S2018-1699 1/6
CINQUIEME CHAMBRE ------- Quatrième section ------- Arrêt n° S2018-1699
Audience publique du 4 juin 2018
Prononcé du 29 juin 2018
| GROUPEMENT D’INTERET PUBLIC FORMATION CONTINUE ET INSERTION PROFESSIONNELLE (GIP FC-IP) DE L’ACADEMIE DE CRETEIL (VAL DE MARNE)
Exercices 2011 à 2016
Rapport n° R-2018-0638
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République Française,
Au nom du peuple français,
La Cour,
Vu le réquisitoire en date du 13 novembre 2017, notifié le 22 novembre 2017 aux comptables concernés, par lequel le Procureur général près la Cour des comptes a saisi la cinquième chambre de la Cour des comptes de présomptions de charges en vue de la mise en jeu de la responsabilité personnelle et pécuniaire de Mmes X et Y, comptables du groupement d’intérêt public formation continue et insertion professionnelle (GIP FC-IP) de l’académie de Créteil, au titre d’opérations relatives aux exercices 2011 à 2016 ;
Vu les comptes rendus en qualité de comptables du groupement d’intérêt public formation continue et insertion professionnelle de l’académie de Créteil, par Mme X du 11 juin 2004 au 5 janvier 2014 et par Mme Y, à compter du 6 janvier 2014 ;
Vu les justifications produites au soutien des comptes en jugement ;
Vu le code du commerce ;
Vu le code de l’éducation ;
Vu le code des juridictions financières ;
Vu l’article 60 de la loi de finances n° 63-156 du 23 février 1963 ;
Vu le décret n° 62-1587 du 29 décembre 1962 modifié portant règlement général sur la comptabilité publique et le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique ;
Vu le décret n° 2012-1386 du 10 décembre 2012 portant application du deuxième alinéa du VI de l’article 60 de la loi de finances de 1963 modifié dans sa rédaction issue de l’article 90 de la loi n° 2011-1978 du 28 décembre 2011 de finances rectificatives pour 2011 ;
Vu la convention modifiée constitutive du GIP-FCIP de l’académie de Créteil du 31 mai 2002 ;
Vu l’arrêté du Premier Président de la Cour des comptes du 8 décembre 2017, modifiant l’arrêté n° 17-363 du 20 juillet 2017 portant organisation de la Cour des comptes et de ses travaux ;
Vu les cautionnements de Mme X pour 24 500 € (extrait d’inscription sur les registres en date du 20 mai 2011) et Mme Y pour 235 000 € (extrait d’inscription sur les registres en date du 10 février 2015) ;
Vu les réponses produites par Me Olivier GRIMALDI, conseil de Mme X, les
17 janvier et 24 mai 2018, par Mme X le 26 février 2018, par Mme Y les 2 et 6 février 2018 ;
Vu le rapport n° R-2018-0638 à fin d’arrêt de Mme Marie Ange Mattei, conseillère maître, magistrate chargée de l’instruction ;
Vu les conclusions n° 0317 du procureur général du 18 mai 2018 ;
Vu les pièces du dossier ;
Entendu lors de l’audience publique du 4 juin 2018, Mme Marie Ange MATTEI en son rapport, M. Christophe LUPRICH, substitut général, en les conclusions du ministère public, Mme X, assistée de Me Thomas CALLEN (associé de Me GRIMALDI), et Mme Y, ces dernières ayant eu la parole en dernier ;
Entendu en délibéré M. Philippe HAYEZ, conseiller maître, réviseur, en ses observations ;
Sur la présomption de charge unique, soulevée à l’encontre de Mme X et
Mme Y, au titre des exercices 2011 à 2016 :
Attendu que, par le réquisitoire susvisé, le Procureur général a saisi la cinquième chambre de la Cour des comptes de la responsabilité encourue par Mme X et par Mme Y à raison de l’absence de diligences adéquates, complètes et rapides en vue du recouvrement, avant qu’elles ne soient définitivement prescrites, de créances émises entre 2007 et 2012 pour un montant total d’au moins 287 625,56 € ; que l’insuffisance de diligences fonderait la mise en jeu de la responsabilité personnelle et pécuniaire de ces comptables ; qu’en outre le défaut de justification des soldes débiteurs de l’agence principale et du service à comptabilité distincte (SACD) serait également présomptif d’irrégularités susceptibles d’engager leur responsabilité ;
Attendu qu’en application de l’article 60 modifié de la loi de la loi n° 63-156 du
23 février 1963, « les comptables publics sont personnellement et pécuniairement responsables du recouvrement des recettes » ; qu’à ce titre, ils sont tenus de procéder à des diligences adéquates, complètes et rapides pour le recouvrement des recettes qu’ils ont prises en charge ;
Sur les faits
Attendu que Mme X a pris en charge dans ses écritures les créances dont la liste est jointe en annexe au présent arrêt ; que ces créances se présentaient sous la forme de titres non nominatifs au sein desquels un grand nombre de débiteurs n’étaient pas identifiables ; que la prise en charge de ces ordres de recette groupés a entraîné un grand désordre dans la tenue des comptes de l’établissement ;
