S 2018-1700 | 1 / 12 |
PREMIERE CHAMBRE ------- Première section ------- Arrêt n° S 2018-1700 Audience publique du 29 mai 2018 Prononcé du 26 juin 2018 | DIRECTION DEPARTEMENTALE DES FINANCES PUBLIQUES DE SEINE-ET-MARNE Exercices 2012 à 2014 Rapport n° 2018-0540 |
République Française,
Au nom du peuple français,
La Cour,
Vu le réquisitoire n° 2017-45 RQ-DB du 31 octobre 2017, par lequel le Procureur général près la Cour des comptes a saisi ladite Cour en vue de la mise en jeu de la responsabilité personnelle et pécuniaire de M. X, en sa qualité de directeur départemental des finances publiques de Seine-et-Marne, à raison d’opérations relatives aux exercices 2012 à 2014, ensemble la preuve de sa notification audit comptable, le 8 décembre 2017, ainsi qu’au directeur départemental des finances publiques de Seine-et-Marne en fonction, le 8 décembre 2017, et au directeur général des finances publiques, le 11 décembre 2017 ;
Vu les comptes rendus en qualité de directeur départemental des finances publiques de Seine-et-Marne par M. X, au titre des exercices 2012 à 2014 ;
Vu les justifications produites au soutien des comptes en jugement, ensemble les pièces recueillies au cours de l’instruction ;
Vu le cautionnement de M. X de 757 000 €, puis de 761 000 € à compter du 1er janvier 2013 ;
Vu les observations écrites présentées le 31 janvier 2018, le 23 mars 2018 et le 22 mai 2018, par M. X en réponse, pour les deux premières, au réquisitoire susvisé, et pour les troisièmes, postérieures au rapport d’instruction ;
Vu le code électoral ;
Vu le code général des impôts, ensemble son annexe 3 et le livre des procédures fiscales ;
Vu le code des juridictions financières ;
Vu l’article 60 modifié de la loi de finances n° 63-156 du 23 février 1963 ;
Vu l’ordonnance n° 2010-638 du 10 juin 2010 portant suppression du régime des conservateurs des hypothèques, notamment son article 18 ;
Vu le décret n° 62‑1587 du 29 décembre 1962 portant règlement général sur la comptabilité publique et le décret n° 2012‑1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique ;
Vu le décret n° 2012-1386 du 10 décembre 2012 portant application du deuxième alinéa du VI de l’article 60 de la loi de finances pour 1963, dans sa rédaction issue de l’article 90 de la loi n° 2011-1978 du 28 décembre 2011 de finances rectificative pour 2011 ;
Vu l’instruction codificatrice n° 11-017-B du 22 août 2011, la note de service
n° 12-016-B1 du 27 avril 2012 et la note de service n° 12-020-B1 du 20 juin 2012 de la direction générale des finances publiques ;
Vu le rapport de M. Hervé Boullanger, conseiller référendaire, magistrat chargé de l’instruction ;
Vu les conclusions n° 322 du Procureur général du 22 mai 2018 ;
Entendu lors de l’audience publique du 29 mai 2018, M. Hervé Boullanger en son rapport, M. Bertrand Diringer, avocat général, en les conclusions du ministère public, M. X, comptable, étant présent et ayant eu la parole en dernier ;
Entendu en délibéré M. Daniel-Georges Courtois, conseiller maître, en ses observations ;
Sur la charge n° 1, soulevée à l’encontre de M. X au titre de l’exercice 2014
1. Attendu que par le réquisitoire susvisé le Procureur général près la Cour des comptes a saisi ladite Cour de la responsabilité encourue par M. X à raison du défaut de justification du solde du compte 274-8 « autres prêts et avances » pouvant révéler un déficit ou un manquant, ou un défaut de mise en recouvrement des créances correspondantes, et de contrôles incombant au comptable en matières de recettes, susceptibles de fonder la mise en jeu de sa responsabilité personnelle et pécuniaire à hauteur de 15 128,78 €, à la clôture de l’exercice 2014 ;
Sur l’existence d’un manquement du comptable à ses obligations
Sur le droit applicable
2. Attendu qu'aux termes du I de l'article 60 de la loi du 23 février 1963 susvisée, les comptables publics sont personnellement et pécuniairement responsables de la garde et de la conservation des fonds et valeurs appartenant ou confiés aux organismes publics, de la conservation des pièces justificatives des opérations et documents de comptabilité ainsi que de la tenue de la comptabilité du poste comptable qu'ils dirigent ; que leur responsabilité se trouve engagée dès lors qu’un manquant en monnaie ou en valeurs a été constaté ;
