses de personnel).
Au total, le coût annuel global de la politique publique du doctorat peut donc être estimé entre 700 M€ et 1 Md€. Cette fourchette est bien supérieure au coût complet, d’environ 450 M€, indiqué en loi de finances au titre de la formation initiale et continue de niveau doctorat.
La conduite d’une politique du doctorat efficiente impose la collecte et le suivi, au niveau des établissements comme au niveau national, de données financières précises et consolidées sur son coût complet.
Le taux de chômage des jeunes docteurs (hors santé) trois ans après le diplôme est proche de 9 % en 2009. C’est quatre à neuf fois plus que dans d’autres pays membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) la même année (2 % au Royaume-Uni, 1 % au Japon).
Trois ans après diplomation, la part des contrats à durée déterminée (CDD) constatée en 2013 chez les docteurs est plus de quatre fois supérieure à celle des diplômés d’écoles de commerce ou d’ingénieurs.
Ce constat s’explique en partie par l’enchaînement de CDD qu’impose le parcours postdoctoral. Il traduit néanmoins l’incertitude d’un processus de recrutement, qui voit se réduire par à-coups le nombre de candidats à une carrière dans la recherche publique, par sélection au mérite ou à la ténacité.
De surcroît, ces CDD sont trop souvent des contrats-types, qui n’identifient pas suffisamment les responsabilités croissantes successivement confiées à ces jeunes chercheurs. Ils ne permettent donc pas d’envisager la redéfinition éventuelle du projet professionnel, pendant ou au terme du parcours postdoctoral.
Les doctorants financés, en particulier sur convention CIFRE, ont une insertion professionnelle mieux assurée (4 % de chômage un an après la thèse et 60 % de contrats à durée indéterminée - CDI). Il s’agit toutefois moins d’augmenter le nombre de CIFRE (le taux de sélection s’élève à près de 80 % et ne permet pas de saturer le plafond budgétaire des subventions correspondantes) que de proposer en plus grand nombre des projets plus diversifiés aux entreprises.
Le salaire net mensuel médian des docteurs (hors santé), mesuré trois ans après le diplôme, a légèrement progressé entre 2007 (2 200 €) et 2013 (2 280 €). Il reste cependant inférieur à celui des jeunes ingénieurs (2 350 €) et égal à celui des diplômés d’écoles de commerce.
On relève les plus grandes difficultés d’insertion, tant au niveau du taux de chômage que de la stabilité de l’emploi, chez les diplômés en chimie, sciences de la vie et de la terre (SVT) et lettres et sciences humaines (LSH). A contrario, les sciences de l’ingénieur et, dans une moindre mesure, les mathématiques et la physique connaissent de meilleurs résultats.
Le constat, identique s’agissant des salaires, appelle une vigilance et un effort particuliers d’accompagnement et de suivi des doctorants dans les disciplines les plus touchées. L’ouverture des conventions CIFRE à de nouveaux domaines de la recherche (lettres, sciences humaines) constitue également un enjeu de réflexion.
S’agissant en premier lieu de la recherche publique et de l’enseignement supérieur, les recrutements statutaires ne représentent plus que l’équivalent d’un sixième des docteurs diplômés en France. Un effet de ciseaux apparaît entre l’augmentation du nombre de doctorats délivrés et les recrutements dans les corps de maître de conférences et de chargé de recherche, qui connaissent une attrition continue depuis 2007.
S’agissant en second lieu de l’encadrement supérieur de l’État, l’ouverture aux titulaires d’un doctorat, par voie de recrutement dans les corps de fonctionnaires concernés, ne peut être envisagée que comme une réponse symbolique (quelques dizaines de recrutements par an).
Ce chantier doit cependant faire, à tout le moins, l’objet d’une application ou d’un aboutissement rapides par les ministères compétents. Il s’agit, en effet, de reconnaître le niveau d’un diplôme qui est par ailleurs indispensable pour exercer certaines fonctions dans les grandes organisations internationales et européennes et qui représente la qualification de référence de plus haut niveau la plus communément admise dans les entreprises étrangères.
Au sein de la recherche en entreprise, la place des docteurs reste relativement faible. En 2009, 54 % des chercheurs en entreprise sont ingénieurs contre 13 % seulement de docteurs.
Concernant les fonctions d’encadrement supérieur, le doctorat est un diplôme méconnu des recruteurs nationaux souvent éloignés du monde de la recherche. L’explicitation du contenu du diplôme apparaît insuffisante, en particulier la reconnaissance des compétences transversales acquises par les docteurs à la faveur de la conduite d’un projet de recherche original.
