S2018-1704 | 1 / 11 |
DEUXIÈME CHAMBRE ------- Cinquième section ------- Arrêt n° S2018-1704
Audience publique du 13 avril 2018
Prononcé du 15 juin 2018
| CHAMBRE DÉPARTEMENTALE D’AGRICULTURE DE LA HAUTE-LOIRE
Exercices 2011 à 2015
Rapport n° R-2018-0195-1
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République Française,
Au nom du peuple français,
La Cour,
Vu le réquisitoire n° 2017-59 RQ-DB en date du 23 novembre 2017, par lequel le Procureur général près la Cour des comptes a saisi la Cour des comptes de charges soulevées à l’encontre de MM. X et Y, agents comptables successifs de la chambre départementale d’agriculture de la Haute-Loire, au titre des exercices 2011 à 2015, notifié respectivement les 30 et 28 novembre 2017 aux comptables concernés ainsi qu’au président de la chambre départementale d’agriculture de la Haute-Loire ;
Vu les comptes rendus en qualité de comptables de la chambre départementale d'agriculture de la Haute-Loire, par M. X, du 1er janvier 2011 au 4 janvier 2015 et M. Y, du 5 janvier au 31 décembre 2015 ;
Vu les justifications produites au soutien des comptes en jugement ;
Vu le code des juridictions financières ;
Vu l’article 60 modifié de la loi de finances n° 63-156 du 23 février 1963 ;
Vu le code rural et de la pêche maritime, ainsi que les lois, décrets et règlements sur la comptabilité des établissements publics nationaux à caractère administratif et les textes spécifiques applicables aux chambres d'agriculture, notamment les instructions comptables M92 et M91 ;
Vu le décret n° 62-1587 du 29 décembre 1962 portant règlement général sur la comptabilité publique, en vigueur jusqu’à la clôture de l’exercice 2012 et le décret
n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique, applicable depuis lors ;
Vu le décret n° 2012-1386 du 10 décembre 2012 portant application du deuxième alinéa du VI de l’article 60 de la loi de finances de 1963 modifié dans sa rédaction issue de l’article 90 de la loi n° 2011-1978 du 28 décembre 2011 de finances rectificative pour 2011 ;
Vu le rapport n° R-2018-0195-1 de M. Patrick BONNAUD, conseiller référendaire, chargé de l’instruction ;
Vu les conclusions n° 245 du Procureur général du 4 avril 2018 ;
Entendu lors de l’audience publique du 13 avril 2018, M. Patrick BONNAUD, conseiller référendaire en son rapport, M. Serge BARICHARD, avocat général, en les conclusions du ministère public, les parties, informées de l’audience, n’étant ni présentes, ni représentées ;
Entendu en délibéré M. Jacques BASSET, conseiller maître, réviseur, en ses observations ;
Sur la charge n° 1, soulevée à l’encontre de M. X, au titre de l’exercice 2014, et à l’encontre de M. Y, au titre de l’exercice 2015 :
Attendu que, par le réquisitoire susvisé, le Procureur général a saisi la Cour des comptes, de la responsabilité encourue par MM. X et Y à raison de la prise en charge de mandats d’admission en non-valeur (ANV) en l’absence de décision de la session ;
Sur le droit applicable
Attendu que l’article 193 du décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique et l’instruction M92, en son titre 2, chapitre 6,
§ 4, attribuent à « l’organe délibérant » et à « l’assemblée des élus » la compétence de statuer sur les propositions d’admission en non-valeur ;
Sur les faits
Attendu que par mandats n° 2014-1077 du 29 octobre 2014, d’un montant de 1 311,76 €, et n° 2014-1278 du 11 décembre 2014, d’un montant de 3 180,03 €, pris en charge par M. X, et n° 2015-1239 du 31 décembre 2015, d’un montant de 1 317,78 €, pris en charge par M. Y, ont été admises en non-valeur diverses créances de la chambre départementale d'agriculture de la Haute-Loire ; que ces mandats sont appuyés de délibérations du bureau de la chambre et non de délibérations de la session ;
Sur les éléments apportés à décharge par les comptables
Attendu que les comptables font conjointement valoir que les mandats en cause ne concernent pas le compte 6544 mais le compte 6714 ; que le mandat n° 2014-1077 concerne des non-valeurs sur identification pérenne généralisée (IPG) de faible montant et répondant aux critères de la délibération du bureau du 8 septembre 2014 qui les exonérait de poursuites par voie d’huissier ; que le mandat n° 2014-1278 concerne d’autres créances, dont l’agent comptable avait sollicité l’admission en non-valeur ; que la session en était informée, dès lors que le compte 6714 était bien doté de crédits budgétaires, à hauteur de 20 000 €, ramenés à 4 000 € ; que les crédits consommés ont été validés lors du vote