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S2018-1809
République Française, Au nom du peuple français,
La Cour,
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Vu la requête enregistrée le 22 décembre 2016 au greffe de la chambre régionale des comptes de Provence-Alpes-Côte d'Azur, par laquelle le procureur financier près ladite chambre, a élevé appel du jugement n° 2016-0046 du 19 octobre 2016 de cette chambre qui a engagé la responsabilité personnelle et pécuniaire de Mme X, comptable de la commune de Cogolin, pour avoir payé des prestations qui avaient été explicitement retirées par avenant de l’objet d’un marché ;
Vu les pièces de la procédure suivie en première instance et notamment le réquisitoire du procureur financier n° 2016-0012 du 26 janvier 2016 ;
Vu le code général des collectivités territoriales ;
Vu le code des juridictions financières ;
Vu l’article 60 modifié de la loi de finances n° 63-156 du 23 février 1963 ;
Vu le décret n° 62-1587 du 29 décembre 1962 portant règlement général sur la comptabilité publique, en vigueur au moment des faits et le décret n° 2012-1246 du
7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique ;
Vu le décret n° 2012-1386 du 10 décembre 2012 portant application du deuxième alinéa du VI de l'article 60 de la loi de finances de 1963 modifié, dans sa rédaction issue de l'article 90 de la loi n° 2011-1978 du 28 décembre 2011 de finances rectificative pour 2011 ;
Vu le rapport de Monsieur Patrick BONNAUD, conseiller référendaire, chargé de l’instruction ;
Vu les conclusions du Procureur général n° 373 du 6 juin 2018 ;
Entendu lors de l’audience publique du 14 juin 2018, M. BONNAUD, conseiller référendaire, en son rapport, M. Serge BARICHARD, avocat général, en les conclusions du ministère public, les autres parties informées de l’audience n’étant ni présentes, ni représentées ;
Entendu en délibéré M. Jean-Yves BERTUCCI, conseiller maître, réviseur, en ses observations ;
Attendu que, par le jugement entrepris, la chambre régionale des comptes de Provence-Alpes-Côte d'Azur a engagé la responsabilité personnelle et pécuniaire de Mme X pour avoir, au cours des années 2011 à 2013, manqué à ses obligations en payant des factures se référant à un marché alors que la prestation ainsi rémunérée avait été retirée de l’objet dudit marché par avenant ; qu’elle a en outre jugé, en tenant compte de la réalité du service fait et de la volonté de la commune, que le manquement du comptable n’avait pas causé de préjudice financier à cette dernière ; qu’en conséquence, elle a, conformément aux dispositions du deuxième alinéa du VI de l’article 60 de la loi du 23 février 1963 susvisée, prononcé à l’égard de Mme X, au titre de cette charge unique, une somme non rémissible de 264 € pour chacune des trois années considérées ;
Attendu que l’appelant conteste le raisonnement qui a été suivi par la chambre régionale des comptes lorsqu’elle a estimé que le manquement imputé à Mme X n’avait pas entraîné de préjudice financier pour la commune ; qu’il demande à la Cour d’infirmer sur ce point les dispositions du jugement attaqué ;
Attendu que l’appelant fait valoir que la chambre se serait contredite en indiquant seulement que le marché était « supposé ne plus être applicable » à la prestation en cause alors que le jugement reconnaît par ailleurs que cette prestation a bien été explicitement supprimée par avenant de l’objet du marché ; qu’il soutient qu’il n’est pas prouvé, contrairement à ce qu’affirme le jugement attaqué, que les prestations ont effectivement été réalisées ; qu’il souligne enfin qu’aucune pièce n’est venue matérialiser l’accord préalable, ni même ultérieur, des parties sur la commande de ces prestations et, a fortiori, sur leur règlement aux conditions financières prévues initialement par le marché ; qu’il demande donc à la Cour d’infirmer le jugement en ce qu’il considère que le manquement de la comptable n’a pas causé de préjudice financier à la commune et met à la charge de ladite comptable trois sommes non rémissibles de 264 €, et de constituer Mme X débitrice envers la commune des sommes de 2 781,17 € pour l’exercice 2011, 36 761,85 € pour l’exercice 2012 et 5 243,04 € pour l’exercice 2013, augmentées des intérêts de droit à compter du 5 février 2016 ;
Attendu qu’il n’est pas contesté que la comptable a procédé, au cours des exercices 2011 à 2013, au paiement au groupe P... des mandats récapitulés en annexe au présent arrêt ; que ces mandats sont appuyés de factures qui décrivent ainsi les prestations qui auraient été réalisées : « mise à disposition de 2 caissons de 35 m3 (encombrants & tout venant) » et « transport des 2 caissons des encombrants jusqu’au quai de transfert de la Môle » ; que ces prestations étaient initialement prévues par un marché conclu entre le groupe P… et la commune de Cogolin, ainsi que l’atteste la page 10 de l’acte d’engagement dudit marché signé par le maire, le 28 avril 2008 ; que ces prestations ont été explicitement retirées de l’objet du marché à compter du 1er septembre 2011, par un avenant du 3 août 2011 (article 6) ; que cet avenant était joint au mandat n° 2011-4122 du 13 décembre 2011 ;