3. Attendu qu'aux termes du Ill du même texte, la responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables publics ne peut être mise en jeu à raison de la gestion de leurs prédécesseurs que pour les opérations prises en charge sans réserve lors de la remise de service ou qui n'auraient pas été contestées par le comptable entrant dans les délais réglementaires ;
4. Attendu qu'aux termes de l'article 17 du décret du 7 novembre 2012 susvisé, les comptables publics sont personnellement et pécuniairement responsables des actes et contrôles qui leur incombent en application des dispositions de l'article 18 dudit décret, dans les conditions fixées par l'article 60 de la loi du 23 février 1963 susvisée ; qu'en vertu des dispositions de l'article 18 du même décret, les comptables publics sont chargés, chacun dans le poste comptable qu'il dirige, notamment, de la tenue de la comptabilité générale, du recouvrement des créances constatées par un contrat, un titre de propriété ou tout autre titre exécutoire, de la garde et de la conservation des fonds et valeurs, de la conservation des pièces justificatives des opérations transmises par les ordonnateurs et des documents de comptabilité ;
Sur les faits
5. Attendu que le compte 274-8 « autres prêts et avances », qui retrace les encours de prêts accordés au titre du fonds forestier national (FFN), présentait un solde débiteur non justifié de 15 128,78 € au 31 décembre 2014 ;
Sur les éléments apportés à décharge par le comptable
6. Attendu en premier lieu qu’en réponse à la Cour, M. X observe que l’encours des prêts du FFN avait été pris en charge sur instruction de la direction générale de la comptabilité publique, le 14 juin 2006, dans le contexte de la loi organique relative aux lois de finances, afin de pouvoir établir le premier bilan d’ouverture des comptes de l’Etat ; que le montant devait être provisoire, jusqu’à ce qu’un outil de suivi des prêts en cours soit mis en place par la direction départementale des territoires ; que cet outil n’a été mis en place qu’en 2015 et que jusqu’à cette date, le comptable était dans l’impossibilité de connaître le détail de la somme de 15 128,78 € qui avait été comptabilisée ;
7. Attendu en deuxième lieu que M. X indique que le compte a été soldé au cours de l’exercice 2015, pour être transféré au directeur des finances publiques du Val-de-Marne et que, suite aux travaux de fiabilisation, un état détaillé et nominatif de l’encours des prêts de la Seine-et-Marne a pu être établi, sans qu’il soit toutefois possible d’établir un lien entre les débiteurs identifiés en 2015 et la somme de 15 128,78 € portée au débit de son compte ;
8. Attendu que le comptable souligne que ce solde débiteur ayant pour origine une écriture comptable de l’exercice 2006, celle-ci est antérieure à sa prise de fonctions ; que le jugement des opérations de cet exercice est atteint par la prescription ;
9. Attendu enfin que M. X invoque à décharge la décision du Conseil d’Etat n° 295281 du 22 février 2008 ; qu’en application de cette jurisprudence, un acte règlementaire qui prévoit des opérations de nature à engager la responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables sans prévoir les modalités permettant à ces derniers de s’assurer des conditions dans lesquelles leur responsabilité est susceptible d’être mise en cause, ne permet pas l’application de la loi de finances du 23 février 1963 susvisée ;
Sur l’application au cas d’espèce
10. Attendu qu’il résulte des dispositions législatives et réglementaires citées aux points 2 à 4 que les comptables publics sont responsables de la préservation des actifs financiers des personnes publiques dont ils tiennent les comptes ; qu’il leur appartient à ce titre, sauf à voir leur responsabilité engagée, de comptabiliser fidèlement les droits et de conserver les pièces qui les justifient ; que la justification des soldes résulte de leur confrontation avec la situation détaillée des créances prises en charge qui doit être jointe au compte, et des pièces attestant des droits de l’Etat sur les tiers ;
11. Attendu que les pièces précitées n’ont pas été produites ; que cette absence est réputée constituer un manquant en monnaie ou en valeurs ;
