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Chambre
Jugement n° 2018-0003
Audience publique du 15 mars 2018
Prononcé du 16 avril 2018 | Commune de Lanrelas
(Côtes d’Armor)
Poste comptable : Broons
Exercice : 2014 |
République Française
Au nom du peuple français
La Chambre,
Vu l'arrêté de charge provisoire pris par le chef du pôle interrégional d'apurement administratif de Rennes le 31 janvier 2017, enregistré au greffe de la chambre le 7 février 2017 ;
Vu le réquisitoire du 22 février 2017, par lequel le Procureur financier a saisi la chambre en vue de la mise en jeu de la responsabilité personnelle et pécuniaire de M. X..., comptable de la commune de Lanrelas, au titre d’opérations relatives à l’exercice 2014, notifié le 6 mars 2017 au comptable concerné ;
Vu les comptes rendus en qualité de comptable de la commune de Lanrelas, par M. X..., du 1er janvier au 31 décembre 2014 ;
Vu l’article 60 de la loi de finances n° 63-156 du 23 février 1963 ;
Vu le code des juridictions financières ;
Vu le code général des collectivités territoriales ;
Vu le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique ;
Vu le décret n° 2012-1386 du 10 décembre 2012 portant application du deuxième alinéa du VI de l’article 60 de la loi de finances de 1963 modifié dans sa rédaction issue de l’article 90 de la loi n° 2011-1978 du 28 décembre 2011 de finances rectificative pour 2011 ;
Vu la décision du Procureur général près la Cour des comptes, du 18 décembre 2017, portant organisation de l’intérim du ministère public près la chambre régionale des comptes Bretagne et désignant notamment M. Sébastien HEINTZ, procureur près la chambre régionale des comptes Pays-de-la-Loire, pour assurer cet intérim ;
Vu le rapport de M. Bernard PRIGENT, premier conseiller, magistrat chargé de l’instruction ;
Vu les conclusions du procureur financier ;
Vu les pièces du dossier ;
Entendu lors de l’audience publique du 15 mars 2018, M. Bernard PRIGENT, premier conseiller, en son rapport, M. Sébastien HEINTZ, procureur financier par intérim, en ses conclusions, et M. Y..., maire de la commune de Lanrelas, présent ayant eu la parole en dernier ;
Sur la présomption de charge unique, soulevée à l’encontre de M. X..., au titre de l’exercice 2014
Attendu que, par le réquisitoire susvisé, le procureur financier a saisi la chambre régionale des comptes de Bretagne de la responsabilité encourue par M. X... pour avoir manqué, en sa qualité de comptable de la commune de Lanrelas, à l’obligation de contrôle à laquelle il était tenu en vertu des dispositions du décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 et, en l’absence de diligences adéquates, complètes et rapides, pour avoir laissé intervenir, en 2014, la prescription de l’action en recouvrement pour les titres de recettes et les montants en euros listés ci-dessous, atteinte au 11 mai 2014 au regard des dispositions de l’article
L. 1617-5 du CGCT :
Exercice 2006 | Exercice 2007 | ||||||||
T-102 | T-129 | T-204 | T-246 | T-6 | T-22 | T97 | T-32 | T-144 | T-218 |
918,00 | 612,00 | 612,00 | 612,00 | 306,00 | 636,00 | 624,00 | 312,00 | 321,36 | 321,64 |
Attendu qu’en conséquence, les opérations susmentionnées seraient présomptives d’irrégularités susceptibles de fonder la mise en jeu de la responsabilité pécuniaire et personnelle du comptable, pour un montant total de 5 275 €, au titre de sa gestion, comprise entre le 1er janvier et le 31 décembre 2014, de la commune de Lanrelas ;
Sur les circonstances constitutives de la force majeure :
Attendu qu’aux termes du V de l’article 60 de la loi susvisée du 23 février 1963, « lorsque (…) le juge des comptes constate l'existence de circonstances constitutives de la force majeure, il ne met pas en jeu la responsabilité personnelle et pécuniaire du comptable public » ;
Attendu que dans sa réponse, en faisant état de la fusion d’un second poste comptable avec le sien, du doublement du nombre de budgets à gérer, du renouvellement de l’exécutif municipal en 2014, d’un contexte d’augmentation de la masse des poursuites, d’une mobilité importante du personnel chargé du recouvrement forcé, d’une mise en place de l’automate des poursuites seulement à sa prise de fonction au premier semestre 2012 et enfin, à la suite de la fusion des postes, du déménagement temporaire du poste comptable le temps de travaux importants, M. X... doit être regardé comme ayant entendu se prévaloir de circonstances constitutives de la force majeure ;