du compte financier ; que la session avait décidé de maintenir les prévisions de dépenses ayant reçu un avis favorable de l’autorité de tutelle ; qu’il y a possibilité de confusion entre les pouvoirs de la session et ceux du bureau, en ce que l’article 193 du décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 fait mention de « l’organe délibérant » ; que l’instruction M92 dispose que « l’assemblée des élus » statue sur les propositions du président ; que le code rural donne une liste de compétences de la session dans laquelle ne figure pas l’admission en non-valeur ; que le président est l’exécutif de l’établissement et l’ordonnateur ; que c’est bien lui qui a proposé les ANV au bureau ; que le bureau a reçu délégation pour gérer les opérations budgétaires dans l’intervalle des sessions ; que ces arguments sont également valables pour le mandat
n° 2015-1239 qui admettait en non-valeur des créances d’années antérieures ;
Attendu que, par production complémentaire, les comptables font valoir que l’article 165 du décret n° 62-1587 du 29 décembre 1962 portant règlement général sur la comptabilité publique donne compétence à l’ordonnateur pour prononcer les admissions en non-valeur ;
Attendu que l’ordonnateur n’a pas répondu sur ce point ;
Sur l’existence d’un manquement
Attendu, tout d’abord, que sur le point invoqué par les comptables d’une imputation des mandats au compte 6714 (créances devenues irrécouvrables) et non au compte 6544 (charges sur créances irrécouvrables), comme indiqué à tort dans le réquisitoire, l’erreur matérielle, reconnue par le ministère public, est sans effet sur la portée dudit réquisitoire ; qu’en effet, la lecture des mandats, clairement visés par le réquisitoire, permet de corriger cette erreur ; que la contradiction n’en est pas affectée, dès lors que le réquisitoire ne se fondait ni sur une imputation erronée de la dépense, ni sur une insuffisance des crédits budgétaires, mais sur l’insuffisance des pièces justificatives produites ;
Attendu que la référence à l’article 165 du décret n° 62-1587 du 29 décembre 1962 portant règlement général sur la comptabilité publique est inopérante, le décret
n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique étant substitué à ce décret à la date des écritures en cause ; qu’au surplus, les comptables, n’étant pas chargés du contrôle de la légalité des instructions comptables, devaient faire application de l’instruction M92 qui prévoit explicitement la compétence de l’assemblée des élus, à savoir la session ;
Attendu que, contrairement à ce que soutiennent les comptables, les textes sont sans ambiguïté, la session constituant, de plein droit, l’organe délibérant de la chambre, le bureau n’exerçant cette compétence que par délégation ; que si l’article D. 511-54-1 du code rural et de la pêche maritime ne mentionne pas explicitement les admissions en non-valeur dans les compétences de la session, il ne peut en être tiré aucune conclusion sur les compétences respectives du bureau et de l’ordonnateur, dès lors que l’emploi de l’adverbe « notamment » indique clairement l’absence d’exhaustivité des compétences de la session citées à cet article ;
Attendu que l’information alléguée de la session sur ces admissions en non-valeur, au motif de l’approbation en son sein du budget et du compte financier tout comme l’intervention de l’ordonnateur sont sans effet sur les obligations de contrôle des comptables publics lors des opérations d’exécution du budget ;
Attendu que la délégation consentie au bureau par délibérations des 11 juillet 2014, 28 novembre 2014 et 28 septembre 2015 ne mentionne pas les admissions en non-valeur ; que la délibération du bureau du 8 septembre 2014 fixant les critères des créances non susceptibles de faire l’objet de poursuites ne dispensait pas la session de délibérer sur leur admission en non-valeur ;
Attendu qu’en n’exigeant pas la production d’une délibération de la session autorisant les admissions en non-valeur, les comptables ont manqué à leur obligation de contrôle de la production des pièces justificatives définie à l’article 20 – 5° du décret
n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 précité ; qu’en l’absence de nomenclature des pièces justificatives alors applicable aux chambres d’agriculture, il appartenait aux comptables d’identifier les pièces justificatives pertinentes et nécessaires à l’exercice de leurs contrôles ; que, dans le cas présent, un vote de la session était nécessaire à la validité de la dépense ; que les comptables auraient donc dû exiger la production d’une délibération de la session approuvant les admissions en non-valeur ; qu’en manquant à ces obligations de contrôle, constitutives du contrôle de la validité de la créance, ils ont engagé leur responsabilité personnelle et pécuniaire, telle que définie par l’article 60 de la loi n° 63-156 du 23 février 1963 de finances pour 1963 ;
