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QUATRIÈME CHAMBRE ------- Première section -------
Arrêt n° S2018-0042
Audience publique du 14 décembre 2017
Prononcé du 25 janvier 2018 |
SYNDICAT MIXTE DEPARTEMENTAL DE TRAITEMENT DES DÉCHETS MENAGERS DE L’AISNE « VALOR’AISNE » (AISNE)
Appel d’un jugement de la chambre régionale des comptes de Nord-Pas-de-Calais, Picardie
Rapport n° R2017-1463 |
République Française,
Au nom du peuple français,
La Cour,
Vu la requête, enregistrée le 25 août 2015 au greffe de la chambre régionale des comptes de Nord-Pas-de-Calais, Picardie, par laquelle le procureur financier près ladite chambre a élevé appel des dispositions définitives du jugement n° 2015-0024 du 9 juillet 2015 (présomptions de charge n° 1 et n° 3), par lequel la chambre a mis en jeu la responsabilité personnelle et pécuniaire de MM. X et Y, comptables du syndicat mixte départemental de traitement des déchets ménagers de l’Aisne « Valor’Aisne », au titre d’opérations relatives aux exercices 2008 à 2012 ;
Vu le courrier enregistré au greffe le 7 septembre 2015, par lequel M. Y, en fonction du 1er décembre 2011 au 31 décembre 2012, a adressé à la chambre régionale des comptes de Nord-Pas-de-Calais, Picardie un mémoire en défense formant également appel incident ;
Vu le courrier enregistré au greffe le 15 septembre 2015, par lequel M. X, en fonction du 1er janvier 2008 au 30 novembre 2011, a adressé à la chambre régionale des comptes de Nord-Pas-de-Calais, Picardie un mémoire en défense formant également appel incident ;
Vu les pièces de la procédure suivie en première instance et produites en appel, notamment le réquisitoire n° 2015-0006 du 16 janvier 2015 du procureur financier près la chambre régionale des comptes de Nord-Pas-de-Calais, Picardie ;
Vu le code général des collectivités territoriales ;
Vu le code des juridictions financières ;
Vu l’article 60 de la loi de finances n° 63-156 du 23 février 1963 modifiée ;
Vu le décret n° 62-1587 du 29 décembre 1962 modifié portant règlement général sur la comptabilité publique, en vigueur au moment des faits, et le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique ;
Vu le décret n° 2012-1386 du 10 décembre 2012 portant application du deuxième alinéa du VI de l'article 60 de la loi de finances de 1963 modifiée ;
Vu les mémoires de M. Y en date des 8 et 13 décembre 2017, enregistrés les mêmes jours au greffe de la Cour ;
Vu le rapport de M. Nicolas HAUPTMANN, auditeur, chargé de l’instruction ;
Vu les conclusions du Procureur général n° 951 du 11 décembre 2017 ;
Entendu, lors de l’audience publique du 14 décembre 2017, M. Nicolas HAUPTMANN, en son rapport, M. Benoît GUÉRIN, avocat général, en les conclusions du ministère public, MM. X et Y, appelants, informés de l’audience, n’étant ni présents, ni représentés ;
Entendu en délibéré M. Jean-Yves BERTUCCI, conseiller maître, réviseur, en ses observations ;
Attendu que la requête en appel du procureur financier près la chambre régionale des comptes de Nord-Pas-de-Calais, Picardie ne porte que sur l’insuffisante motivation du jugement de la chambre relative à l’existence d’un éventuel préjudice financier résultant des manquements imputés aux comptables et sur le défaut de caractère contradictoire de la procédure ; que l’appelant demande à la Cour d’annuler, pour ces motifs, le jugement attaqué, en ce qui concerne les présomptions de charge n° 1 et n° 3 ;
Attendu que, dans leurs mémoires en défense formant également appels incidents, les deux comptables mis en cause demandent, non seulement, que la Cour confirme le jugement en ce qu’il a considéré que les manquements relevés à leur encontre n’ont entraîné aucun préjudice pour le syndicat mixte, mais également et à titre principal qu’elle annule ou infirme le jugement en ce qu’il a considéré que les comptables avaient commis des manquements à leurs obligations de contrôle en matière de dépense ; que les moyens présentés par les comptables outrepassent donc l’objet d’un appel incident ; qu’il convient dès lors de requalifier les deux requêtes en appels principaux ;
Attendu que les trois requêtes concernent le même jugement et portent sur des charges identiques (présomptions de charge n° 1 et n° 3) ; qu’il y a donc lieu de les joindre ;
Sur la régularité du jugement
Attendu que le ministère public appelant a saisi la Cour d’un moyen mettant en cause la régularité de la procédure suivie devant la chambre régionale des comptes, en ce qui concerne les présomptions de charge n° 1 et n° 3 ; qu’il estime que cette procédure a comporté une double atteinte au principe du contradictoire, en raison d’une motivation insuffisante et d’un défaut de discussion des arguments développés par le ministère public ; qu’il rappelle les dispositions du code des juridictions financières en la matière et la jurisprudence en vigueur, en vertu desquelles la motivation des décisions de justice constitue un principe essentiel de la procédure ;
Attendu qu’en l’espèce, pour chacune des présomptions de charges en cause, l’appelant soutient que la chambre se serait bornée à rappeler une partie des arguments présentés par chacun des comptables en réponse au réquisitoire et à affirmer ensuite, sans autre analyse ou discussion, « qu’en l’absence de préjudice financier, les manquements commis par
MM. X et Y sont constitutifs d’une irrégularité passible du paiement de la somme non rémissible » ; que, selon l’appelant, la référence aux arguments des comptables ne pouvait, à elle seule, motiver le constat par le juge des comptes d’une absence de préjudice financier résultant des manquements des comptables ; qu’en conséquence, la motivation de la décision en fait serait insuffisante ;
Attendu qu’au surplus, selon l’appelant, la chambre ne répondrait pas explicitement aux conclusions du ministère public sur l’existence d’un préjudice financier et méconnaîtrait, de ce fait, le caractère contradictoire de la procédure ; que notamment, pour le ministère public, l’argumentation des comptables qui porte sur l’absence d’ordonnancement de ce type de dépenses ainsi que leur éventuelle légitimité n’aurait aucune incidence sur la matérialité du préjudice financier ; que le ministère public considère en effet, pour les deux présomptions de charges en cause, qu’en l’absence du constat du service fait par l’ordonnateur ou par une autorité régulièrement habilitée, rien n’attesterait juridiquement de la réalité de la dette de l’organisme public et du droit à un paiement qui en découlerait ;
