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Le Premier président
à | Monsieur Michel Sapin | Ministre de l’économie et des finances | Madame Emmanuelle Cosse | Ministre du logement et de l’habitat durable | ||||
Réf. : S2016-2893 | Objet : Le taux réduit de TVA sur les travaux d’entretien et d’amélioration des logements de plus de deux ans |
En application de l’article L.111-3 du code des juridictions financières, la Cour des comptes a conduit au premier semestre 2016 une enquête sur le taux réduit de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) applicable aux travaux d’entretien et d’amélioration des logements de plus de deux ans.
À l’issue de son contrôle, la Cour m’a demandé, en application des dispositions de l’article R. 143-1 de ce code, d’appeler votre attention sur les observations et recommandations suivantes.
Une des dépenses fiscales les plus importantes
Depuis 1999, la France permet aux particuliers réalisant des travaux d’entretien et d’amélioration dans leurs logements, achevés depuis plus de deux ans, de bénéficier d’un taux réduit de TVA.
Initialement autorisée à titre expérimental par l’Union européenne dans le but de soutenir l’emploi dans les secteurs intensifs en main d’œuvre et de lutter contre l’économie souterraine, cette mesure a été prise à l’origine dans un contexte national de surplus conjoncturel de recettes fiscales. Bien que cette situation ait rapidement disparu et que la commission ait fait valoir en 2003 qu’« il n’est pas possible d’identifier de façon robuste un effet favorable en faveur de l’emploi, ni une réduction de l’économie souterraine suite à la réduction du taux de TVA »1, la mesure a été pérennisée. Autorisée par la directive européenne 2009/47/CE du 5 mai 2009, elle est aujourd’hui inscrite dans l’article 279-0 bis du code général des impôts.
Peu d’États européens tirent parti de cette faculté d’appliquer un taux réduit aux travaux effectués dans les logements particuliers, une telle mesure n’étant notamment pas appliquée en Allemagne et ne l’étant que très marginalement au Royaume-Uni.
Avec un coût de 3,28 Md€ prévu pour 2016, ce dispositif constitue, dans le cadre du recensement imposé par l’article 51 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), la quatrième dépense fiscale la plus importante en volume parmi les 449 dénombrées par le projet de loi de finances.
Des conditions de pilotage, de suivi et de contrôle insatisfaisantes au regard du montant de l’effort budgétaire consenti
L’estimation du montant de la dépense fiscale effectuée par la Direction générale des finances publiques (DGFiP) dans le projet de loi de finances annuel est relativement fiable : depuis 2012, l’écart entre prévision et réalisation s’est cependant accru, dans le sens d’une minoration du montant en 2012 et en 2014 et d’une majoration de celui-ci en 2015, en raison de la difficulté d’estimer correctement l’assiette des travaux concernés.
Le champ des équipements éligibles à cette mesure et le critère d’ancienneté des logements, dont la définition est restée stable au cours de la période, ne posent pas de problème particulier.
En revanche, la modification à trois reprises depuis quatre ans d’un taux qui était resté constant à 5,5 % entre 1999 et 2012, suscite des interrogations quant à la finalité de cette mesure.
Ce taux a ainsi d’abord été porté à 7 % à compter du 1er janvier 2012 par la quatrième loi de finances rectificative pour 2011, afin de contribuer au financement du plan de redressement présenté en novembre 2011.
Il a été à nouveau augmenté à 10 % par la troisième loi de finances rectificative pour 2012 avec une date d’effet au 1er janvier 2014, afin de permettre le financement du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi sans dégradation supplémentaire du solde des finances publiques.
Enfin, la loi de finances pour 2014 a scindé cette dépense fiscale en deux dispositifs, en faisant bénéficier les travaux d’amélioration énergétique d’un taux ramené à 5,5 %, tandis que les autres dépenses d’entretien et d’amélioration demeuraient assujetties au taux de 10 %.
Ces trois modifications substantielles, apportées quelques mois après que la France ait obtenu la pérennisation du dispositif, ont été introduites par la voie d’amendements d’origine gouvernementale ou parlementaire au cours du débat relatif à la loi de finances. Elles n’ont fait l’objet d’aucune étude préalable : aucun chiffrage du gain attendu en matière de recettes fiscales n’a été présenté et aucune estimation de leurs effets attendus sur l’économie et sur l’emploi n’a été produite.
À défaut d’évaluation préalable, il aurait été utile de s’attacher à quantifier a posteriori les effets de ces décisions sur le plan fiscal, dans le cadre du projet de loi de règlement pour 2014 ou du projet de loi de finances pour 2016. Tel n’a pas été le cas, si bien qu’il n’est pas possible de mesurer aujourd’hui si, et à quelle hauteur, ces relèvements de taux ont procuré un surcroît de recettes fiscales.
Par ailleurs, sur le plan économique, une évaluation des effets de ces mesures sur le chiffre d’affaires du secteur et sur l’emploi n’a pas non plus été menée à bien. Ainsi, la répercussion éventuelle des variations des taux de TVA sur les prix toutes taxes comprises (TTC) dans le secteur concerné demeure largement inconnue de l’administration, alors que les organisations professionnelles ont fait valoir que les hausses récentes ont été absorbées par une réduction des marges des entreprises du secteur.
