Cour de discipline budgétaire et financière
Formation plénière
Arrêt du 26 juin 2017 « Cité du cinéma »
N° 213-742
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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LA COUR DE DISCIPLINE BUDGÉTAIRE ET FINANCIÈRE,
siégeant à la Cour des comptes, en audience publique, a rendu l’arrêt suivant :
Vu le code des juridictions financières, notamment le titre 1er de son livre III, relatif à la Cour de discipline budgétaire et financière ;
Vu le code civil ;
Vu le code monétaire et financier ;
Vu le code du domaine de l’État ;
Vu le décret n° 91-602 du 27 juin 1991 relatif à l’École nationale supérieure Louis Lumière ;
Vu les communications des 20 décembre 2013 et 8 janvier 2014, enregistrées respectivement les 20 décembre 2013 et 9 janvier 2014, par lesquelles le président de la troisième chambre de la Cour des comptes a informé le procureur général près la Cour des comptes, ministère public près la Cour de discipline budgétaire et financière, de la décision, prise par ladite chambre, de déférer à la Cour de discipline budgétaire et financière des faits laissant présumer l’existence d’irrégularités susceptibles de constituer des infractions passibles des sanctions prévues aux articles L. 313-1 et L. 313-4 du code des juridictions financières, concernant l’intervention publique dans le financement de la Cité du cinéma à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), ensemble les pièces à 1’appui de la seconde communication ;
Vu le réquisitoire du 22 décembre 2014 par lequel le procureur général a saisi de cette affaire le Premier président de la Cour des comptes, président de la Cour de discipline budgétaire et financière ;
Vu la décision du 19 février 2015 par laquelle le président de la Cour de discipline budgétaire et financière a désigné comme rapporteur M. Alain Levionnois, alors conseiller référendaire à la Cour des comptes ;
Vu les lettres des 5 octobre 2015 du procureur général, ensemble les avis de réception de ces lettres, par lesquelles, conformément aux dispositions de l’article L. 314-4 du code des juridictions financières alors en vigueur, ont été mis en cause au regard des faits de l’espèce :
- M. Patrick X..., directeur général de l’enseignement supérieur et de l’insertion professionnelle au ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche du 19 mars 2009 au 29 mars 2012 ;
- Mme Francine Y..., directrice de l’école nationale supérieure Louis Lumière depuis le 1er mai 2007 ;
- M. Eric Z..., chef de service à la direction générale de l’enseignement supérieur et de l’insertion professionnelle depuis le 21 juillet 2009 ;
- M. Laurent A..., conseiller technique pour les affaires immobilières au cabinet de la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche du 9 avril 2009 au 2 avril 2010, puis, à compter de cette date et jusqu’au 19 mars 2012, conseiller pour les affaires financières et immobilières au sein de ce même cabinet ;
- M. Augustin B..., directeur général de la Caisse des dépôts et consignations du 8 mars 2007 au 7 mars 2012 ;
Vu la lettre du 26 septembre 2016 du président de la Cour de discipline budgétaire et financière transmettant au procureur général le dossier de l’affaire, après dépôt du rapport de M. Levionnois, en application de l’article L. 314-4 du code des juridictions financières alors en vigueur ;
Vu la lettre du 20 octobre 2016 du procureur général informant le président de la Cour de discipline budgétaire et financière, après communication du dossier de l’affaire, de sa décision de poursuivre la procédure en application de l’article L. 314-4 du code des juridictions financières alors en vigueur ;
Vu les lettres du 25 octobre 2016 par lesquelles, en application de l’article L. 314-5 du code des juridictions financières alors en vigueur, le président de la Cour de discipline budgétaire et financière a transmis pour avis le dossier de l’affaire au ministre de l’économie et des finances ainsi qu’à la ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, ensemble les avis de réception de ces lettres ;
Vu la décision du 20 janvier 2017 du procureur général renvoyant MM. B..., A..., X..., Z... et Mme Y... devant la Cour de discipline budgétaire et financière, en application de l’article L. 314-6 du code des juridictions financières alors en vigueur, ainsi que les lettres du même jour envoyées par lui à MM. B..., A..., X..., Z... et Mme Y... pour les informer de sa décision ;
Vu les lettres recommandées adressées le 25 janvier 2017 par la greffière de la Cour de discipline budgétaire et financière à MM. B..., A..., X..., Z... et Mme Y... leur transmettant la décision de renvoi du procureur général et les avisant qu’ils pouvaient prendre connaissance du dossier de l’affaire et produire un mémoire en défense dans les conditions prévues à l’article L. 314-8 du code des juridictions financières alors en vigueur, et les citant à comparaître le 7 avril 2017 devant la Cour de discipline budgétaire et financière, ensemble les avis de réception de ces lettres ;
Vu les lettres du 17 février 2017 de Maître Baverez, avocat de M. B..., et du 20 février 2017 de Maître Fornacciari, avocat de M. A..., demandant le report de l’audience publique du 7 avril 2017 ;
Vu la lettre du 2 mars 2017 du président de la formation de délibéré à Maître Baverez l’informant du report de la date de l’audience au 28 avril 2017, ensemble la lettre adressée le même jour par la greffière de la Cour de discipline budgétaire et financière à Maître Fornacciari pour l’informer de cette décision ;
Vu les courriels du 3 mars 2017 de la greffière de la Cour de discipline budgétaire et financière aux autres parties les informant du report de l’audience au 28 avril 2017 ;
Vu les lettres recommandées adressées le 6 mars 2017 par la greffière de la Cour de discipline budgétaire et financière à MM. B..., A..., X..., Z... et Mme Y... les citant à comparaître le 28 avril 2017 devant la Cour de discipline budgétaire et financière, ensemble les avis de réception de ces lettres ;
Vu les lettres rectificatives recommandées adressées le 4 avril 2017 par la greffière de la Cour de discipline budgétaire et financière à MM. B..., A..., X..., Z... et Mme Y... les citant à comparaître le 12 mai 2017 devant la Cour de discipline budgétaire et financière, ensemble les avis de réception de ces lettres ;
Vu la demande présentée par Maîtres Autet et Baverez pour M. B..., adressée par courriel le 13 mars 2017, tendant à faire citer comme témoin M. Edward C..., lors de l’audience publique et le permis, délivré le 6 avril 2017 par le président de la formation de jugement, après conclusions du procureur général, de citer cette personne à l’audience ;