Attendu qu’en conclusion, le ministère public demande à la Cour d’annuler le jugement en ce qu’il ne motive pas convenablement, en fait, les décisions rendues au titre des présomptions de charge n° 1 et n° 3, ainsi que de renvoyer l’affaire au juge du premier degré ou d’user de son droit d’évocation pour statuer au fond ;
Attendu que l’article R. 242-10 du code des juridictions financières, en vigueur au moment du jugement entrepris, dispose que « la formation de jugement statue par un jugement qui vise les comptes jugés, les pièces examinées ainsi que les dispositions législatives et réglementaires dont il fait application » ; que cet article prévoit également que « le jugement, motivé, statue sur les propositions du rapporteur, les conclusions du ministère public et les observations des autres parties » ; qu’ainsi, un jugement qui omet de discuter, fût-ce succinctement, une observation présentée par l’une des parties, est entaché d'irrégularité ;
Attendu que dans le jugement entrepris et pour chacune des deux présomptions de charge précitées, la chambre régionale des comptes de Nord-Pas-de-Calais, Picardie se borne effectivement à reproduire les arguments avancés par les comptables pour justifier l’absence de préjudice financier avant, sans analyse et discussion de ces arguments, de déclarer qu’il y a lieu de mettre à la charge des comptables une somme non rémissible « en l’absence de préjudice financier » ; qu’en tout état de cause, la simple référence aux arguments des comptables est, en l’espèce, insuffisante pour caractériser l’absence ou l’existence d’un préjudice financier pour le syndicat mixte ; que la motivation du jugement est donc insuffisante sur ce point ;
Attendu qu’au surplus, comme l’avance l’appelant, le jugement ne fait pas état des conclusions du ministère public relatives à l’existence d’un préjudice financier ; que si l’obligation de motivation n’exigeait pas la reprise littérale de chacun des développements présentés par le ministère public, le jugement aurait néanmoins dû présenter au moins succinctement et discuter l’ensemble des arguments contenus dans ses conclusions ; qu’en s’abstenant de le faire, la chambre a méconnu le caractère contradictoire de la procédure ;
Attendu qu’en conséquence, le jugement n° 2015-0024 du 9 juillet 2015 doit être annulé en ce qui concerne les présomptions de charge n° 1 et n° 3 ;
Attendu que l’affaire est en état d’être jugée ; qu’il y a donc lieu de l’évoquer et de statuer sur le réquisitoire susvisé du procureur financier n° 2015-0006 du 16 janvier 2015 ;
Sur le fond
Sur la présomption de charge n° 1
Attendu que, par le réquisitoire susvisé, le procureur financier a saisi la chambre régionale des comptes de Nord-Pas-de-Calais, Picardie de la responsabilité encourue par MM. X et Y pour avoir respectivement pris en charge des dépenses d’un montant total de 2 442 157,64 € et de 462 076,92 €, au vu de bordereaux récapitulatifs signés par des vice‑présidents et une directrice générale adjointe du syndicat mixte non habilités à signer ce type de document comptable ; que dès lors, selon le ministère public, le défaut d’habilitation des signataires desdits bordereaux aurait dû conduire les comptables à suspendre les paiements et à en informer l’ordonnateur, conformément aux dispositions de l’article 37 du décret n° 62-1587 du 29 décembre 1962, portant règlement général sur la comptabilité publique, en vigueur au moment des faits ;
Sur l’existence d’un manquement
Attendu qu’aux termes de l’article 60-I de la loi n° 63-156 du 23 février 1963 modifiée, les comptables publics sont personnellement et pécuniairement responsables des contrôles qu’ils sont tenus d’assurer lorsqu’ils effectuent le paiement des dépenses dans les conditions prévues, au moment des faits, par le décret précité portant règlement général sur la comptabilité publique ;
Attendu que, dans son article 12, ledit décret dispose qu’il incombe aux comptables d’exercer le contrôle de la validité de la créance ; que l’article 13 du même décret précise qu’en ce qui concerne cette validité, le contrôle porte sur la justification du service fait, l’exactitude des calculs de liquidation, l’intervention préalable des contrôles réglementaires et la production des justifications ;
Attendu qu’aux termes des dispositions de l’article D. 1617-23, alinéa 2, du code général des collectivités territoriales tel qu’alors en vigueur, « la signature manuscrite, ou électronique, conformément aux modalités fixées par arrêté du ministre en charge du budget, du bordereau récapitulant les mandats de dépense emporte certification du service fait des dépenses concernées et attestation du caractère exécutoire des pièces justifiant les dépenses concernées » ;
Attendu que l’annexe I de l’article D. 1617-19 du même code, dans sa rubrique intitulée « Pièces communes », prévoit que, pour vérifier la qualité de l’ordonnateur, le comptable doit disposer, au titre des pièces justificatives de la dépense, de la décision désignant l’ordonnateur ou de la décision de délégation ;
Attendu que, comme le procureur financier le rappelait dans ses conclusions présentées devant la chambre, sans revenir ensuite sur ce point dans sa requête en appel, la régularité des délégations est subordonnée à la limitation précise de leur champ d’application ;
Attendu que les arrêtés produits portant délégation de signature aux vice-présidents ainsi qu’à la directrice générale adjointe du syndicat mixte départemental de traitement des déchets ménagers de l’Aisne « Valor’Aisne » ne mentionnent pas explicitement de délégation permettant de signer les bordereaux récapitulatifs ; que les mandats de paiement joints à l’appui desdits bordereaux ne comportent aucune signature ;
Attendu qu’au cours de la procédure devant la chambre, M. X a reconnu « un oubli de la spécialisation de la compétence déléguée à chacun des vice-présidents » ;