Sur l’existence d’un préjudice financier
Attendu que, dans ses conclusions, le Procureur général fait valoir que les créances admises en non-valeur ont fait l’objet d’un suivi précis et de diligences en vue de leur recouvrement pouvant être considérées comme satisfaisantes ;
Attendu que, eu égard à la nature, à l’ancienneté, au montant des créances, aux diligences accomplies et à la situation des débiteurs concernés, le manquement des comptables n’a pas causé de préjudice financier à la chambre départementale d'agriculture de la Haute-Loire ;
Attendu qu’aux termes des dispositions du deuxième alinéa du VI de l’article 60 de la loi du 23 février 1963 susvisée, « lorsque le manquement du comptable […] n’a pas causé de préjudice financier à l’organisme public concerné, le juge des comptes peut l’obliger à s’acquitter d’une somme arrêtée, pour chaque exercice, en tenant compte des circonstances de l’espèce » ; que le décret du 10 décembre 2012 susvisé fixe le montant maximal de cette somme à un millième et demi du montant du cautionnement prévu pour le poste comptable ;
Attendu que le montant du cautionnement prévu pour le poste comptable considéré à la date des écritures en cause était fixé à 37 000 € ; qu’ainsi, le montant maximum de la somme susceptible d’être mise à la charge des comptables s’élève à 55,50 € par manquement et par exercice, les manquements de M. X au cours de l’exercice 2014 étant de même nature ;
Attendu que les arguments relatifs au faible montant des cotes non recouvrées, au caractère habituel des propositions du comptable et à leur conformité aux dispositions générales prises par le bureau (et non la session) ne sont pas de nature à atténuer la responsabilité des comptables ; qu’il y a donc lieu d’arrêter la somme mise à leur charge à 55 € pour M. X, au titre de l’exercice 2014, et à 55 € pour M. Y, au titre de l’exercice 2015 ;
Sur la charge n° 2, soulevée à l’encontre de M. X ou M. Y au titre des exercices 2011 à 2015 :
Attendu que, par le réquisitoire susvisé, le Procureur général a saisi la Cour des comptes de la responsabilité encourue par MM. X ou Y, d’une part, à raison de l’inscription dans leurs écritures d’annulations ou de réductions de titres de recettes décidées pour des motifs ne faisant pas partie de ceux prévus par la réglementation, d’autre part, à raison de l’absence de preuve des diligences adéquates, complètes et rapides qu’ils auraient accomplies en vue de leur recouvrement ;
Sur le droit applicable
Attendu, que selon l’article 60 de la loi n° 63-156 du 23 février 1963, les comptables publics sont personnellement et pécuniairement responsables du recouvrement des recettes ; que l’article 159 du décret du 29 décembre 1962, applicable aux établissements publics nationaux à caractère administratif, dispose que dans le cadre des obligations qui lui incombent en vertu des articles 11, 12 et 13 du même décret, l’agent comptable est tenu notamment de faire diligence pour assurer la rentrée de toutes les ressources de l’établissement et empêcher les prescriptions ; que les articles 18 et 192 du décret
n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 confient au seul comptable public le recouvrement des ordres de recouvrer et, en cas d’échec du recouvrement amiable, l’engagement d’une procédure de recouvrement contentieux ;
Attendu par ailleurs que les articles 12 du décret n° 62-1587 du 29 décembre 1962 portant règlement général sur la comptabilité publique et 19 du décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique disposent que les comptables sont tenus d'exercer le contrôle […/…], dans la limite des éléments dont ils disposent, de la mise en recouvrement des créances et de la régularité des réductions et des annulations des ordres de recettes ou des ordres de recouvrer ;
