S 2018-1346 | 1 / 7 |
PREMIERE CHAMBRE ------- Première section ------- Arrêt n° S 2018-1346
Audience publique du 10 avril 2018
Prononcé du 29 mai 2018
| ETABLISSEMENT PUBLIC NATIONAL D’AMENAGEMENT ET DE RESTRUCTURATION DES ESPACES COMMERCIAUX ET ARTISANAUX (EPARECA)
Exercice 2015
Rapport n° R-2018-0274-1
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REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS,
LA COUR,
Vu le réquisitoire n° 2017-81 RQ-DB du 20 décembre 2017, par lequel le Procureur général près la Cour des comptes a saisi ladite Cour en vue de la mise en jeu de la responsabilité personnelle et pécuniaire de M. X, en sa qualité d’agent comptable de l’établissement public national d’aménagement et de restructuration des espaces commerciaux et artisanaux (Epareca), à raison d’opérations relatives à l’exercice 2015, ensemble la preuve de sa notification audit comptable, le 9 janvier 2018, ainsi qu’à la directrice générale de l’établissement, le 9 janvier 2018 ;
Vu le compte rendu en qualité d’agent comptable de l’Epareca, pour l’exercice 2015, par M. X ;
Vu les justifications produites au soutien du compte susvisé, ensemble les pièces recueillies au cours de l’instruction ;
Vu la décision fixant le cautionnement de M. X à 177 000 € pour l’exercice 2015 ;
Vu les observations écrites présentées le 29 janvier 2018 par M. X, en réponse au réquisitoire susvisé ;
Vu le code des juridictions financières ;
Vu l’article 60 modifié de la loi de finances n° 63-156 du 23 février 1963 ;
Vu la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l’Etat, les départements, les communes et les établissements publics ;
Vu le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique ;
Vu le décret n° 2012-1386 du 10 décembre 2012 portant application du deuxième alinéa du VI de l’article 60 de la loi de finances de 1963 modifiée dans sa rédaction issue de l’article 90 de la loi n° 2011-1978 du 28 décembre 2011 de finances rectificatives pour 2011 ;
Vu le rapport de M. Guy FIALON, conseiller maître, magistrat chargé de l’instruction ;
Vu les conclusions du Procureur général n° 234 du 30 mars 2018 ;
Entendu lors de l’audience publique du 10 avril 2018, M. Guy FIALON, en son rapport, et M. Bertrand DIRINGER, avocat général, en les conclusions du ministère public, les parties n’étant ni présentes, ni représentées ;
Entendu en délibéré M. Noël DIRICQ, conseiller maître, en ses observations ;
Sur la charge n° 1, soulevée à l’encontre de M. X sur l’exercice 2015
Attendu que par le réquisitoire susvisé le Procureur général a estimé que la responsabilité personnelle et pécuniaire de M. X pourrait être mise en jeu sur l’exercice 2015, au motif qu’une créance de 5 954,17 € sur un débiteur public n’aurait pas été recouvrée à la clôture dudit exercice, les diligences accomplies en vue du recouvrement de ladite créance ayant été insuffisantes ;
Sur l’existence d’un manquement du comptable à ses obligations
Sur le droit applicable
Attendu qu’aux termes du I de l’article 60 modifié de la loi du 23 février 1963 susvisée, les comptables publics sont personnellement et pécuniairement responsables du recouvrement des recettes et des contrôles qu’ils sont tenus d'assurer en matière de recettes dans les conditions prévues par le règlement général sur la comptabilité publique et que leur responsabilité personnelle et pécuniaire se trouve engagée dès lors qu'une recette n'a pas été recouvrée ; que la responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables publics en matière de recouvrement des recettes s’apprécie au regard de leurs diligences, lesquelles doivent être adéquates, complètes et rapides ;
Attendu qu’aux termes de l’article 18 du décret du 7 novembre 2012 susvisé, le comptable public, dans le poste comptable qu’il dirige, est seul chargé de la prise en charge des ordres de recouvrer qui lui sont remis par les ordonnateurs, du recouvrement des ordres de recouvrer et des créances constatées par un contrat, un titre de propriété ou tout autre titre exécutoire, ainsi que de l’encaissement des droits au comptant et des recettes liées à l’exécution des ordres de recouvrer ;
Attendu qu’aux termes de l’article 1er de la loi susvisée du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l’Etat, les départements, les communes et les établissements publics, sont prescrites, au profit de ces collectivités publiques, toutes les créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis ; qu’aux termes de l’article 2 de ladite loi, la prescription est interrompue par toute demande de paiement ou toute réclamation écrite adressée par un créancier à l'autorité administrative, dès lors que la demande ou la réclamation a trait au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance ;
