QUATRIÈME CHAMBRE ------- Première section ------- Arrêt n° S2018-0371
Audience publique du 8 février 2018
Prononcé du 22 février 2018 |
AGENCE PUBLIQUE POUR L’IMMOBILIER DE LA JUSTICE (APIJ)
Exercices 2011 à 2015
Rapport n° R2018-0033-1 |
République Française,
Au nom du peuple français,
La Cour,
Vu le réquisitoire n° 2017-6-RQ-DB en date du 25 janvier 2017 par lequel le Procureur général près la Cour des comptes a saisi la quatrième chambre de la Cour d’une présomption de charge unique au titre du paiement, au cours des exercices 2011 à 2015, d’indemnités qualifiées de « part variable » au directeur général de l’agence publique pour l’administration de la justice (APIJ), en vue de la mise en jeu de la responsabilité personnelle et pécuniaire de Mmes X et Y, agents comptables successifs de l’agence au cours de la période ;
Vu les accusés de réception du réquisitoire notifié aux deux comptables et à la directrice générale de l’APIJ le 22 septembre 2017, par téléchargement à la même date des fichiers adressés ;
Vu les courriers en réponse au réquisitoire de Mme Y, en date du 11 octobre 2017 et de la directrice générale de l’APIJ, en date du 27 octobre 2017 ;
Vu la procuration de Mme X à Mme Y, en date du 2 avril 2013, la chargeant de répondre aux observations qui pourraient être formulées sur les actes et opérations exécutées au cours de sa gestion ;
Vu les comptes rendus en qualité de comptables de l’APIJ par Mme X, du 1er janvier 2011 au 8 avril 2013 et Mme Y, du 9 avril 2013 au 31 décembre 2015 ;
Vu les justifications produites au soutien des comptes en jugement ;
Vu le code des juridictions financières ;
Vu l’article 60 de la loi de finances n° 63-156 du 23 février 1963 modifiée ;
Vu le décret n° 62-1587 du 29 décembre 1962 modifié portant règlement général sur la comptabilité publique et le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique, successivement en vigueur au moment des faits ;
Vu le décret n° 2006-208 du 22 février 2006 créant l’établissement public national de l’APIJ et notamment son article 12 ;
Vu le rapport de Mme Anne FROMENT-MEURICE, présidente de chambre maintenue en activité, chargée de l’instruction ;
Vu les conclusions n° 043 du Procureur général du 30 janvier 2018 ;
Entendu, lors de l’audience publique du 8 février 2018, Mme Anne FROMENT-MEURICE, en son rapport, Mme Loguivy ROCHE, avocate générale, en les conclusions du ministère public, Mme X informée de l’audience, étant absente et représentée par Mme Y, Mme Y étant présente et ayant eu la parole en dernier ;
Entendu en délibéré Mme Dominique DUJOLS, conseillère maître, réviseure, en ses observations ;
Sur le réquisitoire
Attendu que, par le réquisitoire susvisé, il est fait grief à Mmes X et Y d’avoir procédé, au cours des exercices 2011 à 2015, au paiement d’indemnités qualifiées de « par
130 426,99 euros, en l’absence de contrôle de la validité de la créance, notamment de la production des justifications et de l'exactitude des calculs de liquidation ;
Attendu qu’après avoir rappelé le régime de rémunération fixé par l'article 20 de la loi no 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires prévoyant qu’il peut comprendre les indemnités instituées par un texte législatif ou réglementaire, le réquisitoire indique qu'à défaut, le conseil d'administration de l'agence est compétent pour fixer ce régime en application de l'article 12 du décret no 2006-208 du 22 février 2006 relatif au statut de l'Agence publique pour l'immobilier de la justice susvisé prévoyant que le conseil d'administration délibère notamment sur les emplois de direction et les conditions de la gestion administrative et financière des fonctionnaires détachés sur contrat ; qu’il précise qu’en application du statut, le conseil d'administration de l'APIJ a prévu notamment, lors de sa séance du 25 octobre 2007 approuvant les dispositions relatives à la gestion administrative et financière du personnel permanent de l'agence que « la rémunération du directeur général est fixée par le ministre chargé du budget et le ministre de la justice ; qu’elle peut comprendre une part additionnelle conditionnée à l'atteinte d'objectifs fixés par le ministère de la justice » ; que le réquisitoire précise que, par application de cette délibération, la rémunération des directeurs généraux successifs de l'agence, et notamment la part variable de ladite rémunération, a été fixée, par lettres du ministre chargé du budget ou du ministre de la justice des 12 novembre 2007, 19 mai 2011 et 19 février 2014
Attendu, selon le réquisitoire, qu’il résulte de ce qui précède que les comptables ont payé cette part variable en l'absence de texte législatif ou réglementaire, ou de décision émanant de l'autorité compétente ; qu’en outre il estime que le calcul du montant annuel de la part variable, portée sur les bulletins de paye d'avril 2011 et mars 2014, serait supérieur aux montants maximums prévus par les lettres du ministre chargé du budget ou du ministre de la justice susmentionnées, à concurrence de respectivement 279,54 euros et 670 euros ;