Attendu que l’instruction M91 du 30 avril 2002, applicable aux chambres d’agriculture comme établissements publics nationaux à caractère administratif, à défaut de dispositions plus précises de l’instruction M92, prévoit en son article 1.5.4, que l'ordonnateur procède à l'émission d'un ordre d'annulation ou de réduction de recette dans les cas suivants : régularisation d'une erreur de liquidation commise au préjudice du débiteur, régularisation dans le fondement même de la créance, constatation de rabais, remises, ristournes consentis à ses clients par un établissement effectuant des opérations commerciales, transaction entre l'établissement et son débiteur, lorsque l'établissement est autorisé à transiger, circonstance très exceptionnelle ;
Sur les faits
Attendu qu’il est établi et non contesté que les annulations ou réductions
ci-après ont été passées en écritures dans les conditions suivantes :
mandat n° | date | bordereau | OR n° | date | délibérations du bureau | Montant (€) | totaux annuels (€) |
293 | 05/04/2011 | 30 | 122944 | 02/12/2008 | 10/01/2011 | 542,98 |
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294 | 05/04/2011 | 30 | 21797 à 21800 | 31/12/2009 | 10/01/2011 | 2 750,80 |
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295 | 05/04/2011 | 30 | 21181 | 10/11/2009 | 10/01/2011 | 7 654,40 |
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567 | 21/06/2011 | 50 | 12376 | 21/12/2010 | 02/05/2011 | 386,30 | 11 334,48 |
437 | 14/05/2012 | 29 | 48 titres | 2011 |
| 1 019,77 | 1 019,77 |
644 | 17/06/2013 | 43 | 644 | 09/11/2010 | 04/03/2013 | 1 512,00 |
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697 | 28/06/2013 | 48 | 697 | 31/12/2012 | 10/06/2013 | 257,14 |
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832 | 01/08/2013 | 57 | 832 | 26/03/2010 | 01/07/2013 | 514,28 |
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833 | 01/08/2013 | 57 | 833 | 31/12/2012 | 01/07/2013 | 514,28 | 2 797,70 |
1389 | 31/12/2014 | 100 | 1389 | 06/11/2009 | 06/01/2015 | 478,40 |
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1613 | 31/12/2014 | 118 | 1613 | 21/12/2012 | 06/01/2015 | 32 631,31 | 33 109,71 |
Total général | 48 261,66 |
Sur les éléments apportés à décharge par les comptables
Attendu que les comptables font la même réponse et font valoir que la facturation était émise par un logiciel dépendant de l’ordonnateur et auquel le comptable n’avait pas accès ; qu’elle donnait lieu à l’émission d’un titre regroupant plusieurs agriculteurs ; qu’à la réception des chèques, les services de l’ordonnateur indiquaient le titre de rattachement, sans possibilité de contrôle ; que, de même, les diligences étaient effectuées à la demande du comptable par les services de l’ordonnateur ; que le suivi des encaissements se faisait manuellement par le service comptabilité à réception des chèques sur une copie papier de la liste des factures émises jointe au titre récapitulatif ; que le comptable passait les chèques en comptabilité en masse sur chaque titre ; que le comptable a demandé que soit utilisée l’émission de factures par le logiciel Muse pour l’émission d’un titre par facture, un suivi individuel des dettes et des encaissements et le suivi des relances ; que ce nouveau dispositif a été mis en place en 2010 ; qu’en 2009, aucune procédure interne validée d’instruction et de suivi des réclamations n’était en place ; que nombre de réclamations n’étaient traitées que lorsque le comptable mettait le débiteur en demeure de payer ; qu’aucune autorisation générale de poursuite contentieuse n’existait avant 2010 ; que, en ce qui concerne les recettes à recouvrer résultant de l’intégration de l’ADASEA, seules des copies de factures ont été transmises, sans pièces justificatives ;
Attendu que, en ce qui concerne chacune des opérations, les comptables estiment que les annulations étaient régulières : soit que les créances aient été sans fondement valide, soit que des éléments explicatifs aient été fournis au comptable, soit que l’annulation résultait de l’application d’une convention ou d’erreurs de facturation ;
Sur l’existence d’un manquement
Attendu que les considérations exposées par les agents comptables sur l’organisation des services et la définition des procédures ne peuvent être retenues à leur décharge ; que ces circonstances pouvant être invoquées lors d’une demande de remise gracieuse, sont sans effet sur le principe de la mise en jeu de la responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables publics ;
Attendu par ailleurs que les comptables ont suffisamment justifié que les annulations ou réductions portées par les mandats n° 293, 294, 295, 567 de 2011, et 697 de 2013 régularisaient des erreurs de liquidation commises au préjudice du débiteur ; que celles portées par les mandats n° 437 de 2012, 832 et 833 de 2013 régularisaient des erreurs commises dans le fondement même de la créance ; que celle portée par le mandat
