S2018-1365 | 1 / 11 |
TROISIEME CHAMBRE ------- Quatrième section ------- Arrêt n° S2018-1365
Audience publique du 16 mars 2018
Prononcé du 17 mai 2018
| ÉCOLE NATIONALE DES PONTS ET CHAUSSÉES (ENPC)
Exercices 2011 à 2015
Rapport n° R-2018-0051
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République Française,
Au nom du peuple français,
La Cour,
Vu le réquisitoire n° 2017-31 RQ-DB en date du 5 juillet 2017, par lequel le Procureur général près la Cour des comptes a saisi la septième chambre de la Cour des comptes (devenue la deuxième au 1er janvier 2018) de charges soulevées à l’encontre de Mme X et de M. Y, agents comptables de l’École nationale des ponts et chaussées (ENPC), au titre des exercices 2011 à 2015, notifié le 21 juillet 2017 aux agents comptables concernés ;
Vu les comptes rendus en qualité de comptables de l’École nationale des ponts et chaussées, par Mme X, du 1er janvier 2011 au 2 juin 2014, et M. Y, à compter du 3 juin 2014 ;
Vu les justifications produites au soutien des comptes en jugement ;
Vu le code des juridictions financières ;
Vu l’article 60 modifié de la loi de finances n° 63-156 du 23 février 1963 ;
Vu le décret n° 62-1587 du 29 décembre 1962 portant règlement général sur la comptabilité publique alors en vigueur et le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique ;
Vu le décret n° 2012-1386 du 10 décembre 2012 portant application du deuxième alinéa du VI de l’article 60 de la loi de finances de 1963 modifié dans sa rédaction issue de l’article 90 de la loi n° 2011-1978 du 28 décembre 2011 de finances rectificative pour 2011 ;
Vu le décret n° 93-1289 du 8 décembre 1993 modifié relatif à l'Ecole nationale des ponts et chaussées ;
Vu le code de l’éducation et l’ensemble des dispositions applicables aux établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel ;
Vu les arrêtés du Premier président de la Cour des comptes n° 17-363 portant organisation de la Cour des comptes et de ses travaux, en date du 20 juillet 2017, et
n° 2017-887, en date du 20 décembre 2017, pris pour l’application du premier, fixant la répartition entre les chambres du contrôle des organismes relevant d’une compétence obligatoire de la Cour des comptes ;
Vu le rapport n° R-2018-0051 à fin d’arrêt de Mme Catherine PAILOT-BONNÉTAT, conseillère maître, magistrat chargé de l’instruction ;
Vu les conclusions n° 172 du Procureur général du 12 mars 2018 ;
Entendu lors de l’audience publique du 16 mars 2018, Mme Catherine PAILOT-BONNÉTAT, conseillère maître, en son rapport, M. Benoît GUÉRIN, avocat général, en les conclusions du ministère public, Mme X, comptable, présente ayant eu la parole en dernier ;
Entendu en délibéré M. Gilles MILLER, conseiller maître, réviseur, en ses observations ;
Attendu qu’à dater du 1er janvier 2018, le Premier président de la Cour des comptes a, aux termes des arrêtés susvisés, attribué l’exercice des compétences de contrôle obligatoire, reconnues à la Cour portant sur l’Ecole nationale des ponts et chaussées, précédemment attribuées à la septième chambre, à la troisième chambre ;
Sur la charge n° 1, soulevée à l’encontre de Mme X, au titre de l’exercice 2014 :
Attendu que, par le réquisitoire susvisé, le Procureur général a saisi la Cour des comptes (septième chambre) de la responsabilité encourue par Mme X à raison du solde débiteur du compte 275-5 au 31 décembre 2014, d’un montant de 117 615,78 €, correspondant à cinq ordres de paiement établis entre 2003 et 2006 relatifs à des provisions pour bourses ; que ni la convention de mandat du 10 août 1994 passée entre l’ENPC et le Centre international des étudiants et stagiaires, ni le premier avenant du 20 janvier 2000, ni le second avenant de transfert à Campus France, ne permettraient de justifier les montants versés à un tiers et maintenus au compte 275-5, ni les conditions de leur régularisation ; que ce solde aurait fait l’objet de réserves de la part de M. Y sur la gestion de son prédécesseur au motif que la justification de ces provisions versées n’était pas établie ; « que le défaut de justification de ce solde, inchangé au cours des exercices en jugement, pouvant être constitutif d’un déficit ou d’un manquant en monnaie ou en valeurs, ainsi que le défaut de récupération des sommes concernées seraient présomptifs d’irrégularités susceptibles de fonder la mise en jeu de la responsabilité personnelle et pécuniaire de Mme X à hauteur de 117 615,78 €, au titre de l’exercice 2014, lors de sa sortie de fonction » ;