12. Attendu que, s’agissant d’opérations prises en charge sans réserve, la seule persistance du manquant en monnaie ou en valeurs dans les comptes constitue un manquement pour le comptable ; que le jugement de l’exercice 2014 n’est pas prescrit ; qu’ainsi le fait que le jugement de l’exercice 2006 soit prescrit est sans incidence sur la validité de la charge soulevée ;
13. Attendu que les conditions de mise en jeu de la responsabilité des comptables publics à raison d’un manquant en monnaie ou en valeurs résultant d’un défaut de la tenue de la comptabilité sont prévues par les dispositions précitées de l’article 60 de la loi du 23 février 1963 et du décret du 7 novembre 2012 ; que l’invocation de la jurisprudence du Conseil d’Etat citée au point 9 est donc inopérante ;
14. Attendu que ni les comptables, ni ensuite le juge des comptes, ne sont tenus par des instructions de l’administration centrale indiquant au comptable les écritures à prendre en charge ;
15. Attendu que les éléments de contexte avancés par M. X, tenant notamment à la mise en œuvre de la loi organique relative aux lois de finances, et à l’établissement du bilan d’ouverture de l’État au 1er janvier 2006 ne relèvent pas de la force majeure, au demeurant non invoquée ;
16. Attendu qu'il résulte de ce qui précède que M. X doit être tenu pour responsable du manquant en monnaie ou en valeur au titre du solde débiteur inexpliqué du compte 274-8 à la clôture de l'exercice 2014 ; qu'il y a donc lieu d'engager sa responsabilité personnelle et pécuniaire à ce motif au titre de cet exercice ;
Sur l’existence d’un préjudice financier pour le Trésor public
17. Attendu qu’un manquant en monnaie ou en valeurs dans les écritures d’un comptable constitue par principe un préjudice financier pour la collectivité concernée ;
18. Attendu qu’aux termes des dispositions du troisième alinéa du VI de l’article 60 de la loi du 23 février 1963 susvisée « lorsque le manquement du comptable aux obligations mentionnées au I a causé un préjudice financier à l’organisme public concerné (…) le comptable a l’obligation de verser immédiatement de ses deniers personnels la somme correspondante » ;
19. Attendu ainsi qu’il y a lieu de constituer M. X débiteur de l’Etat pour la somme de 15 128,78 €, au titre de l’exercice 2014 ;
20. Attendu qu’aux termes du VII de l’article 60 de la loi du 23 février 1963 susvisée, « les débets portent intérêts au taux légal à compter du premier acte de la mise en jeu de la responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables publics » ; qu’en l’espèce, cette date est le 8 décembre 2017, date de réception du réquisitoire par M. X ;
Sur la charge n° 2, soulevée à l’encontre de M. X au titre des exercices 2012, 2013 et 2014
21. Attendu que par le réquisitoire susvisé le Procureur général près la Cour des comptes a saisi ladite Cour de la responsabilité encourue par M. X au titre de ses gestions 2012 à hauteur d’au moins 117 981 068,18 €, 2013 à hauteur d’au moins 119 071 204,69 € et 2014 à hauteur d’au moins 112 619 272,55 € pour défaut de contrôle de la qualité de l’ordonnateur ou de son délégué et de la validité de la créance, lequel porte notamment sur l’exactitude des calculs de liquidation, l’intervention préalable des contrôles règlementaires et la production des justifications lors du paiement de la taxe sur les conventions d’assurance (TSCA) au bénéfice du département, ces dépenses étant imputées aux comptes 4611 « part article 52 », 46162 « part article 53 » et 46163 « part article 77 » ;
Sur l’existence d’un manquement des comptables à leurs obligations
Sur le droit applicable
22. Attendu qu’aux termes du I de l’article 60 modifié de la loi du 23 février 1963 susvisée, les comptables publics sont personnellement et pécuniairement responsables du paiement des dépenses ; que leur responsabilité personnelle et pécuniaire se trouve engagée dès lors qu’une dépense a été irrégulièrement payée ;
23. Attendu qu’aux termes de l’article 11 du décret du 29 décembre 1962 susvisé, applicable jusqu’au 11 novembre 2012, les comptables publics sont seuls chargés du paiement des dépenses ; que les articles 12 et 13 dudit décret leur font obligation d’exercer, en matière de dépenses, le contrôle de la qualité de l’ordonnateur ou de son délégué ainsi que de la validité de la créance, ledit contrôle portant notamment sur la justification du service fait et l’exactitude des calculs de liquidation ainsi que la production des justifications ;