Vu la demande présentée par Maître Fornacciari pour M. A..., adressée par courrier le 21 mars 2017, tendant à faire citer comme témoin Mme Charline D... lors de l’audience publique et le permis, délivré le 6 avril 2017 par le président de la formation de jugement, après conclusions du procureur général, de citer cette personne à l’audience ;
Vu les lettres recommandées du 6 avril 2017 par lesquelles la greffière de la Cour de discipline budgétaire et financière a transmis aux témoins, M. C... et Mme D..., une convocation à l’audience publique ;
Vu le mémoire en défense produit par Maître Piwnica pour M. X... le 24 mars 2017 ;
Vu le mémoire en défense produit par M. Z... le 7 avril 2017 ;
Vu le mémoire en défense produit par Maître Baverez pour M. B... le 12 avril 2017, ensemble les pièces à l’appui ;
Vu le mémoire en défense produit par Maître Fornacciari pour M. A... le 12 avril 2017, ensemble les pièces à l’appui ;
Vu le mémoire en défense produit par Maîtres Latournerie et Brillat pour Mme Y... le 12 avril 2017, ensemble les pièces à l’appui ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Entendu le représentant du ministère public résumant la décision de renvoi, en application de l’article L. 314-12 du code des juridictions financières ;
Entendu en leur déposition sous serment, les témoins M. C... et Mme D..., en application de l’article L. 314-10 du code des juridictions financières ;
Entendu en ses conclusions le procureur général, en application de l’article L. 314-12 du code des juridictions financières ;
Entendu en leurs plaidoiries, Maître Baverez pour M. B..., Maître Fornacciari pour M. A..., Maître Piwnica pour M. X..., Maîtres Latournerie et Brillat pour Mme Y..., MM. B..., A..., X..., Z... et Mme Y... ayant été invités à présenter leurs explications et observations, la défense ayant eu la parole en dernier ;
Après en avoir délibéré ;
Sur la compétence de la Cour
- Considérant qu’aux termes du c) du I de l’article L. 312‑1 du code des juridictions financières sont notamment justiciables de la Cour de discipline budgétaire et financière « Tout représentant, administrateur ou agent des autres organismes qui sont soumis soit au contrôle de la Cour des comptes, soit au contrôle d’une chambre régionale des comptes ou d’une chambre territoriale des comptes. » ;
- Considérant que M. B..., et Maître Baverez, contestent la compétence de la Cour pour statuer sur les griefs soulevés à son encontre en sa qualité de directeur général de la Caisse des dépôts et consignations au motif que la Caisse des dépôts et consignations ne serait pas un établissement public de droit commun et que le contrôle juridictionnel de la Cour des comptes sur cet établissement serait limité ;
- Considérant que l’article L. 518-15 du code monétaire et financier dispose que « Le contrôle sur la Caisse des dépôts et consignations par la Cour des comptes est effectué dans le cadre de l’article L. 131-3 du code des juridictions financières. » ; qu’aux termes de cette dernière disposition : « Les conditions dans lesquelles le contrôle de la Cour des comptes s’exerce sur les opérations de la Caisse des dépôts et consignations sont fixées par un décret en Conseil d’Etat, compte tenu du statut spécial de cet établissement » ; qu’il résulte de ces dispositions que la Caisse des dépôts et consignations est soumise au contrôle de la Cour des comptes ; que, par suite, le directeur général de la Caisse des dépôts et consignations est justiciable de la Cour de discipline budgétaire et financière au sens et pour l’application des dispositions de l’article L. 312‑1 du code des juridictions financières précitées ; qu’est à cet égard sans incidence la circonstance que le contrôle de la Cour des comptes est adapté au statut spécial de la Caisse des dépôts et consignations ;
- Considérant que M. A... est justiciable de la Cour en sa qualité de conseiller technique au cabinet de la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche au moment des faits ; qu’il en va de même de MM. X... et Z..., respectivement directeur d’administration centrale et chef de service dans la même administration, et de Mme Y..., directrice d’un établissement public de l’État ;
Sur l’absence d’avis du ministre de l’économie et des finances et de la ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche
- Considérant que l’absence de réponse du ministre de l’économie et des finances et de la ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche aux demandes d’avis formulées le 25 octobre 2016 ne fait pas obstacle à la poursuite de la procédure, en application de l’article L. 314-5 du code des juridictions financières en vigueur jusqu’au 30 avril 2017 ;
Sur la prescription
- Considérant qu’aux termes de l’article L. 314-2 du code des juridictions financières : « La Cour ne peut être saisie après l’expiration d’un délai de cinq années révolues à compter du jour où aura été commis le fait de nature à donner lieu à l’application des sanctions prévues par le présent titre. » ;
- Considérant que les faits présomptifs d’irrégularités visés par la décision de renvoi ont été portés à la connaissance du ministère public par la communication susvisée du président de la troisième chambre de la Cour des comptes du 20 décembre 2013, enregistrée le même jour, et par la communication complémentaire susvisée enregistrée le 9 janvier 2014 ; que, contrairement à ce qui est soutenu, une telle communication constitue un acte qui interrompt la prescription ; qu’il s’ensuit que les faits postérieurs au 21 décembre 2008 ne sont pas couverts par la prescription de cinq ans ;
- SUR LES CONTESTATIONS RELATIVES À LA PROCÉDURE
- Considérant qu’à l’appui de la contestation de la régularité de la procédure M. B... soutient que l’adoption des observations provisoires de la Cour des comptes aurait été marquée par des violations répétées du principe du contradictoire ; que des informations relatives à la procédure devant la Cour de discipline budgétaire et financière auraient été communiquées à la presse, de sorte qu’il aurait été porté atteinte à la présomption d’innocence et aux règles du procès équitable ; que les pièces versées au dossier de la présente procédure auraient été particulièrement limitées et n’auraient pas permis une instruction complète, tant à charge qu’à décharge ; que la décision de le poursuivre serait contraire au principe de légalité, consacré par l’article 7-1 de la Convention européenne des droits de l’homme, dès lors que la mise en œuvre des dispositions de l’article L. 313-4 du code des juridictions financières par le ministère public suppose d’interpréter les règles régissant la commission de surveillance de la Caisse des dépôts et consignations d’une manière nouvelle et imprévisible ;