n° 1389 de 2014 constitue un rabais justifié par le caractère incertain de la créance ; que ces motifs constituent bien des cas d’annulations ou de réductions de titres émis ; qu’il n’y a donc pas lieu d‘engager la responsabilité du comptable de leur chef ;
Attendu, en revanche, que l’annulation portée par le mandat n° 644 de 2013 d’un montant de 1 512 € apparaît contestable ; qu’en effet, M. X ayant pris en charge cette recette, lors de l’intégration des comptes de l’association ADASEA, le 9 novembre 2010, en avait admis la validité ; que le motif de l’annulation figurant sur la délibération du bureau du
4 mars 2013, à savoir l’absence de transmission par l’ADASEA dans les délais requis des pièces nécessaires au client, alors même que la prestation avait été au moins partiellement exécutée, ne correspond pas aux cas définis par l’instruction M91 du 30 avril 2002 en son article 1.5.4 ; que constatant en 2013, après avoir accompli plusieurs diligences, qu’il ne pouvait obtenir le recouvrement de la créance, l’agent comptable aurait dû solliciter son admission en non-valeur par délibération de la session, au lieu de son annulation par le bureau ; qu’à défaut de disposer de cette délibération de la session, M. X a manqué à ses obligations et engagé sa responsabilité personnelle et pécuniaire ;
Attendu, par ailleurs, que l’annulation portée par le mandat n° 1613 de 2014 (titre n° 11636 du 21 décembre 2012) d’un montant de 32 631,31 €, concerne une créance détenue par la chambre sur un établissement public local d’enseignement ; que cette créance est fondée sur un marché et des prestations dont il n’est pas contesté qu’ils aient été exécutés ; que l’établissement d’enseignement a refusé de s’acquitter de sa dette au motif qu’il n’aurait pu percevoir les subventions destinées à financer l’opération à laquelle se rapportaient les prestations de la chambre ; que cette perte de subventions serait due à des retards de production de documents par la chambre ; que la chambre a renoncé à sa créance compte tenu des relations privilégiées entretenues avec l’établissement ;
Attendu cependant que le comptable disposait d’une créance juridiquement fondée sur un contrat exécutoire ; qu’il devait en poursuivre le recouvrement sauf instruction contraire de l’ordonnateur et, le cas échéant, en proposer l’admission en non-valeur, qui aurait dû être validée par la session ; que la responsabilité de la chambre dans la perte des subventions de l’établissement d’enseignement n’apparaît pas certaine, dès lors que le lycée conservait, selon le cahier des charges techniques particulières du marché, l’entière responsabilité financière de l’opération ; que le débiteur étant un établissement public local d’enseignement, il appartenait à l’agent comptable de la chambre d’agriculture, après l’échec de ses diligences engagées en 2013 et 2014, de saisir la chambre régionale des comptes en application des dispositions des articles L. 1612-20 et L. 1612-15 du code général des collectivités territoriales pour faire constater le caractère obligatoire de la dépense et obtenir son inscription au budget de l’établissement, puis son mandatement d’office ; qu’en ne procédant pas à ces diligences, le comptable a compromis le recouvrement de la créance, finalement annulée sur l’exercice 2014 ;
Sur l’existence d’un préjudice financier
Attendu qu’il résulte de ce qui précède que M. X a manqué à ses obligations en matière de recouvrement, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur la régularité de l’annulation de l’ordre de recouvrer, et a ainsi engagé sa responsabilité personnelle et pécuniaire telle que définie par l’article 60 de la loi n° 63-156 du 23 février 1963 de finances pour 1963 ;
Attendu qu’en ce qui concerne le mandat n° 644, il n’est pas établi que l’annulation de la créance ait causé un préjudice financier à la chambre d’agriculture, dès lors que la créance apparaissait difficilement recouvrable, en l’absence de preuve de l’existence d’un contrat écrit permettant à la chambre de faire valoir ses droits ;
Attendu que le montant du cautionnement prévu pour le poste comptable considéré pour l’exercice 2013 est fixé à 37 000 € ; qu’ainsi le montant maximum de la somme susceptible d’être mise à la charge de M. X s’élève à 55,50 € ;
