S2018-1372 | 1 / 6 |
DEUXIEME CHAMBRE ------- Cinquième section ------- Arrêt n° S2018-1372
Audience publique du 16 mars 2018
Prononcé du 17 mai 2018
| AGENCE DE L’ENVIRONNEMENT ET DE LA MAITRISE ET DE L’ENERGIE (ADEME)
Exercices 2011 à 2014
Rapports n° R-2018-0037-1 et R-2018-0037-2
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République Française,
Au nom du peuple français,
La Cour,
Vu le réquisitoire en date du 5 octobre 2017, par lequel le Procureur général près la Cour des comptes a saisi la septième chambre de la Cour des comptes (devenue deuxième chambre au 1er janvier 2018) de charges soulevées à l’encontre de M. X et de Mme Y, agents comptables de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME), au titre des exercices 2011 à 2014, notifié le 24 octobre 2017 aux agents comptables concernés ;
Vu les comptes rendus en qualité de comptables de l’ADEME, par M. X, du
1er janvier 2011 au 30 juin 2013, et Mme Y, à compter du 1er juillet 2013 ;
Vu les justifications produites au soutien des comptes en jugement ;
Vu le code des juridictions financières ;
Vu l’article 60 modifié de la loi de finances n° 63-156 du 23 février 1963 ;
Vu le code de l’environnement ;
Vu les lois et règlements applicables à l’organisme, notamment l’arrêté ministériel du 31 mai 2010 fixant les modalités spéciales d’exercice du contrôle économique et financier de l’Etat sur l’ADEME ;
Vu le décret n° 62-1587 du 29 décembre 1962 portant règlement général sur la comptabilité publique et le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique ;
Vu le décret n° 2012-1386 du 10 décembre 2012 portant application du deuxième alinéa du VI de l’article 60 de la loi de finances de 1963 modifié dans sa rédaction issue de l’article 90 de la loi n° 2011-1978 du 28 décembre 2011 de finances rectificative pour 2011 ;
Vu les rapports n° R-2018-0037-1 et R-2018-0037-2 à fin d’arrêt de Mme Catherine PAILOT-BONNETAT, conseillère maître, magistrat chargé de l’instruction ;
Vu les conclusions n° 128 du Procureur général du 1er mars 2018 ;
Vu les pièces du dossier ;
Entendu lors de l’audience publique du 16 mars 2018, Mme Catherine PAILOT-BONNETAT, conseillère maître, en son rapport, M. Serge BARICHARD, avocat général, en les conclusions du ministère public, Mme Y, comptable, présente ayant eu la parole en dernier ; M. X, comptable et l’ordonnateur informés de l’audience n’étant ni présents, ni représentés ;
Entendu en délibéré M. Pierre ROCCA, conseiller maître, réviseur, en ses observations ;
Sur la charge n° 1, soulevée à l’encontre de M. X ou de Mme Y, au titre des exercices 2011 à 2014 :
Attendu que, par le réquisitoire susvisé, le Procureur général a saisi la Cour des comptes de la responsabilité encourue par M. X ou Mme Y à raison de l’insuffisance des diligences de recouvrement d’une créance de 2 000 € sur une société, ayant donné lieu à l’établissement de la facture n° V089110 le 24 novembre 2008 et admise en non-valeur en 2011 ;
Sur le droit applicable
Attendu qu’en application de l’article 60 de la loi n° 63-156 du 23 février 1963, « les comptables sont personnellement et pécuniairement responsables du recouvrement des recettes (…) » ; que la responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables publics « se trouve engagée dès lors (…) qu’une recette n’a pas été recouvrée » ;
Attendu qu’aux termes des articles 11 et 12 A du décret n° 62-1587 du 29 décembre 1962 portant règlement général sur la comptabilité publique, les comptables publics sont seuls chargés « de la prise en charge et du recouvrement des ordres de recettes qui leur sont remis par les ordonnateurs, des créances constatées par un contrat, un titre de propriété ou autre titre dont ils assurent la conservation ainsi que de l’encaissement des droits au comptant et des recettes de toute nature que les organismes publics sont habilités à recevoir », et qu’ils sont tenus d’exercer le contrôle « dans la limite des éléments dont ils disposent, de la mise en recouvrement des créances de l’organisme public et de la régularité des réductions et des annulations des ordres de recettes » ;