Enfin, les conditions du contrôle par les services fiscaux de l’application des taux de TVA ne permettent pas de garantir sa correcte liquidation. La TVA à taux réduit ne fait pas l’objet d’une stratégie spécifique de contrôle dans le cadre des opérations de vérification sur pièces et sur place des agents de la DGFiP. Cette situation confirme le constat effectué l’an passé par le Conseil des prélèvements obligatoires2.
La nécessité de nouvelles évaluations pour démontrer l’efficience de cette dépense fiscale
De 1999 à 2015, la dépense fiscale n°730213 relative aux travaux d’entretien et d’amélioration des logements a représenté un coût cumulé de 70 Md€ pour les finances publiques, soit en moyenne un abandon de recettes de près de 4,4 Md€ par an.
Un consensus se dégage pour admettre que cette mesure a eu un effet positif sur l’activité et l’emploi du secteur. Pour autant, les éléments techniques permettant d’appuyer cette appréciation sont insuffisants.
En effet, durant cette période, la mesure a fait l’objet de neuf tentatives d’évaluation, dont deux seulement, en dépit de l’importance des montants en jeu, ont été réalisées par les pouvoirs publics, en octobre 2002 et en juin 2011. Les sept autres études émanaient directement des deux fédérations professionnelles intéressées3 et visaient avant tout à pérenniser l’avantage fiscal.
La première évaluation réalisée par l’État a pris la forme, en 2002, d’un rapport de la France adressé à la Commission européenne. Ce rapport plaidait pour le maintien du dispositif, compte tenu de ses effets estimés : une augmentation du chiffre d’affaires du secteur de 2,8 Md€ en deux ans et la création d’environ 43 000 emplois (31 000 emplois directs et 12 000 emplois indirects).
À l’occasion du travail transversal d’évaluation des « niches » fiscales et sociales réalisé en 2011, ces chiffres ont été revus à la baisse dans une seconde évaluation, qui a estimé à 1,6 Md€ l’augmentation du chiffre d’affaires annuel du secteur induite par cette mesure et à 32 000 le nombre total d’emplois créés du fait du dispositif. Cette étude soulignait par ailleurs que le coût net par emploi créé pouvait être estimé entre 50 000 € et 90 000 €.
La Cour constate que, depuis lors, aucune autre évaluation, ni aucun travail de simulation à l’aide d’outils économétriques ne sont disponibles, malgré une tentative d’évaluation prospective conduite par la direction de l’habitat, de l’urbanisme et des paysages à l’automne 2015. Faute de ces éléments, l’efficience de cette dépense fiscale n’est pas démontrée : en l’état actuel de l’information, son coût annuel apparaît même disproportionné par rapport à ses bénéfices estimés en termes d’activité et d’emploi du secteur concerné.
En conséquence, si l’État entend maintenir ce dispositif, il apparaît impératif que des travaux permettent rapidement d’apporter au Parlement et au citoyen la preuve de sa pertinence et de son efficacité.
Aussi, au terme de son enquête, la Cour formule les recommandations suivantes :
- Recommandation n° 1 : Présenter un chiffrage rigoureux des effets budgétaires et des effets économiques des trois ajustements intervenus depuis 2012 (relèvement du taux à 7,0 %, à 10,0 % et dissociation avec les travaux d’amélioration énergétique).
- Recommandation n° 2 : Procéder à une évaluation précise des bénéfices économiques du taux réduit de TVA sur les travaux d’entretien et d’amélioration des logements de plus de deux ans, en chiffrant explicitement le coût pour les finances publiques des créations d’emplois qui lui sont imputables et en examinant les scénarios d’évolution susceptibles d’en améliorer l’efficience.
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Je vous serais obligé de me faire connaître, dans le délai de deux mois prévu à l’article L. 143-5 du code des juridictions financières, la réponse que vous aurez donnée à la présente communication4.
Je vous rappelle qu’en application des dispositions du même code :
deux mois après son envoi, le présent référé sera transmis aux commissions des finances et, dans leur domaine de compétence, aux autres commissions permanentes de l’Assemblée nationale et du Sénat. Il sera accompagné de votre réponse si elle est parvenue à la Cour dans ce délai. À défaut, votre réponse leur sera transmise dès sa réception par la Cour (article L. 143-5) ;
dans le respect des secrets protégés par la loi, la Cour pourra mettre en ligne sur son site internet le présent référé, accompagné de votre réponse (article L. 143-1) ;
l’article L. 143-10-1 prévoit que, en tant que destinataire du présent référé, vous fournissiez à la Cour un compte rendu des suites données à ses observations, en vue de leur présentation dans son rapport public annuel. Ce compte rendu doit être adressé à la Cour selon les modalités de la procédure de suivi annuel coordonné convenue entre elle et votre administration.
Didier Migaud