Attendu que le comptable fait valoir que le groupe P…, également titulaire d’un marché semblable pour le syndicat intercommunal du Golfe de Saint-Tropez, avait proposé une réorganisation du transport des encombrants ; que cette réorganisation nécessitait l’adhésion de la commune au syndicat pour les seules prestations de mise à disposition et transport de caissons concernant les déchets encombrants et le tout-venant ; que la demande d’adhésion de la commune au syndicat n’a pas été suivie d’effet ; que, cependant, un avenant modifiant certains prix du marché ayant été préparé, la commune et le groupe P… y ont inclus la suppression de la prestation ; que, pour ne pas interrompre le service, il a verbalement été décidé de poursuivre l’exécution du marché et d’annuler l’avenant en ce qui concernait ces prestations, annulation qui ne s’est jamais effectivement concrétisée ; que la commune était tenue d’assurer le service ; que le service a été rémunéré sur le fondement des stipulations contractuelles antérieures ; que la commune n’a donc pas subi de perte financière ;
Attendu que le maire de Cogolin confirme cette explication et fait valoir que les prestations ont bien été servies ; que leur paiement n’est donc pas indu ;
Attendu que, pour déterminer si le paiement irrégulier d'une dépense par un comptable public a causé un préjudice financier à l'organisme public concerné, il appartient au juge des comptes d'apprécier si la dépense était effectivement due et, à ce titre, de vérifier notamment qu'elle n'était pas dépourvue de fondement juridique ; que le règlement de prestations réalisées alors qu’elles ne sont pas ou plus prévues par le marché public auxquelles elles sont censées se rattacher constitue, en principe, un paiement irrégulier causant un préjudice financier à l'organisme public concerné ; qu'il peut, toutefois, en aller différemment si les prestations ont été effectivement fournies à l'organisme public en cause par le titulaire du marché et si les parties ont manifestement entendu qu’elles le soient dans les conditions contractuelles prévues par ledit marché ; que la commune intention des parties peut à cet égard résulter, notamment, de la conclusion ultérieure d'un avenant de régularisation, d'un nouveau contrat ou d'une convention de transaction conclus avec le titulaire du marché ;
Attendu que, dans le cas présent, le fait pour le groupe P… d’avoir assuré les prestations en cause et d’en avoir demandé le paiement et le fait pour la commune d’avoir certifié le service fait et d’avoir réglé les factures présentées par le groupe P… permettraient de présumer de cette commune volonté ;
Attendu, cependant, que l’avenant n° 1 du 3 août 2011, au marché du 28 avril 2008, dont la validité à la date des paiements incriminés n’est pas discutée, a retiré de l’objet du marché les prestations de mise à disposition et de transport de deux caissons, à compter du 1er septembre 2011 ; qu’aucun élément de preuve de la commune intention des parties de reprendre les prestations en cause aux conditions du marché n’a été apporté, à travers la production d’un avenant, d’un nouveau contrat ou même d’un bon de commande ; que la seule manifestation incontestable d’une volonté commune demeure donc celle qui résulte de l’avenant du 3 août 2011 et établit sans conteste la décision de la commune et de son
co-contractant de ne pas poursuivre la relation contractuelle en ce qui concerne ces prestations ; que cette volonté clairement exprimée par les deux parties dans un avenant en bonne et due forme ne pouvait être valablement contredite par un simple accord verbal qui aurait à lui seul justifié le paiement des prestations malgré tout réalisées ; qu’il en résulte que le paiement desdites prestations était en l’espèce dépourvu de tout fondement juridique valable ;
Attendu qu’il y a lieu, en conséquence, d’infirmer le jugement entrepris de la chambre régionale des comptes de Provence-Alpes-Côte d'Azur en ce qu’il a jugé que le manquement imputable à Mme X n’avait pas entraîné de préjudice financier pour la commune, et mis à la charge de l’intéressée trois sommes irrémissibles de 264 € ; que, par l’effet dévolutif de l’appel, il convient de constituer Mme X débitrice envers la commune de Cogolin des sommes indûment payées, soit 2 781,17 € au titre de l’exercice 2011, 36 761,85 € au titre de sa gestion de l’exercice 2012 et 5 243,04 € au titre de l’exercice 2013 , toutes sommes augmentées des intérêts de droit calculés à compter du 5 février 2016, date de la réception par Mme X du réquisitoire susvisé du procureur financier ;
Attendu que les paiements en cause entraient dans une catégorie de dépenses qui devait, en application du plan de contrôle sélectif de la dépense établi pour le poste comptable, faire l’objet d’un contrôle exhaustif ;
Par ces motifs,
DECIDE :
Article 1er. – Le jugement n°2016-0046 du 19 octobre 2016 de la chambre régionale des comptes de Provence-Alpes-Côte d’Azur est infirmé en ce qu’il décide que le manquement imputable à Mme X n’a pas causé de préjudice financier à la commune et met à sa charge trois sommes non rémissibles de 264 €.