Attendu qu’il sera fait une juste appréciation des circonstances de l’espèce en décidant de ne pas obliger le comptable à s’acquitter d’une somme irrémissible pour ce manquement, dès lors qu’il existait un doute sérieux sur le fondement même de la créance et que la volonté exprimée par le bureau de la chambre était de procéder à son abandon ;
Attendu qu’en ce qui concerne l’absence de recouvrement du titre n° 11636 du 21 décembre 2012, la créance était juridiquement fondée par un contrat ; qu’il n’est pas contesté que la prestation prévue a été réalisée ; que la responsabilité de la chambre dans la perte des subventions de l’établissement d’enseignement n’apparaît pas établie ; qu’il résulte de ces éléments que la créance de l’établissement était certaine, échue, liquide et, sous réserve des résultats d’un contentieux qui n’a pas été engagé, non sérieusement contestée ; que son absence de recouvrement constitue donc un préjudice pour la chambre départementale d'agriculture de la Haute-Loire au sens des dispositions du troisième alinéa du VI de l’article 60 de la loi du 23 février susvisée ;
Attendu qu’aux termes du même article, « lorsque le manquement du comptable […] a causé un préjudice financier à l’organisme public concerné […], le comptable a l’obligation de verser immédiatement de ses deniers personnels la somme correspondante » ; qu’ainsi il y a lieu de constituer M. X débiteur de la chambre départementale d'agriculture de la Haute-Loire pour la somme de 32 631,31 € au titre de l’exercice 2014, dernier compte à avoir comporté la créance à l’état des restes à recouvrer ;
Attendu qu’aux termes du VIII de l’article 60 de la loi du 23 février 1963 susvisée, « les débets portent intérêt au taux légal à compter du premier acte de la mise en jeu de la responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables publics » ; qu’en l’espèce, cette date est le 30 novembre 2017, date de réception du réquisitoire par M. X ;
Sur la charge n° 3, soulevée à l’encontre de MM. X, au titre des exercices 2011, 2012, 2013 et 2014, et Y, au titre de l’exercice 2015 :
Attendu que, par le réquisitoire susvisé, le Procureur général a saisi la Cour des comptes de la responsabilité encourue par MM. X et Y pour avoir payé, à leur bénéfice, une gratification annuelle d’un douzième de leur « traitement annuel », en méconnaissance des dispositions de l’article D.511-80 du code rural et de la pêche maritime et sans qu’une délibération ad hoc de la session n’ait été produite à l’appui de ces paiements ;
Sur le droit applicable
Attendu que le statut du personnel des chambres d’agriculture prévoit, en son article 13, que « les agents titulaires bénéficient en fin d’année d’une gratification correspondant au douzième des traitements perçus dans l’année » ;
Attendu que l’article 4 du décret n° 48-1108 du 10 juillet 1948 portant classement hiérarchique des grades et emplois des personnels de l'État relevant du régime général des retraites, dans sa rédaction qui résulte du décret n° 74-845 du 11 octobre 1974, dispose que « les personnels civils et militaires de l'État relevant du code des pensions civiles et militaires de retraite ne peuvent bénéficier d'aucune indemnité autre que celles prévues par leur statut général ; [que] ces indemnités sont attribuées par décret » ;
Attendu que l’article D.511-80 du code rural et de la pêche maritime (CRPM) dispose que le comptable perçoit une rémunération fixée par la chambre d’agriculture, dans les limites arrêtées conjointement par le ministre de l’agriculture et le ministre du budget ; que deux arrêtés, n° 3272 et 3273, du 20 juin 1985 ont été pris au titre de l’indemnité pour rémunération de services et de l’indemnité de caisse et de responsabilité ; qu’aucune disposition règlementaire ne prévoit l’attribution de la gratification au douzième aux comptables des chambres d’agriculture en adjonction de service ;
Sur les faits
Attendu que, par mandats n° 1347 du 20 décembre 2011, de 1 924,95 €, n° 1409 du 17 décembre 2012, de 1 633,28 €, n° 1382 du 16 décembre 2013, de 1 876,63 €, n° 1277 du 11 décembre 2014, de 1 608,33 €, M. X a payé, à son bénéfice, notamment, une « gratification au douzième » de 863,31 € en 2011, 869,75 € en 2012, 872,76 € en 2013 et 872,76 € en 2014 ; que, par mandat n° 1125 du 16 décembre 2015, de 1 608,33 €,
M. Y a payé, à son bénéfice, notamment, une gratification au douzième de 872,76 € ;
Sur les éléments apportés à décharge par les comptables
Attendu que les comptables n’ont pas souhaité formuler d’observation sur cette présomption de charge ; que l’ordonnateur n’a pas non plus répondu sur ce point ;
Sur l’existence d’un manquement