- Considérant, en premier lieu, que les irrégularités alléguées relatives au déroulement de la procédure antérieure au renvoi des personnes mises en cause devant la Cour sont, en tout état de cause, sans incidence tant sur la régularité de la procédure postérieure à ce renvoi, que sur l’impartialité de la Cour ; qu’il en va de même, pour regrettables qu’elles soient, des mentions dans la presse de certains éléments relatifs à la présente affaire ;
- Considérant, en deuxième lieu, qu’il ne ressort pas des pièces de la procédure qui s’est déroulée devant la Cour qu’auraient été méconnus les droits de la défense et le caractère équitable du procès ; qu’en effet, contrairement à ce qui est soutenu, d’une part, le rapporteur n’a pas instruit l’affaire à charge ; que, d’autre part, M. B… a été mis à même de produire utilement ses observations en défense, en particulier en versant au dossier les pièces complémentaires qui lui paraissent utiles à son argumentation ;
- Considérant, en troisième et dernier lieu, que, contrairement à ce qui est soutenu, les manquements relevés par la décision de renvoi renvoient à des obligations énoncées de manière suffisamment claire pour que la sanction encourue du fait de leur méconnaissance soit prévisible ;
- LES FAITS
- Considérant que la réalisation, sur un site industriel désaffecté du territoire de la commune de Saint-Denis, d’un ensemble de studios et d’équipements complémentaires de tournage cinématographique, dénommé « Cité du cinéma », relevait initialement d’un projet d’investissement privé conduit par le groupe EuropaCorp, appartenant à M. Luc E..., réalisateur et producteur de cinéma ; que le concours d’un investisseur public, en l’espèce la Caisse des dépôts et consignations, a été sollicité à l’appui de ce projet dès 2004 ;
- Considérant qu’il résulte de l’instruction qu’alors que se poursuivaient, entre 2006 et 2009, les démarches nécessaires au lancement de l’opération (acquisition de l’ensemble immobilier destiné à accueillir la future Cité du cinéma puis signature, le 28 mai 2009, avec la société Vinci Immobilier d’Entreprise, d’un contrat de promotion immobilière), le projet d’investissement de la Caisse des dépôts et consignations a été soumis à l’avis du comité des engagements de sa direction territoriale et du réseau les 29 septembre 2008 et 19 décembre 2008 ; que ce comité a émis un avis favorable à ce projet à cette dernière date et décidé de le renvoyer au comité national des engagements de la Caisse des dépôts et consignations, présidé par le directeur général de l’établissement ; que le directeur général de la Caisse des dépôts et consignations a donné un accord de principe, le 22 décembre 2008, pour une intervention de l’établissement public limitée à la seule opération de réhabilitation de l’ancienne usine électrique dénommée « la Nef » et de construction de locaux et d’annexes, en vue de leur gestion locative ;
- Considérant que, alors que la maîtrise d’ouvrage de l’opération demeurait dans les mains du groupe EuropaCorp, la Caisse des dépôts et consignations a subordonné son engagement « […] à une prise à bail par l’École du cinéma d’une surface utile de 8 000 m2 à des conditions usuelles de marché. » ; que le comité national des engagements de la Caisse des dépôts et consignations a donné son accord à cet investissement dans sa séance du 25 mai 2009 ; que, le 28 mai 2009, l’engagement de la Caisse s’est concrétisé d’une part, par la création d’une société par actions simplifiée La Nef Lumière, société filiale détenue à 75 % par la Caisse et à 25 % par la société Vinci Immobilier, pour l’acquisition et la gestion du futur ensemble immobilier, et d’autre part, par la signature, le même jour, d’une promesse de vente par la société EuropaCorp Studios à la société La Nef Lumière des volumes de la future Cité du cinéma correspondant aux locaux d’activité et annexes, en l’état de futur achèvement, pour un prix de 156,676 M€, soit 131 M€ HT ; que la vente définitive a eu lieu à ces conditions le 25 mars 2010 ;
Sur les conditions dans lesquelles a été signé le 28 mai 2009 l’accord entre le bailleur et l’État « sur les principaux termes du contrat de bail »
- Considérant que si les locaux d’activités de la Cité du cinéma avaient vocation à héberger les entreprises du groupe de production audiovisuelle appartenant à M. E..., la Caisse des dépôts et consignations a conditionné son intervention, afin de limiter le risque d’impayé, à la présence d’un autre locataire public, l’État ou un établissement public bénéficiant de la garantie ou du soutien de l’État ; que le choix de l’État s’est en définitive porté sur un établissement public d’enseignement supérieur, à savoir l’École nationale supérieure Louis Lumière (ENSLL), installée à Noisy-le-Grand ;
- Considérant qu’il résulte de l’instruction que la décision de principe du déménagement de l’ENSLL à la Cité du cinéma a été prise à la fin de l’année 2008, à l’issue de multiples échanges entre la Caisse des dépôts et consignations, le groupe EuropaCorp, le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, la directrice de l’ENSLL et les services de la présidence de la République ; qu’après le départ du cabinet du conseiller chargé du dossier, la conduite de la négociation a été confiée à M. A..., nouveau conseiller technique pour les affaires immobilières au cabinet de la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, nommé par un arrêté de la ministre en date du 9 avril 2009 ; que le 22 décembre 2008, Mme Y... a adressé un courrier au directeur général de la Caisse des dépôts et consignations en ces termes : « Je souhaite vous confirmer le projet de l’École Nationale Supérieure Louis Lumière d’occuper les locaux proposés au sein de la " Cité du Cinéma " pour un loyer de 235 euros/mètre carré et pour une durée de 12 années à compter de la fin de la réalisation des travaux nécessaires à la viabilité des locaux. » ;
- Considérant que cette décision de principe, qui a conduit l’ENSLL à quitter Noisy-le-Grand pour Saint-Denis à la rentrée scolaire de 2012, s’est accompagnée du choix de la formule de la location et des modalités juridiques et financières correspondantes ; qu’à l’issue des négociations et à l’initiative de M. A..., il a été décidé que Mme Y..., directrice de l’ENSLL, signerait un accord sur les principaux termes entre l’État et la société EuropaCorp Studios précisant les principales clauses du contrat à intervenir ultérieurement ; que cet accord a été signé au nom de l’État par Mme Y... lors d’une réunion tenue au cabinet de la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, sous la présidence de M. A..., le 28 mai 2009 ;