24. Attendu qu’en vertu des dispositions de l’article 37 du décret ci-dessus mentionné du 29 décembre 1962, lorsque, à l’occasion de l’exercice du contrôle prévu à l’article 12 du même décret, des irrégularités sont constatées, les comptables publics suspendent les paiements et en informent l’ordonnateur ;
25. Attendu qu’aux termes des articles 17 et 18 du décret du 7 novembre 2012 susvisé, applicable depuis le 12 novembre 2012, les comptables publics sont personnellement et pécuniairement responsables des actes et contrôles qui leur incombent et qu’ils sont seuls chargés de la prise en charge des ordres de payer qui leur sont remis par les ordonnateurs, du paiement des dépenses, soit sur ordre émanant des ordonnateurs, soit au vu des titres présentés par les créanciers, soit de leur propre initiative, ainsi que de la suite à donner aux oppositions à paiement et autres significations ;
26. Attendu qu’aux termes de l’article 20 du même décret, le contrôle de la validité de la dette porte notamment sur la justification du service fait, l’exactitude des calculs de liquidation, l’intervention préalable des contrôles règlementaires, la production des justifications, l’existence du visa des membres du corps du contrôle général économique et financier sur les engagements et les ordonnancements émis par les ordonnateurs principaux ;
27. Attendu qu’aux termes de l’article 38 du même décret, lorsqu'à l'occasion de l'exercice des contrôles prévus au 2° de l'article 19 susmentionné le comptable public a constaté des irrégularités ou des inexactitudes dans les certifications de l'ordonnateur, il suspend le paiement et en informe l'ordonnateur ;
Sur les faits
28. Attendu qu’au cours des exercices 2012 à 2014, il a été versé au payeur départemental de la Seine-et-Marne respectivement les sommes annuelles de 117 981 068,18 €, 119 071 204,69 € et 112 619 272,55 € au titre de la part de la taxe sur les conventions d’assurance (TSCA) revenant au département de Seine-et-Marne ; que les paiements ont été effectués sous la forme de versements mensuels effectués en application d’instructions du contrôleur budgétaire et comptable ministériel placé auprès des ministres chargés de l’économie et du budget ; que ces instructions adressées par message électronique précisaient les écritures comptables à passer ainsi que les montants à comptabiliser ;
Sur les éléments apportés à décharge par le comptable
29. Attendu que dans sa réponse au réquisitoire du 31 janvier 2018, M. X indique que les recettes de TSCA sont versées aux départements selon une clé de répartition prévue par les articles 52 et 53 de la loi n° 2004-1484 de finances pour 2005 et l’article 77 de la loi n° 2009-1673 de finances pour 2010 ;
30. Attendu que le comptable mentionne que c’est le contrôleur budgétaire et comptable ministériel du ministère des finances qui intervient en qualité d’opérateur technique, avec une vision nationale de la situation de ces comptes, applique la clé de répartition susmentionnée et transmet par courriel à chaque direction régionale ou départementale des finances publiques le montant de la TSCA revenant aux collectivités locales ; que ce courriel du contrôleur budgétaire et comptable ministériel vaut pièce justificative de l’écriture saisie ;
Sur l’application au cas d’espèce
31. Attendu que la fiscalité transférée correspond aux produits des impôts attribués par l’État aux collectivités territoriales pour compenser des transferts de compétences ou des atténuations de recettes ; que ces transferts sont prévus, évalués ou autorisés, chaque année, dans la loi de finances et se matérialisent par un prélèvement sur les recettes de l’État, une dotation budgétaire ou une affectation de recettes au profit des collectivités territoriales ; que la taxe spéciale sur les conventions d’assurance relève de cette dernière catégorie ;