Attendu que, eu égard à sa qualité de fonctionnaire de l’État, l’agent comptable de la chambre départementale d'agriculture de Haute-Loire, en adjonction de service, ne bénéficie pas du statut du personnel des chambres d’agriculture ; qu’il ne peut donc bénéficier de la gratification au douzième, par simple application dudit statut ;
Attendu que la rémunération du comptable est définie par la session dans les limites fixées par arrêtés ministériels ; que ces arrêtés ne prévoient pas l’attribution à l’agent comptable de la gratification au douzième du personnel relevant du statut ;
Attendu que, sans préjudice de la légalité d’une telle décision, il appartenait à la session de délibérer pour attribuer cette gratification ; qu’aucune délibération n’a été produite à l’appui de ces paiements ;
Attendu qu’à défaut de liste des pièces justificatives de dépenses applicable, à l’époque des faits, à la chambre départementale d'agriculture de la Haute-Loire, il appartenait au comptable public de s’assurer de la production de toute pièce justificative pertinente, nécessaire à l’exercice des contrôles qui lui incombent en vertu des lois et règlements ; qu’en vertu des dispositions du B de l’article 12 et de l’article 13 du décret du
29 décembre 1962 cité ci-dessus, et des articles 19 et 20 du décret n° 2012-1246 du
7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique, les pièces justificatives pertinentes et nécessaires à l’exercice des contrôles incombant au comptable étaient celles qui lui permettaient de contrôler notamment la validité de la dette, la justification du service fait et l'exactitude des calculs de liquidation ;
Attendu que, dans le cas présent, l’existence d’un texte permettant le versement de la gratification au douzième au comptable de la chambre était nécessaire au contrôle de la liquidation ; qu’en ne suspendant pas le paiement des mandats en cause et en n’exigeant pas la production d’un tel texte ou d’une délibération qui aurait permis l’exercice de ce contrôle, les agents comptables ont manqué à leur obligation de contrôle de la validité de la dette et, ainsi, engagé leur responsabilité personnelle et pécuniaire telle que définie par l’article 60 de la loi n° 63-156 du 23 février 1963 de finances pour 1963 ;
Sur l’existence d’un préjudice financier
Attendu que, dans ses conclusions, le Procureur général fait valoir que les paiements en cause étaient dépourvus de fondement juridique et revêtaient donc un caractère indu ; qu’ils sont donc constitutifs d’un préjudice financier envers l’établissement ;
Attendu en effet qu’à défaut qu’elle soit fondée sur un texte réglementaire, la dépense est indue ; qu’elle ne constitue donc pas une dette de l’établissement et que son acquittement cause un préjudice financier, au sens des dispositions du troisième alinéa du VI de l’article 60 de la loi du 23 février susvisée, à la chambre départementale d'agriculture de la Haute-Loire ;
Attendu qu’aux termes du même article, « lorsque le manquement du comptable […] a causé un préjudice financier à l’organisme public concerné […], le comptable a l’obligation de verser immédiatement de ses deniers personnels la somme correspondante » ; qu’ainsi il y a lieu de constituer les comptables successifs débiteurs des sommes ainsi indument payées, augmentées des intérêts de droit, soit : M. X, au titre de ses gestions 2011 (863,31 €), 2012 (869,75 €), 2013 (872,76 €) et 2014 (872,76 €) ; M. Y au titre de sa gestion 2015 (872,76 €) ;
Attendu qu’aux termes du VIII de l’article 60 de la loi du 23 février 1963 susvisée, « les débets portent intérêt au taux légal à compter du premier acte de la mise en jeu de la responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables publics » ; qu’en l’espèce, cette date est le 30 novembre 2017, date de réception du réquisitoire par M. X et le
28 novembre 2017, date de réception du réquisitoire par M. Y ;
Attendu que n’existait pas, pour la période considérée de plan de contrôle sélectif de la dépense à la chambre départementale d'agriculture de la Haute-Loire ; que cette circonstance fait obstacle à une remise gracieuse totale du débet ;
Par ces motifs,
DÉCIDE :
En ce qui concerne M. X
Article 1er : En ce qui concerne la charge n° 1, M. X devra s’acquitter d’une somme de 55 €, au titre de l’exercice 2014 (mandats n° 1077 et 1278), en application du deuxième alinéa du VI de l’article 60 de la loi n° 63-156 du 23 février 1963 ; cette somme ne peut pas faire l’objet d’une remise gracieuse en vertu du IX de l’article 60 de la loi précitée.