Sur le droit applicable
Attendu qu’en application de l’article 60 de la loi n° 63-156 du 23 février 1963, « les comptables sont personnellement et pécuniairement responsables du recouvrement des recettes, du paiement des dépenses, de la garde et de la conservation des fonds et valeurs appartenant ou confiés aux différentes personnes morales de droit public dotées d’un comptable public (…), du maniement des fonds et des mouvements de comptes de disponibilités, de la conservation des pièces justificatives des opérations et documents de comptabilité ainsi que de la tenue de la comptabilité du poste comptable qu’ils dirigent » ; que la responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables publics « se trouve engagée dès lors qu’un déficit ou manquant en monnaie ou en valeurs a été constaté, qu’une recette n’a pas été recouvrée,(…) » ;
Sur les faits
Attendu que le compte 275-5 enregistre de façon extrabudgétaire les provisions pour gestion des bourses d’étudiants versées, par l’Ecole nationale des ponts et chaussées, à un organisme (Campus France successeur du Centre international des étudiants et stagiaires, ex Egide) auquel l’Ecole confie cette gestion par mandat ;
Attendu que le compte 275-5 Cautionnements présentait encore à la clôture de l’exercice 2014, un solde débiteur de 117 615,78 € qui se décompose :
- d’une part, en un montant de 5 615,78 €, « ENPC secrétariat général », destiné à la bourse d’un seul étudiant japonais, compte inutilisé depuis 2006, ainsi que l’a confirmé Campus France ;
- d’autre part, en un ensemble de provisions pour cautionnement, dits « ENPC recherche », d’un montant global de 112 000 €, qui n’a pas évolué depuis 2008 ;
Attendu que le successeur de Mme X a formulé des réserves le 29 août 2015, au nombre desquelles figure la justification du solde du compte 275-5 ;
Attendu enfin que, depuis l’ouverture de la présente instance, l’Ecole a manifesté en juin 2017 sa volonté de récupérer le montant du cautionnement du compte « ENPC secrétariat général », qui a été intégralement remboursé par Campus France à l’ENPC le 15 septembre 2017 ;
Sur les éléments apportés à décharge par l’agent comptable et par l’ordonnateur
Attendu que Mme X fait valoir la parfaite coïncidence des soldes dans ses écritures avec celles de Campus France « dont le comptable confirme vouloir rembourser le dépôt de 117 615,78 € » ; qu’elle précise en outre qu’elle n’est pas l’auteur des mouvements constitutifs du solde débiteur et que sa responsabilité ne pourrait pas être recherchée, au regard de l’article 60 de la loi de 1963, du seul fait du maintien en comptabilité du solde débiteur ;
Attendu qu’elle invoque également la prescription de l’action en responsabilité du comptable pour des opérations datant de 2003 et de 2006 ;
Attendu enfin qu’elle estime que si le maintien de ce solde débiteur en comptabilité lui était reproché, il ne pourrait en résulter un préjudice financier susceptible d’être imputé à sa gestion ;
Attendu, par ailleurs, que l’ordonnateur confirme les écritures de l’agent comptable et ajoute que « l’ENPC confie la gestion de ses boursiers étrangers à Campus France (ex-Egide) dans le cadre de la convention du 10 août 1994, et sa volonté d’ordonnateur de maintenir ce cadre de gestion des boursiers étrangers » ;
Sur l’existence éventuelle d’un manquement
