S2018-1634 | 1 / 5 |
République Française, Au nom du peuple français,
La Cour, |
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Vu la requête enregistrée le 18 octobre 2016 au greffe de la chambre régionale des comptes (CRC) d’Auvergne, Rhône-Alpes, par laquelle le procureur financier près ladite chambre, a élevé appel du jugement n° 2016-0004 du 29 juillet 2016 qui a prononcé à un non-lieu à charge au profit de M. X, comptable du centre hospitalier de Pont-de-Beauvoisin, au titre de l’exercice 2012 ;
Vu les pièces de la procédure suivie en première instance et notamment le réquisitoire n° 41/GP/2015 du procureur financier du 29 juillet 2015 ;
Vu le code général des collectivités territoriales, notamment son article l’article D. 1617-19 ;
Vu le code des juridictions financières ;
Vu l’article 60 de la loi de finances n° 63-156 du 23 février 1963 modifiée ;
Vu le décret n° 62-1587 du 29 décembre 1962 portant règlement général sur la comptabilité publique, en vigueur au moment des faits ;
Vu le décret n° 2012-1386 du 10 décembre 2012 portant application du deuxième alinéa du VI de l’article 60 de la loi de finances de 1963 modifié, dans sa rédaction issue de l’article 90 de la loi n° 2011-1978 du 28 décembre 2011 de finances rectificative pour 2011 ;
Vu le rapport n° 2018-0510 de M. Olivier BREUILLY, conseiller référendaire, chargé de l’instruction ;
Vu les conclusions n° 337 du Procureur général du 28 mai 2018 ;
Entendu, lors de l’audience publique du 31 mai 2018, M. Olivier BREUILLY, en son rapport, M. Benoît GUERIN, avocat général, en les conclusions du ministère public, les parties, informées de l’audience, n’étant ni présentes, ni représentées ;
Après avoir entendu en délibéré Mme Dominique DUJOLS, conseillère maître, réviseure, en ses observations ;
Attendu que le jugement entrepris a prononcé, au titre de la charge n° 3, un non-lieu à charge au profit de M. X, comptable du centre hospitalier Yves Touraine à Pont-de-Beauvoisin, sur conclusions contraires du procureur financier, au motif qu’en l’absence, au dossier joint au réquisitoire, des bordereaux de mandats signés, il ne pouvait être attesté de l’ordonnancement, de la certification du service fait et même du paiement ; que ceci résultait de diverses mesures simplificatrices permettant à l’ordonnateur de ne plus signer les mandats, et permettant au comptable de ne plus mentionner sur chaque mandat les mentions relatives à la mise en paiement ; qu’en conséquence la responsabilité personnelle et pécuniaire pour une dépense irrégulièrement payée prévue par l’article 60 de la loi du 23 février 1963 ne pouvait être recherchée sur le fondement de primes irrégulièrement payées, pour lesquelles aucune pièce probante versée au dossier ne permettait en définitive d'établir qu'il y avait eu ordre de payer, puis prise en charge comptable et finalement mise en paiement irrégulière ;
Attendu que l’appelant sollicite de la Cour l'infirmation dudit jugement et que M. X soit constitué débiteur du centre hospitalier de la somme de 678 € ou, à titre subsidiaire, d'annuler et de renvoyer le jugement au fond à la chambre ;
Attendu que le premier moyen de l’appelant repose sur le fait que son réquisitoire introductif avait élevé une charge fondée sur une insuffisance de pièces justificatives à l’appui de mandats de paiements alors que le juge financier a prononcé un non-lieu à charge sur la base de l'absence des bordereaux de mandats signés de l’ordonnateur au dossier et donc de pièces nécessaires pour s'assurer de l'ordonnancement des dépenses, du service fait, du caractère exécutoire des pièces justificatives, de la prise en charge en comptabilité et des paiements ; que le procureur financier soutient que l'absence de pièces justificatives d'une part et l'absence de contrôle de la qualité de l'ordonnateur ou de la certification du service fait constituent des griefs différents aux termes des articles 12 et 13 du décret du 29 décembre 1962 et que, «quand bien même il aurait relevé une irrégularité à cet égard, le juge n'aurait pu retenir une charge à un motif non mentionné au réquisitoire » ; que le moyen tiré de l'absence de caractère exécutoire des dépenses n’étant pas d'ordre public il ne pouvait pas être soulevé d’office ; que le juge aurait ainsi excédé les limités du réquisitoire ;
