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Le Premier président
à | Michel Sapin | Ministre des finances et des comptes publics | Monsieur Patrick Kanner | Ministre de la ville, de la jeunesse et des sports | |||||
Réf. : S2016-2671 | Objet : Fonds de coopération de la jeunesse et de l’éducation populaire (Fonjep) |
À la suite du contrôle des comptes et de la gestion (exercices 2009 à 2014) de l’association Fonds de coopération de la jeunesse et de l’éducation populaire (Fonjep) et du dispositif d’aides à l’emploi, appelé « postes Fonjep », dont l’association éponyme facilite la mise en œuvre par le versement de subventions aux associations du secteur de la jeunesse et de l’éducation populaire, la Cour des comptes m’a demandé, en application des articles L. 143-5 et R. 143-1 du code des juridictions financières, d’appeler plus particulièrement votre attention sur des sujets qui relèvent de vos attributions.
Préalablement à la refonte du dispositif d’aides, que la Cour recommande en raison de son obsolescence, il est indispensable de restaurer un climat de confiance entre l’État et l’association Fonjep, qui concourt à la mise en œuvre de cette politique. Celle-ci représente un montant moyen annuel de 50 millions d’euros d’aides (de la part de l’État et des collectivités locales), au bénéfice de quelque 4 196 associations et de 5 755 salariés.
Créé en 1964 dans l’attente d’une loi de recrutement d’éducateurs pour animer les équipements socio-culturels prévus par la loi du 28 juillet 1961 relative à l'équipement sportif et socio-éducatif, le Fonds de coopération de la jeunesse et de l’éducation populaire n’était, à l’origine, qu’un palliatif provisoire chargé d’une mission unique : centraliser les contributions de tous les financeurs publics (État, collectivités territoriales, organismes sociaux, etc.) afin de faciliter le recrutement et la rétribution de personnels chargés des projets d’animation de ces équipements. Doté d’un statut d’association, le Fonjep associait, dans ses instances dirigeantes, acteurs publics et grands réseaux de la jeunesse et de l’éducation populaire, créant ainsi un lieu d’échanges et de concertation.
Si le Fonjep a permis effectivement un dialogue permanent entre l’État et les acteurs du secteur, il n’a jamais été un lieu de codécision. L’attribution des contributions publiques pour la prise en charge de postes d’animateurs ou d’éducateurs, dénommés "postes Fonjep", est à la discrétion de l’État, le Fonjep n’assurant que l’acheminement régulier et fluide, par un système d’avances, de ces flux financiers vers les organismes attributaires. Même s’il s’acquitte de cette mission de façon satisfaisante et à un coût restreint, la réalité du Fonjep, de 1964 à 2006, fut celle d’un démembrement budgétaire de l’État.
Une nécessaire clarification de l’origine et de la nature des fonds de l’association
Constatant cette situation et l’absence d’autonomie réelle du Fonjep, la loi n°2006-586 modifiée du 23 mai 2006 relative au volontariat associatif et à l'engagement éducatif lui a conféré une habilitation générale pour procéder aux versements des subventions aux associations intervenant dans le domaine de l’éducation populaire et de la jeunesse. Il en a résulté une distinction claire entre les différents fonds transitant par le Fonjep. Les fonds entrant dans le champ d’habilitation de cette loi, à savoir les subventions à des tiers pour lesquelles l’État, les collectivités territoriales et leurs établissements publics confient au Fonjep le soin de verser des avances, constituent des deniers publics. À l’inverse, les subventions de fonctionnement au Fonjep pour l’exercice de sa mission de service public et les cotisations de ses membres sont des fonds privés.
Cependant, une situation confuse et conflictuelle s’est instaurée sur la nature privée ou publique du fonds de roulement de l’association, constitué sur de nombreuses années, avant l’intervention de la loi de 2006.
Ce fonds de roulement n’a fait l’objet d’aucune récupération de la part de l’État, sauf très tardivement en 2014, pour 8 M€ et selon des modalités fortement contestées par les dirigeants de l’association.
À l’heure actuelle, face aux difficultés juridiques et pratiques auxquelles se heurte la détermination des parts respectivement privée et publique des fonds propres antérieurs à 2006 (le fonds de roulement s’établissait à fin 2015 à un peu plus de 11 M€), la Cour préconise la recherche rapide d’un accord.
Cet accord doit, d’une part, être respectueux du statut associatif du Fonjep et, d’autre part, tenir compte des contraintes budgétaires de l’État pour poursuivre une politique de soutien à la vie associative en faveur de la jeunesse et de l’éducation populaire. La Cour estime qu’il revient à l’État, s’agissant de la sollicitation du fonds de roulement de l’association, de mettre en œuvre les procédures qui conviennent vis-à-vis d’une association, en affichant en toute clarté le niveau des crédits à inscrire en loi de finances initiale pour financer cette politique.