Sur les faits
Attendu qu’une communauté d’agglomération s’était engagée, par convention conclue le 22 décembre 2010, à verser à l’Epareca la somme litigieuse, au titre d’un fonds de concours ; qu’il est constant qu’à la clôture de l’exercice 2015, la somme n’avait pas été recouvrée ;
Attendu que la créance a été mise en recouvrement par un avis des sommes à payer, daté du 29 juin 2011, transmis à la collectivité débitrice par une lettre de l’ordonnateur datée du 13 juillet 2011 ; qu’elle aurait fait l’objet d’une lettre de rappel, signée le 29 avril 2014 par l’ordonnateur, et d’une lettre de relance, signée le 13 juin 2017 par l’agent comptable ; que toutefois le comptable n’a pas produit la preuve de la réception de relances opérées avant le 1er janvier 2016 ;
Attendu que, en réponse à la lettre de relance du 13 juin 2017, le directeur général des services de la communauté d’agglomération, par lettre du 20 septembre 2017, a opposé la prescription quadriennale, en précisant qu’il n’avait été trouvé trace, dans ses services, ni des précédentes relances, ni des actes de poursuite relatifs à la créance ;
Sur les éléments apportés à décharge par le comptable
Attendu que, dans ses observations susvisées, M. X a fait valoir que les conditions matérielles dans lesquelles il avait exercé ses fonctions, en l’occurrence le maintien de la durée initiale du service hebdomadaire de l’agent comptable, soit deux demi-journées, alors que l’activité de l’établissement public n’avait pas cessé d’augmenter depuis sa création, ne lui permettaient pas de réaliser tous les contrôles imposés par les textes ;
Sur l’application au cas d’espèce
Attendu que le titre a été émis et pris en charge lors de l’exercice 2011 ; que le délai de prescription prévu par la loi précitée du 31 décembre 1968 n’a pas été interrompu, la preuve n’ayant pas été rapportée de la réception de réclamations au plus tard le 31 décembre 2015, dernière date ouverte aux diligences ; que le recouvrement de la créance s’est ainsi trouvé prescrit au 1er janvier 2016 ;
Attendu que les éléments de contexte avancés par M. X ne peuvent être utilement invoqués à décharge devant le juge des comptes au stade du constat d’un manquement ;
Attendu qu’en laissant se prescrire la susdite créance, l’agent comptable a manqué à ses obligations en matière de recouvrement des recettes ; qu’il y a donc lieu d’engager la responsabilité personnelle et pécuniaire de M. X, au titre de l’exercice 2015, à raison d’un défaut de diligences en vue du recouvrement de la somme de 5 954,17 € ;
Sur l’existence d’un préjudice financier pour l’établissement public
Attendu que le défaut de recouvrement d’une créance cause par principe un préjudice financier à la collectivité publique créancière ; que le préjudice n’est absent que dans l’hypothèse où la collectivité publique créancière n’aurait pas pu être désintéressée, quand bien même le comptable aurait satisfait à ses obligations en matière de recouvrement de la créance ; que, toutefois, au cas d’espèce, cette preuve n’est pas rapportée ; qu’au contraire, le caractère public de la collectivité débitrice garantit sa solvabilité ; que, dès lors, le manquement de M. X à ses obligations en matière de recouvrement des recettes a causé à l’établissement public créancier un préjudice dont le montant est égal à celui de la recette non recouvrée ;
Attendu qu’aux termes des dispositions du troisième alinéa du VI de l’article 60 de la loi du 23 février 1963 susvisée, « lorsque le manquement du comptable aux obligations mentionnées au I a causé un préjudice financier à l’organisme public concerné (…), le comptable a l'obligation de verser immédiatement de ses deniers personnels la somme correspondante. » ;
Attendu qu’il y a lieu, ainsi, au titre de l’exercice 2015, de constituer M. X débiteur, envers l’Epareca, de la somme de 5 954,17 € , augmentée des intérêts au taux légal à compter du premier acte de la mise en jeu de sa responsabilité personnelle et pécuniaire, soit à compter du 9 janvier 2018, date de sa réception du réquisitoire susvisé ;
Sur la charge n° 2, soulevée à l’encontre de M. X sur l’exercice 2015