32. Attendu que ni le décret du 29 décembre 1962 portant règlement général sur la comptabilité publique susvisé, ni le décret du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique susvisé ne prévoient, de façon générale ou spécifique, les modalités d’exécution des versements de fiscalité transférée par affectation de recettes ; que, dès lors, s’agissant de l’exercice par l’administration d’une compétence liée par les clés fixées en lois de finances, les comptables ont pu, en l’espèce, valablement s’appuyer, pour effectuer les versements des parts de TSCA, sur des instructions spécifiques du ministre chargé des finances et du budget ;
33. Attendu que les dispositions spécifiques auxquelles il convenait de se référer, en ce qui concerne la TSCA, étaient celles des instructions codificatrices de la direction générale de la comptabilité publique n° 06-028-P-R du 12 avril 2006 et l’annexe à l’instruction n° 06-059-M0-R3 du 13 décembre 2006 ; que ces dispositions spécifiques donnaient instruction au comptable de procéder au versement au seul vu des indications données par le contrôleur budgétaire et comptable ministériel, sans prévoir ni ordre de payer ni autre pièce justificative à l’appui ; qu’il n’est pas allégué que ces dispositions auraient été méconnues par le comptable ;
34. Attendu qu’il résulte de ce qui précède que lesdites opérations ne sont pas entachées d’irrégularité du fait du comptable ; que, dès lors, il n’y a pas lieu d’engager, à ce motif, la responsabilité personnelle et pécuniaire de M. X au titre des exercices 2012 à 2014 ;
Sur la charge n° 3, soulevée à l’encontre de M. X au titre de l’exercice 2013 ou 2014
35. Attendu que par le réquisitoire susvisé le Procureur général près la Cour des comptes a saisi ladite Cour de la responsabilité encourue par M. X au titre des exercices 2013 ou 2014 à hauteur de 175 220 €, en raison de l’insuffisance des diligences effectuées en vue du recouvrement de deux créances émises le 16 juin 2009 pour 87 610 € chacune ;
36. Attendu que ces deux créances correspondent à des salaires de conservateurs des hypothèques pour la prise d’hypothèques provisoires au mois d’avril 2007 ;
Sur un manquement des comptables à leurs obligations
Sur le droit applicable
37. Attendu qu’aux termes du I de l’article 60 de la loi du 23 février 1963 susvisée la responsabilité personnelle et pécuniaire du comptable se trouve engagée dès lors qu'une recette n'a pas été recouvrée ; que la responsabilité du comptable s’apprécie au regard de ses diligences, qui doivent être adéquates, complètes et rapides ;
38. Attendu qu’aux termes de l’article18 du décret du 7 novembre 2012 susvisé le comptable public est seul chargé de la prise en charges des ordres à recouvrer et des créances constatées par un titre de propriété ou tout autre titre exécutoire ainsi que de l’encaissement des droits au comptant et des recettes liées à l’exécution des ordres de recouvrer ;
Sur les faits
39. Attendu que le dirigeant d’une société anonyme a été condamné le 24 janvier 2006 par le tribunal de grande instance de Meaux au paiement de la somme de 175 220 422,76 €, solidairement avec ladite société, au titre d’impôts fraudés ; qu’en garantie de cette dette, le receveur a fait procéder à l’inscription de deux hypothèques provisoires sur des biens appartenant au dirigeant, qui ont été effectuées le 29 mars 2007 ; que chacune de ces hypothèques a donné lieu à des salaires de conservateur pour un montant de 87 610 € ; que deux factures de débet datées du 13 avril 2007 ont été émises, l’une par la conservation des hypothèques de Reims, à hauteur de 87 610 €, et l’autre par la conservation des hypothèques de Soissons pour le même montant ; que ces mesures ont été notifiées au dirigeant par exploit d’huissier le 11 avril 2007 ;
40. Attendu qu’à compter du 16 juin 2009, ces sommes ont été prises en compte dans l’application de suivi du recouvrement RAR MEDOC pour un montant de 175 220 € ; qu’elles apparaissent dans l’état des restes à recouvrer du service des impôts des entreprises (SIE) de Meaux (état dit « R104 bis ») au 31 décembre 2014 ; que le receveur des impôts n’a fait état d’aucune diligence spécifique en vue de leur recouvrement ;
Sur les éléments apportés à décharge par le comptable