Attendu que, dans sa requête en appel, ce comptable conteste l’existence d’un manquement de sa part, en ce qui concerne les bordereaux n° 228 et 230 (mandats n° 1685 à 1690, à l’exclusion du mandat n° 1684) de l’exercice 2009, pour un montant total de 691 297,28 € ;
Attendu qu’à l’appui de sa requête, il avance que les délégations accordées aux vice‑présidents concernés, à défaut de détailler une à une chacune des compétences ou signatures déléguées, seraient suffisamment précises dans leur portée et leurs limites pour pouvoir être jugées régulières ; qu’il indique également que le président du syndicat mixte aurait souhaité accorder en 2008 une délégation de pouvoir et de signature à chacun des vice‑présidents de l’établissement ; que ce faisant, le président aurait entendu « impliquer au maximum chacun de ses vice-présidents dans la vie et la gestion de la commission dont il était officiellement chargé », les arrêtés de délégation ayant toujours été rédigés en ce sens « avec une délégation de pouvoir et de signature assez large et complète, mais par contre volontairement limitée à leur propre secteur d’intervention dans le syndicat » ; que, par conséquent, le comptable estime que « les termes généraux utilisés dans chacune de ces délégations […] laissaient fort logiquement penser que chaque délégataire pouvait ainsi signer tous les documents et pièces de tout ordre relevant de sa commission, […] sans exclusion particulière d’ordre administratif ou même comptable » ;
Attendu qu’en revanche, M. X ne conteste pas le manquement retenu à son encontre par la chambre régionale des comptes, en ce qui concerne le mandat n° 1684 de l’exercice 2009 (3 049,80 €) et les bordereaux n° 228, 243, 282 et 283 de l’exercice 2011 (1 747 810,56 €) ;
Attendu que M. Y a également fait valoir devant la chambre, que la rédaction « pour le moins très générale » de la délégation de la directrice générale adjointe « pouvait laisser penser qu’elle avait reçu délégation » ; qu’il ajoutait que certains bordereaux n’auraient été pris en charge par la paierie que postérieurement au 1er janvier 2012, date à laquelle cette directrice aurait bénéficié d’une nouvelle délégation, signée le 20 décembre 2011 et entrée en vigueur le 1er janvier 2012 qui lui aurait donné délégation expresse pour signer les pièces de liquidation comptable ;
Attendu que, dans sa requête en appel, ce comptable conteste l’existence d’un manquement de sa part, en ce qui concerne les bordereaux n° 366, 376, 377 et 393 de l’exercice 2011, ainsi que le bordereau n° 249 de l’exercice 2012, pour un montant total de 458 908,60 € ;
Attendu que dans sa requête et dans les mémoires produits les 8 et 13 décembre 2017, pour les bordereaux de l’exercice 2011, M. Y estime que sa responsabilité devrait s’apprécier, non pas à la date à laquelle ils ont été signés, mais à celle où ils ont été payés ; qu’en effet, les paiements ou émargements ne seraient intervenus qu’au cours de l’exercice 2012, soit au cours d’une période où la directrice générale adjointe était en possession d’une délégation pour signer les pièces comptables ; que ceci aurait été notamment démontré par la production des copies d’écran issus de l’application comptable Hélios et par la date à laquelle le tampon « payé » a été apposé sur les bordereaux concernés ; que dès lors, selon ce comptable, il ne pourrait lui être reproché un quelconque manquement puisqu’il aurait été en possession, au moment du paiement, de bordereaux signés par une personne dûment habilitée et accompagnés des pièces justificatives requises par la réglementation ;
Attendu que, s’agissant du bordereau de l’exercice 2012, ce même comptable rappelle qu’il ne comportait qu’un seul mandat dont l’objet était le paiement de frais de déplacement ; qu’il considère qu’il ne pourrait être exclu a priori que cette dépense liée à des frais de déplacement puisse se rattacher au champ de compétence de la commission en cause, présidée par le vice-président signataire dudit bordereau ; qu’il y aurait donc lieu, dans ces conditions, de lui accorder le « bénéfice du doute » ;
Attendu qu’en revanche, M. Y ne conteste pas le manquement retenu à son encontre par la chambre régionale des comptes, en ce qui concerne les bordereaux n° 362, 363 et 364 de l’exercice 2011 (pour un montant total de 3 168,32 €) ;
Attendu que, dans le cas des bordereaux litigieux signés par certains vice-présidents du syndicat mixte, il ressort de leur examen que les arrêtés portant délégation de signature aux intéressés sont tous rédigés de la même manière ; qu’un premier article de ces arrêtés dispose que le vice-président concerné est « chargé de suivre les affaires relevant de la compétence de la commission » qu’il préside ; qu’un second article de ces mêmes arrêtés précise que le vice-président « reçoit délégation de signature pour tous les documents consécutifs à un examen, un avis, une décision, du bureau ou du comité syndical dans les domaines de la commission dont il a la charge » ;
Attendu qu’il résulte de cette rédaction que les signataires des bordereaux étaient expressément habilités à signer les pièces administratives relevant du champ de compétence de la commission qu’ils présidaient ; qu’en revanche, ils ne pouvaient pas être considérés comme ayant été explicitement habilités à signer les pièces financières et comptables ; qu’en outre, les arrêtés ne pouvaient avoir eu pour effet de confier aux vice-présidents une délégation illimitée dans le périmètre d’intervention de leur commission, sous peine d’irrégularité ;
Attendu que, dans le cas des bordereaux litigieux signés par la directrice générale adjointe du syndicat mixte, il ressort de l’examen de l’arrêté portant délégation de signature à l’intéressée, en vigueur au moment des faits, que ladite directrice générale adjointe n’était pas habilitée, à la date de signature des bordereaux litigieux, à signer les pièces financières et comptables ; que la pièce justificative produite à l’appui de la dépense n’était donc pas régulière, nonobstant le fait que la prise en charge de ladite dépense soit intervenue postérieurement, à une date à laquelle une délégation de signature, dûment établie, était devenue effective, c’est-à-dire après le 1er janvier 2012 ; qu’en effet, la compétence de l’ordonnateur doit être établie, et donc contrôlée par le comptable, à la date à laquelle est censée, au vu des pièces produites, avoir été prise la décision en cause ; qu’en ce qui concerne les opérations de la journée complémentaire de l’exercice 2011, c’est au 31 décembre 2011 qu’il convenait d’apprécier si la directrice générale adjointe bénéficiait d’une délégation appropriée ;