Attendu que, selon un autre moyen du requérant, si le juge avait estimé que la vérification des conditions préalables au paiement et de la réalité du paiement lui-même constituait à ses yeux une étape indispensable pour apprécier la présomption de charge il pouvait, par un jugement avant-dire droit décider d'une réouverture de l'instruction ; que l’argument selon lequel seul le ministère public devait verser au dossier une pièce à charge telle que les bordereaux sus-évoqués doit être écarté, le rapporteur pouvant obtenir ces pièces en application de l’article R.242-4 du code des juridictions financières ;
Attendu que, par un troisième moyen, le requérant indique que les faits ne sont contestés ni par le comptable ni par l'ordonnateur, ni par le rapporteur, s’agissant tant des paiements que de l’absence de pièces justificatives à l’appui des mandats de paiements ; qu’ainsi le requérant maintient que le comptable avait commis un manquement ayant causé un préjudice au centre hospitalier ;
Attendu que, selon l'avant-dernier alinéa du IV de l'article R.212-18 du code des juridictions financières (CJF) en vigueur au moment des faits : "S'il n'a pas conclu à la décharge du comptable, il (le procureur financier) saisit la formation de jugement pour la mise en jeu de la responsabilité personnelle et pécuniaire du comptable par des réquisitions écrites et motivées en droit" ; que, selon l'article R.242-8 du CJF en vigueur au moment des faits : "la formation [...] examine les propositions du rapporteur sur chacun des griefs formulés par le réquisitoire du ministère public" ;
Attendu que, selon l’article 12 du décret n° 62-1587 du 29 décembre 1962 portant règlement général sur la comptabilité publique, dans sa rédaction au moment des faits : "Les comptables sont tenus d'exercer (...) B. - En matière de dépenses, le contrôle : de la qualité de l'ordonnateur ou de son délégué ; de la disponibilité des crédits ; de l'exacte imputation des dépenses aux chapitres qu'elles concernent selon leur nature ou leur objet ; de la validité de la créance dans les conditions prévues à l'article 13 ci-après ; du caractère libératoire du règlement (...)" ; que l'article 13 du même décret dispose que : "En ce qui concerne la validité de la créance, le contrôle porte sur : La justification du service fait et l'exactitude des calculs de liquidation ; L'intervention préalable des contrôles réglementaires et la production des justifications (...)" ;
Attendu qu’il résulte de ces dispositions réglementaires que le juge des comptes est tenu de répondre aux griefs figurant au réquisitoire introductif ; que cette obligation s’impose au rapporteur mais également à la formation de jugement, sauf motif d’ordre public ; qu’au cas d’espèce, la charge soulevée à l’encontre de M. X par le procureur financier portait sur l’absence de pièces justificatives suffisantes à l’appui de paiements, grief auquel le jugement ne répond pas ; qu’en soulevant un moyen qui ne pouvait être soulevé d’office, le juge a commis une erreur de droit ;
Attendu en conséquence qu’il convient d'infirmer le jugement incriminé ; que par l’effet dévolutif de l’appel, il y a lieu de statuer au fond ;
Sur l'existence d’un manquement
Attendu que la charge unique soulevée à l’encontre de M. X par le réquisitoire susvisé, portait sur le fait que des paiements de primes avaient été effectués au profit de quatre agents contractuels au cours de l’exercice 2012 en l’absence d’une décision individuelle pour satisfaire à la rubrique 220223.2 de l’annexe I à l’article D. 1617-19 du code général des collectivités territoriales portant nomenclature des pièces justificatives des dépenses des collectivités locales qui dispose que pour payer des primes et indemnités autres que celles mentionnées au point 1 de la même rubrique, le comptable doit disposer de la décision individuelle d’attribution prise par le directeur et, pour les agents contractuels, de la mention au contrat ; que les contrats de travail, tous rédigés en termes identiques, posent que l’agent percevra, outre un salaire fixé en référence à la grille indiciaire des fonctionnaires, « le cas échéant, le supplément familial de traitement et les indemnités et primes afférentes au dit emploi », mention trop vague pour satisfaire à la condition énoncée ;