41. Attendu que M. X se réfère à l’instruction de la direction générale de la comptabilité publique 12-M-4-90 du 24 avril 1990 pour souligner que les salaires des conservateurs des hypothèques ne constituent pas des impôts, mais une contrepartie de la responsabilité civile des conservateurs, dont le recouvrement est à la charge des conservateurs eux-mêmes ; que de telles créances ne relevant pas de la responsabilité du receveur des impôts, elles n’ont pas à être prises en charge dans les écritures du poste comptable, le comptable secondaire devant simplement faire figurer de telles créances « pour mémoire » dans une sous-rubrique de l’application RAR MEDOC ;
42. Attendu que le comptable relève qu’en l’espèce c’est à la suite d’une erreur d’imputation dans l’application RAR MEDOC que ces créances apparaissent sur l’état de restes à recouvrer « R104 bis » ; qu’en tout état de cause les salaires en cause ne constituant pas une créance fiscale, le comptable du SIE n’était pas tenu de procéder à des actes de poursuites en vue de leur recouvrement ;
43. Attendu que M. X souligne le fait que le recouvrement des créances du salaire du conservateur des hypothèques se fait à l’occasion de la radiation desdites hypothèques ; qu’une transaction est en cours avec l’un des propriétaires indivis pour la levée d’une hypothèque moyennant le paiement d’une somme de 200 000 € ; qu’à cette occasion, et même si l’hypothèque provisoire n’a pas été renouvelée, les salaires du conservateur devraient être réglés, compte tenu de la règle de priorité d’affectation des sommes reçues en paiement ;
Sur l’application au cas d’espèce
44. Attendu qu’il résulte des articles 879 et 881 du code général des impôts, dans leur rédaction en vigueur jusqu’au 31 décembre 2012, qu’en cas d’inscription prise au nom du Trésor, les salaires du conservateur des hypothèques étaient dus par le redevable non à l’Etat, mais au conservateur concerné ; qu’aucun texte ne prévoyait qu’ils devaient faire l’objet de diligences de recouvrement spécifiques, la seule obligation du comptable étant de désintéresser par priorité les conservateurs concernés à l’occasion des recouvrements opérés sur la créance de l’Etat ; que l’instruction du 24 avril 1990 invoquée par le comptable en tirait les conséquences en précisant que de tels salaires, à payer en débet, n’avaient pas à être pris en charge et n’avaient à figurer ni sur les états de restes à recouvrer, ni sur les états nominatifs des redevables ;
45. Attendu que le I de l’article 879 du code général des impôts, dans sa version issue de l’ordonnance du 10 juin 2010 susvisée, a supprimé pour l’avenir les salaires précités, à effet du 1er janvier 2013, et leur a substitué une contribution de sécurité immobilière, dont sont désormais exonérées les formalités requises au profit de l’Etat, en application du II du même article ; qu’il résulte de l’article 18 de la même ordonnance que les salaires qui restaient dus aux conservateurs avant le 1er janvier 2013 demeurent à la charge des débiteurs de la créance au principal, et doivent être acquittés au profit du Trésor ; que cette disposition transitoire n’a pas créé pour les comptables une obligation nouvelle de mener des diligences spécifiques, en sus de celles qu’ils doivent effectuer pour recouvrer la créance garantie par l’inscription de l’hypothèque ; que les diligences pour recouvrer la créance garantie par les hypothèques ne sont pas mises en cause par le réquisitoire susvisé ;
46. Attendu au surplus qu’en l’espèce le règlement des salaires en question n’apparaît pas gravement compromis à la date à laquelle la Cour juge ; qu’il résulte en effet de l’instruction que les diligences menées par le comptable pour recouvrer la créance de l’Etat devraient conduire à une transaction ; qu’en conséquence de celle-ci, une somme supérieure au montant des salaires en question devrait être versée au Trésor et désintéresser intégralement celui-ci au titre des salaires anciennement dus aux conservateurs des hypothèques ;
47. Attendu ainsi que nonobstant le fait que ces salaires aient été comptablement pris en charge, qu’ils figurent aux états de restes à recouvrer du SIE de Meaux au 31 décembre 2014, et qu’aucune diligence spécifique ne soit alléguée pour leur recouvrement, il ne peut être reproché aucun manquement à M. X aux motifs poursuivis, soit directement, soit par substitution de sa responsabilité à celle du comptable secondaire ; qu’il n’y a donc pas lieu à charge à ce motif au titre des exercices 2013 et 2014 ;