Attendu que par le réquisitoire susvisé le Procureur général a estimé que la responsabilité personnelle et pécuniaire de M. X pourrait être mise en jeu, sur l’exercice 2015, au motif que le paiement d’une somme de 8 685,46 € en règlement de la rémunération due au directeur administratif et financier de l’établissement pour les mois de mai et août 2015, aurait été fait dans des conditions irrégulières ; que l’irrégularité consisterait en ce que les deux rémunérations auraient été, à la demande du susdit directeur administratif et financier, versées sur un compte bancaire différent de celui qui figurait sur les bulletins de paye correspondants et ouvert au nom d’une société à responsabilité limitée ; qu’en procédant aux deux paiements au vu de pièces justificatives contradictoires, le comptable aurait manqué aux obligations qui étaient les siennes en matière de contrôle de la validité de la créance et du caractère libératoire des paiements ; que ces manquements pourraient fonder la mise en jeu de la responsabilité personnelle et pécuniaire de M. X par le juge des comptes ;
Sur l’existence d’un manquement du comptable à ses obligations
Sur le droit applicable
Attendu qu’aux termes du I de l’article 60 modifié de la loi du 23 février 1963 susvisée, les comptables publics sont personnellement et pécuniairement responsables du paiement des dépenses et leur responsabilité personnelle et pécuniaire se trouve engagée dès lors qu’une dépense a été irrégulièrement payée ;
Attendu qu’aux termes de l’article 19 du décret du 7 novembre 2012 susvisé, « le comptable public est tenu d’exercer le contrôle […] du caractère libératoire du paiement » ;
Attendu qu’aux termes de l’article 38 du même décret, lorsqu'à l'occasion de l'exercice des contrôles prévus au 2° de l'article 19 susmentionné le comptable public a constaté des irrégularités ou des inexactitudes dans les certifications de l'ordonnateur, il suspend le paiement et en informe l'ordonnateur ;
Sur les faits
Attendu que le 26 mai 2015 a été émis, pour le montant de 3 366,13 €, le mandat n° 1326 en paiement de la rémunération due au directeur administratif et financier de l’établissement pour le mois de mai 2015, une somme de 980 € ayant été retenue sur le montant de la rémunération qui était de 4 346,13 €, montant mentionné dans le réquisitoire ; que, le 20 août 2015, a été émis, pour le montant de 4 339,33 €, le mandat n° 2351 en paiement de la rémunération due au même directeur pour le mois d’août 2015 ;
Attendu que le paiement des deux sommes ci-dessus a été effectué non sur le compte bancaire de l’agent, mais sur celui d’une SARL qui louait un appartement à ce dernier ;
Attendu qu’à l’appui du premier mandat était joint un courriel du 26 mai 2015 par lequel le directeur administratif et financier demandait que sa rémunération de mai 2015 soit versée sur son second compte bancaire, en précisant que le relevé d’identité bancaire (RIB) correspondant à ce second compte avait été « déjà enregistré » et en donnant les références dudit compte ; que sur ledit bulletin de paye joint au mandat les références du compte bancaire avaient été rayées à la main et sous les ratures avait été portée la mention manuscrite « voir mail ci-joint » ;
Attendu qu’au second mandat se rattachait un courriel du 20 août 2015 par lequel le directeur administratif et financier demandait que sa rémunération d’août 2015 soit versée sur son « second compte rattaché » ; que le bulletin de paye joint au mandat, sur lequel figuraient les références au compte bancaire ouvert au nom du directeur administratif et financier, ne portait aucune rature ni renvoi au message numérique du 20 août 2015 ;
Sur les éléments apportés à décharge par le comptable
Attendu que dans ses observations susvisées M. X a invoqué les conditions dans lesquelles il avait exercé ses fonctions, en l’occurrence le fait que la fixation de la durée initiale du service hebdomadaire de l’agent comptable, qui était de deux demi-journées, n’avait pas été modifiée, alors que l’activité de l’établissement public n’avait pas cessé d’augmenter depuis sa création ;
Attendu qu’il a également produit un courriel adressé le 26 mai 2015 à l’agent responsable de la comptabilité par le directeur administratif et financier par lequel celui-ci avait prétendu que le RIB du destinataire du versement avait déjà été enregistré par le passé ; qu’il a fait valoir qu’il ne pouvait pas mettre en doute la parole du directeur administratif et financier de l’établissement ; qu’il ne lui était matériellement pas possible de vérifier, tous les mois, l’ensemble des RIB des cinquante membres du personnel de l’établissement et que les deux paiements avaient été sans incidence financière pour l’établissement ;
Sur l’application au cas d’espèce
Attendu que la confrontation des mandats de paiement et du RIB aurait nécessairement conduit l’agent comptable à constater que l’agent n’était pas le titulaire du compte bancaire sur lequel les paiements ont été effectués ; qu’en versant les deux rémunérations sur un compte bancaire qui n’était pas ouvert au nom du véritable créancier, le comptable a manqué à l’obligation qui était la sienne de s’assurer du caractère libératoire des paiements ;