Article 2. – Mme X est constituée débitrice envers la commune de Cogolin des sommes de 2 781,17 € au titre de l’exercice 2011, 36 761,85 € au titre de l’exercice 2012 et 5 243,04 € au titre de l’exercice 2013, augmentées des intérêts de droit décomptées à partir du 5 février 2016.
Les paiements en cause devaient, en application du plan de contrôle sélectif de la dépense, faire l’objet d’un contrôle exhaustif.
Fait et jugé en la Cour des comptes, quatrième chambre, première section. Présents :
M. Yves ROLLAND, président de section, président de séance, MM. Jean-Yves BERTUCCI et Denis BERTHOMIER, conseillers maîtres et Mmes Dominique DUJOLS et
Isabelle LATOURNARIE-WILLEMS, conseillères maîtres.
En présence de Mme Stéphanie MARION, greffière de séance.
Stéphanie MARION
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Yves ROLLAND
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En conséquence, la République française mande et ordonne à tous huissiers de justice, sur ce requis, de mettre ledit arrêt à exécution, aux procureurs généraux et aux procureurs de la République près les tribunaux de grande instance d’y tenir la main, à tous commandants et officiers de la force publique de prêter main-forte lorsqu’ils en seront légalement requis.
Conformément aux dispositions de l’article R. 142-20 du code des juridictions financières, les arrêts prononcés par la Cour des comptes peuvent faire l’objet d’un pourvoi en cassation présenté, sous peine d’irrecevabilité, par le ministère d’un avocat au Conseil d’État dans le délai de deux mois à compter de la notification de l’acte. La révision d’un arrêt ou d’une ordonnance peut être demandée après expiration des délais de pourvoi en cassation, et ce dans les conditions prévues au I de l’article R. 142-19 du même code.
ANNEXE I – MANDATS DONT LE PAIEMENT EST EN CAUSE
Mandat n° | du | montant | facture |
2011-4126 | 13/12/2011 | 2 781,17 | oct-11 |
2012-562 | 16/02/2012 | 2 592,00 | nov-11 |
2012-563 | 16/02/2012 | 2 781,17 | déc-11 |
2012-1081 | 28/03/2012 | 2 628,85 | janv-12 |
2012-1766 | 23/05/2012 | 2 500,94 | févr-12 |
2012-1767 | 23/05/2012 | 3 460,25 | mars-12 |
2012-2158 | 29/06/2012 | 2 820,71 | avr-12 |
2012-2320 | 11/07/2012 | 3 275,18 | mai-12 |
2012-2553 | 30/07/2012 | 3 275,18 | juin-12 |
2012-3252 | 26/09/2012 | 3 536,65 | juil-12 |
2012-3410 | 11/10/2012 | 3 209,82 | août-12 |
2012-3957 | 22/11/2012 | 3 144,45 | sept-12 |
2012-4129 | 05/12/2012 | 3 536,65 | oct-12 |
2013-320 | 04/02/2013 | 2 752,25 | nov-12 |
2013-327 | 04/02/2012 | 2 490,79 | déc-12 |
total 2011 |
| 2 781,17 |
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total 2012 |
| 36 761,85 |
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total 2013 |
| 5 243,04 |
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