Attendu qu’aux termes des articles 17, 18 et 19 du décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012, les comptables publics sont seuls chargés « de la prise en charge des ordres de recouvrer qui [leur] sont remis par les ordonnateurs ; du recouvrement des ordres de recouvrer et des créances constatées par un contrat, un titre de propriété ou tout autre titre exécutoire ; de l’encaissement des ordres au comptant et des recettes liées à l’exécution des ordres de recouvrer » ; qu’ils sont tenus d’exercer le contrôle « de la régularité de l’autorisation de percevoir la recette ; (…) de la mise en recouvrement des créances et de la régularité des réductions et des annulations des ordres de recouvrer » ;
Sur les faits
Attendu que des diligences ont été effectuées, mais que l’état exécutoire du 3 mai 2010 adressé à la société débitrice en recommandé avec accusé de réception, nécessaire au recouvrement forcé de la créance, est revenu non distribué le 25 mai suivant ;
Sur les éléments apportés à décharge par le comptable et par l’ordonnateur
Attendu que l’agent comptable en fonctions en 2014 fait valoir que l’état exécutoire a été produit à l’agent comptable presque deux ans après que la société a été radiée du registre national du commerce et des sociétés, le 4 juillet 2008 ; que le comptable n’avait donc aucun moyen de recouvrer la créance ;
Attendu que le président de l’ADEME, ordonnateur, confirme cette réponse ;
Sur l’application au cas d’espèce/ou sur l’existence d’un manquement
Attendu qu’il ressort de l’instruction qu’il était impossible de recouvrer la créance de l’ADEME sur une société radiée le 4 juillet 2008 avant même que la prestation ne soit exécutée en octobre 2008 et facturée le 24 novembre 2008 ;
Attendu qu’il n’y a donc pas lieu de mettre en jeu la responsabilité des agents comptables à raison de la charge n° 1 à l’encontre de M. X ou de Mme Y au titre de leur gestion des comptes de 2011 à 2014 ;
Sur la charge n° 2, soulevée à l’encontre de Mme Y, au titre de l’exercice 2014 :
Attendu que, par le réquisitoire susvisé, le Procureur général a saisi la Cour des comptes de la responsabilité encourue par Mme Y à raison du paiement de deux dépenses, par mandats n° 1139 bordereau 214 du 24 janvier 2014 pour 466,34 € et n° 11547 bordereau 3023 du 4 août 2014 pour 3 715,68 €, en l’absence de toute justification du service fait ; que les paiements ainsi effectués seraient présomptifs d’irrégularités susceptibles de fonder la mise en jeu de la responsabilité personnelle et pécuniaire de Mme Y à hauteur de 4 182,02 € pour défaut de contrôle de la qualité de l’ordonnateur et de la validité de la dette, lequel porte notamment sur la justification du service fait et la production des pièces justificatives ;
Sur le droit applicable
Attendu qu’en application de l’article 60 de la loi n° 63-156 du 23 février 1963, « les comptables sont personnellement et pécuniairement responsables du paiement des dépenses (…) » ; que la responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables publics « se trouve engagée dès lors (…) qu’un déficit ou un manquant en monnaie ou en valeurs a été constaté » ;
Attendu qu’aux termes des articles 17, 18 et 19 du décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012, « les comptables sont personnellement et pécuniairement responsables des actes et contrôles qui leur incombent » ; que, dans le poste comptable qu’il dirige, le comptable public est seul chargé : 4° « de la prise en charge des ordres de recouvrer et de payer qui lui sont remis par les ordonnateurs » et 7° « du paiement des dépenses, soit sur ordre émanant des ordonnateurs, soit au vu des titres présentés par les créanciers, soit de leur propre initiative » ; qu’il est tenu d’exercer le contrôle de la qualité de l’ordonnateur, de l’exacte imputation des dépenses au regard des règles relatives à la spécialité des crédits, de la disponibilité des crédits, de la validité de la dette et du caractère libératoire du paiement ;
Attendu qu’aux termes de l’article 51 du même décret « l’établissement, la conservation et la transmission des documents et pièces justificatives de toute nature peuvent, dans des conditions arrêtées par le ministre chargé du budget, être effectués sous forme dématérialisée » ;
Sur les faits
Attendu que le premier mandat correspond à des frais de mission, réglés selon une procédure dématérialisée des pièces et actes de gestion alors que les conditions de cette dématérialisation, autorisée par l’article 51 du décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012, n’avaient pas encore été précisées, ce qui sera fait par arrêté du 7 octobre 2015 ;