Sur la charge n° 4, soulevée à l’encontre de M. X au titre de l’exercice 2013
48. Attendu que par le réquisitoire susvisé le Procureur général près la Cour des comptes a saisi ladite Cour de la responsabilité encourue par M. X à hauteur de 221 867 € au titre de l’exercice 2013 pour défaut de contrôle de la validité de la dette, lequel porte notamment sur la production des pièces justificatives, pour neuf remboursements forfaitaires de frais de campagne dans le cadre des élections législatives de juin 2012, effectués sans vérifier si l’ensemble des pièces requises avaient été fournies, ni si ces pièces étaient complètes, précises et cohérentes au regard de la nature de la dépense telle qu’elle avait été ordonnancée ;
Sur l’existence d’un manquement du comptable à ses obligations
Sur le droit applicable
49. Attendu qu’aux termes du I de l’article 60 modifié de la loi du 23 février 1963 susvisée, les comptables publics sont personnellement et pécuniairement responsables du paiement des dépenses et leur responsabilité personnelle et pécuniaire se trouve engagée dès lors qu’une dépense a été irrégulièrement payée ;
50. Attendu qu’aux termes des articles 17 à 19 du décret du 7 novembre 2012 susvisé, les comptables publics sont personnellement et pécuniairement responsables des actes et contrôles qui leur incombent et qu’ils sont seuls chargés de la prise en charge des ordres de payer qui leur sont remis par les ordonnateurs, du paiement des dépenses, soit sur ordre émanant des ordonnateurs, soit au vu des titres présentés par les créanciers, soit de leur propre initiative, ainsi que de la suite à donner aux oppositions à paiement et autres significations ;
51. Attendu qu’aux termes de l’article 20 du même décret, le contrôle de la validité de la dette porte notamment sur la production des justifications ;
52. Attendu qu’aux termes de l’article 38 du même décret, lorsqu'à l'occasion de l'exercice des contrôles prévus au 2° de l'article 19 susmentionné le comptable public a constaté des irrégularités ou des inexactitudes dans les certifications de l'ordonnateur, il suspend le paiement et en informe l'ordonnateur ;
53. Attendu que l’instruction codificatrice du 22 août 2011 susvisée relative à la nomenclature des pièces justificatives des dépenses de l’Etat renvoyait, en ce qui concerne les dépenses liées aux élections politiques, aux notes de service afférentes à chaque élection, accessibles sur le site du centre national de documentation des finances publiques ;
54. Attendu que le texte afférent aux élections législatives de 2012 était la note de service n° 12-020-B1 du 20 juin 2012 susvisée ; que ladite note prévoyait, en ce qui concernait le remboursement de leurs frais de campagne aux candidats, que les demandes de paiement remises par le préfet devaient être appuyées des pièces suivantes : attestation du préfet que le candidat avait rempli ses obligations au regard des articles L. 52-11 et L. 52-12 du code électoral, attestation du préfet que le candidat avait réuni au moins 5 % des suffrages exprimés, justification du dépôt de la déclaration de situation patrimoniale du candidat auprès de la commission pour la transparence financière de la vie politique (récépissé de dépôt ou avis de réception) ;
Sur les faits
55. Attendu qu’en application des articles L. 52-11-1 et L. 52-15 du code électoral susvisé, par neuf demandes de paiement, des frais de campagne ont été remboursés de manière forfaitaire à des candidats aux élections législatives de 2012 dans le département de Seine-et-Marne ;
56. Attendu qu’à l’appui de ces neuf demandes de paiement n’étaient pas jointes les justifications du dépôt des déclarations de situation patrimoniale des candidats auprès de la commission pour la transparence financière de la vie politique ;
Sur les éléments apportés à décharge par le comptable
57. Attendu que le comptable a produit les justificatifs de dépôt de situation patrimoniale pour huit candidats ; qu’il précise que pour l’une des candidates une telle déclaration n’était pas obligatoire, celle-ci n’étant ni conseillère régionale ou départementale, ni maire d’une commune de plus de 20 000 habitants ;
Sur l’application au cas d’espèce