Attendu qu’ainsi, M. X ne disposait pas, à l’appui des dépenses en cause, des pièces conformes aux dispositions de l’annexe I à l’article D. 1617-19, alinéa 2, du code général des collectivités territoriales ; qu’en application des dispositions de l’article 37 du décret n° 62-1587 du 29 décembre 1962 susvisé, il aurait donc dû suspendre le paiement des bordereaux n° 228 et 230 de l’exercice 2009 et des bordereaux n° 228, 243, 282 et 283 de l’exercice 2011, et en informer l’ordonnateur ; que M. X a ainsi manqué à ses obligations de contrôle en matière de dépenses ; que la responsabilité de M. X est dès lors engagée au titre du paiement de dépenses d’un montant de 2 442 157,64 € ;
Attendu que M. Y ne disposait pas, à l’appui des dépenses en cause, des pièces conformes aux dispositions de l’annexe I à l’article D. 1617-19, alinéa 2, du code général des collectivités territoriales ; qu’en application des dispositions de l’article 37 du décret n° 62-1587 du 29 décembre 1962 susvisé, il aurait donc dû suspendre le paiement des bordereaux n° 362, 363, 364, 366, 376, 377 et 393 de l’exercice 2011 et n° 249 de l’exercice 2012, et en informer l’ordonnateur ; que M. Y a ainsi manqué à ses obligations de contrôle en matière de dépenses ; que la responsabilité de M. Y est dès lors engagée au titre de dépenses d’un montant de 462 076,92 € ;
Attendu que ni M. X ni M. Y ne font état de circonstances constitutives de la force majeure ;
Sur le préjudice financier
Attendu que selon l’article 60 susvisé de la loi du 23 février 1963 modifiée, « la responsabilité personnelle et pécuniaire prévue au I est mise en jeu par le ministre dont relève le comptable, le ministre chargé du budget ou le juge des comptes dans les conditions qui suivent » ; que «lorsque le manquement du comptable […] n’a pas causé de préjudice financier à l’organisme public concerné, le juge des comptes peut l’obliger à s’acquitter d’une somme arrêtée, pour chaque exercice, en tenant compte des circonstances de l’espèce » ; et que « lorsque le manquement du comptable […] a causé un préjudice financier à l’organisme public concerné […] le comptable a l’obligation de verser immédiatement de ses deniers personnels la somme correspondante » ;
Attendu que le ministère public appelant soutient que les arguments développés par les comptables devant la chambre régionale des comptes et relatifs à l’absence d’ordonnancement des dépenses litigieuses ainsi que à leur éventuelle « légitimité », n’auraient aucune incidence en l’espèce sur la matérialité du préjudice financier ; que le défaut d’habilitation des signataires des pièces comptables relevé pour fonder l’existence d’un manquement rejaillirait ipso facto sur la validité du contrôle du service fait, qui n’aurait pas été attesté suivant les formes requises ; que par conséquent, le ministère public considère qu’en l’absence du constat du service fait effectué par l’ordonnateur ou par une autorité régulièrement habilitée à cet effet, rien n’attesterait valablement de la réalité de la dette de l’organisme public et du droit à un paiement qui en découlerait ; que dès lors, les versements considérés constitueraient des dépenses indues et que les manquements des comptables auraient bien causé un préjudice financier au syndicat mixte ;
Attendu que devant la chambre, M. X avait fait valoir que les bordereaux en cause étaient constitués de mandats de dépenses payables sans ordonnancement préalable ou relatives à des marchés ou à des salaires ; qu’il ajoutait que les paiements auxquels ces bordereaux avaient donné lieu avaient permis de désintéresser leurs véritables créanciers pour le montant exact de leurs créances, ce que l’instruction n’aurait pas remis en cause ;
Attendu que devant la chambre, M. Y avait fait valoir que les bordereaux en cause concernaient des mandats appuyés de toutes les pièces justificatives réglementaires et que les paiements intervenus avaient été libératoires, ce que l’instruction n’avait pas remis en cause ;
Attendu que, dans leurs requêtes en appel, MM. X et Y contestent tous deux l’existence d’un préjudice financier subi par le syndicat mixte, pour chacun des bordereaux litigieux ; qu’ils avancent que les paiements en cause concernent : divers mandatements relatifs à des dépenses payables sans mandatement préalable à caractère obligatoire, des dépenses de salaires à caractère récurrent dont le service fait ne serait pas contestable, des frais de déplacement pour lesquels seraient jointes les pièces justificatives requises et attestant du bien-fondé de la dépense, des dépenses de marchés qui résulteraient de l’exécution de contrats préalablement et dûment signés par l’ordonnateur lui-même, ainsi que des dépenses récurrentes (notamment de location de matériels, de photocopieur ou encore d’abonnement internet et télécommunications), dont le service fait ne serait pas contesté, et pour le paiement desquelles le comptable aurait disposé des pièces justificatives conformes à la réglementation ;
Attendu que, dans le cas particulier du bordereau de mandats n° 393, M. Y considère, dans sa requête comme dans ses mémoires des 8 et 13 décembre 2017, que l’argument tiré de l’absence d’attestation du service fait devait être écarté puisqu’il s’agirait d’un bordereau de rattachement de charges qui, à ce titre, n’aurait pas donné lieu à décaissement, mais à une opération de contre-passation sur l’exercice 2012 ;
Attendu que, dans ses conclusions susvisées, le procureur général considère qu’à l’exception des mandats du bordereau n° 228 de l’exercice 2011, des mandats n° 2405, 2406 et 2407 du bordereau n° 362 de l’exercice 2011, des mandats n° 2526, 2527 et 2528 du bordereau n° 377 de l’exercice 2011 et du mandat du bordereau n° 249 de l’exercice 2012, « les dépenses étaient indues, en l’absence d’éléments qui puissent attester à la fois la réalité du service fait et la volonté d’un ordonnateur habilité d’ordonnancer la dépense. » ;