Attendu que, toutefois, les éléments invoqués par le comptable, s’ils peuvent être utilement présentés dans le cadre d’une demande de remise gracieuse, ne revêtent pas le degré d’imprévisibilité, d’extériorité et d’irrésistibilité tels qu’ils constitueraient des circonstances de nature à exonérer le comptable de sa responsabilité sur le fondement de la force majeure ; que, par suite, sa responsabilité personnelle et pécuniaire est susceptible d’être mise en jeu ;
Sur le manquement :
Attendu qu’à l’appui du réquisitoire, le procureur financier présente les diligences évoquées dans le dossier : lettres de rappels, commandements, oppositions à tiers détenteur et procès-verbal de carence ; que les quatre lettres de rappels (10 mai 2006, 28 septembre 2006, 3 mai 2007 et 31 octobre 2007) émises pour huit des titres n’interrompent pas la prescription, étant seulement des préalables indispensables à la notification d’actes de poursuites ;
Attendu que l’émission de quatre commandements avec ou sans frais est évoquée aux dates suivantes : 22 juin 2007, 16 juin 2008, 16 février 2009 et 15 février 2010, pour différents titres ; que les copies d’écran produites et le bordereau de situation du 8 juillet 2016 transmis ne suffisent pas à apporter la preuve de l’envoi d’actes ayant interrompu la prescription ;
Attendu qu’un procès-verbal de carence d’une procédure de saisie-vente a été régulièrement établi le 10 mai 2010 ; que, bien qu’infructueux, c’est le seul acte probant à avoir interrompu la prescription pour 4 ans ; qu’ainsi, cette dernière était reportée au 11 mai 2014 ;
Attendu que l’ordonnateur n’a présenté aucune observation écrite en réponse au réquisitoire du procureur financier ; que ses observations orales n’ont apporté aucun élément matériel nouveau relatif au manquement présumé du comptable ;
Attendu qu’en réponse au réquisitoire du procureur financier, le comptable indique que des oppositions à tiers détenteurs (OTD), émises dans le cadre des autorisations permanentes et générales de poursuite établies sur la période, ont été adressées les 2 septembre 2008, 4 juin 2010 et 6 juin 2014 par des courriers en envoi simple ; que le comptable précise que cette démarche provient de directives de la direction générale des finances publiques visant à réduire les frais d’affranchissement, le recours à la lettre recommandée avec avis de réception étant réservé aux dossiers dont les enjeux financiers et procéduraux le justifient ;
Attendu que, dans son réquisitoire, le procureur financier précise que l’instruction codificatrice n° 99-026-AM modifiée du 16 février 1999 rappelle que « ne sont pas interruptifs de prescription l’envoi de la lettre de rappel et les commandements de payer envoyés sous pli simple » ;
Attendu que le procureur financier souligne en outre que l’instruction codificatrice n° 11-022MO du 16 décembre 2011 prévoit que « la dénonciation de l'OTD au débiteur est une condition de validité de l'acte » ; que l’article L. 1617-5-7 du code général des collectivités territoriales prévoit, s’agissant des OTD, que « le comptable public chargé du recouvrement notifie cette opposition au redevable en même temps qu’elle est adressée au tiers débiteur » ;
Attendu que le procureur fait également valoir que l’instruction confidentielle n° 09-001-V du 8 septembre 2009, citée par le comptable, prévoit un envoi au tiers saisi, en recommandé, pour les créances supérieures à 1 500 € et/ou en cas de difficulté prévisible de recouvrement ; qu’au cas d’espèce, le montant total litigieux est supérieur à ce seuil ;
Attendu que le procureur financier considère qu’en tout état de cause, il n’est pas établi que le comptable ait suivi les créances litigieuses, alors qu’il disposait de l’autorisation de l’ordonnateur pour engager des mesures d’exécution forcée et d’un délai suffisant pour engager des poursuites entre sa prise de fonction et la prescription des titres, soit deux ans et quatre mois ;
Attendu que, dans ses conclusions, le procureur financier considère ainsi que le comptable a commis un manquement ;
Attendu que, dans sa réponse, le comptable indique qu’aucune copie des OTD adressées au tiers détenteur ou au débiteur n’était conservée dans le poste comptable ; qu’il confirme que les commandements de payer et les OTD n’ont fait l’objet que d’un envoi simple ; que cette modalité d’envoi est insuffisante pour apporter la preuve que l’acte a bien été notifié au débiteur, conformément à l’instruction codificatrice n° 11-022-MO du 6 décembre 2011 ;