Article 2 : En ce qui concerne la charge n° 2, il n’y a pas lieu à obliger
M. X à s’acquitter d’une somme à raison du manquement constaté lors du paiement du mandat n° 644 au titre de l’exercice 2013.
Article 3 : En ce qui concerne la charge n° 2, en raison de l’insuffisance de ses diligences en vue du recouvrement du titre n° 11636/2012, M. X est constitué débiteur de la chambre d’agriculture de la Haute-Loire au titre de l’exercice 2014, pour la somme de 32 631,31 €, augmentée des intérêts de droit à compter du 30 novembre 2017 ;
Article 4 : En ce qui concerne la charge n° 3, M. X est constitué débiteur de la chambre d’agriculture de la Haute-Loire au titre de l’exercice 2011, pour la somme de 863,31 €, augmentée des intérêts de droit à compter du 30 novembre 2017.
Le paiement n’entrait pas dans une des catégories de dépenses faisant l’objet de règles de contrôle sélectif.
Article 5 : En ce qui concerne la charge n° 3, M. X est constitué débiteur de la chambre d’agriculture de la Haute-Loire au titre de l’exercice 2012, pour la somme de 869,75 €, augmentée des intérêts de droit à compter du 30 novembre 2017 ;
Le paiement n’entrait pas dans une des catégories de dépenses faisant l’objet de règles de contrôle sélectif.
Article 6 : En ce qui concerne la charge n° 3, M. X est constitué débiteur de la chambre d’agriculture de la Haute-Loire au titre de l’exercice 2013, pour la somme de 872,76 €, augmentée des intérêts de droit à compter du 30 novembre 2017.
Le paiement n’entrait pas dans une des catégories de dépenses faisant l’objet de règles de contrôle sélectif.
Article 7 : En ce qui concerne la charge n° 3, M. X est constitué débiteur de la chambre d’agriculture de la Haute-Loire au titre de l’exercice 2014, pour la somme de 872,76 €, augmentée des intérêts de droit à compter du 30 novembre 2017.
Le paiement n’entrait pas dans une des catégories de dépenses faisant l’objet de règles de contrôle sélectif.
En ce qui concerne M. Y
Article 8 : En ce qui concerne la charge n° 1, M. Y devra s’acquitter d’une somme de 55 €, au titre de l’exercice 2015 (mandat n° 1239), en application du deuxième alinéa du VI de l’article 60 de la loi n° 63-156 du 23 février 1963 ; cette somme ne peut pas faire l’objet d’une remise gracieuse en vertu du IX de l’article 60 de la loi précitée.
Article 9 : En ce qui concerne la charge n° 3, M. Y est constitué débiteur de la chambre d’agriculture de la Haute-Loire au titre de l’exercice 2015, pour la somme de 872,76 €, augmentée des intérêts de droit à compter du 28 novembre 2017 ;
Le paiement n’entrait pas dans une des catégories de dépenses faisant l’objet de règles de contrôle sélectif.
En ce qui concerne la situation des comptables
Article 10 : La décharge de MM. X et Y ne pourra être donnée qu’après l’apurement des débets et des sommes à acquitter, fixés ci-dessus.
Fait et jugé par Mme Annie PODEUR, présidente de section, présidente de la formation ; MM. Alain LE ROY, Gilles MILLER, et Jacques BASSET conseillers maîtres.
En présence de M. Aurélien LEFEBVRE, greffier de séance.
Aurélien LEFEBVRE |
Annie PODEUR |
En conséquence, la République française mande et ordonne à tous huissiers de justice, sur ce requis, de mettre ledit arrêt à exécution, aux procureurs généraux et aux procureurs de la République près les tribunaux de grande instance d’y tenir la main, à tous commandants et officiers de la force publique de prêter main-forte lorsqu’ils en seront légalement requis.
Conformément aux dispositions de l’article R. 142-20 du code des juridictions financières, les arrêts prononcés par la Cour des comptes peuvent faire l’objet d’un pourvoi en cassation présenté, sous peine d’irrecevabilité, par le ministère d’un avocat au Conseil d’État dans le délai de deux mois à compter de la notification de l’acte. La révision d’un arrêt ou d’une ordonnance peut être demandée après expiration des délais de pourvoi en cassation, et ce dans les conditions prévues au I de l’article R. 142-19 du même code.
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