Attendu, sans qu’il soit nécessaire de répondre aux différents points de cette argumentation, que Mme X ne peut être tenue pour responsable de la justification des écritures comptables antérieures à sa prise de fonction, mais des seules diligences entreprises pour l’apurement de soldes débiteurs qui demeurent inexpliqués ;
Attendu qu’il ressort du dossier que le prédécesseur de Mme X avait adressé à l’ordonnateur le 15 octobre 2009, une note demeurée sans réponse à propos du cautionnement d’un montant de 5 168,75 € ; que cette somme a ensuite fait l’objet d’un remboursement le 15 septembre 2017, apurant du même coup le déficit du compte 275-5 à due concurrence ;
Attendu que, le 21 janvier 2014, Mme X a posé à l’ordonnateur la question du maintien en comptabilité du reste du cautionnement, soit 112 000 €, question également restée sans réponse jusqu’à une période récente ;
Mais attendu que l’utilité du compte « ENPC recherche » a été réaffirmée par l’ordonnateur, dans sa lettre en réponse au réquisitoire en date du 31 août 2017, confirmant ainsi en même temps que le caractère « actif » du compte, sa volonté de maintenir le système des cautionnements pour un montant identique, justifiant ainsi le solde débiteur subsistant à ce jour de 112 000 € ;
Attendu qu’en conséquence, il n’y a pas lieu de mettre en jeu la responsabilité de Mme X à raison de la charge n° 1 au titre de sa gestion de l’exercice 2014 ;
Sur le droit applicable aux charges n° 2 à 5
Attendu qu’en application de l’article 60 de la loi n° 63-156 du 23 février 1963, les comptables sont, entre autres, personnellement et pécuniairement responsables du recouvrement des recettes et que cette responsabilité se trouve engagée dès lors « qu’une recette n’a pas été recouvrée (…) » ;
Attendu qu’aux termes des articles 11 et 12 du décret n° 62-1587 du 29 décembre 1962 portant règlement général sur la comptabilité publique, applicable jusqu’à la clôture de l’exercice 2012, les comptables publics sont seuls chargés « de la prise en charge et du recouvrement des ordres de recettes qui leur sont remis par les ordonnateurs, des créances constatées par un contrat, un titre de propriété ou autre titre dont ils assurent la conservation ainsi que de l’encaissement des droits au comptant et des recettes de toute nature que les organismes publics sont habilités à recevoir (…)» ; que les comptables publics sont tenus d’exercer le contrôle « de l’autorisation de percevoir la recette ; (…) de la mise en recouvrement des créances de l’organisme public et de la régularité des réductions et des annulations des ordres de recettes » ;
Attendu qu’aux termes des articles 17 à 20 du décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012, applicable à partir du 1er janvier 2013, « les comptables publics sont personnellement et pécuniairement responsables des actes et contrôles qui leur incombent » ; que le comptable public est seul chargé, dans le poste comptable qu’il dirige, notamment de la prise en charge des ordres de recouvrer qui lui sont remis par les ordonnateurs ; du recouvrement des ordres de recouvrer et des créances constatées par un contrat, un titre de propriété ou tout autre titre exécutoire ; de l’encaissement des ordres au comptant et des recettes liées à l’exécution des ordres de recouvrer (…) » ; que les comptables publics sont tenus d’exercer le contrôle « de la régularité de l’autorisation de percevoir la recette ; (…) de la mise en recouvrement des créances et de la régularité des réductions et des annulations des ordres de recouvrer » ;
Attendu qu’à cette fin les comptables doivent, notamment, apporter la preuve de l’accomplissement de diligences adéquates, complètes et rapides, sauf à dégager leur responsabilité en faisant la démonstration de l’irrécouvrabilité desdites recettes avant leur entrée en fonction, notamment par la formulation de réserves motivées et précises ;
Sur la charge n° 2, soulevée à l’encontre de Mme X, au titre de l’exercice 2011 :