Attendu que, conformément à l’instruction confidentielle n° 09-001-V du 8 septembre 2009, citée par le comptable, qui prévoit un envoi au tiers saisi, en recommandé, pour les créances supérieures à 1 500 € et/ou en cas de difficulté prévisible de recouvrement, les titres concernés faisaient bien l’objet d’une telle difficulté puisqu’à la prise de fonction du comptable, le débiteur faisait déjà l’objet d’actions en recouvrement, depuis plusieurs années, pour 14 titres d’un montant global dépassant 7 000 € ;
Attendu que le paramétrage et les connexions avec l’application Hélios de l’automate de poursuites, en 2012, n’ont pas permis, selon le comptable, d’assurer un repérage et un suivi exhaustif de l’ensemble des titres à recouvrer ; que ces circonstances, qu’il reconnaît, ne sauraient l’exonérer de sa responsabilité, puisqu’il conserve, conformément aux instructions n° 98-013-A3 du 27 août 1998 et n° 02-005-A3-MO du 22 avril 2002, la possibilité de notifier, manuellement, les actes de recouvrement en recommandé avec avis de réception ;
Attendu qu’ainsi, le comptable n’apporte pas la preuve de la notification au tiers détenteur et au tiers débiteur des trois OTD auxquelles il fait référence ; qu’ainsi ces diligences n’interrompent pas la prescription ;
Attendu que l’instruction du réquisitoire n’a pas permis d’obtenir la production des diligences susmentionnées ; qu’ainsi, les 10 titres sont désormais atteints par la prescription depuis le 11 mai 2014 ;
Attendu qu’en application des articles 17, 18 et 19-1 du décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012, le comptable est notamment tenu d’exercer, en matière de recettes, des diligences en vue du recouvrement des titres de recettes qu’il prend en charge ;
Attendu par ailleurs qu’aux termes des dispositions de l’article L. 1617-5 du code général des collectivités territoriales, l’action des comptables publics en vue du recouvrement des créances des collectivités se prescrit par quatre ans à compter de la prise en charge effective des titres de recettes ;
Attendu qu’il résulte de ces dispositions que les comptables publics sont tenus de faire en temps utile toutes les diligences nécessaires au recouvrement des titres de recettes qu’ils ont pris en charge ; que ces diligences doivent être à la fois adéquates, complètes et rapides ; qu’à défaut et dès lors qu’une recette n’a pas été recouvrée, la responsabilité du comptable peut être engagée par le juge des comptes ;
Attendu qu’aux termes du I de l’article 60 de la loi susvisée du 23 février 1963, « les comptables publics sont personnellement et pécuniairement responsables du recouvrement des recettes (…), de la conservation des pièces justificatives des opérations et documents de comptabilité », ainsi que « des contrôles qu’ils sont tenus d’assurer en matière de recettes » ; qu’en application des mêmes dispositions, « la responsabilité personnelle et pécuniaire prévue ci-dessus se trouve engagée dès lors (…) qu'une recette n'a pas été recouvrée (…) » ;
Attendu qu’il résulte de l’instruction que M. X... n’a pu justifier de l’accomplissement de diligences adéquates, complètes et rapides en vue du recouvrement des 10 titres précités qui ont été atteints par la prescription de l’action en recouvrement le 11 mai 2014, au cours de sa gestion, pour un montant total de 5 275 € ; qu’il a manqué à ses obligations et que ce manquement a fortement compromis le recouvrement des créances et est donc de nature à engager sa responsabilité personnelle et pécuniaire sur le fondement de l’article 60 de la loi du 23 février 1963 à hauteur du montant précité ;
Sur le préjudice financier et le lien de causalité entre le manquement et le préjudice financier :
Attendu que dans sa réponse au réquisitoire du Procureur financier, le comptable ne conteste pas l’existence d’un préjudice financier ; qu’il considère que le préjudice financier pour la collectivité reste mesuré, au motif que la commune provisionnait chaque année une somme conséquente pour les créances admises en non valeur, qu’elle était dans une bonne situation financière en 2012 et 2013, que les relations entre le maire et le poste comptable était très bonnes, que le débiteur a régulièrement changé d’adresse et que le lieu de déclaration de ses revenus 2007 était différent de celui des titres réclamés au niveau de ses loyers impayés, le redevable, aux ressources faibles, devant alors plutôt faire l’objet de dégrèvements plutôt que de poursuites ;