- Considérant que l’accord précité a servi de base à la signature le 19 novembre 2009, sans visa préalable du contrôleur financier, entre la société EuropaCorp Studios et l’État, représenté cette fois par M. X..., directeur général de l’enseignement supérieur et de l’insertion professionnelle, d’une convention définitive de bail devant prendre effet à la réception des locaux de la Cité du cinéma, à une date prévisionnelle fixée au 1er juillet 2012 « au plus tard », en fonction de la rentrée scolaire 2012 ;
- Considérant qu’à cette date, la Caisse des dépôts et consignations a obtenu la réalisation des deux hypothèses auxquelles elle avait conditionné son investissement dans l’opération, à savoir la location au groupe EuropaCorp d’environ 25 000 m² pour un loyer annuel de 6,05 M€ HT et la présence de l’État ou de l’un de ses opérateurs, preneur d’une surface de 7 736 m², pour un loyer de l’ordre de 1,9 M€ HT ;
- Considérant que si globalement les conditions financières de location prévues pour EuropaCorp Studios apparaissent plus élevées que celles consenties à l’État, les deux locataires acquittent un prix identique pour l’accès au restaurant inter-entreprises (15 € HT/m²) ; qu’ils sont également traités sur un pied d’égalité pour ce qui regarde le remboursement au bailleur de la taxe foncière et la prise en charge à leurs frais des grosses réparations au titre de l’article 606 du code civil, condition acceptée dans la négociation, contrairement aux exigences initiales de l’État pour ce qui le concernait ainsi qu’aux préconisations du service de France Domaine, dans son avis du 28 avril 2009 ;
Sur le rachat de l’ensemble immobilier par le groupe Caisse des dépôts et consignations en mars 2010, ses conséquences et le transfert du bail à l’ENSLL
- Considérant que la vente définitive en l’état de futur achèvement de la Cité du cinéma a eu lieu le 25 mars 2010, au prix initialement convenu par la Caisse des dépôts et consignations de 131 M€ HT, soit 156,676 M€ TTC ;
- Considérant que, dans le même temps, à la suite de la signature le 19 novembre 2009 de la convention de bail des locaux de la Cité du cinéma destinés à l’ENSLL, conclue par l’État représenté par M. X... avec la société EuropaCorp Studios, un avenant à cette convention a été conclu le 6 avril 2012 entre la SAS Nef Lumière et l’État, représenté par M. Z..., chef de service à la direction générale de l’enseignement supérieur et de l’insertion professionnelle, afin de tenir compte du transfert de propriété des locaux en cause à La Nef Lumière par un acte du 25 mars 2010 ; que cet avenant, qui n’a pas été soumis au visa préalable du contrôle financier, n’a pas emporté de modifications substantielles mais s’est borné à entériner la substitution de la société La Nef Lumière à la société EuropaCorp Studios en qualité de bailleur et à préciser que la date d’effet du bail était fixée à celle à laquelle les locaux avaient été achevés et livrés, à savoir le 6 avril 2012 ;
- Considérant que, par une décision du 23 avril 2012, le contrôleur budgétaire et comptable du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche a refusé le visa de la première demande de paiement du loyer dû au bailleur pour la location par l’État des locaux de la Cité du cinéma ; que ce refus a été motivé, dans une lettre adressée au secrétaire général du ministère du 2 mai 2012, par le constat que « […] le bail aurait dû être signé par un représentant de [l’] établissement et non par l’État. » ;
- Considérant que, par une convention du 13 juin 2012 contresignée par le représentant légal du bailleur (La Nef Lumière), l’État représenté par le nouveau directeur général de l’enseignement supérieur et de l’insertion professionnelle a cédé à l’ENSLL, représentée par sa directrice, Mme Y..., le bail des locaux de la Cité du cinéma destiné à accueillir l’ENSLL ; que, le 14 juin 2012, Mme Y... a saisi le service France Domaine d’une demande d’avis sur la valeur locative du bien dont son établissement était devenu locataire la veille ; que, par ailleurs, le visa préalable du contrôleur financier n’a pas été sollicité ;
- Considérant que, par une décision du 20 juin 2012, l’agent comptable de l’ENSLL a refusé la prise en charge d’un mandat émis le 18 juin 2012 par la directrice de l’établissement pour un montant de 1 366 739,24 €, aux fins du paiement du premier terme du loyer de la Cité du cinéma ; que ce refus était fondé sur l’émission d’un ordre de payer établi au nom de Vinci Immobilier au lieu de La Nef Lumière et sur l’absence d’avis de France Domaine pourtant requis au regard du montant du loyer ;
- Considérant que le paiement est intervenu le 20 juin 2012 sur un ordre de réquisition de Mme Y... ; que, pour ne pas provoquer chaque trimestre un refus suivi d’une réquisition de payer, Mme Y... a pris le 17 octobre 2012 la décision de procéder à la consignation des sommes dues à la société La Nef Lumière au titre du loyer de son établissement, jusqu’à ce que l’École et cette société conviennent d’un protocole transactionnel le 30 novembre 2015, qui a permis la conclusion d’un nouveau bail ;
- Considérant que, dans son avis rendu le 2 juillet 2013 et repris dans le rapport de présentation de l’accord transactionnel de novembre 2015, le service France Domaine a relevé que « que l’équation générale reste en dessous des prix moyens du marché » ; que, simultanément à la conclusion du protocole transactionnel, La Nef Lumière et l’ENSLL ont conclu un nouveau bail de 12 ans à compter du 30 novembre 2015, mettant désormais à la charge du bailleur le coût des réparations définies à l’article 606 du code civil ;
- Sur la qualification juridique des faits et l’imputation des responsabilitÉs
Sur l’absence de consultation du comité des investissements de la commission de surveillance de la Caisse des dépôts et consignations dans l’opération « La Nef Lumière »
- Considérant qu’il est fait grief au directeur général de la Caisse des dépôts et consignations d’avoir décidé l’engagement de la Caisse dans la création de la société La Nef Lumière sans avoir consulté au préalable le comité des investissements ;
- Considérant qu’aux termes de l’article L. 518-8 du code monétaire et financier, dans sa rédaction issue de l’article 151 de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie : « La commission de surveillance dispose en son sein de comités spécialisés consultatifs, en particulier le comité d’examen des comptes et des risques, le comité des fonds d’épargne et le comité des investissements.
