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Le Premier président

àMonsieur Jean-Yves Le DrianMinistre de la défense
Réf. : S 2015-1606Objet : Projet de gestion des aéronefs retirés du service de l’État

En application des dispositions de l’article L. 111-3 du code des juridictions financières, la Cour des comptes a examiné les modalités d’organisation et de gestion du démantèlement des matériels d’armement conventionnels et dénucléarisés du ministère de la défense.

À l’issue de son contrôle, la Cour m’a demandé, en application des dispositions de l’article R. 143-1 du même code, d’appeler votre attention sur le projet de gestion des aéronefs retirés du service de l’État, encore appelé projet Châteaudun.

Par mandat du 15 novembre 2013, vous avez chargé le directeur central de la structure intégrée du maintien en condition opérationnelle des matériels aéronautiques du ministère la défense (SIMMAD) de mettre en place, pour 2015 au plus tard, une filière industrielle privée chargée de gérer la fin de vie des aéronefs militaires afin de maximiser les recettes nées de leur revente. Dans cette perspective, la nouvelle filière prendrait à sa charge leurs coûts de de stockage et de démantèlement. Cette gestion déléguée pourrait également permettre de libérer les emprises de l’armée de l’air, encombrées d’appareils retirés du service et de carlingues hors d’usage.

L’examen du dossier élaboré en vue de la présentation du projet en comité ministériel d'investissement et transmis à la Cour révèle l’existence d’obstacles importants à l’aboutissement d’un tel projet.

Ce projet limitera la liberté de choix de l’État pour l’emploi opérationnel des aéronefs en fin de vie et restreindra les options d’éventuelles cessions à des clients étrangers

Les industriels consultés par la SIMMAD conditionnent leur participation au projet par l’engagement de l’État sur le nombre et la qualité des matériels concernés, limitant ainsi la souplesse d’usage dont il dispose aujourd’hui dans la gestion des aéronefs et matériels aéronautiques et leur maintien en condition opérationnelle. Les industriels contrôleraient de la sorte le parc des aéronefs vieillissants et pourraient en imposer un retrait prématuré du service, au détriment de l’usage actif ou résiduel que pourraient encore en faire les armées.

Le nouveau dispositif de gestion déléguée à un opérateur privé présente une rentabilité très incertaine

Il n’est pas avéré que les stocks des aéronefs et des pièces détachées à céder, qui font l’objet d’un inventaire encore très imprécis à ce jour, soient suffisants pour assurer aux industriels une activité suffisamment lucrative. Comme la Cour a eu l’occasion de le constater à plusieurs reprises lors de la certification des comptes de l’État, la SIMMAD n’a qu’une connaissance très approximative de la valeur réelle de ses stocks de pièces détachées d’aéronefs. La rentabilité de l’opération pourrait être compromise par le coût du démantèlement des aéronefs préalable à la commercialisation des pièces et sous-produits, qui pèserait sur les charges et le résultat d’exploitation du délégataire, d’autant que le démantèlement ne devrait contribuer, au mieux, qu’à titre accessoire à la création de revenus pour les industriels qui se sont déclarés intéressés par le projet.

Malgré la délégation de gestion envisagée, le risque serait encore largement porté par l’État

L’État serait amené à porter une part importante des risques finaux, notamment financiers. En effet, les industriels s’accordent pour demander un partage des risques avec celui-ci, notamment en cas de vente réalisée à un niveau inférieur à celui escompté. Outre cette condition, certains industriels demandent à être prémunis des conflits éventuels avec les industriels aéronautiques, y compris en ayant la garantie d’une intervention de l’État en cas de difficultés. Enfin, tous les industriels consultés souhaitent que l’État s’engage à faciliter leurs opérations commerciales. La prospection ne serait plus alors conduite au bénéfice de l’État vendeur mais d’opérateurs privés.

L’étude menée par la SIMMAD reste très incomplète dans ses composantes financières

Quatre scénarios ont été étudiés par la SIMMAD dans la perspective d’une externalisation des opérations conforme à l’objectif fixé. Or aucun d’entre eux n’a été comparé avec le dispositif actuel ; les bénéfices ou pertes potentielles par rapport à la poursuite du mode de gestion ne sont donc pas connus.

Par ailleurs, le seul plan d’affaires auquel la Cour a eu accès repose sur des données qui, en l’état des informations disponibles, sont insuffisamment détaillées et justifiées, tant en recettes qu’en dépenses.

Enfin, dans l’hypothèse où les évaluations seraient avérées, la mise en place du projet impliquerait 14,8 M€ de charges d’infrastructure de 2016 à 2020, soit 43 % du total (34,2 M€), dont l’essentiel au titre de la préparation des opérations de démantèlement des aéronefs retirés du service. Or aucune comparaison avec les charges actuellement engagées pour démanteler les aéronefs qui ont déjà fait l’objet d’un premier marché de démantèlement ne semble avoir été effectuée. Il est donc très difficile d’asseoir la crédibilité de cette estimation globale. Une comparaison détaillée, incorporant un scénario de gestion en interne, aurait pourtant permis de mettre en perspective le coût de ce projet dans son volet démantèlement. Par ailleurs, les charges fixes d’administration atteindraient 24 % des dépenses totales, soit 8,1 M€ entre 2016 à 2020. En l’absence de données justificatives, elles paraissent particulièrement élevées.

La Cour appelle l’attention sur le risque que la SIMMAD, dont les faiblesses de gestion ont été, à plusieurs reprises, signalées, s’engage dans un projet de délégation de gestion globale du stockage, du démantèlement et de la cession des aéronefs et pièces détachées par les industriels, alors même que la comparaison internationale menée par ce service avec les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Allemagne montre qu’aucun de ces pays n’a adopté un mode de gestion équivalent pour ces vieux aéronefs militaires. Ce constat ne peut qu’inciter à la prudence sur le montage envisagé.

Ainsi, en l’état des informations auxquelles la Cour a eu accès, le projet de gestion des aéronefs retirés du service de l’État n’apparaît pas pertinent dans ses volets économiques et opérationnels.

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Je vous serais obligé de me faire connaître, dans le délai de deux mois prévu à l’article L. 143-5 du code des juridictions financières, la réponse que vous aurez donnée à la présente communication1.

Je vous rappelle qu’en application des dispositions du même code :

deux mois après son envoi, le présent référé sera transmis aux commissions des finances et, dans leur domaine de compétence, aux autres commissions permanentes de l’Assemblée nationale et du Sénat. Il sera accompagné de votre réponse si elle est parvenue à la Cour dans ce délai. À défaut, votre réponse leur sera transmise dès sa réception par la Cour (article L. 143-5) ;

dans le respect des secrets protégés par la loi, la Cour pourra mettre en ligne sur son site internet le présent référé, accompagné de votre réponse (article L. 143-1) ;

l’article L. 143-10-1 prévoit que, en tant que destinataire du présent référé, vous fournissiez à la Cour un compte rendu des suites données à ses observations, en vue de leur présentation dans son rapport public annuel. Ce compte rendu doit être adressé à la Cour selon les modalités de la procédure de suivi annuel coordonné convenue entre elle et votre administration.

Didier Migaud