Attendu que Mme X a remis le 5 janvier 2014 les balances des comptes de l’exercice 2013 en joignant les états de développement des soldes des comptes, en particulier ceux de la classe 4, arrêtés à la date du 31 décembre 2012 ;
Attendu que Mme X n’a engagé aucune procédure de recouvrement contentieux sur les créances émises entre 2007 et 2012 qui sont devenues prescrites et dont la liste est jointe en annexe du présent arrêt ; qu’elle n’a effectué aucune diligence pour certaines d’entre elles et qu’elle s’est bornée à adresser aux débiteurs des lettres de relances amiables pour toutes les autres ;
Attendu que Mme Y a émis des réserves complètes, précises et motivées dans les délais légaux dès la remise de service ; que ces réserves concernent les comptes 41111 « clients du centre académique de formation continue – CAFOC », 41112 « clients du centre administratif de validation des acquis – CAVA », 41119 « clients CFA », 4120 « PRP », 441768 « Subventions FSE » et 46328 « autres comptes débiteurs », sur lesquels sont inscrits les créances en cause ;
Attendu que Mme Y a reconstitué les états de développement des soldes 2013 en retraitant la comptabilité de l’exercice 2013 ; qu’elle a effectué un travail de remise en ordre de la comptabilité notamment en procédant à l’inventaire des créances du GIP en remontant à l’exercice 2002 ; que ces actions ont permis le recouvrement de certaines créances émises entre 2007 et 2012 ;
Attendu par ailleurs que les soldes des comptes débiteurs de l’agence principale et du SACD sont justifiés ;
Sur les éléments présentés à décharge par Mme X
Attendu que Mme X et son conseil font valoir, dans leurs réponses et au cours de l’audience, que Mme X, qui était comptable de l’établissement en adjonction de service, ne disposait que de moyens matériels limités pour exercer son mandat ; qu’elle ne pouvait engager de procédure de recouvrement contentieux des créances au motif que des consignes lui auraient été données oralement par l’ordonnateur du GIP et par le recteur d’académie ; que les deniers et propriétés publics étant insaisissables, elle ne pouvait adresser aux personnes publiques créancières que des relances amiables ; qu’elle n’a pas estimé opportun de poursuivre la région Ile-de-France, le département du Val de Marne et diverses communes en raison de la situation du GIP, qui bénéficiait de subventions provenant de ces collectivités ; qu’enfin, n’ayant plus accès depuis son départ de fonction à sa messagerie professionnelle, elle n’a pu trouver trace de divers documents attestant de ses diligences amiables, de ses échanges avec l’ordonnateur et des éléments de contexte avancés ;
Sur les éléments présentés à décharge par Mme Y
Attendu que Mme Y indique avoir produit un état de développement des soldes de classe 4 en juin 2014, au moment du vote du compte financier 2014 ; qu’elle précise que si les ordres de recette non recouvrés étaient identifiés en juin 2014, les débiteurs ne l’étaient pas encore à cette date ; qu’elle a mis fin à la pratique des groupements de factures par l’ordonnateur en 2014 ; qu’elle a recouvré des créances émises entre 2007 et 2012 alors même qu’elles étaient prescrites ;
Sur le droit applicable
Attendu qu’en application de l’article 60 modifié de la loi n° 63-156 du 23 février 1963 la responsabilité personnelle et pécuniaire du comptable peut être sanctionnée dès lors qu’il est établi que celui-ci n’a pas accompli de diligences suffisantes pour le recouvrement des créances ; que ces diligences doivent être regardées comme insuffisantes lorsqu’il peut être établi qu’à défaut d’avoir été adéquates, complètes et rapides, les possibilités de recouvrement ont été, de ce fait, définitivement compromises ;
Sur les manquements et responsabilités
Attendu que dans son action en recouvrement des créances prescrites dont la liste est jointe en annexe du présent arrêt, Mme X s’est bornée à effectuer des démarches amiables et n’a jamais engagé aucune action contentieuse, tant à l’encontre des personnes privées que des personnes publiques débitrices ; que les démarches contentieuses font partie intégrante de l’action en recouvrement des créances ; que vis-à-vis de personnes publiques dont les biens sont insaisissables, il est possible de mettre en œuvre des voies d’exécution administratives et notamment celles de l’inscription et du mandatement d’office d’une dépense obligatoire ; que Mme X n’a pas fait la preuve de circonstances relevant de la force majeure ;
Attendu qu’il en résulte que les actions en recouvrement de Mme X ont été soit inexistantes, soit incomplètes pour les créances prescrites émises entre 2007 et 2012, dont la liste figure en annexe ;