Elle en fixe les attributions et les règles de fonctionnement dans son règlement intérieur.
Le comité des investissements a pour mission de surveiller la mise en œuvre de la politique d'investissement de la Caisse des dépôts et consignations. Il est saisi préalablement des opérations qui conduisent la Caisse des dépôts et consignations à acquérir ou à céder les titres de capital ou donnant accès au capital d’une société au-delà des seuils définis dans le règlement intérieur de la commission de surveillance. » ; - Considérant que, par une délibération du 19 novembre 2008, entrée en vigueur le 15 janvier 2009, la commission de surveillance de la Caisse des dépôts et consignations a modifié son règlement intérieur pour le mettre en conformité avec les dispositions précitées du code monétaire et financier ; que l’article 6.3 de ce règlement modifié dispose que : « Les décisions d’investissement et de désinvestissement sont de la compétence du Directeur Général.
Le Comité des Investissements a pour mission de surveiller la mise en œuvre de la politique d’investissement de la Caisse des Dépôts et Consignations, Etablissement public et Groupe.
Il est saisi préalablement des opérations qui conduisent la Caisse des Dépôts à acquérir ou céder, directement ou indirectement, les titres de capital ou donnant accès au capital d’une société dans laquelle : soit la Caisse des Dépôts et Consignations exerce ou exercera une influence notable et donc une certaine forme de contrôle, soit l’investissement ou le produit de l’opération dépasse 150 M€. […] » ; qu’il résulte de ces dispositions que le comité d’investissement doit être saisi pour avis, préalablement à certaines décisions d’investissement du directeur général, à raison de leur montant et ou de leur objet ; - Considérant que le règlement intérieur du comité des investissements a été approuvé le 4 février 2009 et que ses membres ont été nommés à la fin du mois de février 2009 ; qu’en raison des formalités liées à son installation, le comité des investissements n’était pas en mesure d’émettre un avis avant le mois de mars 2009 ;
- Considérant, ainsi qu’il a été dit ci-dessus, que la décision de principe prise par le directeur général d’engager la Caisse des dépôts et consignations dans l’opération « Cité du cinéma » par la création de la société La Nef Lumière est intervenue le 22 décembre 2008, soit avant l’institution et l’installation du comité d’investissement ; que, dans ces conditions, l’absence de consultation, par le directeur général, du comité des investissements n’est pas susceptible de constituer un manquement aux règles d’exécution des dépenses d’un établissement public mentionnées à l’article L. 313-4 du code des juridictions financières ; qu’il résulte de ce qui précède qu’il n’y a pas lieu d’engager la responsabilité de M. B... sur ce fondement ;
Sur les clauses de l’accord entre l’État et la société EuropaCorp Studios relatives aux conditions de prise à bail des locaux de la Cité du cinéma
- Considérant qu’un accord sur les « principaux termes et conditions de bail commercial en l’état futur d’achèvement sous conditions suspensives » a été signé le 28 mai 2009 par l’État, représenté par Mme Y..., directrice de l’ENSLL et la société EuropaCorp Studios ; que les clauses de cet accord ont donné lieu à une négociation conduite par M. A..., conseiller technique pour les affaires immobilières au cabinet de la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, avec le concours notamment de Mme Y..., directrice de l’ENSLL, et d’un représentant du service des domaines de la trésorerie générale de la Seine-Saint-Denis ;
- Considérant que l’accord sur les principaux termes du 28 mai 2009, qui préfigure la convention de bail signée le 19 novembre 2009 entre l’État et la société EuropaCorp Studios, contient notamment une clause laissant à la charge du preneur les travaux de grosses réparations mentionnés à l’article 606 du code civil ;
- Considérant qu’après avoir indiqué qu’il refuserait cette clause dans un courriel du 13 mai 2009, M. A... l’a finalement acceptée, par un message adressé le 15 mai 2009 aux représentants de la Caisse des dépôts et consignations et de la société EuropaCorp Studios ;
- Considérant qu’aux termes de l’article 605 du code civil : « L’usufruitier n’est tenu qu’aux réparations d’entretien. Les grosses réparations demeurent à la charge du propriétaire, à moins qu’elles n’aient été occasionnées par le défaut de réparations d’entretien, depuis l’ouverture de l’usufruit ; auquel cas l’usufruitier en est aussi tenu. » ; qu’aux termes de l’article 606 du même code : « Les grosses réparations sont celles des gros murs et des voûtes, le rétablissement des poutres et des couvertures entières. Celui des digues et des murs de soutènement et de clôture aussi en entier. Toutes les autres réparations sont d’entretien. » ;
- Considérant, d’une part, que le fait de mettre à la charge d’un locataire les travaux de grosses réparations visés à l’article 606 du code civil n’était pas contraire à la loi, à la date de la signature du contrat litigieux, alors même qu’il se serait agi d’une pratique inhabituelle dans les relations entre les bailleurs et les preneurs à bail commercial ;
- Considérant, d’autre part, que l’équilibre d’un contrat doit être analysé au regard de l’ensemble de ses clauses ; qu’en avalisant la clause relative à la prise en charge des grosses réparations par le bailleur, M. A... s’est inscrit dans un processus de négociation et n’a pas commis en sa qualité de négociateur de l’accord pour le compte de l’État, eu égard au caractère équilibré du contrat final, de faute de gestion au sens de l’article L. 313-4 du code des juridictions financières ;
Sur l’absence de saisine préalable du service des domaines pour avis sur le prix du loyer à acquitter pour l’installation de l’ENSLL dans la Cité du cinéma, prévu dans le bail du 19 novembre 2009
- Considérant que l’accord sur les termes du bail, signé au nom de l’État par Mme Y... le 28 mai 2009, contenait les principales clauses relatives à la prise à bail des locaux de la Cité du cinéma destinés à accueillir l’ENSLL, dont celles relatives au prix du loyer, ultérieurement reprises dans le bail commercial signé le 19 novembre 2009 ;
