S2018-1602 | 1 / 4 |
République Française, Au nom du peuple français,
La Cour, |
|
Vu la requête enregistrée le 17 juin 2016 au greffe de la chambre régionale des comptes d’Aquitaine, Limousin, Poitou-Charentes, par laquelle le procureur financier près ladite chambre a élevé appel du jugement n° 2016-0014 du 18 avril 2016 par lequel cette chambre a notamment engagé la responsabilité de M. X, comptable de la commune de Niort et a mis à la charge de ce dernier une somme non rémissible de 256,50 €, au titre de l’exercice 2011 ;
Vu les pièces de la procédure suivie en première instance et notamment le réquisitoire du procureur financier près la chambre régionale d’Aquitaine, Poitou-Charentes
n° 2015-0028 du 1er juin 2015 ;
Vu le code des juridictions financières ;
Vu l’article 60 modifié de la loi de finances n° 63-156 du 23 février 1963 modifiée ;
Vu le décret n° 62-1587 du 29 décembre 1962 portant règlement général sur la comptabilité publique, en vigueur au moment des faits ;
Vu le rapport de M. Rainier d’HAUSSONVILLE, conseiller référendaire, chargé de l’instruction ;
Vu les conclusions du Procureur général n° 327 du 25 mai 2018 ;
Entendu lors de l’audience publique du 31 mai 2018, M. Rainier d’HAUSSONVILLE, en son rapport, Mme Loguivy ROCHE, avocate générale, en les conclusions du ministère public, les autres parties, informées de l’audience, n’étant ni présentes, ni représentées ;
Entendu en délibéré M. Jean-Yves BERTUCCI, conseiller maître, réviseur, en ses observations ;
Attendu que par le jugement entrepris, la chambre régionale des comptes d’Aquitaine, Limousin, Poitou-Charentes a engagé la responsabilité personnelle et pécuniaire de M. X au titre de l’exercice 2011 pour avoir, par mandat n° 23 239 du 20 décembre 2011 d’un montant de 350 000 €, versé une subvention du budget général de la commune au budget annexe de la foire exposition de la commune de Niort, sur la seule base d’un certificat administratif non signé ; qu’elle a en outre jugé que ce manquement du comptable n’avait pas entraîné de préjudice financier pour la commune de Niort et mis à la charge de M. X une somme non rémissible de 256,50 €, au titre de la charge n° 3 ;
Attendu que, dans sa requête en appel, le procureur financier sollicite l’annulation de l’article 3 du jugement entrepris en invoquant des atteintes au caractère contradictoire de la procédure ; qu’il demande en outre à la Cour d’évoquer l’affaire au fond ; que, dans le cadre de cette évocation ou, à titre subsidiaire, par l’effet dévolutif de l’appel dans le cas où il n’obtiendrait pas cette annulation, il invite la Cour à s’écarter du raisonnement suivi par la chambre régionale des comptes et à considérer que la responsabilité personnelle et pécuniaire de M. X ne doit pas être engagée en l’espèce et qu’il y a lieu de le décharger de sa gestion pour l’exercice 2011 ;
Sur la régularité du jugement entrepris
Attendu que selon l’article R. 241-10 du code des juridictions financières en vigueur à la date du jugement entrepris, « le jugement, motivé, statue sur les propositions du rapporteur, les conclusions du ministère public et les observations des autres parties » ;
Attendu que ledit jugement n’a pas discuté l’argument avancé par M. X, et repris par le ministère public en ses conclusions, selon lequel la caisse de la collectivité n’a pas été ouverte car le mandat litigieux se borne à réaliser un transfert financier du budget principal vers le budget annexe de la commune et qu’il n’existe dès lors pas de décaissement ni donc pas de manquement du comptable à ses obligations limitativement définies par l’article 60 susvisé de la loi du 23 février 1963 ; qu’à défaut de discussion explicite de cet argument, l’article 3 du jugement est par conséquent entaché d’irrégularité et doit être annulé, en ce que le caractère contradictoire de la procédure rappelé par l’article R. 241-10 précité a ainsi été violé ; que, l’affaire étant en état d’être jugée, il y a lieu pour la Cour de l’évoquer, ainsi que le demande l’appelant ;
Sur le fond
Attendu que, par son réquisitoire susvisé du 1er juin 2015, le procureur financier près la chambre régionale des comptes d’Aquitaine, Poitou-Charentes a soulevé une charge à l’égard de M. X pour avoir payé le mandat n° 23 239 du 20 décembre 2011 sans disposer des pièces justificatives exigées à l’appui de toute subvention, c’est-à-dire d’une décision d’attribution de cette subvention prise par l’organe délibérant de la collectivité ;
Attendu que l’appelant fait valoir, comme tant lui-même que le comptable l’avaient déjà fait devant les premiers juges, que le mandat incriminé concerne le versement d’une subvention d’équilibre du budget principal au budget annexe de la commune de Niort, sans décaissement effectif de la commune ; que, selon lui, lorsque l’article 60 susvisé de la loi du 23 février 1963 dispose que la responsabilité personnelle et pécuniaire du comptable public est engagée dans le cas où une « dépense a été irrégulièrement payée », il convient d’entendre qu’il s’agit exclusivement de dépenses ayant donné lieu à un décaissement ; qu’au cas d’espèce, même si le budget annexe bénéficiaire de la subvention est celui d’un service public industriel et commercial doté de l’autonomie financière et disposant de ce fait de son propre compte au Trésor, le transfert financier s’est effectué entre deux entités composant la même personne morale et ne saurait donc, en l’absence de décaissement effectif, être assimilé à une « dépense irrégulièrement payée » au sens de l’article 60 ;