Attendu que le second mandat correspond au paiement des prestations de réception du courrier, d’accueil et de gestion du standard téléphonique de l’ADEME pour le mois de juillet 2014, sur les deux sites de Paris et de Valbonne ; qu’au vu de l’ensemble des pièces produites, la dépense résulte de l’exécution du marché SAGCA61 conclu le 19 mars 2010 pour un montant annuel de 123 734,57 € TTC, marché valable un an et renouvelable trois fois, prolongé par l’avenant du 12 mars 2014 conclu pour trois mois, du 1er avril au 30 juin 2014 à raison de 30 933,57 € TTC, l’avenant du 7 mai 2014 conclu pour la période du 30 juin au 31 juillet pour 10 311,21 € TTC, enfin l’avenant du 18 juillet 2014 prolongeant le marché jusqu’au 1er janvier 2015 en contrepartie d’un prix de 53 280,24 € TTC ; que la facture de juillet 2014 qui comportait la mention du service fait attesté par l’ordonnateur a été déclassée dans les archives et n’a pu être retrouvée, si bien que la pièce produite au juge des comptes n’est qu’un duplicata conservé par l’ordonnateur qui ne comporte pas cette attestation ;
Sur les éléments apportés à décharge par le comptable et par l’ordonnateur
Attendu que Mme Y fait valoir, au sujet du premier mandat, qu’à l’ADEME les frais de mission sont, depuis la mise en place de la procédure dématérialisée des pièces et actes de gestion, suivis dans une application informatique gérée avec un profil de validation conforme aux délégations de signature accordées par le président du conseil d’administration qui vaut justification du service fait ; qu’elle fournit la note de frais issue de l’applicatif qui retrace cette validation et « donc la justification du service fait par le chef de service dûment habilité », et précise que l’ADEME n’a subi aucun préjudice financier de ce fait ;
Attendu que l’agent comptable fait valoir, au sujet du second mandat, que la dépense s’insère dans un marché dont l’exécution en continu a débuté le 1er avril 2010 pour une durée totale de quatre ans, prolongée par trois avenants jusqu’au 31 janvier 2015 ; que toutes les prestations ont été justifiées sur cette période par une facture mensuelle comportant l’attestation du service fait, et que les pièces de dépenses correspondant aux prestations des mois de juin et août 2014 montrent que le circuit de validation du service fait a été respecté avant et après juillet 2014 ; qu’elle estime, pour ce mandat également, que l’ADEME n’a subi aucun préjudice financier ;
Attendu que le président de l’ADEME, ordonnateur, confirme ces réponses ;
Sur l’existence d’un manquement
Attendu, au sujet du premier mandat, que l’article 8 de l’arrêté du 7 octobre 2015 relatif aux conditions d’établissement, de conservation et de transmission sous forme dématérialisée des documents et pièces justificatives des opérations des organismes publics pris en application de l’article 51 du décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012, autorise le fait que « l’ordonnateur certifie le service fait au moyen d’une transaction dédiée dans le système d’information ou au moyen de la transaction de l’ordre de payer dans le système d’information précité » ; que, dans ces conditions, « la dématérialisation de la certification du service fait et des pièces justificatives afférentes dispense l’ordonnateur de toute attestation manuscrite sur les pièces justificatives de dépenses prévues par la nomenclature des opérations de dépenses, mentionnée aux articles 50 et 198 du décret du 7 novembre 2012 susvisé » ;
Attendu que le fait générateur de la dépense à savoir un voyage en Irlande ayant eu lieu du 15 au 16 janvier 2014, était antérieur à l’arrêté ; que l’agent comptable ne pouvait donc s’appuyer que sur les textes applicables à cette date, notamment l’article 51 du décret du 7 novembre 2012 susmentionné et l’annexe 11 de l’instruction codificatrice
n° 02-072-M95 du 2 septembre 2002 qui liste les pièces justificatives à présenter en cas de mission temporaire (ordre de mission, état de frais et pièces selon le mode de transport utilisé) ;