Attendu qu’en premier lieu, les opérations de deux des bordereaux concernés ne peuvent, par nature, avoir causé de préjudice financier au syndicat mixte ; qu’en effet, le bordereau n° 228 de l’exercice 2011 vise la régularisation d’un décaissement par prélèvement préalable d’annuités d’emprunts et, donc, une dépense obligatoire, elle-même accompagnée des pièces justificatives requises ; que le bordereau n° 393 de l’exercice 2011 concerne un rattachement de charges qui a donné lieu à une opération de contre-passation sur l’exercice 2012 et qui n’a, par conséquent, pas donné lieu à décaissement ;
Attendu qu’en second lieu, pour les autres bordereaux litigieux, le paiement d’une dépense en l'absence d’un ordre de payer signé par un ordonnateur habilité constitue en première analyse une dépense indue ; que néanmoins, pour déterminer si la dépense est bien indue, il convient de rechercher, outre la réalité du service fait, si une volonté expresse et préalable de l’ordonnateur d’ordonnancer la dépense s’est exprimée ;
Attendu qu’au vu des pièces qui figurent au dossier, la réalité du service fait et l’existence d’une volonté expresse et préalable de l’ordonnateur d’ordonnancer la dépense peuvent être considérées comme établies en ce qui concerne le paiement de rémunérations à des agents du syndicat mixte (bordereau n° 243 de l’exercice 2011 d’un montant de 57 741,25 € payé par M. X), celui des frais de déplacement pour lesquels l’état de frais a été signé par M. Z, directeur général des services, régulièrement habilité par une délégation de signature (mandats n° 2405, 2406 et 2407 du bordereau n° 362 de l’exercice 2011 d’un montant total de 218,07 € payé par M. Y) ou par Mme A, directrice générale adjointe, après qu’elle a reçu la délégation de signature appropriée (bordereau n° 249 de l’exercice 2012 d’un montant de 940,95 € payé par M. Y) et enfin celui des achats et paiements de prestations pour lesquels le bon pour accord figurant sur la facture a été signé par M. Z (mandats n° 2526, 2527 et 2528 du bordereau n° 377 de l’exercice 2011 d’un montant total de 2 563,87 € payé par M. Y) ;
Attendu, pour ce qui concerne les paiements précités, que les manquements commis par MM. X et Y n’ont pas entraîné de préjudice financier pour le syndicat mixte ; que néanmoins, le juge des comptes peut, en tenant compte des circonstances de l’espèce, sanctionner ces manquements en mettant à leur charge la somme non rémissible mentionnée au VI de l’article 60 de la loi du 23 février 1963 précitée ; que le décret n° 2012-1386 du 10 décembre 2012 susvisé a fixé le montant maximal de cette somme, pour chaque exercice, à un millième et demi du montant du cautionnement du poste comptable ; que le montant de ce cautionnement s’élevait en l’espèce à 176 000 € pour les exercices 2011 et 2012 ;
Attendu qu’en ce qui concerne M. X, le nombre et le montant des paiements sur lesquels portent les manquements commis justifient que la somme non rémissible mise à sa charge soit fixée à 264 € pour l’exercice 2011 ;
Attendu qu’en ce qui concerne M. Y, le caractère répétitif des manquements commis justifie que la somme non rémissible mise à sa charge soit fixée à 264 € pour l’exercice 2011 ; que, pour l’exercice 2012, l’existence d’un unique manquement portant sur une dépense inférieure à 1 000 € justifie que la somme non rémissible mise à la charge de M. Y soit fixée à 35 € ;
Attendu que, dans son mémoire du 13 décembre 2017, M. Y rappelle que, dans une lettre adressée le 25 février 2015 au rapporteur de la chambre régionale des comptes, le président du syndicat mixte a indiqué : « Je n’ai pas de remarques sur les constats factuels que vous avez établis, notamment sur les délégations de signatures, mais je tiens à souligner que Valor’Aisne n’a subi aucun préjudice pendant toutes ces années. » ; que cependant, il ressort des termes de l’article 60 de la loi susvisée du 23 février 1963 que c’est au juge des comptes qu’il appartient de déterminer si le manquement commis par un comptable a entraîné un préjudice financier pour l’organisme public et qu’il ne saurait donc être tenu par une attestation établie a posteriori par l’ordonnateur, même lorsqu’elle est formulée en termes plus précis que ce n’est le cas dans la présente espèce ;
Attendu qu’au vu des pièces qui figurent au dossier, la réalité du service fait et la volonté expresse et préalable de l’ordonnateur d’ordonnancer la dépense ne peuvent être considérées comme établies en ce qui concerne le paiement de marchés publics (bordereaux n° 228 et n° 230 de l’exercice 2009 d’un montant total de 614 337,08 € et bordereaux n° 282 et n° 283 de l’exercice 2011 d’un montant total de 1 052 813,71 € payés par M. X) car, nonobstant la signature des marchés, avenants et acceptations de sous-traitance par l’ordonnateur du syndicat mixte, les bordereaux valant certification du service fait ont été signés par une personne non habilitée et aucun document ne fait ressortir la volonté de l’ordonnateur d’ordonnancer la dépense, une fois le marché exécuté ; qu’il en est de même des frais de déplacement pour lesquels l’état de frais a été signé par une personne incompétente ce qui ne permet d’attester ni la réalité du service fait, ni la volonté de l’ordonnateur d’ordonnancer la dépense, une fois la mission accomplie (mandats n° 2408 et n° 2409 du bordereau n° 362 de l’exercice 2011 d’un montant total de 44,50 € et bordereau n° 366 de l’exercice 2011 d’un montant total de 132,79 € payés par M. Y) et des achats et paiements de prestations pour lesquels les pièces produites ne sont revêtues de la signature d’aucune autorité habilitée (bordereau n° 363 de l’exercice 2011 d’un montant total de 2 657,15 €, bordereau n° 364 de l’exercice 2011 d’un montant total de 248,60 €, bordereau n° 376 de l’exercice 2011 d’un montant total de 1 698,37 € et mandats n° 2522, 2523, 2524, 2525, 2529, 2530 et 2531 du bordereau n° 377 de l’exercice 2011 pour un montant total de 2 837,42 € payés par M. Y) ;
Attendu que, pour les paiements précités, les manquements commis par MM. X et Y ont entraîné un préjudice financier pour le syndicat mixte ; qu’en conséquence, il y a lieu de constituer débiteurs envers ledit syndicat, M. X, des sommes de 614 337,08 € au titre de l’exercice 2009 et de 1 052 813,71 € au titre de l’exercice 2011 et M. Y, de la somme de 7 618,83 €, sommes augmentées des intérêts de droit calculés à compter de la date de la notification aux deux comptables du réquisitoire susvisé du procureur financier du 16 janvier 2015, soit du 21 janvier 2015 ;