Attendu que, par le réquisitoire susvisé, le Procureur général a saisi la Cour des comptes (septième chambre) de la responsabilité encourue par Mme X à raison de l’admission en non-valeur de l’ordre de recette n° 5/2005, prise en charge par le mandat n° 2773 bordereau 358 du 18 mai 2011 ; que la preuve des diligences alléguées par l’agent comptable en vue du recouvrement de la créance entre 2005 et 2010 n’aurait pas été apportée ;
Sur les faits
Attendu que la somme non recouvrée correspond au solde d’un trop versé sur salaires, datant de novembre 2004 à février 2005, la personne débitrice ayant cessé d’honorer un échéancier de remboursement auquel elle s’était d’abord soumise ;
Attendu que l’admission en non-valeur du solde de cette créance, maintenue à son niveau de 2007, a été prise en charge, après décision n° SG 2011-45 du 9 mai 2011 du directeur de l’école, par le mandat n° 2773 bordereau 358 du 18 mai 2011 d’un montant de 1 876,01 € ;
Sur les éléments apportés à décharge par l’agent comptable et par l’ordonnateur
Attendu que Mme X fait valoir que la preuve des diligences est apportée dans les documents qu’elle joint à sa réponse au réquisitoire, notamment les « copies des lettres de rappel envoyées régulièrement entre 2005 et 2010 » ;
Attendu que la comptable fait état de sa demande à l’ordonnateur d’une autorisation de poursuivre le recouvrement de la créance, qui n’a pas été accordée ; qu’à l’appui de son argumentation, Mme X apporte la preuve d’un courrier électronique, en date du 18 avril 2011, par lequel le responsable des ressources humaines de l’Ecole lui indique que le directeur de l'établissement « s’interroge sur l'opportunité d'engager les poursuites », message qui laisse supposer que la demande d’autorisation a bien été reçue par l’ordonnateur, ainsi que rappelé lors de la demande d'admission en non-valeur de ladite somme ;
Attendu que l’ordonnateur a adressé à la Cour « des pièces complémentaires au dossier justifiant les démarches réalisées dans le cadre du recouvrement », identiques à celles fournies par Mme X, qui demande à ce que cette réponse soit regardée comme un commencement de preuve au sens de l'article 1362 du code civil ;
Sur l’existence éventuelle d’un manquement
Attendu qu’il ressort effectivement des pièces du dossier, que les agents comptables qui se sont succédé entre 2005 et 2010 n’ont effectivement pas eu les moyens de poursuivre le recouvrement de l’ordre de recette n° 5/2005 bordereau 5 du 16 mai 2005, l’ordonnateur n’ayant jamais autorisé l’exécution forcée du recouvrement de la créance ;
Attendu dès lors que les modalités, régulières en la forme, de son admission en non-valeur, par le directeur de l’Ecole, en 2011, qui tiraient les conclusions de son refus d’autoriser les poursuites, ne sont pas susceptibles de fonder la mise en jeu de la responsabilité de Mme X ;
Attendu qu’en conséquence, il n’y a pas lieu de mettre en jeu de Mme X à raison de la charge n° 2 au titre de sa gestion de l’exercice 2011 ;
Sur la charge n° 3, soulevée à l’encontre de Mme X, au titre de l’exercice 2013 :
Attendu que, par le réquisitoire susvisé, le Procureur général a saisi la Cour des comptes (septième chambre) de la responsabilité encourue par Mme X à raison de l’absence de recouvrement d’une créance d’un montant de 2 338,18 € figurant au débit du compte
409-11 « avances versées sur commandes, et admise en non-valeur par décision de l’ordonnateur n° SG 2015-32 du 24 novembre 2015 ; que cette créance correspondrait à une avance versée dans le cadre d’un marché de maîtrise d’œuvre concernant la réfection de couvertures et façades, avance qui aurait fait l’objet d’un ordre de paiement n° 349 émis le 5 avril 2004, mais qui n’aurait pas été récupérée sur les mandats ultérieurs de paiement du marché ; que les diligences du comptable en vue du recouvrement de cette créance, désormais irrécouvrable, n’apparaîtraient pas suffisantes, seuls des projets de courriers simples datant de 2011 ayant été produits ; que l’admission en non-valeur, a été effectuée en 2015, sous la gestion du successeur de Mme X, qui aurait émis des réserves sur cette créance ; que le recouvrement serait apparu d’ores et déjà compromis à cette date, la prescription de recouvrement étant intervenue le 19 juin 2013 aux termes de l’article 26 de la loi n° 20078-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile ;