Attendu que le réquisitoire estime en conséquence que les paiements en cause sont présomptifs d’irrégularités susceptibles de fonder la mise en jeu de la responsabilité des deux comptables en fonction au cours de la période visée ;
Attendu que Mme Y, dans son courrier susvisé, conteste, pour elle-même et pour Mme X, à titre principal le manquement présumé et à titre subsidiaire le préjudice financier ; qu’il en est de même pour l’ordonnateur de l’agence dans sa réponse susvisée ;
Sur l’existence d’un manquement au titre de la production des justifications
Attendu que Mme Y discute en premier lieu le manquement présumé au titre de la production des justifications ; qu’après avoir indiqué que l’agence avait entendu, par la délibération n° 2007-79 du 25 octobre 2007 citée dans le réquisitoire, tirer les leçons d’un précédent arrêt de la Cour ayant mis en débet l’un de ses prédécesseurs pour paiement de rémunérations indues au profit de directeurs de l’établissement au titre d’ « une part variable » regardée comme une prime irrégulièrement instituée, la comptable précise d’abord, comme le relève le réquisitoire, que l’article 3 bis de cette délibération prévoit que la rémunération du directeur général de l’établissement est fixée spécifiquement (hors grille) par le ministre du budget et par le ministre de la justice et que cette rémunération peut prévoir une part additionnelle conditionnée à l’atteinte d’objectifs fixés par le ministre de la justice ; qu’elle indique que dans sa séance du 17 décembre 2010, le conseil d’administration de l’agence a approuvé un nouveau cadre de gestion des personnels applicable à compter du 1er février 2011 et donc pour les exercices en jugement, qui reprend également dans son article 4 les mêmes dispositions ;
Attendu que l’agent comptable conteste ensuite l’absence de décision émanant de l’autorité compétente retenue par le réquisitoire ; qu’elle rappelle, en lien avec son premier argument, que le décret constitutif de l’APIJ a donné compétence au conseil d’administration de l’agence sur les emplois de direction et que c’est dans ce cadre juridique qu’ont été votées les deux délibérations sus évoquées de 2007 et 2010 qui, selon elle, ont validé le principe du versement d’une rémunération constituée d’une part fixe et d’une part variable au directeur général dont le montant et les conditions de mise en œuvre doivent être fixés, selon la décision du conseil d’administration, par le ministre du budget et le ministre de la justice ;
Attendu qu’elle en conclut qu’en l’absence, sur la période en jugement, de texte législatif ou réglementaire sur les modalités de rémunération des dirigeants d’établissements publics nationaux à caractère administratif et dès lors que le conseil d’administration, autorité compétente sur les emplois de direction, a décidé que la rémunération du directeur général constituée d’une part fixe et d’une part variable, devait être fixée par les ministres du budget et de la justice, il appartenait au comptable de payer ladite rémunération au vu des lettres des ministres selon les modalités et les prescriptions imposées par ces dernières ; que la réponse de la directrice générale de l’APIJ susvisée, reprenant les mêmes arguments, conclut que toutes les dispositions ont ainsi été prises par l’établissement pour permettre à l’agent comptable d’assurer le règlement de la rémunération des dirigeants de l’agence ;
Attendu que Mme Y ajoute un troisième argument relatif à l’impossibilité pour le comptable d’apprécier si le conseil d’administration (l’autorité compétente) était fondé ou non à déléguer sa compétence en matière de gestion des emplois de direction au ministre du budget ; qu’elle estime qu’une telle appréciation dépasserait de loin le contrôle de régularité extrinsèque des pièces justificatives incombant au comptable et conduirait dans les faits à un contrôle intrinsèque et partant, de la légalité de la délibération ;
Attendu, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens présentés par la comptable, qu’il ressort de l’instruction et de la réponse de Mme Y que le principe de la fixation, par les ministres en charge du budget et de la justice, du montant de la rémunération du directeur général de l’établissement a été décidé par le conseil d’administration de l’agence, autorité compétente en ce domaine ; que les deux comptables disposaient, au moment des paiements litigieux, de la délibération précitée du 17 décembre 2010 constituant le fondement juridique du versement au directeur général d’une rémunération constituée d’une part fixe et d’une part variable, dont le montant et les conditions de mise en œuvre devaient être fixés, selon la décision du conseil d’administration, par les ministres en charge du budget et de la justice ; qu’il n’appartenait pas aux comptables, quelle que soit la validité juridique de la décision de délégation de compétence prise par le conseil d’administration de l’agence, de suspendre, au vu des lettres ministérielles, le paiement de la part variable des rémunérations en cause, sauf à exercer à tort un contrôle de légalité sur les pièces fournies par l’ordonnateur ;