Le fait que 24 % seulement des docteurs souhaitent rejoindre l’entreprise à l’issue de leur soutenance, alors que 38 % d’entre eux y trouvent un poste, souligne une inadéquation du projet personnel avec la réalité professionnelle.
Compte tenu de ces constats, la Cour estime qu’une grille de compétences transversales, dont l’élaboration suppose d’associer formateurs et recruteurs autour d’un langage commun, serait doublement utile : comme outil d’évaluation de la maîtrise du docteur de chaque critère de compétence et comme instrument d’explicitation de la pertinence d’un tel recrutement au regard des besoins des entreprises.
L’insertion professionnelle a été inscrite parmi les missions de l’enseignement supérieur en 2007 et réaffirmée dans la loi n° 2013-660 du 22 juillet 2013 relative à l’enseignement supérieur et à la recherche. La mobilisation des groupements d’établissements et de leurs écoles doctorales est indispensable à la bonne réalisation de cette mission.
Les procédures et dispositifs nécessaires pour redonner visibilité et clarté au cycle doctoral ont été mis en place. Ils ne permettent cependant pas encore d’articuler efficacement, dans les établissements, l’ingénierie de formation développée et l’insertion professionnelle des docteurs, appelée à s’élargir au-delà de ses frontières traditionnelles.
-=o0o=-
Il serait utile que le ministère explicite les outils et dispositifs concrets qu’il compte mobiliser pour atteindre les objectifs de sa politique nationale de formation doctorale. En particulier, la Cour estime nécessaires :
une normalisation accrue du référentiel d’évaluation des écoles doctorales ;
une clarification du cadre de collecte statistique sur le doctorat ;
une amélioration du suivi des doctorants et de leur projet professionnel ;
une meilleure explicitation et certification des compétences transverses acquises en cours de thèse ;
un dialogue de gestion avec le réseau des écoles doctorales plus incitatif, intégrant un ou plusieurs objectifs en matière d’insertion professionnelle.
La Cour formule donc les recommandations suivantes :
recommandation n° 1 : fonder l’évaluation périodique des écoles doctorales, de leur organisation et de leurs programmes par le Haut conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (HCERES), sur un référentiel national normé ;
recommandation n° 2 : élaborer un cadre national d’enquête sur les doctorants et l’insertion professionnelle des docteurs, en liaison notamment avec la Conférence des présidents d’université (CPU), la Conférence des grandes écoles (CGE) et avec le soutien méthodologique du service statistique du ministère chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche (sous-direction des systèmes d’information et des études statistiques - SIES), pour assurer le respect des normes statistiques. Formaliser l’engagement des établissements d’utiliser localement ce cadre pour collecter, traiter et assurer la remontée des données les concernant ;
recommandation n° 3 : procéder systématiquement, en cours de thèse, à une revue, avec les doctorants, de leur projet personnel et d’orientation professionnelle. Introduire des éléments de flexibilité dans le contrat doctoral en vue de permettre aux doctorants d’effectuer des expériences professionnelles de courte durée en entreprise ;
recommandation n° 4 : définir, évaluer et comptabiliser les compétences acquises à l’occasion du projet de recherche et des formations spécifiques liées au parcours doctoral, ainsi que des formations complémentaires ; reporter chacune d’entre elles dans un document académique spécifique ou dans le supplément au diplôme ;
recommandation n° 5 : prendre en compte dans les dialogues de gestion du ministère de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche (MENESR) avec les communautés d’universités et d’établissements (COMUE), et entre celles-ci et les écoles doctorales, leurs résultats au regard de leur politique de formation doctorale.
-=o0o=-
Je vous serais obligé de me faire connaître, dans le délai de deux mois prévu à l’article L. 143-5 du code des juridictions financières, la réponse que vous aurez donnée à la présente communication3.
Je vous rappelle qu’en application des dispositions du même code :
deux mois après son envoi, le présent référé sera transmis aux commissions des finances et, dans leur domaine de compétence, aux autres commissions permanentes de l’Assemblée nationale et du Sénat. Il sera accompagné de votre réponse si elle est parvenue à la Cour dans ce délai. À défaut, votre réponse leur sera transmise dès sa réception par la Cour (article L. 143-5) ;
dans le respect des secrets protégés par la loi, la Cour pourra mettre en ligne sur son site internet le présent référé, accompagné de votre réponse (article L. 143-1) ;
l’article L. 143-10-1 prévoit que, en tant que destinataire du présent référé, vous fournissiez à la Cour un compte rendu des suites données à ses observations, en vue de leur présentation dans son rapport public annuel. Ce compte rendu doit être adressé à la Cour selon les modalités de la procédure de suivi annuel coordonné convenue entre elle et votre administration.
Didier Migaud