Sur les faits
Attendu que l’ordre de paiement n° 349 avait été émis le 5 avril 2004 afin de régler deux avances différentes aux comandataires du marché de maîtrise d’œuvre (architecte Mme B.) passé à l’occasion de la réfection des couvertures de l’ENPC ; que la première, correspondant au lot n° 1 du marché de maîtrise d’œuvre, a été compensée par une retenue du même montant effectuée sur le mandat n° 4877/06 du 8 août 2006, si bien que seule restait à recouvrer l’avance correspondant au lot n° 2 ;
Attendu, par ailleurs, que le successeur de Mme X a émis une réserve ainsi libellée « Dossier Anne B. pour 2 338,18 €. Une avance a été effectuée par OP 349/04 le 05/04/2004. Cette avance a été récupérée partiellement, le solde est de 2 338,08 €. Cette somme n’a pas été récupérée lors du dernier paiement en 2009 » ;
Attendu qu’il apparaît donc que la somme, subsistant au débit du compte
« d’avances versées sur commandes » 409-1, constitue le solde non récupéré d’une avance accordée à l’architecte, à l’occasion de la conclusion en 2004 d’un marché de maîtrise d’œuvre, qui n’apparaît pas avoir fait l’objet de l’émission d’un titre au vu du dossier ; qu’il ressort en outre de l’instruction que le marché passé en 2004 n’avait pas encore fait l’objet d’un décompte général et définitif lors de la sortie de fonctions de Mme X ;
Sur les éléments apportés à décharge par l’agent comptable
Attendu que Mme X fait valoir que le solde du compte 409-11 résulte d’une opération en dépense injustifiée intervenue en 2004, soit cinq ans avant son installation, et qu’elle n’est donc pas à l’origine du versement de cette avance ;
Attendu qu’elle fait la démonstration que, par courrier du 31 août 2010, l’architecte débitrice réclame au nom des comandataires des intérêts moratoires, et propose une compensation entre ces intérêts et le remboursement de l’avance forfaitaire qui lui auraient été versés à tort en 2004 ; que la comptable en conclut la manifestation explicite d’une « reconnaissance de dette (qui) interrompt la prescription », intervenue dès lors en 2015 ;
Attendu que Mme X indique en outre que l’absence d’émission de titre exécutoire n’a pas permis de poursuivre le recouvrement, mais qu’elle n’a pu apporter la preuve du refus de l’ordonnateur en la matière ;
Sur l’existence éventuelle d’un manquement
Attendu que, selon les dispositions comptables en vigueur, l’avance forfaitaire de 5 % aurait pu certes être régularisée à la réception de la facture ou du mémoire de la débitrice par le crédit du même montant du compte 4091 « Fournisseurs - Avances et acomptes versés sur commandes » ou au cours des exercices suivants, notamment par compensation entre ladite créance et les éventuels mandatements ultérieurs, tant que la relation contractuelle avec l’architecte n’avait pas fait l’objet d’un dénouement ; qu’au demeurant, le versement d’une avance n’apparaît pas avoir donné lieu à l’émission d’un titre de recette ;
Attendu, toutefois, qu’aucun décompte général et définitif ni aucun règlement global du marché n’a été accepté par les parties, sous la gestion de Mme X, depuis les derniers versements connus, effectués par l’Ecole en 2009 ;
Attendu, en outre, que, dans un courrier du 31 août 2010 en réponse à une lettre de l’agent comptable reçue le 30 août, l’architecte « remercie de bien vouloir [lui] régler les intérêts moratoires non perçus, ainsi qu’à l’ensemble des sous-traitants, ce qui [lui] permettra alors de […] rétrocéder les 5 % d’avance forfaitaire » ; qu’elle confirme, implicitement, qu’aucun décompte général et définitif n’a encore été établi à cette date et suggère, explicitement, la compensation des deux créances réciproques ; qu’il y a lieu d’admettre que cette correspondance constitue une reconnaissance de dette écrite de la part de la débitrice de l’ENPC ; qu’en conséquence le dossier n’était pas réglé entre les parties, en 2010, et la somme de 2 338 € ne pouvait pas être regardée comme irrécouvrable lors de la sortie de fonctions de Mme X le 2 juin 2014 ;