Sur le respect des règles de contrôle sélectif de la dépense
Attendu qu’en vertu du IX de l’article 60 de la loi susvisée du 23 février 1963, lorsque le juge des comptes prononce un débet, il vérifie si le paiement pour lequel est constaté un manquement du comptable entre dans le champ d’un dispositif de contrôle sélectif des dépenses ;
Attendu qu’en l’espèce, les comptables ont indiqué qu’au cours des exercices 2008 à 2012, il n’existait aucun plan de contrôle sélectif de la dépense défini pour le syndicat mixte « Valor’Aisne » ;
Sur la présomption de charge n° 3
Attendu que, par le réquisitoire susvisé, le procureur financier a saisi la chambre régionale des comptes de Nord-Pas-de-Calais, Picardie de la responsabilité encourue par MM. X et Y, respectivement pour un montant de 120 934,43 € et de 57 209,61 €, pour avoir payé des mandats au vu de bordereaux récapitulatifs non signés ; que dès lors, selon le ministère public, le défaut de signature de l’ordonnateur ou d’une personne régulièrement habilitée de ces bordereaux de mandats aurait dû conduire les comptables à suspendre les paiements et en informer l’ordonnateur, conformément aux dispositions de l’article 37 du décret n° 62-1587 du 29 décembre 1962 portant règlement général sur la comptabilité publique, en vigueur au moment des faits ;
Sur l’existence d’un manquement
Attendu qu’aux termes de l’article 60-I de la loi n° 63-156 du 23 février 1963 modifiée, les comptables publics sont personnellement et pécuniairement responsables des contrôles qu’ils sont tenus d’assurer lorsqu’ils payent des dépenses dans les conditions prévues par le règlement général sur la comptabilité publique défini par le décret n° 62-1587 du 29 décembre 1962 ;
Attendu que, dans son article 12, ledit décret dispose qu’il incombe aux comptables d’exercer le contrôle de la validité de la créance ; que l’article 13 du même décret précise qu’en ce qui concerne cette validité, le contrôle porte sur la justification du service fait, l’exactitude des calculs de liquidation, l’intervention préalable des contrôles réglementaires et la production des justifications ;
Attendu qu’aux termes des dispositions de l’article D. 1617-23, alinéa 2, du code général des collectivités territoriales alors en vigueur, « la signature manuscrite, ou électronique, conformément aux modalités fixées par arrêté du ministre en charge du budget, du bordereau récapitulant les mandats de dépense emporte certification du service fait des dépenses concernées et attestation du caractère exécutoire des pièces justifiant les dépenses concernées » ;
Attendu qu’au cours de la procédure devant la chambre, M. X avait indiqué qu’il « [pouvait] en effet parfois arriver que certaines pièces ne soient pas signées lors de leur transmission à la Paierie, nécessitant alors une intervention des services pour régularisation auprès de l’ordonnateur […]. Le traitement matériel de ces documents lors de leur retour et de la prise en charge des mandatements ou peut être aussi, plus tard, lors de la confection du compte de gestion sur pièces, [étaient] très probablement à l’origine de cette anomalie de présentation » ; que le comptable avait produit les bordereaux n° 208 de l’exercice 2008 et n° 11 et 52 de l’exercice 2010, lesquels portaient la signature du directeur général des services en fonction à l’époque des faits qui avait reçu délégation de signature pour « la liquidation des pièces comptables » ;
Attendu que, dans sa requête en appel, M. X conteste avoir manqué à ses obligations de contrôle en matière de dépense, s’agissant de l’ensemble des bordereaux litigieux, à savoir le bordereau n° 208 de l’exercice 2008, ainsi que les bordereaux n° 11 et 52 de l’exercice 2010 ;
Attendu qu’à l’appui de sa requête, ce comptable constate que si la production, au début de l’instruction, d’exemplaires signés de ces bordereaux avait bien été prise en compte par la chambre, elle avait cependant été jugée postérieure au paiement des mandats concernés et de fait insuffisante pour dégager sa responsabilité ; que toutefois, selon le comptable, à aucun moment de l’instruction il n’aurait été établi que les bordereaux avaient été signés postérieurement au paiement ; qu’à cet égard, il affirme que les bordereaux en question ont été signés par le directeur général des services en fonction à l’époque qui bénéficiait d’une délégation de signature pour y procéder ; qu’il rappelle, comme devant la chambre, « le type d’erreur matérielle qui pouvait conduire à la production en fin d’année d’un bordereau de mandatement non signé en lieu et place d’un bordereau signé » ; que, si la production d’exemplaires signés n’était intervenue effectivement qu’à l’occasion de l’examen par la chambre, il ne serait pas pour autant établi que ces exemplaires signés n’étaient pas joints aux mandatements en cause au moment de leur paiement ;
Attendu que devant la chambre, M. Y avait produit le bordereau n° 30 de l’exercice 2012, signé par une personne habilitée ; qu’il indiquait que « l’exemplaire non signé avait été joint par erreur au compte de gestion » ; qu’il reconnaissait que le bordereau n° 266 de 2012 comportait une absence de signature mais déclarait que « l’exemplaire en possession du syndicat Valor’Aisne est quant à lui signé » ;
Attendu que, dans sa requête en appel, M. Y conteste avoir manqué à ses obligations de contrôle en matière de dépense, s’agissant du bordereau n° 30 de l’exercice 2012 (13 060,61 €) ;
Attendu qu’à l’appui de sa requête, ce comptable avance que le bordereau en cause ferait apparaître que celui-ci avait bien été signé par la directrice générale adjointe du syndicat mixte ; qu’il précise que la paierie serait destinataire de deux exemplaires de chaque bordereau et qu’il pourrait arriver que « dans certaines circonstances, par suite d’un oubli, un seulement des bordereaux est signé » ; que, selon ce comptable, ce serait donc l’exemplaire non signé qui, à la suite d’une erreur, aurait été joint au compte de gestion, au lieu de l’exemplaire signé ; que le bordereau produit au cours de l’instruction ferait d’ailleurs apparaître cette signature et le fait qu’il avait été réceptionné et payé en février 2012 ;