- Considérant qu’aux termes de l’article R. 3 du code du domaine de l’État, applicable à la date des faits litigieux, « Les baux, accords amiables et conventions quelconques ayant pour objet la prise en location d’immeubles de toute nature négociés par l’État ou par les établissements publics nationaux, ne peuvent, quelle qu’en soit la durée, être réalisés qu’après avis du service des domaines sur le prix, lorsque le loyer annuel total, charges comprises, est au moins égal à un chiffre limite fixé par arrêté du ministre de l’économie et des finances. Il en est de même, quel que soit le montant du loyer, si la durée prévue pour l’opération est supérieure à neuf ans […] » ; qu’aux termes de l’article A. 01 du même code, le seuil en cause était fixé à 4 500 € ;
- Considérant que l’article 3 du décret n° 86-455 du 14 mars 1986 relatif à la suppression des commissions des opérations immobilières et de l’architecture et fixant les modalités de consultation des services des domaines, également applicable à la date des faits, prévoyait que l’avis du service des domaines devait être demandé avant toute entente amiable pour certains projets d’opérations immobilières, notamment les baux, accords amiables et conventions quelconques ayant pour objet la prise en location d’immeubles de toute nature d’un loyer annuel total, charges comprises, égal ou supérieur à une somme fixée par arrêté du ministre de l’économie, des finances et du budget quand ils sont poursuivis notamment par l’État, les établissements publics et les offices de l’État ; que ce montant a été fixé à 12 000 € par l’arrêté du ministre chargé au budget en date du 5 septembre 1986, dans sa rédaction issue d’un arrêté du 17 décembre 2001 ;
- Considérant qu’il résulte de l’instruction que le recteur de l’académie de Créteil a sollicité le 26 mars 2009 l’avis du service des domaines de la trésorerie générale de la Seine‑Saint‑Denis sur le montant du loyer susceptible d’être convenu pour la prise à bail des locaux destinés à accueillir l’ENSLL ; que le service des domaines a émis un avis le 28 avril 2009, fondé alors sur l’hypothèse d’une surface louée de 5 084 m², estimée à partir d’un document de travail transmis par l’ENSLL et aboutissant à une valeur locative de 915 680 €, soit un prix pondéré de 180 € par mètre carré et par an, se décomposant en une valeur locative de 160 € pour les locaux techniques (enseignement) et 250 € pour les locaux à usage de bureaux (administratifs) ;
- Considérant qu’à l’issue des négociations, les conditions du bail ont été différentes de celles initialement envisagées ; qu’ainsi l’avis du 28 avril 2009 a été émis au vu d’un projet qui n’était pas identique à celui finalement retenu, ni quant à la surface des locaux devant être pris à bail, ultérieurement arrêtée à 7 736 m² de surface utile, ni quant à leur nature ; que, dans ces conditions, l’accord amiable sur la prise à bail des locaux doit être regardé comme ayant été conclu sans l’avis préalable du service des domaines, en méconnaissance des dispositions précitées du code du domaine de l’État et du décret du 14 mars 1986 ;
- Considérant toutefois, qu’il résulte de l’instruction que M. A..., qui, en sa qualité de conseiller au cabinet de la ministre, n’était, en tout état de cause, pas compétent pour saisir le service des domaines, a estimé que l’avis émis le 28 avril 2009 par le service des domaines restait valable, eu égard à son caractère récent et à l’ampleur limitée des modifications ayant affecté le projet litigieux ; qu’alors même que tel n’était pas le cas et qu’un nouvel avis était juridiquement requis, il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, d’engager à ce seul titre la responsabilité de M. A... sur le fondement de l’article L. 313-4 du code des juridictions financières ;
Sur les conditions dans lesquelles a été signé le bail commercial du 19 novembre 2009
Sur le respect des règles de compétence et de procédure dans l’exécution des dépenses de l’État
- Considérant qu’une convention de bail commercial en l’état de futur achèvement sous conditions suspensives a été conclue le 19 novembre 2009 entre l’État et la société EuropaCorp Studios, en vue de l’installation de l’ENSLL dans des locaux de la Cité du cinéma ; que cette convention a été signée pour le compte de l’État par M. X..., alors directeur général de l’enseignement supérieur et de l’insertion professionnelle au ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche ;
- Considérant qu’un avenant à cette convention, entérinant la substitution de la société La Nef Lumière à la société EuropaCorp Studios en qualité de bailleur et validant la prise d’effet du bail au 6 avril 2012, date de livraison à l’École des locaux de la Cité du cinéma, a été conclu le 6 avril 2012 ; que cet avenant a été signé pour le compte de l’État par M. Z..., chef de service, adjoint au directeur général de l’enseignement supérieur et de l’insertion professionnelle au ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche ; que cet avenant a été conclu en la forme administrative, au sens de l’article L. 1212‑1 du code général de la propriété des personnes publiques ;
- Considérant qu’aux termes de l’article R. 18 du code du domaine de l’État, applicable à l’époque des faits, « Le service des domaines est seul habilité à passer pour le compte des services publics de l’État, civils ou militaires, les actes d’acquisition et de prise en location d’immeubles et de droits immobiliers ou de fonds de commerce. Il peut se faire assister, s’il le juge utile, par un représentant du ministère ou du service intéressé […] » ; qu’aux termes de l’article R. 4111‑8 du code général de la propriété des personnes publiques, tel qu’il résulte des dispositions du décret n° 2011‑1612 du 22 novembre 2011 : « Lorsqu’un acte de prise en location d’immeubles, de droits immobiliers ou de fonds de commerce est établi en la forme administrative, seule l’administration chargée des domaines, assistée en tant que de besoin par un représentant du ministère ou du service intéressé, est habilitée à le passer pour le compte des services civils ou militaires de l’État. » ; qu’il résulte de ces dispositions, qui n’admettent d’exception que dans des circonstances non applicables en l’espèce, que ni M. X... ni M. Z... n’étaient compétents pour signer, au nom de l’État, les convention et avenant litigieux ;