Attendu qu’ont été produites à la Cour, non seulement ces pièces, mais également les mentions figurant sur la note de frais de mission de l’agent concerné, issue de l’application mise en place à l’ADEME, et encore les délégations de signature sur les budgets incitatifs et de moyens de l’ADEME ; qu’il ressort de l’examen de ces divers documents, concordants, que le chef de service de l’intéressée a bien validé sa mission dans l’applicatif avant le début du voyage, et que les frais ont été remboursés, ce qui vaut attestation du service fait dans le système mis en place par l’ADEME lequel n’a d’ailleurs pas été modifié lors de la publication de l’arrêté d’application du 7 octobre 2015 ;
Attendu que l’article 51 du décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique pose le principe de la dématérialisation des pièces justificatives ; que, dans ce cadre, l’ADEME a procédé à une dématérialisation dont les conditions techniques ont de fait permis à l’agent comptable d’effectuer l’ensemble des contrôles qui lui incombaient ; qu’elle a disposé de l’ensemble des pièces requises, au surplus complètes, précises et cohérentes au regard de la nature de la dépense pour pouvoir procéder au paiement ; que la responsabilité de Mme Y ne peut donc être engagée pour le paiement de ce mandat ;
Attendu que, au sujet du second mandat, les factures des mois de juin et août 2014 produites à la Cour et correspondant à l’exécution du marché SAGCA61, comportent bien la formule utilisée à l’ADEME pour la justification du service fait, à savoir : « L’ordonnateur soussigné atteste la réalité du service fait et prononce la liquidation du présent mémoire arrêté à la somme de… €. Date : » ;
Attendu que, lors de l’audience publique, Mme Y a remis un duplicata de la facture du mois de juillet 2014, signé par l’ordonnateur ; qu’en conséquence la justification du service fait ayant été apportée et l’exacte liquidation attestée, Mme Y n’a pas manqué à ses obligations de contrôle ;
Attendu qu’il n’y a donc pas lieu de mettre en jeu la responsabilité personnelle et pécuniaire de Mme Y à raison la charge n° 2 au titre l’exercice 2014 ;
Par ces motifs,
DÉCIDE :
En ce qui concerne M. X
Au titre des exercices 2011 à 2013, au 30 juin
Article 1er. – Il n’y a pas lieu de mettre en jeu la responsabilité M. X au titre de la charge n° 1.
En ce qui concerne Mme Y
Au titre des exercices 2013, à compter du 1er juillet, et 2014.
Article 2. – Il n’y a pas lieu de mettre en jeu la responsabilité de Mme Y au titre de la charge n° 1.
Au titre de l’exercice 2014
Article 3. – Il n’y a pas lieu de mettre en jeu la responsabilité de Mme Y au titre de la charge n° 2.
Article 4. – M. X et Mme Y sont déchargés de leurs gestions pour les périodes, respectivement, du 1er janvier 2011 au 30 juin 2013, et du 1er juillet 2013 au 31 décembre 2014.
Article 5. – M. X est quitte et libéré de sa gestion terminée à la date ci-avant indiquée.
Mainlevée peut être donnée et radiation peut être faite de toutes oppositions et inscriptions mises ou prises sur ses biens meubles ou immeubles ou sur ceux de ses ayants cause pour sûreté de ladite gestion et son cautionnement peut être restitué ou ses cautions dégagées.
Fait et jugé par Mme Annie PODEUR, présidente de section, présidente de la formation, Mme Sylvie VERGNET, M. Gilles MILLER, Mme Michèle COUDURIER et
M. Pierre ROCCA, conseillers maîtres.
En présence de M. Aurélien LEFEBVRE, greffier de séance.
Aurélien LEFEBVRE |
Annie PODEUR
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En conséquence, la République française mande et ordonne à tous huissiers de justice, sur ce requis, de mettre ledit arrêt à exécution, aux procureurs généraux et aux procureurs de la République près les tribunaux de grande instance d’y tenir la main, à tous commandants et officiers de la force publique de prêter main-forte lorsqu’ils en seront légalement requis.
Conformément aux dispositions de l’article R. 142-20 du code des juridictions financières, les arrêts prononcés par la Cour des comptes peuvent faire l’objet d’un pourvoi en cassation présenté, sous peine d’irrecevabilité, par le ministère d’un avocat au Conseil d’État dans le délai de deux mois à compter de la notification de l’acte. La révision d’un arrêt ou d’une ordonnance peut être demandée après expiration des délais de pourvoi en cassation, et ce dans les conditions prévues au I de l’article R. 142-19 du même code.
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