2- La refonte du dispositif d’aides
Le dispositif d’aides exige une refonte très significative pour rester pertinent. Dans un climat plus confiant, les instances dirigeantes de l’association peuvent contribuer à faciliter une telle réforme trop longtemps différée, malgré de nombreux rapports convergents d’inspection générale ou de personnalités qualifiées.
En effet, le dispositif actuel est guetté par l’inefficience et l’obsolescence : statut très insatisfaisant des postes nationaux, effet de levier dégradé au fil du temps, saupoudrage des subventions attribuées, faible rotation des postes, hétérogénéité du dispositif entre ministères financeurs pour la majorité des postes, dits déconcentrés.
L’attribution des postes dits nationaux (au nombre de 640 en 2014), décidés directement par les ministères, manquent d’un encadrement règlementaire. Cette lacune a entrainé des dérives regrettables : en 2014, 15 des 25 représentants associatifs au conseil d’administration du Fonds bénéficiaient personnellement d’un tel poste ; des postes étaient attribués en nombre important aux associations qui siègent au conseil d’administration. Ainsi les 25 membres associatifs du conseil d’administration du Fonjep bénéficiaient, en 2014, pour eux-mêmes et les associations qu’ils représentent, près de 40 % des postes nationaux.
La Cour a également relevé l’attribution de postes à la même association par plusieurs ministères. Enfin ces postes nationaux sont attribués pour des durées très longues : 28 % de ceux du ministère chargé de la jeunesse le sont depuis au moins 20 ans. La disparition de ce contingent de postes nationaux, à la justification mal assurée car dévolu en grande partie aux têtes de réseaux associatifs, pourrait éviter de telles dérives, en augmentant d’autant les moyens attribués aux associations de proximité.
Quant aux postes déconcentrés, leur saupoudrage excessif, qui a conduit à baisser la quote-part de la subvention dans le salaire aidé, réduit l’effet de levier de l’aide publique qui ne représente plus, en moyenne, que 15% du coût d’un emploi subventionné. En outre, leur faible rotation, due à de trop nombreuses dérogations aux règles de non-renouvellement (pour le ministère chargé de la jeunesse, le taux de rotation n’était que de 6 % en 2014 et plus de 1 700 de ces postes - sur 3 700 - étaient antérieurs à l’année 2000) pénalise les plus petites associations.
À défaut de corrections de nature à revitaliser cette politique trop soumise à des effets d’inertie, la légitimité du dispositif Fonjep, et celle de l’association éponyme, pourrait être altérée. La Cour rappelle que la justification de ce dispositif d’aides à l’emploi associatif est de sécuriser le lancement, puis le premier développement de projets associatifs nouveaux en faveur de la jeunesse et de l’éducation populaire, non de pérenniser des situations acquises sur longue période.
Aussi, la Cour formule-t-elle les recommandations suivantes :
- Recommandation n° 1 : donner un cadre réglementaire public et transparent à l’attribution des postes nationaux dès lors que la conservation de ce volet du dispositif serait jugée nécessaire, et à tout le moins :
- proscrire la possibilité pour les représentants associatifs au conseil d’administration d’être personnellement bénéficiaires d’un poste Fonjep ;
- limiter le nombre de ces postes attribués aux associations représentées au conseil d’administration ;
- interdire l’attribution des postes Fonjep par plusieurs ministères à une même association.
- Recommandation n° 2 : revoir les critères d’attribution et de renouvellement des postes Fonjep déconcentrés afin d’enrayer la dégradation de leur effet de levier et de leur taux de rotation, et à cet effet :
- respecter une quote-part minimale de 30 % de l’aide dans le coût de l’emploi aidé ;
- retenir des organismes d’une taille suffisamment réduite pour que l’aide soit une réelle incitation à la création ou au maintien d’un emploi ;
- limiter dans le temps l’attribution d’un poste Fonjep : trois ans, renouvelable au plus deux fois, sans aucune dérogation, soit une durée maximale de neuf ans ;
- homogénéiser le dispositif entre les ministères contributeurs.
Je vous serais obligé de me faire connaître, dans le délai de deux mois prévu à l’article L. 143-5 du code des juridictions financières, la réponse que vous aurez donnée à la présente communication1.
Je vous rappelle qu’en application des dispositions du même code :
deux mois après son envoi, le présent référé sera transmis aux commissions des finances et, dans leur domaine de compétence, aux autres commissions permanentes de l’Assemblée nationale et du Sénat. Il sera accompagné de votre réponse si elle est parvenue à la Cour dans ce délai. À défaut, votre réponse leur sera transmise dès sa réception par la Cour (article L. 143-5) ;
dans le respect des secrets protégés par la loi, la Cour pourra mettre en ligne sur son site internet le présent référé, accompagné de votre réponse (article L. 143-1) ;
l’article L. 143-10-1 prévoit que, en tant que destinataire du présent référé, vous fournissiez à la Cour un compte-rendu des suites données à ses observations, en vue de leur présentation dans son rapport public annuel. Ce compte rendu doit être adressé à la Cour selon les modalités de la procédure de suivi annuel coordonné convenue entre elle et votre administration.
Didier Migaud