Attendu au surplus que, en ce qui concerne le second mandat, les références du compte bancaire indiquées sur le mandat n’étaient pas les mêmes que celles figurant sur le bulletin de paye ;
Attendu que les observations du comptable, selon lesquelles il ne pouvait matériellement pas vérifier la conformité des rémunérations mensuelles avec les RIB correspondants, sont inopérantes en ce qui concerne la constatation du manquement proprement dit, le contrôle du caractère libératoire des paiements nécessitant précisément une telle vérification ; que l’agent concerné ait été le directeur administratif et financier de l’établissement est indifférent à cet égard ; que les éléments de contexte avancés par le comptable ne peuvent être utilement invoqués à décharge devant le juge des comptes au stade du constat d’un manquement ; qu’il y a donc lieu d’engager la responsabilité personnelle et pécuniaire de M. X au titre de l’exercice 2015 ;
Sur l’existence d’un préjudice financier pour l’établissement public
Attendu qu’un paiement non libératoire qui n’est pas remboursé cause en principe un préjudice à la collectivité, la somme demeurant due au véritable créancier ;
Attendu toutefois qu’il ressort des pièces du dossier que c’est à la demande expresse du directeur administratif et financier lui-même que les rémunérations qui lui étaient dues ont été versées sur un compte bancaire dont il n’était pas le titulaire ; que dans ces conditions, l’intéressé ne serait pas fondé à demander un second paiement à l’établissement ; que, de la sorte, au cas d’espèce, le manquement du comptable n’a pas causé de préjudice financier à l’établissement ;
Attendu qu’aux termes du deuxième alinéa du VI de l’article 60 de la loi susvisée du 23 février 1963, lorsque le manquement du comptable aux obligations fixées par le I du même texte n’a pas causé de préjudice financier à l’organisme public dont il est le comptable, le juge des comptes peut l’obliger à s’acquitter d’une somme arrêtée, pour chaque exercice, en tenant compte des circonstances de l’espèce ; que le montant maximal de ladite somme a été fixé, par le décret du 10 décembre 2012 susvisé, à un millième et demi du montant du cautionnement du comptable ; que, le montant du cautionnement de M. X étant de 177 000 €, le montant maximum de la somme non rémissible pouvant être mise à la charge de ce comptable s’élève à 265,50 € ;
Attendu qu’il sera fait une juste appréciation des circonstances de l’espèce en arrêtant à 200 € la somme à acquitter par M. X ;
Par ces motifs,
Décide :
Charge n° 1. Exercice 2015.
Article 1. – M. X est constitué débiteur envers l’établissement public national d’aménagement et de restructuration des espaces commerciaux et artisanaux de la somme de 5 954,17 € , augmentée des intérêts de droit à compter du 9 janvier 2018.
Charge n° 2. Exercice 2015.
Article 2. – M. X devra s’acquitter d’une somme de 200 €, en application du deuxième alinéa du VI de l’article 60 de la loi n° 63-156 du 23 février 1963 ; cette somme ne peut pas faire l’objet d’une remise gracieuse en vertu du IX de l’article 60 de la loi précitée.
Article 3. – M. X ne pourra être déchargé de sa gestion pendant l’année 2015 qu’après apurement du débet et de la somme non rémissible ci-dessus fixés.
Fait et jugé par M. Philippe GEOFFROY, président de section, présidant la formation de délibéré, MM. Daniel-Georges COURTOIS, Noël DIRICQ, Bruno
ORY-LAVOLLEE et Christophe ROSENAU, conseillers maîtres.
En présence de Mme Marie-Hélène PARIS-VARIN, greffière de séance.
Marie-Hélène PARIS-VARIN |
Philippe GEOFFROY |
En conséquence, la République française mande et ordonne à tous huissiers de justice, sur ce requis, de mettre ledit arrêt à exécution, aux procureurs généraux et aux procureurs de la République près les tribunaux de grande instance d’y tenir la main, à tous commandants et officiers de la force publique de prêter main-forte lorsqu’ils en seront légalement requis.
Conformément aux dispositions de l’article R. 142-20 du code des juridictions financières, les arrêts prononcés par la Cour des comptes peuvent faire l’objet d’un pourvoi en cassation présenté, sous peine d’irrecevabilité, par le ministère d’un avocat au Conseil d’État dans le délai de deux mois à compter de la notification de l’acte. La révision d’un arrêt ou d’une ordonnance peut être demandée après expiration des délais de pourvoi en cassation, et ce dans les conditions prévues au I de l’article R. 142-19 du même code.
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