58. Attendu que, pour l’un des paiements, la candidate concernée n’était pas astreinte au dépôt d’une cette déclaration de situation patrimoniale en application du code électoral ; qu’il n’y a pas lieu à charge à ce titre ;
59. Attendu qu’il n’est pas contesté que les huit autres paiements sont intervenus sans que le comptable dispose de l’ensemble des pièces justificatives prévues par les dispositions combinées de l’instruction codificatrice du 22 août 2011 susvisée et de la note de service du 20 juin 2012 précitée ;
60. Attendu qu’en payant les mandats litigieux sans exiger la production préalable de la pièce en question, le comptable a manqué à ses obligations en matière de contrôle de la validité de la dette ; qu’il y a lieu, par voie de conséquence, d’engager la responsabilité personnelle et pécuniaire de M. X pour huit des neuf paiements, au titre de l’exercice 2013 ;
Sur l’existence d’un préjudice financier pour le Trésor
61. Attendu que les pièces manquantes ont été produites en cours d’instruction ; que les sommes payées étaient effectivement dues ; que de ce fait le manquement du comptable à ses obligations en matière de dépenses n’a causé aucun préjudice financier à l’Etat ;
62. Attendu qu’aux termes du deuxième alinéa du VI de l’article 60 de la loi susvisée du 23 février 1963, lorsque le manquement du comptable aux obligations fixées par le I du même texte n’a pas causé de préjudice financier à l’organisme public dont il est le comptable, le juge des comptes peut l’obliger à s’acquitter d’une somme arrêtée, pour chaque exercice, en tenant compte des circonstances de l’espèce ; que le montant maximal de ladite somme a été fixé, par le décret du 10 décembre 2012 susvisé, à un millième et demi du montant du cautionnement du comptable ; que, le montant du cautionnement de M. X était de 761 000 € à compter du 1er janvier 2013, le montant maximum de la somme non rémissible pouvant être mise à la charge de ce comptable s’élève à 1 141,50 €, sur l’exercice 2013 ;
63. Attendu qu’il sera fait une juste appréciation des circonstances de l’espèce en arrêtant à 400 € la somme à acquitter par M. X, au titre de l’exercice 2013 ;
Par ces motifs,
DÉCIDE :
Charge n° 1, exercice 2014
Article 1er. – M. X est constitué débiteur envers l’Etat de la somme de 15 128,78 €, augmentée des intérêts de droits à compter du 8 décembre 2017.
Charge n° 2, exercices 2012 à 2014
Article 2. – Il n’y a pas lieu à charge à l’encontre de M. X.
Charge n° 3, exercices 2013 et 2014
Article 3. – Il n’y a pas lieu à charge à l’encontre de M. X.
Charge n° 4, exercice 2013
Article 4. – M. X devra s’acquitter d’une somme de 400 €, en application du deuxième alinéa du VI de l’article 60 de la loi n° 63-156 du 23 février 1963. Cette somme ne peut pas faire l’objet d’une remise gracieuse en vertu du IX de l’article 60 de la loi précitée.
Article 5. – M. X ne pourra être déchargé de ses gestions pendant les années 2013 et 2014 qu’après apurement du débet et de la somme à acquitter, fixés ci-dessus.
Fait et jugé par M. Philippe Geoffroy, président de section, présidant la formation de délibéré, MM. Daniel-Georges Courtois, Guy Fialon, conseillers maîtres et Mme Sophie Thibault, conseillère maître.
En présence de Mme Marie-Hélène Paris-Varin, greffière de séance.
Marie-Hélène Paris-Varin | Philippe Geoffroy |
En conséquence, la République française mande et ordonne à tous huissiers de justice, sur ce requis, de mettre ledit arrêt à exécution, aux procureurs généraux et aux procureurs de la République près les tribunaux de grande instance d’y tenir la main, à tous commandants et officiers de la force publique de prêter main-forte lorsqu’ils en seront légalement requis.
Conformément aux dispositions de l’article R. 142-20 du code des juridictions financières, les arrêts prononcés par la Cour des comptes peuvent faire l’objet d’un pourvoi en cassation présenté, sous peine d’irrecevabilité, par le ministère d’un avocat au Conseil d’État dans le délai de deux mois à compter de la notification de l’acte. La révision d’un arrêt ou d’une ordonnance peut être demandée après expiration des délais de pourvoi en cassation, et ce dans les conditions prévues au I de l’article R. 142-19 du même code.
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