Attendu que, s’agissant du bordereau n° 266 de l’exercice 2012 (44 149 €), M. Y reconnaît que les deux exemplaires en sa possession « n’étaient effectivement pas signés lorsque le paiement est intervenu » et qu’il y avait donc eu manquement de sa part ;
Attendu que, dans ses conclusions susvisées, le procureur général invite la Cour à ne pas retenir de manquement à l’encontre de M. X, pour le paiement relatif au bordereau n° 160 de l’exercice 2011 et à considérer, pour l’ensemble des autres paiements litigieux que MM. X et Y ont commis un manquement à leurs obligations de contrôle de la qualité de l’ordonnateur en payant des dépenses au vu de bordereaux de mandats qui ne comportaient pas la signature de l’ordonnateur compétent, mais que ces manquements n’ont pas causé de préjudice financier au syndicat mixte dans la mesure où les comptables ont pu, postérieurement aux paiements, produire un exemplaire de chacun des bordereaux litigieux revêtu de la signature de l’ordonnateur compétent ;
Attendu qu’en premier lieu, pour le bordereau n° 160 de l’exercice 2011 (d’un montant de 1 500 €) également inclus dans le périmètre du réquisitoire, il y a lieu de constater qu’il s’agissait d’une opération d’ordre n’ayant donné lieu à aucun décaissement ; que dès lors, la responsabilité de M. X ne saurait être engagée sur ce point ;
Attendu qu’en second lieu, pour les autres bordereaux en cause, l’existence d’un manquement relatif à une dépense doit être appréciée au moment de son paiement ; que par conséquent, un paiement qui était irrégulier à la date à laquelle il a été effectué le demeurera irrémédiablement, nonobstant la présentation ultérieure au juge de justifications ou de régularisations ;
Attendu que selon M. X, une « erreur matérielle » aurait conduit à la production de bordereaux non signés ; que les bordereaux en cause n° 208 de 2008 et n° 11 et 52 de 2010, fournis en cours d’instruction, portent effectivement la signature de l’ordonnateur compétent, ainsi que des mentions attestant qu’ils étaient en possession du comptable au moment du paiement ; qu’en effet, le bordereau n° 208 émis le 26 août 2008 a été enregistré à la paierie le 29 août 2008 ; que le bordereau n° 11 émis le 21 janvier 2010 a été enregistré à la paierie le 22 janvier 2010 et payé le 2 février 2010 ; que le bordereau n° 52 émis le 30 mars 2010 a été transmis à la paierie le 1er avril 2010 ; que par conséquent, le comptable disposait bien des pièces justificatives exigées au moment du paiement, conformément à la réglementation ; que dès lors, il n’y a pas lieu d’engager la responsabilité de M. X à raison du paiement des bordereaux en cause ;
Attendu que M. Y avance les mêmes arguments que M. X en les appliquant au bordereau n° 30 de l’exercice 2012 ; que le bordereau produit par le comptable est signé par l’ordonnateur compétent et daté du 7 février 2012, enregistré le 13 février 2012 à la paierie et mis en paiement le 16 février 2012 ; que par conséquent, le comptable disposait bien des pièces justificatives exigées au moment du paiement, conformément à la réglementation ; que dès lors, il n’y a pas lieu d’engager la responsabilité de M. Y à raison du paiement du bordereau en cause ;
Attendu, en revanche, que l’absence de visa de l’ordonnateur sur le bordereau n° 266 de l’exercice 2012 n’est pas contestée par M. Y qui a pris en charge ledit bordereau ; qu’en l’absence de ce visa, le comptable était tenu de suspendre les paiements correspondants, en application des dispositions de l’article 37 du décret n° 62-1587 du 29 décembre 1962 portant règlement général sur la comptabilité publique ; qu’en procédant à ces paiements, M. Y a manqué à son obligation de contrôle en matière de dépenses ; que la responsabilité de M. Y se trouve donc engagée au titre de ces paiements d’un montant total de 44 149 € ;
Attendu que M. Y ne fait pas état de circonstances constitutives de la force majeure ;
Sur le préjudice financier
Attendu que selon l’article 60 susvisé de la loi du 23 février 1963 modifiée, « la responsabilité personnelle et pécuniaire prévue au I est mise en jeu par le ministre dont relève le comptable, le ministre chargé du budget ou le juge des comptes dans les conditions qui suivent» que « lorsque le manquement du comptable […] n’a pas causé de préjudice financier à l’organisme public concerné, le juge des comptes peut l’obliger à s’acquitter d’une somme arrêtée, pour chaque exercice, en tenant compte des circonstances de l’espèce » ; et que « lorsque le manquement du comptable […] a causé un préjudice financier à l’organisme public concerné […] le comptable a l’obligation de verser immédiatement de ses deniers personnels la somme correspondante » ;
Attendu que le ministère public appelant considère que les arguments développés par le comptable devant la chambre régionale des comptes et relatifs à l’absence d’ordonnancement des dépenses litigieuses ainsi qu’à leur éventuelle « légitimité » n’auraient aucune incidence sur la matérialité du préjudice financier ; qu’en l’absence de visa par l’ordonnateur compétent, le contrôle du service fait ne serait pas attesté suivant les formes requises ; que par conséquent, le ministère public considère qu’en l’absence du constat du service fait par l’ordonnateur ou par une autorité régulièrement habilitée, rien n’attesterait valablement de la réalité de la dette et du droit à un paiement qui en découlerait ; que dès lors, les versements considérés constitueraient des dépenses indues et que le manquement du comptable aurait bien causé un préjudice financier au syndicat mixte ;
Attendu que devant la chambre, M. Y avait fait valoir que le bordereau en cause correspondait au paiement de dépenses relatives à des cotisations sociales ; que les paiements auxquels ces bordereaux avaient donné lieu auraient permis de désintéresser leurs véritables créanciers pour le montant exact de leurs créances et que les bordereaux en cause concernaient des mandats appuyés de toutes les pièces justificatives réglementaires, ce que l’instruction n’aurait pas remis en cause ;