- Considérant toutefois, que dès lors que, consultée sur cette question de représentation de l’État lors de la signature du bail commercial, la direction des affaires juridiques du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche avait estimé, dans une note du 11 septembre 2009, que « le directeur général pour l’enseignement supérieur et l’insertion professionnelle dont il relève des compétences de sa direction d’exercer la tutelle des établissements publics relevant du ministre […], paraît la personne la plus idoine pour représenter la ministre », il ne saurait être fait grief à M. X... d’avoir cru, au vu de cette analyse, qu’il était habilité à signer, au nom de l’État, la convention de bail du 19 novembre 2009 ; qu’il en va de même de M. Z... s’agissant de l’avenant du 6 avril 2012 ; que, dans ces conditions, il n’y a pas lieu de leur imputer de manquement au regard des infractions mentionnées à l’article L. 313-3 du code des juridictions financières ;
Sur le respect des règles relatives au contrôle financier de l’État
- Considérant qu’en vertu de l’article 15 du décret n° 2005-54 du 27 janvier 2005 relatif au contrôle financier au sein des administrations de l’État, applicable à la date des faits litigieux, un arrêté du ministre chargé du budget devait déterminer, pour chaque ministère, les projets d’actes d’engagement ou d’affectation de crédits, d’ordonnances de paiement et de délégations de crédits ou d’actes en tenant lieu, soumis au visa ou à l’avis préalable de l’autorité chargée du contrôle financier ; que l’arrêté du ministre délégué au budget et à la réforme de l’État, porte-parole du Gouvernement, en date du 29 décembre 2005 relatif au contrôle financier des programmes et des services du ministère de l’éducation nationale et du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche avait fixé à 500 000 euros, toutes taxes comprises, les baux et les décisions diverses relevant des titres II, III, V et VI devant être soumis au visa préalable du contrôle financier ;
- Considérant que M. X... a signé, au nom de l’État, le 19 novembre 2009, une convention de bail qui portait engagement de dépenses de l’État pour un montant annuel hors taxes, hors charges et avant actualisation de 1 913 320 € ; que M. Z... a signé le 6 avril 2012 un avenant à cette convention de bail, substituant la société La Nef Lumière à la société EuropaCorp Studios en qualité de bailleur de l’État et précisant que la livraison au preneur des locaux achevés étant intervenue le 6 avril 2012 la date d’effet du bail était fixée à cette date ; qu’aucun de ces deux projets d’acte n’a fait l’objet, malgré les montants de dépenses engagées, d’une demande de visa préalable du contrôle financier ;
- Considérant qu’il résulte de ce qui précède que M. X... a engagé sa responsabilité, sur le fondement de l’article L. 313-1 du code des juridictions financières, en signant la convention de bail du 19 novembre 2009, en méconnaissance des dispositions de l’arrêté du ministre délégué au budget et à la réforme de l’État, porte-parole du Gouvernement, du 29 décembre 2005 relatives au contrôle financier des programmes et des services du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche ; que M. Z... a engagé sa responsabilité sur le même fondement en signant l’avenant du 6 avril 2012 à la convention de bail, dans la mesure où celui-ci a stipulé la prise d’effet du bail à compter du 6 avril 2012 et contribué, ce faisant à l’engagement, au titre de 2012, d’une dépense budgétaire d’un montant supérieur au seuil de 500 000 € susmentionné ;
Sur l’incompatibilité entre l’acceptation en 2009 d’un « surloyer » de 15 €/m2 pour travaux d’aménagement et la prise en charge par l’ENSLL de prestations et de travaux d’aménagement
- Considérant que l’accord sur les principaux termes et conditions de bail commercial en date du 28 mai 2009 et la convention de bail elle-même, en date du 19 novembre 2009, ont été conclus sur la base d’un prix de location de 245 €/m² et par an, incluant notamment un « surloyer » de 15 €/m² et par an correspondant à des travaux d’aménagement à réaliser par le bailleur pour répondre aux besoins particuliers de l’ENSLL ; que ces aménagements avaient notamment pour objet la réalisation du cloisonnement des locaux de l’ENSLL et leur traitement acoustique, y compris les prestations de maîtrise d’œuvre correspondantes, pour un coût global estimé de 2,86 M€, dont 1,717 M€ à la charge du preneur ;
- Considérant qu’outre les travaux précités, l’ENSLL a pris en charge sur son budget au cours de l’année 2011 des aménagements complémentaires des locaux dits « de la zone son » pour un montant global de 860 504 € se répartissant entre des travaux payés à la société EuropaCorp Studios et des prestations commandées au maître d’œuvre de cette dernière, pour un traitement acoustique spécifique de certains studios d’enseignement ;
- Considérant que M. A... a demandé par un courriel du 28 mai 2009 de vérifier que les annexes techniques de l’accord sur les principaux termes dont il a conduit la négociation convenaient à l’ENSLL ; que ces annexes techniques ont été validées par l’École préalablement à la signature de cet accord ;
- Considérant qu’il résulte de l’instruction que les aménagements de la « zone son » pris en charge par le budget de l’ENSLL ont bien été différents de ceux pris en compte dans le loyer ; qu’il s’ensuit que Mme Y... n’a pas commis un manquement à ses obligations en ordonnant en juillet 2011 la commande de travaux d’aménagement spécifiques de la « zone son » de la future école ; que sa responsabilité au regard de l’infraction mentionnée à l’article L. 313-4 ne saurait donc être engagée ;
Sur le respect des règles relatives au contrôle financier de l’école nationale supérieure Louis Lumière
- Considérant que Mme Y..., directrice de l’ENSLL, a signé le 13 juin 2012 avec le directeur général de l’enseignement supérieur et de l’insertion professionnelle, la cession par l’État du bail des locaux de la Cité du cinéma destinés à accueillir son établissement d’enseignement, sans avoir préalablement obtenu ni même sollicité le visa du contrôleur financier ;