Attendu que l’ordonnateur n’a présenté aucune observation écrite en réponse au réquisitoire du procureur financier ; qu’il a oralement estimé que la commune avait subi un préjudice, même s’il n’en impute pas la responsabilité au comptable ;
Attendu que, dans ses conclusions, le procureur financier considère qu’à la date de la prise en charge des titres de recettes, rien n’indiquait que le redevable était insolvable, que la perte de recettes est avérée ;
Attendu que la réalité du préjudice financier subi par la collectivité est indépendante de sa situation financière et de l’état de ses relations avec le poste comptable ; que le lieu de déclaration des impôts sur le revenu du débiteur au titre de 2007 ne l’empêchait pas d’être redevable de loyers sur le territoire de la commune de Lanrelas entre 2005 et 2007 et est sans incidence sur la fiabilité des titres pris en charge par le comptable et sur le préjudice financier subi par la commune ; que le comptable n’apporte pas la preuve de l’insolvabilité du débiteur ;
Attendu que, les titres en cause n’ayant pas été recouvrés en raison du manquement du comptable à ses obligations, les recettes correspondantes n’ont pas abondé le patrimoine de la collectivité et ont causé un préjudice financier à cette dernière ;
Attendu qu’aux termes du 3ème alinéa du VI de l’article 60 de la loi du 23 février 1963, « lorsque le manquement du comptable (…) a causé un préjudice financier à l’organisme public concerné (…), le comptable a l’obligation de verser immédiatement de ses deniers personnels la somme correspondante » ;
Attendu que, la commune de Lanrelas ayant subi un préjudice d’un montant de 5 275 € correspondant à la somme des dix créances non recouvrées et définitivement compromises durant la gestion de M. X..., il y a lieu de constituer ce dernier débiteur de la commune pour la somme de 5 275 € ;
Sur les intérêts :
Attendu qu’aux termes du paragraphe VIII de l’article 60 de la loi du 23 février 1963 précitée, « les débets portent intérêt au taux légal à compter du premier acte de la mise en jeu de la responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables publics » ; qu’en application de ces dispositions, la somme mise à la charge de M. X... porte intérêt au taux légal à compter du 6 mars 2017, date de notification du réquisitoire à l’intéressé ;
Par ces motifs,
DÉCIDE
Article 1er : Au titre de l’exercice 2014, présomption de charge unique :
M. X... est constitué débiteur de la commune de Lanrelas, au titre de l’exercice 2014, pour la somme de cinq mille deux cent soixante-quinze euros (5 275 euros), augmentée des intérêts de droit à compter du 6 mars 2017.
Article 2 :
La décharge de M. X... ne pourra être donnée par le pôle interrégional d'apurement administratif, qu'après apurement du débet fixé ci-dessus.
Fait et jugé par Mme Sophie BERGOGNE, présidente de séance, MM. Fabien FILLIATRE et Thierry BOUTOUTE, premiers conseillers.
En présence de Mme Annie FOURMY, greffière de séance.
Signé : Annie FOURMY |
Signé : Sophie BERGOGNE |
En conséquence, la République française mande et ordonne à tous huissiers de justice, sur ce requis, de mettre ledit jugement à exécution, aux procureurs généraux et aux procureurs de la République près les tribunaux de grande instance d’y tenir la main, à tous commandants et officiers de la force publique de prêter main-forte lorsqu’ils en seront légalement requis.
La secrétaire générale,
Catherine Pélerin
En application des articles R. 242-19 à R. 242-21 du code des juridictions financières, les jugements prononcés par la chambre régionale des comptes peuvent être frappés d’appel devant la Cour des comptes dans le délai de deux mois à compter de la notification, et ce selon les modalités prévues aux articles R. 242-22 à R. 242-24 du même code. Ce délai est prolongé de deux mois pour les personnes domiciliées à l’étranger. La révision d’un jugement peut être demandée après expiration des délais d’appel, et ce dans les conditions prévues à l’article R. 242-29 du même code.
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