Attendu que l’acceptation de la pratique des titres groupés non nominatifs et le désordre constaté dans les écritures comptables de 2013, et notamment l’absence de détail des comptes de classe 4, sont des faits imputables à Mme X ; que, outre ses actions en recouvrement incomplètes ou inexistantes, ces faits ont conduit à rendre irrécouvrables les créances précitées émises entre 2007 et 2012, même lorsque leur prescription est intervenue après sa cessation de fonctions ;
Attendu que l’absence de diligences adéquates, complètes et rapides alors que les créances n’étaient pas éteintes est constitutive d’un manquement préjudiciable à l’organisme créancier ; que, de ce fait, Mme X a manqué à ses obligations et, en conséquence, a engagé sa responsabilité au titre de l’article 60 modifié de la loi de la loi n° 63-156 du 23 février 1963 ;
Attendu que les éléments de contexte présentés pour sa décharge par Mme X ne concernent pas la motivation de cet engagement de sa responsabilité ; qu’ils ne pourraient être éventuellement invoqués qu’à l’appui d’une demande de remise gracieuse ;
Attendu par ailleurs que la responsabilité de Mme Y doit être écartée, cette dernière ayant émis des réserves complètes, précises et motivées dans les délais légaux ;
Attendu que le manquement de Mme X a causé un préjudice financier, au sens des dispositions du troisième alinéa du VI de l’article 60 de la loi du 23 février susvisée, au groupement d’intérêt public Formation continue et insertion professionnelle de l’académie de Créteil ;
Attendu qu’aux termes du même article « lorsque le manquement du comptable […] a causé un préjudice financier à l’organisme public concerné (ou l’État) […], le comptable a l’obligation de verser immédiatement de ses deniers personnels la somme correspondante » ; qu’ainsi, il y a lieu de constituer Mme X débitrice du groupement d’intérêt public Formation continue et insertion professionnelle de l’académie de Créteil pour les sommes de 11 597,70 € au titre de l’exercice 2011, de 22 512,92 € au titre de l’exercice 2012 et de 262 239,64 € au titre de l’exercice 2013 ;
Attendu qu’aux termes du VIII de l’article 60 de la loi du 23 février 1963 précitée, « les débets portent intérêt au taux légal à compter du premier acte de la mise en jeu de la responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables publics » ; qu’en l’espèce cette date est le 22 novembre 2017, date de réception du réquisitoire par Mme X ;
Par ces motifs,
DÉCIDE :
En ce qui concerne Mme Y, au titre de la charge unique :
Article 1er : Il n’y a pas lieu de mettre en jeu la responsabilité de Mme Y.
Article 2 : Mme Y est déchargée de sa gestion pour la période du 6 janvier 2014 au 31 décembre 2015.
En ce qui concerne Mme X, au titre de la charge unique :
Article 3 : Mme X est constituée débitrice du groupement d’intérêt public Formation continue et insertion professionnelle de l’académie de Créteil au titre de l’exercice 2011 pour la somme de 11 597,70 €, augmentée des intérêts de droit à compter du 22 novembre 2017.
Article 4 : Mme X est constituée débitrice du groupement d’intérêt public Formation continue et insertion professionnelle de l’académie de Créteil au titre de l’exercice 2012 pour la somme de 22 512,92 €, augmentée des intérêts de droit à compter du 22 novembre 2017.
Article 5 : Mme X est constituée débitrice du groupement d’intérêt public Formation continue et insertion professionnelle de l’académie de Créteil au titre de l’exercice 2013 pour la somme de 262 239,64 €, augmentée des intérêts de droit à compter du 22 novembre 2017.
Article 6 : La décharge de Mme X ne pourra être donnée qu’après apurement des débets fixés ci-dessus, après déduction éventuelle de recouvrements ultérieurs sur les créances concernées.
Fait et jugé par M. Pascal DUCHADEUIL, président de chambre, président de la formation ; M. Philippe HAYEZ, conseiller maître et Mme Dominique DUJOLS, conseillère maître.
En présence de Mme Michelle OLLIER, greffière de séance.
Michelle OLLIER |
Pascal DUCHADEUIL |
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En conséquence, la République française mande et ordonne à tous huissiers de justice, sur ce requis, de mettre ledit arrêt à exécution, aux procureurs généraux et aux procureurs de la République près les tribunaux de grande instance d’y tenir la main, à tous commandants et officiers de la force publique de prêter main-forte lorsqu’ils en seront légalement requis.
Conformément aux dispositions de l’article R. 142-20 du code des juridictions financières, les arrêts prononcés par la Cour des comptes peuvent faire l’objet d’un pourvoi en cassation présenté, sous peine d’irrecevabilité, par le ministère d’un avocat au Conseil d’État dans le délai de deux mois à compter de la notification de l’acte. La révision d’un arrêt ou d’une ordonnance peut être demandée après expiration des délais de pourvoi en cassation, et ce dans les conditions prévues au I de l’article R. 142-19 du même code.
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