- Considérant qu’en vertu de l’article 6 de l’arrêté interministériel du 10 avril 1995 fixant les modalités du contrôle financier de l’École nationale supérieure Louis Lumière, dans sa rédaction applicable à la date des faits litigieux, devaient être soumis au visa préalable du contrôleur financier les marchés, conventions, contrats, commandes, baux, dont le montant dépasse la moitié du seuil fixé à l’article 123 du code des marchés publics soit, dans la rédaction de ce code en vigueur au moment de la publication de cet arrêté, 45 735,71 € TTC (300 000 francs) ;
- Considérant qu’il résulte de ces dispositions que la directrice de l’ENSLL était tenue de soumettre au visa du contrôleur financier de cet établissement public les conventions, notamment de bail, d’un montant supérieur à 22 868 € TTC, soit en juillet 2010, 19 120 € HT ; qu’en signant le 13 juin 2012, en l’absence de ce visa, la convention de transfert de bail à son établissement valant engagement d’une dépense annuelle de plus de 2 M€ pendant 12 ans, Mme Y... a méconnu ces dispositions ; qu’il résulte de ce qui précède qu’elle a engagé sa responsabilité sur le fondement de l’article L. 313-1 du code des juridictions financières ;
Sur le respect des compétences du conseil d’administration de l’École nationale supérieure Louis Lumière
- Considérant que Mme Y... a décidé, le 13 juin 2012, avec le directeur général de l’enseignement supérieur et de l’insertion professionnelle, la cession par l’État du bail des locaux de la Cité du cinéma destinés à accueillir son établissement d’enseignement, sans avoir préalablement obtenu ni même sollicité l’avis du conseil d’administration de l’ENSLL ;
- Considérant qu’aux termes de l’article 18 du décret susvisé du 27 juin 1991 relatif à l’École nationale supérieure Louis Lumière : « Le directeur dirige l’école et exerce les compétences qui ne sont pas attribuées à une autre autorité par le présent décret, notamment […] 7° : Il conclut les contrats, conventions et marchés » ; qu’aux termes de l’article 19 du même décret, le conseil d’administration « […] détermine les catégories de contrats, conventions ou marchés qui, en raison de leur nature ou du montant financier engagé, doivent lui être soumises pour approbation […] » ;
- Considérant que dès lors que le conseil d’administration n’avait pris aucune délibération pour déterminer les catégories de contrats, conventions ou marchés devant lui être soumis pour approbation, en application des dispositions précitées, Mme Y… était compétente pour signer avec l’État, le 13 juin 2012, la convention de transfert du bail commercial, alors même que cette convention n’avait pas été approuvée par le conseil d’administration de l’ENSLL ;
- Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la responsabilité de Mme Y... ne saurait être engagée sur le fondement de l’article L. 313‑4 du code des juridictions financières ;
Sur l’absence de saisine préalable du service des domaines pour avis sur le prix du loyer à acquitter à la suite du transfert du bail commercial à l’École nationale supérieure Louis Lumière
- Considérant que la convention signée avec l’État le 13 juin 2012 par la directrice de l’ENSLL pour le transfert du bail commercial à son établissement n’a pas été préalablement soumise pour avis au service des domaines ;
- Considérant, toutefois, que le transfert de cette convention, qui est intervenu entre l’État, précédent locataire, et un de ses établissements publics, est resté sans incidence sur le montant du loyer qui est resté identique ; que, dans ces conditions, la responsabilité de Mme Y... ne saurait être engagée sur le fondement de l’article L. 313‑4 du code des juridictions financières ;
- Sur les circonstances
- Considérant qu’il résulte de l’instruction que Mme Y... a eu à gérer le transfert dans des nouveaux locaux de l’école qu’elle dirigeait dans des conditions difficiles ; que l’équipe administrative et technique qui l’assistait était très restreinte ; qu’elle a demandé l’appui de l’autorité de tutelle pour disposer d’un soutien logistique et financier, lequel ne lui a pas été accordé ; que ces faits sont susceptibles de constituer des circonstances atténuantes de la responsabilité de Mme Y... ;
- Sur l’amende
- Considérant qu’il sera fait une juste appréciation des irrégularités commises et des circonstances de l’espèce en infligeant à M. X... une amende 300 €, à M. Z..., une amende de 150 € et à Mme Y..., une amende de 150 € ;
- Sur la publication de l’arrêt
- Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, d’ordonner la publication du présent arrêt au Journal officiel de la République française en application de l’article L. 313-15 du code des juridictions financières ;
ARRÊTE :
Article 1er : M. Augustin B... est relaxé des fins de la poursuite.
Article 2 : M. Laurent A... est relaxé des fins de la poursuite.
Article 3 : M. Patrick X... est condamné à une amende de trois cents euros (300 €).
Article 4 : M. Éric Z... est condamné à une amende de cent cinquante euros (150 €).
Article 5 : Mme Francine Y... est condamnée à une amende de cent cinquante euros (150 €).
Article 6 : Le présent arrêt sera publié au Journal officiel de la République française.
Délibéré par la Cour de discipline budgétaire et financière, formation plénière, le 12 mai deux mille dix-sept, par M. Larzul, conseiller d’État, président ; MM. Guyomar, Boulouis, Derepas et Dacosta, conseillers d’État ; MM. Maistre, Bertucci, Mme Coudurier, conseillers maîtres à la Cour des comptes.
Notifié le 26 juin deux mille dix-sept.
En conséquence, la République mande et ordonne à tous huissiers de justice sur ce requis de mettre ledit arrêt à exécution, aux procureurs généraux et aux procureurs de la République près les tribunaux de grande instance d’y tenir la main, à tous les commandants et officiers de la force publique de prêter main-forte lorsqu’ils en seront légalement requis.
En foi de quoi, le présent arrêt a été signé par le président de la Cour et la greffière.
Le président, | La greffière, |
Tanneguy Larzul | Isabelle REYT |