Attendu que dans sa requête, M. Y fait valoir que l’exemplaire en possession du syndicat mixte était quant à lui dûment signé ; que, pour cette raison, il n’y aurait selon lui pas de préjudice, la signature du bordereau attestant de la certification du service fait ; que le comptable avance, à titre de circonstances atténuantes, que ce bordereau aurait été réceptionné en période estivale, soit à une période où la paierie était en sous-effectif ; que ce bordereau était relatif au versement des cotisations qui constituent des dépenses obligatoires et devaient être impérativement versées à bonne date pour éviter des pénalités ;
Attendu que d’une part, l’exemplaire en possession du syndicat mixte, dûment signé, a été produit par le comptable au cours de l’instruction de première instance ce qui, sans effacer le manquement, démontre la certification du service fait ; que d’autre part, le bordereau non signé transmis était appuyé des pièces justificatives réglementaires, tandis que ni le service fait, ni la volonté expresse et préalable de l’ordonnateur compétent ne sont contestés ; que le bordereau en cause regroupe par ailleurs deux mandats de paiement de cotisations salariales, qui constituent des dépenses à caractère obligatoire ;
Attendu que le manquement du comptable n’a dès lors causé aucun préjudice financier au syndicat mixte ;
Attendu qu’en l’absence de préjudice financier, le manquement commis par M. Y est constitutif d’une irrégularité qui justifie que soit mise à sa charge passible la somme non rémissible mentionnée au VI de l’article 60 de la loi du 23 février 1963 précitée, en vertu duquel le juge des comptes peut obliger le comptable, en cas d’irrégularité, à s’acquitter d’une somme arrêtée, pour chaque exercice, dont le montant maximal est fixé par décret, en tenant compte des circonstances de l’espèce ; que le décret n° 2012-1386 du 10 décembre 2012 susvisé a fixé ce montant maximal à un millième et demi du montant du cautionnement du poste comptable ; que le montant de ce cautionnement s’élevait en l’espèce à 176 000 € pour l’exercice 2012 ;
Attendu que la prise en charge de l’unique bordereau concerné « en période estivale où la paierie est en sous-effectif » justifie que la somme non rémissible mise à la charge de M. Y soit fixée à 88 € pour l’exercice 2012 ;
Par ces motifs,
DECIDE :
Article 1er – Les requêtes de M. X et de M. Y sont requalifiées en appels principaux.
Article 2 – Il y a lieu de joindre les requêtes du procureur financier près la chambre régionale des comptes de Nord-Pas-de-Calais, Picardie, de M. X et de M. Y.
Article 3 – Le jugement n° 2015-0024 du 9 juillet 2015 de la chambre régionale des comptes de Nord-Pas-de-Calais, Picardie est annulé en ce qui concerne les présomptions de charge n° 1 et n° 3.
Article 4 – Au titre de la présomption de charge n° 1, M. X est constitué débiteur envers le syndicat mixte des sommes de 614 337,08 € au titre de l’exercice 2009 et de 1 052 813,71 € au titre de l’exercice 2011, augmentées des intérêts de droit à compter du 21 janvier 2015.
Article 5 – Au titre de la présomption de charge n° 1, M. X devra également s’acquitter d’une somme non rémissible d’un montant de 264 € pour l’exercice 2011, en application du deuxième alinéa du VI de l’article 60 de la loi n° 63-156 du 23 février 1963.
Article 6 – Au titre de la présomption de charge n° 1, M. Y est constitué débiteur envers le syndicat mixte de la somme de 7 618,83 € au titre de l’exercice 2011, augmentée des intérêts de droit à compter du 21 janvier 2015.
Article 7 – Au titre de la présomption de charge n° 1, M. Y devra également s’acquitter de deux sommes non rémissibles, l’une d’un montant de 264 € pour l’exercice 2011 et l’autre, d’un montant de 35 € pour l’exercice 2012, soit d’une somme totale de 299 €, en application du deuxième alinéa du VI de l’article 60 de la loi n° 63-156 du 23 février 1963.
Article 8 – Les paiements pour lesquels MM. X et Y sont déclarés débiteurs n’entraient pas dans le champ d’un dispositif de contrôle sélectif de la dépense.
Article 9 – Au titre de la présomption de charge n° 3, il n’y a pas lieu d’engager la responsabilité de M. X en ce qui concerne les bordereaux n° 208 de l’exercice 2008, n° 11 et n° 52 de l’exercice 2010 et le bordereau n° 160 de l’exercice 2011 et la responsabilité de M. Y, en ce qui concerne le bordereau n° 30 de l’exercice 2012.
Article 10 – Au titre de la présomption de charge n° 3 et en ce qui concerne le bordereau n° 266 de l’exercice 2012, M. Y devra s’acquitter d’une somme non rémissible d’un montant de 88 €, en application du deuxième alinéa du VI de l’article 60 de la loi n° 63-156 du 23 février 1963.
Article 11 – La décharge de M. X, pour sa gestion du 1er janvier 2009 au 31 décembre 2009 et du 1er janvier 2011 au 30 novembre 2011, et de M. Y, pour sa gestion du 1er décembre 2011 au 31 décembre 2012, ne pourra être donnée qu’après apurement des sommes fixées ci-dessus.
Fait et jugé en la Cour des comptes, quatrième chambre, première section. Présents : M. Yves ROLLAND, président de section, président de la formation ; MM. Jean‑Yves BERTUCCI, Olivier ORTIZ, conseillers maîtres, et Mme Isabelle LATOURNARIE-WILLEMS, conseillère maître.
En présence de M. Aurélien LEFEBVRE, greffier de séance.
Aurélien LEFEBVRE |
Yves ROLLAND |
En conséquence, la République française mande et ordonne à tous huissiers de justice, sur ce requis, de mettre ledit arrêt à exécution, aux procureurs généraux et aux procureurs de
la République près les tribunaux de grande instance d’y tenir la main, à tous commandants et officiers de la force publique de prêter main-forte lorsqu’ils en seront légalement requis.
Conformément aux dispositions de l’article R. 142-20 du code des juridictions financières, les arrêts prononcés par la Cour des comptes peuvent faire l’objet d’un pourvoi en cassation présenté, sous peine d’irrecevabilité, par le ministère d’un avocat au Conseil d’État dans le délai de deux mois à compter de la notification de l’acte. La révision d’un arrêt ou d’une ordonnance peut être demandée après expiration des délais de pourvoi en cassation, et ce dans les conditions prévues au I de l’article R. 142-19 du même code.
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