Attendu qu’il n’est pas contesté par le comptable, ni par l’ordonnateur que les paiements aient été mandatés et exécutés en l’absence de justificatifs suffisants ;
Attendu qu’il ressort de ce qui précède qu’en ne suspendant pas le paiement des primes pour obtenir une décision individuelle en faveur des intéressés, le comptable a manqué à ses obligations de contrôle ; que sa responsabilité personnelle et pécuniaire doit donc être mise en jeu ;
Sur l’existence d’un préjudice financier
Attendu que, faute d'une décision individuelle et d’une mention au contrat complète et précise, la volonté de l'ordonnateur, seul compétent pour désigner les catégories d’agents contractuels pouvant bénéficier des primes, ne saurait être présumée ; qu’elle ne peut se déduire d’un certificat administratif établi à l’occasion de l’instruction de la charge ; que dès lors, les primes versées n’étaient pas dues et leur paiement a, du seul fait de leur caractère indu, entraîné un préjudice financier pour le centre hospitalier ;
Attendu que, selon le troisième alinéa du paragraphe VI de l’article 60 de la loi du 23 février 1963, « lorsque le manquement du comptable [...] a causé un préjudice financier à l'organisme public concerné, [...] le comptable a l'obligation de verser immédiatement de ses deniers personnels la somme correspondante » ;
Attendu qu’en conséquence, M. X doit être constitué débiteur de la somme de 678 € du centre hospitalier de Pont-de-Beauvoisin au titre de l’exercice 2012 ;
Attendu qu’aux termes du VIII de l’article 60 de la loi du 23 février 1963 précitée, « les débets portent intérêt au taux légal à compter du premier acte de la mise en jeu de la responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables publics » ; qu’en l’espèce, cette date est le 20 octobre 2015, date de la réception du réquisitoire par M. X ;
Sur le contrôle sélectif de la dépense
Attendu que M. X a indiqué qu’il n’existait pas de plan de contrôle sélectif de la dépense pour l’exercice 2012 ;
Par ces motifs,
DECIDE :
Article 1er – Le jugement n° 2016-0004 du 29 juillet 2016 de la chambre régionale des comptes d’Auvergne, Rhône-Alpes est infirmé en ce qu'il a prononcé un non-lieu à charge au profit de M. X, comptable du centre hospitalier de Pont-de-Beauvoisin ;
Article 2 – M. X est constitué débiteur du centre hospitalier Pont-de-Beauvoisin au titre de l'exercice 2012 pour la somme de 678 €, augmentée des intérêts de droit à compter du 20 octobre 2015.
Les paiements n’entraient pas dans une catégorie de dépenses faisant l’objet de règles de contrôle sélectif.
Fait et jugé en la Cour des comptes, quatrième chambre, première section. Présents : M. Yves ROLLAND, président de section, président de séance, MM. Jean-Yves BERTUCCI et Denis BERTHOMIER, conseillers maîtres et Mmes Dominique DUJOLS et Isabelle LATOURNARIE-WILLEMS, conseillères maître.
En présence de M. Aurélien LEFEBVRE, greffier de séance.
Aurélien LEFEBVRE
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Yves ROLLAND
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En conséquence, la République française mande et ordonne à tous huissiers de justice, sur ce requis, de mettre ledit arrêt à exécution, aux procureurs généraux et aux procureurs de la République près les tribunaux de grande instance d’y tenir la main, à tous commandants et officiers de la force publique de prêter main-forte lorsqu’ils en seront légalement requis.
Conformément aux dispositions de l’article R. 142-20 du code des juridictions financières, les arrêts prononcés par la Cour des comptes peuvent faire l’objet d’un pourvoi en cassation présenté, sous peine d’irrecevabilité, par le ministère d’un avocat au Conseil d’État dans le délai de deux mois à compter de la notification de l’acte. La révision d’un arrêt ou d’une ordonnance peut être demandée après expiration des délais de pourvoi en cassation, et ce dans les conditions prévues au I de l’article R. 142-19 du même code.
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