Attendu, s’agissant de la fixation par les ministres du montant et des modalités de mise en œuvre de la rémunération et notamment de la part variable, que les deux comptables disposaient, au moment des paiements litigieux, des trois lettres correspondantes des ministres en prescrivant le calcul et les conditions de mise en œuvre, en application de la délibération susmentionnée ;
Attendu qu’il résulte de ce qui précède que les comptables, qui disposaient aussi des contrats de travail des directeurs généraux, fonctionnaires détachés, fixant pour chacun d’eux leur situation juridique et financière, ont payé les montants de parts variables de leur rémunération au vu de pièces justificatives complètes et cohérentes au regard de la catégorie de la dépense en cause et qu’il n’y a donc pas lieu à la mise en jeu de la responsabilité personnelle et pécuniaire de Mme X et de Mme Y à ce titre ;
Sur l’existence d’un manquement au titre de l’exactitude des calculs de liquidation
Attendu que l’agent comptable discute en second lieu le manquement présumé au titre du contrôle de l’exactitude des calculs de liquidation ;
Attendu que, pour justifier d’abord le calcul des 15 279,54 € payés en avril 2011, Mme Y, en renvoyant aux pièces justificatives produites au soutien du mandat n° 448 relatif à la paye d’avril 2011, explique que ce montant correspond à celui de la part variable 2010 fixé par la lettre du ministre chargé du budget du 12 novembre 2007, soit 15 000 € (valeur septembre 2007) auquel s'est rajoutée la prise en compte de la revalorisation successive de la valeur du point d'indice (279,50€), prévue par la lettre du ministre chargé du budget du
12 novembre 2007 fixant la rémunération de M. Z, alors directeur général de l’agence, selon laquelle « la part fixe et le plafond de la part variable seront indexés sur l'évolution du point d'indice de la fonction publique » ;
Attendu, s’agissant du montant de la part variable 2013 payée en mars 2014, soit
21 670 €, que la comptable, renvoyant aux pièces justificatives produites au soutien du mandat n° 11325 du 20 mars 2014 relatif à la paye de mars 2014, indique qu’il correspond au montant de la part variable de M. Z prévue pour l'année 2013, en tant que directeur général de l'APIJ et de I'établissement public du palais de justice de Paris (EPPJP), soit
22 000 € proratisé à hauteur de 67 % (14 740 €), compte tenu de la date de nomination de
M. Z à un poste différent au 1er septembre 2013, ajouté au montant de la part variable de
M. Z pour l'année 2013, en tant que directeur général de I'EPPJP soit 21 000 € proratisé à hauteur de 33 % (6 930 €) , compte tenu de la date de nomination de M. Z à ce poste au
1er septembre 2013 ;
Attendu, au vu des explications produites par Mme Y qui justifient précisément les montants de part variable versés en 2011 et 2014, qu’il n’y a pas lieu de mettre en jeu la responsabilité des deux agents comptables, à ce titre ;
Par ces motifs,
DÉCIDE :
Article unique – Il n’y a pas lieu de mettre en jeu la responsabilité personnelle et pécuniaire de Mme X et de Mme Y, au titre de la présomption de charge unique du réquisitoire susvisé.
Fait et jugé en la Cour des comptes, quatrième chambre, première section. Présents : M. Yves ROLLAND, président de section, président de la formation ; MM. Jean‑Yves BERTUCCI, Denis BERTHOMIER, Olivier ORTIZ, Mmes Dominique DUJOLS et Isabelle LATOURNARIE-WILLEMS, conseillers maîtres.
En présence de M. Aurélien LEFEBVRE, greffier de séance.
Aurélien LEFEBVRE |
Yves ROLLAND |
En conséquence, la République française mande et ordonne à tous huissiers de justice, sur ce requis, de mettre ledit arrêt à exécution, aux procureurs généraux et aux procureurs de la République près les tribunaux de grande instance d’y tenir la main, à tous commandants et officiers de la force publique de prêter main-forte lorsqu’ils en seront légalement requis.
Conformément aux dispositions de l’article R. 142-20 du code des juridictions financières, les arrêts prononcés par la Cour des comptes peuvent faire l’objet d’un pourvoi en cassation présenté, sous peine d’irrecevabilité, par le ministère d’un avocat au Conseil d’État dans le délai de deux mois à compter de la notification de l’acte. La révision d’un arrêt ou d’une ordonnance peut être demandée après expiration des délais de pourvoi en cassation, et ce dans les conditions prévues au I de l’article R. 142-19 du même code.
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