Attendu que, dans ses conclusions susvisées, le Procureur général près la Cour des comptes considère, au contraire, qu’ « en l’espèce il y a bien eu décaissement puisque la commune et son service public industriel et commercial avaient deux comptes au trésor différents » et que « le fait que les deux comptes appartiennent à une même personne morale est sans effet sur la réalité du flux monétaire entre le compte de la commune et celui de sa régie » ; qu’il observe subsidiairement que la responsabilité personnelle et pécuniaire du comptable public peut, dans certains cas, être engagée par une dépense qui ne s’accompagne pas d’un décaissement ; qu’il en est, par exemple, ainsi pour les mandats d’admission en non-valeur d’une créance s’ils ne sont pas assortis des pièces justificatives requises ;
Attendu qu’il n’est pas discuté que le service public industriel et commercial dont les recettes et les dépenses sont prévues dans le budget annexe de la foire exposition de la ville de Niort disposait de l’autonomie financière et d’un compte spécifique au Trésor, mais pas d’une personnalité morale distincte de celle de la commune ; que le budget principal de la commune et ce budget annexe formaient donc deux composantes d’un unique budget voté par le même organe délibérant et dont l’exécution était retracée dans un unique compte financier, celui de la ville de Niort ;
Attendu que, dans ces conditions, le versement d’une subvention exceptionnelle du budget principal au budget annexe d’un service public industriel et commercial ainsi organisé, s’il est soumis à des conditions restrictives par le code général des collectivités territoriales, n’est pas pour autant assimilable, en ce qui concerne les obligations qui pèsent sur le comptable public, au versement d’une subvention à un organisme disposant d’une personnalité morale distincte ; qu’en effet, le mandat incriminé n’a pas eu pour objet de libérer la commune d’une dette ou d’un engagement à l’égard d’une personne morale distincte et ne s’est pas traduit par un flux monétaire qui serait sorti du périmètre financier de ladite collectivité ; qu’ainsi la prise en charge de ce mandat dans la comptabilité de la commune ne constitue pas le paiement d’une dépense au sens de l’article 60 susvisé et ne peut donc motiver la mise en jeu de la responsabilité personnelle et pécuniaire du comptable dans le cadre limitativement défini par ledit article 60 ;
Attendu, par ailleurs, que le cas des mandats d’admission en non-valeur insuffisamment justifiés ne comporte pas de rapport direct avec la présente espèce car, s’il illustre effectivement une hypothèse dans laquelle le juge des comptes a estimé être en présence de dépenses irrégulièrement payées au sens de l’article 60, c’est parce que l’admission en non-valeur, en constatant budgétairement la perte d’une recette antérieurement comptabilisée, produit, en l’absence de tout décaissement, les mêmes effets qu’une dépense sur les finances de l’organisme public concerné, ce qui n’est pas le cas d’un transfert financier entre deux budgets de la même personne morale ;
Attendu qu’il n’y a donc pas lieu d’engager la responsabilité de M. X au titre de la première charge soulevée par le réquisitoire susvisé ;
Attendu que la chambre régionale des comptes Nouvelle-Aquitaine est seule compétente pour statuer sur la décharge de M. X au titre de sa gestion du 5 janvier 2011 ;
Par ces motifs,
DECIDE :
Article 1er. – Le jugement n° 2016-0014 du 18 avril 2016 de la chambre régionale des comptes d’Aquitaine, Limousin, Poitou-Charentes est annulé en ce qu’il a décidé de mettre à la charge de M. X une somme non rémissible de 256,50 € au titre de la charge n° 3.
Article 2. – Il n’y a pas lieu d’engager la responsabilité personnelle et pécuniaire de M. X au titre de la troisième charge soulevée par le réquisitoire n° 2015-0028 du 1er juin 2015 du procureur financier près la chambre régionale d’Aquitaine, Poitou-Charentes.
Article 3. – La chambre régionale des comptes Nouvelle-Aquitaine est compétente pour statuer sur la décharge de M. X en ce qui concerne sa gestion au cours de l’exercice 2011.
Fait et jugé en la Cour des comptes, quatrième chambre, première section. Présents : M. Yves ROLLAND, président de section, président de séance,
MM. Jean-Yves BERTUCCI et Denis BERTHOMIER, conseillers maîtres et Mmes Dominique DUJOLS et Isabelle LATOURNARIE-WILLEMS, conseillères maître.
En présence de M. Aurélien LEFEBVRE, greffier de séance.
Aurélien LEFEBVRE
|
Yves ROLLAND
|
En conséquence, la République française mande et ordonne à tous huissiers de justice, sur ce requis, de mettre ledit arrêt à exécution, aux procureurs généraux et aux procureurs de la République près les tribunaux de grande instance d’y tenir la main, à tous commandants et officiers de la force publique de prêter main-forte lorsqu’ils en seront légalement requis.
Conformément aux dispositions de l’article R. 142-20 du code des juridictions financières, les arrêts prononcés par la Cour des comptes peuvent faire l’objet d’un pourvoi en cassation présenté, sous peine d’irrecevabilité, par le ministère d’un avocat au Conseil d’État dans le délai de deux mois à compter de la notification de l’acte. La révision d’un arrêt ou d’une ordonnance peut être demandée après expiration des délais de pourvoi en cassation, et ce dans les conditions prévues au I de l’article R. 142-19 du même code.
13 rue Cambon - 75100 PARIS CEDEX 01 - T +33 1 42 98 95 00 - www.ccomptes.fr |
|