Attendu que, quelles que soient les dispositions réglementaires ou contractuelles encadrant les modalités de reversement d’une avance dans le cadre d’un marché public, un tel versement ne constitue pas, aux termes du code des marchés publics applicable, un paiement définitif par l’acheteur public, les avances s’imputant sur les sommes dues au titulaire par précompte sur les sommes dues à titre d’acomptes, de règlement partiel définitif ou de solde ;
Attendu qu’il n’est pas contesté que la somme de 2 338 € a fait l’objet, en 2015 sous la gestion du successeur de Mme X, auteur de réserves sur cette créance, d’une admission en non-valeur selon des modalités qu’il n’appartient pas de discuter, la juridiction n’étant saisie par le réquisitoire susvisé que de la seule situation de Mme X ;
Attendu qu’en conséquence, il n’y a pas lieu de mettre en jeu la responsabilité de Mme X à raison de la charge n° 3 au titre de sa gestion sur les exercices 2013 et suivants ;
Sur la charge n° 4, soulevée à l’encontre de Mme X, au titre des exercices 2013 et 2014 :
Attendu que, par le réquisitoire susvisé, le Procureur général a saisi la Cour des comptes (septième chambre) de la responsabilité encourue par Mme X à raison du non-recouvrement du titre de recettes n° 497/2004 émis le 14 décembre 2004 pour un montant de 5 164,11 €, qui correspondrait à des pénalités de retard liées à l’exécution de la prestation
n° 2 du marché n° 2004-10016 ; qu’en l’absence d’acte interruptif de prescription, celle-ci apparaîtrait acquise le 19 juin 2013, aux termes de l’article 26 de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 et que, par décision n° SG 2015-32 du 24 novembre 2015, l’ordonnateur l’a admise en non-valeur ;
Sur les faits
Attendu qu’il n’est pas contesté que la créance originelle sur un fournisseur de prestation de téléphonie, d’un montant de 6 900 €, qui a fait l’objet d’un titre de recettes
n° 497/2004 bordereau 250 du 14 décembre 2004, a été partiellement réduite par compensation avec le mandat n° 2904/2005 bordereau 280 du 1er juin 2005, d’un montant de 1 735,89 € ; que le solde à recouvrer, à la suite d’un litige persistant avec la société débitrice, s’élève bien en conséquence à 5 164,11 € ;
Sur les éléments apportés à décharge par les agents comptables
Attendu que Mme X fait valoir qu’elle a émis, à sa prise de fonction le 1er novembre 2009, une réserve sur cette créance, sommairement libellée : « Compte 411124 : titre 497 de 2004, Neuf Telecom, reste à recouvrer 5 164,11 € » ; que ces réserves avaient pour objectif de lui « permettre, en tant que comptable entrant, d’éviter une mise en cause sur cette opération dont la régularisation était compromise lors de [sa] prise de fonction » ; qu’elle indique par ailleurs que la société débitrice était en litige, à propos de l’application de pénalités de retard, avec l’ENPC qui devait rédiger en 2011 un protocole transactionnel ;
Sur l’existence éventuelle d’un manquement
Attendu que les protocoles transactionnels entre les parties, conclus en 2005 et en 2006 ne portaient pas sur cette créance, qui n’avait fait l’objet ni de la compensation avec d’autres mandats, ni de l’émission d’un titre exécutoire par l’ordonnateur, éventuellement sollicité par l’agent comptable ;
Attendu, cependant, que Mme X, qui admet l’insuffisante motivation de sa réserve formulée en 2009, a apporté la preuve lors de l’audience, de l’existence d’un protocole transactionnel, conclu en 2011, et mentionnant précisément les obligations des deux parties, entre lesquelles la transaction est réputée avoir la force de la chose jugée, conformément aux dispositions du Code civil ; que le protocole transactionnel de 2011 a été versé au dossier de l’instance ;
Attendu, au demeurant, que son successeur a, pour sa part, émis une réserve ainsi libellée : « Le compte 416 fait apparaître des titres anciens et non réglés (TR 497/04 Neuf Telecom, […]) » ;
Attendu, en conséquence, que par l’effet des dispositions de l’article 26 de la loi
n° 2008-561 du 17 juin 2008, modifiant les modalités de computation des délais de la prescription de droit commun, et introduisant un régime de prescription quinquennale, applicable à l’action en recouvrement des comptables publics, les agents comptables successifs de l’ENPC disposent d’un délai de cinq ans à compter de la conclusion dudit protocole, en 2011, pour obtenir le recouvrement de la somme litigieuse, soit au-delà des gestions comptables examinées par la Cour des comptes ;
Attendu que Mme X, a quitté ses fonctions le 2 juin 2014 ;
Attendu qu’en conséquence, il n’y a pas lieu de mettre en jeu la responsabilité de Mme X à raison de la charge n° 4 au titre de sa gestion sur les exercices 2013 et 2014 ;
Sur la charge n° 5, soulevée à l’encontre de Mme X et de Monsieur Y, au titre des exercices 2011 à 2015 :
Attendu que, par le réquisitoire susvisé, le Procureur général a saisi la Cour des comptes (septième chambre) de la responsabilité encourue successivement par Mme X et par M. Y en raison du non-recouvrement de vingt créances pour un montant total de
50 164,41 €, créances qui auraient fait l’objet d’annulation ou de réduction au cours des exercices en jugement, entre 2011 et 2015 ; que ces annulations auraient été effectuées par mandats, notamment imputés au compte 658-3 « Charges de gestion courante provenant de l’annulation de titres de recettes » sans que les pièces à l’appui ne permettent au comptable de s’assurer de leur justification ; que les bordereaux journaux n° 24, 25 et 37 du 31 décembre 2011 auraient été pris en charge au cours du mois de janvier 2012 ; que « la responsabilité du comptable du fait du recouvrement des recettes s’apprécie notamment au regard des contrôles qu’il exerce sur la régularité des annulations de recettes ; que le défaut de justification de [ces annulations] pourrait être présomptif d’irrégularités susceptibles de fonder la mise en jeu de la responsabilité personnelle et pécuniaire de Mme X à hauteur de 440 464,41 € au titre des exercices 2011 à 2014 et de M. Y à hauteur de 109 700 € au titre des exercices 2014 et 2015, à déterminer selon les dates de prise en charge de ces écritures » ;
Sur les faits
Attendu que sont en réalité soumis à la Cour vingt dossiers distincts examinés au vu de l’intégralité des pièces justificatives jointes à l’appui des créances, portant soit sur des titres de recettes, ayant fait l’objet d’annulation partielle ou totale, suivie ou non de l’émission de nouveaux titres, soit de régularisation de charges à payer ; que ces vingt dossiers ont été examinés au vu de l’intégralité des pièces justificatives jointes à l’appui des titres ;
Sur les éléments apportés à décharge par les agents comptables et par l’ordonnateur
Attendu que les agents comptables ont fourni, titre par titre, les explications nécessaires et les justifications des opérations effectuées, qui sont identiques à celles qu’a également apportées l’ordonnateur ;
Attendu que celui-ci a en outre précisé que la somme de 550 164,41 € se décomposait en trois sous-ensembles, à savoir :
- 306 473,97 € d’annulation de pièces faisant suite à des erreurs matérielles (erreurs de titres, d’imputation, doublons élèves boursiers, erreurs sur le montant facturé…), pour lesquelles de nouveaux titres de recettes ont été émis ;
- 117 861,02 € ayant trait à des aléas de gestion de contrats relatifs à des prestations scientifiques ou académiques qui justifiaient l’annulation des titres de recettes ;
- 125 829,42 € de régularisation de pièces comptables conformément à la réglementation en vigueur (annulation de charges à payer notamment) ;
Attendu que, dans tous les cas cités ci-dessus, il est énoncé qu’aucune annulation de recettes ne dissimulait le défaut de recouvrement de créances ;
Sur l’existence éventuelle d’un manquement
Attendu que l’ensemble des annulations totales ou partielles relatives à ces différentes recettes étaient justifiées par les pièces produites, y compris les deux dossiers relatifs à l’annulation de charges à payer, dont la régularité a fait l’objet d’un examen complémentaire, les écritures d’extourne, étant plus complexes que les écritures prévues par les dispositions de l’instruction codificatrice M9-3, applicable à l’ENPC, du fait d’une écriture passée en régularisation d’une erreur initiale ;
Attendu qu’en conséquence, il n’y a pas lieu de mettre en jeu la responsabilité de Mme X à raison de la charge n° 5 au titre de sa gestion sur les exercices 2011 à 2014 ;
Attendu qu’en conséquence, il n’y a pas lieu de mettre en jeu la responsabilité de Monsieur Y à raison de la charge n° 5 au titre de sa gestion sur les exercices 2014 et 2015 ;
Par ces motifs,
DÉCIDE :
En ce qui concerne Mme X
Au titre de l’exercice 2014 (charge n°1)
Article 1er. – Il n’y a pas lieu de mettre en jeu la responsabilité de Mme X au titre de la charge n° 1.
Au titre de l’exercice 2011 (charge n°2)
Article 2. – Il n’y a pas lieu de mettre en jeu la responsabilité de Mme X au titre de la charge n° 2.
Au titre de l’exercice 2013 (charge n°3)
Article 3. – Il n’y a pas lieu de mettre en jeu la responsabilité de Mme X au titre de la charge n° 3.
Au titre de l’exercice 2013 (charge n° 4)
Article 4. – Il n’y a pas lieu de mettre en jeu la responsabilité de Mme X au titre de la charge n° 4.
Au titre des exercices 2011 à 2014, au 2 juin (charge n°5)
Article 5. – Il n’y a pas lieu de mettre en jeu la responsabilité de Mme X au titre de la charge n° 5.
Article 6. – Mme X est déchargée de sa gestion pour la période du 1er janvier 2011 au 2 juin 2014.
Article 7. – Mme X est déclarée quitte et libérée de sa gestion terminée à la date ci-avant indiquée.
Mainlevée peut être donnée et radiation peut être faite de toutes oppositions et inscriptions mises ou prises sur ses biens meubles ou immeubles ou sur ceux de ses ayants cause pour sûreté de ladite gestion et son cautionnement peut être restitué ou ses cautions dégagées.
En ce qui concerne M. Y
Au titre des exercices 2014, à compter du 3 juin, et 2015 (charge n° 5)
Article 8. – Il n’y a pas lieu de mettre en jeu la responsabilité de M. Y au titre de la charge n° 5.
Article 9. – M. Y est déchargé de sa gestion du 3 juin au 31 décembre 2015.
Fait et jugé par Mme Annie PODEUR, présidente de section, présidente de la formation, Mme Sylvie VERGNET, M. Gilles MILLER, Mme Michèle COUDURIER et M. Pierre ROCCA, conseillers maîtres.
En présence de M. Aurélien LEFEBVRE, greffier de séance.
Aurélien LEFEBVRE
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Annie PODEUR
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En conséquence, la République française mande et ordonne à tous huissiers de justice, sur ce requis, de mettre ledit arrêt à exécution, aux procureurs généraux et aux procureurs de la République près les tribunaux de grande instance d’y tenir la main, à tous commandants et officiers de la force publique de prêter main-forte lorsqu’ils en seront légalement requis.
Conformément aux dispositions de l’article R. 142-20 du code des juridictions financières, les arrêts prononcés par la Cour des comptes peuvent faire l’objet d’un pourvoi en cassation présenté, sous peine d’irrecevabilité, par le ministère d’un avocat au Conseil d’État dans le délai de deux mois à compter de la notification de l’acte. La révision d’un arrêt ou d’une ordonnance peut être demandée après expiration des délais de pourvoi en cassation, et ce dans les conditions prévues au I de l’article R. 142-19 du même code.
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